En 1976, les Etats membres de la Communauté
européenne ont décidé l'élection des
représentants des Etats au Parlement européen au suffrage
universel direct. Jusqu'à cette date, ces représentants
étaient désignés par les Parlements nationaux en leur sein.
Afin de mettre en oeuvre la décision du Conseil des ministres de la
Communauté, la France a mis en place un mode de scrutin proportionnel
dans le cadre d'une circonscription unique formée par le territoire de
la République. Ce mode de scrutin a été utilisé
à quatre reprises, en 1979, 1984, 1989 et 1994.
Ce système électoral est fortement critiqué depuis
longtemps. Le Parlement européen souffre d'un défaut de
légitimité qui n'a pas été comblé par
l'élection au suffrage universel, loin s'en faut. Il demeure une
institution méconnue des citoyens et dont les élus paraissent
coupés de leurs électeurs.
Forts de ce constat, nombreux sont ceux qui estiment que le mode de scrutin
retenu en France pour les élections européennes est largement
responsable de cette situation. Les propositions de modification de ce mode de
scrutin se sont multipliées au cours des dernières années.
Pour que les prochaines élections, qui auront lieu en juin 1999,
puissent se dérouler avec un nouveau mode de scrutin, il faudrait,
compte tenu du calendrier électoral français, que la
réforme de ce dernier soit adoptée au cours de la session
parlementaire qui s'est ouverte le 1
er
octobre dernier et qui
s'achèvera en juin 1997.
La Délégation du Sénat pour l'Union européenne,
créée en 1979 afin que le Parlement français conserve un
lien avec la construction communautaire après la décision
d'élire au suffrage universel les parlementaires européens, a
naturellement sa place dans un tel débat. Votre rapporteur, après
avoir entendu les représentants des forces politiques au Parlement
européen, a donc souhaité étudier les hypothèses
alternatives au mode de scrutin actuel en s'efforçant de rechercher les
moyens de mieux servir les intérêts français au Parlement
européen et de donner davantage de légitimité à la
construction européenne.
I. UN MODE DE SCRUTIN CONTESTÉ
A. LE MODE DE SCRUTIN ACTUEL
· L'élection du Parlement européen
au suffrage universel a été instituée en 1976 par l'
" Acte portant élection des représentants au Parlement
européen au suffrage universel direct ",
annexé à
la décision du Conseil des Communautés européennes du 20
septembre 1976.
L'article 138 du Traité de Rome prévoyait que, le moment venu,
l'Assemblée européenne serait élue au suffrage universel
direct. C'est le 10 décembre 1974 au Sommet de Paris que les Chefs
d'Etat et de Gouvernement des neuf Etats membres de la Communauté
européenne ont arrêté le principe de cette élection
au suffrage universel. Après dix-huit mois de négociations, le
Conseil a adopté l'Acte portant élection des représentants
au Parlement européen au suffrage universel.
L'Acte du 20 septembre 1976 définit certaines modalités de
l'élection des représentants au Parlement des peuples des Etats
membres. Il fixe le nombre de représentants élus dans chaque Etat
membre (voir tableau p. 7), et la durée du mandat (cinq ans). Il
évoque également le régime des privilèges et
immunités ainsi que celui des incompatibilités. Ainsi, l'Acte de
1976 prévoit notamment que la qualité de représentant au
Parlement européen est compatible avec celle de membre du Parlement d'un
Etat membre. En revanche, le mandat parlementaire européen est
incompatible avec les fonctions de membre du Gouvernement d'un Etat membre, de
membre de la Commission européenne, de juge, avocat
général ou greffier de la Cour de Justice des Communautés
européennes, de membre de la Cour des Comptes européenne, de
membre du comité consultatif de la CECA ou de membre du Comité
économique et social de la Communauté européenne... En
outre, l'Acte de 1976 prévoit que chaque Etat membre est libre de fixer
les incompatibilités applicables sur le plan national.
En ce qui concerne la vacance des sièges, chaque Etat membre doit
établir les procédures appropriées pour que, au cas
où un siège devient vacant au cours d'une législature, ce
siège soit pourvu pour le reste de la période. Lorsque la vacance
résulte de l'application des dispositions nationales en vigueur dans un
Etat membre, celui-ci en informe le Parlement qui en prend acte.
Plus généralement, l'article 7 de l'Acte annexé à
la décision du Conseil prévoit dans son paragraphe 2 que
" jusqu'à l'entrée en vigueur d'une procédure
électorale uniforme, et sous réserve des autres dispositions du
présent acte, la procédure électorale est régie,
dans chaque Etat membre, par les dispositions nationales ".
Les
Etats
membres, ayant constaté l'impossibilité de mettre en place une
procédure électorale uniforme, ont opté pour l'application
de dispositions nationales dans l'attente de la mise en oeuvre de la
procédure uniforme explicitement prévue par l'article 138 du
Traité de Rome.
· A la suite de l'adoption de cet Acte par le Conseil des
Communautés européennes, le Parlement français a
adopté une loi relative à l'élection des
représentants au Parlement européen, qui définit, dans ses
articles 3 et 4, le mode de scrutin applicable lors de ces élections.
Loi du 7 juillet 1977
Article 3
L'élection a lieu à la représentation
proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne, sans
panachage ni vote préférentiel.
Les sièges sont attribués aux candidats d'après l'ordre de
présentation sur chaque liste.
Les listes qui n'ont pas obtenu au moins 5 pour cent des suffrages
exprimés ne sont pas admises à répartition des
sièges.
Article 4
Le territoire de la République forme une
circonscription unique.
Dans le système mis en place en 1977, l'ensemble des électeurs
votent sur la base de listes nationales comportant chacune
nécessairement les noms de 87 candidats correspondant aux 87
sièges de parlementaires européens attribués à la
France (le nombre de parlementaires européens français,
fixé à 81 en 1976, a été modifié à la
suite de la réunification allemande pour atteindre 87).
La circonscription nationale unique comprend les électeurs de
métropole, mais également les électeurs des
départements et territoires d'outre-mer ainsi que les électeurs
des collectivités à statut spécial (Mayotte, Saint-Pierre
et Miquelon). Le mode de scrutin retenu est la représentation
proportionnelle, qui permet la représentation de l'ensemble des forces
politiques. L'attribution des sièges est faite selon la règle de
la plus forte moyenne, qui conduit à favoriser les listes ayant obtenu
le plus grand nombre de voix. En outre, la dispersion des voix est
atténuée par le seuil de 5% en dessous duquel aucune liste ne
peut obtenir de siège.
· Avant de formuler une appréciation sur le mode de scrutin
appliqué en France, il est intéressant d'évoquer les
solutions retenues par nos partenaires, dont les principales
caractéristiques sont résumées dans le tableau suivant :
LES MODES DE SCRUTIN AUX ÉLECTIONS
EUROPÉENNES
|
Nombre de députés |
Mode de scrutin |
Nombre de circonscriptions |
Allemagne |
99 |
Scrutin proportionnel sans vote préférentiel. Les partis ont la possibilité de présenter des listes soit au niveau fédéral (SPD, Libéraux, Verts), soit au niveau des 17 Länder (CDU-CSU) |
|
Autriche |
21 |
Représentation proportionnelle avec vote préférentiel |
1 |
Belgique |
25 |
Représentation proportionnelle avec vote préférentiel |
4 |
Danemark |
16 |
Représentation proportionnelle sans vote préférentiel |
1
|
Espagne |
64 |
Représentation proportionnelle sans vote préférentiel |
1 |
Finlande |
16 |
Représentation proportionnelle. Les partis ont la possibilité de présenter des listes soit au niveau national soit au niveau régional (pour les premières élections, tous les partis ont choisi le niveau national) |
|
France |
87 |
Représentation proportionnelle sans vote préférentiel |
1 |
Grèce |
25 |
Représentation proportionnelle sans vote préférentiel |
1 |
Irlande |
15 |
Représentation proportionnelle avec système du vote simple transférable* |
4 |
Italie |
87 |
Représentation proportionnelle avec vote préférentiel |
5 Le décompte des voix et la répartition des sièges se font au niveau national où s'établit le quorum déterminant le nombre de voix nécessaires à l'obtention des sièges |
Luxembourg |
6 |
Représentation proportionnelle avec vote préférentiel et panachage |
1 |
Pays-Bas |
31 |
Représentation proportionnelle avec vote préférentiel |
1 |
Portugal |
25 |
Représentation proportionnelle sans vote préférentiel |
1 |
Royaume-Uni |
87 |
Scrutin uninominal majoritaire à un tour (représentation proportionnelle avec système du vote simple transférable* en Irlande du Nord) |
84 (Grande-Bretagne)
|
Suède |
22 |
Représentation proportionnelle avec vote préférentiel et panachage |
1 |
*Les noms des candidats figurent par ordre alphabétique
sur le bulletin de vote. L'électeur vote pour un candidat et, en plus,
marque l'ordre de préférence des candidats auxquels doit aller sa
voix au cas où le candidat désigné en premier lieu aurait
déjà obtenu le nombre de voix nécessaire pour être
élu ou aurait été éliminé faute d'avoir
recueilli ce nombre de voix.
Parmi les pays de la Communauté, nombreux sont ceux qui ont
adopté le même système que la France. Ainsi, la
représentation proportionnelle dans une circonscription nationale unique
est appliqué en Autriche, au Danemark, en Espagne, en Grèce, au
Luxembourg, aux Pays-Bas, au Portugal et en Suède. Les systèmes
allemand et finlandais sont assez particuliers puisque les partis peuvent
choisir de présenter des listes soit au niveau national soit au niveau
régional (au niveau des Länder en Allemagne). La Grande-Bretagne
applique un scrutin uninominal majoritaire à un tour avec
découpage du territoire en 84 circonscriptions (3 des sièges du
Royaume-Uni sont réservés à l'Irlande du Nord qui applique
un mode de scrutin différent). Enfin, quelques Etats ont choisi de
découper leur territoire en circonscriptions : 4 en Belgique, 4 en
Irlande, 5 en Italie.
La représentation proportionnelle dans une circonscription unique est
donc la solution la plus communément retenue parmi les pays de l'Union
européenne.
B. APPRÉCIATION
Le mode de scrutin actuel a été appliqué
à quatre reprises, en 1979, en 1984, en 1989 et en 1994. La
participation en France lors de ces élections a été dans
l'ensemble assez peu élevée et a connu une évolution
négative malgré une légère remontée en 1994
(60,7% en 1979, 56,7% en 1984, 48,7% en 1989 et 52,7% en 1994).
A titre de comparaison, la participation a atteint en 1994 74,8% en Italie,
71,2% en Grèce, 60% en Allemagne, 59,1% en Espagne, mais 35,5% au
Portugal, 36% aux Pays-Bas et 36,4% au Royaume-Uni.
Le mode de scrutin actuel fait depuis longtemps l'objet de critiques fortes et
justifiées.
La première d'entre elles concerne le lien entre l'électeur et
l'élu. Le choix de la représentation proportionnelle dans une
circonscription unique conduit à éloigner considérablement
l'élu de ses électeurs. Les citoyens ont le choix entre des
listes comportant plusieurs dizaines de noms, qu'ils ne peuvent qu'accepter ou
refuser en bloc, sans qu'aucune individualisation du vote ne soit possible.
Dans ces conditions, la composition des listes de candidats est largement
l'apanage des organes dirigeants des partis politiques. Le système
actuel exclut toute possibilité de sanction par l'électeur
à l'issue du mandat et rend largement fictive la notion de
responsabilité de l'élu devant les citoyens. Dans ce
système, la réélection des parlementaires ne dépend
pas - ou fort peu - de leur action au sein du Parlement
européen.
Certains font valoir que ce mode de scrutin est responsable de
l'absentéisme des députés européens français
au sein du Parlement européen.
Une seconde critique est adressée au mode de scrutin actuel : il ne
permet pas une représentation équilibrée des composantes
du territoire français. Ainsi, parmi les personnalités
actuellement élues au Parlement européen, 27 sont originaires de
la région parisienne alors qu'aucun élu n'est originaire de
Picardie, de Lorraine ou d'Auvergne.
En revanche, la représentation proportionnelle dans le cadre de la
circonscription nationale a l'avantage de permettre la représentation de
l'ensemble des courants d'opinion français.
Surtout, les
élections européennes sont l'occasion d'un large débat
national sur les questions européennes, qui pourrait être moins
aisé à conduire avec un autre mode de scrutin.
Enfin, ce mode
de scrutin est d'une grande simplicité et s'adaptera sans aucune
difficulté à la diminution éventuelle du nombre de
sièges attribués à la France dans le cadre de
l'élargissement futur de l'Union européenne.
Le mode de scrutin pour les élections européennes fait l'objet
depuis plusieurs années de demandes de modifications, compte tenu de ses
inconvénients. Deux propositions de loi ont ainsi été
déposées en ce sens en 1988 et 1992(1(
*
)). En
1993, M. Edouard BALLADUR, alors
Premier ministre, avait envisagé l'hypothèse d'une modification
du mode de scrutin dans sa déclaration de politique
générale. M. Michel BARNIER, ministre
délégué chargé des Affaires européennes a
également évoqué cette éventualité devant la
Délégation du Sénat pour l'Union européenne en
estimant que
" une révision du mode d'élection des
membres français du Parlement européen pourrait les aider
à renforcer leur rôle au sein de cette Assemblée, le mode
de scrutin actuel favorisant un certain éparpillement " (2(
*
)).
Si une réforme devait intervenir avant les prochaines élections,
qui se dérouleront en juin 1999, il serait indispensable que la loi
électorale soit modifiée au cours de l'actuelle session
parlementaire qui s'achèvera en juin 1997. En effet, il sera très
difficile d'envisager une telle réforme à quelques mois des
élections législatives prévues en mars 1998 et encore plus
difficile de faire aboutir ce projet entre les élections
législatives et les élections européennes. Dans ce cadre,
votre rapporteur a donc souhaité étudier la manière dont
le mode de scrutin pourrait être modifié.