N° 206

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 décembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer (1) sur le foncier outre-mer : relever ensemble les défis,

Par Mme Micheline JACQUES,

Sénateur

(1) Cette délégation est composée de : Mme Micheline Jacques, président ; Mmes Audrey Bélim, Mme Jocelyne Guidez, M. Victorin Lurel, Mme Viviane Malet, M. Akli Mellouli, Mmes Annick Petrus, Marie-Laure Phinéra-Horth, M. Teva Rohfritsch, Mme Lana Tetuanui, MM. Pierre-Jean Verzelen, Robert Wienie Xowie, vice-présidents ; M. Frédéric Buval, Mmes Vivette Lopez, Solanges Nadille, M. Georges Naturel, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Viviane Artigalas, MM. Philippe Bas, Olivier Bitz, Christian Cambon, M. Guillaume Chevrollier, Mmes Catherine Conconne, Evelyne Corbière Naminzo, MM. Mathieu Darnaud, Stéphane Demilly, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Philippe Folliot, Stéphane Fouassin, Éric Jeansannetas, Mikaele Kulimoetoke, Antoine Lefèvre, Alain Milon, Saïd Omar Oili, Georges Patient, Jean-Gérard Paumier, Mmes Évelyne Perrot, Salama Ramia, MM. Jean-Marc Ruel, Laurent Somon, Rachid Temal, Dominique Théophile.

AVANT-PROPOS

La Délégation sénatoriale aux outre-mer s'est intéressée de longue date à la problématique du foncier dans les outre-mer. Entre 2015 et 2017, elle a produit quatre rapports dont M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, a été le rapporteur coordonnateur.

La rareté du foncier est en effet une donnée structurelle dans les outre-mer. À l'exception de la Guyane qui n'est pas insulaire mais est recouverte par l'immense forêt amazonienne, cette donnée de fait induit de nombreux freins et difficultés. L'intensité des conflits d'usage et l'affectation du foncier disponible notamment sont des problèmes cruciaux dans les outre-mer.

À l'initiative de leurs présidentes respectives, la Délégation sénatoriale aux outre-mer et Interco' Outre-mer ont organisé conjointement un colloque inédit et entièrement dédié au foncier, le 22 novembre 2024 au Sénat, sur le thème : « Foncier en outre-mer : relever ensemble les défis », qui a réuni de nombreux élus et professionnels.

Ce colloque s'est articulé autour de deux séquences :

- la première séquence a permis la présentation de 25 propositions directement issues des conférences menées avec les acteurs de terrain au sein des COP Foncier outre-mer entre avril et août 2024. Ces propositions traitent notamment de la problématique cruciale de l'indivision mais aussi de l'impact de la police et des autorisations d'urbanisme ainsi que des enjeux de planification particulièrement complexes.

- la seconde séquence consacrée à la gouvernance entre acteurs a rappelé que le foncier qui reste un enjeu de premier plan dans chacun des territoires ultramarins (culturel, social, environnemental, économique) est une source de préoccupations majeure pour les collectivités et leurs élus.

Dans un contexte marqué par des transformations environnementales et climatiques rapides, les intervenants se sont interrogés sur les leviers de l'action publique, l'intrication des intérêts particuliers et les orientations stratégiques à définir.

Un sentiment d'urgence est ainsi ressorti des échanges et témoignages ainsi que la conviction de la nécessité d'une approche plus large, peut-être plus communautaire, pour tracer des pistes d'évolution mieux adaptées aux réalités de chaque outre-mer, tenant compte des aspects culturels et s'appuyant sur des retours d'expériences réussies comme par exemple la création du tribunal foncier en Polynésie française ou la Commission d'urgence foncière de Mayotte.

OUVERTURE

Micheline JACQUES,
président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

Madame la présidente,

Mesdames et messieurs les maires, et présidents d'intercommunalités,

Chères collègues parlementaires,

Mesdames, Messieurs,

L'enjeu du foncier revêt une importance cruciale en outre-mer.

La délégation que j'ai l'honneur de présider s'y est intéressée de longue date. Elle a d'ailleurs publié quatre rapports, tous coordonnés par notre ancien collègue Thani Mohamed Soilihi. Celui-ci a depuis été nommé au Gouvernement1(*). Je tiens à saluer une fois encore son indéfectible implication dans ce sujet. Il nous a permis de dresser l'état des lieux des blocages et des effets délétères de la situation du foncier dans nos territoires.

Nos travaux ont notamment porté sur le domaine foncier de l'État, la sécurisation des droits fonciers, les conflits d'usage dans les outre-mer et le foncier agricole.

Comme nous avons pu le constater lors de chacun de nos déplacements dans les Antilles, l'an dernier, à l'occasion de nos travaux sur le foncier agricole ou, plus récemment encore, dans le cadre de notre mission en Polynésie française, le foncier joue un rôle déterminant sur nos territoires insulaires. Les maires nous ont dit combien la question foncière pouvait constituer un frein aux projets de développement de leur territoire, au-delà même de la problématique du financement. Ils nous exhortent à les aider à simplifier les procédures et à libérer les initiatives.

Voilà pourquoi nous associer à ce colloque avec Interco' Outre-mer nous est apparu comme une évidence.

Dans votre rapport de 2023, Madame la présidente, vous avez présenté une plateforme d'une quarantaine de propositions, témoignant de l'ampleur de vos réflexions dans ce domaine. Au coeur de celles-ci, nous retrouvons la question du désordre foncier et du règlement du problème majeur des indivisions. Vous avez eu l'idée de prolonger votre travail par des ateliers organisés dans les territoires.

Nous saluons cette méthode, car elle vous a permis d'aller vers les acteurs de terrain et les élus au contact des réalités ultramarines, complexes et distinctes, d'un territoire à l'autre. La restitution, particulièrement attendue, de ces échanges - les COP (Conférences des parties) foncier outre-mer - nourrira, j'en suis certaine, nos travaux parlementaires.

Je rappellerai que nous sommes à la veille d'un nouveau Comité Interministériel aux Outre-Mer (CIOM), qui se tiendra sans doute en mars prochain, selon le ministre des outre-mer qui s'est engagé à y associer les élus. Or le foncier constitue une priorité à nos yeux, transversale et prégnante. Il faudra tenir compte, bien évidemment, des propositions des professionnels (magistrats, juristes, avocats, notaires, géomètres, etc.), qui ont un rôle essentiel. Il importe en effet de trouver des solutions innovantes pour pallier le déficit de ces métiers dans nos territoires éloignés, trop souvent négligés.

Lyliane PIQUION-SALOMÉ,
présidente d'Interco' Outre-mer

Permettez-moi d'exprimer ma profonde gratitude envers la délégation sénatoriale pour l'accueil chaleureux qu'elle nous réserve aujourd'hui en ce lieu prestigieux. Nous sommes honorés de pouvoir nous réunir ici, au Palais du Luxembourg, pour aborder ensemble un sujet aussi complexe que fondamental pour nos territoires ultramarins : celui du foncier.

Le foncier représente, comme vous le savez, un enjeu stratégique, transversal et de premier plan pour chaque territoire ultramarin. Le foncier, matière première du développement des territoires et de l'action de nos collectivités, revêt de profondes dimensions culturelles et sociales, qu'il importe de respecter.

Dans chaque territoire ultramarin, le foncier constitue une préoccupation constante, un enjeu majeur du développement, qui interpelle au quotidien chaque élu, chaque collectivité, et finalement chaque citoyen. Il touche à l'essence même, à la stabilité et à l'équilibre de ces territoires.

Interco' Outre-mer, comme vous le savez, s'est saisie de la question foncière il y a maintenant plus de deux ans, en structurant des échanges politiques et techniques, et en rassemblant des acteurs de tous horizons : public, parapublic, et privé.

Cette dynamique collective a permis d'aboutir, dès 2023, à une première synthèse, comportant quarante-quatre propositions.

Nous avons eu l'occasion de partager avec plusieurs membres du Gouvernement et des parlementaires nombre de ces observations et propositions que nous formulions sur la dimension historique et culturelle de la terre, le rôle et la place de l'État dans le pilotage foncier, les problèmes de titres de propriété, de fonctionnement des indivisions - ce que nous appelons, en résumé, le désordre foncier, la planification, la connaissance et la formation, l'aménagement opérationnel.

Ce recueil de quarante-quatre propositions est facilement accessible sur le site internet d'Interco' Outre-mer.

Vous découvrirez aujourd'hui les fruits d'un travail d'approfondissement que nous avons souhaité conduire sur certains thèmes, en particulier celui de l'indivision qui occupera une partie de notre matinée, mais également les enjeux de la police de l'urbanisme et de la planification locale.

Ces orientations proposées sont le fruit des COP Foncier Outre-mer que nous avons organisées d'avril à juillet dernier. Ces COP ont permis, dans la continuité de l'esprit de dialogue et d'échanges qui anime les travaux d'Interco' Outre-mer, de rassembler des représentants de l'État, des collectivités locales, régionales, des professions en contact direct avec la population concernant les enjeux fonciers (notaires, géomètres, généalogistes, etc.). Je remercie d'ailleurs tous ceux qui ont pris une part active à ces initiatives.

Je reste convaincue que la coopération entre ces différents acteurs constitue la principale clé de la résolution des blocages fonciers. Dans cet esprit, Interco' Outre-mer encourage la tenue régulière de conférences territoriales du foncier.

Vous constaterez que diverses recommandations interpellent les intercommunalités. Leurs compétences et responsabilités en matière d'aménagement et de développement placent le foncier au coeur de leurs préoccupations. De plus en plus armées pour agir, ces intercommunalités sont considérées, à propos des sujets fonciers, comme l'échelle la plus pertinente pour observer, mobiliser, dialoguer et fédérer les acteurs, former ou encore intervenir.

Cette échelle doit combiner, à la fois, la proximité et la distance parfois nécessaire, compte tenu des enjeux familiaux, sociaux et économiques que soulève la problématique foncière. La mobilisation des intercommunalités s'avère plus que jamais nécessaire pour résoudre nos problématiques foncières. Interco' Outre-mer s'attache donc, avec ses adhérents, comme avec ses partenaires, à en renforcer la visibilité et l'appropriation.

Dans ce contexte, je souhaite que ce travail alimente les réflexions du Parlement. Je vous sais très sensible à l'importance de ces sujets et ne puis qu'espérer la construction d'une loi foncière outre-mer.

Une telle loi permettrait en effet d'aborder la problématique dans sa globalité, sans la voir fragmentée parmi de multiples mesures législatives ponctuelles, trop souvent inadaptées et peu visibles. Cette loi foncière combinerait une vision d'ensemble nécessaire avec les spécificités propres à chacun de nos territoires ultramarins, offrant ainsi une réponse durable et rassurante pour tous les acteurs concernés par ce défi crucial.

Cette matinée consacrée au foncier outre-mer constitue une opportunité d'aborder ensemble des problématiques complexes, mais aussi d'envisager des solutions pragmatiques, adaptées à nos réalités.

En travaillant collectivement, en partageant nos expériences et en confrontant nos idées, nous poserons les bases d'une action publique plus forte et cohérente, véritablement ancrée dans les spécificités de nos territoires.

Je vous invite donc à participer activement à ces échanges en nourrissant le débat de vos expériences et de votre connaissance des réalités de terrain.

Dans un tel esprit de co-construction et de partage, nous pourrons avancer vers une gouvernance foncière capable de relever les défis de demain pour l'Outre-mer.

Claude Plénet

Éric Hoffmann

Erik Terquem

Eugène Larcher

Saïd Omar Oili

PREMIÈRE PARTIE
LE FONCIER, OBJET DE PROPOSITIONS :
RESTITUTION DES COP FONCIER OUTRE-MER

Modérateurs du débat :

Caroline Cunisse,
directrice générale, Interco' Outre-mer

et

Philippe Schmit,
expert foncier et urbanisme, Urba Demain

Mme Caroline Cunisse, directrice générale, Interco' Outre-mer. - Je propose que chacun se présente.

Mme Laure Belanger, vice-présidente au Tribunal de première instance de Papeete et magistrate coordonnatrice du Tribunal foncier de la Polynésie française. - Je suis vice-présidente au tribunal de première instance de Papeete et coordinatrice du tribunal foncier depuis qu'il a vu le jour en septembre 2017. J'ai d'ailleurs contribué à sa mise en place en tant que conseillère de la ministre de la Justice, Mme Christiane Taubira. Celle-ci m'avait confié, alors que je relevais encore de la DACS (Direction des affaires civiles et du sceau), une mission en ce sens, en Polynésie française.

Mme Sylvie Hoareau, directrice du cabinet généalogique de l'océan Indien. - Je dirige le cabinet généalogie de l'océan Indien à La Réunion. Je me félicite de la coordination entre acteurs privés et publics, et me réjouis, en qualité de généalogiste, de participer à ce colloque.

M. Eugène Larcher, vice-président de l'agglomération Espace Sud Martinique, maire de Les Anses d'Arlet. - Je suis vice-président de l'agglomération Espace Sud Martinique, maire de Les Anses d'Arlet, vice-président d'Interco' Outre-mer, et conseiller territorial, en charge de la coopération.

M. Erik Terquem, président directeur général du groupe Terquem, généalogiste. - Je dirige le groupe Terquem généalogie, qui compte une quinzaine de succursales, dont quelques bureaux outre-mer.

Je ne peux que saluer l'organisation de ce colloque. Je distinguerai le foncier constructible, à forte valeur ajoutée, du foncier naturel ou agricole. Le foncier constructible présente, a priori, moins de difficultés à traiter, sauf lorsqu'il reste à en identifier les ayants droit. Quoi qu'il en soit, des moyens différents doivent être consacrés à ces deux types de foncier.

M. Philippe Schmit, expert foncier et urbanisme, Urba Demain. - Je suis expert en aménagement et en urbanisme foncier, associé à Interco' Outre-mer.

M. Claude Plénét, vice-président de l'agglomération du Centre Littoral, maire de Rémire-Montjoly. - Je suis maire de Rémire-Montjoly, commune guyanaise de 30 000 habitants, vice-président de la communauté d'agglomération du centre littoral et membre du bureau d'Interco' Outre-mer.

Il me revient d'introduire ce colloque. Quand j'échange avec mes collègues de Mayotte, je serais tenté de dire que nous ne faisons pas face aux mêmes réalités de terrain. Chaque territoire ultramarin semble confronté à ses propres problématiques. Il fallait cependant bien convenir d'un angle sous lequel aborder ensemble le sujet du foncier. Nous avons travaillé sur l'indivision, les autorisations d'urbanisme, la police de l'urbanisme et, surtout, la planification. Qui apparaît mieux placé que le pouvoir exécutif local, c'est-à-dire qu'une équipe municipale, pour en fixer les objectifs ?

J'ai visité Fort-de-France. Comme à Cayenne, la problématique de l'indivision y est palpable. Des maisons du centre-ville y sont à l'abandon depuis des années. Comment y remédier ? Des recommandations vous seront présentées tout à l'heure. Prenez-les comme une boîte à outils, dans laquelle prélever ce que vous estimerez utile.

Ni mon collègue Eugène Larcher, ni moi-même, ne nous prétendons des spécialistes du foncier. Nous n'en sommes pas moins confrontés à ses problématiques. En Guyane, à première vue, et à la différence des territoires insulaires, l'espace n'est pas ce qui manque. Pour autant, dans les communes de l'intérieur, le foncier n'appartient pas forcément aux collectivités, ce qui pose problème.

Par ailleurs, le sujet de l'indivision se révèle complexe à gérer pour les maires car il touche à la famille. À titre d'exemple, à Rémire-Montjoly, nous souhaitions aménager un parking à proximité d'une école. À l'issue d'une enquête, nous avons identifié le propriétaire du terrain. En réalité, derrière celui-ci ne se cachaient pas moins de vingt ayants droit, répartis entre deux branches hostiles d'une même fratrie. Au final, nous ne savons toujours pas à qui appartient l'espace que nous souhaitons aménager.

Concernant les autorisations d'urbanisme, les mêmes problèmes reviennent sans cesse sur nos territoires. Les constructions illicites - terme plus adapté, selon moi, que celui, souvent utilisé aussi, de constructions indignes - posent des difficultés aux maires, désarmés face à la prolifération des squats. Il revient à la police municipale de se rendre sur place pour dresser un procès-verbal. Le maire promulgue alors un arrêté interruptif de travaux (AIT), à transmettre au procureur chargé d'y donner suite. Le temps qu'aboutisse la procédure, les constructions à faire disparaître ont décuplé. J'ai proposé un système dérogatoire pour les outre-mer, autorisant la démolition immédiate de toute construction irrégulière en cours. Un tel dispositif apparaît cependant complexe à instaurer, d'autant qu'un recours reste possible.

Les constructions outre-mer devraient également gagner en qualité. La France est plurielle. Les mêmes règles ne sauraient s'appliquer partout. Un architecte doit tenir compte du climat. En Guyane, nous ne craignons pas les cyclones. Mon collègue de Grand-Santi est en revanche témoin d'une sécheresse inédite. Nous ne saurions autoriser à construire n'importe comment, sous peine de mettre en danger les résidents en cas d'événement climatique.

Il importe de planifier l'urbanisme, à travers le plan local d'urbanisme (PLU), notamment. Mais comment déclarer une zone constructible sans vision ni maîtrise du foncier ?

M. Philippe Schmit. - Le recueil de recommandations que je m'apprête à vous présenter est consultable en ligne. Je passerai d'abord en revue nos treize recommandations relatives à l'indivision en commençant par les recommandations stratégiques ou politiques avant d'évoquer les recommandations plus techniques.

Un consensus existe quant à l'existence d'une problématique de l'indivision sur les cinq territoires ultramarins représentés dans l'Interco' Outre-mer. La situation n'en gagnerait pas moins à être objectivée.

Il conviendrait de construire des observatoires locaux de l'indivision, de préférence à l'échelle intercommunale. Ces structures permettraient de collecter des données à la fois quantitatives et qualitatives.

L'article 248 de la loi 3DS laisse le soin aux intercommunalités de désigner des référents chargés du recensement des propriétés en indivision. D'après nos observations, cette disposition semble restée lettre morte. Il n'en conviendrait pas moins d'inciter à l'appliquer et de valoriser les missions des « référents indivision » des intercommunalités pour en faire des acteurs de premier plan face aux enjeux, d'observation, d'une part et, d'autre part, fiscaux, sociaux et territoriaux de l'indivision.

Par ailleurs, il importe de structurer le dialogue avec les particuliers. L'insuffisance des échanges entre les différentes sphères de professionnels, dont les géomètres et les notaires, pose problème. Nous recommandons de hisser l'indivision au rang de sujet majeur des conférences territoriales. Il convient d'y réunir les élus locaux et les entités parapubliques comme les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) ou les établissements publics fonciers (EPF), mais aussi les géomètres, les notaires ou les généalogistes pour les amener à discuter, en particulier de l'indivision, au moins une fois par an, à l'échelle intercommunale. Ceci faciliterait la coordination de leurs actions.

Il importe de dissiper, par des plans de communication, les incompréhensions liées à la complexité du sujet de l'indivision. La population peine à en percevoir les enjeux. Les plaintes à l'encontre des notaires, qui mettent souvent des années à régler une succession, ne sont pas rares. Diffuser un message collectif cohérent et encourageant aiderait à résoudre le problème. Nous proposons de coordonner l'action de l'État aux initiatives prises à l'échelle du territoire. L'État devrait donner, en matière de communication, une impulsion sous forme de cadre commun à adapter localement, y compris dans les langues vernaculaires.

Il importe d'accompagner les administrés indivisaires, pour la plupart en désarroi. Des étudiants en droit pourraient être facilement mobilisés dans le cadre de conventions avec des organismes de formation.

Il serait bon de savoir qui, précisément, s'occupe de l'indivision au niveau étatique. L'État devrait ainsi désigner un « référent indivision » dans chaque territoire. L'indivision n'a pas uniquement trait à la fiscalité. La direction générale des finances publiques (DGFIP) n'est donc pas la seule concernée. De même, la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) n'a pas à s'occuper seule de l'indivision, sous le prétexte que celle-ci concerne le logement ; pas plus que cette mission n'est censée revenir exclusivement à l'Office national des forêts (ONF) ou à la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt.

Le référent indivision de l'État assurerait le lien avec le référent indivision du territoire.

Il importe que, dans chaque territoire ultramarin, soit mise en place une juridiction exceptionnelle en charge des affaires foncières, baptisée, selon les cas, tribunal foncier, chambre foncière ou commission de conciliation foncière. La structuration de juridictions spécialisées enverrait un signal fort à la population.

Mme Laure Belanger. - Je ne peux que souscrire à la recommandation de créer une juridiction exceptionnelle, telle qu'il en existe déjà en Polynésie française. La création de ce tribunal foncier résulte d'une étroite collaboration entre le territoire et l'État. Rattaché au tribunal de première instance, il dispose d'une compétence spécifique pour les affaires dites « de terre », c'est-à-dire touchant à la propriété, au partage, à la délimitation de la terre ou encore à son accès, lorsqu'il est compliqué par des servitudes. Ce tribunal, unique en France, s'inscrit dans une tradition en Polynésie française, où les juridictions s'occupant des affaires de terre ont toujours été des juridictions particulières. Il fonctionne depuis le 1er décembre 2017.

Je lui vois trois raisons d'être.

D'abord, il possède une valeur symbolique : son existence même souligne l'importance qu'accordent les autorités aux problématiques foncières, sachant que celles-ci font partie du quotidien de la plupart des familles polynésiennes.

De plus, il constitue un point d'entrée unique pour les habitants confrontés à un problème foncier. Ainsi, en Polynésie française, le service d'accueil unique du justiciable (SAUJ) n'est pas concerné par les affaires foncières. Le tribunal foncier facilite la communication institutionnelle et l'identification, par les professionnels, des interlocuteurs auxquels s'adresser.

Enfin, il accroît l'efficacité de la justice car il emploie un personnel spécialisé (trois magistrats en l'occurrence), sélectionné à la fois pour ses compétences en matière foncière et son appétence pour ce type d'affaires. Le personnel de greffe de ce tribunal a lui aussi été recruté pour son intérêt envers les affaires foncières et ses compétences dans ce domaine.

Des règles de procédure particulières y ont été mises en place. Le juge y dispose ainsi de pouvoirs élargis afin de venir en aide aux justiciables, qui ne sont pas tenus d'engager un avocat. Un magistrat peut désigner, en cours de procédure, un médiateur foncier - profession réglementée depuis quelques années en Polynésie française - sous réserve qu'aucun indivisaire ne s'y oppose. Ce médiateur dispose alors d'un délai de trois mois renouvelables pour parvenir à un accord. Si celui-ci n'est pas homologué, la procédure reprend son cours. Par souci de faciliter la médiation, nous avons demandé aux médiateurs - ce qu'ils ont bien volontiers accepté - de nous suivre lors de nos audiences, y compris dans les îles. Avant qu'elles débutent, ils présentent leur fonction. La prise en charge de leurs frais de transport a été négociée avec le conseil d'accès aux droits. Nous espérons que le nombre de dossiers de médiation, encore limité pour l'heure, progressera au fil du temps.

M. Eugène Larcher. - Je parlerai de mon territoire, la Martinique, une île de 1 100 km2, s'étendant sur soixante kilomètres de long et treize de large. Sa population de 385 000 habitants vieillit en raison du départ des jeunes, principalement à cause d'un manque de logements.

Les populations ultramarines ne disposent que de moyens financiers limités. Or régler une succession revient excessivement cher. Certains propriétaires y renoncent dès lors. Par ailleurs, l'héritage de la colonisation continue de peser.

La loi Letchimy apparaît obsolète. Il faudrait que les intercommunalités se saisissent elles-mêmes de l'indivision pour que le traitement du sujet progresse. Si on ne met pas un terme à l'indivision, le tribunal foncier n'aurait pas de raison d'être. De fait, j'encourage les communautés d'agglomération à franchir un pas de plus, de manière à mettre fin à l'indivision. Faute de terrain disponible, les entreprises ne peuvent pas s'installer outre-mer, ce qui entraîne un déficit de créations d'emploi. En l'absence de travail, les jeunes s'en vont et un cercle vicieux s'instaure. Pour le rompre, il convient d'abord de s'attaquer au problème que posent les successions, puis à l'indivision.

M. Claude Plénet. - Je donnerai un exemple de l'intérêt d'un travail sur le dossier de l'indivision. J'ai discuté avant-hier avec mon collègue de Saint-Esprit, Fred Tirault. La commune de Saint-Esprit compte 10 240 habitants et 402 biens immobiliers vacants, soit 10 % du parc. Fred Tirault a lancé deux procédures, l'une d'acquisition d'un bien présumé sans maître et l'autre, de déclaration d'état d'abandon manifeste. Seul a progressé le traitement d'une vingtaine de dossiers sur les quarante-deux en cours depuis 2020. Ceci prouve l'intérêt de s'orienter vers la conciliation et une procédure judiciaire. Certes, toute procédure judiciaire s'annonce longue et son aboutissement, incertain. Le règlement d'une succession demeure coûteux en France. Hériter entraîne des dépenses et implique donc de disposer des fonds nécessaires, ce qui ne va pas de soi.

En Martinique, 38 000 logements demeurent vacants pour des raisons de succession ou d'indivision. Ce chiffre donne une idée de l'ampleur du chantier auquel s'atteler. Je ne sais comment envisager de régler la problématique à laquelle fait face, dans sa commune, mon collègue de Matoury, Serge Smock, par ailleurs président de la communauté d'agglomération du centre littoral de Guyane (CACL). Des quartiers immenses y sont squattés, comme d'ailleurs à Cayenne et dans beaucoup de communes de Guyane. Sans la conciliation, le maire risque de se retrouver seul face à un mur. Il n'en faut pas moins avancer et construire les territoires, de manière à la fois quantitative et qualitative.

Il n'est pas acceptable que tant de constructions demeurent à l'abandon, envahies par la végétation dans les Antilles, en particulier à Basse-Terre ou Pointe-à-Pitre. L'exécutif assume une part de responsabilité dans ce problème. Il a un rôle de facilitateur à jouer. Le recours à la conciliation apparaît indispensable.

M. Erik Terquem. - Les propos qui viennent d'être tenus résonnent profondément en moi. Ils trouveront à n'en pas douter un écho chez les professionnels concernés par le foncier comme les géomètres. Claude Plénet, sachez qu'il existe des solutions pratiques pour régler les problèmes que vous évoquez, tout à fait symptomatiques de ce que nous constatons sur le terrain.

Pour régler une indivision, il importe d'identifier précisément, d'une part, le bien concerné et, d'autre part, les ayants droit. La moitié des recherches foncières que mène notre cabinet à la demande d'héritiers montrent que les terrains que ceux-ci revendiquent n'appartiennent plus, en réalité, à leur famille. Aussi importe-t-il de déterminer la généalogie du titre de propriété, quitte à convoquer l'expert géomètre pour borner le bien et en établir la superficie.

La qualité héréditaire du co-indivisaire doit aussi être prouvée. Il ne suffit pas de s'inscrire dans une généalogie pour prétendre à un héritage. Les héritiers d'un bien ne sont autres que les descendants vivants les plus proches du porteur du titre de propriété. Il importe d'établir une dévolution successorale certifiée, qui permette au notaire d'enregistrer l'acte de notoriété, lequel conférera la qualité héréditaire aux héritiers.

À La Réunion, nous dénombrons en moyenne entre 90 et 130 héritiers par indivision, sachant que, selon l'administration fiscale, 37 % du territoire de La Réunion est en indivision. Pour identifier les parcelles en indivision, il suffirait à l'administration centrale étatique de recenser toutes les parcelles où l'impôt foncier n'est pas levé. Il en résulte d'ailleurs des milliards d'euros de pertes pour les administrations, locales comme nationales.

Depuis quinze ans, à La Réunion, notre cabinet suit 750 dossiers, soit 15 000 héritiers. Le généalogiste établit une dévolution successorale, un tableau certifié, et soumet à la validation d'un notaire un acte de notoriété conférant la qualité héréditaire aux ayants droit. Le généalogiste assume ensuite un second rôle : celui de mandataire successoral des héritiers.

L'article 36 de la loi du 23 juin 2006 autorise le maire à saisir un généalogiste, car il est dans l'intérêt de la commune d'identifier les ayants droit et les titres de propriété - piliers fondamentaux de la résolution d'une succession. Un généalogiste peut devenir le mandataire des héritiers, lorsque ceux-ci signent une procuration en ce sens. De fait, il arrive à des héritiers d'avoir besoin d'un mandataire, en raison d'une mésentente entre eux, ou parce que leur nombre trop important les contraint à désigner un tiers pour centraliser les informations. Il se peut aussi que le généalogiste assume un rôle de mandataire après avoir été désigné en tant que tel par une procédure judiciaire. D'une manière ou d'une autre, la désignation d'un mandataire suffit en général à débloquer la situation, ne serait-ce que pour des raisons financières.

Depuis quinze ans, à La Réunion, notre cabinet a avancé plus de 4 millions d'euros sur ses fonds propres pour accompagner les familles dans le règlement des actes indispensables à l'aboutissement de leur dossier. Parmi ces actes, citons : l'acte de notoriété conférant la qualité héréditaire ; la recherche du titre de propriété ; le bornage du terrain par un expert géomètre ; la valorisation du terrain par un expert en valeur vénale - sans omettre les frais d'avocat en cas de procédure judiciaire.

Il est nécessaire de mobiliser environ 10 000 euros en moyenne par indivision. Le mandataire, en coordination avec les services publics, pourrait être destinataire d'une telle somme. J'invite par ailleurs à distinguer les terrains à forte valeur ajoutée, en zone constructible, susceptibles de contribuer au développement économique des communes, des nombreuses parcelles agricoles non constructibles présentant des enjeux moindres.

M. Claude Plénet. - Combien d'ayants droit en moyenne dénombrez-vous par succession à l'échelle nationale ? Comment les ayants droit remboursent-ils votre cabinet ? Grâce à la vente du bien ?

M. Erik Terquem. - Notre cabinet est saisi par les héritiers qui acceptent, par contrat, de nous abandonner un pourcentage de la valorisation de leur bien, sachant qu'il nous reviendra de le liquider. Souvent, il est question de petites parcelles, qu'il n'est pas possible d'attribuer à l'ensemble des ayants droit, trop nombreux. Nous prélevons un pourcentage sur le montant du bien, une fois celui-ci vendu, plus des frais sur le montant de la transaction.

M. Claude Plénet. - Les ultramarins éprouvent souvent un fort attachement aux biens de leur famille, dont ils ne souhaitent pas se dessaisir. Que se passe-t-il dans de tels cas de figure ?

M. Erik Terquem. - À l'échelle nationale, le problème ne se pose pas. L'arsenal législatif en place suffit à régler le problème des indivisions. En lieu et place d'un héritier absent ou défaillant, dans un délai de six mois suivant le décès, en cas de non-dépôt de la déclaration de succession ou de non-règlement des impôts dus au titre du droit de succession, l'administration domaniale doit liquider le bien.

M. Antony Etelbert, docteur en anthropologie. - Je me présente en tant que docteur en anthropologie, ingénieur, urbaniste et spécialiste en ingénierie foncière. Ce que j'ai entendu à propos de l'indivision me peine. Nos sociétés sont déjà très fracturées et conflictuelles. Le règlement de l'indivision ne fait qu'aggraver une telle situation. Une solution plus douce, axée sur la médiation, ne serait-elle pas envisageable ? Dans le cadre d'une indivision, à la différence de celui d'une copropriété, tous les propriétaires ou ayants droit se connaissent. Dans certaines circonstances, il faudrait aboutir, au besoin à l'issue d'une médiation, à un partage du foncier en lots. La propriété commune du foncier correspond à une résurgence des cultures africaines, notamment igbo. Chez les Igbos, la terre appartenait au clan et, lorsqu'un de ses membres voulait construire, il s'adressait au patriarche qui lui désignait une parcelle. J'aimerais ainsi ajouter une dimension culturelle anthropologique aux réflexions développées par Interco' Outre-mer.

M. Claude Plénet a évoqué les biens sans maître ou à l'abandon. Les baux à construire pourraient bénéficier aux collectivités, de manière à partager les revenus sans déposséder les propriétaires.

M. Tearii Alpha, maire de Teva I Uta. - J'ai été ministre des Affaires foncières pendant huit ans au sein du gouvernement d'Édouard Fritch, où j'ai contribué à la création du dispositif foncier en place en Polynésie française. L'objectif du gouvernement Fritch consistait à réussir la cohésion territoriale à travers le règlement foncier. L'indivision représente à la fois un frein et une chance, dans certaines situations, car elle peut éviter qu'une famille se retrouve dépossédée d'un bien.

Il importe de s'orienter vers la médiation et la conciliation. Rien ne sert de titrer individuellement des terres pour, au final, s'en retrouver démuni. Il reste à inventer une gestion collective de l'indivision. Nous avons organisé, en 2017, un colloque intitulé « Sécurisation foncière », où nous avions convié le conseil supérieur du notariat (CSN) et son président Didier Nourissat pour qu'il accompagne, avec des experts généalogistes et géomètres, la Polynésie française vers l'instauration d'un système disruptif, toujours d'actualité.

Nous avons mis en place, à l'intention des familles, une aide individuelle à la sortie d'indivision, non remboursable et plafonnée. Nous avons en outre proposé une gestion collective de l'indivision par la création de titres collectifs de propriété. Nous avons même cherché à créer une fiducie foncière pour organiser le développement de terrains fonciers. Il s'agit d'inciter les familles à partager une ambition publique d'aménagement d'un foncier privé en amenant leur intérêt particulier à converger avec l'intérêt général.

Mme Micheline Jacques, président. - En Polynésie française, en contrepartie de cette aide non remboursable, les familles renoncent au droit de vendre leur bien pendant trente ans. La préservation du foncier présente une utilité indéniable. L'exemple de Saint-Barthélemy, territoire de 21 km2 à peine, l'illustre parfaitement : la pression foncière, considérable, et les prix exorbitants des terrains incitent la population à vendre. Je m'évertue à lutter contre cette tendance.

M. Claude Plénet. - Une famille, dans le cadre d'une indivision, n'a parfois de commun que son nom. Il arrive qu'elle ne réunisse que des étrangers, voire, pire encore, des ennemis. Aussi importe-t-il d'établir la part des choses quand il est question de famille.

Je me rappelle avoir signé un acte chez un notaire de Cayenne, qui m'a dit craindre qu'une branche d'une famille en croise une autre dans son office, auquel cas, ils risquaient d'en venir aux mains. Peut-on encore parler de famille dans ces circonstances ?

M. Philippe Schmit. - Abordons à présent nos recommandations techniques.

Il est ressorti de discussions dans le cadre des COP foncier que certaines dispositions de la loi Letchimy gagneraient à être ajustées. L'une d'elles porte sur la simple majorité requise en outre-mer pour traiter en indivision les affaires, sachant qu'en droit commun, dans l'Hexagone, l'unanimité est requise. La loi Habitat dégradé du 9 avril 2024 a prorogé le terme de la loi Letchimy jusqu'en avril 2038 tout en la faisant quelque peu évoluer. Selon nos travaux, loin de rassurer les notaires, cette loi n'est que fort peu utilisée. Aussi proposons-nous aux parlementaires de l'ajuster. La loi Letchimy s'applique en principe aux indivisions ouvertes depuis au moins dix ans. Pourquoi ne pas réduire ce délai à cinq ans ? Les délais de contestation et les modes de saisine du tribunal posent, eux aussi, problème. Les acteurs de terrain reprochent à cette loi un manque de fluidité. Son actuelle formulation ouvre la voie à plus de problèmes qu'elle n'apporte de solutions.

La problématique de la prescription acquisitive (ou usucapion) constitue un sujet de taille. Dans l'Hexagone, elle s'étend sur trente ans. La loi Habitat dégradé du 9 avril 2024 a toutefois, sous certaines conditions, réduit à dix ans le temps d'occupation nécessaire pour faire prévaloir un droit à reconnaissance de propriété. De vives inquiétudes se sont exprimées à ce sujet dans les Antilles. D'aucuns y voient un risque d'explosion sociale. La réduction du temps d'occupation a résulté d'une initiative parlementaire plutôt mahoraise. Peut-être le territoire de Mayotte présente-t-il, de ce point de vue, une particularité unique.

Nous recommandons d'opter pour un moyen terme en établissant le délai de prescription acquisitive à vingt ans en outre-mer. De plus, la notion d'usage « non équivoque » du terrain, pourtant bien présente dans le Code civil, n'apparaît plus dans la loi du 9 avril 2024. Nous y voyons un danger. Nous avons enfin été alertés à propos des délais de contestation et des mécanismes de publicité.

Des dispositifs publics d'aide individuelle aident les indivisaires à régler les frais associés à une succession - de géomètre, de généalogiste, d'avocat ou encore de médiateur foncier, le cas échéant. Les sommes correspondantes deviennent rapidement exorbitantes, au point que leur règlement se convertit en obstacle infranchissable. Surtout, elles suscitent des crispations quand leur paiement n'aboutit à rien de concret. Il importe de dresser un bilan des aides existantes.

Un GIP (Groupement d'Intérêt Public) de titrement et de règlement des indivisions a vu le jour en Martinique. Des dispositifs de prêt à taux zéro et d'avances remboursables sont en place. Il conviendrait de dresser un bilan de ces dispositifs et d'évaluer leur efficacité.

Par ailleurs, vaut-il mieux attribuer les aides aux individus ou directement aux professionnels mobilisés dans le règlement des indivisions ? Il nous semble qu'une réflexion s'impose, à partir d'un bilan de l'existant. Aux Antilles, je n'ai pas encore rencontré une seule famille épargnée par le sujet de l'indivision, qui crée des ravages, notamment en termes d'entretien des bâtiments. Comment octroyer les aides individuelles pour qu'elles jouent pleinement leur rôle ? Peut-être Laure Belanger pourra-t-elle nous éclairer de son point de vue.

Dans le même ordre d'idées, il serait bon qu'une mission gouvernementale de l'IGF (Inspection Générale des Finances) ou de l'IGEDD (Inspection Générale de l'Environnement et du Développement Durable) évalue les effets des mécanismes fiscaux (taxations, abattements et exonérations applicables aux successions, donations et partages) afin de déterminer ceux qui jouent un rôle de levier ou, à l'inverse, de frein ; d'une part, dans l'Hexagone, et d'autre part, en outre-mer.

Rappelons que le principal problème de l'indivision réside dans son cumul. Certaines s'étendent ainsi sur pas moins de trois générations. Plus le temps passe, moins une solution s'esquisse. Aussi importe-t-il d'encourager la transmission des biens du vivant de leur propriétaire. Culturellement, ce mécanisme demeure rare en outre-mer - de même qu'en France, de manière générale, encore qu'il progresse toutefois. Ceci nous ramène à nos premières recommandations concernant la nécessaire mise en place de plans de communication.

Les indivisions figent les bâtiments dans un niveau d'entretien médiocre. La même remarque vaut, plus encore en Guadeloupe qu'en Martinique, pour le petit foncier agricole, en friche ou mal entretenu. Il en résulte, non seulement un problème social, mais aussi territorial, de détérioration des paysages et d'entrave à l'action publique.

En somme, l'indivision apparaît comme l'un des facteurs du désordre foncier et le principal obstacle à surmonter dans ce domaine.

Mme Laure Belanger. - Les dispositions facilitant l'acquisition de la propriété par usucapion ne sont pas applicables en Polynésie française. Je partage les inquiétudes qui se font jour à travers vos recommandations quant aux risques d'instabilité juridique et de tensions sociales susceptibles de résulter d'un recours trop aisé à l'usucapion.

En Polynésie française, l'usucapion apparaît comme une importante source de contentieux au tribunal foncier. Il n'est par ailleurs pas facilement admis en jurisprudence. Il importe de respecter les textes de loi, très stricts dans ce domaine. L'usucapion n'est surtout pas aisément admise quand un indivisaire l'invoque. Pour se faire reconnaître comme le propriétaire d'une terre, il faut s'être comporté matériellement et intentionnellement comme un propriétaire exclusif. Or un indivisaire qui a construit ou planté sur une terre n'a effectué de tels actes qu'en tant que propriétaire indivisaire. Il faudrait, pour invoquer l'usucapion, que l'indivisaire démontre avoir agi en tant que seul et unique propriétaire et que les autres indivisaires le reconnaissent comme tel. Nous nous heurtons là à la mentalité et à la culture polynésiennes. Dans la tradition polynésienne, quand une famille se répartit l'occupation d'une terre, en laissant par exemple un membre d'une fratrie y élever une construction, il n'est pas question pour autant de lui réserver, à lui et à sa descendance, la propriété exclusive du lopin concerné. Simplement, la solidarité familiale entre en jeu. Or les descendants revendiquent par la suite la propriété privative de la terre bâtie, généralement en bord de lagon.

M. Erik Terquem. - Je salue l'intervention de Laure Belanger. Le problème que vous soulignez n'est pas tant propre à la culture polynésienne que lié au respect de la propriété. L'acte d'usucapion, lorsqu'il est sollicité au profit d'un occupant co-indivisaire, porte préjudice aux autres héritiers, ce qui apparaît intolérable. L'acte d'usucapion ne saurait poursuivre un objectif spéculatif ni profiter à des personnes n'ayant jamais occupé le terrain concerné. Des contentieux surgissent d'ailleurs à ce sujet. L'acte d'usucapion peut régler une indivision à condition qu'il ne résulte pas d'une demande de l'occupant actuel du terrain, mais du précédent occupant, à savoir ses parents ou grands-parents. Il importe dès lors de remonter la dévolution successorale. Faute de quoi, l'usucapion fait figure de bombe à retardement dans les indivisions.

Le législateur en a encore exacerbé le potentiel disruptif en accentuant la différence entre le citoyen de métropole et l'ultramarin, à l'égard d'un droit pourtant constitutionnel - celui de la propriété. Le texte de loi auquel je fais référence n'a pas été soumis au contrôle du Conseil constitutionnel qui, sans cela, l'aurait sans nul doute invalidé.

M. Saïd Omar Oili. - L'initiative de la loi que vous évoquez est en effet partie de Mayotte. Chaque territoire est différent, bien que nous soyons tous de nationalité française. Avant la départementalisation, à Mayotte, nous n'avions ni nom ni prénom, étant simplement connus en tant que « fils de... ». Le législateur a créé une commission de révision de l'état civil. Cinq ans ont été laissés à l'ensemble des Mahorais pour se choisir un nom, gratuitement. Bien que nous soyons à l'origine bantous, musulmans ou africains, nous portons désormais tous un nom à la manière française. La loi 3DS oeuvre dans le même esprit. La différenciation doit devenir une réalité dans notre République. Uniformiser les pratiques nous conduirait à l'échec.

Pourquoi ne pas laisser cinq ans à la population pour régler le problème qui nous occupe ? Certaines collectivités font face à des difficultés financières. Une telle initiative leur assurerait un afflux de trésorerie.

Près de 60 millions d'euros reviendraient à la commune de Mamoudzou si le cadastre était à jour. Une telle somme éviterait de trop solliciter l'État. En réalité, des possibilités considérables s'ouvrent à nous pour prendre en main notre propre développement. Malheureusement, nous nous sentons parfois méprisés à Paris. En tant que parlementaires, nous ferons entendre les voix de nos territoires partout où cela sera nécessaire pour que notre différence soit acceptée au sein de la nation française.

Mme Micheline Jacques, président. - Je souscris entièrement aux propos de mon collègue Saïd. La délégation aux outre-mer s'apprête à rendre un rapport sur l'adaptation des modes d'action de l'État aux réalités des territoires.

D'un territoire à l'autre, sous le prétexte que la loi est une et indivisible, son application crée des inégalités. Prenons un exemple simple : il n'est pas possible d'enseigner de la même manière le long de l'Oyapock qu'à Paris. Cette notion de différenciation et d'adaptation s'avère cruciale pour les territoires ultramarins.

L'État dépense mal ses ressources. Une révision des postes budgétaires se traduirait par l'amélioration de la situation de bien des collectivités, assortie d'économies pour l'État dans les territoires ultramarins. Du moins les dépenses de l'État y gagneraient-elles en efficacité. Je plaide pour un développement des outre-mer par le travail et la création de richesses. Nos territoires sont des territoires d'innovation. Ils doivent être pris pour exemple car ils apporteront des solutions à l'Hexagone, surtout en la période de changements climatiques que nous traversons. Montrons-nous fiers de nos territoires, plutôt que de demander à l'État de trouver des solutions à notre place. J'apprécie l'approche de la Polynésie française, qui n'a pas hésité à proposer sa propre vision du développement de son territoire. Saint-Barthélemy s'en est beaucoup inspiré. Il appartient à chaque territoire de développer son propre projet en fonction du potentiel qu'il présente.

Les territoires ultramarins transcendent les clivages partisans. Nous avons la chance d'être représentés sur les bancs du Sénat par vingt et un parlementaires sur les trois cent quarante-huit que compte cette assemblée. Notre rôle de parlementaire consiste à faire connaître les réalités de nos territoires à nos collègues de l'Hexagone. J'en profite pour remercier Vivette Lopez ainsi que d'autres collègues impliqués dans les enjeux que doivent relever les outre-mer.

M. Charles Nebot, consultant patrimonial indépendant. - En tant qu'ancien conseiller en gestion de patrimoine, je ne peux que m'incliner face à la pertinence de la plupart de vos recommandations. Depuis quatre ans, j'effectue régulièrement des allers-retours entre la Guadeloupe, la Martinique et Paris pour animer des conférences sur le fonctionnement des successions et la sortie de l'indivision. Mes clients déplorent des difficultés à assimiler les informations que je leur délivre, malgré mes efforts pour les rendre accessibles au plus grand nombre. Comment pourrais-je m'inscrire dans la démarche que vous préconisez ?

Lors de chacune de mes conférences interviennent un généalogiste, un banquier et un notaire, afin d'expliquer au grand public les enjeux de la succession. Je demande également à ces professionnels de présenter leur métier, car bon nombre de nos concitoyens redoutent de faire appel à un notaire et de s'engager dans de longues démarches, sans comprendre les éventuels obstacles à leur aboutissement.

J'ai développé des outils permettant au grand public de mieux comprendre le règlement des successions ou encore les dispositions de la loi Letchimy. Je m'interroge sur la manière de les rendre plus accessibles à tout un chacun.

M. Éric Hoffmann, président de l'Ordre des géomètres experts de l'océan Indien. - En tant que géomètre-expert, j'aimerais attirer l'attention sur l'application de la loi Letchimy aux seuls actes notariés. Étendre ses dispositions à d'autres actes délimitant les propriétés et les droits réels qui y sont attachés faciliterait le règlement des indivisions. Les géomètres-experts interviennent après tout dans le même cadre que les notaires.

M. Philippe Schmit. - Je vous invite à formuler par écrit votre proposition.

M. Éric Hoffmann. - Je tiens en outre à rappeler que l'usucapion constitue un mode d'acquisition de la propriété privilégiant l'occupant qui s'est comporté pendant une certaine durée (trente ans à l'origine) comme propriétaire, au détriment de celui qui a délaissé sa propriété. L'usucapion peut parfois résoudre des solutions inextricables - y compris dans le cadre des indivisions.

Enfin, je reviendrai sur les frais liés à la sortie d'indivision. Une telle sortie peut passer par une division de terrain, ce qui - en particulier en zone urbaine - ne va pas sans conséquence en termes d'urbanisme et d'autorisation d'urbanisme. Des travaux coûteux de viabilisation doivent obligatoirement être menés à bien avant la passation de l'acte. Or les propriétaires ne tiennent pas nécessairement à bâtir sans attendre. Certes, il importe de respecter la viabilisation, sous la forme de permis d'aménager, compte tenu du caractère indispensable de la planification. Celle-ci n'en soulève pas moins des questions à la fois financières et techniques.

M. Jean-Claude Labrador, maire de Roura en Guyane. - Je suis maire de la commune de Roura, en Guyane. Depuis une semaine que je suis à Paris, j'entends pour la troisième fois parler de visites de territoires ultramarins ayant laissé de côté mon département. Cela me déçoit.

Surtout, je ne me retrouve pas dans vos débats car le problème de foncier auquel je suis confronté se pose entre l'État et la collectivité. Votre colloque est le troisième auquel j'assiste au sujet du foncier, or il me reste encore à constater des incidences positives des débats sur le terrain. De nombreux problèmes ont été dénoncés, sans que la moindre solution ait été mise en oeuvre. Une décision finira-t-elle par être prise ? Ne devrions-nous pas plutôt orienter nos travaux futurs dans une autre direction ?

M. Claude Plénet. - La pluralité des territoires ultramarins a déjà été soulignée. La problématique de l'indivision n'en est pas moins présente partout, y compris en Guyane, dans le centre-ville de Cayenne comme à Rémire-Montjoly. Pour commencer à résoudre le problème du foncier, il importe d'opter pour un angle d'attaque, quel qu'il soit. Attelons-nous donc à surmonter les difficultés que pose l'indivision.

Nous sommes ici réunis dans un esprit constructif - et non de division. L'important travail déjà mené peut fort bien servir à notre territoire. Les recommandations présentées ce jour ne constituent pas une liste exhaustive, mais une boîte à outils. Il appartient à chacun d'y sélectionner ce qui lui convient pour remédier aux difficultés rencontrées par son territoire.

M. Félix Dada, maire de Grand-Santi en Guyane. - Je suis maire de Grand-Santi, commune guyanaise de 8 000 habitants du Haut-Maroni. Je ne parlerai pas de foncier ni même d'indivision, car, sur notre territoire, nous en sommes encore à chercher à qui appartiennent des terrains bâtis et occupés. Je suis amené à signer des permis de construire sur des terrains sans propriétaire, ce qui me place dans une situation juridiquement délicate. Lorsque je sollicite moi-même une subvention pour la construction d'une route, je dois indiquer à qui appartient le terrain sur lequel celle-ci passe, or aucun document ne me renseigne à ce propos.

M. Philippe Schmit. - Les problèmes de titrement et d'indivision contribuent au désordre foncier. Comme nous ne pouvons pas examiner en profondeur toutes les facettes de cette question, nous avons décidé de nous attacher aujourd'hui à l'indivision. Vous n'en avez pas moins raison : le titrement reste au coeur du problème. Il importe de faire vivre le foncier sur chaque territoire ultramarin, avec les acteurs de terrain.

Mme Coline Sinquin. - D'origine haïtienne et portoricaine, j'ai vécu dix ans à Saint-Martin, où j'étais propriétaire d'un restaurant, que j'ai vendu. À mon retour, quelques années après, j'ai retrouvé ce lieu sans ayant droit envahi et squatté - parfaite illustration du problème du foncier bloqué.

Il a été question d'outils pour libérer le foncier. J'ai fondé Omedom, une entreprise du secteur des nouvelles technologies. À l'instar de la Martinique, Saint-Martin fait face à des aléas climatiques majeurs. Deux mille habitants quittent cette île chaque année. 60 % du foncier n'y est pas assuré. La loi Letchimy y apparaît obsolète. La population vieillit, et les structures familiales ont fort changé, en l'espace d'une vingtaine d'années. Les familles recomposées sont de plus en plus nombreuses. Les successions, complexes, tardent à se régler. Les héritiers, acclimatés au numérique depuis leur plus jeune âge, ne sont pas éduqués aux enjeux du titrement ni du foncier. La crise du foncier recoupe la crise du logement. L'histoire s'effrite, s'égare et se cristallise. La crise que je décris est liée à des enjeux sociaux, sociétaux et culturels, mais aussi économiques et politiques. Il importe de résoudre le problème du foncier pour régulariser des territoires, en maîtriser la population, la protéger et construire avec elle une histoire, entre particuliers et professionnels.

L'outil développé par Omedom se veut une passerelle. Il est destiné aux propriétaires et aux experts qui les accompagnent. Solution à la fois digitale et éthique, il vise à acculturer à la gestion patrimoniale, centraliser des informations, suivre en temps réel des finances et anticiper l'avenir en mentionnant les ayants droit. À la demande de la collectivité de Saint-Martin, j'ai présenté Omedom en août dernier aux services du logement et de l'urbanisme, dans le cadre de la création, en janvier 2025, du GIP dont vous avez dû entendre parler. Quelle place les collectivités laisseront-elles aux solutions innovantes ? Omedom se veut un outil destiné tant à la population qu'aux collectivités. Il prend en compte les spécificités du territoire et son identité. Omedom apparaît tout à fait en phase avec vos première, quatrième, cinquième, onzième et treizième recommandations.

Mme Francette Florimond. - J'aimerais lancer un appel aux spécialistes de la succession. Il m'a fallu régler la succession de mes parents en début d'année. Bien que je dirige une publication économique, je n'ai rien compris au document successoral qui m'est parvenu. Je me suis rapprochée d'un notaire d'une grande compétence, qui l'a reformulé pour m'expliquer les processus de calcul de diverses pensions. Personne, dans ma famille, n'aurait signé le document sans la médiation du notaire. Aussi une approche pédagogique me semble-t-elle indispensable pour surmonter les problèmes de l'indivision.

M. Erik Terquem. - Le notaire, en tant qu'officier public, ne saurait être juge et partie dans les conflits familiaux que font souvent naître les indivisions. Le rôle du notaire consiste à rédiger des actes authentiques et non à gérer une indivision. Cette mission incombe à un mandataire, qui ne saurait être officier public.

Mme Laëtitia Vangout. - Un notaire est quand même tenu à un devoir de conseil. En tant que professionnel du droit, il doit expliquer les actes qu'il rédige. Il lui revient de s'assurer que l'ensemble des signataires d'un acte comprennent ce qu'ils signent. Vous avez eu raison, Mme Florimond, de demander des explications à votre notaire.

M. Philippe Schmit. - En outre-mer, bien que la situation apparaisse malaisée à objectiver, les constructions en infraction - avec ou sans autorisation - s'avèrent bien plus nombreuses que dans l'Hexagone. Il importe de dresser un état des lieux de ce phénomène. L'habitat spontané massif, relevant d'un premier type d'infraction, revêt, en Guyane ou à Mayotte, la forme de villages sortant de terre en une dizaine de jours à peine. À côté de cela s'observent les infractions commises par tout un chacun - y compris des entreprises. Bien que les chiffres manquent, et malgré les tentatives de l'agence d'urbanisme de Guyane de cartographier le phénomène, il semblerait moindre à La Réunion qu'à Mayotte ou en Guyane. Les professionnels de l'urbanisme dans les Antilles estiment que 30 % à 40 % des constructions y enfreignent la loi.

Nous recommandons de procéder à des observations puis à des analyses à l'échelle intercommunale. De telles observations gagneraient à être partagées avec les agences d'urbanisme, mais aussi d'une intercommunalité à l'autre. Beaucoup de constructions sortent de terre sans que nul ne maîtrise ce qu'il se passe. Il a été question, à Mayotte, d'impliquer les agents des polices municipales dans la lutte contre ce problème. Un enjeu d'affirmation du pouvoir politique se fait jour. Il n'est pas facile pour un élu de se montrer ferme.

La population doit comprendre que l'autorisation d'urbanisme ne relève pas d'une sanction. Il importe au contraire de la présenter comme un dispositif de protection. Des intercommunalités ont constitué des services instructeurs mutualisés. Des plans de sensibilisations gagneraient à voir le jour à l'échelle intercommunale. Un argumentaire solide devrait convaincre le citoyen pétitionnaire d'y voir une avancée en matière d'assurance de l'habitation, d'obtention de prêts, de bonne entente avec le voisinage ou encore d'administration judicieuse du bien.

Certes, il reste possible de vendre un terrain construit en infraction, mais au prix d'une extrême vulnérabilité juridique - et ce dans un contexte d'aléas climatiques de plus en plus fréquents. Le problème doit s'envisager à l'aune des transformations environnementales en cours. Sans affirmation du pouvoir politique sur l'usage du sol, un avenir sombre se profile à l'horizon.

Le respect des règles locales d'urbanisme doit devenir un enjeu prioritaire. L'établissement des PLU relève des compétences des communes, à l'exception de Mayotte où ils sont établis à l'échelle intercommunale. Leur déploiement requiert des moyens considérables, en temps comme financièrement, d'autant qu'ils supposent une grande technicité. Faute de fermeté dans leur application, ils ne servent toutefois à rien. Je me suis entretenu avec les auteurs des PLU à Mayotte ainsi qu'avec les chefs de projet. Ils nous ont mis en garde : il importe de réagir rapidement aux infractions, qu'elles soient massives ou le fait d'un simple particulier, faute de quoi surgissent des problèmes de stationnement sur la voie publique. De fait, les coûts du rattrapage, notamment pour les réseaux en Martinique ou en Guadeloupe, représentent des dépenses publiques considérables. En résumé, la police de l'urbanisme constitue un enjeu essentiel.

L'arsenal législatif en place, bien qu'assez complet, demeure insuffisamment utilisé. Une loi promulguée par ordonnance en 2019 a conforté les pouvoirs du maire en matière de mise en demeure et d'astreinte. Le pouvoir local devrait davantage s'en saisir et ainsi être en mesure de témoigner devant le juge qu'il a réagi à temps. Les outils existants auraient intérêt à être pleinement mobilisés avant de faire appel aux tribunaux. Ce point touche aux problèmes d'encombrement judiciaire et nous amène à proposer la création d'une juridiction spécifiquement consacrée aux affaires foncières. Il nous a été rapporté qu'en Martinique, un seul bâtiment illégal aurait été détruit en quarante ans.

Il conviendrait de laisser la possibilité aux maires de confier une partie de leurs pouvoirs de police, de mise en demeure et d'astreinte, au président de l'intercommunalité. Le même débat, à propos de l'échelle territoriale à laquelle agir, s'est tenu dans l'Hexagone voici une quinzaine d'années. Des mécanismes de délégation auraient intérêt à voir le jour.

Il conviendrait de renforcer les contrôles au moindre signe de travaux en cours. Dès qu'un agent de la mairie aperçoit des parpaings en cours de montage, il doit agir, c'est-à-dire établir un constat sur place. J'ai beaucoup discuté de ces problèmes avec les maires de métropole. Force est de reconnaître que la tâche s'avère immensément plus complexe en outre-mer. Elle requiert une organisation rigoureuse assortie d'une affirmation du pouvoir local.

L'instruction des autorisations d'urbanisme a toujours été perçue comme le parent pauvre de l'urbanisme, par opposition à la planification ou à l'élaboration de grands projets d'aménagement. J'appelle les élus à prendre la pleine mesure de la complexité de cette tâche. Beaucoup d'agents, sur les territoires ultramarins, se rendent sur le terrain, la peur au ventre. Si l'État se montre plutôt réactif devant les opérations d'ensemble comme les implantations de populations illégales, il n'en va pas de même face aux infractions du quotidien.

En matière d'autorisation d'urbanisme, il importe que tous respectent les règles et assument leur rôle. Je songe ici aux notaires, assureurs, agents immobiliers, banquiers, constructeurs et architectes. Les banquiers, à Mayotte notamment, reçoivent des demandes de prêts à la consommation en réalité destinés à bâtir. Il leur revient d'assumer leurs responsabilités. Les intercommunalités ont intérêt à communiquer clairement sur ce point.

Un enjeu de la planification urbaine touche à la clarification des relations entre l'État et les collectivités. Le rôle de l'État - de simple contrôle ou stratégique - gagnerait à être précisé. L'urbanisme implique d'édicter des règles. Or, en outre-mer, le propriétaire d'un terrain se croit trop souvent maître de disposer de son bien comme il l'entend. De multiples contraintes sont à prendre en compte. Un élu local dispose d'une marge de manoeuvre que lui-même peine de plus en plus à identifier, du fait de la prolifération des plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ou encore des risques naturels d'inondation (PPRI). Beaucoup d'élus apprécieraient d'oeuvrer avec l'État dans un esprit de coopération à l'abri de toute équivoque. Il revient à l'État de se positionner entre un rôle de contrôle et d'accompagnement. Il conviendrait d'instaurer un débat consigné entre l'État et la commune sur la question de leurs prérogatives respectives en urbanisme, dans l'idée d'éviter les changements de trajectoire intempestifs.

Il a beaucoup été question du Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Les lois en vigueur semblent mal acceptées en outre-mer.

Nous recommandons, pour finir, d'interroger le zonage des PLU. Ceux-ci distinguent les zones agricoles des zones naturelles ou encore urbanisées, voire à urbaniser. Certains territoires ultramarins se révèlent toutefois le fruit de mitages. Il s'y trouve des zones à moitié résidentielles et à moitié agricoles. Certains auteurs de documents d'urbanisme, en particulier aux Antilles, déplorent le manque d'une catégorie supplémentaire dans les PLU. Faut-il revenir pour autant à la notion de zone naturelle en partie bâtie (NB) ? Je ne saurais moi-même trancher la question. Elle mérite en tout cas réflexion. Les territoires des Antilles sont tellement hybridés que cela y complique l'établissement du moindre PLU.

Les enjeux liés aux méthodes des recensements et à leur crédibilité se répercutent sur la planification urbaine.

Les groupes de travail instaurés dans le cadre des COP Foncier ont beaucoup réfléchi aux moyens d'associer les populations aux enjeux fonciers. Les modalités de concertation des habitants constituent un sujet de réflexion. Seuls participent aux enquêtes et consultations publiques les propriétaires aspirant à un déclassement de leur terrain - terme propre aux outre-mer. Pourtant, le document débattu ne concerne pas qu'eux. Bien entendu, il importe d'examiner ces sujets à l'aune des transformations sociales et environnementales des territoires.

Mme Micheline Jacques, président. - J'aimerais clôturer cette table ronde par un hommage aux maires, premiers concernés, quoique pas assez écoutés. Ils demeurent les mieux placés pour décider ce qui convient le mieux à leur territoire. Nous n'avons pas abordé le problème de l'immigration, à propos duquel les statistiques manquent. Comment un maire peut-il développer une politique publique sans données disponibles ni vision prospective ?

Il m'a été dit dans un ministère : « je ne connais pas votre loi organique, je ne me suis jamais rendu sur votre territoire ; pour autant, je sais ce qui est bon pour lui ». Un tel discours n'est pas acceptable. Il manque une culture des outre-mer jusque dans les ministères. La compétence en urbanisme doit revenir aux élus du territoire. Sans cela, les problématiques du foncier ne se résoudront jamais. Il est toujours plus aisé d'ajuster un PLU, conçu localement, à l'évolution d'un territoire que d'en établir un d'après des directives émanant du pouvoir centralisé. Comment un maire guyanais peut-il développer son territoire où 90 % du foncier appartient à l'État ?

En tant que président de la délégation, je m'efforce de ne pas m'immiscer dans les affaires des territoires, mais d'accompagner et de défendre les projets, indépendamment de l'appartenance politique de leurs concepteurs. Les intérêts des outre-mer priment sur toute considération partisane.

Je refuse enfin que l'État légifère par ordonnance. Battons-nous pour que cela cesse. Une telle façon de procéder prive le Parlement de débats. Je trouve inacceptable qu'un projet de loi, quel qu'il soit, comporte des dispositions relatives aux outre-mer applicables par ordonnance.

Au sein de la commission des affaires économiques, un collègue spécialiste de l'agriculture a déposé un amendement budgétaire de 8 millions d'euros au bénéfice des agriculteurs ultramarins touchant le RSA. Cette initiative démontre une prise de conscience croissante des enjeux liés à nos territoires. Je reste donc optimiste et espère que nous parviendrons à nous faire entendre à propos d'autres sujets essentiels, notamment la question foncière.

M. Claude Plénet. - J'aimerais revenir sur la police de l'urbanisme et les autorisations d'urbanisme. Le maire est compétent en matière d'aménagement du territoire, dans la mesure où il valide le PLU avec son conseil municipal.

Nous ne saurions parler de construction illicite ni de police de l'urbanisme sans parler d'immigration. L'immigration non contrôlée sur nos territoires engendre du désordre en matière d'urbanisme. Dans l'Hexagone, les immigrés ne bâtissent pas de constructions illicites.

Je m'étonne qu'un seul bâtiment illicite ait été démoli en Martinique, en quarante ans. Dans ma commune de Rémire-Montjoly, nous procédons à une vingtaine de démolitions par an, d'après un principe simple - et tant pis s'il déroge au droit. Nous n'avons pas le choix, comme je l'ai dit au Président de la République lors de son dernier passage dans notre département. Dès que nous repérons une construction illicite en cours, nous procédons à sa démolition. Je n'incite pas pour autant à suivre mon exemple. Le jour venu, au besoin, je défendrai ma position.

Face à la réalité des constructions illicites, la main d'un élu compétent en matière d'urbanisme ne doit pas trembler. Nous devons assumer nos responsabilités, sous peine de voir des quartiers illicites entiers sortir de terre. Certes, il n'est pas facile de se résoudre à la fermeté, car une telle attitude nous vaut des inimitiés. Un élu n'est cependant pas là pour plaire, mais pour servir l'intérêt général. Toute construction illicite pèse sur notre budget de fonctionnement. Nous devons bâtir des écoles, assumer des coûts liés au transport.

Il importe de pouvoir déroger aux règles et d'adapter la procédure d'urgence à nos territoires. En tant que maires, nous faisons la police sur l'ensemble de notre territoire, quitte à nous installer sur des propriétés de l'État pour les défendre. Quand il est question de foncier, il est question de temps long. Certaines successions mettent plus de vingt ans à se régler. Il importait de s'atteler au sujet en décidant d'un angle d'approche, quel qu'il soit. Un travail reste bien sûr à mener sur la problématique du foncier de l'État et sa rétrocession. Avec la présidence d'Interco' Outre-mer, nous avons toutefois estimé urgent d'agir en matière d'urbanisme.

M. Eugène Larcher. - Le maire a toute latitude pour signer un permis de construire, celui-ci pouvant aussitôt être attaqué par le Préfet. Le maire a donc les mains liées en matière d'urbanisme, d'autant plus que la DREAL et l'ONF le surveillent de près. Lorsque l'un de mes administrés dépose une demande de permis de construire, je le convoque pour en discuter. Si son projet n'apparaît pas réalisable, je lui explique les raisons de mon refus - sinon, bien sûr, je le lui accorde aussitôt. Il importe de faire preuve d'humanité. Le propriétaire d'un terrain non constructible n'obtiendra jamais de prêt immobilier. Il ne pourra édifier sa maison qu'une brique après l'autre, pour ainsi dire. Comment exiger de lui qu'il la démolisse, une fois terminée ?

Le conseil municipal ne dispose que d'une voix en commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF), soit autant que chacun des services de l'État. De même, le Préfet conserve le dernier mot en matière de PLU.

M. Saïd Omar Oili. - En matière d'urbanisme, comment comptez-vous demander à des populations, vivant à 77 % sous le seuil de pauvreté à Mayotte, de déposer un permis ? Des démarches préalables coûteuses, telles que la consultation d'un bureau d'études, s'avèrent nécessaires. L'État, en échouant à lutter contre la pauvreté outre-mer, ne pousse-t-il pas les citoyens à enfreindre la loi ? Pourquoi les Mahorais ont-ils droit à un traitement à part, alors qu'ils sont Français ? 77 % des habitants de Mayotte n'ont pas accès à l'eau ni à l'électricité. Comment attendre d'eux qu'ils respectent la réglementation en matière d'urbanisme ? Le contournement ou le détournement des lois relève pour les Mahorais d'une technique de survie.

M. Claude Plénet. - En tant que législateur, il vous revient de changer les règles.

SECONDE PARTIE
LE FONCIER, OBJET DE DÉBAT :
SA GOUVERNANCE ENTRE ACTEURS

M. Philippe Schmit. - J'aimerais que chaque intervenant me cite le mot qui lui vient à l'esprit quand il est question de problématiques foncières en outre-mer.

Mme Vivette Lopez. - Je suis sénatrice du Gard et membre de la délégation aux outre-mer. J'ai rédigé un rapport sur le foncier agricole avec Thani Mohamed Soilihi. Je songe pour ma part au mot « frein ».

M. Teddy Bernadotte, directeur de cabinet de M. Ary Chalus, président de la Région Guadeloupe. - Je suis conseiller du président de la Région Guadeloupe. Je citerais pour ma part l'expression « maquis institutionnel ».

M. Éric Hoffmann. - Géomètre-expert et président du conseil régional de l'Ordre des géomètres-experts de La Réunion-Mayotte, je tiens à souligner la qualité du travail fourni par la délégation aux outre-mer - en particulier les rapports de Thani Mohamed Soilihi -, mais aussi celle des documents produits par Interco' Outre-mer. Le mot « garantie » me vient à l'esprit. À vrai dire, j'exprime là un voeu.

M. Maurice Gironcel, président de la Communauté du Nord de La Réunion. - Maire de Sainte-Suzanne, et président de la communauté intercommunal du Nord de La Réunion, où vivent 112 000 habitants, je préside le syndicat intercommunal d'électricité de La Réunion, regroupant vingt-quatre communes de l'île. Nous avons beaucoup de défis à relever, dont celui de l'aménagement du territoire. Le mot « social » me vient à l'esprit.

M. Hervé Mariton, président de la Fédération des Entreprises des Outre-mer (FEDOM). - Je préside la Fédération des Entreprises des Outre-Mer (FEDOM) et suis par ailleurs élu local dans la Drôme. Je citerai deux mots : « assurer » et « développer ».

Les entreprises, en outre-mer, se trouvent confrontées à un problème d'assurance, aussi manifeste en Nouvelle-Calédonie qu'en Martinique, après les émeutes, ou qu'au lendemain du passage d'Irma à Saint-Martin. Beaucoup d'entreprises de cette île n'étaient pas assurées et même celles qui l'étaient n'étaient pas tout à fait en règle vis-à-vis de leur foncier. Nous craignons que de nombreuses compagnies d'assurance abandonnent le marché des outre-mer face aux difficultés économiques de ces territoires, où le risque politique d'émeute s'ajoute au risque climatique et au risque d'irrégularité en matière foncière.

M. Philippe Schmit. - L'assurabilité des collectivités territoriales aussi constitue un enjeu. Plusieurs missions, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, ont d'ailleurs abordé ce sujet.

M. Maurice Gironcel. - Le débat de ce jour tourne autour des problèmes liés à l'habitat, lequel touche à l'aménagement du territoire et donc aux sujets fonciers. La problématique du foncier m'apparaît éminemment sociale. Selon un adage bien connu, quand le secteur du BTP se porte bien, l'économie tout entière se trouve dans le même cas. Or, aujourd'hui, le BTP ne va pas bien. Partout en France et particulièrement en outre-mer, nous peinons à répondre aux demandes de logement de la population. Le monde économique a lui aussi besoin de foncier pour développer son activité. À La Réunion, beaucoup d'entreprises se tournent vers moi pour surmonter leurs difficultés à trouver du terrain à un prix abordable. Je précise qu'à La Réunion, le prix du terrain destiné aux entreprises oscille entre 500 et 600 euros par mètre carré. Un tel montant constitue un obstacle insurmontable à toute implantation sur notre territoire. Or le développement du social va de pair avec celui de l'économie. Le social se retrouve dès lors, lui aussi, en péril.

Mme Vivette Lopez. - Le désordre du foncier, notamment lié aux titres de propriété, me semble préjudiciable à l'aboutissement des projets, tant individuels que portés par les communes.

M. Teddy Bernadotte. - La question foncière est l'une des plus essentielles qui se posent en outre-mer avec celles de l'emploi et du coût de la vie. La notion de maquis institutionnel se réfère à la multiplicité des acteurs du foncier. Prenons à la Guadeloupe l'exemple de la gestion des 50 pas géométriques, des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) ou encore de l'espace littoral en tension.

Le transfert de propriété des 50 pas géométriques, de l'État vers les collectivités régionales, initialement prévu en 2022, n'interviendra finalement qu'entre 2025 et 2030. Interco'Outre-mer s'adresse essentiellement aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont les difficultés à résoudre les questions de transition écologique, notamment en Guadeloupe, sont connues. Les cyclones et autres événements climatiques se multiplient, et leur violence s'accroît. Les collectivités communales, voire régionales, jadis en charge du curage des rivières ne sont plus en mesure de s'en occuper, alors même que les EPCI ne perçoivent pas de recette suffisante pour s'en charger. La population en pâtit.

De nombreux conflits touchent en Guadeloupe à la gestion du littoral. J'en ai identifié pas moins de cinq acteurs : DREAL, direction de la mer, conservatoire du littoral, Office national des forêts (ONF), Office français de la biodiversité (OFB) - sans même compter les EPCI. La délivrance d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT) prend, au mieux, entre douze et dix-huit mois. Certains transferts de compétences restent purement théoriques. Ils ne s'accompagnent en tout cas d'aucun transfert de responsabilité, puisque l'État continue d'assurer la police de l'environnement. En revanche, l'élu demeure responsable aux yeux de la population. Celle-ci, ignorant que la réglementation reste du ressort de l'État, reproche aux élus locaux ultramarins leur inefficacité.

M. Philippe Schmit. - Selon vous, une concertation des acteurs publics constituerait déjà une grande avancée.

M. Teddy Bernadotte. - Je défends ici le concept de fertilisation croisée. Au-delà de la concertation des acteurs publics, certes indispensable, nous tenons à développer les SAR (Schémas d'Aménagement Régionaux), outils de planification et de prospective. Ceci nécessite une concertation des acteurs publics avec les entreprises, au profit des citoyens.

M. Éric Hoffmann. - La propriété foncière, tant pour un particulier que pour une entité publique, constitue la pierre angulaire de tout projet amené à se concrétiser sur le terrain en question. Le géomètre-expert doit garantir à la fois l'étendue du foncier et les droits associés, pour permettre aux projets d'aboutir en toute sécurité, sur le plan juridique.

M. Philippe Schmit. - En somme, vous constatez, en outre-mer, un manque de garantie et de stabilité des projets fonciers.

M. Éric Hoffmann. - Pas forcément. Le géomètre-expert est capable, dans bien des cas, de garantir la propriété privée. La problématique des indivisions dysfonctionnelles résulte des incertitudes quant à la propriété foncière et à l'étendue exacte du droit de propriété. Il me semble dès lors essentiel de garantir la propriété pour assurer la pérennité des projets fonciers.

M. Philippe Schmit. - Monsieur Mariton, quel regard les entreprises que vous représentez portent-elles sur le sujet foncier ?

M. Hervé Mariton. - La FEDOM a pour mission de défendre et de promouvoir les entreprises ultramarines dans de vastes domaines. Les sociétés qui construisent des logements ont besoin de foncier. Il en faut à d'autres pour développer leur propre activité tertiaire, artisanale ou encore industrielle. Or le foncier n'est pas aisément disponible dans les territoires ultramarins, en grande partie montagneux et auxquels s'appliquent de nombreuses contraintes, liées notamment à la loi Littoral ou encore aux règles d'urbanisme.

La nomenclature des zonages dans l'Hexagone n'est pas forcément adaptée aux documents d'urbanisme en outre-mer. Cette inadéquation ne va pas sans conséquence sur la vie économique des territoires. Malgré un assouplissement de l'objectif ZAN annoncé par le Premier ministre, celui-ci a des effets notables outre-mer, où la quasi-totalité des communes, à La Réunion notamment, sont soumises en même temps aux contraintes de la loi Montagne et de la loi Littoral. Relever l'enjeu de la transition énergétique exige du foncier, pour y installer, par exemple, des panneaux solaires.

Un autre enjeu touche à la reconversion des friches comme autant d'entraves à l'écologie et au développement du tourisme. La FEDOM voit dans ces terrains à l'abandon un gisement de foncier. Elle sollicite les parlementaires et le Gouvernement dans l'idée de faciliter leur reconversion. Beaucoup de friches ont souffert de l'insurrection du début de l'année en Nouvelle-Calédonie. La reconquête de ce foncier constitue un enjeu.

M. Philippe Schmit. - Beaucoup d'initiatives nationales telles que les « sites clés en main » encouragent l'implantation d'usines géantes. Existent-elles aussi en outre-mer ou se concentrent-elles exclusivement dans l'Hexagone ?

M. Hervé Mariton. - Différentes collectivités compétentes, en particulier intercommunales, lancent, dans ce domaine, des initiatives outre-mer. L'éclatement des zones, pour des raisons historiques, en termes d'urbanisme, ne facilite pas leur aboutissement. Le foncier économique dépend des conditions de déplacement et de transport. Or un sujet de fluidité des transports se pose en outre-mer, au détriment de la compétitivité des entreprises locales. Nous avons besoin, en outre-mer, de stratégies foncières articulées avec des stratégies de déplacement. À défaut, les territoires ultramarins échoueront à attirer de jeunes diplômés compétents.

M. Philippe Schmit. - Madame la sénatrice, vous qui avez travaillé sur la dynamique agricole, pourriez-vous nous faire part de quelques éléments de votre rapport, à propos des relations entre les agriculteurs et le foncier en outre-mer ?

Mme Vivette Lopez. - Vous n'avez pas évoqué le problème, pourtant vital, de la ressource en eau. Sa préservation relève d'une urgence. Le partage de cette ressource doit être mûrement réfléchi. Mon collège Thani Mohamed Soilihi et moi-même avions d'ailleurs interpellé à ce sujet les ministres concernés.

M. Éric Hoffmann. - J'aimerais étendre la question des transports à celle des équipements en voirie et réseaux divers. Certaines zones indiquées comme urbaines sur des PLU ne disposent pas, en réalité, de réseaux. Il est donc impossible d'y construire quoi que ce soit. L'évacuation des eaux pluviales, parfois très importantes dans les outre-mer, en raison du climat, pose aussi problème - sans même parler du traitement des eaux usées. Trop souvent, le propriétaire se voit contraint de prévoir un assainissement individuel, alors qu'un tel dispositif porte préjudice à l'environnement et consomme du foncier. Le département de La Réunion investit beaucoup dans l'irrigation des terres agricoles, sans grande efficacité, malheureusement, du fait de l'urbanisation sauvage d'une partie des zones rurales.

M. Teddy Bernadotte. - La question foncière apparaît d'autant plus fondamentale dans les outre-mer qu'elle touche aux politiques publiques de transport, d'eau ou encore de déchets. Je tiens à souligner le lien entre la politique foncière et la situation budgétaire de l'État. Entre 2020 et 2023, l'État comptait investir 750 millions d'euros dans la reconversion des friches - sans même parler des 2 milliards d'euros du Fonds vert. Les programmes de rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et des Abymes comptent parmi les plus ambitieux de France, dans la mesure où ils mobilisent plus de 600 millions d'euros. L'élaboration de tels programmes, qui génèrent de l'activité pour les entreprises, nécessite bien souvent un temps considérable. Les collectivités les abondent dans la limite d'enveloppes définies. À titre d'exemple, la région Guadeloupe investira 30 millions d'euros dans la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et le département, 20 millions d'euros. Cependant, si les communes et EPCI maintiennent leur effort financier jusqu'à la mise en oeuvre de ces programmes, il n'en va pas de même de l'État, qui tend à se désengager. Ceci fragilise ces projets et place les collectivités sous un jour défavorable, comme s'il fallait leur attribuer le retard pris par ces projets structurants.

Prenons l'exemple des plans de transport établis depuis la fin des années 2000. Lorsqu'arrive le moment de les mettre en oeuvre, un déséquilibre s'observe dans leurs budgets. Or cette distorsion n'est jamais assumée par l'État, de sorte que les exécutifs locaux se retrouvent en première ligne face aux difficultés.

M. Philippe Schmit. - Il faudrait donc que l'État garantisse ses engagements financiers.

M. Teddy Bernadotte. - La question ne concerne pas que les outre-mer. De nombreuses collectivités se sont engagées dans le Fonds vert, y investissant une part importante des 2 milliards d'euros prévus. Bien que prêts à être mis en oeuvre, leurs projets ne bénéficient pas du financement escompté.

M. Maurice Gironcel. - J'aimerais revenir sur le problème du foncier agricole. Le foncier outre-mer est à la fois rare et cher. Loin de moi la volonté de remettre en cause la défiscalisation prévue par la loi Pons. Une spéculation foncière considérable en a quand même résulté, du moins à La Réunion, faisant obstacle aussi bien aux projets des particuliers que des entreprises.

Il était autrefois possible de bénéficier de crédits du Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) pour créer des zones d'aménagement concerté (ZAC). Malheureusement, ces crédits se sont réduits, de sorte que le moindre aménagement s'avère désormais extrêmement coûteux - y compris pour bâtir des logements sociaux. À La Réunion sont construits des logements destinés aux bénéficiaires des minima sociaux. Ceux-ci ne peuvent toutefois pas y prétendre, faute d'être considérés comme solvables, leurs revenus n'atteignant pas un tiers du montant du loyer.

La population de La Réunion, en augmentation constante, devrait passer de 870 000 habitants aujourd'hui à plus d'un million en 2040. Pour les loger, il faudrait construire 150 000 à 170 000 logements. Interrogés sur la manière dont ils imaginaient leur île en 2040, des lycéens ont répondu qu'ils attendaient plus de transport public, notamment ferroviaire, plus de logements, mais aussi un meilleur respect de la biodiversité, de l'environnement, et un traitement plus efficace des déchets.

Chaque territoire ultramarin doit être en mesure de décider de ce qui est bon pour sa population. Revenons à l'exemple de La Réunion, cône volcanique de 2 500 km2. Il n'est pas possible de construire sur le littoral menacé par le submersion marine. Un projet de construction de 150 logements et de 3 000 mètres carrés de commerces et de services dans le centre de Sainte-Suzanne a, pour cette raison, été remis en cause par la DREAL. Le territoire de presque toutes les communes de La Réunion présente la forme d'une tranche de camembert, s'étendant du bord de mer jusqu'au coeur montagneux de l'île. Il conviendrait de prendre en compte cette spécificité dans les questions d'aménagement du territoire. Or à l'heure de concevoir les plans locaux d'urbanisme et les schémas de cohérence territoriale ou encore de réviser les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), les agents de l'Hexagone oublient que les territoires ultramarins ne sont pas comme les autres. Autrement dit, la gouvernance du foncier mériterait d'être révisée en vue d'une meilleure prise en compte des réalités locales.

M. Hervé Mariton. - J'abonde dans le sens Maurice Gironcel. Il conviendrait de se pencher sur l'articulation des différentes politiques touchant au foncier dans les outre-mer. La multiplication des outils de planification, certes nécessaires, suscite l'incompréhension, voire la confusion.

M. Teddy Bernadotte. - Je suis un directeur territorial guadeloupéen depuis vingt-cinq ans. La CDPENAF ne rend qu'un avis purement consultatif dans l'Hexagone, mais conforme en outre-mer, sans que rien n'explique, juridiquement, cette différence.

La commune guadeloupéenne de Petit-Bourg est l'une des plus touchées par l'érosion du trait de côte. Le transfert de la gestion des 50 pas géométriques, de l'État vers la région, signera la fin du principe d'exception. Des milliers d'habitants sont concernés. Comment régler ce problème avant l'échéance de 2030 ?

Un aspect des débats de ce jour m'a choqué. Il ne me semble pas possible de parler de foncier en outre-mer sans y souligner le niveau de pauvreté. L'habitat indigne résulte de la pauvreté. Avant 1848, les habitants de l'île ne pouvaient pas détenir d'acte de propriété. Il ne saurait pas non plus être question de problématiques foncières sans évoquer l'immigration.

Les élus locaux doivent se demander qui ils représentent véritablement et dans quelle mesure ils expriment la volonté politique de leur électorat. 95 % des entreprises guadeloupéennes sont des TPE. La FEDOM défend-elle leur intérêt ? Les représentants des outre-mer doivent répondre aux attentes de leurs concitoyens s'ils tiennent à retrouver la confiance de la population.

Mme Vivette Lopez. - Je m'interroge sur ma légitimité, en tant qu'hexagonale, à participer à ce débat. Il me paraît essentiel d'écouter et surtout d'entendre les ultramarins. Un simple déplacement en outre-mer ne suffit pas à connaître un territoire. Pour reprendre les propos tenus par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, « le ZAN, c'est naze ». Cet objectif a suscité une telle levée de boucliers qu'une proposition de loi Trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus (TRACE) a vu le jour dans l'intention de le remplacer.

Les propos d'Erik Terquem au sujet de la transmission m'ont quelque peu découragée. Plusieurs éléments y font obstacle, notamment la faiblesse des pensions de retraite, en particulier dans le monde agricole. Pour compléter leurs revenus, certains exploitants poursuivent leur activité, au lieu de rétrocéder leur foncier. De plus, les SAFER en outre-mer n'ont pas les moyens d'acheter de grandes terres agricoles.

Saïd Omar Oili préconisait plus tôt d'imposer des limites temporelles au règlement d'une succession, sous peine d'une taxation des héritiers. Sans doute serait-il pertinent aussi d'imposer une taxe aux propriétaires de friches. Dans les cimetières communaux, les propriétaires de tombes à l'abandon sont appelés, par un panneau posé sur la concession, à se manifester. À défaut, celle-ci revient à la collectivité. Peut-être faudrait-il agir de même à propos du foncier agricole et cesser d'imposer aux SAFER d'acquérir des parcelles trop étendues, dépassant leurs moyens.

M. Tearii Alpha. - Il n'existe pas de cadastre sur l'île de Rapa, d'une quarantaine de kilomètres carrés. La terre est gérée sur cette île la plus septentrionale de Polynésie française de manière communautaire, par le conseil municipal et par un comité des sages, réunissant des anciens des grandes familles de l'île. Le Haut-commissaire de la République en Polynésie française - équivalent local du Préfet - reconnaît la situation. Une logique de propriété individuelle de la terre aboutirait à un émiettement des moindres parcelles, préjudiciable à leur gestion. Seule une gestion collective de la terre permettra aux ultramarins de maintenir leur lien avec elle.

M. Philippe Schmit. - De nombreuses réflexions portent en ce moment sur la notion de propriété foncière, et pas seulement en outre-mer. La notion de « commun » est évoquée à l'occasion de colloques entre avocats. De fait, elle a cours en France où des territoires montagneux sont d'ores et déjà gérés collectivement. L'idée d'une propriété individuelle de la terre se voit ainsi peu à peu remise en question.

M. Antony Etelbert. - L'objectif ZAN constitue un enjeu problématique tant dans l'Hexagone qu'en outre-mer. La loi Résilience pose le problème du trait de côte, rognant sur la partie constructible du littoral. Des réflexions s'imposent sur la forme urbaine à proposer à nos territoires. Il conviendra d'organiser des concours d'architecture. La primauté du bâti pavillonnaire doit être remise en question - y compris dans l'Hexagone. Des maires interdisent la surélévation sur le territoire de leur commune, quand bien même elle ne présente pas de caractéristique touristique, alors que, par définition, celle-ci constitue un bien commun. J'incite à organiser des concours de développement urbain sur nos territoires. Des propositions alternatives d'habitat en surgiront, privilégiant des intérieurs spacieux et lumineux, en relation harmonieuse avec leur environnement.

M. Teddy Bernadotte. - De notre point de vue, le sujet du foncier n'est pas technique, mais politique. Un élu guyanais a rappelé tout à l'heure que l'État possédait 80 % du foncier dans son département. Nos débats ne sauraient laisser de côté cette réalité à la fois sociale et anthropologique. Les sentiments de spoliation et de dépossession du foncier n'ont pas non plus été évoqués, malgré leur prégnance aux Antilles, en particulier à Marie-Galante, comme au Pays basque, d'ailleurs. Ces sentiments n'ont d'ailleurs pas été étrangers aux manifestations récentes en outre-mer. Il me semble crucial de ne pas réduire les questions foncières à leur aspect technique. Elles revêtent une dimension beaucoup plus profonde.

M. Éric Hoffmann. - Vous avez raison. Seulement, tôt ou tard, il faut agir. L'approche technique n'exclut pas celle que vous préconisez.

M. Teddy Bernadotte. - Il n'existe de cadastre en Guadeloupe que depuis 1976 ; ce qui signifie que sa mise en place a précédé la décentralisation du début des années 1980. Il importe de remplacer l'inefficacité souvent reprochée aux autorités ultramarines dans son contexte sociologique et historique.

M. Éric Hoffmann. - Le géomètre-expert fait partie des acteurs de la gouvernance du foncier. J'appelle, à propos de la problématique de l'indivision, à chercher des solutions nouvelles hétérodoxes, variables selon les territoires et les pays. Il me paraît essentiel d'assouplir les outils à notre disposition pour les améliorer. Ceux qui se désintéressent de leurs droits juridiques de propriété doivent en assumer les conséquences. Les géomètres-experts restent à la disposition des législateurs pour leur apporter leur connaissance du terrain et des propriétaires, tant publics que privés.

M. Maurice Gironcel. - Les travaux d'Interco' Outre-mer et leur suivi, y compris à l'Assemblée nationale et auprès du Gouvernement, commencent, si ce n'est à porter leurs fruits, du moins à être entendus des pouvoirs parisiens. J'ai parlé du CDPENAF au Président de la République lors de sa venue à La Réunion. Le fait que le CDPENAF rende un avis conforme outre-mer uniquement est inscrit dans la Constitution. Ceci n'en relève pas moins d'une aberration. Il importe que le droit commun s'applique partout.

Un consensus s'est fait jour sur la nécessaire révision de l'objectif ZAN - preuve que la mobilisation à ce sujet a donné des résultats.

La terre constitue un sujet sensible en outre-mer, dans la mesure où l'appartenance à la terre s'y manifeste avec plus de force encore que dans l'Hexagone, en particulier à La Réunion. Beaucoup d'administrés m'appellent pour réserver une concession au cimetière de ma commune. Jusque dans la mort, ils manifestent la volonté d'occuper un terrain qui leur appartienne. Lors d'un déplacement à Bora-Bora, j'ai remarqué la présence de tombes familiales dans la cour d'une propriété.

Mme Vivette Lopez. - Je préconise depuis longtemps un suivi de nos rapports parlementaires et des recommandations qu'ils contiennent. J'ose espérer que, dans quatre ou cinq ans, un autre colloque n'aura pas à examiner de nouveau les questions qui nous occupent aujourd'hui. Il importe de revenir au bon sens pour avancer concrètement. Sans nier l'apport d'un regard neuf sur toute situation, j'insisterai sur la nécessité de tenir compte du point de vue de ceux qui connaissent le mieux leur territoire, à savoir les élus locaux.

Mme Lyliane Piquion-Salomé. - Je tiens à exprimer ma gratitude, au nom d'Interco' Outre-mer, pour cette rencontre cruciale. Je vous remercie, madame la sénatrice, d'avoir défendu la cause de nos régions ultramarines. Il me semble essentiel que les acteurs locaux se trouvent au coeur du processus décisionnel. L'ambition d'Interco' Outre-mer consiste à passer de la parole aux actes en mobilisant nos intelligences collectives. J'appelle de mes voeux l'établissement de liens entre les représentants des outre-mer, notamment de la Polynésie française, pour porter auprès du Gouvernement nos doléances afin de surmonter nos difficultés en nous appuyant sur la solidarité qui constitue notre force.

CLÔTURE

Saïd OMAR OILI,
sénateur de Mayotte

Le foncier touche à l'âme même de nos territoires. Il ne s'agit pas simplement de terres ou de titres juridiques, mais de l'héritage de nos ancêtres et de notre promesse aux générations futures. Le foncier constitue le socle sur lequel reposent nos ambitions économiques, sociales et environnementales.

La dimension culturelle, souvent occultée dans les politiques publiques du foncier, se trouve écrasée par des approches purement techniques et bureaucratiques. Dans nos territoires ultramarins, le foncier est trop souvent source de tensions, d'inégalités et d'incertitudes. Nos terres, riches de symboles, sont parfois abandonnées ou déchirées par des litiges interminables. Les coutumes, successions et pratiques locales se heurtent à des cadres juridiques importés, rigides et parfois inadaptés. La pression démographique inédite sur certains territoires y exacerbe les conflits d'usage, participe à l'érosion des terres agricoles et compromet certains projets d'aménagement durable.

Nous devons faire preuve d'ambition dans notre action pour renforcer la sécurisation foncière. Il convient d'accorder la priorité à la lutte contre l'indivision et à la clarification des titres de propriété. À Mayotte, le cadastre doit devenir un outil efficace et non se réduire à une promesse sans cesse réitérée. Il importe de mieux protéger les terres agricoles et les espaces naturels, gages de notre identité et de notre résilience face aux défis climatiques.

Nos politiques d'aménagement doivent être repensées en intégrant les spécificités de nos territoires. Les solutions valables dans l'Hexagone n'apparaissent pas toujours adaptées aux outre-mer. Nous devons agir avec justice, en reconnaissant les droits des petits exploitants et des communautés, et en réconciliant les enjeux économiques avec les aspirations des habitants.

En conclusion, je remercie chacun d'entre vous pour votre engagement. La mission d'un élu local s'avère bien plus ardue en outre-mer que dans l'Hexagone. Ce débat a montré notre ambition commune de rendre justice à nos terres et à notre patrimoine. Je vous invite à considérer cette discussion comme un point de départ vers une action déterminée, concrète et porteuse d'espoir, afin de rendre à nos terres leur juste place et, à nos territoires, leur pleine dignité.

ANNEXES

Annexe n° 1 - Liste des rapports de la délégation sur le foncier 50

Annexe n° 2 - Synthèse des 25 recommandations d'Interco' Outre-mer sur les sujets de l'indivision, des autorisations et de la police de l'urbanisme et de la planification 53

ANNEXE N° 1

LISTE DES RAPPORTS DE LA DÉLÉGATION SUR LE FONCIER

La délégation sénatoriale aux outre-mer a publié 4 rapports sur la thématique foncière entre 2014 et 2023.

· Domaines public et privé de l'État outre-mer : 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile

Rapport d'information n° 538 (2014-2015), par MM. Thani Mohamed Soilihi, Joël Guerriau, Serge Larcher et Georges Patient

Le domaine de l'État couvre des espaces très vastes et stratégiques pour les outre-mer. Via la possession des forêts et du littoral, l'État maîtrise ainsi 13,5 de la superficie de la Martinique, 37,5 pour cent de celle de La Réunion et jusqu'à plus de 95 pour cent de celle de la Guyane.

Or, la légitimité comme l'efficacité de l'action de l'État sont de plus en plus contestées localement. Le problème des régularisations dans la zone des cinquante pas géométriques, vestige de la période coloniale, attend toujours sa solution définitive. Les occupations sans droit ni titre des espaces naturels et des immeubles désaffectés se poursuivent inlassablement et pourraient devenir un sujet brûlant pour les territoires soumis à une intense pression migratoire comme la Guyane ou Mayotte. La mobilisation du foncier d'État pour le logement, les grands équipements et l'agriculture tarde à produire des effets.

Tous ces problèmes sont connus, mais demeurent sans solution. Ils n'ont jamais été analysés simultanément sur la totalité des collectivités ultramarines afin d'en identifier les causes profondes, communes ou spécifiques à certains territoires. Le rapport de la délégation sénatoriale présente la première radiographie transversale, synthétique et dynamique de la gestion domaniale dans l'ensemble des outre-mer.

Des constats qu'ils ont dressés à partir de nombreuses auditions à Paris, en Guyane, en Martinique, à Saint-Martin et par visioconférence avec La Réunion, les rapporteurs ont tiré une série de recommandations opérationnelles pour améliorer la protection du domaine et rationaliser sa gestion, avancer dans la résolution du dossier des cinquante pas géométriques, jeter les bases d'un nouvel équilibre des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales et pousser l'État à se doter enfin d'une véritable stratégie immobilière au service du développement des outre-mer.

· Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires

Rapport d'information n° 721 (2015-2016), par MM. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur, Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu

Deuxième volet d'une étude triennale sur le foncier dans les outre-mer, le présent rapport traite du titre de propriété et des droits d'usage sur la terre. Riche des témoignages recueillis au cours de plus de 120 auditions et de deux déplacements, à Mayotte puis dans les trois collectivités du Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna, il propose une fresque inédite des situations foncières et des régimes juridiques applicables dans les différents territoires.

Pour chacun de ceux qui connaissent des blocages importants, généralement liés à des indivisions cristallisées de longue date ou à l'épineuse conciliation des systèmes traditionnels avec le cadre civiliste, des recommandations sont avancées, parfois audacieuses, une audace à la mesure de l'urgence et de l'ampleur des difficultés. Parvenir, dans le respect des identités territoriales et de la diversité des trajectoires institutionnelles, à résorber les imbroglios et à sécuriser les droits fonciers au profit de la paix sociale et du développement économique, telle est l'ambition des préconisations du présent rapport.

· Conflits d'usage en outre-mer - un foncier disponible rare et sous tension,

Rapport d'information n° 616 (2016-2017), par MM. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur coordonnateur, Daniel Gremillet et Antoine Karam

Troisième et dernier volet d'une étude triennale sur le foncier dans les outre-mer, le présent rapport analyse les conflits d'usage dans un contexte de foncier rare et sous tension. À la croisée des politiques d'aménagement, du logement, de développement de l'agriculture et d'implantation des entreprises ou des activités industrielles et minières, le foncier est le point de convergence de toutes les rivalités. Dans un contexte d'exiguïté de la superficie globale disponible, qui caractérise la quasi-totalité des territoires ultramarins à la configuration insulaire et souvent archipélagique mais aussi la Guyane où, en dépit de l'immensité, les activités sont essentiellement concentrées sur la bande littorale et le long des fleuves, l'optimisation de la mise en valeur des terres et la maîtrise des prix du foncier sont des enjeux déterminants du développement.

Sur la base d'une information dense recueillie auprès des acteurs locaux, responsables politiques, administratifs et économiques, par le biais notamment de visioconférences réalisées successivement avec la Guyane, La Réunion, la Guadeloupe, la Polynésie française et Mayotte, soit plus de 70 personnes auditionnées, le rapport d'information analyse le phénomène des conflits d'usage dans les outre-mer et souligne l'importance de véritables stratégies territoriales s'appuyant sur des outils de planification et de gestion qui se mettent progressivement en place. La Délégation sénatoriale aux outre-mer formule 10 recommandations qui complètent les mesures préconisées par les deux précédents rapports, principalement pour préserver les espaces agricoles de l'urbanisation rampante et pour faire face à deux situations d'urgence foncière, en Guyane

· Foncier agricole outre-mer : une reconquête nécessaire pour la souveraineté alimentaire

Rapport d'information n° 799 (2022-2023), par Mme Vivette Lopez et M. Thani Mohamed Soilihi

L'objectif de souveraineté alimentaire dont le Président de la République et le Gouvernement ont fait une priorité ne sera pas tenu outre-mer si le foncier agricole, qui en est le substrat, continue à se raréfier.

Alertés par les résultats du dernier recensement agricole décennal, les rapporteurs de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, Vivette Lopez (Les Républicains - Gard) et Thani Mohamed Soilihi (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants - Mayotte), ont mené une série d'auditions, sous la présidence de Stéphane Artano (Rassemblement Démocratique et Social Européen - Saint Pierre et Miquelon), et se sont aussi rendus en Martinique, pour prendre la mesure de la baisse de la surface agricole utile (SAU) dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) et en analyser les causes profondes.

À l'exception de la Guyane, La Réunion, la Martinique et Mayotte continuent en effet d'enregistrer une déprise toujours préoccupante de leurs terres agricoles, entraînant une diminution inédite du nombre d'exploitations. Si la situation en Guadeloupe tend à se stabiliser, elle connaît tout autant les effets néfastes d'une spéculation foncière partout galopante. Des outils juridiques, administratifs et financiers existent, mais ils restent insuffisamment mobilisés.

Pour inverser résolument cette évolution, le présent rapport d'information avance une vingtaine de recommandations appelant à une prise de conscience de l'ensemble des acteurs concernés autour de quatre axes d'action : sauvegarder les terres agricoles, reconquérir des terres exploitables, transmettre aux plus jeunes pour assurer l'avenir, et aménager dans une perspective de développement d'agriculture durable.

ANNEXE N° 2

SYNTHÈSE DES 25 RECOMMANDATIONS D'INTERCO' OUTRE-MER SUR LES SUJETS DE L'INDIVISION, DES AUTORISATIONS ET DE LA POLICE DE L'URBANISME ET DE LA PLANIFICATION

Novembre 2024

Téléchargez le recueil de propositions, d'observations et d'alertes sur la problématique foncière.

Recommandation n°1

Indivision

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CONSTRUIRE DES OBSERVATOIRES LOCAUX DE L'INDIVISION

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- L'observation du phénomène de l'indivision reste aujourd'hui parcellaire générant ainsi beaucoup d'incompréhensions voire de perplexités.

- Les échanges entre les acteurs du foncier (collectivités, notaires, géomètres, généalogistes,

...) sont insuffisants pour aider à une objectivisation du phénomène permettant son bon pilotage.

- L'observation de l'indivision est d'autant plus importante qu'elle doit être associée à la cartographie des risques et des enjeux pour les sols.

Il est donc recommandé de :

Valoriser l'échelle intercommunale pour territorialiser l'observation et organiser la collecte de l'information en lien avec les communes membres.

Agréger les observations intercommunales à l'échelle des collectivités territoriales et régions ; tendre vers un cadre commun d'observation (même référentiel) en s'appuyant sur les agences d'urbanisme et le Cerema.

Alimenter les observatoires intercommunaux par les inventaires réalisés au fil de l'eau par les Groupements d'Intérêt Public (GIP) installés dans les territoires pour les enjeux de titrements (CUF2(*) à Mayotte) et /ou indivision (SITM3(*) à la Martinique).

Observer le phénomène sur les aspects quantitatifs mais également avec une approche qualitative permettant une mesure de la criticité des situations (le degré de complexité du fait du nombre d'indivisaires, de la durée de la succession etc... et de l'impact de cette complexité sur la gestion et l'entretien du bien). Ainsi l'observation doit notamment combiner enquêtes de terrain (permettant de caractériser chacune des situations) et fichiers notariaux et fiscaux.

Recommandation n°2

Indivision

ASSOIR ET ELARGIR LES MISSIONS DU « REFERENT CHARGE DU RECENSEMENT DES PROPRIETES EN INDIVISION » (ART. 248 DE LA LOI 3DS)

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- La loi 3DS a rajouté un article 6 à la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer dite loi Letchimy.

- Cet article prévoit « la nomination dans chaque établissement public de coopération intercommunale d'un référent chargé du recensement des propriétés en indivision ».

- Cette disposition n'a pas trouvé, aujourd'hui, une traduction concrète dans toutes les intercommunalités, elle est même assez méconnue.

- Tel que défini par la loi le référent indivision, dont il n'est pas compris s'il doit être un cadre ou un élu, a ainsi une mission réduite à l'identification des situations d'indivision répondant aux dispositions de la loi Letchimy.

Il est donc recommandé de :

Faire la promotion auprès des intercommunalités de cette obligation légale de désignation d'un référent indivision. Le rappel pourrait être fait par circulaire ministérielle (cosignature ministère de l'Outre-mer et de la Cohésion des territoires).

Encourager à positionner et à valoriser dans l'organigramme de l'intercommunalité le référent indivision dans une logique d'observation et de partage avec les différents services de l'intercommunalité (habitat, aménagement, économie, ...).

Faire de ce référent indivision, en élargissant ses missions, un acteur de 1er plan dans l'observation de l'enjeu de l'indivision dans ses aspects sociaux, fiscaux et territoriaux.

Faire de ce référent l'acteur principal de l'objectivisation du phénomène de l'indivision et de son appropriation par les pouvoirs publics locaux. Il doit être un animateur du partage de l'information notamment avec les collectivités territoriales ou régionales.

Mettre en place la formation idoine, par le CNFPT, avec l'intervention des professionnels tels que notaires, géomètres, généalogistes mais également des agences d'urbanisme ou du Cerema sur les problématiques d'observation.

Recommandation n°3

Indivision

FAIRE DE L'INDIVISION UN DES SUJETS MAJEURS DES CONFERENCES (OU

ASSISES) TERRITORIALES SUR LE FONCIER

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Le sujet indivision revêt de nombreux aspects techniques voire complexes et dont la trop fréquente méconnaissance se révèle être source de quiproquos ou d'incompréhensions.

- Le sujet de l'indivision doit avoir une place de premier ordre au sein des conférences ou assises du foncier, telles que proposées dans la mesure 8.1 du recueil foncier en Outre-mer et telles qu'elles se mettent en place à l'image de la Conférence foncière en Martinique.

- Le règlement de l'indivision passe nécessairement par une mobilisation collective des acteurs.

Il est donc recommandé de :

Au sein des conférences (ou assises) territoriales sur le foncier :

Encourager des échanges réguliers (semestriels ?) entre notaires, généalogistes, géomètres, collectivités, ... pour partager les enjeux socio-économiques, d'aménagement, environnementaux et fiscaux du phénomène de l'indivision.

Décider collégialement des outils et mesures nécessaires (pilotage, communication, ...) ; clarifier les responsabilités respectives des acteurs.

S'appuyer sur les observatoires intercommunaux pour suivre l'évolution et l'efficacité des actions conduites visant la résorption du blocage indivisaire.

Encourager la relation des collectivités avec les notaires, géomètres, ... par une facilitation à la participation des collectivités aux congrès nationaux (Congrès des Notaires de France, Assises Nationales de l'Ordre des géomètres-experts, ...).

Recommandation n°4

Indivision

LANCER DES PLANS INTERCOMMUNAUX DE COMMUNICATION « INDIVISION EN OUTRE-MER » À DESTINATION

DE LAPOPULATION

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Le phénomène de l'indivision revêt une dimension collective en ce qu'il peut impacter le fonctionnement d'un territoire.

- Malgré quelques initiatives, menées notamment par des intercommunalités et qui méritent d'être saluées, les démarches d'information et de communication auprès de la population restent insuffisantes.

- Il est important d'encourager la responsabilisation et l'appropriation de l'enjeu de l'indivision et de son impact sur le fonctionnement des territoires.

- Il est impératif d'éviter l'installation dans le temps du phénomène de l'indivision et de lutter contre les phénomènes volontaires de blocages par certains indivisaires.

Il est donc recommandé de :

Organiser une communication interpellant chacun dans sa propre responsabilité. Cette communication pourrait informer de manière pratique sur les aspects juridiques et procéduraux, les missions respectives des différents acteurs, ... mais elle pourrait également souligner le devoir lié au droit de propriété lequel, s'il est valorisé sans contrepartie, amène à des dérives.

Encourager l'élaboration de ces plans de communication intercommunaux en deux étapes : 1/ Une impulsion de l'État qui élabore un « référentiel indivision en Outre-mer » jetant les bases d'un cadre commun (aspects juridiques et procéduraux, missions des acteurs ...) à tous les territoires. Cette matrice pourrait être élaborée par les Ministères chargés de l'Outre-mer et la Cohésion des territoires avec les chambres nationales professionnelles (notaires, géomètres, etc.).

2/ Une déclinaison intercommunale avec un plan de communication qui considère les particularités de chacun des territoires : la « langue » locale, les structures et mécanismes d'aides spécifiques pour l'indivision comme pour le titrement, les contacts et missions des acteurs mobilisables ... Il est établi par les référents intercommunaux indivision en coopération avec le référent Indivision de l'État.

Savoir s'inspirer d'initiatives extérieures, à l'instar de celles conduites par la Direction des Affaires foncières de la Polynésie Française (Section d'Information et d'Accès aux Documents fonciers et généalogiques).

Savoir diversifier les outils et supports de communication : numérique, journées portes ouvertes, grands médias (radio et télé) en français et dans la langue locale...

Recommandation n°5

Indivision

MOBILISER LES ETUDIANTS EN DROIT POUR ACCOMPAGNER LES ADMINISTRES INDIVISAIRES

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Les liens entre Universités, Écoles, Collectivités locales mériteraient d'être encouragés dans une logique de collaboration entre acteurs pour pallier les capacités limitées des services publics et des notaires dans leurs relations d'information et d'accompagnement auprès des administrés.

Il est donc recommandé de :

Établir un cadre pour impliquer activement les étudiants en droit dans l'accompagnement des administrés en situation d'indivision complexe.

Fournir une assistance juridique accessible et gratuite (au sein des intercommunalités ou au sein des Universités-Écoles / offrir aux étudiants en droit une expérience pratique formatrice).

Développer des programmes de stages pour les étudiants au sein des collectivités locales, dans les services aménagement, foncier, urbanisme, etc... ou après du référent indivision.

Conventionner avec les organismes de formation et les universités d'Outre-mer et de l'hexagone, avec pour ces derniers la possibilité pour les étudiants d'intervenir en consultation gratuite à distance.

Recommandation n°6

Indivision

IDENTIFIER DANS CHAQUE TERRITOIRE UN REFERENT ÉTAT SUR L'ENJEU DE L'INDIVISION

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- La prise de conscience de l'importance du phénomène de l'indivision est réelle au sein des services de l'État, déjà mobilisés notamment à travers sa participation dans des instances collégiales (ex. CUF à Mayotte, GIPSITM à la Martinique...).

- Il est perçu comme nécessaire qu'un référent État puisse animer le sujet de « l'indivision » au sein des structures d'État et être un interlocuteur de premier plan pour le référent indivision de l'intercommunalité. Il peut en outre faciliter les échanges entre territoires d'Outre-mer pour nourrir les expériences respectives.

Il est donc recommandé de :

Encourager par l'identification d'un référent État « disponible » (un sous-préfet à l'indivision ou aux affaires foncières ?) des relations quotidiennes entre les collectivités locales et l'État sur les enjeux de l'indivision et du foncier en général.

Faire contribuer ce référent au décloisonnement du sujet de l'indivision au sein même de la

« sphère État » ; sujet qui n'est ni que fiscal (réservé à la DGFIP), ni que juridique (réservé au droit), ni que thématique (réservé à la DAAF pour l'agriculture, à la DEAL pour le logement, au CL pour le littoral, à l'ONF pour les forêts, ...).

Encourager ce référent État à animer des commissions ou groupes de travail internes dans une logique interservices.

Recommandation n°7

Indivision

INSTITUER UNE JURIDICTION EXCEPTIONNELLE

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- À l'instar de la situation à l'échelle nationale, dans tous les territoires d'Outre-mer un encombrement de la justice est constaté ; les sujets liés au foncier et à l'urbanisme, rarement jugés prioritaires, en subissent plus particulièrement les effets. D'autant qu'en Outre-mer et à l'heure du ZAN, plus encore que dans l'hexagone, les litiges fonciers portés devant les tribunaux ne vont que croître.

- Concernant l'indivision, l'encombrement des tribunaux serait un des freins à la mise en oeuvre aisée des dispositions de la loi Letchimy (recours des indivisaires-cf. art. 2).

- C'est à travers une action judiciaire efficiente, spécifiquement visible et identifiée, que les pouvoirs publics peuvent attester auprès de la population de l'importance dévolue au sujet foncier.

- Pour être efficace une action en justice doit combiner un esprit de fermeté et un esprit de conciliation qui épouse les particularités locales.

- Des enseignements sont à tirer, et à partager au sein de tout l'Outre-mer, par exemple de la présence d'un Tribunal spécifiquement dédié aux affaires foncières en Polynésie Française.

Il est donc recommandé de :

Instituer, dans chaque territoire, une juridiction exceptionnelle chargée des affaires foncières, qui faciliterait la résorption du désordre foncier en ce qu'elle réduirait la charge des tribunaux et les délais d'instruction. Cette juridiction exceptionnelle pourrait prendre la forme d'un tribunal foncier ; d'une chambre foncière ou encore d'une commission de conciliation obligatoire en matière foncière (au sein du TGI). Elle serait l'occasion de rassembler des personnels de justice ayant une expertise spécifique en matière foncière.

Instituer, au sein de cette juridiction, des procédures adaptées de médiation (ex. du médiateur foncier de la Polynésie Française) et de résolution des conflits, permettant de favoriser des solutions négociées plutôt que le prolongement des litiges. En ce sens pourrait être instituée au sein de cette juridiction exceptionnelle une commission de conciliation avec avis préalable.

Envoyer, à travers cette juridiction spécialisée, un signal fort à la population qui atteste d'une volonté de résoudre rapidement et efficacement les litiges ; inciter les citoyens à régler leurs litiges, et contribuer ainsi à la réduction du désordre foncier et à la sortie de

situations parfois très complexes.

Recommandation n°8

Indivision

ÉVALUER LA LOI LETCHIMY ET AJUSTER SES DISPOSITIONS EN CONSEQUENCE

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Les retours concernant l'application de la loi Letchimy de 2018, notamment sur le nombre d'indivisions ayant pu être « effectivement » réglées, sont dans l'ensemble réservés. Pour mémoire celle-ci confie au notaire, dans le cadre de successions ouvertes depuis plus de 10 ans, la mission de rédiger des actes de vente et de partage, à la demande de la majorité des indivisaires, au lieu de l'unanimité requise dans le droit commun.

- Les notaires semblent peu enthousiastes à appliquer les dispositifs de la loi Letchimy, principalement en raison du temps, jugé considérable pour certains dossiers, que cela requiert. Certains notaires vont jusqu'à déconseiller l'utilisation de la loi.

- La loi du 9 avril 2024 dite « Habitat dégradé » apporte des évolutions à la loi Letchimy. D'une part elle en prolonge l'existence de dix ans (en fixant son terme à 2038) ; prorogation perçue comme une avancée positive. D'autre part, elle fait évoluer les mécanismes de notification aux indivisaires ; dispositions nouvelles qui peuvent susciter perplexité voire inquiétudes auprès des professionnels directement concernés.

- La question de la notification est assez présente, notamment en ce qui concerne les personnes à notifier et son coût parfois très élevé du fait du nombre important d'indivisaires et de l'obligation de procéder à la notification par voie d'huissier.

Il est donc recommandé de :

Procéder à une évaluation de la loi Letchimy : un bilan précis est nécessaire pour mesurer son efficacité et identifier les axes d'amélioration d'autant plus du fait de sa prorogation de dix ans. Pour mémoire, un amendement visant à créer un observatoire de la disponibilité foncière destiné à évaluer l'avancée de la loi avait été proposé, en 2018, par le député Jean- Philippe Nilor (JPNILOR/12122018).

Proposer des ajustements de la loi Letchimy visant à :

- ouvrir la loi Letchimy aux successions ouvertes depuis 5 ans. Cette évolution permettrait de réduire le nombre de successions bloquées, de successions complexes et multigénérationnelles.

- substituer l'expression (article 2, 1er alinéa) « indivisaires qui ne sont pas à l'initiative du projet » par « indivisaires non signataires ». Il est fréquent que des indivisaires qui ne sont pas à l'initiative du projet de vente ou de partage le signent chez le notaire. Or, la rédaction actuelle oblige la notification extra judiciaire y compris à ceux-là.

- ajuster l'expression (article 2, 1er alinéa) « le notaire remet le projet en main propre... » du fait qu'il faille considérer les nombreux cas où les indivisaires sont représentés par un mandataire.

- modifier l'expression (article 2, 5ème alinéa) « tribunal » par « président du tribunal » de façon à ce que la procédure devienne une procédure accélérée dans la forme et non une procédure au fond (soumise au délai judiciaire en matière des droits de succession d'un an en moyenne dans les faits). La compétence d'un juge de l'urgence pour traiter le litige mériterait d'être par ailleurs envisagée.

- supprimer (article 2, 3ème alinéa) l'allongement du délai de contestation pour les indivisions de plus de dix indivisaires considérant que celles-ci sont dans les faits les cas les plus fréquents.

Inscrire les dispositions de la loi Letchimy dans les plans intercommunaux de communication « indivision en Outre-mer ».

- Mettre à l'étude un encouragement fiscal ou financier au bénéfice des notaires pour les encourager à l'application de cette loi et compenser le temps passé.

Recommandation n°9

Indivision

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AJUSTER LES CONDITIONS DE LA PRESCRIPTION ACQUISITIVE

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- La loi du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé, a introduit la réduction du délai de prescription acquisitive, passant ainsi de 30 ans (droit commun) à 10 ans pour les Outre-mer (article 73), jusqu'en 2038.

- La loi précise également que, pour les cas d'indivisions successorales non encore réglées, la possession par l'un des indivisaires est considérée comme `non équivoque' ce qui dispense celui-ci de prouver ce caractère non équivoque en cas de contestation (contrairement aux dispositions de l'article 2261 du code civil).

- Ces deux évolutions peuvent susciter des inquiétudes quant à leur applicabilité, à l'instabilité juridique qu'elles peuvent entraîner et aux désordres qu'elles pourraient engendrer. Pour certains, la réduction du délai de prescription acquisitive et le retrait du terme non équivoque sont l'un et l'autre considérés comme des atteintes au droit constitutionnel de propriété et aux droits des propriétaires légitimes.

- Ces deux évolutions s'ajoutent à celle déjà opérée pour les Outre-mer par la loi n°2017-256 du 28 février 2017 réduisant le délai de contestation de l'acquisition de la propriété par prescription qui est passé de 10 à 5 ans (disposition applicable jusqu'en 2027). Cette accélération du processus peut soulever des préoccupations concernant les droits des individus qui pourraient ne pas être au courant de la prescription ou qui pourraient ne pas avoir eu les moyens d'agir rapidement pour défendre leurs droits.

- D'une manière générale, l'usage de la prescription acquisitive est considéré comme socialement sensible. Il peut générer au sein de familles, des tensions, des faux témoignages,

...

Il est donc recommandé de :

Réévaluer le délai de prescription acquisitive. Une période intermédiaire plus longue (20 ans par ex.) gagnerait à être expertisée. Elle serait jugée comme offrant un meilleur équilibre juridique et social.

Renforcer les mécanismes de publicité par l'affichage d'une notice de prescription acquisitive sur le terrain, avec constatation par huissier, délai d'opposition de 2 mois à partir de la constatation. Une démarche déjà pratiquée par certaines notaires, à La Réunion notamment.

Réintroduire le terme "non équivoque" dans les textes législatifs de telle sorte de garantir une meilleure stabilité juridique.

Dresser le bilan de la réduction du délai de contestation à 5 ans d'une prescription acquisitive. Savoir s'interroger sur sa reconduction et évaluer la pertinence de sa reconduction jusqu'en 2038 (année de référence pour la loi Letchimy et la disposition

relative au délai de prescription acquisitive dans son application en Outre-mer).

Recommandation n°10

Indivision

FAIRE DE L'AIDE INDIVIDUELLE UN LEVIER EFFICACE A LA SORTIE DE L'INDIVISION SUCCESSORALE

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Le sujet financier est un sujet bloquant au sein d'une grande partie de la population et un facteur d'inégalité dans la résolution des indivisions successorales.

- Il y a un besoin d'accompagnement sur le champ financier et sur la procédure (aide à la constitution des dossiers, mise en contact avec les acteurs idoines ...).

- Il existe des systèmes d'aides déjà mis en place localement par les collectivités, action logement, ... Ils visent à permettre aux ménages les plus démunis d'aller au bout des procédures de sortie d'indivision immobilière par une prise en charge de tout ou partie des frais associés (frais de géomètre, frais notariés, frais d'avocats, frais de médiateur foncier, frais de généalogie, frais d'enregistrement et de transcription)

- Ces systèmes d'aides sont dans l'ensemble plutôt méconnus et seraient observées des sous consommations des crédits alloués.

- L'aide est instaurée sous un angle essentiellement social sans considération particulière des enjeux ou secteurs à enjeux particuliers dans l'aménagement du territoire.

Il est donc recommandé de :

Dresser des bilans extrêmement précis des systèmes d'aides déjà existants (régimes d'aides et de prises en charge des frais, prêt à taux zéro, avances remboursables, ...) instaurés par les collectivités (régions, départements, intercommunalités, ...) et mesurer leur efficacité.

Amplifier la communication autour de l'existence de ces aides en rassemblant les différents acteurs de telle sorte qu'ils en soient tous des promoteurs.

Privilégier le versement de ces aides directement aux professionnels mobilisés dans le règlement de l'indivision (exclusivement successorale).

Être clair dans les objectifs poursuivis : convient-il de généraliser les systèmes d'aides dans une logique d'intervention massive et rapide dans tous les territoires ; ou de territorialiser les aides en les concentrant dans des secteurs particuliers avec des taux plus élevés et des critères d'attribution moins contraignants ?

Recommandation n°11

Indivision

APPELER À UNE EVALUATION GOUVERNEMENTALE DES DISPOSITIFS FISCAUX ACTUELS (TAXATION, ABATTEMENTS, EXONERATIONS...) DE LA TRANSMISSION PATRIMONIALE EN OUTRE-MER

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Les questions fiscales et financières sont perçues comme omniprésentes et subjectivement vues comme des freins à la résolution des problèmes fonciers pour une grande part de la population socialement dépourvue.

- Existe une impression (qui pourrait être liée à une méconnaissance) de sur-fiscalité, de frais bloquants (acte de notoriété, attestation de propriété, droit de partage, évaluation des biens par agent immobilier, taxe de la fiscalité foncière, frais de généalogiste...) et ce malgré les avancées issues de la loi Letchimy instituant une exonération de droit de partage de 2,5% (CGI art. 750 bis C modifié par loi 2024-322 art. 51, I) depuis 2018 jusqu'en 2028.

Il est donc recommandé de :

Par le biais d'une mission gouvernementale (IGF / IGEDD) :

Dresser un panorama des dispositifs fiscaux existants (taxation, abattements, exonérations,

...) applicables aux successions, donations, partages...

Évaluer le caractère incitatif ou dissuasif (= évaluer l'usage) de ces dispositifs ; dresser un bilan des bénéficiaires (ou exclus).

Regarder les dispositifs actuels en considérant les évolutions sociales et environnementales des territoires d'Outre-mer (évolution démographique naturelle ou migratoire, changement dans les typologies des familles, évolutions climatiques, ...) et les adapter pour en faire des leviers incitatifs.

Souligner les éventuelles distinctions entre l'Outre-mer et l'hexagone (dispositifs et utilisation) et entre l'Outre-mer et les pays pouvant connaître des désordres fonciers du même ordre.

Reconsidérer les dispositifs fiscaux : adapter les frais aux successions en cascade (réfléchir au règlement des droits uniquement sur la dernière succession ou les 3 dernières) ; défiscaliser la soulte, réviser les seuils d'abattements et taux de taxation applicables... ; proposer des mécanismes plus incitatifs en les limitant dans le temps pour encourager leur mobilisation.

Recommandation n°12

Indivision

ÉTUDIER LA CREATION D'UN OUTIL DE GESTION TEMPORAIRE DES BIENS EN ETAT D'ABANDON MANIFESTE DANS LE CADRE D'INDIVISIONS SUCCESSORALES COMPLEXES

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- La difficulté de régler certaines successions fait perdurer des situations qui génèrent des insuffisances d'entretien de bâtiments pouvant amener jusqu' aux caractéristiques d'un bien en état d'abandon manifeste.

- La détérioration du bâtiment a un impact à caractère public sur les territoires (ex. verrues paysagères).

- Il apparaît utile de créer un outil permettant de pallier temporairement le manque d'entretien de biens en cours de règlement de succession(s) sans viser l'expropriation du bien (telle qu'elle est objet de la procédure de l'état d'abandon manifeste).

Il est donc recommandé de :

Mettre à l'étude la création (par voie législative) d'un dispositif à disposition de la puissance publique de gestion temporaire des biens en état d'abandon manifeste dans le cadre d'indivisions successorales complexes.

En considérant notamment :

Que la puissance publique locale (commune, intercommunalité) doit être à l'initiative de la procédure.

Que la procédure doive s'inscrire dans un temps opérationnel court (caractérisation de l'état du bien, établissement des procès-verbaux, délais de réaction des indivisaires successoraux, etc ).

La pertinence de se référer à la procédure d'état d'abandon manifeste pour qualifier l'état du bien.

La distinction à opérer avec l'administration de la succession par un mandataire telle que prévue aux articles 812 à 814-1 du code civil.

En s'interrogeant sur :

La qualité du mandataire : commune, intercommunalité, EPF, SEM ...

Les prérogatives du mandataire : gestion, contrôle, administration...

La qualification juridique de cet outil de gestion : fiducie, mandat, administration de biens

...

La nature juridique de cette gestion temporaire : acte contractuel ou décision judiciaire.

La constitution d'un fonds local (par territoire ultramarin) dédié à l'avance des frais de gestion.

Le mécanisme de restitution des frais résultant de la gestion une fois la succession réglée.

Recommandation n°13

Indivision

ENCOURAGER LA TRANSMISSION DE SON VIVANT

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- La culture de la transmission du patrimoine de son vivant est considérée encore moins établie en Outre-mer qu'elle ne l'est dans l'hexagone.

- Cette absence d'anticipation ne fait qu'exacerber la problématique de l'indivision successorale (ex. multiplication des successions en cascade) et nourrir les conflits intrafamiliaux.

- Les instruments juridiques mobilisables pour la transmission (donation avec ou sans réserve d'usufruits, testament partage, SCI...) ou pour une gestion anticipatrice (viager...) sont mal connus.

Il est donc recommandé de :

Sensibiliser à la gestion patrimoniale de son vivant et à la transmission anticipée par : des journées de consultations gratuites « portes ouvertes » à l'échelle des intercommunalités en lien avec les professionnels avisés (notaires, conseillers en patrimoine, experts immobiliers...) et l'élaboration de brochures informatives sur les outils juridiques et financiers/fiscaux mobilisables.

Construire un argumentaire incitatif à la transmission et à la gestion de son vivant : éviter les conflits familiaux, réduire par anticipation les coûts et délais des règlements de succession, respect des volontés du de cujus...

Recommandation n°14

Autorisations et police de l'urbanisme

OBJECTIVER LE PHENOMENE DE CONSTRUCTION SANS AUTORISATION POUR EN MESURER PLEINEMENT L'AMPLEUR

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Il est très important d'objectiver le phénomène de la construction illégale et de construire une observation locale en continu.

- Le phénomène est connu de tous mais très peu chiffré. Cette objectivisation est doublement indispensable : pour renforcer la prise de conscience des différents acteurs et encourager la mobilisation des élus locaux ; pour comprendre les ressorts locaux (territorialement, socialement, économiquement) qui l'encouragent.

- Des observations sont d'ores et déjà conduites par des intercommunalités ou agences d'urbanisme mais elles sont considérées trop ponctuelles, inabouties et non partagées.

- La panoplie d'outils techniques mobilisables par les collectivités est désormais très large : de plus en plus est utilisable l'imagerie satellitaire (beaucoup moins cher que l'aérien et le drone sur les grands territoires). A souligner que les satellites Pléiades permettent la détection et l'identification d'éléments inférieurs à 1 m2. Des photos interprétations qui sont à doubler d'observations sur le terrain. Il est techniquement possible de lier, à travers les SIG locaux, ces observations avec les informations relatives aux autorisations d'urbanisme détenues par les services instructeurs.

- La coordination entre acteurs et la mutualisation des moyens est perçue comme insuffisante voire inexistante.

Il est donc recommandé de :

Faire de l'échelle intercommunale l'échelle de l'analyse (des RHI comme des constructions en diffus).

Confier aux intercommunalités le soin de réaliser, avec l'appui des agences d'urbanisme, cette observation de la construction illégale au titre de leur compétence aménagement.

Inscrire dans les programmes opérationnels (PO européens, CPER, PLOM...) une aide financière spécifique à la constitution de ces observatoires et à destination des intercommunalités.

Encourager le partage : sur la méthode d'observation (entre les agences d'urbanisme, les intercommunalités d'Outre-mer entre elles à l'échelle du territoire, avec l'appui du CEREMA...), sur les informations détenues (avec notamment les DGFIP, qui seraient, faute de temps pour vérifier le caractère formel de la construction, amenées à enregistrer au cadastre des constructions sans autorisations...).

Recommandation n°15

Autorisations et police de l'urbanisme

COMMUNIQUER AUPRES DE LA POPULATION SUR L'AUTORISATION D'URBANISME EN CE QU'ELLE EST UNE « PROTECTION »

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Malgré quelques initiatives locales qui ont pu être conduites par des collectivités ou CAUE, la communication sur la nécessité de l'autorisation d'urbanisme n'est pas suffisante.

- La demande d'autorisation n'est pas culturellement admise par tous ; reste très présent le sentiment que la terre et son usage appartient au propriétaire sans devoir de contrepartie.

- Un dépôt de permis de construire n'est pas une démarche administrative anodine. Construire sans permis risque fort de poser un problème un jour ou l'autre. Un bâtiment illégal évolue dans une insécurité permanente. Il risque d'être difficile à assurer ou à rénover. Il risque même (en théorie) la démolition à tout instant.

Il est donc recommandé de :

Faire de l'intercommunalité le chef d'orchestre de campagnes d'information et de sensibilisation de la population aux autorisations d'urbanisme :

Élaborer un argumentaire (et supports de communication) qui valorise l'autorisation comme une protection plus que comme une sanction. Une protection pour le citoyen pétitionnaire (assurance habitation, obtention de prêts, paix avec le voisinage, garantie pour une bonne gestion et administration du bien...) ; protection collective pour la qualité de vie sur le territoire ; protection pour la collectivité et l'action publique (réseaux, risques...).

Travailler, avec les communes membres, à la tenue de permanence de conseils et d'architecture en s'appuyant notamment sur les CAUE voire des étudiants en architecture. Travailler en lien avec les structures qui accueillent le public sur le thème du logement (ADIL / Maison France Service...)

Appeler l'ensemble des acteurs publics et privés de la filière de la construction à être des ambassadeurs de l'autorisation d'urbanisme. Tous doivent participer à cette prise de conscience et à la nécessaire transformation culturelle.

S'appuyer sur les Clubs ADS qui permettent les échanges d'expériences entre professionnels des collectivités.

Recommandation n°16

Autorisations et police de l'urbanisme

FAIRE DU RESPECT DES REGLES LOCALES D'URBANISME UN ENJEU POLITIQUE PRIORITAIRE

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- De très nombreuses constructions sont en infraction aux règles d'urbanisme ou à l'autorisation délivrée. C'est un phénomène notoire dans les cinq territoires : elles sont massives à Mayotte et en Guyane (jusqu'à 70 % voire 90 % dans certains secteurs), fortes en Martinique et Guadeloupe (estimation à plus de 30 - 40 %), plus contenues à La Réunion (15 % ?). Elles sont commises par les particuliers (champ résidentiel) ou des entreprises artisanales (champ économique) et sont souvent liées à des évolutions du bâti existant.

- L'anarchie en urbanisme est génératrice de dégâts environnementaux et paysagers tangibles, de mitage, de préjudices majeurs pour les territoires. Elle rend en outre complexe sur certains secteurs la gestion de l'espace public et des services publics (difficultés pour faire et entretenir des trottoirs, gérer le stationnement, laisser place aux camions poubelle, organiser et bien dimensionner les réseaux...).

- Par ignorance parfois, par indifférence souvent, l'infraction aux règles d'urbanisme est génératrice de tensions sociales notamment entre voisins (avec de nombreux cas de dénonciation). Il est en outre davantage délicat de demander des comptes à ceux qui construisent (presque ou en totalité) légalement alors que des squats entiers existent ailleurs ou que le voisin a construit sans autorisation et n'a pas été sanctionné.

- Plus que sur l'autorisation elle-même, c'est sur le champ culturel que réside la complexité.

- Les agents assermentés et commissionnés ont de sérieuses difficultés à exercer leurs missions (très souvent en porte-à-faux ; craintes des représailles...).

- Le développement de l'habitat spontané fait l'objet d'une mobilisation des pouvoirs publics (cf. PLOM) et se structurent des pôles de lutte et d'intervention d'urgence. Mais si les infractions concernent certes des opérations d'ensemble d'habitat spontané ; il doit être porté une attention majeure et aussi vive sur la foultitude des opérations individualisées (personnes privées comme entreprises) irrégulières.

- Il est perçu un sentiment d'impunité en cas de manquement aux règles d'urbanisme et une faiblesse dans les poursuites et sanctions.

Il est donc recommandé de :

Savoir être ferme et faire du respect des règles locales d'urbanisme un enjeu prioritaire, devant être objet de travaux dans le cadre des conférences territoriales du foncier.

Accompagner la prise de conscience, notamment politique, de l'impact majeur de ces infractions. La compétence locale de l'urbanisme doit être exercée avec une responsabilité assumée et exemplaire en matière de police.

Savoir prioriser des secteurs urbains et à enjeux (risques) où la construction est surveillée avec une vigilance et une exemplarité en matière de sanctions renforcées.

Traduire la réglementation locale pour qu'elle soit comprise de tous. La manière dont les règles sont exprimées influence la compréhension des documents ; les acteurs du fonciers (architectes, notaires, géomètres, avocats...) gagnent à être associés à l'écriture des règles.

Recommandation n°17

Autorisations et police de l'urbanisme

MAITRISER L'ARSENAL JURIDIQUE EXISTANT

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Le montant des amendes, les délais de prescription (...) fixés par la loi ne sont pas perçus comme devant être modifiés. L'enjeu repose sur leur application et sur l'absence de sanctions véritablement exécutées (une seule démolition en Guadeloupe ces quarante dernières années...). Pourtant l'arsenal juridique (sur le champ pénal, civil et administratif) existe et est considéré comme suffisamment solide notamment depuis l'Ordonnance du 18 septembre 2019 prise en application de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. En effet celle-ci a renforcé les pouvoirs du Maire notamment pour les mises en demeure et astreintes. Toutefois il est ressenti que ces dispositions sont insuffisamment connues et sans mise en oeuvre concrète sur le terrain.

- L'exercice efficace de la police de l'urbanisme repose sur la réactivité (la flagrance) et l'intervention de la puissance publique dès les premiers signes d'une irrégularité.

Il est donc recommandé de :

Permettre aux élus locaux de mieux connaître et comprendre leurs capacités à agir : les différents types d'infraction, les causes d'exonération de responsabilités, les personnes habilitées à constater, l'obligation de dresser un PV, les effets d'une absence d'intervention de la collectivité, les sanctions encourues, les pouvoirs réels des élus locaux inscrits dans le droit. Il convient d'amplifier l'offre de formations locales (avec notamment le CNFPT et les associations départementales de maires) à l'échelle des intercommunalités.

Savoir-faire recours à la justice que lorsque les outils juridiques mobilisables localement l'ont été, notamment les dispositions des articles L 481-1 à L 481-3 du code de l'urbanisme qui octroient au maire des pouvoirs de mise en demeure, d'astreinte et de consignation. Ces dispositions gagnent à être vues par les élus locaux comme un préalable utile à l'action en justice.

Recommandation n°18

Autorisations et police de l'urbanisme

AUTORISER LA DELEGATION AU PRESIDENT DE L'INTERCOMMUNALITE DES POUVOIRS DE MISE EN DEMEURE, ASTREINTE ET CONSIGNATION DES ARTICLES L 481-1 A L 481-3 DU CODE DE L'URBANISME

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- A l'échelle uniquement communale, la police de l'urbanisme peine à s'exercer dans la sérénité. Des agents assermentés attestent craindre des représailles. Le besoin de coopération entre communes au sein de l'intercommunalité s'en trouve très nettement renforcé.

- Les liens de proximité entre les maires et les citoyens pétitionnaires rendent souvent délicates les injonctions de régularisation des infractions. La prise de distance s'avère souvent nécessaire et le président de l'intercommunalité pourrait participer, aux côtés du maire, à faire respecter les règles d'urbanisme local en prenant la responsabilité des mises en demeure, astreintes et consignations.

- Il convient d'étoffer la capacité à agir du maire en ce qu'il peut être épaulé par le président de l'intercommunalité.

- Des compétences techniques sont mobilisables dans les intercommunalités d'autant que des services intercommunaux d'instruction sont désormais en place dans certaines d'entre elles.

Il est donc recommandé de :

Autoriser par la loi, par modification du code de l'urbanisme ou du CGCT (cf. art. L. 5211-9-2), une possibilité pour le maire de déléguer au président de son intercommunalité, son pouvoir en matière de mise en demeure, astreinte et consignation :

Cette délégation n'emporterait pas un transfert ni une délégation des pouvoirs de police de l'urbanisme dans son ensemble. À l'instar des dispositions de l'article L 422-2-3 du code de l'urbanisme, la délégation de compétence qui serait limitée à la mise en demeure, astreinte et consignation, devrait être confirmée après chaque renouvellement du conseil municipal ou après l'élection d'un nouveau président de l'intercommunalité.

Cette délégation de compétence n'aurait pas à être conditionnée à l'exercice par l'intercommunalité de la compétence PLU.

Il conviendrait d'autoriser que cette délégation puisse être subdéléguée à un membre du bureau, par le président de l'intercommunalité, pour les affaires concernant la commune dont il est élu.

Il conviendrait de permettre cette délégation à la libre volonté de chacune des communes (sans qu'elle soit nécessairement opérée par toutes les communes de l'intercommunalité) et de permettre au président de l'intercommunalité de la refuser.

Recommandation n°19

Autorisations et police de l'urbanisme

RENFORCER LES CONTROLES DES LE COMMENCEMENT DES TRAVAUX

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- L'exécution des autorisations d'urbanisme fait l'objet d'un suivi jugé très largement insuffisant.

- La Déclaration Attestant l'Achèvement et la Conformité des Travaux (DAACT) permet d'informer la collectivité de la fin des travaux et certifie la conformité du projet à l'autorisation d'urbanisme. La DAACT ferme au bout de trois mois toute possibilité de contestation par la collectivité.

- Dans les faits les DAACT comme les DOC (déclarations d'ouverture de chantiers) sont très loin d'être systématiquement opérées par les pétitionnaires. Les nombreux manquements à cette obligation sont préjudiciables et rarement sanctionnés. Le contrôle de conformité et de récolement ne sont pas systématiquement conduites par la collectivité.

- Il est trop méconnu en outre que le défaut de DAACT peut être préjudiciable pour le propriétaire avec notamment des entraves et recours possibles par l'acquéreur lors de la vente du bien.

Il est donc recommandé de :

Encourager la systématisation de visites régulières sur le terrain permettant tout le long de la construction de s'assurer de la conformité avec l'autorisation délivrée et ce jusqu'à l'achèvement des travaux.

Inclure l'enjeu de la DAACT et de la DOC dans la communication sur l'autorisation d'urbanisme (cf. recommandation n°15)

Recommandation n°20

Autorisations et police de l'urbanisme

FAIRE DES ACTEURS DE LA SPHERE PRIVEE DES PROMOTEURS DU RESPECT DES REGLES D'URBANISME

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- L'infraction aux règles d'urbanisme affecte de multiples acteurs : on vend des constructions sans autorisations (notaires, agents immobiliers...) ce que la loi n'interdit pas à condition de bien en informer le propriétaire, on assure des constructions sans autorisations (assureurs)... L'urbanisme est une affaire collective, multi acteurs.

- En outre-mer, notaires, géomètres, agents immobiliers, assureurs doivent participer à l'évolution positive des territoires et contribuer à la sensibilisation de l'importance des règles d'urbanisme auprès de leurs clients.

- D'une manière générale, les auto-constructeurs, qui bâtissent eux-mêmes leur demeure, éprouvent de très grosses difficultés à obtenir un prêt bancaire. A Mayotte notamment, il est fréquent (et de fait inquiétant) que des administrés souscrivent des prêts à la consommation pour pouvoir construire.

Il est donc recommandé de :

Que tous les acteurs liés à la problématique de la construction (assureurs, notaires, agents immobiliers, banquiers, constructeurs, architectes...) soient mobilisés en faveur du respect local des règles d'urbanisme par le biais de travaux et conventionnement avec leurs fédérations professionnelles nationales et locales.

Faire de ces acteurs de la sphère privée des parties prenantes des conférences territoriales du foncier.

Faire de ces acteurs des vecteurs de la communication et de la sensibilisation auprès du grand public sur l'importance du respect des règles d'urbanisme.

Recommandation n° 21

Planification

CLARIFIER ET FORMALISER LA RELATION ÉTAT - COLLECTIVITE LORS DE L'ELABORATION D'UN PLU(I)

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Les relations entre l'État et les collectivités locales, auteurs des documents locaux de planification et d'urbanisme, souffrent d'un manque de clarté dans leurs objectifs : accompagnement ou contrôle ? Pilotage stratégique ou encouragement à l'exercice local d'une compétence décentralisée ?... Les postures sont souvent perçues comme contre- productives.

- Les PAC (Porté à Connaissance) de l'État, lorsqu'ils sont élaborés, comportent des parties techniques et réglementaires (contraintes et servitudes) mais aussi de multiples éléments stratégiques souvent perçus comme des atteintes à la responsabilité locale. Il revient à l'État de rappeler les contraintes (qui découlent des cadres nationaux et des documents supra), de vérifier les règles d'urbanisme, et de s'assurer que le PLU respecte ses limites légales. Il est cependant fait le constat d'une certaine dérive avec des PAC s'approchant de l'esprit d'un PADD et souvent d'une posture de l'État manquant de considération des particularités locales.

- Il convient d'encourager un esprit de collaboration et d'en fixer les modalités. L'effectivité et surtout la clarté de la relation État-Collectivités locales ne sont pas suffisantes pour être à la hauteur des enjeux et du besoin d'actions coordonnées envers la population.

Il est donc recommandé de :

Instaurer le principe d'un débat et d'une consignation du débat entre la collectivité locale et l'Etat local visant à préciser les contours de la relation État-Collectivités locales lors de l'élaboration ou la révision d'un document d'urbanisme. Conduire ce débat dès réception par les services de l'État de la délibération prescrivant le document d'urbanisme.

Conduire un débat au parlement sur le sujet de la relation État-Collectivités locales en outre- mer sur le sujet de l'urbanisme local.

Recommandation n°22

Planification

ZAN : PLUS ENCORE QU'ADAPTER LES REGLES A L'OUTRE-MER, INVERSER LE REGARD

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- L'appropriation politique et technique de l'enjeu de la sobriété foncière s'affirme progressivement mais nombre de collectivités ressentent les bouleversements réglementaires engendrés par le ZAN comme une contrainte imposée. S'il est nécessaire de dédramatiser cette perception, il convient d'être lucide sur les raisons stratégiques, culturelles et techniques qui alimentent les crispations. Celles-ci se focalisent surtout sur l'enjeu résidentiel ; l'enjeu de la sobriété foncière est encore moins appréhendé en ce qui concerne les espaces économiques.

- Plus particulièrement à Mayotte et en Guyane, le ZAN est jugé inapplicable car s'il est facile de mathématiquement fixer des objectifs de réduction foncière (sur la base du passé) ; il n'est pas possible de fixer des objectifs de projection (anticiper les besoins du futur). Planifier à l'heure du ZAN, ce sont contraintes et incompréhensions avec l'accroissement soutenu et imprévisible de la population. On y fixe comme ailleurs la décennie 2011- 2021, comme la décennie de référence pour la consommation foncière mais ni à Mayotte ni en Guyane, ce n'est une référence possible. Les territoires sont en pleine évolution, les besoins ne font qu'augmenter ; il y a un impératif de rattrapage.

- Le cadre du ZAN reste mal connu et vu comme « étatique ». Les données socles sont mal partagées (sur la méthode comme sur le fond ; sur le qualitatif comme sur le quantitatif).

- Les objectifs calendaires pour le ZAN sont intenables. Impossible pour les SAR d'être arrêtés dans les temps. Une ambiguïté persiste : l'impact immédiat d'un SAR « non climatisé » a été effacé par loi ZAN mais les deadlines (fev. 2027 et fev. 2028) pour les SCOT et PLU sont inchangées.

Il est donc recommandé de :

Conduire d'urgence un travail parlementaire sur le sujet du ZAN en Outre-mer. Il viserait à dépasser la logique d'amendements qui repousse le calendrier ; faire de ce débat une occasion d'un débat de fond sur l'exercice local de l'urbanisme en Outre-mer.

Dépasser le regard mathématique : partir du projet, de l'évolution du territoire, de l'esprit de son devenir avant de définir le quota foncier.

Consolider dans la loi la considération faite de l'urbanisation informelle spontanée au regard de la consommation foncière dans les guides du ministère (page 15 du premier fascicule ; chapitre « Habitat illicite et cabanisation ») en ce qu'elle peut avoir un caractère irréversible et qu'il convient de la considérer, particulièrement en outre-mer, comme un espace urbanisé.

Recommandation n°23

Planification

INTERROGER, POUR L'OUTRE-MER, LE ZONAGE DU PLU

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- De manière beaucoup plus évidente que dans l'hexagone, il y a, en outre-mer, de nombreux espaces qui ne sont ni vraiment urbanisés, ni vraiment agricoles. A mi-chemin entre une vocation agricole et une vocation d'habitation, ils sont les fruits d'un mitage dans le temps qu'il convient certes de juguler mais aussi de considérer dans ses particularités.

- On ne peut ni zoner en « à urbaniser » (AU) des espaces aussi vastes ni considérer le zonage agricole (A) leur être bien adapté eu égard à leur vocation également résidentielle que les STECAL, secteurs par définition de taille très limitée, ne permettent pas de considérer.

- Espaces à forts besoin de réorganisation auxquels il faut pouvoir appliquer des règles spécifiques. Il faut reconnaître l'existence de ce mitage et pouvoir lui dédier des règles précises.

Il est donc recommandé de :

Étudier la possibilité d'instituer dans le code de l'urbanisme, spécifiquement pour l'outre- mer, un cinquième type de zone (aux côtés des zones A, N, AU, U) pouvant s'intituler

« Rural Mixte ».

Accompagner une utilisation pertinente de ce nouveau zonage ; en faire un levier de modernisation de ces espaces à l'encontre de la poursuite du mitage.

Recommandation n°24

Planification

AMELIORER LA QUALITE DES RECENSEMENTS ET PROJECTIONS DEMOGRAPHIQUES

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- Un PLU est juridiquement fragile et stratégiquement inadapté s'il s'élabore sur de mauvaises considérations démographiques. Or le recensement démographique est en bute à des difficultés spécifiques en Outre-mer et particulièrement vives en Guyane et à Mayotte. Il est souvent considéré que la population officiellement admise ne reflète pas la situation réelle.

- Il y a, de fait, un décalage entre le début du recensement et la publication des chiffres officiels pouvant amener à considérer que c'est la population N-3 qui serait la plus consolidée... Or, trois ans c'est particulièrement long dans les collectivités où l'on observe les plus forts taux de natalité en France (2 premières maternités au niveau national en Guyane et à Mayotte) ainsi qu'une immigration soutenue.

- Des désaccords persistent sur les méthodes de calculs jugées aléatoires considérant notamment la difficulté pour les recenseurs d'accéder aux secteurs d'habitats spontanés et l'inadaptation ou l'insuffisance des outils mobilisés (drones, nombre de lignes téléphoniques, recensement des volumes de déchets...). La difficile évaluation des phénomènes migratoires et des populations illégales (orpailleurs, pêcheurs illégaux...) contribue à distiller le doute sur la véracité et la qualité des estimations démographiques.

Il est donc recommandé de :

Diligenter, auprès de l'IGEDD (Inspection générale de l'Environnement et du Développement Durable), une mission d'expertise et de propositions sur les techniques et moyens mobilisés par l'INSEE (Institut National de la Statistique et des Études Économiques) dans le cadre des recensements en Outre-mer.

Mettre en place des systèmes expérimentaux en se rapprochant des méthodes de pays aux contextes démographiques similaires.

Recommandation n°25

Planification

:

RENFORCER, AUTOUR DES DOCUMENTS D'URBANISME, LA CONCERTATION ET LA PARTICIPATION CITOYENNE

Il ressort des COP Foncier le constat suivant :

- En outre-mer en général, plus encore à Mayotte et en Guyane, l'appropriation citoyenne des documents d'urbanisme reste faible (avec notamment pour corolaire, la construction sans autorisation d'urbanisme).

- L'élaboration des documents locaux doit être une occasion de sensibiliser les populations aux normes et contraintes ; d'autant que les catastrophes et risques naturels peuvent faciliter cette acceptation.

Il est donc recommandé de :

Impliquer, par des outils de concertation adaptés et renouvelés, les citoyens (dans leur diversité sociale, d'âge ou d'origine) dans l'élaboration des documents de planification ; dépasser, grâce à la visibilité du projet d'ensemble, la focalisation individuelle sur le zonage applicable à sa propre parcelle.

Privilégier l'échelle du quartier pour encourager l'expression (place primordiale de l'oralité en Outre-mer), le recueil des souhaits et besoins.

S'appuyer, pour la sensibilisation des enfants et adolescents, sur des classes participatives.

Insérer dans les programmes scolaires des temps de sensibilisation aux enjeux d'urbanisme dans une logique de responsabilisation.


* 1 M. Thani Mohamed Soilihi a été nommé secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargé de la Francophonie et des Partenariats internationaux le 5 septembre 2024.

* 2 GIP-Commission d'Urgence Foncière.

* 3 GIP-Sortie de l'indivision et titrements de Martinique.

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