B. L'ACCEPTABILITÉ DES SOLUTIONS RETENUES REQUIERT DE PLUS AMPLES EFFORTS PARTAGÉS

Levons immédiatement une ambiguïté qui pourrait avoir des répercussions regrettables. Lorsque je parle d' « acceptabilité », il n'est pas question pour moi de faire allusion à une quelconque « recette » destinée à faire avaler au bon peuple la solution concoctée par « Les Experts ». Il ne s'agit pas présenter dans un bel enrobage de communication des choix « verrouillés » par ailleurs... qui ne sont donc plus des choix au moins pour certains !

En parlant d'acceptabilité, je ne souhaite pas non plus évoquer ces sortes de consensus mous qui émergent de la conjonction malheureuse entre un débat mal défini et une volonté politique défaillante. L'acceptabilité n'est pas la fille du renoncement ou de l'abandon. Elle résulte de la reconnaissance par chacun de la légitimité de tous les autres, de la clarté des discours et des procédures, enfin de la capacité de décider après le temps de la discussion.

En matière de gestion des résidus miniers, elle résultera aussi du renforcement des assurances qui doivent être recherchées sur le plus long terme.

1. DES ASSURANCES RAISONNABLES DOIVENT ÊTRE RECHERCHÉES SUR LE PLUS LONG TERME.

1.1 Un confinement adéquat des radionucléides est le critère majeur de la performance

Le principe de base de la sûreté d'une installation à caractère nucléaire, quel que soit son statut juridique, est la mise en place de mécanismes visant à prévenir la dispersion accidentelle des substances radioactives et à contrôler strictement les modalités de leur rejet volontaire dans l'environnement. Le fonctionnement normal d'une telle installation exige donc la réalisation d'un arbitrage subtil entre confinement et dispersion. Le stockage des résidus de l'extraction et du traitement des minerais d'uranium ne peut déroger à cette règle générale.

1.1.1 La qualité du confinement dans les stockages actuels de résidus suscite des inquiétudes pas toujours injustifiées

Il ne semble pas exister de réelle polémique sur l'efficacité des couvertures destinées. à faire barrière aux émanations de radon. Lors de l'audition du 16 novembre 1995 il y a bien eu une petite « passe d'armes » entre F. ROLLINGER et J.P. PFIFFELMANN : le premier estimait que "les couvertures proposées par COGEMA semblent assez pauvres par rapport à ce qui peut se faire dans d'autres endroits et par rapport à ce qui est fait au Bouchet. On peut se demander quels sont les objectifs. " Le second répliquait que "nos couvertures ne sont pas faites n'importe comment : elles ont divers objectifs et sont appuyées pour leur composition au moment de leur réalisation sur le résultat de planches d'essais [...] dont les résultats peuvent être analysés et contrôlés, Là non plus il ne s'agit pas de faire n'importe quoi." De son côté C. DEVILLERS, Directeur délégué de l'IPSN pour les déchets radioactifs, estimait en début de séance que "pour ce qui est de l'aspect migration du radon, c'est une question de maintien de l'humidité d e la couverture et d'épaisseur de cette couverture. Il y a des données objectiv es qui permettent d'avoir une certaine confiance dans les dispositions que la COGEMAenvisage. "

Lors de ma visite en Limousin, COGEMA m'a effectivement indiqué que, si elle estime avoir mis en place une gestion du risque « air » assez efficace, la protection contre le risque « eau » est nettement plus fragile. Les principales faiblesses techniques sont la connaissance insuffisante de la circulation des eaux souterraines (particulièrement pour les eaux profondes des massifs granitiques très fracturés), l'acidité naturelle des minerais, l'acidité résiduelle des résidus, la présence d'autres charges polluantes tout aussi gênantes voire plus dangereuses que les radioéléments dissous. Ces faiblesses sont d'autant plus fortes que l'écoulement du temps accroît les incertitudes.

Il est vrai qu'il existe un décalage entre la politique de confinement des particules de résidus et la politique de confinement des radionucléides contenus dans ces particules. Autant on cherche à minimiser le second terme, autant on gère avec souplesse le premier terme. Les résidus sont le plus souvent déposés à même le sol, sans protection artificielle spéciale (membrane étanche...).

Cela peut parfois conduire à des surprises désagréables. Je me suis étonné lors de ma visite aux installations de Jouac, de voir en aval de la digue ceinturant un bassin de résidus quelques grandes flaques et mares teintées de la couleur rouge brique caractéristique des résidus. Mes interlocuteurs m'ont alors informé (confessé ?) que la digue étant constituée de stériles n'a pas de coeur étanche. De fortes précipitations en 1993 ont entraîné une infiltration des particules les plus fines à travers la digue, qui se sont répandues à l'extérieur du bassin de stockage. Un curage des lieux était prévu pour l'été 1995, après ma visite. Cet incident a amené l'exploitant à mettre en place au pied intérieur de la digue un « masque » de granulats fins destiné à empêcher toute nouvelle

La dispersion de résidus peut donner lieu à des accrochages plus sérieux. Dans son étude précitée sur l'impact radioécologique des activités de la division minière de La Crouzille, la CRII-RAD a pu pénétrer dans certaines galeries des travaux miniers souterrains situés au-dessous de la mine à ciel ouvert de Bellezane. Elle y a prélevé un échantillon de boues de décantation. "En surface, la mine à ciel ouvert recueille les résidus de lixiviation produits par l'usine S1MO de Bessines. Les boues prélevées dans la galerie correspondent, ceci a été confirmé par Cogema, à la « décantation des eaux de drainage » des résidus stockés dans la MCO 105. Les résidus stockés en surface se trouvent donc ainsi en communication avec les galeries souterraines. L'analyse de ces échantillon permettra donc d'obtenir des informations sur le degré d'étanchéité du stockage des résidus en mine à ciel ouvert situé en surface et sur les risques de contamination des eaux souterraines." (117 ( * ))

Avec la pugnacité qu'on lui connaît, Mme RIVASI est revenue sur cette délicate question lors de l'audition du 16 novembre 1995. "On nous parle de confinement ; en quoi y a-t-il confinement quand vous mettez cela dans des mines d'uranium avec des galeries souterraines en-dessous ? Je demande à M. KALUZNY S `il accepterait que ce soit considéré comme un site de stockage. Il y a des fissurations, des galeries et une présence d'eau. On est dans une configuration qui n'offre pas les garanties de confinement. On ne peut absolument pas parler de confinement. [...] Qu'en est-il des migrations souterraines ? Quand la CRII-RAD a fait des expertises on a retrouvé des résidus dans les galeries : cela passait déjà !"

COGEMA ne nie pas la possibilité de dispersion souterraine de particules issues des résidus : "Il est évident que si l'on souhaite un confinement parfait dans une mine à ciel ouvert [...] on trouvera toujours à me dire qu'il y a des fractures par lesquelles cela peu s'enfuir ou migrer. " En revanche COGEMA estime qu'il ne faut pas confondre cette dispersion des grains de matière et la dispersion des radionucléides par dissolution dans les eaux souterraines. Pour limiter ces « fuites » ou « migrations », plusieurs moyens sont susceptibles d'être mise en oeuvre :

- tout d'abord une bonne barrière radon participe de la protection contre l'infiltration des eaux météoriques, donc réduit le potentiel de dispersion et de lixiviation des résidus ;

- ensuite les stockages de résidus sont généralement ceints de réseaux de drainage qui d'une part recueillent les eaux ruisselant sur la surface du stockage, d'autre part évitent des infiltrations par leur base ;

- pour les MCO utilisées comme stockages, la constitution d'un réseau de drainage efficace est plus délicate et la présence de fractures nombreuses en fond de mine et sur les parois est une évidence ; la solution consiste à placer en fond de mine et en « tapis » contre les parois une couche de matériaux forte perméabilité ; ces matériaux accélèrent la circulation périphérique des eaux ayant pu s'infiltrer par ailleurs et limitent donc la possibilité pour ces eaux d'entrer dans le coeur du stockage ; le fond de la mine peut également être percé de drains qui évacueront vers les profondeurs de la terre les eaux drainées par cet « entonnoir » périphérique ; on peut dire que l'exploitant cherche à mettre en oeuvre un « confinement dynamique » autour de ses résidus ; ce confinement ne peut jamais être totalement efficace puisque le drain périphérique est justement très peu étanche.

Cela ne veut pas dire pour autant que tout risque de contamination des eaux soit écarté. En Thüringe, les bassins de stockage de Culmitzsch et Trünzig sont séparés par une petite vallée. La percolation des eaux à travers les digues respectives de ces deux bassins provoque la contamination des résurgences apparaissant dans la vallée. Par ailleurs, si autour de Ronneburg certains terrils ont pu être réhabilités sur place grâce à une géologie et une charge polluante favorables, il n'en a pas été de même pour le terril de Gessenhalde : rassemblant des minerais ayant subi une lixiviation en tas, il était potentiellement si polluant que WISMUT a décidé de déplacer l'ensemble du terril vers un lieu de stockage plus adapté. Les habitants d'un village situé à une centaine de mètres étaient susceptibles de recevoir une exposition significative en cas d'inaction. À la date de ma visite restaient encore à enlever près de 500 000 m 3 de matériaux. Pour une raison que je ne connais pas WISMUT a décidé de réhabiliter sur place le terril de Nordhalde, en même temps que la MCO associée. Les eaux de percolation sont recueillies par un système de drainage. Leur forte acidité (pH 2,4) et leur forte teneur en éléments polluants (sulfates, chlorures, oxydes de fer...) ont amené l'exploitant à « neutraliser » ces eaux par une aspersion sur des surfaces couvertes de cendres d'incinération. Le pH remonte a une valeur plus acceptable (5 à 6) et divers éléments précipitent et peuvent être isolés : uranium, fer, magnésium, calcium...

Dans tous les pays, dans tous les sites, l'opérateur des installations de concentration de l'uranium doit procéder à un traitement de ses eaux. J'ai évoqué plus haut les obligations posées par le décret 90-222 en matière de concentration en radium soluble. Des existences similaires sont naturellement imposées par les autorités nationales des autres pays. C'est la preuve - mais en fallait-il vraiment une ? - que les eaux percolant à travers les résidus se chargent, même en quantités minimes parfois, de substances radioactives que l'on doit gérer.

1.1.2 Le noyage des mines peut provoquer des pollutions a priori temporaires

Un problème similaire doit être mentionné à propos du noyage des mines. Lors de mon passage en Limousin, les représentants de la FLEPNA m'ont fait part de leur inquiétude à propos du noyage des travaux miniers souterrains dans la région. Ils m'ont rapporté une pollution sérieuse survenue à l'Argentière (Hautes Alpes) due à une mine noyée, antérieurement exploitée par METALEUROP. Il est clair que cette opération est potentiellement inquiétante puisqu'elle conduit à supprimer le pompage des eaux d'exhaures et les traitements associés. J'ai cherché de plus amples renseignements, qui me conduisent à penser que si la situation de la mine noyée ne doit pas susciter de grandes inquiétudes, c'est bien l'opération de noyage en tant que telle qui est l'étape la plus délicate. Deux phénomènes se conjuguent : 1/ en présence d'air, des réactions d'oxydation peuvent se développer et conduire à la formation d'espèces solubles (par exemple transformation d'uranium valence 4 en uranium valence 6) ; 2/ l'oxydation peut également conduire à l'augmentation de l'acidité du milieu, qui favorise la solubilisation de certaines espèces chimiques (métaux...). Ces éléments seront entraînés dans l'eau souterraine lorsque celle-ci viendra baigner à nouveau les surfaces découvertes pendant l'exploitation de la mine. Au bout d'un certain temps cependant, la présence de l'eau empêchera la poursuite des réactions d'oxydation donc stoppera la solubilisation des éléments polluants. Le retour à un équilibre hydrologique amène normalement, à plus ou moins long terme, le retour de l'équilibre chimique.

J.P. PFIFFELMANN m'a communiqué une note décrivant les risques associés à la phase de remontée des eaux (118 ( * )) . Il me paraît intéressant d'en reproduire certains passages. "Le suivi de la qualité des eaux se fait en cours de remontée de celles-ci dans les TMS ainsi qu' `au point de rejet lorsque le site a atteint son équilibre hydrologique. Ce suivi est assuré grâce à des prélèvements effectués dans les travaux miniers, dans certains sondages ainsi que dans les piézomètres du site. Les enseignements que nous pouvons tirer des observations faites dans nos travaux sont les suivants :"

"- la qualité des eaux est extrêmement variable dans la période qui suit immédiatement l'arrêt de l'exhaure ; des teneurs élevées peuvent être observées pour les éléments tels que U, Ra et les métaux associés ;"

" - ces fortes teneurs correspondent aux prélèvements effectués dans des zones où les minéralisations sont présentes ; il s'agit d'un lessivage de la fraction minérale rendue mobilisable par l'action de l'oxydation lors de l'activité minière (U IV+ ? U VI+ ; Fe 2+ ? Fe 3+ ) ;"

"- la remise en saturation du milieu a comme principale conséquence une diminution de l'oxydation d'où une diminution voire une suppression du lessivage et le retour à l'équilibre hydrogéochimique ;"

"- il existe une véritable stratification des eaux dans les TMS noyées, comparable à ce qui a été observé dans les MCO noyées ; aucun mélange entre les différents types d'eaux n'a été observé ; l'alimentation des niveaux supérieurs des TMS se fait en grande partie par l'infiltration de l'eau de surface qui aura un pouvoir dilutif ;"

"- la surveillance du point de rejet (débordement correspondant généralement à d'anciens travaux miniers) montre une amélioration de la qualité des eaux comme cela est illustré par [les] exemples du Forez, de l'Écarpière et de La Commanderie."

À La Commanderie comme à l'Écarpière on constate effectivement que, en moyenne annuelle, la qualité radiologique des eaux prélevées après noyage est au moins égale si ce n'est supérieure à celle des eaux d'exhaures extraites pendant la période d'exploitation. Seraient-elles pour autant susceptibles d'un rejet sans traitement ?

Le noyage de travaux souterrains sera d'autant plus délicat à gérer que l'opérateur minier aura pu procéder à une lixiviation in situ au sein du gisement. C'est le cas par exemple de la mine de Königstein (Basse Saxe). Une configuration géologique particulière a amené WISMUT à pratiquer une lixiviation in situ par un procédé acide. 12 Mm 3 de minerai ont été soumis à ce traitement après avoir subi des explosions souterraines destinées à accroître leur perméabilité et la surface d'échanges minerai/acide. Les solutions acides chargées d'uranium étaient ensuite traitées à l'usine de Seelingstadt. Une seule ligne de production de cette usine reste actuellement en fonction pour achever le traitement des solutions résiduelles. 433 000 m 3 de ces solutions à 0,55 g.l -1 d'acide sulfurique circulent encore aujourd'hui entre les blocs ; 1,9 Mm 3 imprègnent par ailleurs les porosités de la roche.

Or les travaux miniers sont surmontés d'une nappe phréatique importante, qui contribue à l'alimentation en eau de villes proches comme Dresde. Le risque que de l'eau contaminée monte de la mine vers cette nappe est réel, à cause de multiples défauts tectoniques et de percements dus aux opérations minières. WISMUT a engagé un programme d'études significatif ainsi qu'une expérimentation de remontée d'eau afin de valider certaines hypothèses (printemps 1993-été 1994).

En France également on a procédé à des lixiviations in situ, comme par exemple du certaines portions des TMS effectués à l'Écarpière. Dans son Audit hydrogéologique du s ite minier de l'Écarpière, SGN note que "après 100 jours de remontée les concentrations ont nettement chuté, passant de 3 à 0,4 Bq.l -1 pour le radium et de 2 à moins de 0,2mg.l -1 pour l'uranium". SGN remarque cependant que compte tenu de l'équipement interne du point de mesure, "la représentativité des mesures réalisées en ce point est très faible". D'autres points fournissent cependant des valeurs plus pertinentes. En définitive, SGN estime que "à l'heure actuelle les concentrations en radium et uranium dans l'enceinte du site minier sont essentiellement liées : a) au bruit de fond naturel, lequel p eut être élevé dans un environnement uranifère ; b) à l'oxydation des zones enrichies pendant les phases d'exploitation favorisant une remobilisation des éléments en solution lorsque le milieu est de nouveau saturé ; c) à la lixiviation in situ réalisée dans certaines parties des TMS en phase d'exploitation. " Les graphiques portant sur trois points de mesure montrent qu'un paramètre chimique essentiel comme le pH reste pratiquement constant sur la période étudiée (juin 1992 à février 1994), de même que la concentration en uranium. SGN note cependant que les valeurs relevées en phase d'exploitation étaient souvent nettement supérieures (7 à 41 mg.l -1 pour l'uranium en 1981, par exemple).

Je ne pense pas que l'on puisse se passer du noyage des travaux miniers souterrains. L'exploitant devrait cependant afficher clairement le risque réel de pollution et convaincre que la seule garantie à long terme réside dans le rétablissement d'un équilibre chimique qui ne peut être réalisé qu'en supprimant les voies d'oxydation. Cette garantie à long terme doit impérativement être accompagnée de la seule garantie valable à court terme, à savoir la surveillance renforcée des cours d'eau et sources d'alimentation en eau potable, qui préserve les possibilités d'intervention en cas de dérive imprévue. Le risque semble être essentiellement transitoire, même si je ne peux à l'heure actuelle me faire une idée précise de la durée du transitoire. Malgré tout il me paraît important de démontrer, à l'administration mais surtout à la population locale, que la nuisance à court terme sera correctement gérée puisqu'elle ne peut être ni prévenue ni supprimée.

Malheureusement la capacité prévisionnelle de l'opérateur et la portée de cette, si nécessaire, surveillance sont singulièrement réduites lorsque les travaux miniers ont eu lieu dans des milieux géologiques fracturés, comme c'est le cas en Limousin. Le site minier de Lodève, bien que situé en milieu plutôt sédimentaire est lui aussi le lieu d'un "schéma hydrologique relativement complexe, avec des aquifères superposés, localement captifs, des failles jouant le rôle de drains ou d'écran, etc. L'état initial de ce système naturel a évidemment été perturbé par les vides créés par l'exploitation et par l'exhaure actuelle de la mine". COOEMA a engagé les démarches visant à clarifier certains phénomènes importants pour la gestion de la remontée des eaux, lorsque les installations minières de l'Hérault viendront à fermer dans les prochaines années. Cette étude sera conduite pendant 4 mois dans le cadre d'un mémoire de fin d'études par un élève de l'École des Mines de Paris. Elle est prévue pour s'achever en septembre 1996.

1.1.3 La meilleure connaissance du comportement de la source permettra peut-être de borner l'horizon temporel du traitement des eaux

On sait déjà que la mise en place d'une bonne barrière radon va par ailleurs limiter le potentiel d'infiltration des eaux météoriques dans le tas de résidus, limitant ainsi la lixiviation « naturelle » et les possibilités de mise en solution des radioéléments. On sait également dans quelle mesure le dépôt de tel ou tel type de matériau est susceptible d'aggraver ou de réduire le risque de contamination. On sait enfin l'importance des conditions chimiques dans la (re)mobilisation éventuelle des radionucléides. Il convient alors de concevoir le stockage de façon que le matériau concerné soit placé dans le contexte physico-chimique le plus favorable à l'objectif de protection.

Un tel principe est appliqué pour le remplissage de la mine à ciel ouvert de Lichtenberg (Thüringe), que j'ai déjà évoquée précédemment. WISMUT a entrepris de remplir la mine avec les stériles issus des nombreux puits d'extraction percés dans la région de Ronneburg. Ces minerais trop pauvres étaient entassés jusqu'ici en terrils dispersés. La MCO avait déjà été remblayée partiellement du temps de la RDA : d'une profondeur maximale de 240 m il ne restait plus qu'un peu plus de 100 m et 80 Mm 3 de vide contre 160 Mm 3 au maximum avant le début des travaux. WISMUT souhaite placer 90 Mm 3 sur 120 Mm 3 « disponibles » dans les terrils. La configuration finale du terrain fera donc ressortir une légère butte au-dessus de l'ancienne MCO.

Les stériles les plus riches en pyrites seront placés au fond de la mine, à une altitude toujours inférieure à celle du niveau minimum de la nappe phréatique. En effet, les pyrites s'oxydent en présence de l'oxygène de l'air pour donner de l'acide sulfurique, qui favorise la dissolution des métaux lourds. Une bonne protection est donc constituée par le « noyage » des matériaux. Un remplissage alternant une couche de 60 cm de matériaux compactés et une couche de chaux destinée à réduire l'acidité ambiante concourra également à la sûreté du stockage. Une deuxième zone de remplissage, située dans les altitudes où la nappe phréatique peut fluctuer de façon prévisible au cours des années, accueillera des matériaux relativement inertes. Une troisième zone, située au-dessus du niveau maximal de la nappe, accueillera des matériaux qui supportent mieux la présence d'oxygène de l'air. Le tout sera bien entendu surmonté d'une couche argileuse et d'une couche destinée à maintenir un degré d'humidité suffisant, l'ensemble devant avoir 3 à 5 m d'épaisseur. Enfin une couche de terre végétale permettra l'ensemencement d'espèces diverses et justifiera la destination finale prévue par WISMUT : l'ouverture d'un parc au public.

On voit ainsi que l'on peut gérer de façon prévisionnelle le potentiel de relâchement des radionucléides hors des matériaux stockés. Cette politique sera d'autant plus assurée que l'on aura des connaissances détaillées sur le comportement de la source des nuisances. Or si du point de vue de la radioactivité les résidus n'évoluent que d'une façon insignifiante, il n'en est pas de même du point de vue physico-chimique puisqu'ils se tassent en expulsant leur eau :

- le lessivage par l'eau interne peut entraîner des ségrégations entre les grains les plus fins et les grains grossiers ;

- les équilibres chimiques fortement perturbés par les réactifs d'extraction vont revenir progressivement à la normale, ce qui se traduira, pendant une phase transitoire, par des phénomènes de dissolution et de précipitation ainsi que par le rejet d'eaux de lixiviation à composition évolutive.

- ces deux phénomènes jouent sur les possibilités de migration en faisant également évoluer les perméabilités à l'eau et au gaz des matériaux constituant les résidus.

On ne peut plus se contenter de « l'expérience du mineur », qui montre que le radium est en fait un élément relativement peu soluble. Il faut des fondements scientifiques plus affirmés pour réduire l'incertitude du long terme. Confrontée à la montée prochaine des projets de réhabilitation des stockages, COGEMA s'est interrogée sur les besoins prévisibles en matière de R&D. Elle m'a indiqué lors de ma visite en Limousin que sa conclusion avait mis en avant la nécessité de progrès complémentaires : comment évoluent les stockages ? Comment peuvent-ils se comporter en tant que terme-source ?

En conséquence, le Service Environnement des Sites miniers (BU/SES) a engagé depuis 1993 plusieurs programmes d'études et recherches qui concernent toutes les étapes du réaménagement d'un site. Ces études sont prises en charge au plan financier par la Branche Uranium du groupe COGEMA. Une partie importante est pilotée par le SEPA (Service d'Études de Procédés et Analyses), qui rassemble aujourd'hui plus de 50 personnes et a développé - entre autres - de fortes capacités en métrologie depuis sa création il y a 14 ans. Les études sont parfois menées en collaboration avec des partenaires extérieurs : ENUSA (Espagne), Centre de Recherches et d'Études sur la Géologie de l'Uranium (Nancy), École des Mines de Paris, CNRS, ENSG (Nancy), universités (Paris, Montpellier, Limoges), etc.

Certaines de ces études sont intégrées dans le programme général de recherche et développement de la Branche Uranium :

- caractérisation des stockages (minéralogie, pétrographie, géochimie...) : une dizaine de sondages carottés dans les stockages ont été réalisés et analysés ; ils sont représentatifs des différents types de résidus de traitement, de stockage, de procédés de traitement, de contextes géologiques et métallogéniques et de minerais ; le résultat de ces caractérisation montre que les stockages évoluent au plan minéralogique et chimique, en particulier avec des phénomènes de recristallisation qui auront une grande influence sur la répartition des radionucléides et des métaux au sein du stockage ;

- localisation et spéciation des radioéléments (U, Ra, Th...) : la localisation chimique et minéralogique a montré une bonne corrélation entre la présence de ces radioéléments et celle des espèces minérales formées dans les résidus ; la spéciation précise est en cours d'étude ; elle nécessite la mise au point de moyens analytiques spécifiques, qui est en cours avec le CREGU (Nancy) ;

- transfert et mobilité des éléments : un programme test de lixiviation a été entrepris sur des résidus selon des procédures normalisées de l'AFNOR ; les premiers résultats montrent des comportements très différents entre les résidus « frais » et les résidus stockés depuis une plus longue durée ;

- caractérisation des boues résiduaires : ces boues proviennent du traitement des eaux faiblement chargées issues de 1' « auto-essorage » des résidus stockés ; elles font l'objet des mêmes tests que précédemment ; il apparaît que les boues issues du traitement par neutralisation avec ajout de BaCl 2 (119 ( * )) et décantation sont stables lorsqu'on les soumet aux tests de lixiviation ; COGEMA en conclut qu'on peut valablement, "sans risque pour l'environnement", les stocker dans les parties de mines souterraines non remblayées ; tous les types de boues générées sur les sites font l'objet d'études similaires ;

- limitation du transfert des éléments polluants par la voie « air » et la voie « eau » : plusieurs actions ressortissent de ce thème, dont la constitution de planches d'essai de recouvrement sur les sites (une thèse est en cours, en collaboration avec l'ENSG de Nancy, sur l'intérêt des couvertures multicouches) ; chaque site fait l'objet d'un audit hydrogéologique ayant pour objectif de définir un plan de gestion des eaux ; enfin la réalisation de sondages traversant les résidus et leur encaissant devrait permettre une meilleure caractérisation et une quantification des éventuelles circulations ainsi que du comportement des barrières géologiques naturelles ;

- des études radioécologiques sont conduites avec le Service d'Études et de Recherches sur les transferts dans l'environnement de l'IPSN, ainsi que des études limnologiques en collaboration avec l'Université de Limoges pour caractériser l'impact éventuel sur le peuplement aquatique des rivières.

D'autres études s'inscrivent dans le cadre de collaborations diverses sans le concours financier de COGEMA-Branche Uranium. Elles nécessitent cependant des interventions concernées sur certains des sites gérés par COGEMA-BU : 1/ études avec la Direction du Cycle du Combustible du CEA (irradiation des argiles au contact de l'uranium, altérabilité des bétons et fixation de l'uranium...) ; 2/ thèse de l'université de Paris et de l'université de Turin (équilibres chimiques eaux-minéraux) ; 3/ thèse de l'université de Montpellier (liaison entre la circulation des eaux et les contraintes actuelles dans le bassin de Lodève) avec ELF PRODUCTION.

Enfin un contrat de recherche communautaire a été signé en avril 1994 dans le cadre des programmes BRITE-EURAM (DG XII). Le budget du programme FISRAMUT ( Fixation and Stabilizaiion of Radionuclides and Heavy Metals in Uranium Tailings) est de 1,305 MÉcus sur 3 ans dont 50 % sont pris en charge par la CEE. FISRAMUT complète en les précisant les grands thèmes des programmes de R&D de COGEMA-BU et du partenaire espagnol ENUSA ; le CREGU intervient comme laboratoire de recherche.

Ces actions significatives peuvent être interprétées de diverses manières. On peut, comme le Pr. JAMMET lors de l'audition du 16 novembre 1995, adopter une attitude positive : "Quand on dit que la COGEMA fait des études et des recherches, il faut s'en féliciter puisque personne n'en fait par ailleurs ; c'est déjà bien que l'exploitant en fasse pour savoir ce qui se passe ! Nous devrions rendre hommage à la COGEMA [...] Elle l'a fait alors qu'on ne le lui demandait pas. " On peut également adopter une attitude beaucoup plus critique, comme Mme BENARD, représentant la fédération FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT, qui s'étonnait de l'intérêt soudain porté à l'évolution des résidus et se disait "surprise que l'on découvre tout d'un coup que ce type de dépôt évolue d'un point de vue géologique".

C'est que la portée réelle des recherches engagées par COGEMA ne concerne pas la gestion à court terme des eaux relâchées par les résidus. Pour cet horizon limité, l'« expérience du mineur » était largement suffisante, associée à un système de traitement des eaux. Il s'agit bien plutôt de savoir comment celles-ci vont évoluer à plus long terme, afin de fixer des bornes à l'horizon temporel du traitement. Celui ci est coûteux et il est de l'intérêt de l'exploitant, d'abord de définir la nature des installations et traitements à mettre en oeuvre, ensuite de prévoir pendant combien de temps les traitements seront nécessaires, enfin de limiter autant que possible la durée pendant laquelle il devra maintenir et financer ces installations.

En effet la sûreté du stockage et la sécurité des populations et de l'environnement sur le long terme doivent reposer de préférence sur des protections passives plutôt qu'actives. Dans cette perspective, l'objectif du « confinement » apporté par l'exploitant à ses résidus vise non pas à supprimer tout relâchement de radionucléides dans le milieu extérieur, mais seulement à réduire ces flux de façon à ce que les capacités de dilution de l'environnement assurent la protection radiologique des personnes. Cette protection doit être garantie durant toute la durée de la nuisance potentielle.

* 117 Voir Volume 1, Chapitre 2 « Évaluation du terme source », p. 33.

* 118 COGKMA - BU-SES, Méthodes d'évaluation de la remontée des eaux dans les travaux miniers souterrains et suivi de la qualité des eaux, 1996.

* 119 La neutralisation vise à supprimer l'acidité du rejet, l'ajout de BaCl 2 vise à extraire le radium dissous.

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