CHAPITRE II :
GARANTIR
Belgique
-
Jeudi 31 août 1995 -
Une
chaîne de télévision privée belge
révèle, dans un reportage diffusé à une heure de
grande écoute, que le réseau mondial de communications Internet
abrite des banques de données pédophiles.
Grande-Bretagne
-
Vendredi 24 mai 1996
- Deux hommes sont
condamnés à trois ans et à six mois de prison ferme par un
tribunal de Birmingham pour avoir diffusé sur l'Internet des photos
pornographiques mettant en scène des enfants.
Finlande
- Mercredi 28 août 1996 -
Découverte
à Helsinki d'un serveur informatique proposant quelque 3 000 images de
pornographie enfantine et de cannibalisme.
Espagne
-
Vendredi 6 septembre 1996
- Le parquet de
Séville a ouvert une enquête concernant la divulgation sur
l'Internet de photos pédophiles.
États- Unis
-
Jeudi 12 décembre 1996
- Le FBI
mène des perquisitions dans vingt villes américaines dans le
cadre d'une enquête sur la pornographie infantile via l'Internet.
L'enquête nationale en cours depuis trois ans a déjà
conduit à l'arrestation de 80 personnes, 103 inculpations, 66
condamnations et 207 perquisitions.
France -
Jeudi 13 mars 1997 -
Interpellation dans la France
entière d'environ 200 personnes coupables d'avoir copié,
vendu ou acheté des cassettes à caractère pédophile
en usant du Minitel et de l'Internet. 195 perquisitions ayant été
effectuées, 192 personnes ont été placées en garde
à vue et près de 5 000 cassettes ont été
saisies dans les 74 départements concernés par l'opération
menée par 700 gendarmes et 22 légions de gendarmerie.
Allemagne -
Lundi 21 avril 1997 -
Un couple renvoyé devant
une cour d'assises par le parquet de Rosenheim pour avoir proposé sur
l'Internet des enfants à la torture.
... ainsi pourrait-on poursuivre la noire litanie des dérives
constatées sur le " réseau des réseaux ". Ces
faits, régulièrement révélés par la presse
écrite et audiovisuelle suscitent des réactions, nombreuses et
parfois contradictoires, des acteurs eux-mêmes -fournisseurs
d'accès, associations d'utilisateurs...-, des pouvoirs publics ou encore
d'instances européennes ou internationales.
Si la société des internautes tient à préserver ce
qui caractérise l'Internet depuis l'origine, c'est-à-dire le fait
qu'il constitue un espace de liberté, les abus commis dans l'utilisation
de cet extraordinaire outil de communication, en particulier la diffusion de
contenus illicites, ont conduit ses acteurs à admettre la
nécessité d'une régulation.
Alors qu'un débat subsiste pour déterminer les moyens à
mettre en oeuvre afin d'assurer cette régulation, l'ensemble des
protagonistes s'accordent à reconnaître l'importance des enjeux.
L'écho du scandale retentit périodiquement depuis un peu plus de
deux ans, mettant en évidence les spécificité de
l'Internet à travers les difficultés auxquelles se heurtent les
forces de police et l'autorité judiciaire pour rechercher et constater
les faits délictueux puis identifier leurs auteurs, et pour
déterminer la loi applicable.
L'Internet, tout en constituant un support d'échanges de données
virtuelles parmi d'autres, présente des caractéristiques propres
qui compliquent la transposition des solutions juridiques telles que celles
applicables dans le domaine de la télématique.
Sa spécificité réside à la fois dans ses
capacités techniques exceptionnelles, dans la multiplicité des
types d'intervenants et des services offerts et dans l'implantation
internationale du réseau des réseaux.
L'Internet véhicule des messages textuels, sonores et graphiques,
l'image pouvant être animée. Totalement
décentralisé, contrairement aux réseaux
télématiques classiques, ce réseau se caractérise
par une grande fluidité, une grande volatilité des contenus. En
outre, le protocole de transaction utilisé qui implique une segmentation
des données par paquets, le message étant reconstitué
à leur arrivée sur le terminal destinataire, permet une
démultiplication des cheminements, ce qui favorise la rapidité
des transactions, lesquelles ne connaissent pas de frontières.
A cette souplesse de fonctionnement et à la dimension internationale du
réseau s'ajoutent la multiplicité et la variété des
intervenants et des services. S'il est possible, en théorie, de
délimiter des catégories d'acteurs telles que celles des
fournisseurs d'accès, des hébergeurs, des éditeurs de
contenus et des utilisateurs, un même intervenant porte souvent plusieurs
casquettes. Ce réseau n'obéit pas à la logique
traditionnelle de type fournisseur-consommateur.
L'interactivité y est maximale : chacun peut émettre et recevoir,
sans point de passage obligé ni filtre. En résulte une certaine
forme d'abolition du temps et de l'espace.
La difficulté de définir des catégories affecte
également certains services disponibles sur l'Internet. Si le Web
s'apparente à un service audiovisuel ouvert au public et le courrier
électronique à un service de correspondance privée, la
nature des forums de discussions ou " newsgroups " paraît
hybride.
Le flou qui caractérise à la fois la qualification des acteurs et
la nature des services n'est pas de nature à faciliter la mise en oeuvre
des concepts juridiques existants.
Entre le sentiment initial d'un vide juridique et celui plus récent
d'un " trop plein " résultant d'une concurrence des
législations nationales, il apparaît que les cadres juridiques ne
font pas défaut mais nécessitent parfois des adaptations.
La dimension transnationale de l'Internet va même quelquefois
jusqu'à provoquer l'obsolescence de certaines législations : cela
s'est vérifié lors de la dernière campagne
électorale précédant les élections
législatives françaises au cours de laquelle la loi du 19 juillet
1977 interdisant, pendant la semaine précédant chaque tour de
scrutin, la publication, la diffusion et le commentaire de tout sondage
d'opinion par quelque moyen que ce soit, s'est trouvée privée
d'effet, chacun ayant la possibilité de consulter les résultats
de sondages diffusés sur des serveurs étrangers via l'Internet.
Au-delà de cet exemple qui, en dépit de son caractère
anecdotique, est révélateur des transformations de notre cadre
légal susceptible de découler du développement de
l'Internet, les premières affaires contentieuses ont mis en
évidence la nécessité d'adapter la législation
applicable en certaines matières telles que les droits d'auteur, le
droit des marques, la protection des données personnelles et de la vie
privée ou encore la sécurisation des transactions commerciales.
S'agissant par exemple de la protection de la vie privée, la loi du
6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux
libertés prévoit que les fichiers comportant des informations
nominatives sont subordonnés à une procédure
d'autorisation ou de déclaration préalable auprès de la
Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Ces
procédures devraient logiquement s'appliquer, en ce qui concerne le
fonctionnement de l'Internet, aux fichiers appelés
" cookies ", fichiers implicites susceptibles d'être
conservés par le fournisseur d'accès retraçant les
consultations effectuées par l'abonné. Ces fichiers lui
permettent de connaître les sites régulièrement
consultés par son client : il peut ainsi rapatrier leur contenu
localement pour réduire les temps d'accès au
bénéfice de l'abonné. Mais ces fichiers font aussi l'objet
d'une exploitation à des fins commerciales : la mémoire des
connexions précédentes permet par exemple d'orienter la
consultation d'un catalogue de vente par correspondance par le client et les
fichiers sont utilisés pour effectuer des études marketing. Or,
l'existence de ces fichiers " cookies " est
généralement ignorée de l'utilisateur. Leur conservation
et leur exploitation peuvent ainsi être considérées comme
attentatoires à la vie privée.
D'autres dispositions protectrices des droits de la personne se heurtent
à des difficultés de mise en uvre sur l'Internet. On peut citer
à titre d'exemple l'exercice du droit de réponse résultant
de l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle
qui prévoit, en cas de diffusion d'imputations susceptibles de porter
atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne
physique ou morale, la possibilité pour cette dernière de
diffuser à son tour une réponse dans des conditions techniques
équivalentes lui assurant une audience équivalente.
L'administration de la preuve en cette matière nécessite la
conservation des documents audiovisuels pendant un délai, dont le
principe est prévu par l'article 6 précité et dont la
durée a été fixée à huit jours par le
décret d'application du 6 avril 1987. Or, la volatilité des
contenus sur l'Internet et la difficulté à localiser la source du
message litigieux rendent difficile, voire impossible dans bien des cas, la
constitution de la preuve et donc la mise en uvre du droit de réponse.
En outre, on peut s'interroger sur l'applicabilité des dispositions
précitées aux services de type forum ou newsgroups, qui
constituent des groupes de discussion informels thématiques,
matérialisés par des messages recopiés à travers le
réseau sur de nombreux sites et qui ne répondent pas
nécessairement à la qualification de service de communication
audiovisuelle.
S'agissant de la propriété intellectuelle, l'adaptation aux
caractéristiques de l'Internet du régime juridique qui tend
à la protéger se heurte de plein fouet à la concurrence
des législations nationales. Cela constitue pourtant un enjeu majeur
pour la promotion du développement de ce réseau. L'harmonisation
des législations apparaît indispensable en la
matière : deux traités relatifs aux droits d'auteur et aux
droits voisins ont ainsi été adoptés lors de la
conférence intergouvernementale de Genève qui s'est
déroulée du 2 au 20 décembre 1996 ; la Commission
européenne a par ailleurs produit une communication dans un livre vert
sur ce thème qui devrait conduire à la rédaction de
plusieurs directives concernant le droit de reproduction, le droit de
communication au public, la protection de l'intégrité des oeuvres
et le droit de distribution.
Les quelques exemples précités révèlent la
multiplicité et la variété des adaptations normatives
nécessitées par le développement de l'Internet, leur
pertinence étant bien souvent gagée par l'adoption
préalable d'accords internationaux. Cette grande diversité et les
réflexions en cours au niveau international ne permettent pas de dresser
un bilan exhaustif dans le cadre de la présente étude : la
complexité des divers sujets appellerait en effet autant d'études
spécifiques.
Il est donc apparu préférable de consacrer les
développements qui suivent au thème relatif à la
régulation de l'Internet. Cette régulation constitue en effet un
objectif prioritaire : les affaires mettant en cause l'ordre public sur
l'Internet, jetant le discrédit sur ce formidable outil de communication
et freinant dès lors son développement, se sont en effet
multipliées. Les initiatives émanant des acteurs eux-mêmes
et des pouvoirs publics, en France comme à l'étranger,
témoignent de l'urgence de trouver des solutions.
Dans le respect de l'esprit de liberté qui anime et caractérise
le fonctionnement de l'Internet, il s'agit d'organiser une régulation de
ce réseau qui permette d'en responsabiliser les acteurs tout en
associant les pouvoirs publics, garants de l'ordre public. Il convient
toutefois de souligner que, si sa mise en uvre se heurte parfois aux
spécificités de l'Internet, les normes juridiques existantes
permettent d'ores et déjà de lutter contre les contenus illicites.