II. DEBAT DU 23 OCTOBRE 1996
La délégation s'est réunie le
23 octobre pour l'examen du présent rapport.
M. Christian de La Malène a tout d'abord analysé la signification
du principe de subsidiarité. Selon ce principe, a-t-il souligné,
la Communauté ne doit faire que ce que les Etats membres,
individuellement ou en coopération, ne peuvent pas faire. Le
problème de la subsidiarité concerne donc avant tout le partage
des compétences. Face à une proposition de la Commission
européenne, il convient d'abord de se demander si la Communauté
doit ou non intervenir ; ce n'est qu'ensuite que se pose le
problème des modalités de cette intervention.
Ce deuxième aspect, a-t-il poursuivi, a certes son importance. Dans
l'esprit de la subsidiarité, les interventions communautaires ne doivent
pas être inutilement contraignantes : chaque fois que possible, il
faut choisir le moyen le moins lourd, celui qui laisse la plus grande marge de
liberté aux Etats membres. Mais cet aspect du problème n'est pas
en réalité le plus important : lorsque la
réglementation communautaire paraît tatillonne, c'est souvent
parce qu'il a fallu faire la synthèse de réglementations
nationales elles-mêmes complexes et détaillées ; or,
du moins dans le domaine économique, mieux vaut une seule
réglementation communautaire, même trop minutieuse, plutôt
que quinze réglementations nationales qui ont, de toute manière,
également ce défaut.
M. Christian de La Malène a estimé que l'objectif essentiel du
principe de subsidiarité était de limiter les interventions de la
Communauté aux cas où l'action des Etats membres,
séparément ou en coopération, ne permet manifestement pas
d'atteindre le but recherché en commun. Cette orientation, a-t-il
souligné, répond à un souci de démocratie et
d'efficacité, car tout transfert d'une décision à la
Communauté implique le recours à une procédure lourde,
contraignante, éloignée du terrain, et surtout difficile à
contrôler et à évaluer.
S'il est dans la vocation de la Communauté d'être un bon
échelon de conception, elle est rarement un bon échelon de
gestion. Les interventions communautaires les plus critiquables, du point de
vue de la subsidiarité, sont donc généralement les
programmes d'action par lesquels la Communauté finance ou cofinance les
actions les plus diverses. La Communauté est dans son rôle
lorsqu'elle élabore la législation du marché
intérieur -même s'il faut éviter qu'elle aille plus loin
que nécessaire dans le détail-, car le besoin de normes communes
appelle l'intervention de la Communauté. En revanche, lorsque la
Communauté veut agir par elle-même, mettre en oeuvre des
programmes, elle risque souvent d'être moins efficace que les Etats ou
que la coopération entre Etats.
Prenant l'exemple de la recherche, M. Christian de La Malène a ainsi
estimé que la Communauté se devait d'intervenir pour
définir des priorités communes et inciter les Etats membres
à coopérer pour les mettre en oeuvre, mais qu'il n'était
pas souhaitable qu'elle gère elle-même l'effort de recherche.
Enfin, le rapporteur a souligné que le principe de subsidiarité
ne permettait pas de définir des domaines, par exemple la culture,
où une intervention de la Communauté serait par nature exclue, la
frontière passant en réalité à l'intérieur
de chaque domaine. Ainsi, dans le domaine de la culture, certaines
interventions de la Communauté sont indispensables, par exemple pour
préciser les règles concernant la libre circulation des objets
d'art ou pour harmoniser les règles concernant le droit d'auteur. En
revanche, il n'est pas nécessaire que la Communauté lance des
programmes pour encourager la promotion du livre ou protéger le
patrimoine : dans l'optique de la subsidiarité, la
Communauté devrait donc s'abstenir de ce type d'intervention.
La subsidiarité, a-t-il poursuivi, est fondamentalement une orientation
politique, qui donne la priorité, la compétence de droit commun,
aux Etats membres. Ceux-ci doivent être présumés
compétents ; c'est seulement s'ils ne peuvent pas réaliser
convenablement un objectif que la Communauté doit prendre le relais.
Puis, M. Christian de La Malène a indiqué que son rapport
montrait que le principe de subsidiarité était loin d'être
pleinement respecté.
Il a souligné l'absence de volonté commune aux Etats membres pour
appliquer véritablement ce principe. Les débats qui ont eu lieu
en 1992 et 1993, a-t-il poursuivi, ont montré au contraire que certains
Etats étaient très réticents à cet égard,
notamment ceux qui bénéficient particulièrement des
subventions communautaires au titre d'actions menées dans les domaines
les plus variés. Ces pays craignent qu'une application plus stricte de
la subsidiarité ne se traduise pas une remise en cause de certaines de
ces subventions et ont donc tendance à militer, aux côtés
de la Commission et du Parlement européen, pour que le principe de
subsidiarité reste une référence générale
sans véritable conséquence. Cette situation explique que la
déclaration adoptée lors du Conseil européen d'Edimbourg,
en 1992, et " l'accord interinstitutionnel " conclu en 1993
ne
prévoient aucune forme de contrôle de la subsidiarité, et
excluent même que le Conseil puisse tenir des débats
spécifiquement consacrés à des problèmes de
subsidiarité.
Les mêmes tendances, a estimé le rapporteur, se retrouvent
aujourd'hui dans la Conférence intergouvernementale et conduisent
certains pays à demander que la déclaration d'Edimbourg et
" l'accord interinstitutionnel " soient intégrés au
Traité. Or, il est clair que si ces textes, qui ne permettent pas au
Conseil d'avoir des débats spécifiques sur la
subsidiarité, étaient intégrés au Traité, il
serait difficile d'espérer un progrès sur l'application du
principe de subsidiarité.
Le rapporteur a également estimé que le fonctionnement actuel des
institutions européennes n'était pas de nature à permettre
l'application du principe de subsidiarité, aucune institution
n'étant véritablement incitée à respecter ce
principe, et aucun contrepoids ne jouant pour favoriser ce respect.
Passant aux propositions présentées dans le rapport, M. Christian
de La Malène a souligné la nécessité d'une
réflexion sur l'avenir des fonds structurels dans la perspective de la
révision des perspectives financières, en 1999, et dans la
perspective de l'élargissement à l'Est. Les politiques
menées dans le cadre des fonds structurels, a-t-il estimé,
enlèvent une partie de sa portée au principe de
subsidiarité, puisque la Communauté peut intervenir par ce biais
pour financer pratiquement n'importe quel type de projet. Par ailleurs, les
fonds structurels ont pour conséquence que la politique
d'aménagement du territoire est principalement arrêtée
à l'échelon communautaire, ce qui revient à
éloigner la décision du " terrain ". Dans une optique
de subsidiarité, mieux vaudrait concentrer les actions structurelles de
la Communauté sur les seules régions relevant de l'effort de
cohésion, en regroupant les actions autour d'un nombre réduit
d'objectifs.
Au sujet de l'aspect institutionnel, il a présenté un projet de
conclusions mettant l'accent sur trois points :
- les inconvénients d'une inscription dans le Traité des
dispositions de la déclaration d'Edimbourg de 1992 et de " l'accord
interinstitutionnel " de 1993 ;
- la nécessité d'une expression collective des parlements
nationaux au sujet de la subsidiarité, dans le cadre d'une COSAC
renforcée ;
- le soutien au projet de protocole présenté par l'Allemagne,
dans le cadre de la CIG, qui tend à clarifier la signification du
principe de subsidiarité et prévoit que le Conseil examinera si
une proposition de la Commission européenne respecte la
subsidiarité dès lors qu'un Etat en fera la demande.
M. Michel Caldaguès a approuvé les orientations du rapport et
s'est félicité de la clarté des conclusions
proposées. Il a relevé toutefois qu'une limitation des fonds
structurels aux régions de l'objectif 1 aboutirait de fait, dans le
cas de la France, à introduire une différence de régime
entre les départements d'outre-mer (DOM), qui seraient alors les seuls
bénéficiaires, et la métropole, ce qui présenterait
peut-être certains inconvénients.
M. Jacques Genton a rappelé qu'aujourd'hui deux zones
métropolitaines bénéficiaient également de
l'objectif 1 : la Corse et le Hainaut français. Il a toutefois
jugé peu probable que cette situation perdure après la
révision de 1999.
M. Christian de La Malène a précisé que, dans l'optique de
la subsidiarité, il lui paraissait nécessaire de concentrer
l'action structurelle autour de l'effort de cohésion, avec un nombre
réduit d'objectifs, de manière à concourir plus
efficacement au développement des zones concernées. Dans le cas
de la France, a-t-il estimé, seuls les DOM paraissent appelés
à relever de la politique de cohésion après 1999.
M. Jacques Genton a fait état des réserves exprimées par
écrit par M. Pierre Fauchon, précisant que ce dernier
regrettait qu'une seule séance soit consacrée à l'examen
du projet de rapport et estimait que l'élaboration de celui-ci n'avait
pas été accompagnée d'une concertation suffisante au sein
de la délégation. Pour M. Pierre Fauchon, le principe de
subsidiarité a non seulement un versant négatif, mais aussi, en
se plaçant sur un terrain politique, un versant positif justifiant le
développement des compétences communautaires. M. Pierre
Fauchon ne peut donc approuver l'orientation générale du rapport,
marquée par une conception à ses yeux trop négative de la
subsidiarité.
M. Christian de La Malène a tout d'abord rappelé que la
délégation avait tenu un débat d'orientation pour la
préparation du rapport, le 27 juin, auquel M. Pierre Fauchon
avait participé ; il a ajouté que le projet de rapport avait
été adressé à tous les membres de la
délégation deux semaines avant son examen. Revenant ensuite sur
la signification du principe de subsidiarité, il a indiqué que ce
principe, considéré du point de vue philosophique ou
théologique, pouvait donner lieu à plusieurs
interprétations, dont certaines lui accordent un versant positif
(l'obligation d'intervenir, pour l'autorité la plus
éloignée, en cas de carence de l'autorité la plus proche)
à côté de son versant négatif (la limitation des
interventions de l'autorité la plus éloignée). Mais,
a-t-il poursuivi, tel qu'il figure à l'article 3 B du
Traité, c'est-à-dire comme principe appartenant au droit positif,
le principe de subsidiarité est seulement un principe de limitation des
interventions communautaires ; la formulation retenue par le Traité
est en effet uniquement négative. Le jugement du Tribunal
constitutionnel allemand rendu au sujet du traité sur l'Union
européenne confirme, a-t-il ajouté, cette interprétation.
Il n'est pas contradictoire avec le principe de subsidiarité, a-t-il
précisé, de plaider pour un renforcement de certaines
compétences de l'Union, mais on ne peut s'appuyer sur le principe de
subsidiarité tel qu'il figure dans le Traité pour justifier un
tel renforcement.
M. Michel Caldaguès s'est associé à la réponse du
rapporteur, faisant valoir que l'extension éventuelle des
compétences de l'Union était du ressort de la Conférence
intergouvernementale en cours, mais qu'elle ne pouvait être une
conséquence du principe de subsidiarité tel qu'il est inscrit en
l'état dans le Traité sur l'Union européenne.
M. Jacques Genton, revenant sur les conclusion proposées par le
rapporteur, a relevé qu'elles tendaient à soutenir un texte
proposé par le Gouvernement allemand pour préciser les conditions
d'application de l'article 3 B du Traité. Il a estimé que ce
texte reflétait les positions défendues traditionnellement par le
Bundesrat, garant des droits des Länder dans le système allemand.
M. Christian de La Malène a indiqué que l'Allemagne, du fait
d'une organisation fédérale enracinée dans son histoire,
était le seul Etat membre de l'Union à avoir une culture et une
pratique de la subsidiarité, et, de ce fait, se trouvait aussi souvent
le seul à essayer de faire jouer ce principe à l'échelon
de l'Union.
Puis la délégation a adopté le présent rapport.