B. MALGRE DES POLITIQUES PUBLIQUES TARDIVES, NOTRE PAYS EST BIEN PLACE DANS CE QUI EST EN PASSE DE CONSTITUER UNE « RÉVOLUTION THÉRAPEUTIQUE »
1. Une révolution thérapeutique
Avec les thérapies génique et cellulaire, les frontières auparavant bien établies entre les greffes, le médicament et la transfusion s'estompent pour donner naissance à une véritable révolution thérapeutique. Le médicament, c'est-à-dire, en droit, une « substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives » ou un « produit pouvant être administré (...) en vue d'établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier des fonctions organiques » cherche désormais à utiliser le vivant.
Il faut donc, lorsque l'on examine ce sujet, faire un effort pour essayer de dépasser les catégories traditionnelles pour tenter d'appréhender les thérapeutiques de demain.
Cet effort d'adaptation doit permettre d'éviter toute « crispation » quant au régime juridique choisi pour les produits de thérapies génique et cellulaire.
Cet effort, le Comité consultatif national d'éthique l'a accompli.
Dans un premier avis rendu le 13 décembre 1990, le comité considérait que « l'éventuelle application d'une thérapie génique de cellules somatiques chez un sujet malade n'est pas fondamentalement différente de la greffe d'organes, de moëlle en particulier ».
Il recommandait alors que cette thérapie soit exclusivement réservée à « la correction d'un défaut génétique spécifique conduisant à une pathologie grave », c'est-à-dire aux « maladies résultant d'une anomalie concernant un seul gène (maladies monogéniques) ».
A l'époque où cet avis a été rendu, les essais de thérapie génique venaient de commencer et étaient surtout pratiqués ex vivo .
Un nouvel avis a été rendu par le comité le 22 juin 1993. Il considère désormais que « la thérapie génique somatique peut être définie comme l'utilisation de gènes en tant que médicaments ».
Evoquant la restriction initiale des thérapies géniques aux techniques ex vivo , il prend désormais en considération le fait que « de nombreuses maladies ne pourraient être traitées par une telle approche d'autogreffe de cellules génétiquement modifiées ex vivo, car les cellules à atteindre dans ces cas sont disséminées dans tout le corps, ne peuvent être prélevées et (ou) cultivées. Seul l'apport du gène thérapeutique directement dans l'organisme ( in vivo ) serait alors possible, utilisant des vecteurs viraux ou inertes ».
Le comité souhaite désormais que le champ de la thérapie génique soit réservé aux « malades atteints d'une affection sans traitement efficace disponible et de pronostic suffisamment grave pour justifier les risques potentiels encourus de par l'application d'un traitement encore largement expérimental ». Ce faisant, il élargit ainsi considérablement le champ d'investigation des essais, qu'il avait en 1990 restreint aux seules maladies monogéniques.
2. La France est bien placée dans la recherche internationale
Les recherches sur les thérapies génique et cellulaire sont déjà bien engagées dans le monde et, en particulier, en France.
L'étude Pharmaproject montre que dans l'industrie pharmaceutique mondiale, la thérapie génique arrive en 20ème place dans les domaines thérapeutiques visés par les projets de recherche. Avec 122 projets en 1995. elle gagne 20 places en une seule année (la thérapie génique était 40ème en 1994), le nombre de projets ayant augmenté de près de 50 % en un an.
Grâce notamment à l'effort exceptionnel accompli par des associations de malades qui ont fait appel à la générosité publique et à la qualité des chercheurs français intervenant sur le déchiffrage du génome humain, le travail des chercheurs en thérapie génique a été vivement encouragé.
D'après le rapport élaboré par MM. Cano et Fisher, une cinquantaine de laboratoires -qu'ils appartiennent aux organismes de recherche publique ou qu'ils exercent dans des établissements de santé- et deux industriels -Rhône Poulenc Rorer et Transgène- sont particulièrement impliqués dans cette recherche. Elle est très active en vectorologie.
De nombreux essais cliniques sont en préparation ou déjà en cours : le même rapport indique que 15 dossiers ont été adressés aux commissions de génie génétique et de génie biomoléculaire ont déjà reçu un avis favorable.
Les essais en cours concernent un nombre de malades très faibles, entre 1 et 10 malades par projet.
Ces projets portent notamment sur le déficit en adénosine-désaminase, sur le cancer broncho-pulmonaire, le mélanome malin et la mucoviscidose.
Leur nombre comme leur qualité placent la France en bonne position au niveau mondial.
Ainsi que l'observe justement M. le Professeur Dominique Maraninchi, la recherche en thérapie cellulaire, très développée dans notre pays, a également un effet d'entraînenement sur la recherche en thérapie génique qui utilise de nombreuses techniques de thérapie cellulaire.
3. Les politiques publiques ont pourtant été bien tardives et le tissu industriel dans le domaine des biotechnologies n'est pas encore prêt
Les pouvoirs publics ne se sont mobilisés que récemment afin de favoriser la recherche, et notre pays ne connaît pas le foisonnement de sociétés de capital risque associant la recherche académique et l'industrie telles qu'on les observe aux Etats Unis;
Ce n'est que l'année dernière qu'un plan intitulé « génome et santé » est venu encadrer l'action des pouvoirs publics en matière de thérapie génique.
Sous le pilotage du ministère de la recherche, et associant le ministère de la santé et des organisations caritatives (Association Française contre les Myopathies, Association Française de Lutte contre les Myopathies, Ligue nationale contre le cancer), ce plan a pour ambition de structurer la recherche en thérapie génique grâce à un appel d'offres doté de 35 millions de francs. Il vise également à développer un programme hospitalier de recherche clinique qui recevra 300 millions de francs.
L'appel d'offre de thérapie génique devait prendre en considération les projets ayant pour objectif:
- la production, dans le respect des bonnes pratiques de laboratoire et des bonnes pratiques de fabrication, de vecteurs de tranfert de gènes;
- l'amélioration des procédés de purification et de manipulation ex vivo des cellules cibles;
- le développement pré-clinique de stratégies de thérapie génique, en particulier d'essais sur de gros animaux;
- l'organisation de centres réunissant les compétences nécessaires à la mise en place d'essais cliniques, sur la base de projets scientifiques.
Dix centres associant des recherches fondamentales, précliniques et cliniques ont ainsi été sélectionnés.
La faiblesse, longtemps constatée, des politiques publiques, a contrasté avec le dynamisme des organisations caritatives. Selon le ministère de la recherche, sur 150 millions de francs consacrés annuellement à la thérapie génique, 60 millions proviennent de ces associations. Ce sont elles qui ont pallié l'insuffisance des crédits publics en la matière. Elles ont contribué à orienter la recherche médicale française vers la thérapie génique.
La Commission des affaires sociales ne peut qu'encourager le gouvernement à poursuivre une politique active de structuration du réseau de recherches français.
Elle l'incite également à agir au niveau européen afin que les médicaments orphelins puissent enfin être dotés d'un statut incitatif. En effet, ces médicaments, destinés à soigner des maladies rares, ne peuvent être directement rentables. Il faut donc que les pouvoirs publics interviennent, sous peine de voir méconnu le principe d'égal accès aux soins.
Or, à la différence des Etats-Unis, où un Orphan Drug Act a été adopté afin de favoriser leur développement, l'Europe ne s'est pas encore dotée d'un tel statut.
Les effets négatifs de la faiblesse des politiques publiques se conjuguent en France avec l'insuffisance du développement des sociétés de biotechnologies. En 1995, dans un rapport commandé par le Premier ministre au Pr Dubernard, on pouvait lire le constat suivant:
La France est confrontée à une situation paradoxale: « les découvertes fondamentales de la biologie moléculaire et de la génétique ont, pour beaucoup d'entre elles, trouvé leur origine dans les laboratoires européens ou français, confirmant la compétitivité de nos recherches. Par contre, les développements industriels de première génération de produits biologiques ont été principalement le fait de sociétés spécialisées en biotechnologie américaines. »
Il ne faut pas pour autant avoir une vision idyllique de la situation outre-atlantique. L'enthousiasme des investisseurs constaté au début des années 90 s'est beaucoup calmé, et même effondré en 1993 et 1994. Ceux-ci semblent désormais orienter prioritairement leurs investissements vers des sociétés qui ont déjà obtenu des résultats tangibles et délaisser les autres.
Il manque toutefois, dans notre pays ces petites sociétés qui favorisent les synergies entre le monde académique et l'industrie. Il manque aussi un réel investissement industriel, à l'exception notable, bien entendu, de Rhône-Poulenc Rorer et de Transgène.