3.2 Les études de biologie fondamentale fournissent des indications intéressantes pour l'évaluation des effets des faibles doses
La nécessaire interaction entre épidémiologie et biologie fondamentale fait l'objet d'un consensus généralisé et rarement démenti. Elle est d'autant plus nécessaire que ces dernières années ont vu des progrès très significatifs dans les domaines de la biologie fondamentale qui intéressent l'étude des effets des rayonnements ionisants.
3.2.1 Les mécanismes moléculaires et biologiques de l'induction des cancers sont aujourd'hui mieux compris
1. Il est aujourd'hui définitivement acquis que l'ADN des noyaux cellulaires est la cible principale des rayonnements ionisants . De multiples études portant sur des systèmes de cellules in vitro montrent que les principaux effets nuisibles des rayonnements résident dans leur capacité à infliger des dommages à l'ADN :
- au niveau cellulaire il a été montré grâce à des irradiations sélectives par certains radioisotopes que c'est le noyau cellulaire qui contient les principales cibles déterminant la radiosensibilité de la cellule ;
- les dommages chromosomiques radioinduits peuvent être corrélés de façon quantitative à l'inactivation cellulaire et, dans une moindre mesure, aux mutations ;
- enfin, dans les lignées de mutants hautement radiosensibles (chez les cellules de mammifères en culture ou dans des micro-organismes), il existe une bonne corrélation entre la radiosensibilité et des déficiences génétiques affectant les processus cellulaires intervenant à l'occasion de dommages infligés à l'ADN.
Des techniques de micro-génétique d'efficacité croissante ont aussi permis d'établir des corrélations convaincantes entre le caractère carcinogène de certains agents physiques et chimiques et leur capacité à induire des mutations somatiques dans l'ADN.
L'oncogenèse apparaît ainsi résulter de mutations chromosomiques. Celles-ci peuvent être réparties en deux catégories :
- l'activation de proto-oncogènes : ces gènes ont pour fonction de favoriser les fonctions cellulaires liées à la croissance et la reproduction de la cellule ; ils sont actifs à des moments précis du cycle de vie cellulaire ; le rayonnement peut conduire à l'activation de ce type de gènes, c'est-à-dire à une mutation qui les amène soit à intervenir hors de la phase normale du cycle cellulaire, soit à exercer leur rôle de façon désordonnée ou excessive ; la cellule acquiert ainsi des caractères favorisant sa prolifération incontrôlée ; ces mutations ont un caractère dominant ; on les trouve principalement dans les leucémies ;
- l'inactivation de « gènes suppresseurs de tumeurs » : ces gènes ont pour fonction de réguler et maîtriser les phases de croissance et reproduction de la cellule ; le rayonnement peut avoir pour effet d'induire des mutations qui inhibent leur capacité à remplir leur fonction initiale ; ces mutations ont un caractère récessif ; on les trouve principalement dans les cancers solides.
Il semble que les dommages infligés aux gènes suppresseurs de tumeurs jouent un rôle plus important que les dommages infligés aux proto-oncogènes dans l'apparition effective des cancers. Dans les deux cas la cellule voit ses mécanismes de régulation ou de croissance perturbés, ce qui semble être aujourd'hui reconnu comme une des manifestations fondamentales des cancers au niveau cellulaire.
Dans cette optique, la première phase de l'induction d'un cancer radioinduit peut être considérée comme un processus dans lequel le rayonnement provoque de façon aléatoire un large éventail de dommages dans une population cellulaire donnée. Pour un ensemble spécifique de gènes (proto-oncogènes, gènes suppresseurs de tumeurs), ces dommages s'ils ne sont pas réparés de façon correcte peuvent induire un ensemble de mutations créant les conditions favorables au développement du processus d'oncogenèse.
Ces mutations ne sont pas spécifiques des rayonnements : il n'existe pas à l'heure actuelle de preuve ou même d'indication que les rayonnements ionisants auraient une « signature » chromosomique déterminée. Cette preuve existerait que cela poserait des problèmes de nature totalement différente : faudrait-il limiter l'embauche dans les métiers exposés aux rayonnements à des travailleurs « génétiquement corrects » ? Faudrait-il imposer des examens génétiques aux personnes victimes d'un cancer afin de déterminer si celui-ci peut être considéré comme une maladie professionnelle ? Pour l'instant la science n'a rien mis en évidence de façon sérieuse qui permette de s'orienter vers des difficultés de cette nature.
Il faut enfin noter que certaines étapes ultérieures du processus d'oncogenèse semblent elles aussi soumises à des effets des rayonnements ionisants. En particulier la capacité du système immunitaire à repérer et détruire les cellules mutées et potentiellement cancéreuses est diminuée par une exposition (généralement une exposition au corps entier). Ce phénomène est d'ailleurs mis à profit en matière de greffes d'organe : une irradiation du sujet greffé diminue les défenses immunitaires et facilité l'acceptation du greffon par le receveur.
2. Les années récentes ont vu également des avancées très sensibles dans la connaissance des mécanismes de protection cellulaire . En effet l'ADN est soumis en permanence à des agressions dues à la présence d'espèces chimiques très réactives dans le milieu cellulaire. La survie de la cellule implique la mise en oeuvre de mécanismes tendant à contrecarrer ces agressions.
La protection contre l'agression s'exerce à trois niveaux (19 ( * )) . Une première ligne de défense, qui ressortit à la chimie, assure la protection des constituants élémentaires de la cellule contre les effets des dérivés actifs de l'oxygène :
- en limitant la diffusion des espèces chimiques à longue durée de vie, la compartimentation cellulaire des eucaryotes constitue un premier élément ;
- diverses enzymes régulent l'activité cellulaire et assurent l'élimination de certains radicaux libres ;
- certaines molécules fonctionnent comme des « pièges » à radicaux libres ;
- enfin toute molécule capable de « séquestrer » les ions métalliques contenus dans le milieu cellulaire limite leur rôle activateur.
Il faut noter que la connaissance des processus cellulaires de défense contre les radicaux libres a eu des conséquences bien concrètes. Elle a permis par exemple de développer, essentiellement depuis le début des années 90, des stratégies thérapeutiques pour le traitement de pathologies chroniques (maladies rhumatoïdes, maladies inflammatoires...).
Une deuxième ligne de protection ressortit à la biochimie et met en oeuvre un contrôle génétique de la réparation de l'ADN. L'importance de cette ligne de protection est attestée par l'existence de maladies humaines que l'on a montré être liées à un défaut de réparation. Ces syndromes se traduisent par une instabilité génétique accrue :
- dans la plupart des cas, les syndromes sont associés à une prédisposition accrue à l'apparition de cancers ;
- certains syndromes sont caractérisés par une hypersensibilité aux rayonnements ionisants (ataxie-télangiectasie, qui se manifeste par des troubles de l'équilibre, des déficits immunitaires ou des dilatations vasculaires permanentes dans les tissus conjonctifs), une hypersensibilité aux rayonnements ultraviolets (syndrome de COCKAYNE...) ou une modification de la réponse à certains agents chimiques (syndrome de BLOOM, anémie de FANCONI...)
- il est également connu qu'un certain nombre de cancers (colon, endomètre, ovaire) sont associés à des dysfonctionnements des systèmes de réparation ou de correction.
Les rayonnements ionisants, de même que les rayonnements ultraviolets, sont susceptibles d'induire plusieurs types d'altérations au niveau de l'ADN. Il peut s'agir : 1/ de transformations dans les espèces chimiques constitutives de l'ADN (modification, élimination, établissement de liaisons entre les deux brins de l'ADN...) ; 2/ de la cassure d'un des brins de l'ADN ; 3/ de la cassure simultanée des deux brins de l'ADN. Les deux premières altérations sont connues sous le nom de lésions ponctuelles, la troisième est simplement appelée cassure double brin. Les mécanismes de réparation associés à ces diverses altérations sont différents :
- pour les lésions ponctuelles, les mécanismes de réparation sont beaucoup mieux connus depuis quelques années ; il semble qu'ils soient quasiment toujours fidèles c'est-à-dire que la réparation ne conduit pas à une erreur dans la structure du gène réparé ; le fait que la lésion soit ponctuelle entraîne en effet la conservation de l'information génétique correcte sur le second fragment d'ADN, non touché par l'altération, ce qui permet la bonne reconstitution du brin lésé ; le rapport de l'Académie des sciences (1995) indique que l'efficacité de ces systèmes de réparation est plus grande chez l'homme que chez les rongeurs, animaux utilisés par ailleurs pour évaluer les effets des rayonnements ionisants ;
- pour les cassures double brin, la situation est plus délicate : il apparaît en effet que les mécanismes de réparation peuvent être fautifs ; ceci est compréhensible puisque les deux brins d'ADN étant coupés, il n'existe plus de référence permettant de « piloter » les systèmes de réparation d'ADN et d'obtenir la reconstitution à l'identique du double brin originel ; il est donc possible de voir apparaître des anomalies chromosomiques ; on ne connaît pas aujourd'hui de modèle général permettant de décrire le processus de recombinaison ; par ailleurs de nombreux travaux tendent à montrer qu'une hypersensibilité aux rayonnements ionisants est souvent liée à une carence dans les processus de réparation des cassures double brin.
La troisième ligne de défense met en jeu les mécanismes de régulation cellulaire. Les rayonnements ionisants ont un effet avéré sur les régulations transcriptionnelles. Rappelons que la transcription est l'opération par laquelle l'information génétique contenue dans l'ADN est transportée sur 1' « ARN messager » (acide ribonucléique) ; cet ARN est ensuite utilisé pour la fabrication des diverses protéines impliquées dans la vie de la cellule. L'exposition des cellules aux rayonnements ionisants est susceptible d'induire l'activation ou l'inactivation de certaines synthèses protéiques. Ces effets peuvent se situer à 3 stades :
- au niveau transcriptionnel directement : le rayonnement influe sur les séquences régulatrices de certains gènes contrôlant le mécanisme de transcription ;
- au niveau post-transcriptionnel : le rayonnement peut modifier l'activité des ARN messagers issus de la transcription ; ce mode de régulation n'a jusqu'à présent été mis en évidence que pour les transcriptions impliquant un gène appelé p53, qui joue au demeurant un rôle important dans les processus d'oncogenèse ;
- au niveau que j'appellerai post-post-transcriptionnel (20 ( * )) , c'est-à-dire sur la protéine synthétisée in fine : certaines enzymes régulatrices du fonctionnement cellulaire semblent être directement activées par les rayonnements ionisants.
De nombreux travaux suggèrent que l'initiation de la réponse transcriptionnelle au rayonnement ionisant se situe de façon préférentielle au niveau des lésions radioinduites de l'ADN. Cependant ces travaux ne permettent pas d'affirmer que les lésions d'ADN constituent un préalable nécessaire au déclenchement de la réponse.
Les effets transcriptionnels décrits ci-dessus ont des conséquences importantes sur le fonctionnement de la cellule. Ils se développent dans deux directions :
- la modification du déroulement du cycle cellulaire : la vie d'une cellule est bien typée et montre plusieurs phases conduisant de la quiescence (repos cellulaire) à la mitose (division en deux cellules filles) ; la préparation et le passage de chaque phase à la suivante implique la mise en oeuvre de protéines régulatrices ; sur la plupart des types cellulaires l'irradiation a pour effet de ralentir le cycle, ce qui favorise la mise en oeuvre des processus de réparation des lésions avant l'entrée en phase de division ;
- la mort cellulaire programmée (apoptose) permet d'éliminer certaines cellules « déviantes » ; il s'agit d'un processus intervenant à de multiples reprises dans la vie de l'individu, en particulier pour le développement embryonnaire, la maturation fonctionnelle de certains organes et la formation des systèmes immunitaires et nerveux ; on a mis en évidence sur certaines cellules une influence du rayonnement sur le déclenchement de l'apoptose, dont on commence à défricher les mécanismes intimes.
De façon générale et pour reprendre brièvement les considérations précédentes, il semble que, dans certaines conditions, les rayonnements ionisants induisent des mécanismes cellulaires réduisant la nocivité de ces rayonnements : ralentissement du cycle, mort programmée. Il faut cependant indiquer que la plupart des effets mentionnés ci-dessus n'interviennent que dans des conditions déterminées : le rapport du CEA indique en effet que "Les modifications de synthèses protéiques résultant d'une irradiation ont, le plus souvent, été mises en évidence à des doses relativement élevées, de l'ordre du Gray ou de la dizaine de Gray. Elles ont été généralement étudiées sur des lignées de cellules transformées ou cancéreuses dont les propriétés particulières rendent difficile toute élaboration d'un schéma physiologique général (FORNACE, 1992). Ces cellules présentent en effet des caractéristiques spécifiques dans l'accomplissement du cycle cellulaire, les processus de régulation et les systèmes de réparation. Selon les types cellulaires et les rayonnements, les fonctions affectées par les rayonnements ionisants diffèrent, ce qui reflète les différents types de réponses, en fonction des voies métaboliques affectées (métabolisme oxydatif, réparation de l'ADN)."
L'Académie des sciences a eu manifestement accès à des sources complémentaires d'information puisqu'elle pense pouvoir se passer de la prudence manifestée par la Direction des Sciences du Vivant du CEA. Elle omet par exemple de reprendre la réserve exprimée dans le rapport du CEA, selon laquelle pour les effets de contrôle du cycle cellulaire "chez les mammifères, la difficulté d'interprétation réside à nouveau dans le fait que la plupart des éludes portent sur des cellules immortalisées" (21 ( * )) (p. 71).
Par ailleurs l'Académie indique lorsqu'elle évoque les effets cellulaires des rayonnements ionisants que "L'organisme est capable de diminuer l'effet génotoxique des rayonnements ionisants : [...]" (p. 14), faisant ainsi une extrapolation vers l'organisme entier des résultats obtenus sur des cultures cellulaires. Cette extrapolation est-elle justifiée ? Je ne peux m'empêcher de me poser la question lorsque je lis dans le rapport du CEA que "Le type cellulaire, l'état de différenciation des cellules, le microenvironnement cellulaire constituent in vivo des paramètres déterminants de la radiosensibilité. Ces aspects, qui doivent faire l'objet d'efforts de recherche, sont à considérer avec la plus grande attention lorsque l'on tente d'établir des liens entre données moléculaires et réponses cellulaires ou tissulaires" appréciation formulée justement à propos des effets de régulation du cycle cellulaire (p. 72).
J'ai tenté de brosser ici un panorama complet mais simple des phénomènes impliqués par les rayonnements ionisants aux niveaux moléculaire et cellulaire. La science a accompli des progrès importants ces toutes dernières années, au point que par exemple la prestigieuse revue Science a élu « molécules de l'année 1994 » les molécules impliquées dans les processus de réparation des matériels génétiques.
Quelles peuvent être les répercussions de toutes ces avancées du savoir pour l'évaluation du risque radiologique ? Leur interprétation à cette fin est délicate en vérité car ces avancées ont eu pour objet de mettre en évidence des mécanismes qualitatifs plutôt que de préciser des mécanismes quantitatifs.
3.2.2 Les apports de la biologie fondamentale à l'évaluation quantitative du risque radiologique restent cependant difficiles à interpréter
Il serait vain d'attendre de la biologie fondamentale qu'elle puisse répondre un jour à la question essentielle : "quel est le niveau de risque associé à une dose donnée ?" L'ensemble des considérations que j'ai développées dans les paragraphes précédents, ainsi que les appréciations que j'ai pu recueillir auprès de multiples personnalités (22 ( * )) montrent que la capacité quantitative des études radiobiologiques reste extrêmement limitée, pour ne pas dire quasi nulle. Or c'est bien d'une relation dose-effet, d'une détermination d'un ou de plusieurs coefficients de risque pertinents, qu'a besoin la radioprotection pour asseoir ses bases scientifiques.
En premier lieu la biologie fondamentale n'échappe pas à des difficultés pratiques dans le domaine des faibles doses. Comme pour l'épidémiologie les études se heurtent à des problèmes de sensibilité et de mesure des effets biologiques des rayonnements. Ce phénomène était rappelé par B. ESTEVE (C1RC) lors d'une réunion organisée le 21 juin 1995 à l'IPSN, malgré la féroce opposition de certains « partis », pour procéder à l'examen du rapport précité du NRPB commandé par l'IPSN. Je trouve une confirmation de cette appréciation dans le rapport de CEA/DSV, qui indique par exemple à propos des études sur les effets moléculaires et cellulaires : "La plupart des données expérimentales actuelles ont été obtenues à des doses supérieures à 0,5 Gy. Ces valeurs permettent d'induire une réponse cellulaire observable et d'analyser les mécanismes moléculaires mis en jeu. Elles sont toutefois éloignées des niveaux de faibles doses et faibles débits de doses, et il reste à préciser les relations entre dose et réponses cellulaires éventuelles pour des niveaux inférieurs à 0,5 Gy. Ces études supposent la mise en oeuvre d'outils d'investigation très fins pour détecter des événements rares et peu marqués (régulation d'activités enzymatiques, modulations de l'expression génétique). Un effort doit également porter sur les relations entre réponses moléculaires et cellulaires et débits de dose (la majorité des travaux ont été réalisés à des débits de dose supérieurs à 0,2-0,5 Gy.mn -1 ), ainsi que sur les aspects de fractionnement de la dose. " (p. 10)
En deuxième lieu, la complexité du mécanisme d'oncogenèse interdit aujourd'hui toute détermination quantitative du risque radiologique à partir de l'étude de ses mécanismes élémentaires. On s'accorde aujourd'hui à considérer que le mécanisme d'oncogenèse se déroule suivant plusieurs étapes :
- l' initiation peut être définie comme un événement cellulaire stable et irréversible, spontané ou résultant de l'exposition à un agent carcinogène, qui prédispose la cellule à une évolution tumorale ultérieure ; les paragraphes précédents ont montré que dans le cas de l'exposition aux rayonnements ionisants, ces événements initiateurs étaient des mutations de gènes spécifiques (activation de proto-oncogènes ou inactivation de gènes suppresseurs de tumeurs) ;
- la promotion est le processus par lequel les cellules initiées reçoivent un stimulus anormal de croissance et commencent à proliférer de façon semi-autonome ; cette prolifération semble découler à la fois de la perturbation interne des mécanismes régulateurs de la croissance et de la perte de certaines fonctions assurant une régulation intercellulaire collective ; au contraire des événements initiateurs, les effets promotionnels sont généralement réversibles et supposent la plupart du temps une exposition répétée, prolongée ou chronique à l'agent promoteur ; ils peuvent également résulter (mais dans une moins large mesure) de l'interaction avec d'autres mutations dans la même cellule ; le résultat net de la phase de promotion est l'accumulation clonale de cellules précancéreuses dans les tissus, qui peut conduire à des manifestations cliniques détectables (papillomes bénins, adénomes...) ;
- la conversion est la phase critique où les cellules précancéreuses acquièrent les caractères conduisant à l'état cancéreux ; ces changement sont supposés être provoqués par l'accumulation de nouvelles mutations dans le matériel génétique de ces cellules ; la question n'est pas encore tranchée de savoir si ces mutations sont la conséquence directe (mais tardive) des premières mutations survenues dans la phase d'initiation ou si elles découlent d'événements indépendants ;
- la progression maligne se manifeste par l'invasion des tissus, la colonisation du sang et du système lymphatique et l'établissement de foyers secondaires de tumeurs : les métastases ; il s'agit de la phase la plus complexe de l'oncogenèse.
Toutes les études évoquées au 3.2.1 sont relatives à la phase d'initiation seulement. Les autres phases sont beaucoup plus mal connues. Cependant il est largement considéré aujourd'hui que l'étape essentielle dans l'oncogenèse radioinduite se situe justement au niveau de l'initiation. En tout état de cause il me paraît difficile de déduire abruptement quelque conclusion sur le niveau du risque radiologique à partir d'études encore partielles relatives à la première étape seulement d'un processus complexe.
En dernier lieu, et de façon plus essentielle, l'approche « mécaniste » dont relèvent les études de biologie fondamentale s'accorde mal avec la nécessité de décrire, au niveau de l'organisme tout entier, cet effet aléatoire qu'est l'apparition d'un cancer ou son induction par les rayonnements. La précision et la finesse toujours plus grandes avec lesquelles sont décryptées les réalités de la nature en matière d'oncogenèse ne laissent pas de place -tout au moins dans la façon dont ces réalités sont exprimées par le langage de la biologie fondamentale- au hasard visible dans la répartition du risque au sein d'ensembles d'individus par ailleurs semblables.
En matière d'évaluation du risque radiologique, la biologie fondamentale permet surtout de mettre en évidence les mécanismes essentiels de l'oncogenèse : lésions, réparations, interactions intra- et intercellulaires... et de préciser leurs conditions de manifestation. En ce sens elle est parfaitement à même de fournir des informations importantes sur les conditions de validité des hypothèses (implicites ou explicites) sur lesquelles s'appuient les évaluations dérivées du risque dans le domaine des faibles doses, en particulier les formes de l'extrapolation.
Cependant les études épidémiologiques n'ont en aucune façon l'obligation de se reposer sur la compréhension des mécanismes de l'oncogenèse. On a parfois trop tendance à l'oublier lorsque sont évoqués leurs défauts dans le domaine des faibles doses. Les études épidémiologiques constituent un champ autonome d'investigation, même si leur interprétation est grandement facilitée par une concordance avec les informations tirées de la biologie fondamentale. Je regrette ainsi que certaines institutions prestigieuses appellent "données appliquées" les résultats issus des études épidémiologiques : ceux-ci ne sont pas plus « appliqués » que les résultats issus de la biologie fondamentale. Comme eux ils sont le produit d'un faisceau d'hypothèses, d'expériences et de mesures, ainsi que de l'interprétation qu'en donne le chercheur.
C'est un travers bien français de croire que la science expérimentale a plus de valeur que la science d'observation. C'est peut-être vrai au plan épistémologique, c'est certainement moins vrai dans la recherche quotidienne du progrès scientifique : il n'y a pas une discipline noble et une discipline roturière.
C'est véritablement à une intime complémentarité entre épidémiologie et biologie fondamentale qu'invitent les incertitudes multiples qui affectent l'une et l'autre de ces disciplines. Elles ne peuvent s'exclure mais ont encore du mal à s'articuler de façon pleinement efficace. Cette interaction est pourtant capitale car, comme l'indique l'UNSCEAR dans son rapport 1993, " il est également important de remarquer que, en sus de son rapport évident à la protection radiologique, la compréhension plus profonde mécanismes de l'oncogenèse radioinduite devrait contribuer de façon substantielle à la recherche fondamentale sur le cancer, un champ très actif et en plein développement dans lequel on cherche actuellement à accomplir des avancées spectaculaires. " Dans le paragraphe 204 de son annexe E (p. 588), l'UNSCEAR plaide d'ailleurs pour une meilleure intégration de la recherche sur l'oncogenèse radioinduite dans le champ toujours plus étendu de la biologie des cancers.
Les chemins de la connaissance scientifique sont tout à la fois prometteurs et difficiles. Qui peut prétendre aujourd'hui donner une réponse claire et définitive à ceux qui demandent des évaluations numériques précises du risque radiologique ? La multiplicité des études et des résultats, leur caractère souvent divergent et parfois contradictoire, démontrent à l'évidence qu'en ce domaine la « vérité » scientifique est construite plus que révélée.
C'est pourquoi la détermination des meilleures évaluations possibles ne peut se faire que dans un cadre international très large.
* 19 Les passages qui suivent sont inspirés d'un rapport établi par la Direction des Sciences du Vivant. Données récentes sur les effets biologiques des rayonnements ionisants. Données moléculaires et cellulaires. Données épidémiologiques CEA, janvier 1995 Ce document volumineux (près de 190 pages dont 40 pages de références bibliographiques) n'est pas d'un abord facile pour le néophyte on y apprend par exemple en p 45 que "D'autres glycosylases, responsables de l'élimination de différents types de bases modifiées, ont été décrits, tant chez les procaryotes que chez les eucaryotes suppression de l'uracile issue de la méthylation d'une cytosine, élimination des bases alkylées telles que la 3-méthyl-adénine ou les mélhyl-guanines. Élimination des purines à cycles ouverts comme les formamidopyrimidines (MICHAELS et al., 1992b)." Le lecteur sera immédiatement rassuré en apprenant dans la phrase suivante que "L'action de ces enzymes, qui clivent les liens N-glucosidiques, aboutit à la formation d'un site apurinique qui sera corrigé par les systèmes de correction des mesappartements et d'excision-resynthèse" La science est un langage universel mais pour quel univers ?
* 20 Il va de soi que ce néologisme personnel ne fait pas partie du vocabulaire scientifique.
* 21 Les cellules "immortalisées" sont caractérisées par une capacité de croissance indéfinie II convient de noter à cet égard que "l'immortalisation de cellules humaines sous l'effet d'une irradiation (dose initiale de 26 Gy délivrée en 4 heures, suivie d'expositions brèves de 2 Gy n'a été observée qu'à une seule reprise, après quatre ans de traitement [...] À cette exception près, un processus complet d'immortalisation-transformation n'a jamais été obtenu avec des cellules humaines sous le seul effet des radiations" (rapport CEA/DSV, janvier 1995, p 74 ).
* 22 Le terme d'expert semble avoir mauvaise presse aujourd'hui.