INTRODUCTION
Bien que les porte-paroles des instances communautaires
aient,
par la suite, souvent expliqué que la Communauté avait toujours
appliqué le principe de subsidiarité sans le dire, c'est avec une
certaine solennité que ce principe a été inscrit dans le
Traité sur l'Union européenne.
Le préambule du Traité indique ainsi que dans "
l'union
sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe
", les
décisions sont prises "
le plus près possible des
citoyens, conformément au principe de subsidiarité
".
Ces termes sont repris pratiquement à l'identique dans l'article A
qui, sans mentionner le principe de subsidiarité, réaffirme
l'exigence d'une prise des décisions "
le plus près
possible des citoyens
", puis dans l'article B qui précise
que "
les objectifs de l'Union sont atteints (...) dans le respect
du
principe de subsidiarité tel qu'il est défini à l'article
3 B du Traité instituant la Communauté
européenne
".
Dans le cas de la Communauté européenne, non seulement l'article
3B du Traité applique de manière générale le
principe de subsidiarité aux interventions de la Communauté, sous
réserve des compétences exclusives de celle-ci, mais les articles
précisant les compétences de la Communauté sont
rédigés, pour de nombreux domaines, dans l'esprit du principe de
subsidiarité : il en est ainsi des articles portant sur
l'éducation, la culture, la formation professionnelle, l'environnement,
la santé ; il en est de même du protocole sur la politique
sociale annexé au Traité.
Dans le cas de l'Union également, outre la mention de portée
générale figurant à l'article B, l'article K3
définit les conditions des actions communes dans les matières
relevant du " troisième pilier " en reprenant les principaux
aspects du principe de subsidiarité.
Les auteurs du Traité ont ainsi voulu affirmer la subsidiarité
comme une orientation fondamentale de la construction européenne.
Il est clair, malgré les dénégations, qu'il s'agissait par
là, à certains égards, de répondre aux
inquiétudes des opinions publiques, qui s'alarmaient de voir la
Communauté intervenir dans des domaines de plus en plus variés
sans qu'un réel contrôle politique paraisse s'exercer sur
l'extension de ce champ d'action. Comme le Traité de Maastricht
élargissait le champ des compétences reconnues à la
Communauté, il est apparu souhaitable de contrebalancer cette extension
en soulignant que le rôle de l'Union devait, en règle
générale, rester subsidiaire.
L'inscription dans le Traité du principe de subsidiarité avait
par ailleurs le mérite de donner satisfaction à la foi aux
défenseurs du fédéralisme
(1(
*
))
et aux partisans d'une limitation de la
portée des politiques communautaires, les uns et les autres étant
opposés, pour des raisons différentes, à une
Communauté centralisée.
Mais on ne saurait réduire l'introduction du principe de
subsidiarité au souci de rendre la construction européenne plus
compréhensible et mieux acceptable par des opinions publiques parfois
déroutées.
Plusieurs Etats membres, au premier rang desquels l'Allemagne, principal
contributeur net au budget communautaire, entendaient que la Communauté
adopte une conception moins extensive de ses compétences et une approche
moins tatillonne de l'harmonisation des législations.
Le principe de subsidiarité devait permettre, dans cette optique, de
modérer l'évolution des dépenses communautaires et de
préserver les identités nationales.
La délégation du Sénat pour l'Union européenne a
examiné, dès novembre 1992, sur le rapport de M. Michel
Poniatowski (rapport n° 45, 1992-1993), la portée de
l'introduction du principe de subsidiarité dans le Traité, dans
la perspective du Conseil européen d'Edimbourg qui devait en
préciser les conditions de mise en oeuvre.
Le rapport Poniatowski sur la subsidiarité
Le rapport adopté par la délégation se
félicitait de l'inscription dans le traité du principe de
subsidiarité, en estimant qu'elle valait reconnaissance que ce principe
n'avait pas été auparavant suffisamment respecté et que ce
non-respect avait nui à la construction européenne ;
cependant, il relevait les ambiguïtés de la formulation retenue et
soulignait que le Traité ne définissait pas de procédure
d'application. Il en déduisait qu'en l'absence de garanties, il
était peu probable que l'affirmation du principe de subsidiarité
freine effectivement les tendances centralisatrices de la Communauté. Il
concluait en plaidant pour une évolution institutionnelle, voyant
là une condition nécessaire à une mise en oeuvre effective
de l'exigence de subsidiarité. Il proposait, à cet effet, que le
Traité délimite avec plus de précision les
compétences communautaires et surtout qu'une instance émanant des
Parlements nationaux soit chargée de veiller au respect du principe de
subsidiarité.
Alors que le Traité sur l'Union européenne est entré en
vigueur depuis trois ans, le moment est venu de confronter les analyses et
propositions qui étaient celles de la délégation du
Sénat avec l'évolution de la construction européenne
depuis lors.
Selon votre rapporteur, il apparaît tout d'abord que les
préoccupations de la délégation n'étaient pas sans
fondement. Le principe de subsidiarité, depuis 1992, est certes devenu
une référence plus ou moins obligée dans les débats
communautaires, mais on ne doit pas exagérer la portée du
" coup de chapeau " (souvent quelque peu machinal) que l'on
se sent
désormais obligé de donner à ce principe dans la
présentation des textes. En réalité, les tendances
profondes du fonctionnement de la Communauté n'ont pas été
sensiblement modifiées et, comme le pronostiquait le rapport de
M. Michel Poniatowski, aucune instance de l'Union européenne n'a
joué le rôle de gardien de la subsidiarité.
Les propositions retenues à cet égard en 1992 par la
délégation n'ont, pour l'essentiel, pas perdu leur
actualité.
Une définition plus précise des compétences
communautaires par le Traité paraît toujours souhaitable,
même si l'espoir que la Conférence intergouvernementale s'engage
dans cette voie est très mince, dans la mesure où une telle
clarification n'est en réalité le voeu ni des instances
communautaires, jalouses de leurs prérogatives, ni de nombreux Etats
membres qui craindraient de perdre, dans un tel exercice, la possibilité
d'obtenir certaines interventions.
L'idée de confier à une instance émanant des Parlements
nationaux le soin de veiller à un meilleur respect du principe de
subsidiarité appartient aujourd'hui pleinement au débat sur la
réforme des institutions, puisqu'elle est soutenue par le Gouvernement
français dans le cadre de la Conférence intergouvernementale.
Depuis 1992, les réflexions menées sur ce thème au sein
des deux Assemblées, ainsi que les tendances qui se sont
dégagées lors des rencontres interparlementaires
européennes, ont permis de mieux cerner comment une telle instance
pourrait s'intégrer au fonctionnement des institutions : en particulier,
le souci de ne pas créer de nouvel organe a conduit à envisager
qu'elle prenne appui sur la Conférence des organes
spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC), ce qui
supposerait que le rôle de celle-ci soit reconnu et que son mode de
fonctionnement soit revu.
On peut se féliciter qu'aujourd'hui le Gouvernement et les deux
Assemblées partagent le souhait de voir confier un rôle collectif
aux Parlements nationaux dans la mise en oeuvre de l'exigence de
subsidiarité. Les travaux du " groupe parlementaire de
réflexion " constitué à l'issue de la COSAC de Paris
ont montré que les préoccupations des Assemblées
françaises convergeaient avec celles s'exprimant au sein de certaines
autres Assemblées
(2(
*
)).
Néanmoins, cette orientation, combattue par le Parlement européen
et la Commission européenne, rencontre la réticence de plusieurs
Etats membres.
Dans ce contexte, votre rapporteur voudrait souligner que vouloir
réellement mettre en oeuvre le principe de subsidiarité n'est pas
s'en prendre à la construction européenne, mais au contraire
travailler dans l'intérêt de celle-ci, qui loin de se renforcer
s'affaiblit par un interventionnisme excessif. Or, compter uniquement sur
l'autodiscipline des institutions communautaires pour obtenir cette mise en
oeuvre ne peut apparaître comme une solution réaliste. Vouloir une
implication des Parlements nationaux dans le contrôle de la
subsidiarité n'est donc pas chercher à
" renationaliser " les compétences communautaires, mais au
contraire s'efforcer qu'une exigence unanimement reconnue par les Etats membres
comme indispensable au bon fonctionnement de l'Union soit effectivement prise
en compte.
Votre rapporteur exprime donc l'espoir que les réserves que suscite
encore cette proposition s'atténueront au fil des travaux de la
Conférence intergouvernementale.
I. LE PRINCIPE DE SUBSIDIARITÉ DANS LE TRAITÉ SUR L'UNION EUROPÉENNE
Le débat sur le principe de subsidiarité peut se
trouver obscurci si l'on ne fait pas la distinction entre :
- le principe de subsidiarité comme principe général, qui
entre dans le champ de la philosophie politique,
- le principe de subsidiarité comme élément du droit
communautaire, qui est défini à l'article 3 B du Traité.
Comme principe général
, le principe de
subsidiarité ne s'applique pas seulement aux rapports entre les
collectivités publiques plus larges et les collectivités
publiques plus restreintes, mais aussi aux rapports entre les autorités
publiques, quelles qu'elles soient, et la société civile. Il
demande que l'autorité publique n'intervienne dans le domaine
économique et social que s'il est nécessaire de compléter
les initiatives provenant de la société civile pour obtenir le
Bien commun ; il demande également, de manière
générale, que les collectivités publiques dont le ressort
est plus large n'interviennent que pour compléter, si nécessaire,
l'action des collectivités publiques dont le ressort est plus
étroit.
On peut constater que, comme principe général, le principe de
subsidiarité suppose l'existence d'un Bien commun : si le rôle de
l'instance " supérieure " est de compléter, de
prolonger ce que fait l'instance " inférieure ", c'est que
toutes deux doivent aller dans la même direction.
En ce sens, on peut s'interroger sur la compatibilité de ce principe
avec la notion moderne de la démocratie, fondée sur l'idée
que plusieurs conceptions légitimes du Bien commun peuvent coexister. De
même, l'étendue des devoirs de l'instance
" supérieure " peut faire problème : s'il est clair
que, négativement, elle doit respecter l'autonomie de l'instance
" inférieure ", a-t-elle également des devoirs
positifs, c'est-à-dire l'obligation d'intervenir si l'instance
" inférieure " ne remplit pas suffisamment sa
tâche ?
Certains l'affirment et estiment que le principe de subsidiarité a deux
versants : si, d'un côté, il doit entraîner une
limitation des interventions de l'instance " supérieure ",
de
l'autre côté, il doit conduire à développer les
compétences de celle-ci dès lors que l'instance
" inférieure " ne parvient pas à réaliser
convenablement un objectif commun.
Ainsi, comme principe de philosophie politique, le principe de
subsidiarité peut donner lieu à plusieurs interprétations
et s'intégrer dans plusieurs conceptions politiques.
Comme élément du droit communautaire
, le principe de
subsidiarité apparaît plus restreint et plus précis ;
même s'il comporte une marge d'appréciation importante, en tout
état de cause il ne soulève pas les mêmes
difficultés.
En effet, le principe de subsidiarité fait l'objet d'une
définition à l'article 3 B du Traité. Il en ressort que,
comme élément du droit communautaire,
le principe de
subsidiarité s'applique uniquement aux relations entre la
Communauté et les Etats membres, et ne s'applique donc ni aux relations
entre les collectivités infra-étatiques et les Etats membres ou
la Communauté, ni aux rapports entre les collectivités publiques
et la société civile.
Par ailleurs, comme les finalités poursuivies par la Communauté
et les Etats membres sont définies par le Traité, il n'est pas
nécessaire de supposer un Bien commun pour que le principe de
subsidiarité prenne son sens.
Enfin, l'article B du traité n'indique pas que les objectifs de
l'Union sont atteints dans le respect du principe de subsidiarité en
tant que principe général, mais "
dans le respect du
principe de subsidiarité tel qu'il est défini à l'article
3
B ".
L'article 3 B définissant le principe de
subsidiarité de manière négative, on ne peut en tirer
aucune obligation d'intervention pour la Communauté : de telles
obligations ne peuvent résulter que de dispositions expresses figurant
dans d'autres articles du Traité
. Cette dernière
précision est utile dans la msure où il n'est pas rare d'entendre
dans les débats communautaires que, " selon le principe de
subsidiarité ", certaines compétences de l'Union devraient
être renforcées. Tel qu'il figure à l'article 3 B du
traité, le principe de subsidiarité ne peut être
interprété en ce sens, puisque sa formulation est
négative. Son objet est de soumettre l'exercice et l'accroissement des
compétences communautaires à certaines conditions :
naturellement, il n'exclut pas le développement de ces
compétences, mais en aucun cas il ne le prescrit. En d'autres termes,
un développement des compétences communautaires n'est pas
nécessairement contraire au principe de subsidiarité, mais on ne
peut s'appuyer sur ce principe
tel qu'il est défini à
l'article 3 B
pour préconiser ce développement
.
Le présent rapport aborde uniquement l'application du principe de
subsidiarité tel qu'il figure dans le Traité, c'est-à-dire
comme un principe de limitation des compétences communautaires
concernant les rapports entre la Communauté et les Etats membres. Or la
rédaction de l'article 3 B est telle que, tout en affirmant un
principe strict de limitation des compétences communautaires, elle
laisse une marge d'appréciation considérable pour
l'appréciation de ces compétences.
A. UN PRINCIPE DE LIMITATION DES COMPÉTENCES COMMUNAUTAIRES
L'article 3 B du Traité instituant la Communauté
européenne
(3(
*
))
pose trois
principes :
- le principe de l'interprétation stricte des compétences
communautaires (premier alinéa),
- le principe de subsidiarité proprement dit (deuxième
alinéa),
- le principe de proportionnalité (interdiction de l'excès).
1. L'interprétation stricte des compétences
Article 3B, 1 er alinéa
" La Communauté agit dans les limites des
compétences qui lui sont conférées et des objectifs qui
lui sont assignés par le présent traité ".
Cet alinéa réaffirme que les compétences de la
Communauté sont des compétences d'attribution, qui doivent
être explicitement dévolues par le Traité ; la
Communauté n'a pas " la compétence de la
compétence ". Le lien qu'il établit entre
" compétences " et " objectifs "
confirme cette
exigence d'interprétation stricte :
- non seulement la Communauté ne dispose que des compétences
conférées par le Traité, mais elle ne doit utiliser ces
compétences que pour les objectifs explicitement définis par ce
dernier ;
- réciproquement, les objectifs assignés à la
Communauté ne doivent être poursuivis qu'au moyen des
compétences qui lui sont expressément attribuées.