C. LE RÉTABLISSEMENT D'UNE POLITIQUE COMMERCIALE À L'ÉGARD DES PAYS TIERS CONFORME AUX ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS
La mise en place de la nouvelle OCM intervient dans le
secteur
des fruits et légumes
à un moment stratégique
,
à la veille des
nouvelles
négociations
sur
l'organisation mondiale du commerce
, de la
réforme
de la
PAC
et de
l'élargissement
de
l'Union
européenne aux pays associés d'Europe centrale, orientale et
baltes.
Or, la nouvelle OCM fruits et légumes ne peut corriger que les
déséquilibres résultant d'une insuffisante organisation du
marché communautaire.
Il
est ainsi grand temps
que, simultanément avec cette nouvelle
réglementation,
les autorités communautaires prennent
conscience des risques que provoque la poursuite d'une politique commerciale
avec les pays tiers qui fragilise, chaque jour un peu plus, le marché
communautaire
.
Dès 1993, la mission sénatoriale avait " eu le sentiment que
bien souvent la Communauté n'était considérée que
comme un fournisseur de devises pour les pays tiers producteurs ".
Le groupe de travail
, sans reprendre l'ensemble des mesures d'ordre
international proposées par la mission -qui restent en partie
d'actualité-
tient à insister sur deux
éléments
qui lui semblent essentiels.
1. Une limitation nécessaire des accords préférentiels afin de consolider la préférence communautaire
a) Une forte dégradation des termes de l'échange
La France a obtenu en 1996 que soient enfin adoptés des
règlements pour la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde
spéciale volume
d'une part
, et de certificats à
l'importation pour certains produits " sensibles " (tomates,
concombres, pommes, poires, agrumes)
d'autre part
.
Ainsi, les volumes à l'importation de certains produits en provenance de
pays tiers sont suivis. Si le volume de déclenchement est atteint, la
clause de sauvegarde spéciale est mise en place, entraînant
l'application d'un droit additionnel sur les importations de ces produits.
Le groupe de travail tient à rappeler que, si la France est le
premier exportateur mondial de pommes avec 650.000 tonnes, 50 %
environ des fruits et légumes commercialisés en France sont
importés
. La balance commerciale de la France est donc
structurellement déficitaire (9,6, 8,4 et 8,3 milliards de francs
respectivement en 1992, 1993 et 1994), en raison notamment de l'importation de
produits à contre-saison.
EXPORTATIONS ET IMPORTATIONS DE
LÉGUMES FRAIS
POUR LA FRANCE (MILLIERS DE TONNES ET MILLIONS DE FRANCS)
|
1980 |
1990 |
1994 |
1995 |
||||
|
Quantité |
Valeur |
Quantité |
Valeur |
Quantité |
Valeur |
Quantité |
Valeur |
Exportations |
387 |
1.176 |
533 |
3.120 |
657 |
3.261 |
606 |
2.970 |
Importations |
683 |
1.836 |
1.006 |
4.977 |
1.063 |
4.795 |
1075 |
4.928 |
EXPORTATIONS ET IMPORTATIONS
DE FRUITS
POUR LA
FRANCE
(EN MILLIERS DE TONNES ET MILLIONS DE FRANCS)
|
1980 |
1990 |
1994 |
1995 |
||||
|
Quantité |
Valeur |
Quantité |
Valeur |
Quantité |
Valeur |
Quantité |
Valeur |
Exportations |
945 |
2.489 |
1.105 |
6.018 |
1.317 |
6.805 |
1.392 |
6.906 |
Importations |
2.004 |
5.972 |
2.597 |
13.408 |
2.724 |
13.861 |
2.742 |
13.888 |
L'Union européenne, premier importateur mondial de fruits et légumes, avec 1.950 millions d'écus d'importations et un déficit commercial sur ces produits de 1.280 millions d'écus , constitue le marché le plus attrayant en raison des prix qui y sont pratiqués. La production communautaire de 22 millions de tonnes de fruits frais (auxquelles s'ajoutent 8 millions de tonnes d'agrumes) et de 47 millions de tonnes de légumes ne couvre, en effet, que 50 % de la demande intérieure . L'Union importe avant tout des fruits, frais et surtout transformés (jus d'agrumes et de pommes).
b) La multiplication des accords préférentiels
C'est dans un tel environnement que le secteur agricole,
et
notamment celui des fruits et légumes, se révèle
être une monnaie d'échange courante dans la plupart des accords
bilatéraux ou multilatéraux conclus par la Communauté avec
les pays tiers.
Votre commission considère qu'il est temps que l'Union européenne
ait une
vision claire
de la politique commerciale extérieure,
notamment en matière d'échanges agricoles, et fasse des
choix
cohérents
entre multilatéralisme et
bilatéralisme, de façon à permettre aux producteurs de
s'adapter aux évolutions prévisibles.
Il est nécessaire, comme l'a demandé récemment la France,
que la
Commission européenne fasse une " pause
active "
dans la négociation de zones de libre-échange avec les pays tiers.
Les pays concernés par de tels accords sont nombreux :
- pays en voie de développement par le système des
préférences généralisées, ou dans le cadre
de la quatrième convention de Lomé ;
- pays d'Europe centrale et orientale (Pologne, Hongrie, Slovaquie,
République Tchèque, Roumanie, Bulgarie) ;
- pays méditerranéens : des accords
préférentiels ont été passés avec tous les
pays du bassin méditerranéen, à l'exception de la Libye.
Une nouvelle génération d'accords bilatéraux a
été initiée en 1995,
visant à renforcer les
concessions accordées. Trois ont été signés
à ce jour avec le Maroc, la Tunisie et Israël.
Enfin, un accord d'union douanière a été conclu avec la
Turquie en janvier 1996.
Les concessions consenties par ces divers accords contribuent à
éroder sensiblement la protection douanière maintenue par les
accords du GATT,
notamment en ce qui concerne les produits soumis au
régime du prix d'entrée minimum.
Parmi ceux-ci, on peut citer la pomme (importations en provenance de
l'hémisphère sud) et la tomate (importations marocaines).
Les négociations commerciales avec l'Afrique du Sud et le Mexique ainsi
que les pays méditerranéens pourraient donc se poursuivre
sans
pour autant que de " nouveaux chantiers soient
ouverts ".
c) Les accords du GATT et la préférence communautaire
Les accords du GATT ont modifié considérablement
les fondements de la préférence communautaire.
Ces accords interviennent sur pratiquement tous les instruments
classiques
de préférence communautaire :
- Les droits de douane ad valorem sont en effet réduits de
20 % d'ici l'an 2000. Ainsi, selon les informations obtenues par le groupe
de travail, en ce qui concerne les fruits et légumes uniquement
protégés par des droits de douane ad-valorem, la protection
déjà faible, est encore amoindrie. Si des concurrents tiers
existent, les prix communautaires sont entraînés à la
baisse. Pour certains produits tels que l'ail, les asperges, les petits fruits
rouges, des aménagements basés sur des mesures de soutien
à la production sont parmi les seules solutions à terme pour
garantir la survie de ces productions dans l'Union européenne.
- Le système de prix de référence, qui existait
auparavant pour 17 produits, est remplacé par un système
basé sur des prix d'entrée minimum. Ce mécanisme, qui
concerne 14 fruits et légumes fait apparaître que
l'évolution de la préférence communautaire, mesurée
par les risques de baisse des prix de marché communautaire sous l'effet
d'une augmentation de l'offre importée, est très variable selon
les produits considérés.
C'est ainsi que l'on peut distinguer :
-
des produits pour lesquels les risques sont très
importants
(prunes pendant toute la campagne de production, tomates entre
avril et juin, concombres en février, mai, juin, septembre et octobre) ;
-
des produits pour lesquels des risques assez importants existent
(poires, pommes, fruits rouges, tomates et cerises) ;
-
des produits pour lesquels les risques existent mais semblent
restreints
(abricots, clémentines, citrons, courgettes, artichauts) ;
-
des produits dont les marchés ne devraient pas être
bouleversés
(raisins, pêches, oranges).
Plusieurs difficultés que votre groupe de travail tient à
souligner sont apparues dans le fonctionnement de ce mécanisme :
-
le contrôle des prix d'entrée, tout en étant
déterminant, s'est avéré très complexe
;
ainsi la capacité et la volonté de l'Union européenne et
des États membres de reconstituer et de faire respecter les prix
d'entrée sont parfois mises en défaut ;
-
l'imposition d'un équivalent tarifaire maximum au-dessous
d'une certaine valeur de prix d'entrée
a entraîné nos
partenaires commerciaux à demander des aménagements, et notamment
des plages de prix d'entrée entraînant la perception d'un
équivalent tarifaire réduit. La communauté
européenne a souvent encouragé une telle politique avec des pays
comme le Chili et l'Argentine ;
-
les prix de marché étant souvent nettement
supérieurs aux prix minimum à l'importation
, les risques de
voir les prix de marché baisser sous l'effet du GATT se
concrétisent.
La multiplication de ces accords préférentiels est d'autant
plus préjudiciable qu'ils conduisent
, comme l'a souligné
à plusieurs reprises votre Haute Assemblée, à un flot
d'importations excessif et destructeur de la production et de l'emploi
européen. Ainsi, comme le signale M. Paul Cholet dans son
rapport, "
il convient de souligner la flagrante contradiction de
la
position communautaire, qui considère d'un côté, et
à juste raison, que le développement harmonieux d'un
marché unique européen implique nécessairement
l'instauration d'une monnaie unique, mais qui, d'un autre côté,
multiplie des zones de libre-échange ne comportant aucun engagement des
pays partenaires quant à la répudiation des manipulations
monétaires ".
La préférence communautaire pourrait être en partie
rétablie
à partir d'une politique de normalisation
. En
effet, la mise en place de règles communes sur le plan social,
environnemental et sanitaire permettrait aux pays européens d'affronter
la concurrence de manière plus efficace.