Redéfinir le rôle des services financiers de la Poste
On peut aujourd'hui regretter que les services financiers de
la Poste n'aient pas conservé la même discrétion que ceux
du réseau du Trésor Public
105(
*
)
.
A l'exception du livret A et de
l'épargne-logement, le Trésor peut offrir les mêmes
services bancaires que la Poste. Les trésoriers-payeurs
généraux ont néanmoins instruction de leur
ministère de tutelle de conserver à cette activité un
caractère résiduel, afin de ne pas faire concurrence au
système bancaire. L'actuel ministre de l'économie et des finances
a ainsi récemment ordonné aux agents du Trésor de ne plus
démarcher la clientèle.
Mais, si environ 1.200 agents du Trésor se consacrent aux services
financiers et que cette activité est en voie d'extinction à la
Banque de France, 60.000 à 70.000
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*
)
agents s'y consacrent à la
Poste qui en a fait un axe majeur de développement.
Cantonner sans restreindre les activités des services financiers, et favoriser le développement de la polyvalence
On ne peut condamner la Poste pour son activité
offensive en matière de services financiers
. Cette attitude est
conforme à la réforme de son statut opérée par la
loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du
service public des postes et télécommunications, à son
cahier des charges et au contrat de plan correspondants.
107(
*
)
Toute la difficulté vient de l'ambivalence des intérêts
de l'Etat, tuteur de l'ensemble du secteur bancaire et actionnaire de La
Poste
.
·
D'une part
, l'Etat actionnaire souhaite, ne serait-ce
que d'un point de vue budgétaire, que la Poste se développe et
soit rentable
, notamment pour assurer ses missions de service public. C'est
le sens de la loi du 2 juillet 1990.
Schématiquement, ces missions de service public sont de trois ordres: le
monopole de distribution des courriers de faible poids (le reste étant
concurrentiel), une contribution à l'aménagement du territoire et
le service bancaire ouvert à tous. La contribution à
l'aménagement du territoire est prévue par la loi
(article 6). La mission "sociale" d'accès au système
financier pour les ménages les plus modestes est réelle bien
qu'elle ne soit pas inscrite dans la loi.
L'exercice de ces deux dernières missions nécessite un
réseau très dense, réalisant un maillage complet du
territoire. La Poste dispose d'un tel réseau, avec 14.000 bureaux
et 3.000 agences. L'établissement de crédit le mieux
implanté, le Crédit agricole, est loin derrière avec
5.600 succursales.
Pour financer ce réseau et ces missions, la loi prévoit que la
Poste exerce trois activités marchandes, dans le respect de la
concurrence : la distribution du courrier et d'objets divers, et des
activités de dépôt et de gestion de moyens de paiement
(alinéas 3 et 4 de l'article 2). Le contrat de plan et le cahier des
charges signés en application de ce texte prévoient que la Poste
doit globalement équilibrer ses charges par ses recettes
108(
*
)
.
Or la conséquence logique de cet ensemble d'exigences est le
développement des services financiers.
En effet, le courrier ne
passe plus pour l'essentiel par les bureaux de Poste, dont la majorité
du chiffre d'affaires (58 %) vient désormais des services
financiers
109(
*
)
. Devant la
commission de la production et des échanges de l'Assemblée
nationale, le ministre des postes et télécommunications,
M. François Fillon, a récemment rappelé que 75 %
de l'activité des points de contact postaux en milieu rural provenait
des services financiers
110(
*
)
.
La rentabilisation du réseau, et donc le maintien de sa densité,
nécessitent le développement de leur chiffre d'affaires. Et
paradoxalement, cela exige que la Poste soit présente et performante
dans les zones urbaines et prospères, car c'est à cette condition
qu'elle peut effectuer une péréquation avec les banlieues
sensibles ou les zones rurales. On peut rappeler à cet égard que
si le droit de la concurrence interdit une péréquation entre
l'activité courrier et l'activité services financiers, il
autorise une péréquation géographique au sein d'une
même activité
111(
*
)
.
Si le courrier a permis la constitution du réseau de la Poste (sa
création, son amortissement), ce sont les services financiers qui le
rendent aujourd'hui viable aux conditions posées par la loi de 1990,
des textes subséquents (contrat de plan et cahier des charges),
et au moindre coût pour l'Etat.
C'est pourquoi le ministère de l'économie et des finances, qui a
le pouvoir d'agréer les nouveaux produits financiers de la Poste, ne
refuse pas cet agrément.
·
D'autre part,
l'Etat tuteur se préoccupe du
développement d'une concurrence excessive dans le domaine des services
bancaires
112(
*
)
. Dans cette
logique, il pourrait souhaiter que ne se développent pas trop les
services financiers de la Poste, selon une solution qu'on pourrait qualifier
d'"
endiguement
".
Cet endiguement consisterait non seulement
à
ne pas étendre les compétences de la Poste, mais aussi à
les restreindre.
Dans cette optique, les services financiers
s'éteignent progressivement, à l'instar de ceux de la Banque de
France depuis la loi du 4 août 1993, ou bien se confinent dans une
activité d'appoint, comme pour le Trésor public. On peut imaginer
par exemple de les limiter aux activités traditionnelles de la Poste :
livret A, CCP, dépôt des notaires, épargne
administrée; l'assurance-vie et les placements de marché (OPCVM
notamment) étant supprimés.
Cette solution entraînerait alternativement deux conséquences :
-
soit une réduction de la taille du réseau de la
Poste
, dans l'optique du maintien d'une certaine rentabilité. En
effet, la diminution progressive de l'activité des services financiers
les plus rentables dans les grands centres urbains nécessitera la
fermeture des guichets peu rentables dans les zones difficiles, et une
sélection accrue de la clientèle ;
-
soit un coût grandissant pour les finances publiques
(Etat
et collectivités locales), dans une optique d'affranchissement des
contraintes de rentabilité. En effet, la Poste cessant de
développer ses services financiers ne pourra plus autofinancer son
réseau. Elle ne le pourrait pas davantage dans une tentative de relance
de la
polyvalence postale.
Cette solution, consistant à
réactiver le décret du 16 octobre 1979
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*
)
destiné à faire
réaliser par les succursales postales la plupart des prestations de
service public, permettrait sans doute de remplacer dans les guichets les
activités de services financiers amenées à
disparaître. Mais le remplacement d'un service marchand par un service
non marchand entraînerait nécessairement un transfert de charges
de la clientèle vers le contribuable. C'est déjà le cas
dans le cadre de conventions bilatérales Poste-communes pour le maintien
de l'activité des agences en milieu rural. La commune supporte alors une
partie des coûts de fonctionnement.
La polyvalence peut donc
compléter les services financiers mais non s'y substituer
114(
*
)
.
La conséquence de cette ambivalence est donc claire :
l'Etat ne peut
à la fois vouloir que la Poste maintienne sa présence sur le
territoire, notamment auprès des clients modestes, grâce à
des activités concurrentielles et vouloir qu'elle ne fasse pas
concurrence
-par à un réseau immense-
au reste du
système bancaire.
Le groupe de travail a donc cherché une solution qui tienne compte de
cette contradiction, étant entendu que la banalisation du livret A
en est une première étape. Cette solution doit chercher à
limiter le coût de la Poste pour la collectivité tout en
évitant une concurrence anormale aux autres établissements de
crédit.
Le caractère éventuellement déloyal de la concurrence des
services financiers de la Poste à l'égard du système
bancaire pourrait résulter de deux causes connexes :
- la première serait un transfert financier occulte entre
l'activité courrier et les services financiers (financement des pertes
des services financiers par le "prix du timbre");
- la seconde résulterait de la mise en commun des moyens du
courrier et de ceux des services financiers permettant le maintien en vie d'un
réseau extrêmement important avec lequel aucune banque ne peut
lutter.