SECONDE PARTIE
LE
FONCIER, OBJET DE DÉBAT :
SA GOUVERNANCE ENTRE ACTEURS
M. Philippe Schmit. - J'aimerais que chaque intervenant me cite le mot qui lui vient à l'esprit quand il est question de problématiques foncières en outre-mer.
Mme Vivette Lopez. - Je suis sénatrice du Gard et membre de la délégation aux outre-mer. J'ai rédigé un rapport sur le foncier agricole avec Thani Mohamed Soilihi. Je songe pour ma part au mot « frein ».
M. Teddy Bernadotte, directeur de cabinet de M. Ary Chalus, président de la Région Guadeloupe. - Je suis conseiller du président de la Région Guadeloupe. Je citerais pour ma part l'expression « maquis institutionnel ».
M. Éric Hoffmann. - Géomètre-expert et président du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de La Réunion-Mayotte, je tiens à souligner la qualité du travail fourni par la délégation aux outre-mer - en particulier les rapports de Thani Mohamed Soilihi -, mais aussi celle des documents produits par Interco' Outre-mer. Le mot « garantie » me vient à l'esprit. À vrai dire, j'exprime là un voeu.
M. Maurice Gironcel, président de la Communauté du Nord de La Réunion. - Maire de Sainte-Suzanne, et président de la communauté intercommunal du Nord de La Réunion, où vivent 112 000 habitants, je préside le syndicat intercommunal d'électricité de La Réunion, regroupant vingt-quatre communes de l'île. Nous avons beaucoup de défis à relever, dont celui de l'aménagement du territoire. Le mot « social » me vient à l'esprit.
M. Hervé Mariton, président de la Fédération des Entreprises des Outre-mer (FEDOM). - Je préside la Fédération des Entreprises des Outre-Mer (FEDOM) et suis par ailleurs élu local dans la Drôme. Je citerai deux mots : « assurer » et « développer ».
Les entreprises, en outre-mer, se trouvent confrontées à un problème d'assurance, aussi manifeste en Nouvelle-Calédonie qu'en Martinique, après les émeutes, ou qu'au lendemain du passage d'Irma à Saint-Martin. Beaucoup d'entreprises de cette île n'étaient pas assurées et même celles qui l'étaient n'étaient pas tout à fait en règle vis-à-vis de leur foncier. Nous craignons que de nombreuses compagnies d'assurance abandonnent le marché des outre-mer face aux difficultés économiques de ces territoires, où le risque politique d'émeute s'ajoute au risque climatique et au risque d'irrégularité en matière foncière.
M. Philippe Schmit. - L'assurabilité des collectivités territoriales aussi constitue un enjeu. Plusieurs missions, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, ont d'ailleurs abordé ce sujet.
M. Maurice Gironcel. - Le débat de ce jour tourne autour des problèmes liés à l'habitat, lequel touche à l'aménagement du territoire et donc aux sujets fonciers. La problématique du foncier m'apparaît éminemment sociale. Selon un adage bien connu, quand le secteur du BTP se porte bien, l'économie tout entière se trouve dans le même cas. Or, aujourd'hui, le BTP ne va pas bien. Partout en France et particulièrement en outre-mer, nous peinons à répondre aux demandes de logement de la population. Le monde économique a lui aussi besoin de foncier pour développer son activité. À La Réunion, beaucoup d'entreprises se tournent vers moi pour surmonter leurs difficultés à trouver du terrain à un prix abordable. Je précise qu'à La Réunion, le prix du terrain destiné aux entreprises oscille entre 500 et 600 euros par mètre carré. Un tel montant constitue un obstacle insurmontable à toute implantation sur notre territoire. Or le développement du social va de pair avec celui de l'économie. Le social se retrouve dès lors, lui aussi, en péril.
Mme Vivette Lopez. - Le désordre du foncier, notamment lié aux titres de propriété, me semble préjudiciable à l'aboutissement des projets, tant individuels que portés par les communes.
M. Teddy Bernadotte. - La question foncière est l'une des plus essentielles qui se posent en outre-mer avec celles de l'emploi et du coût de la vie. La notion de maquis institutionnel se réfère à la multiplicité des acteurs du foncier. Prenons à la Guadeloupe l'exemple de la gestion des 50 pas géométriques, des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) ou encore de l'espace littoral en tension.
Le transfert de propriété des 50 pas géométriques, de l'État vers les collectivités régionales, initialement prévu en 2022, n'interviendra finalement qu'entre 2025 et 2030. Interco'Outre-mer s'adresse essentiellement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont les difficultés à résoudre les questions de transition écologique, notamment en Guadeloupe, sont connues. Les cyclones et autres événements climatiques se multiplient, et leur violence s'accroît. Les collectivités communales, voire régionales, jadis en charge du curage des rivières ne sont plus en mesure de s'en occuper, alors même que les EPCI ne perçoivent pas de recette suffisante pour s'en charger. La population en pâtit.
De nombreux conflits touchent en Guadeloupe à la gestion du littoral. J'en ai identifié pas moins de cinq acteurs : DREAL, direction de la mer, conservatoire du littoral, Office national des forêts (ONF), Office français de la biodiversité (OFB) - sans même compter les EPCI. La délivrance d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT) prend, au mieux, entre douze et dix-huit mois. Certains transferts de compétences restent purement théoriques. Ils ne s'accompagnent en tout cas d'aucun transfert de responsabilité, puisque l'État continue d'assurer la police de l'environnement. En revanche, l'élu demeure responsable aux yeux de la population. Celle-ci, ignorant que la réglementation reste du ressort de l'État, reproche aux élus locaux ultramarins leur inefficacité.
M. Philippe Schmit. - Selon vous, une concertation des acteurs publics constituerait déjà une grande avancée.
M. Teddy Bernadotte. - Je défends ici le concept de fertilisation croisée. Au-delà de la concertation des acteurs publics, certes indispensable, nous tenons à développer les SAR (Schémas d'Aménagement Régionaux), outils de planification et de prospective. Ceci nécessite une concertation des acteurs publics avec les entreprises, au profit des citoyens.
M. Éric Hoffmann. - La propriété foncière, tant pour un particulier que pour une entité publique, constitue la pierre angulaire de tout projet amené à se concrétiser sur le terrain en question. Le géomètre-expert doit garantir à la fois l'étendue du foncier et les droits associés, pour permettre aux projets d'aboutir en toute sécurité, sur le plan juridique.
M. Philippe Schmit. - En somme, vous constatez, en outre-mer, un manque de garantie et de stabilité des projets fonciers.
M. Éric Hoffmann. - Pas forcément. Le géomètre-expert est capable, dans bien des cas, de garantir la propriété privée. La problématique des indivisions dysfonctionnelles résulte des incertitudes quant à la propriété foncière et à l'étendue exacte du droit de propriété. Il me semble dès lors essentiel de garantir la propriété pour assurer la pérennité des projets fonciers.
M. Philippe Schmit. - Monsieur Mariton, quel regard les entreprises que vous représentez portent-elles sur le sujet foncier ?
M. Hervé Mariton. - La FEDOM a pour mission de défendre et de promouvoir les entreprises ultramarines dans de vastes domaines. Les sociétés qui construisent des logements ont besoin de foncier. Il en faut à d'autres pour développer leur propre activité tertiaire, artisanale ou encore industrielle. Or le foncier n'est pas aisément disponible dans les territoires ultramarins, en grande partie montagneux et auxquels s'appliquent de nombreuses contraintes, liées notamment à la loi Littoral ou encore aux règles d'urbanisme.
La nomenclature des zonages dans l'Hexagone n'est pas forcément adaptée aux documents d'urbanisme en outre-mer. Cette inadéquation ne va pas sans conséquence sur la vie économique des territoires. Malgré un assouplissement de l'objectif ZAN annoncé par le Premier ministre, celui-ci a des effets notables outre-mer, où la quasi-totalité des communes, à La Réunion notamment, sont soumises en même temps aux contraintes de la loi Montagne et de la loi Littoral. Relever l'enjeu de la transition énergétique exige du foncier, pour y installer, par exemple, des panneaux solaires.
Un autre enjeu touche à la reconversion des friches comme autant d'entraves à l'écologie et au développement du tourisme. La FEDOM voit dans ces terrains à l'abandon un gisement de foncier. Elle sollicite les parlementaires et le Gouvernement dans l'idée de faciliter leur reconversion. Beaucoup de friches ont souffert de l'insurrection du début de l'année en Nouvelle-Calédonie. La reconquête de ce foncier constitue un enjeu.
M. Philippe Schmit. - Beaucoup d'initiatives nationales telles que les « sites clés en main » encouragent l'implantation d'usines géantes. Existent-elles aussi en outre-mer ou se concentrent-elles exclusivement dans l'Hexagone ?
M. Hervé Mariton. - Différentes collectivités compétentes, en particulier intercommunales, lancent, dans ce domaine, des initiatives outre-mer. L'éclatement des zones, pour des raisons historiques, en termes d'urbanisme, ne facilite pas leur aboutissement. Le foncier économique dépend des conditions de déplacement et de transport. Or un sujet de fluidité des transports se pose en outre-mer, au détriment de la compétitivité des entreprises locales. Nous avons besoin, en outre-mer, de stratégies foncières articulées avec des stratégies de déplacement. À défaut, les territoires ultramarins échoueront à attirer de jeunes diplômés compétents.
M. Philippe Schmit. - Madame la sénatrice, vous qui avez travaillé sur la dynamique agricole, pourriez-vous nous faire part de quelques éléments de votre rapport, à propos des relations entre les agriculteurs et le foncier en outre-mer ?
Mme Vivette Lopez. - Vous n'avez pas évoqué le problème, pourtant vital, de la ressource en eau. Sa préservation relève d'une urgence. Le partage de cette ressource doit être mûrement réfléchi. Mon collège Thani Mohamed Soilihi et moi-même avions d'ailleurs interpellé à ce sujet les ministres concernés.
M. Éric Hoffmann. - J'aimerais étendre la question des transports à celle des équipements en voirie et réseaux divers. Certaines zones indiquées comme urbaines sur des PLU ne disposent pas, en réalité, de réseaux. Il est donc impossible d'y construire quoi que ce soit. L'évacuation des eaux pluviales, parfois très importantes dans les outre-mer, en raison du climat, pose aussi problème - sans même parler du traitement des eaux usées. Trop souvent, le propriétaire se voit contraint de prévoir un assainissement individuel, alors qu'un tel dispositif porte préjudice à l'environnement et consomme du foncier. Le département de La Réunion investit beaucoup dans l'irrigation des terres agricoles, sans grande efficacité, malheureusement, du fait de l'urbanisation sauvage d'une partie des zones rurales.
M. Teddy Bernadotte. - La question foncière apparaît d'autant plus fondamentale dans les outre-mer qu'elle touche aux politiques publiques de transport, d'eau ou encore de déchets. Je tiens à souligner le lien entre la politique foncière et la situation budgétaire de l'État. Entre 2020 et 2023, l'État comptait investir 750 millions d'euros dans la reconversion des friches - sans même parler des 2 milliards d'euros du Fonds vert. Les programmes de rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et des Abymes comptent parmi les plus ambitieux de France, dans la mesure où ils mobilisent plus de 600 millions d'euros. L'élaboration de tels programmes, qui génèrent de l'activité pour les entreprises, nécessite bien souvent un temps considérable. Les collectivités les abondent dans la limite d'enveloppes définies. À titre d'exemple, la région Guadeloupe investira 30 millions d'euros dans la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et le département, 20 millions d'euros. Cependant, si les communes et EPCI maintiennent leur effort financier jusqu'à la mise en oeuvre de ces programmes, il n'en va pas de même de l'État, qui tend à se désengager. Ceci fragilise ces projets et place les collectivités sous un jour défavorable, comme s'il fallait leur attribuer le retard pris par ces projets structurants.
Prenons l'exemple des plans de transport établis depuis la fin des années 2000. Lorsqu'arrive le moment de les mettre en oeuvre, un déséquilibre s'observe dans leurs budgets. Or cette distorsion n'est jamais assumée par l'État, de sorte que les exécutifs locaux se retrouvent en première ligne face aux difficultés.
M. Philippe Schmit. - Il faudrait donc que l'État garantisse ses engagements financiers.
M. Teddy Bernadotte. - La question ne concerne pas que les outre-mer. De nombreuses collectivités se sont engagées dans le Fonds vert, y investissant une part importante des 2 milliards d'euros prévus. Bien que prêts à être mis en oeuvre, leurs projets ne bénéficient pas du financement escompté.
M. Maurice Gironcel. - J'aimerais revenir sur le problème du foncier agricole. Le foncier outre-mer est à la fois rare et cher. Loin de moi la volonté de remettre en cause la défiscalisation prévue par la loi Pons. Une spéculation foncière considérable en a quand même résulté, du moins à La Réunion, faisant obstacle aussi bien aux projets des particuliers que des entreprises.
Il était autrefois possible de bénéficier de crédits du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) pour créer des zones d'aménagement concerté (ZAC). Malheureusement, ces crédits se sont réduits, de sorte que le moindre aménagement s'avère désormais extrêmement coûteux - y compris pour bâtir des logements sociaux. À La Réunion sont construits des logements destinés aux bénéficiaires des minima sociaux. Ceux-ci ne peuvent toutefois pas y prétendre, faute d'être considérés comme solvables, leurs revenus n'atteignant pas un tiers du montant du loyer.
La population de La Réunion, en augmentation constante, devrait passer de 870 000 habitants aujourd'hui à plus d'un million en 2040. Pour les loger, il faudrait construire 150 000 à 170 000 logements. Interrogés sur la manière dont ils imaginaient leur île en 2040, des lycéens ont répondu qu'ils attendaient plus de transport public, notamment ferroviaire, plus de logements, mais aussi un meilleur respect de la biodiversité, de l'environnement, et un traitement plus efficace des déchets.
Chaque territoire ultramarin doit être en mesure de décider de ce qui est bon pour sa population. Revenons à l'exemple de La Réunion, cône volcanique de 2 500 km2. Il n'est pas possible de construire sur le littoral menacé par le submersion marine. Un projet de construction de 150 logements et de 3 000 mètres carrés de commerces et de services dans le centre de Sainte-Suzanne a, pour cette raison, été remis en cause par la DREAL. Le territoire de presque toutes les communes de La Réunion présente la forme d'une tranche de camembert, s'étendant du bord de mer jusqu'au coeur montagneux de l'île. Il conviendrait de prendre en compte cette spécificité dans les questions d'aménagement du territoire. Or à l'heure de concevoir les plans locaux d'urbanisme et les schémas de cohérence territoriale ou encore de réviser les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), les agents de l'Hexagone oublient que les territoires ultramarins ne sont pas comme les autres. Autrement dit, la gouvernance du foncier mériterait d'être révisée en vue d'une meilleure prise en compte des réalités locales.
M. Hervé Mariton. - J'abonde dans le sens Maurice Gironcel. Il conviendrait de se pencher sur l'articulation des différentes politiques touchant au foncier dans les outre-mer. La multiplication des outils de planification, certes nécessaires, suscite l'incompréhension, voire la confusion.
M. Teddy Bernadotte. - Je suis un directeur territorial guadeloupéen depuis vingt-cinq ans. La CDPENAF ne rend qu'un avis purement consultatif dans l'Hexagone, mais conforme en outre-mer, sans que rien n'explique, juridiquement, cette différence.
La commune guadeloupéenne de Petit-Bourg est l'une des plus touchées par l'érosion du trait de côte. Le transfert de la gestion des 50 pas géométriques, de l'État vers la région, signera la fin du principe d'exception. Des milliers d'habitants sont concernés. Comment régler ce problème avant l'échéance de 2030 ?
Un aspect des débats de ce jour m'a choqué. Il ne me semble pas possible de parler de foncier en outre-mer sans y souligner le niveau de pauvreté. L'habitat indigne résulte de la pauvreté. Avant 1848, les habitants de l'île ne pouvaient pas détenir d'acte de propriété. Il ne saurait pas non plus être question de problématiques foncières sans évoquer l'immigration.
Les élus locaux doivent se demander qui ils représentent véritablement et dans quelle mesure ils expriment la volonté politique de leur électorat. 95 % des entreprises guadeloupéennes sont des TPE. La FEDOM défend-elle leur intérêt ? Les représentants des outre-mer doivent répondre aux attentes de leurs concitoyens s'ils tiennent à retrouver la confiance de la population.
Mme Vivette Lopez. - Je m'interroge sur ma légitimité, en tant qu'hexagonale, à participer à ce débat. Il me paraît essentiel d'écouter et surtout d'entendre les ultramarins. Un simple déplacement en outre-mer ne suffit pas à connaître un territoire. Pour reprendre les propos tenus par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, « le ZAN, c'est naze ». Cet objectif a suscité une telle levée de boucliers qu'une proposition de loi Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus (TRACE) a vu le jour dans l'intention de le remplacer.
Les propos d'Erik Terquem au sujet de la transmission m'ont quelque peu découragée. Plusieurs éléments y font obstacle, notamment la faiblesse des pensions de retraite, en particulier dans le monde agricole. Pour compléter leurs revenus, certains exploitants poursuivent leur activité, au lieu de rétrocéder leur foncier. De plus, les SAFER en outre-mer n'ont pas les moyens d'acheter de grandes terres agricoles.
Saïd Omar Oili préconisait plus tôt d'imposer des limites temporelles au règlement d'une succession, sous peine d'une taxation des héritiers. Sans doute serait-il pertinent aussi d'imposer une taxe aux propriétaires de friches. Dans les cimetières communaux, les propriétaires de tombes à l'abandon sont appelés, par un panneau posé sur la concession, à se manifester. À défaut, celle-ci revient à la collectivité. Peut-être faudrait-il agir de même à propos du foncier agricole et cesser d'imposer aux SAFER d'acquérir des parcelles trop étendues, dépassant leurs moyens.
M. Tearii Alpha. - Il n'existe pas de cadastre sur l'île de Rapa, d'une quarantaine de kilomètres carrés. La terre est gérée sur cette île la plus septentrionale de Polynésie française de manière communautaire, par le conseil municipal et par un comité des sages, réunissant des anciens des grandes familles de l'île. Le Haut-commissaire de la République en Polynésie française - équivalent local du Préfet - reconnaît la situation. Une logique de propriété individuelle de la terre aboutirait à un émiettement des moindres parcelles, préjudiciable à leur gestion. Seule une gestion collective de la terre permettra aux ultramarins de maintenir leur lien avec elle.
M. Philippe Schmit. - De nombreuses réflexions portent en ce moment sur la notion de propriété foncière, et pas seulement en outre-mer. La notion de « commun » est évoquée à l'occasion de colloques entre avocats. De fait, elle a cours en France où des territoires montagneux sont d'ores et déjà gérés collectivement. L'idée d'une propriété individuelle de la terre se voit ainsi peu à peu remise en question.
M. Antony Etelbert. - L'objectif ZAN constitue un enjeu problématique tant dans l'Hexagone qu'en outre-mer. La loi Résilience pose le problème du trait de côte, rognant sur la partie constructible du littoral. Des réflexions s'imposent sur la forme urbaine à proposer à nos territoires. Il conviendra d'organiser des concours d'architecture. La primauté du bâti pavillonnaire doit être remise en question - y compris dans l'Hexagone. Des maires interdisent la surélévation sur le territoire de leur commune, quand bien même elle ne présente pas de caractéristique touristique, alors que, par définition, celle-ci constitue un bien commun. J'incite à organiser des concours de développement urbain sur nos territoires. Des propositions alternatives d'habitat en surgiront, privilégiant des intérieurs spacieux et lumineux, en relation harmonieuse avec leur environnement.
M. Teddy Bernadotte. - De notre point de vue, le sujet du foncier n'est pas technique, mais politique. Un élu guyanais a rappelé tout à l'heure que l'État possédait 80 % du foncier dans son département. Nos débats ne sauraient laisser de côté cette réalité à la fois sociale et anthropologique. Les sentiments de spoliation et de dépossession du foncier n'ont pas non plus été évoqués, malgré leur prégnance aux Antilles, en particulier à Marie-Galante, comme au Pays basque, d'ailleurs. Ces sentiments n'ont d'ailleurs pas été étrangers aux manifestations récentes en outre-mer. Il me semble crucial de ne pas réduire les questions foncières à leur aspect technique. Elles revêtent une dimension beaucoup plus profonde.
M. Éric Hoffmann. - Vous avez raison. Seulement, tôt ou tard, il faut agir. L'approche technique n'exclut pas celle que vous préconisez.
M. Teddy Bernadotte. - Il n'existe de cadastre en Guadeloupe que depuis 1976 ; ce qui signifie que sa mise en place a précédé la décentralisation du début des années 1980. Il importe de remplacer l'inefficacité souvent reprochée aux autorités ultramarines dans son contexte sociologique et historique.
M. Éric Hoffmann. - Le géomètre-expert fait partie des acteurs de la gouvernance du foncier. J'appelle, à propos de la problématique de l'indivision, à chercher des solutions nouvelles hétérodoxes, variables selon les territoires et les pays. Il me paraît essentiel d'assouplir les outils à notre disposition pour les améliorer. Ceux qui se désintéressent de leurs droits juridiques de propriété doivent en assumer les conséquences. Les géomètres-experts restent à la disposition des législateurs pour leur apporter leur connaissance du terrain et des propriétaires, tant publics que privés.
M. Maurice Gironcel. - Les travaux d'Interco' Outre-mer et leur suivi, y compris à l'Assemblée nationale et auprès du Gouvernement, commencent, si ce n'est à porter leurs fruits, du moins à être entendus des pouvoirs parisiens. J'ai parlé du CDPENAF au Président de la République lors de sa venue à La Réunion. Le fait que le CDPENAF rende un avis conforme outre-mer uniquement est inscrit dans la Constitution. Ceci n'en relève pas moins d'une aberration. Il importe que le droit commun s'applique partout.
Un consensus s'est fait jour sur la nécessaire révision de l'objectif ZAN - preuve que la mobilisation à ce sujet a donné des résultats.
La terre constitue un sujet sensible en outre-mer, dans la mesure où l'appartenance à la terre s'y manifeste avec plus de force encore que dans l'Hexagone, en particulier à La Réunion. Beaucoup d'administrés m'appellent pour réserver une concession au cimetière de ma commune. Jusque dans la mort, ils manifestent la volonté d'occuper un terrain qui leur appartienne. Lors d'un déplacement à Bora-Bora, j'ai remarqué la présence de tombes familiales dans la cour d'une propriété.
Mme Vivette Lopez. - Je préconise depuis longtemps un suivi de nos rapports parlementaires et des recommandations qu'ils contiennent. J'ose espérer que, dans quatre ou cinq ans, un autre colloque n'aura pas à examiner de nouveau les questions qui nous occupent aujourd'hui. Il importe de revenir au bon sens pour avancer concrètement. Sans nier l'apport d'un regard neuf sur toute situation, j'insisterai sur la nécessité de tenir compte du point de vue de ceux qui connaissent le mieux leur territoire, à savoir les élus locaux.
Mme Lyliane Piquion-Salomé. - Je tiens à exprimer ma gratitude, au nom d'Interco' Outre-mer, pour cette rencontre cruciale. Je vous remercie, madame la sénatrice, d'avoir défendu la cause de nos régions ultramarines. Il me semble essentiel que les acteurs locaux se trouvent au coeur du processus décisionnel. L'ambition d'Interco' Outre-mer consiste à passer de la parole aux actes en mobilisant nos intelligences collectives. J'appelle de mes voeux l'établissement de liens entre les représentants des outre-mer, notamment de la Polynésie française, pour porter auprès du Gouvernement nos doléances afin de surmonter nos difficultés en nous appuyant sur la solidarité qui constitue notre force.