LES DISTORSIONS DE CONCURRENCE SONT RÉELLES ET RENDENT LA CRISE INSUPPORTABLE À CEUX QUI N'EN BÉNÉFICIENT PAS
Les distorsions de concurrence peuvent être
regroupées en trois catégories : celles liées au monopole
de la distribution de certains produits spécifiques, celles tenant
à la nature juridique des intervenants et celles qui résultent de
dispositions réglementaires ou législatives spécifiques.
Sur l'ensemble des ces questions à fort contenu passionnel, l'analyse
juridique effectuée par le Conseil de la concurrence apporte un
éclairage indispensable parce qu'impartial
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LES DISTORSIONS LIÉES AU MONOPOLE DE LA DISTRIBUTION DE CERTAINS PRODUITS SPÉCIFIQUES
Ces distorsions sont au nombre de deux : livret A et livret bleu, d'une part, monopole de la distribution des dépôts des notaires en milieu rural, d'autre part.
Le livret A et le livret bleu
Bref rappel des arguments en présence
Comme on le sait, la distribution de ces livrets est
réservée à certains réseaux (Caisse nationale
d'épargne, au travers des guichets de La Poste et Caisses
d'épargne et de prévoyance (dites "écureuil") pour le
livret A ; Crédit mutuel pour le livret bleu).
En contrepartie de ce monopole, les réseaux de distribution sont soumis
à des règles d'emploi des fonds.
Pour le livret A
, la totalité des fonds collectés est
centralisée à la Caisse des dépôts et consignations
qui en assure la gestion. Depuis 1990, ces fonds servent uniquement à
financer le logement social, principalement sous forme de "
prêts
locatifs aidés
" (PLA).
Toutefois, les réseaux distributeurs perçoivent une commission
annuelle qui est de 1,5 % de l'encours collecté pour le réseau de
La Poste et de 1,2 % pour les Caisses d'épargne. Concernant ces
dernières, les produits ainsi perçus représentent 15 %
environ de leur PNB globalisé. Le Centre national des caisses
d'épargne et de prévoyance (CENCEP) (voir audition
annexée) estime que le niveau de commissionnement est à peine
suffisant pour couvrir les frais de gestion liés à ce produit.
Cependant, un rapport de l'inspection générale des finances de
1994 sur la caisse d'épargne de Bourgogne aurait évalué le
coût de gestion du livret A à 0,96 % de l'encours des
dépôts collectés sur ce support en 1994, ce qui laisserait
à l'établissement une marge finale de 0,24 % sur l'encours (711
milliards de francs fin 1995), soit environ 1,7 milliard de francs.
Pour le livret bleu
, les fonds collectés sont, ou bien
utilisés pour l'octroi de prêts directs au logement social, ou
bien affectés en compte à la Caisse des dépôts et
consignations. Avant 1991, ce produit semble avoir été
générateur de marges brutes (avant imputation des frais de
gestion) substantielles pour le Crédit mutuel estimées par la
Commission bancaire à environ 3 ou 4 % des encours. Depuis cette date,
la marge se serait considérablement réduite, atteignant 1,3 %,
pour représenter un montant de 1,5 milliards de francs en 1995, soit 8,3
% du produit net bancaire du réseau du Crédit mutuel.
Commercialement il ne fait pas de doute que ces produits constituent des
"
produits d'appel
", permettant la distribution de produits plus
sophistiqués (SICAV notamment) sur lesquels les marges sont plus
importantes. Selon le président du CENCEP (voir audition
annexée), le produit net bancaire généré par le
Livret A serait de l'ordre de 5 milliards de francs.
On observera par ailleurs que ces produits enregistrent une forte
décollecte depuis quelques années et qu'en contrepartie de
l'avantage du monopole sur ces produits, les réseaux distributeurs n'ont
eu qu'un accès tardif à certains produits ou à certains
segments. Ainsi, les caisses d'épargne n'ont elles pu diffuser des
comptes chèques qu'à partir de 1978 et distribuer des
crédits aux PME qu'à compter de 1987. Aujourd'hui encore, elles
ne peuvent consentir de prêts aux entreprises faisant appel public
à l'épargne.
Réponses des conseillers financiers des ambassades de France à Rome, Londres et Bonn
Il existe une vive controverse en France sur la
nécessité ou non de banaliser la distribution du livret A. Par
comparaison, quelle est la place de l'épargne administrée (taux,
liquidité, sécurité) et existe-t-il des réseaux
spécialisés de distribution des produits financiers
correspondants ?
1. Grande-Bretagne
"Globalement l'épargne britannique se répartit entre trois types
de comptes : les TESSA (
Tax exempt special savings
), les comptes de
dépôt dans les banques (
saving accounts
) et les comptes de
dépôt dans les sociétés de crédit
hypothécaire (
building societies
). Il n'y a pas de réseau
spécialisé.
"En fait, les comptes de dépôt, tels qu'on les trouve dans les
banques et les sociétés de crédit hypothécaire,
sont assez peu différents les uns des autres. Les comptes sont
rémunérés dans les deux cas avec des taux et des
conditions variables selon les banques. Ces comptes ne font pas l'objet de
réglementation générale.
"En revanche, pour les TESSA qui sont des comptes d'épargne exempts
d'impôts, il y a des règles générales de base et
des conditions d'ouverture d'un compte (âge minimum requis 18 ans, ne pas
posséder d'autre compte TESSA ou avoir un compte qui arrive à
maturité), ainsi que des conditions de durée (5 ans ) et de
montant initial avec des plafonds limites d'investissement.
"Les conditions de transfert des montants épargnés d'un compte
TESSA à un autre compte varient aussi selon les banques ou les
sociétés de crédit hypothécaire (délai de
préavis de 0 à 3 mois et/ou une pénalité
financière pouvant aller jusqu'à 50 livres).
"De même, les taux d'intérêts servis sont variables selon
les banques et les montants déposés et peuvent être
modifiés à tout moment."
2. Allemagne
"Il n'existe pas en Allemagne de forme d'épargne administrée
telle qu'elle existe en France, ni non plus de réseaux bancaires
spécialisés dans la distribution de tel ou tel produit.
"L'émission "d'obligations hypothécaires" (
Pfandbrief
)
est certes réservée aux banques hypothécaires, mais pour
des raisons essentiellement prudentielles, et le statut de banque
hypothécaire est indépendant de la nature, publique ou
privée, de l'actionnaire."
3. Italie
"Il n'existe pas en Italie de circuits d'épargne
privilégiés ; seule la rémunération de
l'épargne postale est fixée par arrêté du ministre
du trésor."