LA LÉGISLATION SUÉDOISE

1. Les enjeux autour de la définition du viol et de la notion de consentement

En 2018, la Suède a apporté des modifications importantes à sa législation sur le viol, notamment par l'introduction de la notion de consentement explicite (frivilligt samtycke). Cette réforme s'inscrit dans un contexte social et juridique marqué par des débats intenses autour de la protection des droits des victimes de violences sexuelles et de l'autonomie sexuelle.

L'un des enjeux majeurs de cette réforme réside dans l'évolution de la culture du consentement. Cette transformation a été alimentée par différents mouvements très actifs dans le débat public, qui ont cherché à sensibiliser l'opinion publique aux insuffisances des lois fondées sur la preuve de la contrainte ou de la violence. Le mouvement suédois Fatta (comprends), lancé après un cas de viol très médiatisé en 2013, a joué un rôle décisif dans la promotion de cette nouvelle approche. Dans cette affaire, trois hommes ont été acquittés malgré des preuves accablantes. Celle-ci a provoqué une onde de choc dans la société suédoise, conduisant à des manifestations et à une remise en question des normes juridiques existantes2(*).

Le nouveau cadre juridique repose sur l'idée que le consentement ne peut pas être implicite. Il prévoit que l'absence de résistance ou l'absence de « non » explicite ne constitue pas un consentement, et que la relation sexuelle doit être fondée sur une participation active et volontaire.

La Suède a également introduit de nouvelles catégories de crimes, comme le « viol par négligence », permettant de condamner un acte sexuel lorsque l'auteur « aurait dû savoir » que le consentement de la victime était absent, même sans preuve de malveillance intentionnelle. Ce concept de négligence est une innovation juridique visant à combler les lacunes entre les cas de consentement explicite et ceux où la victime n'a pas pu donner son accord de manière active. En élargissant le champ d'application du viol, la nouvelle législation vise à mieux protéger les victimes, en particulier dans des situations où l'incapacité à donner un consentement explicite (en raison de la peur, de l'intoxication) aurait auparavant conduit à un non-lieu3(*).

La réforme a également des implications pour la formation et la sensibilisation des jeunes sur le concept de consentement. Des initiatives éducatives ont été proposées pour enseigner aux jeunes l'importance de la communication dans les relations intimes et pour encourager une culture de respect du consentement mutuel. Ces efforts visent à ancrer le consentement comme norme sociale dès le plus jeune âge4(*).

2. Le nouveau régime juridique du viol et les peines applicables

La réforme de 2018 s'est traduite par l'adoption d'un ensemble de textes modifiant le droit en vigueur5(*). Elle a introduit des modifications significatives au code pénal (Brottsbalken) ainsi qu'à la procédure pénale (Rättegångsbalken), à travers principalement une nouvelle définition du viol fondée sur le consentement explicite, ce qui marque un tournant juridique en matière de protection de l'intégrité sexuelle.

a) Les modifications apportées au code pénal

La nouvelle législation clarifie les éléments de consentement volontaire, par l'instauration d'une nouvelle infraction de « viol par négligence » et renforce la protection des victimes, en particulier des mineurs.

· Une nouvelle définition de la violence sexuelle et du viol

La réforme redéfinit l'infraction de viol à l'article 1er du chapitre 6 du code pénal6(*). Le nouvel article dispose que « toute activité sexuelle requiert un consentement explicite, formulé par des mots, des actions ou un comportement non équivoque ». La réforme a supprimé la condition antérieure selon laquelle une infraction sexuelle était définie par l'usage de violence, de menace ou l'exploitation d'une situation de vulnérabilité de la victime. Désormais, l'absence de consentement volontaire est le critère essentiel, indépendamment de la résistance physique de la victime.

Selon la nouvelle rédaction, certaines conditions rendent impossible toute présomption de consentement, notamment si la victime a été contrainte par la violence, la menace ou la manipulation, si l'auteur de l'acte a abusé de la vulnérabilité de la victime, par exemple si celle-ci était inconsciente, endormie, sous l'effet de drogues ou de substances ou se trouvait dans une situation d'extrême peur ou d'incapacité psychologique à résister ou si l'auteur a tiré parti d'une position de pouvoir ou de dépendance vis-à-vis de la victime.

· L'introduction de l'infraction de « viol par négligence »

Le nouvel article 1er a du chapitre 6 du code pénal instaure l'infraction de « viol par négligence » (oaktsam våldtäkt). La disposition est conçue pour répondre aux situations dans lesquelles l'auteur de l'acte n'a pas cherché à vérifier si le consentement était présent ou s'est délibérément abstenu de le faire. Pour établir cette infraction, il suffit de démontrer que l'accusé a manqué de diligence en ne vérifiant pas le consentement, ce qui distingue cette infraction d'une intentionnalité de nuire caractérisant le viol.

Cette négligence est punissable d'une peine maximale de quatre ans d'emprisonnement, avec une gradation des sanctions en fonction de la gravité des faits et des circonstances. L'introduction de cet article répond aux lacunes des législations antérieures qui nécessitaient une preuve d'intention directe de l'auteur, excluant certains cas d'ambiguïté quant au consentement.

· La modification de l'infraction d'agression sexuelle

L'article 2 du même chapitre a été revu pour s'aligner sur la nouvelle conception de consentement volontaire. Désormais, l'infraction d'agression sexuelle comprend les situations où l'auteur engage une activité sexuelle avec une personne qui n'a pas consenti, mais sans acte explicitement violent. Ce nouvel article permet d'inclure des comportements ou situations moins graves que ceux du viol, mais qui restent criminels en raison de l'absence de consentement clair.

· Les modifications apportées en matière d'infractions sexuelles contre les mineurs et la définition du viol sur enfant

La réforme renforce également les protections pour les mineurs à travers la révision de l'article 4 du même chapitre. Le terme « viol sur enfant » couvre désormais tous les cas où l'auteur de l'acte s'engage dans une activité sexuelle avec un enfant de moins de 15 ans, ou avec un mineur entre 15 ans et 18 ans si ce dernier est dans une situation de dépendance à l'égard de l'auteur (comme un lien parental ou éducatif).

Les peines pour ces infractions sont augmentées, avec une peine minimale pour les cas de viol aggravé portée à cinq ans, contre quatre auparavant. Ces dispositions imposent également à l'auteur de prendre en compte l'âge de la victime, que cette information soit connue ou qu'il ait raisonnablement dû la connaître. Ce renforcement du seuil de responsabilité permet de mieux couvrir les cas de violences sexuelles impliquant des mineurs et évite toute défense par ignorance de l'âge.

L'article 5 prévoit une nouvelle qualification pour les viols considérés comme « moins graves ». Cette disposition permet d'adapter les peines dans des cas où l'acte est moins violent ou si les circonstances rendent l'infraction moins sévère que les cas habituels de viol. Cependant, cette gradation n'enlève rien au fait que toute absence de consentement est désormais criminalisée.

L'article 13 est modifié pour préciser que toute personne se rendant coupable d'une infraction sexuelle impliquant un mineur est responsable de vérifier l'âge de la victime. Cette obligation de diligence implique une vérification effective de l'âge de la victime dans toutes les interactions susceptibles de mener à une infraction sexuelle.

· Les délais de prescription pour les infractions impliquant des mineurs

La réforme modifie également le chapitre 35, article 4 du code pénal, en prolongeant les délais de prescription pour les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Selon la nouvelle disposition, le délai de prescription de ces infractions ne commence qu'à partir de la date où la victime atteint l'âge de 18 ans, permettant ainsi un délai plus long pour que la victime puisse engager des poursuites.

Enfin, la loi durcit les peines pour les infractions graves, en particulier le viol aggravé et le viol impliquant des enfants. La peine minimale pour ces cas passe de quatre à cinq ans, une mesure qui renforce la gravité reconnue de ces crimes par la législation suédoise.

b) Les modifications apportées en matière de procédure pénale

· L'assistance juridique immédiate aux victimes

L'article 23, section 5 du code de procédure pénale prévoit désormais la désignation immédiate d'un avocat pour les victimes dès qu'une enquête portant sur une infraction sexuelle est ouverte ou relancée. Cette nouvelle disposition vise à fournir un soutien juridique dès les premières étapes de l'enquête, sauf dans les rares cas où la victime ne nécessiterait pas d'assistance juridique. Cela permet de garantir que les droits des victimes sont protégés tout au long de la procédure.

3. L'évaluation de la réforme de 2018 et les défis restants

Dans un rapport d'évaluation publiée en 20207(*), le Conseil national suédois de prévention du crime (Brottsförebyggande rådet - Brå)8(*) affirme que la réforme de 2018 a engendré une augmentation notable des signalements, des poursuites et des condamnations pour viol. Cette analyse repose sur les 362 jugements de 2019 relatifs à des cas de viol, des statistiques criminelles et les avis de professionnels et d'organisations. Elle dresse les conclusions suivantes :

- une augmentation des poursuites et des condamnations : depuis l'entrée en vigueur de la loi, les signalements de viol ont nettement augmenté, même si cette tendance avait déjà commencé à la suite du mouvement #MeToo. Les condamnations pour viol sont passées de 190 à 333 entre 2017 et 2019 (+ 75 %). Cependant, la nouvelle infraction de « viol par négligence » n'a mené qu'à une minorité de jugements, avec seulement douze condamnations identifiées, dans la mesure où les procureurs privilégient souvent le viol intentionnel et ne recourent à la négligence que comme chef d'accusation secondaire ;

- l'introduction de nouveaux types de contentieux : l'un des objectifs de la réforme était de mieux protéger les victimes de situations où le consentement n'est pas explicite mais où il n'y a ni violence ni menace. Cette loi inclut désormais des cas de « viol par surprise » ou des situations où la victime reste passive pendant l'agression, comportements qui, auparavant, n'entraînaient pas de poursuite pour viol. L'analyse des jugements de 2019 indique que, sur les 362 affaires de viol, 76 cas auraient probablement été classés sans suite sous l'ancienne législation. Dans ce sous-ensemble, vingt-six affaires ont abouti à une condamnation pour viol et douze à une condamnation pour viol par négligence ;

- avec la nouvelle définition du viol fondée sur le consentement explicite, les blessures physiques, qui étaient autrefois des preuves importantes, sont moins fréquentes dans les nouvelles affaires portées en justice. En 2017, les blessures significatives figuraient dans 37 % des jugements, contre seulement 13 % en 2019. Malgré la diminution des preuves physiques, les tribunaux ont maintenu un niveau de preuve similaire à celui des cas de viol de 2017, utilisant d'autres éléments probants comme des enregistrements, des confessions ou des témoignages de tiers. Dans les cas de viol par négligence, les preuves sont souvent plus faibles, et dans neuf des douze jugements de ce type, le seul soutien apporté aux accusations était constitué de témoignages indirects, par exemple de personnes ayant été informées par la victime ;

- l'évaluation du consentement par les tribunaux : une des critiques contre la loi portait sur la difficulté de juger si la victime avait participé volontairement ou non à l'acte sexuel. Les tribunaux se sont concentrés sur les preuves concernant la manifestation du refus ou du consentement de la victime. Dans les affaires où une condamnation pour viol a été prononcée, il est souvent établi que la victime n'avait montré aucun intérêt pour un rapport sexuel et avait réagi par passivité ou paralysie pendant l'agression. Les affaires de viol par négligence sont, elles, plus ambiguës : les jugements montrent des interprétations diverses sur la réaction de la victime, posant des problèmes d'application de la loi ;

- la limite entre l'intention imprudente et la négligence grave : l'introduction de la notion de « viol par négligence » rend complexe la distinction entre l'intention imprudente et la négligence grave, en particulier lorsque le consentement est implicite ou ambigu. Les tribunaux doivent déterminer si le prévenu comprenait que la victime n'était pas consentante ou s'il était indifférent à ce risque (intention imprudente), ou bien s'il ne percevait pas le risque d'un manque de consentement (négligence). Le Conseil national de prévention du crime souligne la difficulté à tracer cette frontière dans les cas où la victime a donné des signaux ambigus, augmentant l'incertitude juridique ;

- l'allongement des peines d'emprisonnement : la durée des peines de prison pour les affaires de viol a augmenté depuis la réforme. Entre 2018 et 2019, la peine moyenne est passée de 25,3 à 26,5 mois, avec une augmentation notable pour les viols commis dans des situations qui auraient été punissables même avant la réforme.

L'opinion exprimée par les professionnels du droit sur la réforme reste partagée. Si la majorité des magistrats est favorable à cette réforme, estimant qu'elle facilite les poursuites et envoie un message normatif fort, un tiers des procureurs et des juges trouvent la frontière entre intention imprudente et négligence grave encore floue. La police exprime plus de réserves, notant que les nouvelles affaires créent davantage de défis, et certains agents soulignent un impact sur la sécurité juridique. Les avocats de la défense sont, pour la majorité, critiques envers cette législation, estimant que le manque de clarté sur ce qui constitue un crime affaiblit la sécurité juridique, rendant leur travail plus difficile. Ils estiment que la loi crée une incertitude quant aux critères de preuve et à la définition du consentement.

Si les organisations telles que Fatta et Unizon ont accueilli favorablement la loi, estimant qu'elle réduit le risque pour les victimes de se sentir responsables de l'agression subie ; elles insistent sur la nécessité de diffuser largement les implications de cette loi, en particulier au sein du système judiciaire, et d'intégrer cette notion de consentement dans l'éducation sexuelle pour permettre aux jeunes de mieux comprendre ses implications.

Enfin, le Conseil national de prévention du crime formule plusieurs recommandations, appelant notamment la jurisprudence des cours supérieures à venir clarifier la distinction entre l'intention imprudente et la négligence, ainsi que les critères de consentement explicite.

L'un des défis majeurs posés par la législation de 2018 réside dans la preuve du consentement explicite. Bien que la loi insiste sur la nécessité d'un consentement clair, de nombreux cas soulèvent la question de savoir comment interpréter les indices non verbaux et l'ambiguïté des comportements, en particulier dans des situations où la victime n'a pas pu résister activement en raison de l'effet de paralysie, une réaction psychologique fréquente chez les victimes de viol. Certaines études montrent que la loi de 2018 a partiellement déplacé la charge de la preuve en ce qui concerne le comportement du prévenu mais que cela reste difficile à prouver en raison des preuves subjectives nécessaires pour démontrer la non-participation volontaire9(*).

Les critiques appellent à la définition juridique de lignes directrices supplémentaires pour aider les juges à évaluer de manière cohérente les cas où le consentement est difficile à interpréter, en particulier dans les affaires de « viol par négligence », introduites par la réforme10(*).

PHOTOS DU COLLOQUE

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

* 2  https://www.ibanet.org/article/386A45E6-0A58-4A7F-8741-3CE58A50F8C4

* 3  https://www.aklagare.se/en/affected-by-crime/sexual-offences/

* 4  https://europe.ippf.org/stories/anything-less-yes-rape-campaign-consent-based-rape-law-sweden

* 5 Loi n° 2018:601 modifiant le code pénal, loi (2018:602) modifiant le code de procédure judiciaire, loi n° 2018:603 modifiant la loi sur l'accès du public à l'information et le secret professionnel, loi n° 2018:618 modifiant le code pénal et loi n° 2018:619 modifiant le code de procédure judiciaire. L'ensemble de ces textes a été introduit par le projet de loi n° 2017/18:177 relatif à la nouvelle législation sur les infractions sexuelles fondées sur le consentement.

* 6  Brottsbalk (1962:700).

* 7  Brå report 2020:6, The new consent law in practice, An updated review of the changes in 2018 to the legal rules concerning rape.

* 8 Le Brå est une agence gouvernementale consacrée à la recherche et à l'analyse sur la criminalité et la prévention du crime. Sa mission est de fournir des informations objectives et des connaissances approfondies sur la criminalité, en soutenant les actions du gouvernement et des organismes de justice pénale pour renforcer la sécurité publique et élaborer des politiques de prévention efficaces.

* 9 Linnea Fransson, The Problem of Establishing Consent - A critical policy analysis of how the problem of establishing consent and voluntariness has changed in Swedish rape judgements after the consent law, Lund University, 2022.

* 10  Amnesty International, Criminalization and prosecution of rape in Sweden submission to the un special rapporteur on violence against women, its causes and consequences, 2020.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page