C. LE DÉFI DE L'ACCÈS AUX DONNÉES
Mais la production de données numériques ne sert que si celles-ci peuvent être utilisées et réutilisées. La question stratégique est donc celle non pas de la production, mais de l'accès aux données et de leur exploitation.
Remis en septembre 2023 au ministre de l'action et de la transformation publiques, le rapport de la mission « Data et territoires » de Christine Hennion, Magali Altounian et Bertrand Monthubert3(*) constatait que si les données « sont essentielles au pilotage des politiques publiques », elles ne sont pas disponibles facilement. La politique d'ouverture des données publiques (par exemple la base adresse, le plan cadastral, le registre des sociétés ou encore la base des valeurs foncières) permet l'accès à un premier niveau d'information. La plateforme data.gouv.fr recense les bases publiques existantes. Mais le rapport constate un « grand silotage de l'offre de données produites par l'État et ses opérateurs ». Il mentionne aussi le problème de l'interopérabilité des bases de données, indispensable lorsque l'on souhaite réaliser des exploitations croisées.
Le rapport note également que toutes les données publiques produites sur les territoires ne sont pas accessibles librement. La politique d'Open Data des données publiques n'est pas encore totalement appliquée. En outre, de très nombreuses données sont produites par des opérateurs privés, qui en sont propriétaires et ne les mettent pas librement à disposition, sauf cas particulier comme durant la crise sanitaire de 2020. S'il existe des possibilités juridiques d'accès aux données du secteur privé à des fins d'intérêt général, celles-ci sont en pratique très peu utilisées.
Enfin, même disponible, la donnée doit être traitée pour être exploitable. Pour cela, un travail d'intégration des données dans des systèmes informatiques est nécessaire et passe par des développements coûteux.
La politique d'Open Data
La politique d'Open Data (ou ouverture des données) repose sur la mise à disposition et la possibilité de réutilisation des données publiques par les chercheurs, par les entreprises et plus largement par les citoyens.
Au-delà du droit d'accès aux documents administratifs, qui existe depuis la fin des années 1970, la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a posé le principe d'une très large ouverture des données détenues par l'État, les collectivités territoriales ou leurs opérateurs. La publication en ligne sous un format ouvert et accessible de leurs données numériques devient la règle et les restrictions d'accès l'exception.
À l'échelle européenne, les mêmes principes de mise à disposition et de réutilisation des données publiques ont été établis par la directive n° 2019/1024 de juin 2019. Un règlement d'exécution n° 2023/138 a par la suite fixé une liste de jeux de données à forte valeur qui devaient être mis à disposition gratuitement à tout utilisateur au plus tard en juin 2024.
Les objectifs de la politique d'ouverture des données ne se limitent pas seulement à l'impératif de contrôle démocratique de l'action publique par le renforcement de la transparence. Il s'agit aussi, en mettant à disposition des données, de stimuler l'innovation et de permettre ainsi, en retour, d'améliorer l'efficacité des services publics.
La France se place en tête du classement européen de l'ouverture des données publiques4(*). Les jeux de données disponibles font l'objet d'un recensement sur la plateforme data.gouv.fr.
La politique des données ouvertes se heurte toutefois à quelques difficultés : définition des périmètres de protection des données à caractère personnel (conformément au RGPD), mise en oeuvre de l'anonymisation des données, absence de capacité technique ou financière effective des petites collectivités à mettre à disposition leurs données, qualité insuffisante de la documentation devant permettre l'exploitation des jeux de données.
En outre, la politique des données ouvertes ne s'impose qu'aux acteurs du secteur public. À l'inverse, pour les acteurs privés, les données constituent un actif dont la mise à disposition peut se monnayer, voire rester non diffusées pour préserver une avance technologique dont une firme pourrait bénéficier grâce à la détention de jeux de données exclusifs.
Enfin, une fois les données mises à disposition, encore faut-il pouvoir les exploiter, ce qui nécessite de disposer de compétences en sciences des données ou encore de se doter d'outils de visualisation.
Le pari de la stratégie des données ouvertes est précisément d'encourager les acteurs privés, les chercheurs, voire les citoyens eux-mêmes, à développer les usages et à construire une offre numérique nouvelle permettant des gains en performance ou une réduction des coûts.
* 3 https://www.vie-publique.fr/rapport/291763-rapport-de-la-mission-data-et-territoires
* 4 https://data.europa.eu/en/publications/open-data-maturity