G. FORMER ET INFORMER LES SERVICES PRÉFECTORAUX AINSI QUE LES ÉLUS LOCAUX SUR « LES BONNES PRATIQUES » DE DÉROGATION
On l'a dit, le droit de dérogation est largement sous-utilisé alors qu'il offre, même sous sa forme actuelle, de très nombreuses possibilités pour faciliter la réalisation de projets portés par les collectivités territoriaux.
1. Mieux informer les préfectures sur les potentialités de ce droit de dérogation
Vos rapporteurs saluent l'existence d'outils d'information et de communication à destination des services préfectoraux.
En premier lieu, conformément à ce que prévoyait la circulaire de 2020, la DMATES a mis en place, au titre de sa mission d'animation du réseau des préfectures, un outil collaboratif permettant un échange de bonnes pratiques et un partage d'expériences54(*). Cette plateforme, qui a été présentée à vos rapporteurs à l'occasion de leur déplacement à la préfecture du Cher, comprend les textes de référence, la liste des dérogations mises en oeuvre ainsi qu'une foire aux questions (FAQ) reprenant les analyses produites par les administrations centrales.
Interrogée par vos rapporteurs sur les conditions d'accès à cet outil, la DMATES a répondu qu'il « est ouvert à nos interlocuteurs des directions métiers d'administration centrale concernés par les demandes d'avis préalables des préfets et aux agents des préfectures et services déconcentrés (DDT majoritairement). On compte actuellement un peu moins de 400 participants ».
Si vos rapporteurs se félicitent de l'existence de cette plateforme, ils regrettent qu'elle ne soit pas suffisamment concrète et opérationnelle. Ainsi, elle ne contient pas de moteur de recherche multicritères permettant de retrouver facilement des arrêtés sur un sujet donné. L'ajout d'un module d'intelligence artificielle (IA) pourrait aider à la décision et d'aide à la génération d'un projet d'arrêté. Concrètement, les directions départementales des territoires (DDT) pourraient interroger ce module (via des « prompts ») chaque fois qu'un projet local semble bloqué par l'application d'une norme réglementaire. L'IA pourrait alors analyser la situation et trouver, dans la base, des cas similaires permettant de faire application du droit de dérogation. Un résumé des arrêtés concernés pourrait être proposé par l'outil.
Ce travail nécessite bien sûr de disposer de données à jour : la base doit donc comprendre le plus possible d'arrêtés de dérogation. En effet, pour optimiser la performance d'un outil IA et opérer le rapprochement le plus pertinent parmi ceux envisageables, le volume de data passées en revue a intérêt à être le plus important possible.
Dans un deuxième temps, la plateforme précitée pourrait comprendre les dispositifs ad hoc de dérogation aux normes législatives et réglementaires (cf II D et E).
Pour l'ensemble de ces raisons, vos rapporteurs estiment qu'enrichir cette plateforme permettrait de renforcer la connaissance du dispositif par les préfectures et de développer des synergies entre ces dernières.
2. Une fiche pratique à destination des préfets
En second lieu, parallèlement à la plateforme, il paraît nécessaire de disposer d'une fiche pratique, à caractère général, présentant le droit de dérogation. Ainsi, en juillet 2021, en marge du comité interministériel de la transformation publique de Vesoul, un guide a été établi sous l'égide de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Le titre du guide est « En action : le guide du préfet et des services déconcentrés ». Une fiche pratique y a été introduite sur le recours au droit de dérogation. Il s'agit d'une fiche claire et pédagogique mais très sommaire et sans exemples concrets, ce qui conforte la recommandation évoquée plus haut tendant à enrichir l'outil collaboratif de l'État.
Extrait de la fiche pratique sur le droit de dérogation
3. Mettre en places des modules de formation à destination des services préfectoraux
L'information ne suffit pas. Elle doit être complétée par la mise en place de modules de formation, à destination des services préfectoraux, permettant de mieux faire comprendre les enjeux de ce droit, notamment sous l'angle du pouvoir d'agir des collectivités territoriales.
4. Prévoir la désignation d'un référent « dérogation » dans chaque préfecture
Il apparaît également nécessaire de prévoir, dans chaque préfecture, la désignation d'un référent « dérogation », disposant d'un bon niveau hiérarchique, (chef de bureau, directeur départemental, secrétaire général...).
5. Mieux faire connaître auprès des élus le droit de dérogation ainsi que ses implications concrètes
La consultation menée par notre délégation à l'automne 2024 souligne la grande méconnaissance des élus locaux du droit de dérogation : ainsi, 80 % d'entre eux déclarent ne « pas connaître cette procédure ». Et parmi ceux qui la connaissent, 84 % ne l'ont jamais utilisée. En revanche, 75 % des élus qui l'ont utilisée la jugent efficace.
Résultats de la consultation menée
auprès des élus locaux (nov - déc 2024)
Source : Ipsos / Sénat : simplification des normes (consultation de décembre 2024)
Les résultats de cette consultation démontrent ainsi clairement la nécessité de mieux faire connaître le droit de dérogation et ses utilisations concrètes.
Les élus pourront ainsi être force de proposition, notamment dans le cadre des conférences de dialogue que vos rapporteurs appellent de leurs voeux (cf supra). Vos rapporteurs insistent toutefois sur la nécessité de faire oeuvre de pédagogie auprès des élus locaux. En effet, de nombreuses personnes entendues par la mission ont mis en avant le risque, par exemple, qu'au nom du principe d'égalité, une commune A « réclame » une dérogation accordée à la commune B, alors même qu'elle ne se trouverait pas dans la même situation objective que la commune B. Or, une dérogation est toujours accordée in concreto au regard des circonstances locales. Elle n'est donc pas toujours transposable.
Recommandation n° 7 : former et informer les services préfectoraux ainsi que les élus locaux sur les potentialités du droit de dérogation aux normes, en particulier sous l'angle du développement des territoires.
* 54 La circulaire de 2020 précitée relevait que : « Dans le cadre d'un échange de bonnes pratiques et de partage d'expériences, la DMAT mettra à disposition l'outil collaboratif (...) " Droit de dérogation ", plateforme d'information et de circularisation de documents entre l'administration centrale et l'échelon déconcentré ». Lors de la phase expérimentale, ce portail numérique fut réservé aux seuls agents de préfecture, son accès a ensuite été élargi à l'ensemble des services déconcentrés de l'État ainsi qu'aux correspondants d'administration centrale désignés par les ministères intéressés.