III. LA TÉLÉMATIQUE EN FRANCE : UN ESSAI À TRANSFORMER
Confronté à l'émergence de ce monde
nouveau, notre pays avait fait figure, avec le minitel, de pionnier. Cette
formidable expérience a placé la France au premier rang des
nations possédant une expérience massive de la gestion d'un
système d'information télématique et de ses exigences.
Mais force est de constater qu'aujourd'hui, la France possède un
important retard dans le domaine de l'équipement informatique des
ménages et, corrélativement, en ce qui concerne l'accès
à Internet, et surtout des atouts en matière de
développement des usages pratiques au niveau international de cet outil
de publicité, de convivialité et d'expansion économique et
culturelle.
A cet égard, votre mission d'information considère que les
pouvoirs publics ont le devoir historique de valoriser l'avance sociologique
acquise par les français avec le minitel, notamment en matière
d'éducation initiale ou de formation continue.
A. LE MINITEL : LE "SYNDRÔME CARAVELLE"
Notre pays semble parfois souffrir d'un mal
étrange : possédant un certain génie pour
définir des concepts nouveaux et un réel talent pour leur mise en
uvre technologique, nous semblons ensuite "vivre sur nos lauriers",
et manquer
ainsi les étapes ultérieures de développement et de
valorisation du concept initial.
L'évocation d'un "syndrôme Caravelle" au sujet du Minitel, est
fondée sur l'existence d'une forte analogie entre l'histoire de ce
terminal et celle du premier avion de ligne à réaction moyen
courrier
11(
*
)
.
1. Un concept génial au succès incontestable
L'idée d'un petit terminal, mis à disposition
gratuitement
auprès des abonnés du téléphone
et permettant d'accéder à un annuaire électronique, puis
à un nombre croissant de services, a en effet constitué une
innovation conceptuelle et une gestion industrielle remarquable.
Ainsi, le grand public s'est progressivement habitué à un
matériel nouveau, dont il s'était jusqu'alors dispensé,
découvrant à cette occasion un ensemble de potentialités
dont il est aujourd'hui un " gros consommateur ".
Le succès de ce petit terminal, dont le
nombre d'unités
installées dépasse aujourd'hui les 6,5 millions,
a
entraîné la naissance d'un véritable marché des
services télématiques qui, avec plus de
110 millions d'heures
de consultation par an,
représente un
chiffre d'affaires compris
entre 7 et 8 milliards de francs
pour près de
25.000 codes
d'accès
à des serveurs.
Le développement de ce marché est lié à la mise en
place d'un système comportant le terminal Minitel, le logiciel
Télétel et le " kiosque " de taxation. Ce dernier,
plutôt que de proposer au " consommateur " un abonnement
préalable auprès du serveur sollicité, est fondé
sur une facturation du service en fonction de la durée de consultation.
Cette facturation est effectuée par France Télécom qui
reverse ensuite aux différents serveurs consultés la part qui
leur revient.
La simplicité d'accès et la richesse de l'offre du minitel ont
donc fait naître en France une véritable culture de la
télématique.
2. Une culture à valoriser
Le développement spectaculaire d'Internet laisse
à penser qu'une
exploitation visionnaire du concept du minitel
mérite qu'une initiative forte soit prise pour moderniser un
système qui est d'un usage onéreux et techniquement très
dépassé.
A cet égard, l'émergence d'un
" ordinateur de
réseau "
(le network computer, dit
NC
par
différence avec le personnal computer, PC) sans disque dur constitue un
développement dont le minitel est le parent direct. De la même
façon, tous les efforts des grands constructeurs informatiques pour
insérer les micro-ordinateurs dans le cadre domestique, s'apparentent,
d'une certaine façon, à une partie du concept minitel.
Reste maintenant aux décideurs publics et privés
d'agir par
une croisade nécessaire pour éviter un retard structurel de
l'entrée de la France dans la société de l'information.
Dans cette perspective, notre pays possède au moins deux atouts :
la prédisposition d'un public de près de 15 millions
d'utilisateurs du minitel et l'expérience acquise par les pouvoirs
publics en matière de régulation d'un système
d'information et de services destiné au grand public.
Or, la valorisation de ces atouts ne va pas de soi lorsqu'il s'agit de faire
évoluer ce public vers d'autres horizons.
Le symbole de la
résistance au changement
, à
l'époque d'Internet est constituée par le fort
développement des cartes d'émulation Minitel
12(
*
)
sur micro-ordinateur, dont le nombre
dépasse aujourd'hui 1 million.
Cette donnée démontre que, même lorsqu'ils font
l'acquisition d'un ordinateur, les Français gardent le "réflexe"
minitel.
Un important effort de promotion est donc encore nécessaire pour que le
grand public, formé à l'utilisation du minitel modifie ses
habitudes, pour se servir d'un autre type de terminal, au demeurant beaucoup
plus coûteux s'agissant d'un micro-ordinateur.
Par ailleurs, l'expérience acquise par la France dans la gestion du
système d'information et de services associé au minitel
représente un atout important pour la participation de notre pays
à la
définition des principes ou des moyens permettant
à la société d'utiliser Internet sans risques,
qu'il
s'agisse de la protection de la vie privée, des droits fondamentaux de
la personne ou encore de la sécurité des paiements dans le
commerce électronique
13(
*
)
.
A cet égard, votre mission d'information approuve les grandes lignes de
la déclaration d'intention
(la "Déclaration de Bonn")
adoptée par les ministres de 29 pays européens
14(
*
)
, le 8 juillet 1997, au terme d'une
conférence sur la réglementation d'Internet.
Reconnaisant le
" rôle-clé "
joué par le
secteur privé, estimant
" que l'expansion des réseaux
globaux de l'information doit être essentiellement induite par le
marché et laissée à l'initiative privée "
et que
" l'entreprise privée doit conduire l'expansion du
commerce électronique ",
cette déclaration n'en souligne
pas moins la nécessité pour le secteur public de jouer un
" rôle actif "
dans ce domaine.
Ainsi, cette déclaration recommande de mettre en place un
" cadre réglementaire du commerce électronique "
en partant du principe que
" les cadres juridiques
généraux devraient s'appliquer dans le secteur en
ligne "
.
Enfin, il convient d'indiquer au sujet de la question de la
responsabilité juridique des fournisseurs d'accès à
Internet quant au contenu des services qu'il diffusent, la déclaration
précise que ces fournisseurs d'accès
" ne devraient pas,
en général, être responsables du contenu "
s'ils
n'ont pas de raison de le croire illégal, et qu'il convenait de leur
fixer des obligations
" raisonnables "
de contrôle.