3. L'agriculture et la pêche : des activités essentiellement vivrières en dépit d'un potentiel réel à l'exportation
a) L'agriculture
L'agriculture occupe une place essentielle dans la
société calédonienne : elle concentrait en effet
encore 14 % de la population active lors du recensement de 1989. Elle se
caractérise cependant par un taux de rentabilité des plus
médiocres puisque son poids économique est inférieur
à 2 % du produit intérieur brut du territoire.
La Nouvelle-Calédonie souffre, il est vrai, d'un handicap majeur :
la faiblesse de sa superficie agricole utilisée (SAU) qui ne
représente que 10 % de la superficie totale du territoire. Elle
reste également très fortement marquée par le
caractère presque exclusivement vivrier de l'agriculture
mélanésienne : en valeur (francs CFP), la production
agricole se concentre à plus de 80 % dans la province Sud, à
moins de 20 % dans la province Nord, le poids des îles
Loyauté apparaissant insignifiant ; parallèlement, la
population active agricole se répartit à hauteur de 60 %
dans la province Nord et de 20 % dans chacune des deux autres provinces,
Sud et Iles Loyauté.
L'agriculture calédonienne est un secteur bénéficiant d'un
fort degré d'aides publiques. Celles-ci prennent la forme de
restrictions à l'importation, d'aides à l'investissement,
à travers notamment les contrats de développement, d'aides
à la trésorerie ou encore d'aides à la commercialisation.
Sur ce dernier point, l'action de l'Etablissement de régularisation des
prix agricoles (ERPA), établissements public territorial
créé en 1989, apparaît déterminante. En 1995, les
dépenses de l'ERPA (627,7 millions de francs CFP soit
34,5 millions de francs français environ) ont
représenté l'équivalent de plus de 18 % de la
production agricole marchande de la Nouvelle-Calédonie
(5,2 milliards de francs CFP soit environ 290 millions de francs
français).
La politique agricole calédonienne a fait constamment appel, depuis les
débuts de la présence française, à la notion de
"
filières
" dont le développement doit permettre la
conquête du marché local puis celle de marchés à
l'exportation. La mémoire est ainsi restée vive de la
"filière" café dont on pensait à la fin du XIXè
siècle qu'elle possédait un potentiel de développement
comparable à celui du nickel. Après avoir atteint
2.000 tonnes en 1939, la production calédonienne de café est
aujourd'hui inférieure à 50 tonnes ! Cet échec
reste douloureusement ressenti sur le territoire.
En 1995,
les exportations
de produits agricoles, animaux vivants et de
viandes, n'ont représenté que 187,1 millions de francs CFP
(un peu plus de 10 millions de francs français)
7(
*
)
, à comparer au montant de
5,2 milliards de francs CFP correspondant à la production agricole
marchande de la Nouvelle-Calédonie
8(
*
)
(3,5 %). Sur ce total,
l'essentiel, soit 137 millions de francs CFP, est concentré sur un
poste :
le squash
. La majeure partie de la production de cette
petite cucurbitacée est réalisée par un groupe
privé qui exporte vers le marché japonais.
Il s'agit donc d'un cas extrême de culture d'emblée tournée
vers un marché à l'exportation.
Quelques espoirs sont également mis dans l'exportation vers divers pays
du sud-est asiatique de
cervidés
, animaux vivants ou viande. Un
accord a ainsi été conclu avec des importateurs de Chine
populaire (province du Guangxi) lors de la présence de votre rapporteur
sur le territoire, en septembre 1996. Cette filière subit cependant une
évolution en "dents de scie", qui ne permet pas de lui prédire un
avenir assuré.
L'agriculture calédonienne ne peut enfin être analysée sans
tenir compte de l'arrière-plan essentiel de
la réforme
foncière
.
La mise en place de l'Agence de développement rural et
d'aménagement foncier (ADRAF), dans la foulée des accords de
Matignon, a incontestablement donné un "coup de fouet" à cette
politique. Sur 120.000 hectares redistribués au cours de la
période 1978
9(
*
)
-1995,
plus des deux-tiers
(82.000 hectares) l'ont été entre
le 1er janvier 1989 et le 31 décembre 1995.
En sept ans, de 1988 à 1995, le foncier mélanésien a
augmenté de 36 %, sur la Grande Terre, et toutes les communes ont
été concernées à l'exception de Nouméa. Les
attributions ont parfois conduit à un doublement ou un triplement des
terres dont disposaient les tribus et les clans.
Situation au 31 décembre (en hectares)*
|
1988 |
1995 |
Foncier mélanésien |
200.000 |
272.000 |
Terres privées non mélanésiennes |
312.000 |
294.000 |
Stock ADRAF |
67.000 |
28.000 |
*Les données précises sur la
propriété privée n'étant pas disponibles, des
estimations ont été effectuées.
Deux types d'opérations foncières très différentes
ont été menées :
Des attributions individuelles
effectuées sous forme de
ventes à des particuliers, essentiellement non
mélanésiens. Pour ces attributions initiées
essentiellement dans la période 1987-1988 par l'ADRAF territoriale, il
s'agissait de permettre l'accès à la terre de calédoniens
de l'intérieur, dans des conditions financières favorables.
Des cessions gratuites aux tribus, clans ou familles
mélanésiennes
regroupés au sein de Groupements de
droit particulier local (GDPL) qui, pour l'essentiel, répondaient
à des revendications foncières sur les terres traditionnelles.
En fait,
80 %
du stock de l'ADRAF a été
affecté au profit de GDPL.
L'utilisation des terres dépend d'accords entre les membres du GDPL sur
la répartition de celles-ci : il peut s'agir d'un partage entre les
différentes familles, d'une mise à disposition verbale à
certains d'entre eux, ou dans les cas les plus élaborés, d'un
véritable schéma d'aménagement et de la signature de baux
entre le GDPL et les utilisateurs.
D'après les éléments recueillis sur le terrain, quatre
catégories d'utilisation peuvent être distinguées
retracées dans le tableau ci-après.
|
Province Nord |
Province Sud |
||
|
Nombre* |
Superficie attribuée |
Nombre* |
Superficie attribuée |
1. Pas d'utilisation |
33 |
7.328 |
16 |
1.596 |
2. Utilisation traditionnelle (habitat, vivrier) |
60 |
9.352 |
12 |
2.678 |
3. Transition vers l'économie (habitat, vivrier, cultures de ventes, élevage traditionnel, reboisement, projets économiques en démarrage) |
28 |
14.933 |
9 |
6.264 |
4. Projets économiques en place (essentiellement élevage) |
60 |
19.573 |
16 |
5.800 |
* Il s'agit du nombre de structures d'exploitations,
inférieur au nombre d'actes signés.
L'élevage
, qui était pratiqué sur les
propriétés reprises, s'est maintenu sur environ 40 % des
surfaces attribuées. La majorité est exploitée sous forme
de groupements.
L'habitat
: 62 GDPL ont déjà construit et
61 supplémentaires envisagent de le faire. 200 maisons ont
été construites.
Les cultures vivrières
: même si les surfaces
concernées sont peu importantes (80 hectares), des jardins vivriers
ont été implantés par 620 familles différentes.
Comme sur les réserves, différentes économies se
développent :
- Une économie traditionnelle dont la production est
destinée principalement à la consommation et qui nécessite
un faible investissement.
- Une économie marchande caractérisée par la
commercialisation des produits, le recours aux emprunts et aux aides publiques.
Or, le passage de l'une à l'autre de ces économies est en fait
à peine amorcé.
Comme le note le dernier rapport annuel de
l'ADRAF, il nécessitera du temps et un accompagnement important,
tant
les questions de société à résoudre sont
nombreuses
. Aussi, l'ADRAF s'est-elle attachée à
favoriser
l'organisation et l'aménagement des terres des GDPL
en organisant de
nombreuses réunions d'information et de "
suivi
" des groupements
sur les thèmes suivants :
Organisation du GDPL (règlement intérieur).
Réflexion sur l'aménagement et la répartition des
terres entre les diverses utilisations (élevage, habitat, cultures
vivrières, etc...).
Mise au point de formules de mises à disposition allant jusqu'au
bail, l'objectif étant de distinguer la structure collective
propriétaire de l'exploitant (individu ou société).
Information sur les aides en matière de développement (en
liaison avec les services provinciaux).