B. POUR LA RECONNAISSANCE DE L'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE GÉNÉRAL AU NIVEAU COMMUNAUTAIRE

Comme l'indiquait très récemment M. Christian STOFFAËS devant la Délégation pour l'Union européenne du Sénat ( ( * )5), après une période de forte hostilité à l'égard des services publics assimilés aux monopoles d'État, les institutions européennes semblent aujourd'hui un peu plus attentives à la nécessité de préserver certaines missions qui ne sont pas justifiées par la seule recherche de rentabilité. Cette reconnaissance est encore insuffisante et la France a, à cet égard, un rôle d'explication particulièrement important à jouer, dans la mesure où son modèle de service public est sans équivalent dans l'Union européenne.

1. Des progrès réels

Au cours des dernières années, une évolution a semblé se faire jour au niveau communautaire vers une meilleure prise en compte des missions d'intérêt général.


• Cette évolution a d'abord été jurisprudentielle et a notamment concerné le secteur postal. En 1993, la Cour de Justice des Communautés européennes a en effet rendu un arrêt Corbeau ( ( * )6) relatif au service public des Postes royales de Belgique. L'origine du litige résidait dans les poursuites engagées contre un opérateur privé fournissant un service de courrier accéléré dans la région de Liège, en contravention du monopole postal belge. Poursuivi, M. Paul Corbeau a estimé que le monopole était contraire aux articles 86 et 90 du Traité de Rome respectivement relatifs aux abus de position dominante et à l'application des règles de concurrence par les entreprises titulaires de droits exclusifs et spéciaux. Le juge national belge a alors posé à la Cour de Justice une question préjudicielle portant sur la compatibilité du monopole avec le Traité.

Le Traité lui-même prévoit dans son article 90 § 2 que les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général sont soumises aux règles de concurrence « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ». Cependant, jusqu'à l'arrêt Corbeau, la Cour faisait une interprétation très restrictive de cette dérogation en considérant qu'il fallait prouver que la concurrence mettait le service public dans l'impossibilité absolue de fonctionner.

Au contraire, dans cet arrêt, la Cour a estimé que la concurrence pouvait être limitée lorsque l'équilibre financier de l'entreprise chargée d'une mission d'intérêt économique général était menacé ou lorsque cette entreprise était empêchée d'exercer son activité selon la logique particulière du service public.

Un an plus tard, la Cour de Justice, à propos cette fois d'un monopole d'importation d'électricité, a précisé sa position dans un arrêt Commune d'Almelo ( ( * )7). Elle a en effet fait valoir que « l'article 90-2 ne s'oppose pas au monopole d'importation d'électricité dans la mesure où cette restriction de concurrence est nécessaire pour permettre à cette entreprise d'assurer sa mission d'intérêt général ».

Et la Cour a ajouté : « à cet égard, il faut tenir compte des conditions économiques dans lesquelles est placée l'entreprise, notamment des coûts qu'elle doit supporter et des réglementations, particulièrement en matière d'environnement, auxquelles elle est soumise ».

Si cette évolution jurisprudentielle est tout à fait positive, il ne faut néanmoins pas en surestimer la portée, dans la mesure où une jurisprudence peut défaire ce qu'une autre a fait. En outre, le principe selon lequel la concurrence ne doit pas porter atteinte à l'équilibre financier de l'entreprise chargée de missions d'intérêt général mérite d'être précisé. En effet, la mise en place d'un service privé dans une zone géographique bien déterminée ne remettra probablement pas en cause à elle seule cet équilibre financier. C'est la multiplication de ce type de situations qui risque de porter atteinte à la situation de l'opérateur chargé du service universel.


• La reconnaissance de la notion de service universel fait également partie des évolutions récentes. Comme on l'a dit plus haut, la Commission entend donner à ce service universel en matière postale une dimension assez ambitieuse. La mention dans un texte communautaire des principes d'universalité, d'égalité, de neutralité, de confidentialité, de continuité et d'adaptabilité, qui font partie du socle du service public en France, doit être saluée. Naturellement, ce service universel ne correspond pas exactement au service public français, issu d'une conception particulière du rôle de l'État, mais il est néanmoins un progrès par rapport à la volonté de libéralisation sans limites qui a pu s'affirmer à la fin des années 1980.

* (5) Audition du 30 novembre 1995, Bulletin des commissions n° 9 du samedi 2 décembre 1995.

* (6) C.J.C.E. 19 mai 1993, Paul Corbeau

* (7) C.J.C.E. 27 avril 1994, Commune d'Almelo. Aff. C 393/92

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page