IX. AUDITIONS DU MERCREDI 21 JUIN 1995
A. AUDITION DU PROFESSEUR JEAN-MICHEL ALEXANDRE, PRESIDENT DU COMITE DES SPECIALITÉS PHARMACEUTIQUES AU SEIN DE L'AGENCE EUROPÉENNE DU MÉDICAMENT, DIRECTEUR DE L'EVALUATION A L'AGENCE DU MÉDICAMENT
Professeur Jean-Michel ALEXANDRE - Sous ma direction, l'agence s'est impliquée dans ces recherches parce que nous avons estimé que les produits de thérapie génique sont des médicaments.
Au niveau européen, je préside, pour une durée de trois années, le comité des spécialités pharmaceutiques institué au sein de la nouvelle Agence européenne de Londres.
Le statut de la thérapie génique n'a jamais été abordé par ce comité pour deux raisons :
- Le comité des spécialités pharmaceutiques a une action essentiellement dévolue à l'enregistrement des médicaments et aux problèmes de pharmaco-vigilance.
Le comité des spécialités pharmaceutiques peut donner un avis sur tout problème de santé lié au médicament.
Dans la plupart des pays, mes collègues se préoccupent plus des autres aspects du médicament, des points d'enregistrement que de santé. La dimension recherche, investigation clinique, n'entre pas toujours dans le cadre de leurs compétences.
- Pour beaucoup, le problème semble être résolu. La thérapie génique est considérée comme ne pouvant être qu'un médicament.
D'ailleurs, un groupe de travail "biotechnologie-pharmacie" du précédent comité des spécialités pharmaceutiques, dont vous connaissez l'un de ses membres, M. Trouvin, a rédigé une recommandation sur les aspects qualitatifs de ce type particulier de médicament qui est à ranger dans l'arsenal des produits issus des biotechnologies.
Pour M. Sauer, que je représente, les choses sont claires. Ces médicaments seront examinés selon la procédure centralisée avec des AMM communautaires. L'AMM est valable dans tous les pays de la communauté. Le résumé des caractéristiques, la nature du conditionnement et l'étiquetage sont arrêtés, ainsi que le statut de délivrance. Aucune autorité nationale ne pourra intervenir sur ces produits après l'AMM communautaire.
Les problèmes liés à la thérapie cellulaire n'ont jamais été abordés au niveau communautaire et probablement méritent-ils de l'être.
Au plan français et personnel, étant profane dans ce domaine, j'ai essayé d'anticiper les questions que vous pourriez me posez.
Les produits issus de la thérapie génique sont-ils des médicaments ? Oui. Dans le cas contraire, que seraient-ils ? Je me réfère à un excellent travail de MM. Fischer et Cano. Ils écrivent que la thérapie génique est le transfert à des patients d'ADN recombinant contenant au moins un gène utilisé à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou comme marqueurs. Dans cette définition, l'ADN (ou ses fragments) est un médicament. Ceci est très proche de la définition de l'article L. 511.
Est-ce un dispositif médical ? Non. S'agit-il d'une greffe ? Non. On a un système de transfert qui peut être soit de l'ADN-nu, soit de l'ADN complexé, soit une cellule génétiquement modifiée -transgénique-, soit un vecteur viral. Il s'agit de produits de thérapie génique qui devraient être considérés comme des médicaments, qu'ils soient préparés à une échelle industrielle ou pour un individu. Ce qui fait un médicament, ce n'est pas la dimension de production. Un produit préparé spécifiquement pour un malade est un médicament. Je fais référence à l'article L. 513.
Il s'agit certes de médicaments particuliers à tout point de vue. Il y a l'aspect "organisme génétiquement modifié" qui confère à ces médicaments des caractéristiques particulières. Il existe en France des commissions spécifiques (génie génétique, génie biomoléculaire) qui traitent des problèmes de confinement et de dissémination.
On se rapproche des radio-pharmaceutiques. Avec ceux-ci, on a des médicaments qui ont une composante particulière posant problème (la radio-activité) et pour lesquels il est nécessaire d'avoir des agréments sur les lieux de production et d'utilisation, avec nécessité de certaines compétences des produits radioactifs, certains équipements et certains lieux pour la production, la préparation et l'administration. Pourtant, ce sont des médicaments.
Le parallèle peut être établi avec les produits de la thérapie génique en ce qui concerne le danger potentiel lié à la dissémination, la possibilité d'agrémenter par des structures indépendantes de celles du médicament.
S'agissant de médicaments, il faut voir dans toute la chaîne de ces produits les différents intervenants :
1) Tout d'abord la recherche : l'objectif, en France, est de ne pas bloquer la recherche, et notamment la recherche académique. Cet objectif est excellent, mais il ne faut pas faire dévier le système en donnant une autre définition.
2) La production : ce ne sont pas les chercheurs qui produisent même s'ils peuvent être impliqués dans des unités de production.
La production ne peut avoir lieu que dans des conditions parfaitement définies correspondant à celles d'un établissement pharmaceutique, avec des règles de bonnes pratiques de fabrication, la mise en place d'un contrôle de qualité.
Permettez-moi d'évoquer certains chercheurs qui, dans un centre INSERM, avaient produit une hormone de croissance d'origine extractive sur le coin d'une paillasse, entre deux expériences. Nous avons eu transmission de la maladie de Creuzweld-Jacob, associée à des conditions déplorables de production par des gens dont ce n'était pas le métier. Je ne dis pas que si les conditions avaient été drastiquement changées, ce drame n'aurait pas eu lieu mais je voudrais mettre en exergue le fait que dans les mêmes conditions d'environnement technique et scientifique, jamais un produit industriel n'a été impliqué.
3) Les manipulations et préparations : cela ressemble à ce qui peut exister pour les isotopes.
Une difficulté typiquement française porte sur le monopole pharmaceutique. Pour un lieu de production académique, il est obligatoire d'avoir un pharmacien et de placer ainsi toute la structure sous sa responsabilité. On va stériliser (p. 5 manuscrit) toute la recherche. Il faut certes une personne compétente. Cette compétence doit être définie par des spécialistes.
La France a dépassé le cadre des directives. La commission a demandé des comptes aux autorités françaises. Au cours de la discussion qui a conduit au texte communautaire, certains pays ont fait remarquer que le titre universitaire comptait moins que la compétence.
Je voudrais prendre un autre exemple, moins dramatique que celui des hormones de croissance : dans les arrière-cuisines des différents laboratoires, les chercheurs, qu'il ne fallait pas brimer et qui ne l'ont pas été, ont tous fabriqué des anticorps monoclonaux. Ce résultat a été dramatique quand il a fallu les utiliser en tant que médicament. Nous ne connaissions pas les conditions de fabrication. Quand elles ont été connues, les anticorps monoclonaux étaient impropres à une production industrielle. Il a fallu recommencer les essais. Ceci a fait perdre des années.
Dès le départ, il serait souhaitable que, sans brimer la recherche, on définisse des normes, conformes aux normes internationales.
Enfin, il y a l'étape des manipulations, des préparations à partir de cellules et des produits pharmaceutiques ; on se rapproche des radiopharmaceutiques avec un agrément.
4) Les lieux d'administration.
Ces différentes séquences doivent être séparées.
M. Claude HURIET - Je vous remercie.
Vous répondez avec des arguments très forts à certaines questions que je m'étais posées.
Si la thérapie génique est assimilable au médicament, peut-on cependant considérer que la procédure qui s'applique aux médicaments est applicable sans adaptation, en ce qui concerne notamment la recherche ?
En ce qui concerne la thérapie cellulaire, j'hésite encore.
Ne faudrait-il pas distinguer thérapie cellulaire et thérapie génique ? Ce qui vaut pour la théapie génique, vaut-il pour la thérapie cellulaire ?
Que pensez-vous de l'intervention des différentes commissions ?
Professeur Jean-Michel ALEXANDRE - Je connais moins le domaine de la thérapie cellulaire.
Je voudrais évoquer les médicaments utilisés pour les traitements ex-vivo, propres à la thérapie génique et spécifiques à la thérapie cellulaire. On prélève des cellules, que l'on traite et réinjecte. Ceci s'intègre à l'action d'un médicament agissant sur un organisme, une partie vivante de celui-ci. Il ne s'agit pas de mettre en contact, in vitro, un agent pharmacologique ou chimique, avec un autre composant ou une autre substance. Il s'agit d'une partie de l'organisme.
Il y a déjà eu des précédents avec l'interleukine II dans le cancer du rein. Nous avions deux modes d'administration : soit l'utilisation directe de l'interleukine, soit le traitement d'un certain nombre de lymphocytes (Lakcells) et leur réintroduction ceux-ci dans l'organisme. On avait un médicament qui était l'interleukine II et les discussions portaient sur le mode d'administration de ce médicament.
Il y a deux notions :
- en traitant des cellules prélevées de l'organisme, dans certaines conditions, on entre dans la catégorie du médicament. Peut-être faudrait-il le préciser dans la définition pour que ce soit plus clair au niveau communautaire ou mondial ;
- ceci correspond à un mode d'administration : le médicament n'est pas la cellule réinjectée mais le produit utilisé. Dans la thérapie cellulaire, des cellules sont prélevées sous certaines conditions. Des organismes ont vocation à veiller ces prélèvements (EFG).
Ensuite, il faut distinguer le prélèvement de ce qu'on en fait. Ce n'est pas parce que certains structures sont responsables du prélèvement, de la production et de la délivrance d'un certain nombre de cellules que pour autant le produit final doive être conservé dans la même structure.
Il y a quatre cas :
- quand les cellules sont prélevées, sélectionnées, triées sans être modifiées, on n'a pas affaire à un médicament ;
- quand on fait intervenir pour une sélection, un triage des anticorps monoclonaux, la production de ces anticoprs monoclonaux doit satisfaire aux caractéristiques de production pharmaceutique, même s'il ne s'agit pas de médicaments. Il s'agit d'un problème de santé publique. Au niveau communautaire, on peut trouver un précédent : ont été considérés comme produits issus des biotechnologies les facteurs VIII préparés à partir du sang, immunopurifiés parce qu'on utilisait un anticorps monoclonal qui pouvait, par ses impuretés, totalement modifier le niveau de sécurité.
Tout ce qui est immuno-purifié par des anticorps monoclonaux est considéré comme de la biotechnologie par la commission. Je ne suis pas sûr que cette interprétation soit bonne. Par contre, les anticorps monoclonaux utilisés comme agent de sélection doivent présenter obligatoirement des critères de qualité qui s'apparentent à ceux du médicament.
Je verrai bien cela dans le cadre des dispositifs médicaux avec nécessité d'adjoindre des agents qui ne sont pas des médicaments.
- Quand on traite une cellule par l'interleukine II, l'interleukine II est un médicament. On a une cellule modifiée avec un agent pharmacologique qui est un médicament, avec une manipulation préalable dans des conditions qui doivent être définies.
- Quand on modifie les cellules génétiquement, on retombe dans la thérapie génique.
Vous m'avez interrogé sur les structures, les procédures : un arrêté du 9 mai a créé une commission de thérapie génique.
Il existait déjà depuis un certain nombre d'années une unité d'études cliniques "loi Huriet", avec un sous-groupe de recherche biomédicale. Dans le cadre de la loi Huriet, les essais sur les produits de thérapie génique sont déclarés dans les conditions habituelles, soumis à examen avec une déclaration d'intention. Il est possible à tout moment, d'arrêter une étude ou de la suspendre.
Il existe depuis des années un groupe de sécurité virale, mis en place par M. Dangoumeau, qui intervient dès que l'on aborde un produit d'origine biologique, aussi bien dans le cadre des essais que dans le cadre des produits soumis à AMM. Ce groupe s'est constitué autour de la biologie et de la biotechnologie. Il est composé d'une dizaine d'experts virologues qui ont été en charge des problèmes de sécurité virale y compris ceux des dispositifs médicaux. L'AFS a constitué son groupe de sécurité virale. Un certain nombre de virologistes font partie des deux groupes.
La nouvelle commission, composée de 15 membres, a pour but de mettre sous le même chapeau et de coordonner les activités relatives à la sécurité virale, à l'investigation clinique et plus tard à l'AMM. Elle a également pour but de préparer les orientations ou les décisions en matière de recherche biomédicale et de donner un avis sur toute question posée par le directeur général de l'Agence. Elle se doit de travailler en coordination avec les autres structures et notamment les commissions de génie génétique et de génie biomoléculaire.
Il avait été envisagé que cette commission puisse servir de base à une intercommission. Cela n'a pas été réalisé. Des ministères s'y sont opposés. Quelle que soit l'issue du débat, il faut établir un lien entre les différentes structures. Tout le monde est d'accord pour avoir une structure d'accueil, de suivi des problèmes. Chacune des commissions pré-existantes garde ses propres attributions.
Pour la thérapie génique et certains produits de la thérapie cellulaire, un groupe informel multidisciplinaire se réunit périodiquement pour élaborer un dossier de demande commun afin de faciliter la tâche des producteurs de produits de la thérapie génique.
L'ensemble des dossiers est examiné au plan des différents risques à la fois par le groupe de sécurité virale et par ce groupe multidisciplinaire.
L'accent doit être mis sur les risques et la nécessité d'un suivi par une tutelle de ces essais. Ceci nous amène à la possibilité voire la nécessité, d'introduire, comme aux USA (IND) ou la Grande-Bretagne (CTX), une véritable autorisation.
Certains pays ont un système déclaratif (quelques pays ont prévu une possibilité de réagir après déclaration et de bloquer le dossier), d'autres un système d'autorisation.
L'autorisation sera introduite dans la réglementation européenne. Nous y réfléchissons.
Une autorisation préalable devra s'imposer pour les médicaments les plus à risque, et notamment ceux de thérapie génique dont les risques sont multiples. Nous avons la possibilié d'évaluer un essai : à tout moment, on peut suspendre ou arrêter un essai. Il vaudrait mieux adresser le message qu'aucune étude clinique ne doit démarrer avant d'avoir reçu l'autorisation. Les risques sont connus de tous : virologiques, les problèmes de mutation, d'onchogénèse, de diffusion dans l'organisme en dehors de l'organe cible.
L'instance mise en place serait une commission de contrôle mais également de conseil.
M. Claude HURIET - La législation actuelle est-elle adaptée ?
Professeur Jean-Michel ALEXANDRE - Je préfère signaler les risques plutôt que de dire que les textes doivent être maintenus ou adoptés. Je n'ai pas de compétence en ce domaine.
L'une des questions est de savoir si la définition du médicament est suffisamment explicite et s'il ne convient pas, au niveau français et communautaire, de préciser quelque part qu'il y a des médicaments destinés à un traitement in vivo et d'autres ex vivo.
Je ne suis pas sûr qu'il faille modifier l'article L. 511 ?
Il conviendrait probablement de modifier l'article L. 511-1 qu'énumère ce que sont les différents médicaments. On pourrait introduire ce qui serait nécessaire en terme de thérapie cellulaire et de thérapie génique ; qu'il s'agisse de produits industriels fabriqués sur une large échelle ou de produits pharmaceutiques, de médicaments préparés pour un seul individu.
Il serait peut-être utile d'examiner l'opportunité d'une autorisation pour procéder à des essais et de permettre à la commission de thérapie génique de les suivre au fur et à mesure. Ceci donnerait une meilleure assise à l'arrêté du 9 mai.
L'enjeu n'est pas de savoir s'il faut un arrêté, un décret ou plus mais s'il faut une telle structure, ce que doit être sa composition et son rôle. Une coordination précise et ordonnancée entre les différentes structures est indispensable.
Qui donnera l'agrément ? A quoi ? Sur ce point, je vous renvoie aux radio-pharmaceutiques.
Il faut réfléchir à une adaptation du texte sur les lieux de production. Je ne suis pas sûr que cela soit possible ni souhaitable. Il existe des règles internationales à respecter.
M. Olivier AMÉDÉE-MANESME - Si la législation française prévoyait que la thérapie génique et la thérapie cellulaire sont des médicaments, ils passeraient sous procédure centralisée européenne. La France serait l'initiatrice d'un mouvement que les autres pays devraient suivre.
Professeur Jean-Michel ALEXANDRE - Les produits de thérapie génique et certains produits de thérapie cellulaire sont des médicaments. Pour la thérapie génique, les produits correspondent à des médicaments issus des biotechnologies. Ce n'est pas le cas d'un certain nombre de produits de thérapie cellulaire. On ne peut pas modifier, au niveau national, la définition du médicament. Peut-être pourrait-on donner une interprétation ?
Aux Pays-Bas, en Allemagne, en Grande-Bretagne, ces produits sont examinés selon la filière du médicament. La question n'a pas été abordée. A tort ou à raison, elle a été tranchée d'emblée.
Mme Marie-Paule SERRE - Est-il possible d'introduire en France une autorisation d'essais cliniques pour certains types de produits uniquement ou cela ne devrait-il pas s'inscrire dans un cadre plus général.
N'y a-t-il pas un risque de discrimination entre certains produits ?
Professeur Jean-Michel ALEXANDRE - Cela m'est égal. Il faudra du temps et des moyens pour mettre en place ce système. Il faut une préparation du dispositif pour qu'il soit efficace et souple.
Il ne doit pas être un obstacle, une perte de temps.
Il y a là un problème de sécurité sanitaire. Ces produits sont à haut risque. Très souvent, il y a des chercheurs à la clef. On a quelquefois du mal à être juge et partie prenante. Certains situations sont et peuvent être préoccupantes. Si les intéressés ont en face d'eux des interlocuteurs compétents, d'approche multidisciplinaire, animés par la volonté de construire dans de bonnes conditions et non de détruire, ils réagiront de manière positive.