N° 243

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 janvier 2025

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) relatif à la prise en charge
des
personnes âgées et à l'organisation de l'hôpital en Allemagne
et au
Danemark,

Par M. Philippe MOUILLER, Mmes Florence LASSARADE,
Laurence MULLER-BRONN, Corinne FÉRET, Anne-Sophie ROMAGNY
et Solanges NADILLE,

Sénateur et Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.

RAPPORT

___________

Une délégation de la commission des affaires sociales s'est rendue en Allemagne, à Berlin, et au Danemark, à Copenhague, en avril 2024, sur les thèmes de l'hôpital et de la prise en charge des personnes âgées.

Concernant l'hôpital, si l'Allemagne engage une réforme de l'organisation et du financement de son système hospitalier, le Danemark a confirmé en 2024 la restructuration réalisée depuis 2007.

Dans le champ du grand âge, s'ils affichent tout deux une préférence pour le domicile, les deux pays abordent le défi du vieillissement avec deux philosophies éloignées.

I. DES REFORMES DU SYSTÈME HOSPITALIER : UNE RESTRUCTURATION DE L'OFFRE QUI S'ENGAGE OU SE POURSUIT

A. EN ALLEMAGNE, UN PROJET DE SPÉCIALISATION DES HÔPITAUX ENGAGEANT UNE DIFFICILE RÉVISION DE LA CARTE HOSPITALIÈRE

1. Une offre hospitalière particulièrement dense
a) Un système de santé à l'organisation et aux responsabilités partagées

L'organisation et le pilotage du système de santé allemand participent de différentes particularités de la République fédérale, que sont le fédéralisme et le choix retenu pour la gestion de son système de santé, avec un principe d'autogestion.

Le rôle de l'État fédéral se limite ainsi au cadre législatif et réglementaire global concernant l'organisation, le financement et l'encadrement du système en matière de sécurité des soins. En matière de gestion des hôpitaux, si le cadre est certes posé au niveau fédéral, les Länder sont eux responsables de sa mise en oeuvre et chargés de la planification et du financement des soins hospitaliers.

Les acteurs du système, principalement les caisses d'assurance maladie, les représentants des établissements, des professionnels et des patients qui définissent les modalités opérationnelles et les choix de prise en charge des soins. Le comité fédéral conjoint ou Gemeinsamer Bundesausschuss, G-BA est la plus haute instance de cette gouvernance, chargée notamment des référentiels de qualité et de sécurité.

b) Un nombre de lits important...
 

Lits pour 1 000 habitants en Allemagne

Comme l'a souligné la récente étude de l'Irdes1(*), l'Allemagne se caractérise par des dépenses de santé importantes, particulièrement en matière hospitalière. Ainsi, selon l'institut, les dépenses de soins hospitaliers représentaient 3,2 % du PIB en Allemagne contre 2,8 % en France.

Surtout, l'offre hospitalière allemande apparaît particulièrement dense au regard des autres pays européens. Si le nombre d'établissements semble mesuré et comparable à celui de la France pour une population supérieure, le nombre de lits est, lui, largement supérieur.

Ainsi, si l'on regarde les lits d'hospitalisation complète, en 2021, la France en comptait 352 449 lits d'hospitalisation quand l'Allemagne en dénombrait 645 620. Rapporté au nombre d'habitants, la France affiche ainsi un ratio 5,2 pour 1 000 habitants quand celui-ci est pour l'Allemagne de 7,8 pour 1 000, soit 50 % de plus. Le chiffre est encore supérieur sur les soins aigus en secteur médecine-chirurgie-obstétrique (MCO), avec 70 % de lits en plus.

Sur la décennie écoulée, si l'Allemagne a également suivi une trajectoire de réduction de son capacitaire, celle-ci est bien moins soutenue qu'elle ne l'a été en France.

Une offre hospitalière partagée et très majoritairement privée

La place des établissements privés est beaucoup plus forte en Allemagne qu'en France.

Ainsi, si le secteur public représente 45 % des établissements et 61 % des lits d'hospitalisation complète en France, ces proportions chutent à seulement 25 % d'établissements et 40 % des lits en Allemagne.

Le secteur privé lucratif, qui compte en proportion moins d'établissements que le secteur privé non lucratif (45 %, 30 %), compte un nombre de lits comparable au second (32 % pour 28 %).

c) ... pour une couverture et une efficience inégales...

Pour autant, l'offre particulièrement dense ne garantit pas aujourd'hui un maillage efficace sur le territoire et le grand nombre de lits d'hospitalisation ne s'accompagne pas d'indicateurs de santé publique particulièrement améliorés.

 

Durée moyenne de séjours en soins aigus (MCO) en Allemagne

La place de l'hôpital en Allemagne semble mal définie, avec une gradation des soins peu lisible et, surtout, une coordination avec la médecine de ville particulièrement lacunaire. Il ressort ainsi une impression de dispersion de l'hôpital sur des missions extrêmement larges, de consultations primaires aux interventions de pointe, avec de nombreuses activités, sans efficacité globale et pour une qualité des soins jugée parfois insuffisante.

L'Allemagne apparaît par ailleurs en retard sur les évolutions constatées ailleurs dans la prise en charge hospitalière, avec un virage ambulatoire particulièrement modeste.

La même étude de l'Irdes pointait ainsi qu'en 2021, la durée moyenne de séjours en soins aigus (MCO) était de 5,6 jours en France contre 6,3 en Allemagne, soulignant également un plus faible taux d'occupation des lits outre-Rhin.

d) ... et une situation financière préoccupante

La situation financière globale du système hospitalier est devenue un sujet d'inquiétude majeur en Allemagne. Alors que le déficit des caisses d'assurance maladie était projeté en 2023 à 17 milliards d'euros avant l'intervention du gouvernement, le déficit consolidé du système hospitalier était estimé à 9 milliards d'euros. Selon certaines estimations, 25 % des établissements seraient menacés de fermeture.

Comme en France, ce modèle de tarification à l'activité est critiqué pour ses limites ou effets pervers. Ainsi, le système des DRG n'a pas permis d'accompagner une réelle transformation cohérente de l'offre hospitalière.

Des hôpitaux se trouvent ainsi parfois en difficulté financière pour des activités au nombre d'actes suffisant, quand d'autres établissements ont su se positionner sur des activités rentables, pour une course à l'activité sans effet bénéfique. Autre exemple de l'inadéquation de ce système aux contraintes actuelles, depuis 2020, face aux difficultés de recrutements infirmiers, les coûts de personnels ont été sortis des DRG pour un financement direct par l'assurance maladie.

Un financement aujourd'hui assis sur l'activité

Le financement des établissements de santé allemands repose aujourd'hui principalement sur une tarification à l'activité liée à des German-Diagnostic Related Groups (G-DRG) comparables aux groupes homogènes de soins français, avec des groupes homogènes de malades permettant la classification.

On dénombre un peu moins de 1 300 DRG en Allemagne.

Une régulation prix-volume est également prévue en cas de dépassement de la cible d'activité d'un établissement.

Enfin, le financement de l'investissement apparaît aujourd'hui insuffisant face aux besoins de modernisation et à la vétusté de certains établissements. Cette préoccupation est valable tant pour de petits établissements assurant un maillage territorial de proximité que pour des établissements universitaires réputés comme La Charité à Berlin. Si les Länder sont normalement responsables de ce financement, l'État fédéral y a récemment contribué via le fonds de santé et certains estiment que les caisses d'assurance maladie devraient également davantage y participer.

2. Différentes réformes et transformations engagées concernant le système hospitalier
a) Une volonté politique de réforme globale visant à la spécialisation des établissements

Conformément à l'accord de coalition et suivant la volonté affirmée du ministre fédéral de la santé, le Pr Karl Lauterbach, le gouvernement fédéral a amorcé en mai 2022 son projet avec la constitution d'une commission sur la réforme hospitalière. Le processus de concertation a également été accompagné d'un groupe de travail entre le Bund et les Länder, avec des accords de principes formalisés en 2023.

Le ministère fédéral a ainsi justifié la réforme en faisant le constat de difficultés structurelles du système hospitalier et de contraintes fortes notamment en matière de manques de médecins et de soignants, qui ne sauraient être comblées par davantage de financements, quand le coût actuel du système n'a pas démontré son efficacité.

· Le projet de réforme globale ou loi d'amélioration des soins hospitaliers (Krankenhausversorgungsverbesserungsgesetz) entend principalement réorganiser le système hospitalier en spécialisant les établissements, au nom de la qualité et de la sécurité des soins.

b) En préalable à une transformation du modèle, une loi sur la transparence des performances hospitalières

Conçue comme un préalable à la réforme de l'hôpital, la loi sur la transparence des hôpitaux (Krankenhaustransparenzgesetz) a été adoptée au début de l'année 2024 à l'initiative du gouvernement fédéral. Le ministre fédéral de la santé a ainsi défendu un objectif de qualité des soins par la transparence et la meilleure information des patients.

Suivant cette nouvelle loi, l'atlas fédéral des hôpitaux (Bundes-Klinik-Atlas) a ainsi été mis en ligne en 2024, comparant les services de 1 700 hôpitaux. Celui-ci permet de consulter les activités réalisées dans les établissements, leur niveau de spécialisation sur certains traitements ou procédures, mais aussi des indications sur les complications et incidents constatés, ou encore des données relatives aux finances et aux personnels.

c) Une nouvelle définition et gradation des catégories d'établissements de santé

Alors que le système hospitalier allemand ne classe aujourd'hui pas les établissements, le projet de réforme prévoit une classification, particulièrement pour la gestion des urgences.

Trois catégories sont ainsi prévues :

- Les hôpitaux de niveau 3, avec le plus grand nombre d'activités et les services et activités de recours et de larges services de soins intensifs. Les hôpitaux universitaires s'inscrivent dans cette catégorie ;

- Les hôpitaux de niveau 2, avec des services d'urgence et de chirurgie de taille satisfaisante sur des activités déterminantes, et permettant un maillage suffisant en cas de longue distance à un établissement de niveau 3 ;

- Les hôpitaux de niveau 1 (1n) proposant les prestations principalement de médecine et chirurgie :

- Des hôpitaux d'un niveau complémentaire au sein du niveau 1 (1i), ayant vocation à constituer un réseau ambulatoire de proximité, n'assurant pas de service d'urgence mais un service de médecine de garde, principalement à l'issue de la transformation de certains établissements.

Sur les 1 700 hôpitaux dénombrés, des projections estimaient un classement de 136 établissements en niveau 3, 472 en niveau 2, 422 en niveau 1n et près de 700 en niveau 1i.

d) Une réforme centrale de la définition et du financement des activités hospitalières...

Afin de réduire largement la place de la tarification à l'activité, le gouvernement fédéral propose un financement principalement appuyé sur des dotations ou réserves.

Le coeur de la réforme présentée par le gouvernement fédéral consiste ainsi en la définition de nouvelles catégories d'activités et en l'attribution d'autorisations à pratiquer celles-ci sur la base de nouveaux critères de qualité. Un tel modèle a été en partie expérimenté au cours des dernières années dans le Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

· Des groupes de prestations (ou Leistungsgruppen) vont être définis par le gouvernement fédéral - 65 ont été prévus. Chaque Land devra attribuer aux établissements de son ressort les groupes de prestations qu'il entend lui confier.

Les groupes de prestations définis seront assortis de nouveaux critères de qualité et de sécurité, appelés à être fixés par le comité conjoint, lesquels seront des conditions obligatoires pour autoriser l'activité. Des dérogations sont cependant prévues pour le maintien d'activités au regard de contraintes territoriales, en cas de trop longs trajets par exemple.

· Le modèle présenté prévoit le maintien d'une part de financement à l'activité. La dotation socle ou réserve devrait représenter 60 % de l'activité aujourd'hui constatée, quand 40 % seront issus des actes effectivement réalisés.

Si la réforme était prévue à budget constant, le gouvernement a prévu un fonds de transformation. Un montant de 50 milliards d'euros sur dix ans, financé à parité entre les Länder et les caisses d'assurance maladie était évoqué. La contribution à ce fonds et la répartition de la charge entre les parties faisaient encore en 2024 l'objet de vifs débats.

· Si le besoin d'une réforme structurelle est partagé par de nombreux acteurs et notamment la fédération allemande des hôpitaux, le projet a soulevé de nombreuses critiques, y compris dans le camp de la coalition gouvernementale.

Cette réforme, qui est perçue comme une reprise en main de fait de la politique de santé par l'État fédéral, a fait l'objet d'âpres négociations avec les Länder. Surtout, certains élus locaux, au sein des Länder ou districts, ont mis en avant les trop grandes incertitudes sur le devenir des établissements une fois les groupes de prestations définis, avec des risques de fermetures nombreuses - parfois estimées à 50 %.

Face aux incertitudes concernant le maillage territorial qui résultera de la réforme, les contraintes territoriales sont ainsi régulièrement soulignées, avec la crainte d'un plus faible accès aux soins dans des réseaux vastes et peu denses, comme dans le Land de Brandebourg, dans lequel la délégation a pu rencontrer le Landrat d'Oberhavel et visiter l'hôpital Oberhavel Kliniken.

En outre, si certains Länder comme Berlin y voient un prolongement de politiques locales de modernisation de l'offre hospitalière, la réforme met en lumière des disparités territoriales importantes. Les Länder d'ex Allemagne de l'Est soulignent ainsi la rationalisation déjà réalisée lors de la réunification, les Länder de l'Ouest ayant conservé une offre plus fournie.

Cependant, face aux critiques soulevées quant à de profonds effets de réorganisation et de fermetures d'établissements, il a régulièrement été opposé que, faute de réforme, la qualité des soins poursuivraient sa dégradation quand de nombreux établissements seraient inévitablement menacés de fermeture pour cause de faillite.

La rationalisation de la carte hospitalière, encore incertaine sur ses contours, est ainsi appréhendée par le ministre fédéral comme indispensable, alors que celui-ci considère la spécialisation des établissements comme un impératif au maintien de la qualité des soins.

La discussion parlementaire à l'automne a finalement permis l'adoption de la réforme par le Bundestag en octobre puis par le Bundesrat en novembre, avec le seul soutien cependant des partis de la coalition « feux tricolores » (SPD - Verts - FDP).

La réforme est ainsi entrée en vigueur au 1er janvier 2025. Les Länder doivent désormais notamment répartir les activités sur les différents établissements d'ici à la fin de l'année 2026.


* 1 Comparaison des dépenses de santé en France et en Allemagne - Minery S. et Or Z. (Institut de recherche et documentation en économie de la santé) Rapport n° 590 - mars 2024.

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