N° 214
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 6
février 1997.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12
février 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) à la suite d'une mission effectuée en Asie (Japon, Chine, Hong Kong, Taïwan) du 9 au 23 septembre 1996,
Par M. Jean CLUZEL,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de :
MM.
Christian Poncelet,
président
; Jean Cluzel, Henri Collard,
Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM.
Philippe Marini,
vice-présidents
; Emmanuel Hamel, René
Régnault, Alain Richard, François Trucy,
secrétaires
; Alain Lambert,
rapporteur
général
; Philippe Adnot, Denis Badré, René
Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse
Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy
Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin,
Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude
Lise, Paul Loridant, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel
,
Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Maurice Schumann, Michel
Sergent, Henri Torre, René Trégouët.
__________
Audiovisuel.
-
Asie - Chine - Hong Kong - Japon - Taïwan -
Rapports d'information.
INTRODUCTION
Pourquoi étudier l'audiovisuel de quatre pays d'Asie
orientale ?
Vue de cet océan d'hommes, de cultures, de ses possibilités de
croissance, l'Europe paraît bien reléguée à
l'arrière-plan.
Il est vrai que notre pays est bien lointain, culturellement,
économiquement, voire politiquement.
La présence française, humaine, dans les quatre pays où je
me suis rendu, le Japon, la Chine, Hong Kong et Taïwan, est faible, comme
l'indique le tableau ci-après :
Pays |
Population totale |
Population française (e) |
Population francophone (e) |
Chine |
1,2 milliard |
2 400 |
100 000 |
Japon |
125 millions |
5 000 |
800 000 |
Taiwan |
21 millions |
2 500 |
34 000 |
Hong Kong |
6,3 millions |
5 000 |
100 000 |
(e) Estimation
Pourtant, comme vient de le confirmer le dernier rapport du Haut Conseil de la
Francophonie, la progression de l'enseignement du français ne se
dément pas. La France intrigue et intéresse ; son cinéma
fascine une partie de l'intelligentsia japonaise ; ses fictions
destinées au public adolescent s'exportent convenablement. Ce sont
même des Français qui ont créé, sur le modèle
de celui de Cannes, l'un des plus importants marchés de programmes
audiovisuels.
·
Notre production audiovisuelle existe. Elle est diversifiée.
Elle parait cependant trop franco-française, et frileuse.
· Notre diplomatie culturelle est en croissance continue. De plan de
développement en plan quinquennal, l'action audiovisuelle
extérieure demande toujours davantage de crédits afin
d'améliorer la couverture mondiale et la qualité de ses grilles
de programmes.
Ces deux constats m'ont, depuis quelques années, amené à
m'intéresser davantage à l'action audiovisuelle
extérieure
1(
*
)
, puisque
l'avenir de notre identité culturelle se joue en ce moment même
sur la scène mondiale.
La présence audiovisuelle dans ces quatre pays d'Asie orientale se
réduit encore à quelques opérateurs principalement publics
et à quelques exportateurs de programmes. Mais elle est discontinue, et,
par conséquent, peu efficace.
Afin d'en évaluer la stratégie, votre rapporteur spécial
des crédits de la communication audiovisuelle a effectué une
mission de contrôle dans quatre pays profondément dissemblables.
Quoi de plus différent en effet qu'un Empire, la Chine , un
État-nation, le Japon, une Cité-État, Hong Kong, et un
État en marge de la scène internationale malgré ses
réalisations économiques et ses progrès politiques,
Taïwan. De plus, ces pays ont des systèmes économiques
industrialisés et développés, libéraux et une
économie encore officiellement dirigiste et planifiée, avec des
systèmes politiques libéraux, semi-libéraux et
communiste ?
Les analyses se veulent modestes. Il s'agit de tirer les conséquences
des insuffisances ou des dysfonctionnements les plus patents, de mettre en
lumière les réalisations les plus significatives, d'attirer
l'attention des pouvoirs publics sur quelques opportunités qu'il
faudrait saisir.
Ce rapport n'aurait pu être rédigé sans les contributions
et analyses de nos attachés audiovisuels, MM. François Truffart
à Tokyo, et Mathieu Béjot à Hong Kong. De même,
l'intérêt et la réussite de cette mission leur doit
beaucoup. Qu'ils en soient ici remerciés.
I. LES PAYSAGES AUDIOVISUELS EN ASIE : DES ÉVOLUTIONS CONTRASTÉES
A. LA MATURITÉ DU DÉVELOPPEMENT DE L'AUDIOVISUEL AU JAPON
Le Japon est le second plus grand marché de
télévision
- plus de 25 milliards de dollars de
chiffre d'affaires en 1995 (0,5 % du produit national brut) -
après les États-Unis
.
Il est composé principalement d'opérateurs hertziens
privés et d'un opérateur public, reçus par presque la
totalité des 43 millions de foyers qui disposent d'un
téléviseur (99 % des Japonais).
Les opérateurs utilisent la technologie NTSC 525 lignes.
Avec 3,8 postes en moyenne par foyer, le téléspectateur
japonais est
un gros consommateur audiovisuel
.
En 1994, chaque Japonais a regardé en moyenne la
télévision pendant 3 heures et 55 minutes par jour en
semaine, 4 heures et 24 minutes, le samedi, et 4 heures et
56 minutes, le dimanche. Les hommes l'ont regardée deux fois moins
que les femmes, sauf pour les plus de cinquante ans où la tendance se
réduit en semaine pour s'inverser le dimanche, jour où les hommes
retraités sont le plus longtemps devant leur téléviseur
(6 heures et 51 minutes). En moyenne, les jeunes de 20 ans et
moins (21 ans étant l'âge de la majorité) regardent
deux fois moins la télévision (3 heures par jour) que les
plus de 50 ans et, en semaine, que les femmes adultes. Les actifs hommes
(20-50 ans) doublent leur temps passé devant la
télévision. Entre la semaine et le week-end : de 35 à
49 ans, ils passent de 2 heures et demie à 5 heures et
12 minutes. Sur la même tranche d'âge, les femmes ne modifient
pas leur comportement (un peu moins de 5 heures par jour).
Le paysage audiovisuel japonais est relativement restreint
. Les six
opérateurs hertziens captent l'essentiel de l'audience. Le câble
connaît certes un succès grandissant depuis une timide
déréglementation, en 1993, avec un taux de progression annuel de
50 %, mais seulement un quart des foyers sont actuellement raccordés.
Enfin, le satellite n'a pas vraiment réussi à s'implanter
malgré quatre opérateurs et 12 millions d'abonnés.
Paradoxalement,
pour la télévision numérique, le Japon
reste un marché à conquérir.
Le pays compte 125
millions d'habitants, au revenu disponible par habitant le plus
élevé du monde. De plus, les Japonais sont très sensibles
aux innovations technologiques.
1. Un paysage audiovisuel à la veille de mutations profondes
Paradoxalement, le paysage audiovisuel japonais paraît relativement proche de celui de la France. Il est dominé par la télévision hertzienne, et six chaînes généralistes, le câble n'ayant pu effectuer sa percée. Il suscite également des convoitises de la part d'opérateurs qui s'apprêtent à lancer des bouquets numériques concurrents.
a) Un paysage télévisuel pluraliste et équilibré
Comme en France, le paysage audiovisuel du Japon est
dominé par six chaînes hertziennes généralistes.
Ce cadre est doublement original, d'une part en raison du statut de la
chaîne publique Nippon Hoso Kyokai (NHK) et, d'autre part, en raison des
particularités de l'économie de l'audiovisuel.
(a) La NHK
Le secteur public est le monopole de la NHK avec deux
chaînes nationales GTV-NHK1 (généraliste) et ETV-NHK3
(éducative). Ces deux chaînes offrent des décrochages
régionaux (54 stations en province).
La chaîne publique japonaise bénéficie d'un statut unique
au monde. Elle peut être assimilée à
une ORTF qui aurait
réussi
...
En effet, outre le fait qu'elle réunit dans une même
entité, qui emploie 16 000 personnes, 4 chaînes de
télévision et 3 programmes nationaux de radio, elle finance des
orchestres, dont la réputation n'est plus à faire, ainsi que des
troupes de théâtre. Elle assure une activité
d'édition non négligeable sur tous les supports.
En terme d'audience, les programmes hertziens de la NHK ont
réalisé, en 1994, à Tokyo, en moyenne 27 % de la part
d'audience totale des chaînes hertziennes. Cette part se maintient en
1995, en raison de la couverture du séisme de Kobé et de
l'affaire de la secte Aoum.
MXTV, une chaîne culturelle et de proximité, semi-privée
(financée par la municipalité et la chambre de commerce de la
capitale) diffuse depuis novembre 1995 sur le Kanto (région de Tokyo).
C'est aussi le cas d'une chaîne universitaire financée par le
Gouvernement japonais et qui dispense des enseignements à
distance : Hosodaigaku ou " Université des ondes ".
La NHK reste le premier diffuseur de programmes étrangers notamment sur
ses chaînes satellite, même s'ils ne représentent que
5 % de son temps d'antenne.
L'audiovisuel public japonais est presque exclusivement financé par
la redevance
(97 %), payée par 35 millions de foyers. Pour
l'année fiscale 1995, elle représentait 570,78 milliards de
yens (28,5 milliards de francs). Le reste du budget provient des recettes
des filiales du groupe, dont la vente de programmes.
La NHK collecte
elle-même la redevance, mais son budget est approuvé par la
Diète.
Le budget total, nettement supérieur à celui du secteur de
l'audiovisuel public en France, à périmètre comparable,
s'élève à 588,43 milliards de yens en 1995, soit
29,4 milliards de francs. Il finance l'intégralité des
activités de la NHK : production, diffusion - deux chaînes
hertziennes nationales de télévision, quatre chaînes de
radio dont une pour la diffusion internationale, une chaîne de
télévision internationale (TV Japan) - 27 bureaux à
travers le monde, la recherche (notamment sur la haute définition) et
les études. En 1995, la NHK employait 13 110 personnes.
Aucune publicité ou émissions parrainées ne sont
admises sur ses écrans.
Par ce mode de financement et ses missions,
elle se rapproche fortement de la BBC.
La redevance annuelle moyenne (plusieurs tarifs sont proposés en
fonction de la durée de paiement) est de 710 francs pour un poste
de télévision couleur et de 1 280 francs avec
l'abonnement aux programmes satellite. La gestion de la redevance
représente une charge estimée en 1996 à
3,83 milliards de francs (13 % des dépenses totales).
Les responsables de la NHK craignent qu'à l'avenir ce système
fondé sur la confiance soit mis à mal par de nouveaux
comportements : croissance forte des foyers à un seul individu
difficilement contrôlable puisque souvent absent du domicile ;
concurrence des nouveaux services payants qui incitent à payer seulement
ce que l'on souhaite regarder.
(b) Le secteur de l'audiovisuel privé au Japon
Le
secteur privé hertzien est dominant
, tant en
terme de chiffre d'affaires (74 % au total) qu'en part d'audience
(73 % de part de marché sur Tokyo). Il est aussi le plus ancien au
monde après celui des États-Unis. La première diffusion
d'une chaîne commerciale (NTV à Tokyo) date du 28 août
1953, trois ans après le vote de la
Broadcasting law
, qui a
autorisé les diffuseurs commerciaux. En fait, le secteur est
organisé en cinq réseaux de chaînes commerciales
régionales selon le système de la syndication. La loi interdit,
en effet, la possession de plusieurs stations par une même personne ou un
même organisme. Chaque réseau dispose de " stations
clés " à Tokyo : NTV, Fuji TV, TV Asahi, TBS, TV Tokyo.
Depuis 1994, NTV, du groupe Yomiuri, est devenue la chaîne japonaise la
plus regardée.
La seconde chaîne de chaque réseau est située à
Osaka avec respectivement : Yomiuri TV, Kansai TV, ABC, MBS et
TV Osaka.
A l'origine, ces chaînes se sont constituées en réseaux
d'actualités. Leur collaboration a été ensuite
étendue aux autres programmes. 98 % des programmes de prime time
sont diffusés sur l'ensemble du réseau. Chaque station dispose
d'une autonomie financière et de structures de production propres.
Certaines chaînes régionales sont indépendantes de ces
réseaux comme TVK (station de Yokohama).
Actuellement, il existe 123 sociétés privées de
télévision terrestre au Japon (48 en VHF et 75 en UHF)
dont 36 sont à la fois opérateurs de radio et de
télévision. S'ajoutant aux diffuseurs commerciaux du satellite et
du câble, 198 opérateurs constituent le secteur privé
de la diffusion au Japon. Ils sont réunis au sein de la très
puissante association des diffuseurs commerciaux : la NAB.
Le financement du secteur audiovisuel privé japonais est assuré
par des ressources publicitaires abondantes.
En 1995, les recettes publicitaires de la télévision
privée ont procuré un chiffre d'affaires de
1 755,3 milliards de yens (87,7 milliards de francs), soit
32,3 % des investissements publicitaires au Japon. Ceux-ci se montaient en
1995 à 5 426 milliards de yens (271,3 milliards de
francs), soit 1,13 % du PNB qui se chiffrait alors à
479 755,5 milliards de yens (23 987 milliards de francs).
De janvier à juin 1996, les recettes publicitaires du marché de
la télévision ont atteint 8,933 milliards de dollars.
Entre avril et septembre 1995, les recettes commerciales ont
représenté 80,9 % du revenu total des chaînes
privées (dont 33,6 % provenant du parrainage et 47,4 % des
spots publicitaires). 18 % du revenu provenaient de la production et de la
vente de programmes.
Le volume de publicité ne doit en aucun cas dépasser 18 % du
total de la diffusion hebdomadaire d'une chaîne commerciale.
L'implication des annonceurs et des sponsors dans la production audiovisuelle
explique en partie la faible part des programmes audiovisuels étrangers
diffusés sur les chaînes commerciales terrestres japonaises.
Elle favorise en effet la réalisation et la diffusion de programmes peu
coûteux (programmes de flux) en " prime time " d'une
qualité souvent médiocre. Le risque est nul puisque le programme
est rentabilisé avant sa diffusion. Les annonceurs qui participent au
financement d'un programme s'engagent pour des périodes plus ou moins
longues (saisons), à l'issue desquelles ils choisissent, en fonction des
résultats d'audience, de se maintenir ou de se retirer. C'est ainsi que
la production d'un feuilleton à épisodes peut aussi bien
être interrompue que poursuivie. Tournés en vidéo peu de
temps avant leur diffusion, ils intégrent des éléments
d'actualité capables de capter l'attention des
téléspectateurs.