REDÉFINIR LE RÔLE DES CAISSES D'ÉPARGNE ET DE LA POSTE
Le livret bleu ne représente plus, depuis
déjà quelque temps, un axe stratégique pour le
Crédit mutuel, qui ne devrait guère souffrir de la banalisation
d'un produit sur lequel il reste en position dominée par rapport
à la Poste et aux Caisses d'épargne.
Tel n'est pas en revanche le cas de ces deux derniers établissements. La
banalisation du livret A est donc indissociable d'une réflexion sur leur
avenir.
Permettre aux Caisses d'épargne d'affronter la concurrence dans les meilleures conditions
Dès lors que les livrets défiscalisés peuvent faire l'objet d'une distribution universelle, il est nécessaire de mettre les Caisses d'épargne en situation d'affronter efficacement la concurrence. Cela passe par deux réformes : les autoriser à distribuer les derniers produits bancaires qui leur sont fermés ; leur donner des propriétaires.
Autoriser les Caisses d'épargne à distribuer l'ensemble des produits bancaires
Les Caisses d'épargne sont aujourd'hui quasiment en mesure d'affronter avec succès et à armes égales la concurrence sur l'ensemble des services financiers. Elles ont acquis une compétence dans tous les domaines. Il ne reste plus qu'à leur donner la possibilité de proposer des crédits aux grandes entreprises (celles faisant appel public à l'épargne), seul service qu'elles n'ont pas encore obtenu le droit de rendre. Ce serait une juste contrepartie à la banalisation du livret A.
Donner des propriétaires aux Caisses d'épargne
Dans l'avis annexé au présent rapport, le Conseil de la concurrence considère comme une anomalie que les Caisses d'épargne n'aient ni actionnaires ni sociétaires 101( * ) , dès lors qu'elles exercent quasiment toutes les activités d'une banque commerciale. Il apparaît aussi dans leur propre intérêt d'avoir des propriétaires. La pression exercée par ceux-ci conduirait, tout naturellement, les caisses à chercher davantage de performance, comme c'est le cas dans toute entreprise.
Il convient en effet de
s'interroger sur le statut
"
d'établissement de crédit à but non lucratif
"
qui est celui des Caisses d'épargne
.
Cette notion n'a en
effet guère de sens
102(
*
)
.
Seuls les établissements
cherchant à réaliser des bénéfices -ce qui est bien
le cas des Caisses d'épargne- oeuvrent dans l'intérêt de
l'économie française. Ceux qui font des pertes lui coûtent
beaucoup.
A cet égard, il n'y a aucune incompatibilité entre
une vocation "
sociale
" et la réussite financière.
Ainsi, les sociétés anonymes de crédit immobilier,
spécialisées dans le crédit à l'habitat des
personnes modestes, ont réalisé 800 millions de francs de
bénéfices en 1994. A l'inverse, Le Crédit foncier (qui
s'est précisément égaré hors de ce métier)
ou le Crédit Lyonnais sont des contre-exemples.
En revanche, il paraît bien exister une contradiction entre ce statut et
le fait pour les Caisses d'épargne de se porter acquéreur de
banques concurrentielles, comme certaines d'entre elles l'ont fait pour la
Société marseillaise de crédit et la banque Laydernier, ou
comme le Centre national des Caisses d'épargne (CENCEP) l'a
envisagé pour le Crédit industriel et commercial (CIC).
Le CENCEP a réfléchi à cette problématique, dont
la solution ne peut d'ailleurs se trouver que dans la loi, le statut des
caisses d'épargne étant de nature législative
103(
*
)
.
Le CENCEP doit se prononcer sur une proposition de réforme des
statuts.
La culture d'entreprise des Caisses d'épargne les pousse
naturellement vers le statut coopératif
, celui du Crédit
agricole, du Crédit mutuel ou des Banques populaires, qui
relèvent de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la
coopération.
Une solution pourrait consister dans la création d'une
société anonyme coopérative, à capital variable,
permettant l'entrée et la sortie des associés ou
sociétaires. Ces associés pourraient être divisés
entre associés-coopérateurs (les clients auxquels pourraient
s'adjoindre les salariés) et associés investisseurs (d'autres
personnes intéressées). Le capital de la Caisse
coopérative serait ouvert, de manière à permettre
l'entrée d'investisseurs extérieurs.
Ainsi, les Caisses
d'épargne auraient enfin de véritables propriétaires, et
leur capital serait ouvert à des partenaires extérieurs.
Dans ces conditions, le CENCEP, organe de tête du réseau,
pourrait devenir une société anonyme, possédée
comme aujourd'hui par les Caisses d'épargne coopératives (pour
65 %) et par la Caisse des dépôts et consignations (pour
35 %).
Le groupe de travail est favorable à ce système à la
condition qu'il recueille l'assentiment des Caisses d'épargne
. A cet
égard, l'objectif de donner des propriétaires aux caisses et
celui d'ouvrir leur capital aux investisseurs extérieurs sont remplis.
Dès lors, les pouvoirs publics n'ont aucune raison de ne pas faire toute
leur place aux choix des Caisses d'épargne et du CENCEP
104(
*
)
.
Une solution de cette nature permettrait de verser à l'Etat et aux
collectivités locales, le moment venu, le produit du placement dans le
public des parts sociales, au fur et à mesure qu'il se
réaliserait en fonction d'un calendrier progressif. Personne n'imaginant
de donner ou d'offrir les parts sociales aux souscripteurs, ni de doubler,
à cette occasion les capitaux propres des Caisses d'épargne qui
n'en ont nul besoin.
Cette formule aurait enfin le mérite de trancher la question de la
propriété des Caisses d'épargne.
Lors des débats portant sur la réforme du statut des Caisses
d'épargne (loi du 10 juillet 1991), le ministre de l'économie et
des finances déclarait que : "
les Caisses d'épargne
appartiennent à la nation
".
Il se fondait sur l'aide que l'Etat
leur a constamment apportée dans la constitution de leurs fonds propres
(garantie apportée aux livrets d'épargne, avantages fiscaux,
missions de service public rémunérées...).Il se fondait
également sur le principe selon lequel tout bien de mainmorte doit
revenir à la collectivité. Il est peut-être temps
aujourd'hui
d'
en tirer les conséquences
en
considérant que l'Etat et les collectivités locales sont les
propriétaires initiaux des Caisses d'épargne.
Cette proposition présente un double intérêt :
- d'un côté, elle restitue à l'Etat les sommes
accumulées grâce à lui, et qu'il a, selon les principes de
notre droit, vocation à récupérer, comme tout bien sans
maître. Les collectivités locales, qui ont toujours
participé à la gestion des Caisses d'épargne devraient
également en bénéficier ;
- d'un autre côté, cela permettrait aux Caisses d'épargne
de mettre en place le statut qu'elles souhaitent, au profit notamment de leurs
salariés qui pourraient
de jure
participer à leur capital,
sans pour autant procéder à leur profit à une injection de
liquidités supplémentaire et massive dont l'opportunité
n'est aucunement démontrée.