EXAMEN DU RAPPORT
I. DEBAT D'ORIENTATION DU 27 JUIN 1996
Le 27 juin 1996, sous la présidence de
M. Jacques Genton, la délégation a procédé
à un échange de vues dans la perspective de l'élaboration
du présent rapport.
M. Christian de La Malène a estimé qu'une réflexion sur le
principe de subsidiarité était nécessaire dans l'optique
de la Conférence intergouvernementale et, à plus long terme, dans
celle de l'élargissement de l'Union.
Il a tout d'abord rappelé la signification du principe de
subsidiarité. Celui-ci, a-t-il relevé, comprend trois aspects :
tout d'abord, les compétences et les pouvoirs de la Communauté
doivent être interprétés strictement ; ensuite, sauf
dans les domaines où elle dispose d'une compétence exclusive, la
Communauté ne peut intervenir que si les Etats membres, seuls ou en
coopération, ne peuvent pas suffisamment réaliser l'objectif
poursuivi, et si la Communauté est mieux placée que les Etats
membres pour atteindre cet objectif ; enfin, la Communauté doit agir par
les moyens les moins lourds et les moins contraignants possibles, compte tenu
des objectifs poursuivis ; lorsqu'elle intervient, la Communauté ne doit
pas se substituer aux Etats, mais compléter leur action.
Il a souligné que le principe de subsidiarité laissait une marge
d'appréciation très importante. Ainsi, il est difficile de dire
ce qu'est la " réalisation suffisante " d'un objectif,
d'autant que les objectifs de la Communauté sont parfois définis
par le Traité en termes très vagues, par exemple
" l'épanouissement des cultures des Etats membres ", le
" développement d'une éducation de qualité ", ou
encore " un niveau élevé de protection de la santé
humaine ". De même, une marge d'appréciation importante
existe sur la notion de " compétence exclusive ". Plusieurs
interprétations de celle-ci sont possibles : certes, il existe un
" noyau dur " de compétences exclusives que personne ne
conteste, celles pour lesquelles le Traité prévoit que la
Communauté doit agir en se substituant aux Etats membres : il en est
ainsi lorsque la Communauté fixe les captures autorisées pour la
pêche, ou qu'elle conclut des accords commerciaux ; mais, dès lors
que l'on dépasse ce " noyau dur ", apparaît une
controverse juridique sur l'extension exacte des compétences exclusives,
dont, par exemple, la Commission européenne a une interprétation
assez large.
Ainsi, a-t-il poursuivi, le principe de subsidiarité est une orientation
politique claire, mais sa portée exacte est imprécise : tout
dépend de la manière dont il est appliqué. Il s'agit d'un
principe plus politique que juridique.
Puis, M. Christian de La Malène a abordé l'application du
principe de subsidiarité. Il a tout d'abord rappelé qu'en 1992 la
Communauté s'était posé le problème du
contrôle de ce principe, et que ce débat s'était conclu par
la décision du Conseil européen d'Edimbourg.
Schématiquement, deux tendances s'opposaient : d'un côté,
se trouvaient la Grande-Bretagne et le Danemark, dont les Gouvernements
souhaitaient mettre en avant le principe de subsidiarité pour rassurer
leurs opinions publiques. De l'autre côté, l'on trouvait la
Commission européenne, le Parlement européen, et les Etats
fortement bénéficiaires des interventions de la
communauté, c'est-à-dire les pays méditerranéens et
l'Irlande : cette tendance souhaitait au contraire réduire au minimum la
portée pratique du principe de subsidiarité. La France et les
pays du Benelux étaient dans une position intermédiaire, mais
plus proches de cette deuxième tendance, tandis que l'Allemagne
était à certains égards plus proche de la première.
Ainsi, la balance penchait nettement en faveur d'une conception
" minimaliste " de l'application du principe de
subsidiarité,
et c'est une telle conception qui l'a emporté lors du Conseil
européen d'Edimbourg. La déclaration d'Edimbourg a retenu en
substance deux idées : d'une part, l'inscription du principe de
subsidiarité dans le Traité ne doit pas entraîner de
modification importante des pratiques communautaires, et, en particulier, le
respect de ce principe ne doit pas faire l'objet d'un contrôle
particulier ; d'autre part, il incombe à la Commission de faire preuve
de vigilance dans l'élaboration de ses propositions. Cette conception a
été confirmée par l' " accord
interinstitutionnel " intervenu entre la Commission, le Parlement et
le
Conseil des ministres en 1993. Finalement, les institutions communautaires se
sont donc mises d'accord pour donner au principe de subsidiarité la
valeur d'une déclaration d'intention sans véritable
conséquence pratique sur le fonctionnement de la Communauté.
M. Christian de La Malène a souligné que, depuis lors, le
principe de subsidiarité avait tenu une place réduite dans les
débats communautaires. Le Conseil européen s'est borné,
lors de chacune de ses réunions, à lui consacrer un paragraphe de
ses déclarations. La Commission européenne, quant à elle,
s'était engagée à mieux tenir compte du principe de
subsidiarité et à publier, chaque année, un rapport sur
son application. En pratique, elle s'est principalement attachée,
après le Conseil européen d'Edimbourg, à mener à
bien un travail de simplification et de codification de la législation
communautaire, exercice fort utile en lui-même, mais qui n'a qu'un
lointain rapport avec l'application du principe de subsidiarité. Enfin,
le Parlement européen n'est guère intervenu dans le débat
sur la subsidiarité que pour protester contre le retrait de certains
projets de la Commission, tel celui concernant les zoos. L' " accord
interinstitutionnel " de 1993 prévoyait un débat annuel du
Parlement européen sur la subsidiarité ; jusqu'à
présent, il n'a jamais eu lieu.
M. Christian de La Malène a ensuite estimé que le peu d'attention
portée au principe de subsidiarité s'était traduit par la
persistance des tendances antérieures à l'entrée en
vigueur de ce principe. Comme par le passé, a-t-il affirmé, la
Commission continue à présenter des propositions dans des
domaines où une action communautaire ne paraît pas indispensable,
par exemple le programme ARIANE d'encouragement à la lecture, le
programme RAPHAEL de protection du patrimoine, ou le programme KALEIDOSCOPE de
soutien à la création artistique. Les objectifs de ces
programmes, a--t-il poursuivi, sont louables, mais on peut douter que dans de
tels domaines la Communauté soit un meilleur échelon de
décision que les Etats. Comme ces actions communautaires sont
financées par prélèvement sur les budgets des Etats
membres, ce type d'action revient à faire gérer une partie des
moyens disponibles par un échelon plus éloigné des
citoyens, ce qui va à l'opposé du principe de
subsidiarité. Il en est de même du programme communautaire de
sensibilisation pour favoriser la prévention du SIDA, et du programme
communautaire de prévention de la toxicomanie : les objectifs de
ces programmes ne sont pas en cause, mais les crédits seraient
vraisemblablement mieux gérés par des acteurs plus près du
terrain. Il en est également de même du programme
" Pauvreté " qui entend lutter à l'échelon
communautaire contre l'exclusion, alors que l'échelon national ou local
paraît au moins aussi approprié pour mener des actions de ce type.
Par ces différents programmes portant sur la culture, la santé,
l'exclusion, la Commission semble chercher à améliorer l'image de
la Communauté bien plutôt que de viser à
l'efficacité. De même, bien que la Communauté ne soit pas
compétente en matière de tourisme ou de protection civile, la
Commission persiste à proposer des programmes d'action dans ces domaines.
M. Christian de La Malène a cité ensuite le cas des services
publics : alors que les Etats membres paraissent le meilleur échelon
pour définir les missions de service public, les directives
adoptées ou en discussion sur les télécommunications, les
services postaux, l'électricité, reviennent à faire
définir par la Communauté les missions du " service
universel ". Même l'aspect tatillon de la législation
communautaire, a-t-il poursuivi, n'est pas réellement remis en cause :
des règlements ont été pris ou vont l'être sur
l'étiquetage des chaussures, le rendement des
réfrigérateurs, la béquille des motos, le limitateur de
vitesse des tracteurs agricoles. Cette tendance à réglementer les
moindres détails n'est pas le problème le plus grave, mais cela
traduit le maintien de comportements que le principe de subsidiarité
était destiné à remettre en cause.
Puis il a souligné que les propositions d'interventions très
variées de la Commission européenne sous la forme de programmes
d'action avaient été, dans l'ensemble, bien accueillies par les
autres institutions communautaires. Les réserves du Parlement
européen consistent plutôt, en règle
générale, à regretter que ces programmes n'aillent pas
plus loin ; quant au Conseil, son attitude a été
généralement d'approuver les programmes proposés, mais
d'en réduire les dotations. Dans un seul cas, le Conseil a refusé
un de ces programmes d'action : il s'agissait du programme
" Pauvreté ", bloqué par l'Allemagne qui
considérait que ce type d'action était de la compétence de
ses Länder. Néanmoins, la Commission a pu commencer à mettre
en oeuvre ce programme, car le Parlement européen, qui a le dernier mot
sur les dépenses non obligatoires, avait dégagé des
crédits à cet effet.
Ainsi, a-t-il conclu, comme il n'existe pas de contre-pouvoirs au sein des
institutions européennes, le respect du principe de subsidiarité
n'est pas garanti, et la conséquence concrète de cette situation
est qu'il n'est pas mieux assuré qu'avant son inscription dans le
Traité.
M. Christian de La Malène a jugé que cette situation était
préoccupante. Lorsque les Etats s'associent pour constituer une
fédération, une confédération, ou une forme
intermédiaire de groupement, ils mettent en commun des
compétences portant sur des domaines fondamentaux : relations
extérieures, défense, monnaie, et ils laissent aux Etats membres
une grande autonomie dans les domaines où s'expriment les
identités de ceux-ci. Or, les Etats membres n'ont pas jusqu'à
présent réussi à mettre en commun les compétences
portant sur les domaines fondamentaux, tandis que les interventions
européennes se sont largement développées dans les autres
domaines, suscitant un malaise au sein des opinions publiques. L'Union
européenne apparaît ainsi comme une pyramide inversée,
où les Etats conservent les compétences qu'ils auraient
normalement le plus intérêt à mettre en commun, et ont
perdu des compétences qu'il n'était pas nécessaire de
transférer à la Communauté. Au contraire, la construction
européenne devrait être conçue de manière à
préserver les identités nationales : son objectif n'est pas de
créer un " homo europeanus " par disparition de la
diversité des cultures européennes.
Estimant au total qu'une meilleure application du principe de
subsidiarité pouvait apparaître comme un début de
remède à cette déviation de la construction
européenne, il a plaidé en faveur de la proposition faite par le
Gouvernement dans le cadre de la Conférence intergouvernementale de
créer un " haut conseil parlementaire de la
subsidiarité " à caractère consultatif, qui
permettrait aux Parlements nationaux de contribuer collectivement à
veiller à un meilleur respect du principe de subsidiarité.
Terminant son propos, M. Christian de La Malène a relevé que
certains avaient estimé que l'affaire de l'épizootie
d'encéphalite spongiforme bovine devait conduire à une certaine
remise en cause du principe de subsidiarité. Après avoir
rappelé les dispositions du Traité concernant la libre
circulation des marchandises et la politique agricole commune, il a
souligné que la Communauté disposait en réalité des
pouvoirs nécessaires pour faire face à ce problème et que
ces pouvoirs n'avaient en l'occurrence jamais été
contestés au nom de la subsidiarité. Si la Communauté a
réagi avec retard, c'est parce qu'elle avait, semble-t-il, tendance
à privilégier le principe de libre circulation sur d'autres
considérations. Précisant qu'il ne s'agissait pas pour lui de
mettre en cause la responsabilité de tel ou tel dans cette crise, il a
estimé qu'en tout état de cause celle-ci n'avait aucun rapport
avec le principe de subsidiarité, le problème posé par la
gestion de l'ESB ne résidant pas dans une insuffisance des pouvoirs de
la Communauté, mais dans l'usage qui avait été fait de
ceux-ci.
M. Jacques Genton, président, a estimé que certaines des
propositions de la Commission relevaient d'un fédéralisme
anticipé. Il a rappelé que, pour Robert Schuman, la construction
européenne ne devait pas chercher à harmoniser ce qui fait la vie
quotidienne des citoyens.
M. Pierre Fauchon s'est félicité que la communication ait
mentionné les différents aspects du problème posé
par le principe de subsidiarité. L'accent mis sur celui-ci est parfois
l'habillage de convictions anti-européennes qui n'osent pas s'affirmer.
Or le problème de la subsidiarité comporte plusieurs
dimensions : il doit certes conduire l'Union européenne à
éviter un interventionnisme excessif, mais il doit également la
conduire à développer ses compétences dans des domaines
essentiels, tels que la défense, les relations extérieures, la
monnaie, pour lesquels les Etats ne sont plus à la hauteur des
problèmes.
Puis M. Pierre Fauchon a estimé que la question de l'application du
principe de subsidiarité devait être abordée en tenant
compte des exigences de chaque domaine d'action. Dans le domaine de la
consommation, les réglementations communautaires sont certes nombreuses,
mais il s'agit là d'une nécessité pour le bon
fonctionnement du marché unique. Par ailleurs, l'application des
décisions européennes sur le terrain suppose des moyens
d'exécution et de contrôle : les refuser à la
Communauté au nom de la subsidiarité empêcherait l'action
communautaire d'être efficace. De même, il serait nécessaire
de créer un corps communautaire de douaniers, chaque Etat membre ayant
tendance à n'exercer les contrôles que sur les marchandises
destinées à son proche marché : ainsi, les
contrôles dans le port de Rotterdam sur les marchandises destinées
à être réexpédiées sont-ils parfois
superficiels, sans que les autres Etats membres puissent y remédier. De
même encore, la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue, dans
les conditions actuelles, n'est pas d'une efficacité suffisante.
M. Philippe François a indiqué que des douaniers français
participaient aux contrôles dans le port de Rotterdam, et a estimé
que la coopération entre Etats membres en matière de lutte contre
le terrorisme avait fait la preuve de son efficacité.
M. Pierre Fauchon s'est déclaré persuadé qu'il n'y aurait
de réelle efficacité dans ce domaine que par la mise en place
d'un système unifié. Il a ensuite précisé qu'il
partageait les doutes émis par M. Christian de
La Malène sur certains programmes d'action communautaire concernant
la culture, tout en soulignant que, par exemple, le programme Erasmus visant
à stimuler les échanges d'étudiants entre
universités européennes était d'un intérêt
indéniable. De même, a-t-il poursuivi, la Communauté n'est
sans doute pas très bien placée en ce qui concerne la
sensibilisation au risque du SIDA ; mais elle peut, en revanche, se
montrer utile dans le domaine de la recherche sur le traitement de cette
maladie. L'intérêt principal du principe de subsidiarité
devrait être de réorienter l'action de la Communauté vers
les grands domaines et les types d'intervention où elle se montre la
plus utile et la plus efficace.
M. Jacques Genton a rappelé que la délégation avait eu
l'occasion d'appuyer le développement du programme Erasmus lors des
débats budgétaires.