CHANGER LA POLITIQUE BANCAIRE DE L'ETAT

Pour renforcer la compétitivité de notre système bancaire, il ne suffit pas de lever les entraves à son bon fonctionnement, il est également nécessaire de mettre fin à certaines " protections " dont l'Etat l'entoure. Le sentiment d'immortalité qu'elles provoquent est de nature à induire des comportements risqués qui aboutissent au résultat inverse de l'objectif des filets de sécurité 119( * ) .

A cet égard, deux voies complémentaires méritent d'être explorées :

cesser de confondre la protection des déposants et la prévention des risques systémiques avec la garantie de survie pour tous les établissements ;

privatiser le secteur concurrentiel public et supprimer l'intervention étatique en ne conservant à l'Etat que des missions de service public identifiées après débat de place et clairement situées hors de la concurrence.

LA PROTECTION DES DÉPOSANTS ET LA PRÉVENTION DES RISQUES SYSTÉMIQUES NE DOIVENT PAS GARANTIR LA SURVIE DE TOUS LES ÉTABLISSEMENTS

Il est évidemment de la plus haute importance de garantir la sécurité des déposants et de prévenir les risques systémiques, désormais largement transfrontaliers. Mais ces préoccupations légitimes ne doivent pas déboucher sur une "assurance-survie" des établissements qui empêche tout ajustement du système et peut conduire, dans certains cas, à des comportements peu responsables de la part des dirigeants bancaires .

Dans la pratique courante des États, la volonté de garantir les dépôts et le souci de prévenir le risque systémique se sont traduits en effet par des interventions permettant aux établissements provisoirement défaillants de continuer leur exploitation.

Pourtant, il n'y a aucune nécessité à ce que les dispositifs destinés à garantir le bon fonctionnement du système et la confiance du public se traduisent par le maintien en vie de tous les établissements défaillants.

Pour mettre fin à cet effet devenu pervers du système de prévention des crises bancaires, il convient, d'une part, de mettre fin à la recapitalisation systématique d'établissements non viables et, d'autre part, de s'assurer que l'appel à la solidarité des concurrents se traduise effectivement par le retrait du marché de l'établissement défaillant.

Mettre fin à la recapitalisation systématique d'établissements non viables

Ce problème concerne tous les actionnaires bancaires en général et l'Etat actionnaire en particulier.

Le cas général des actionnaires bancaires

Le premier alinéa de l'article 52 de la loi bancaire, qui conduit au renflouement systématique des banques en difficulté par leurs actionnaires de référence, doit cesser d'être considéré comme l'instrument de premier rang du système de protection français.

D'abord, parce qu'il ne semble plus possible de " réaffirmer la responsabilité des actionnaires bancaires" . C'est le caractère irréaliste d'une application systématique du premier alinéa de l'article 52.
Sauf à rétablir des barrières à l'entrée, incompatibles avec nos engagements internationaux et notamment européens, et à remodeler d'autorité le capital des banques françaises en organisant une cartellisation forcée de la place, dont il est difficile de percevoir comment elle pourrait être réalisée compte tenu des privatisations passées et à venir, il faut prendre acte de la réalité et reconnaître que les actionnaires bancaires peuvent être des actionnaires comme les autres : " petits actionnaires ", actionnaires industriels, voire actionnaires étrangers. Dans " la banque du XXI ème siècle " 120( * ) , ce n'est plus l'actionnaire qui sera spécifique, c'est la banque elle même, qui continuera de l'être.

A cet égard, la pratique des lettres de parrainage, exigée par le Comité des établissements de crédit depuis 1988, et dont la valeur juridique est incertaine 121( * ) , ne semble plus constituer une fondation suffisamment solide sur laquelle établir la crédibilité de place. Sa systématisation constitue un frein à la vocation d'entreprendre des structures les plus petites, sans pour autant garantir, de façon infaillible, la solidité des établissements les plus grands.

Ensuite, parce que la recapitalisation, érigée en système, aboutit à maintenir sous perfusion des établissements non rentables pour le plus grand dommage du secteur dans son ensemble. C'est l'effet pervers du premier alinéa de l'article 52.

Enfin, parce que son application dans le cas de sinistres majeurs, comme celui du Crédit Lyonnais, affectant des banques privées semble inenvisageable. Si le besoin s'en faisait réellement sentir, est-on vraiment sûr que Alcatel-Alsthom soit en mesure d'assumer une recapitalisation de la Société Générale, ou l'UAP (qui est également dans le noyau dur de Suez), une recapitalisation de la BNP ?

Le statu quo actuel n'étant pas souhaitable, faut-il envisager, comme le recommande l'excellent rapport de M. Philippe Auberger 122( * ) la mise en place d'un authentique fonds de garantie interbancaire financé par des cotisations ex ante ?

Assurément, cette proposition améliorerait considérablement la solidité de notre mécanisme de prévention et permettrait de dédramatiser la gestion des crises bancaires.

On peut certes comprendre la réticence générale à laquelle se heurte cette proposition dans le climat actuel de concurrence exacerbée et de sous rentabilité chronique des banques commerciales françaises. Il n'en reste pas moins qu'il serait regrettable d'abandonner complètement cette idée, susceptible d'être mise en oeuvre de façon programmée et progressive afin d'en étaler le coût dans le temps. Un authentique fonds de garantie inter-réseaux éviterait peut-être aux autorités bancaires de recourir systématiquement aux actionnaires de référence, de peur d'avoir à tester la solidité des mécanismes actuels.

Mais, quoiqu'il en soit, cette solution ne résoudrait pas complètement le problème des effets pervers de l'article 52 premier alinéa . Cumuler un fonds de garantie inter-réseaux avec l'appel, en premier ressort, aux actionnaires de référence, risquerait même d'accroître dangereusement les comportements irresponsables (" l'aléa de moralité" ), sans être sur de limiter les recapitalisations systématiques.

C'est pourquoi, il serait souhaitable, en tout état de cause, de changer la doctrine d'application de ce texte afin de lui redonner le sens qui était originellement le sien, celui d'une simple prérogative non contraignante.

Dans cette nouvelle doctrine, sans doute plus conforme à l'intention du législateur, l'appel aux actionnaires ne devrait être utilisé que lorsque le Gouverneur de la Banque de France a la ferme conviction que l'établissement est viable et qu'il ne s'agit que d'un accident passager. Cette conviction devrait être partagée par les actionnaires de l'établissement en cause car rien ne serait pire que de transformer une invitation, traduction dans notre système de droit écrit d'un usage, mécanisme souple et pragmatique, en un mécanisme obligatoire.

Dans le cas où l'une des deux parties (autorités bancaires ou actionnaires) ne jugerait pas l'établissement viable, il conviendrait, sans " menace " ni pression, d'éviter la recapitalisation et de laisser les mécanismes de garantie des dépôts entrer en action. Dans l'hypothèse, apparemment jugée improbable, où les mécanismes actuels se révéleraient insuffisants, alors faudrait-il se souvenir, qu'en France aussi, la Banque centrale est le prêteur de dernier ressort.

Tout en appliquant cette pratique nouvelle pour les établissements qu'elles sont chargées de surveiller, les autorités bancaires françaises devraient plaider, au sein des instances internationales idoines (Comité de Bâle, Commission européenne), pour que l'absence de recapitalisation systématique devienne une règle commune.

En effet, bien que la législation française soit la seule à consacrer l'appel aux actionnaires bancaires, cette pratique existe dans de nombreux autres pays. Son caractère coutumier rend difficile la réponse à la question centrale de savoir si son recours y est systématique ou non, c'est à dire s'il concerne également des établissements non rentables. On peut néanmoins supposer que dans au moins un pays, l'Italie, existe une pratique analogue à la notre et que dans deux autres pays, cette pratique n'est pas systématique : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (voir plus loin l'encadré relatif aux réponses de certaines de nos ambassades).

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