- Avant-propos
- Propos introductif de Dominique
Vérien,
présidente de la délégation
- Le consentement en matière de viol :
législations étrangères (Canade, Espagne, Suède...)
et Convention d'Istanbul
Table ronde animée par Elsa Schalck, Sénatrice du Bas-Rhin
- INTERVENTION DE CATHERINE LE
MAGUERESSE
DOCTORESSE EN DROIT, CHERCHEUSE
- INTERVENTION DE MARION LACAZE
MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN DROIT PRIVÉ ET SCIENCES CRIMINELLES À L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
INSTITUT DE SCIENCES CRIMINELLES ET DE LA JUSTICE (ISCJ)
- INTERVENTION DE FRANÇOISE
KEMPF
ADMINISTRATRICE DU GROUPE D'EXPERTS DU CONSEIL DE L'EUROPE
SUR LA VIOLENCE À L'ÉGARD DES FEMMES ET LA VIOLENCE DOMESTIQUE (GREVIO)
- TEMPS D'ÉCHANGES
- INTERVENTION DE CATHERINE LE
MAGUERESSE
- Débats autour de l'évolution
du code pénal en France
- TABLE RONDE ANIMÉE PAR HUSSEIN
BOURGI
SÉNATEUR DE L'HÉRAULT
- INTERVENTION DE CATHERINE DI
FOLCO
SÉNATEUR DU RHÔNE
- INTERVENTION DE FRANÇOIS
LAVALLIÈRE
PREMIER VICE-PRÉSIDENT AU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
MAÎTRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ EN DROIT PÉNAL À SCIENCES PO RENNES
- INTERVENTION DE LAURE HEINICH
AVOCATE AU BARREAU DE PARIS
- INTERVENTION DE FRÉDÉRIQUE
POLLET-ROUYER
AVOCATE AU BARREAU DE PARIS
- INTERVENTION D'ALEXIA BOUCHERIE
DOCTORANTE EN SOCIOLOGIE
CENTRE ÉMILE DURKHEIM, UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
- TABLE RONDE ANIMÉE PAR HUSSEIN
BOURGI
- Clôture du colloque
Véronique Riotton, députée de la Haute-Savoie, présidente,
et Marie-Christine Garin, députée du Rhône, vice-présidente,
de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale
Rapporteures de la mission d'information
sur la définition pénale du viol
- ANNEXES
- LA DÉFINITION DU VIOL DANS LES ÉTATS
MEMBRES
DE L'UNION EUROPÉENNE
- LA LÉGISLATION SUÉDOISE
N° 193
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation aux droits des
femmes et
à l'égalité des chances entre les hommes et
les femmes (1)
sur le
consentement et la définition
pénale du viol,
Par M. Hussein BOURGI, Mmes Elsa SCHALCK et Dominique VÉRIEN,
Sénateur et Sénatrices
(1) Cette délégation est
composée de : Mme Dominique Vérien,
présidente ; Mmes Annick Billon,
Evelyne
Corbière Naminzo, Laure Darcos, Béatrice Gosselin,
M. Marc Laménie, Mmes Marie Mercier, Marie-Pierre Monier,
Guylène Pantel, Marie-Laure Phinera-Horth, Laurence Rossignol, Elsa
Schalck, Anne Souyris, vice-présidents ;
Mmes Marie-Do
Aeschlimann, Agnès Evren, Annie Le Houerou,
secrétaires ; Mme Jocelyne Antoine, MM. Jean-Michel
Arnaud, Hussein Bourgi, Mmes Colombe Brossel, Samantha Cazebonne,
M. Gilbert Favreau, Mme Véronique Guillotin, M. Loïc
Hervé, Mmes Micheline Jacques, Lauriane Josende, Else Joseph,
Marie-Claude Lermytte, Brigitte Micouleau, Raymonde Poncet Monge, Olivia
Richard, Marie-Pierre Richer, M. Laurent Somon, Mmes Sylvie Valente Le Hir,
Marie-Claude Varaillas, M. Adel Ziane.
Avant-propos
À l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes qui a lieu tous les ans le 25 novembre, la délégation aux droits des femmes du Sénat a organisé, le 21 novembre 2024, un colloque consacré à la définition pénale du viol.
En effet, diverses affaires judiciaires récentes ont relancé les débats autour de l'introduction du consentement au sein de cette définition - introduction par ailleurs prévue par la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul, ratifiée par la France en 2014.
Alors que des travaux sont actuellement menés par la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale afin d'élaborer une nouvelle rédaction du code pénal mais que cette question ne fait pas consensus - ni entre juristes, ni entre élus, ni entre associations et militantes féministes - la délégation aux droits des femmes du Sénat a souhaité dresser un panorama des opinions et propositions aujourd'hui formulées, afin d'éclairer de prochains débats.
Une première séquence a été consacrée à une approche internationale de la définition du viol, qui a pu également s'appuyer sur des travaux du service de législation comparée du Sénat, qui figurent en annexe du présent rapport. Ont été présentées les législations en matière de viol adoptées par différents États, avec un focus sur le Canada, l'Espagne et la Suède, trois pays qui ont intégré explicitement la notion de consentement dans leur droit pénal. Ont également été exposées les dispositions de la Convention d'Istanbul ainsi que les préconisations formulées à l'égard de la France par le groupe d'expert chargé du suivi de l'application de cette Convention.
Une seconde séquence a permis d'aborder les débats autour de l'évolution de code pénal en France et plus précisément des articles 222-22 et 222-23.
L'article 222-23 du code pénal définit aujourd'hui le viol en ces termes : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » La caractérisation du crime se fonde à la fois sur l'intentionnalité de l'auteur et sur la démonstration de l'usage de l'un de ces quatre procédés.
Plusieurs participants au colloque ont critiqué les insuffisances de cette définition, qui ne correspond pas aux stipulations de la Convention d'Istanbul, et plaidé pour inscrire dans la loi l'obligation de s'assurer du consentement explicite, libre et éclairé de l'autre.
D'autres participants ont en revanche estimé que bouleverser l'architecture actuelle du code pénal ne serait pas de nature à faciliter les poursuites et les condamnations pour violences sexuelles, voire pourrait déplacer les débats sur le comportement de la victime, et que la priorité résidait davantage dans l'augmentation des moyens dédiés aux services d'enquête et à la justice.
Ce colloque a permis à chaque position de s'exprimer et à chaque participant de disposer de l'ensemble des arguments en présence, afin de se forger un avis éclairé sur cette problématique complexe et délicate. La publication des actes du colloque et des études de législation comparée s'inscrit dans un objectif de meilleure compréhension de ce sujet.
PROGRAMME
I. LE CONSENTEMENT EN MATIÈRE DE VIOL : LÉGISLATIONS ÉTRANGÈRES (CANADA, ESPAGNE, SUÈDE...) ET CONVENTION D'ISTANBUL |
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Table ronde animée par
Elsa Schalck |
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Intervention de Catherine Le
Magueresse Doctoresse en droit |
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Intervention de Marion
Lacaze |
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Intervention de Françoise
Kempf |
II. DÉBATS AUTOUR DE L'ÉVOLUTION DU CODE PÉNAL EN FRANCE |
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Table ronde animée par
Hussein Bourgi |
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Intervention de Catherine Di
Folco |
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Intervention de François
Lavallière |
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Intervention de Laure
Heinich |
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Intervention de
Frédérique Pollet-Rouyer |
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Intervention d'Alexia
Boucherie |
CLÔTURE DU COLLOQUE |
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Véronique
Riotton |
Marie-Charlotte
Garin |
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Rapporteures de la mission d'information sur la définition pénale du viol |
Propos introductif de Dominique
Vérien,
présidente de la délégation
Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes, qui a lieu tous les ans le 25 novembre, la délégation aux droits des femmes du Sénat a décidé d'organiser un colloque consacré à la définition pénale du viol et aux débats sur l'introduction du consentement au sein de cette définition.
Je rappelle, à toutes fins utiles, que notre colloque est filmé et diffusé en direct sur le site Internet et les réseaux sociaux du Sénat. Il sera également disponible, par la suite, en vidéo à la demande.
La question de l'évolution de notre droit pénal en matière de viol est complexe et ne fait aujourd'hui consensus ni entre juristes, ni entre militantes féministes, ni entre politiques.
C'est pourquoi nous avons estimé indispensable de poser sereinement les termes du débat afin que chacune et chacun d'entre nous soit suffisamment éclairé sur cette question pour, le moment venu, voter - ou non - une modification de la loi, en toute connaissance de cause.
Comme nous le verrons au cours de notre première table ronde consacrée aux législations étrangères et à la Convention d'Istanbul, certains pays, tels que le Canada, la Suède, la Belgique ou plus récemment l'Espagne, ont inscrit l'absence de consentement au coeur de leur définition du viol.
La Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d'Istanbul, ratifiée par la France en 2014, stipule que le viol et tout acte sexuel sans consentement mutuel sont considérés comme des infractions criminelles. Elle impose aux États signataires d'intégrer cette notion de consentement au sein de leur définition du viol.
Or, comme le rappellera de façon plus approfondie mon collègue Hussein Bourgi lors de notre seconde table ronde consacrée au code pénal français, ce dernier définit le viol comme tout acte de pénétration sexuelle ou acte bucco-génital commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise ». L'absence de consentement de la victime ne figure donc pas de façon explicite au sein des éléments constitutifs de l'infraction.
En février 2024, un projet de directive européenne prévoyait d'inclure la notion de consentement dans les législations en matière de viol des vingt-sept pays membres. La France s'y étant opposée, la Commission européenne y avait toutefois renoncé, considérant qu'il ne fallait pas faire porter sur la femme la question du consentement.
L'exécutif français a, depuis, évolué sur cette question, puisque le Président de la République s'est lui-même déclaré favorable en mars 2024 à une modification de la loi française afin d'y inscrire le consentement. Plus récemment, l'actuel garde des sceaux, Didier Migaud, s'est dit prêt à travailler à une nouvelle rédaction de la loi pénale afin d'y intégrer la notion de consentement, avec toutes les préventions évoquées plus tôt. Je l'ai d'ailleurs rencontré il y a deux jours.
Ces réflexions ont été au coeur de la mission d'information de nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, respectivement présidente et vice-présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale. Nous sommes ravies de les accueillir parmi nous ce matin. Elles nous présenteront, en avant-première, les conclusions de leurs travaux et nous les en remercions sincèrement.
Mais j'ai déjà trop parlé. Je laisse donc la parole à notre collègue Elsa Schalck, vice-présidente de notre délégation, membre de la commission des lois, et par ailleurs avocate de formation, pour introduire et animer notre première table ronde consacrée aux législations étrangères en matière de viol et aux évolutions préconisées par la Convention d'Istanbul dans ce domaine.
Le consentement en matière de viol :
législations étrangères (Canade, Espagne, Suède...)
et Convention d'Istanbul
Table ronde
animée par Elsa Schalck, Sénatrice du Bas-Rhin
Merci, Madame la Présidente, pour cette introduction.
Nous entamons notre matinée d'échanges par une séquence internationale.
En effet, avant de nous pencher sur les perspectives d'évolution de notre droit pénal, il est intéressant d'étudier des exemples étrangers. Nous allons nous intéresser aux législations pénales de pays qui ont inscrit l'absence de consentement au sein de leur définition du viol et aux effets positifs que ces évolutions législatives ont pu avoir sur les poursuites et les condamnations en matière de viol, mais aussi aux éventuelles conséquences qui n'avaient pas nécessairement été anticipées.
Aujourd'hui, les États européens ont majoritairement adopté, dans leur corpus juridique, une définition du viol assise sur la notion de consentement. Celui-ci est compris comme devant être donné librement, sans être déduit de la seule absence de résistance de la victime.
Toutefois, les critères encadrant la notion de consentement en matière sexuelle peuvent varier. Si certains États conçoivent le consentement comme comprenant une manifestation de volonté extérieure, libre et non ambiguë, devant être clairement perceptible, d'autres vont encore plus loin, et incluent l'état émotionnel et psychologique de la victime dans la recherche du consentement.
Certains pays accordent une attention particulière à la question de savoir si le caractère volontaire a été exprimé : par la parole, par les actes - en Espagne - ou d'une autre manière - en Suède - exprimant clairement la volonté de la personne.
Dans le cadre de cette table ronde, nous nous pencherons plus particulièrement sur la législation de deux États européens :
- celle de l'Espagne, modifiée récemment en 2022 pour y introduire la notion de consentement ;
- et celle de la Suède, modifiée en 2018, qui a fait de l'expression du consentement explicite au coeur des rapports sexuels une pierre angulaire de sa politique pénale de lutte contre les viols et a permis une augmentation significative du nombre de condamnations pour viol. Nous nous intéresserons également à ce que recouvre la notion de « viol par négligence » qui existe dans la législation suédoise.
Nous examinerons aussi l'exemple du Canada qui a, depuis plus de trente ans, introduit la notion de consentement dans sa définition du viol, estimant que toute personne qui entreprend une activité sexuelle a l'obligation de s'assurer de l'accord explicite, librement exprimé, de son ou sa partenaire.
Enfin, nous nous pencherons sur les stipulations de la Convention d'Istanbul, ratifiée par la France il y a maintenant dix ans. Elles demandent aux États signataires d'intégrer l'absence de consentement dans leur définition du viol. Le Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Grevio) veillant à l'application de cette convention a déjà interpellé la France à plusieurs reprises sur ce sujet.
Pour évoquer ensemble ces différents aspects, je souhaite la bienvenue à nos trois intervenantes :
- Catherine Le Magueresse, doctoresse en droit, chercheuse, autrice de nombreux travaux plaidant pour une redéfinition pénale du consentement sexuel. Elle nous parlera plus spécifiquement de la législation canadienne en la matière - je précise qu'elle interviendra par visioconférence et devra nous quitter dès 9 heures 15 ;
- Marion Lacaze, également en visioconférence, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l'Université de Bordeaux, Institut de sciences criminelles et de la justice (ISCJ). Elle abordera la législation espagnole ;
- Françoise Kempf, administratrice au sein du secrétariat du mécanisme de suivi de l'application de la Convention d'Istanbul, au Conseil de l'Europe. Elle nous présentera les implications de cette Convention ainsi que les quatre grandes approches adoptées par les différents pays européens en matière de définition du viol, et notamment la façon dont la Suède a fait évoluer sa législation.
INTERVENTION DE CATHERINE LE MAGUERESSE
DOCTORESSE EN
DROIT, CHERCHEUSE
Bonjour à toutes et à tous. Merci pour cette invitation. Je regrette de ne pouvoir être physiquement parmi vous aujourd'hui. Je suis à Nantes, invitée à intervenir sur le sujet du consentement par l'association Citad'elles qui accueille, écoute, informe les femmes victimes de violences et leurs enfants.
Le thème de votre table ronde revêt une importance cruciale dans le contexte actuel. Nous suivons avec attention le procès dit « des viols de Mazan ». Dans cette affaire, le consentement, qui ne devrait en aucun cas être invoqué, puisque Mme Pélicot était droguée au point d'être inconsciente et donc dans l'incapacité de consentir, est pourtant constamment mis en avant par la défense.
Nous savons que les statistiques judiciaires relatives au traitement des violences sexuelles en France demeurent préoccupantes. Depuis sept ans, et malgré le mouvement #MeToo, elles n'ont guère évolué positivement. Si le nombre de plaintes déposées a augmenté, celui des condamnations, en revanche, a diminué. Ce constat soulève des questions quant au rôle du droit pénal face à ce constat. Est-il aujourd'hui adapté à la réalité des violences sexuelles masculines à l'encontre des femmes ?
Dans ce contexte, le recours au droit comparé s'avère particulièrement pertinent. Ce domaine a toujours constitué un axe central de mes travaux, qu'il s'agisse de ma thèse ou de la rédaction de mon ouvrage Les pièges du consentement. Pour une redéfinition pénale du consentement sexuel. Le Canada, en particulier, a joué un rôle pionnier en démontrant qu'il était possible de repenser l'approche des violences sexuelles, en changeant de paradigme. Cette transformation repose notamment sur l'introduction du concept de consentement « positif », une notion sur laquelle nous reviendrons peut être plus tard qui impose à la personne qui initie un contact sexuel l'obligation de s'assurer du consentement explicite et libre de toute coercition de l'autre.
Cette approche revêt une importance d'autant plus grande que notre société est marquée par une omniprésence croissante de la pornographie, qui imprègne les relations entre hommes et femmes. Votre assemblée a d'ailleurs produit un rapport majeur sur ce sujet, mettant en lumière des chiffres particulièrement préoccupants.
Les jeunes sont consommateurs de pornographie de plus en plus tôt. Cette consommation affecte les relations hommes femmes et la perception de ce qui est autorisé ou interdit. Elle érotise les violences, les normalise et les banalise, notamment à l'encontre des femmes.
Je structurerai mon intervention en trois parties : la définition du consentement dans le Code criminel canadien, son application par la Cour suprême avec des illustrations jurisprudentielles, et la politique volontariste qui l'accompagne.
Le Code criminel canadien a connu trois interventions majeures du législateur, d'abord en 1983, puis en 1992 et enfin en 2018. Je me concentrerai sur les deux dernières. En 1992, à l'issue de travaux importants et de changements législatifs obtenus grâce à la lutte des associations et chercheurs et chercheuses féministes, une définition du consentement sexuel a été intégrée dans le Code. Ainsi, les articles 273.1 et 273.2 définissent le consentement positif comme un accord volontaire donné en tenant compte des circonstances. C'est une question de droit.
Le Code précise également qu'il ne peut y avoir de consentement dans plusieurs cas : lorsque l'accord est manifesté par les paroles ou le comportement d'un tiers - je vous renvoie ici au procès de Mazan -, quand la personne est inconsciente ou incapable de consentir, en cas d'abus de confiance ou de pouvoir, si la personne manifeste son refus par ses paroles ou son comportement, ou si elle retire son consentement initial. Cela implique que le consentement doit être continu. Ainsi, les caractéristiques du consentement sont précisées dans le Code criminel canadien. Cette définition va au delà de la simple mention du mot « consentement ». Elle détaille ses caractéristiques et les situations où il est absent.
Il convient de souligner un aspect essentiel du Code criminel canadien : la possibilité d'invoquer ce que l'on nomme la « défense de croyance sincère, mais erronée, dans le consentement d'autrui ». Toutefois, cette défense n'est admissible que dans des circonstances strictement encadrées, explicitement définies par le Code criminel. À ce titre, l'article 273.2 du Code précise ce que l'on appelle « l'exclusion du moyen de défense fondé sur la croyance au consentement ». Ainsi, cette défense ne peut être invoquée lorsque la croyance en l'existence du consentement découle :
- d'un affaiblissement volontaire des facultés : par exemple, si une personne affirme qu'elle était sous l'emprise de l'alcool ou de drogues et, de ce fait, incapable d'évaluer correctement la situation, cette circonstance ne saurait justifier une telle croyance. En droit français, une telle situation constituerait également une circonstance aggravante, et non atténuante, contrairement à ce que certains pourraient penser ;
- d'une insouciance ou d'un aveuglement volontaire : il incombe à la personne qui initie un contact sexuel de s'assurer activement de l'accord volontaire de l'autre partie ;
- de l'absence de mesures raisonnables pour vérifier le consentement : il s'agit d'une obligation légale de s'assurer, dans les limites de ce que permettent les circonstances, que l'autre partie donne effectivement son consentement.
Mais que signifient précisément ces mesures raisonnables ? Elles impliquent de tenir compte du contexte, un élément fondamental dans l'évaluation du consentement. Ce contexte varie en fonction de la nature du geste sexuel et de la relation entre les individus concernés. Par exemple, si l'on vient de rencontrer une personne, l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour garantir son consentement est encore plus forte, car on ne connaît ni ses attentes ni ses préférences. Dans le même temps, dans une relation de couple, cette obligation reste présente, bien que les dynamiques puissent différer. Évidemment, les cas de différence d'âge ou de relations d'autorité doivent faire l'objet d'une vigilance particulière.
Enfin, la preuve de l'absence de preuve de l'un accord volontaire de la plaignante à l'activité, manifesté de façon explicite par ses paroles ou son comportement, -elle a refusé ou est restée silencieuse - invalide cette défense. En résumé, le consentement sexuel est défini comme un accord volontaire, extériorisé et communiqué. Il existe une obligation de prendre des mesures raisonnables pour s'en assurer, en tenant compte du contexte. La loi précise également les circonstances dans lesquelles le consentement ne peut être allégué car il sera vicié.
Avec des collègues réunies au sein de ce que nous avons nommé le « Cercle 1 », composé de magistrates, avocates, universitaires et militantes associatives - j'utilise ici le féminin universel -, nous nous efforçons de définir trois aspects : les éléments constitutifs d'un consentement positif, les circonstances excluant la possibilité de consentement, et les situations nécessitant une vigilance accrue. Nos travaux s'inspirent largement du droit canadien et de la Convention d'Istanbul.
Ces principes ont été appliqués par la Cour criminelle canadienne, équivalent de notre Cour de cassation, dans diverses affaires.
Dans l'arrêt Ewanchuk de 1999, la Cour suprême du Canada établit qu'il n'existe pas de défense de consentement implicite. L'accusé avait allégué que l'absence de résistance physique de la victime pouvait être interprétée comme un consentement tacite. La Cour rejette catégoriquement cette vision, la jugeant fondée sur des mythes et stéréotypes inacceptables en droit.
L'arrêt J.A. contre la Reine de 2011 traite d'une affaire cruciale concernant ce qu'on appelle le sexe violent ou brutal, dit « rough sex », généralement qualifié de viol. Cette décision est d'autant plus importante que ce type de défense se développe, y compris en France. Elle nous intéressera probablement dans les années à venir.
Le cas ici traité relevait d'une asphyxie dite « érotique », illustrant l'érotisation de la violence dont je parlais plus tôt. L'accusé avait étranglé la victime jusqu'à l'inconscience avant de lui imposer des gestes non consentis, prétendant avoir obtenu un consentement préalable. La Cour suprême affirme que le consentement doit être continu, excluant ainsi la possibilité d'un accord anticipé. Elle ferme donc cette porte de défense.
Enfin, l'arrêt Barton de 2019 concerne le meurtre d'une femme autochtone, prostituée, décédée des suites d'actes de violence sexuelle commis par l'accusé. Cette affaire est également significative dans la jurisprudence relative aux violences sexuelles.
Dans l'arrêt Barton, l'homme argue qu'il a cru au consentement, car il avait payé une prostituée pour deux jours d'exploitation sexuelle. Dans cette affaire, la Cour criminelle statue qu'il n'y a pas de consentement possible.
Selon l'arrêt : « L'accusé ne saurait prétendre que le fait de se fier au silence, à la passivité ou au comportement ambigu de la plaignante est une mesure raisonnable pour s'assurer du consentement. Le fait de croire que l'un ou l'autre de ces facteurs emporte consentement est contestable. » Cet arrêt renvoie à l'arrêt Ewanchuk de 1999 précédemment cité. Par conséquent, la tentative de l'accusé de « tâter le terrain » en se livrant sciemment ou inconsidérément à des attouchements sexuels non consentis ne saurait être considérée comme une mesure raisonnable.
Par conséquent, M. Barton a été condamné pour homicide volontaire. Cette décision a été rendue en 2022.
Mme Dominique Vérien, présidente. - Vous parlez ici d'un homicide, et non d'un viol.
Mme Catherine Le Magueresse. - Il se trouve que cette femme est morte des blessures infligées par M. Barton dans le cadre de violences sexuelles, pour lesquelles il plaidait un consentement.
La dernière affaire est relative au port du préservatif. Elle a trait aux circonstances du consentement et aux éléments sur lesquels les partenaires se mettent d'accord. Dans cette affaire, la femme avait consenti à une relation sexuelle à condition d'utiliser un préservatif, que l'homme a retiré pendant l'acte. Ce retrait non consenti a transformé la relation en viol. Cet arrêt est crucial, car il condamne la pratique du « stealthing » ou « retrait furtif du préservatif », influencée par la pornographie. Certains sites proposent même des techniques pour le faire à l'insu du partenaire. J'y vois, là aussi, une influence de la pornographie.
La Cour suprême du Canada s'attache à déconstruire les mythes et stéréotypes autour du consentement, en précisant les circonstances où il est impossible.
Pour faire vivre ces textes, une politique pénale, mais aussi éducative et de formation est indispensable. Le Canada semble plus avancé que la France sur ce point. Le rapport québécois Rebâtir la confiance expose les lacunes de cette politique criminelle et éducative. J'aimerais que nous ayons la même capacité d'introspection pour progresser.
En conclusion, l'exercice de comparaison des systèmes juridiques est délicat, étant donné que nos systèmes juridiques sont différents - inquisitoire ou accusatoire -, mais les enjeux concernant le consentement sont similaires. Ces réflexions peuvent nous inspirer pour nos propres législations. Elles sont transférables dans le droit français.
Avec François Lavallière, magistrat, nous avons organisé en mars un colloque à l'École nationale de la magistrature (ENM), à destination d'avocats et de magistrats. Nous y avons invité deux Canadiennes, Élisabeth Sheeh, professeure de droit criminel à l'université d'Ottawa, et Delphine Mauger, procureure du Québec. Cette dernière nous a proposé d'examiner une situation de viol, jugée différemment dans les deux droits. L'accusé a été condamné au Canada. Il aurait probablement été relaxé en France, ou l'affaire aurait été classée sans suite et n'aurait même pas atteint un tribunal.
L'introduction du consentement dans la loi ne résoudra cependant pas tout dans une société patriarcale. Elle doit s'accompagner a minima d'une politique de formation et d'éducation beaucoup plus large. Je pense que mes collègues présents l'évoqueront plus longuement.
Néanmoins, cela pose un cadre juridique permettant de s'affranchir des représentations sexistes. Le consentement devient un élément juridique crucial, exigeant une vérification rigoureuse. Nous ne pouvons plus nous contenter de suppositions ou de fantasmes. Je fais ici référence à l'affaire « Pelicot », où les agresseurs ont prétendu avoir mal interprété la situation. Dans une relation intime pouvant potentiellement porter atteinte à l'intégrité d'autrui, il est inadmissible de se fonder sur ses propres fantasmes, de penser qu'une main dans les cheveux vaut consentement, ou qu'un « non » signifie en réalité un « oui ».
En 2024, nous ne pouvons plus nous appuyer sur des mythes et stéréotypes pour alléguer un consentement. Le refus des femmes doit être respecté et produire des effets en droit. Dans la majorité des cas que nous traitons quotidiennement dans les cabinets d'avocats et de magistrats, lorsqu'une femme dit non, elle veut dire non. Son silence équivaut également à un refus. Et même lorsqu'elle dit oui, ce consentement doit être analysé pour s'assurer qu'il est exempt de toute coercition. Ces situations nous ramènent aux notions de violence, contrainte, menace et surprise déjà présentes dans notre droit pénal. Un consentement donné par peur de représailles n'est pas valable et le rapport sexuel imposé est un viol.
Vous nous demandiez de vous éclairer sur la nécessité ou non de modifier le code pénal. Je pense que vous devez le faire évoluer, au moins dans ces trois cas de figure. Actuellement, lorsqu'une femme dit non sans que cela soit corroboré par une situation de violence ou de menace, le droit français ne reconnaît pas ce qu'elle a vécu comme un viol ou une agression sexuelle. En cas de silence, les agresseurs peuvent prétendre avoir cru au consentement.
Le droit canadien, contrairement au droit français, dispose que l'agresseur n'a pas pris les mesures volontaires et raisonnables pour s'assurer du consentement, et que celui ci n'a pas été extériorisé. Voilà la grande différence entre le droit canadien et le droit français.
Enfin, il est crucial non seulement de poursuivre et condamner davantage d'agresseurs, mais aussi de prévenir les agressions. La fonction pédagogique de la loi est primordiale dans ce cadre. Elle doit clairement énoncer qu'il est nécessaire d'éduquer au souci de l'autre et de prendre des mesures raisonnables pour s'assurer du consentement de la personne avec laquelle on initie des contacts sexuels, afin d'éviter de la blesser.
Mme Elsa Schalck. - Merci pour votre intervention, à la fois extrêmement intéressante et particulièrement exhaustive sur le plan juridique. Je sais que votre emploi du temps vous contraint à nous quitter rapidement, mais avant cela, j'aimerais vous poser deux questions pour approfondir certains aspects évoqués.
Premièrement, un changement législatif peut entraîner des conséquences inattendues qui n'avaient pas été anticipées. Disposez vous d'un exemple concret dans le contexte canadien ? Au delà de l'impact juridique, ces évolutions législatives ont elles modifié de manière notable les relations entre les hommes et les femmes au sein de la société canadienne ?
Deuxièmement, vous avez évoqué l'absence de reconnaissance d'un consentement implicite dans ce cadre juridique. Comment, dès lors, s'opère la charge de la preuve concernant l'absence de consentement, précisément dans une situation où le consentement implicite est exclu ?
Mme Catherine Le Magueresse. - Cette seconde question, relative aux relations femmes-hommes, relève davantage du domaine des sociologues. Cela étant, en échangeant régulièrement avec des juristes canadiennes sur ce sujet, je n'ai rencontré aucune voix critique remettant en cause ces changements. Toutes valident pleinement leur pertinence.
J'évoque fréquemment la question de la pornographie, car elle alimente une culture du viol permanente, renforcée par une disponibilité et une accessibilité croissantes de ce type de contenu. Nous sommes confrontés à un paradoxe : d'un côté, un cadre juridique est mis en place, accompagné de formations et de sensibilisations, notamment auprès des jeunes, et de l'autre, cette action semble dérisoire face à l'ampleur de la consommation de contenus pornographiques. C'est un échange complet qui doit être revu pour savoir si les effets produits sont efficaces ou non. La loi ne peut pas tout.
Il est essentiel d'interroger notre culture : qu'est ce qui, dans nos représentations collectives, nous conduit à accorder une importance capitale au consentement ? Comment développons-nous une culture du consentement ? En France, nous en sommes encore loin. Les affaires judiciaires récentes, comme celle du procès Pelicot, nous horrifient et nous interpellent. Seuls deux hommes sur une centaine, ont refusé de pénétrer une femme inconsciente. Certains ont même osé prétendre à une croyance en son consentement ou à un consentement donné par le mari. Elles nous rappellent l'urgence de promouvoir une véritable culture du consentement.
Ensuite, la défense fondée sur le consentement implicite n'est plus recevable en droit canadien. C'est ce qu'on appelle une erreur de droit. Le droit impose désormais une exigence claire : toute relation sexuelle ou tout contact sexuel, quel qu'en soit le degré, doit être précédé d'un consentement explicite, libre et éclairé. Sans un oui explicite, aucune relation ou aucun contact sexuel ne peut être engagé, quelle qu'en soit sa nature.
La jurisprudence canadienne est extrêmement claire à ce sujet. J'en veux pour preuve une décision récente de 2024 : dans cette affaire, deux personnes s'étaient rencontrées via une application de rencontre. La femme avait précisé de manière explicite qu'il n'y aurait pas de relations sexuelles lors de cette première rencontre. Cette affirmation était documentée dans leurs échanges. Malgré cela, l'homme lui a imposé des actes sexuels, ce qui a conduit à sa condamnation. Le tribunal a estimé qu'il n'avait pris aucune mesure pour vérifier si elle avait changé d'avis. Est-ce un renversement de la charge de la preuve ? Non.
Au Canada comme en France, le principe de présomption d'innocence demeure fondamental. La preuve incombe à la partie poursuivante - le procureur en droit français. Cette charge n'est nullement renversée. La preuve repose sur un faisceau d'indices concordants et sur l'ensemble des éléments du dossier.
Il convient de rappeler qu'en droit canadien, qui repose sur un système accusatoire, le rôle du juge est de déterminer si les preuves présentées établissent, au-delà de tout doute raisonnable, la culpabilité de l'accusé. Comme en France, le doute doit en effet toujours profiter à l'accusé.
Par ailleurs, il est erroné de croire que ces affaires se résument à un simple affrontement de paroles opposées. Dans la majorité des cas, lorsque l'enquête est menée de manière approfondie et rigoureuse - ce qui soulève d'ailleurs la question de ce qu'est une bonne enquête -, les éléments nécessaires pour établir la culpabilité de l'accusé sont généralement réunis. Encore faut-il que ces investigations soient menées avec sérieux : si l'on ne cherche pas, il est évident que l'on ne trouve pas.
Elsa Schalck. - Je vous remercie pour ce témoignage très instructif, notamment concernant l'exemple canadien fréquemment cité. Nous vous sommes reconnaissants pour cette contribution enrichissante.
Je laisse maintenant la parole à Marion Lacaze pour évoquer la législation espagnole.
Catherine Le Magueresse. - Merci beaucoup. Je regarderai la suite de vos travaux en différé, avec un grand intérêt.
INTERVENTION DE MARION
LACAZE
MAÎTRE DE CONFÉRENCES EN DROIT PRIVÉ ET SCIENCES
CRIMINELLES À L'UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
INSTITUT DE
SCIENCES CRIMINELLES ET DE LA JUSTICE (ISCJ)
Bonjour à tous. Merci pour cette invitation. Je suis heureuse de pouvoir présenter certains aspects du droit espagnol, souvent considéré comme un modèle en matière de lutte contre les violences de genre.
Concernant la définition du viol, l'évolution du droit espagnol est récente, elle date de la loi du 6 septembre 2022, dite loi Solo sí es sí (« Seul un oui est un oui »). Cette dernière vise à instaurer un changement de paradigme en plaçant le consentement au coeur de la notion d'agression sexuelle. Cette réforme s'inscrit dans une loi de programmation plus large visant à éradiquer les violences faites aux femmes et aux enfants, ainsi qu'à les protéger contre la victimisation secondaire.
Comme souvent, c'est la dimension répressive de la loi qui a capté l'essentiel de l'attention. Bien que l'exposé des motifs ne mentionne que les obligations issues de la Convention d'Istanbul, le contexte sociétal a fortement influencé les débats. Je pense notamment à l'affaire dite de « La Meute ». En 2016, une jeune femme majeure, fortement alcoolisée, avait accepté de suivre un groupe de cinq jeunes hommes dans un hall d'immeuble lors des fêtes de la San Fermín. Ils avaient alors réalisé sur sa personne différents actes de pénétration alors que la victime était passive, sans réaction. Ils avaient filmé leurs actes, et ont ensuite diffusé la vidéo. Dans un premier temps, ces faits ont été poursuivis et jugés sous la qualification d'abus sexuels aggravés, et non de viols, ce qui a suscité une forte indignation et des manifestations importantes dans tout le pays. Le Tribunal suprême a finalement retenu la qualification d'agressions sexuelles, mais l'affaire a mis en lumière la difficulté de distinguer clairement les deux catégories d'infractions sexuelles existantes à l'époque.
La réforme de 2022 a levé ces difficultés en faisant de l'absence de consentement l'élément nécessaire mais suffisant pour qualifier les agressions sexuelles. Ce changement de paradigme s'est cependant heurté à une interprétation inattendue des conséquences répressives, nécessitant des ajustements dès 2023.
La loi de 2022 a en effet abandonné les distinctions antérieures pour faire du seul consentement l'élément qualifiant des agressions sexuelles. Avant cette réforme, le droit espagnol distinguait les agressions sexuelles des abus sexuels, de moindre gravité. Les deux catégories exigeaient un contact de nature sexuelle, et prévoyaient des peines plus lourdes en cas de pénétration. La distinction reposait principalement sur le comportement de l'auteur : l'agression sexuelle impliquait violence ou intimidation, tandis que l'abus sexuel était caractérisé par l'absence de violence ou d'intimidation et l'absence de consentement de la victime à des actes portant atteinte à sa liberté ou à son inviolabilité sexuelle.
Dans l'ancien droit espagnol, le concept d'abus sexuel désignait le fait de commettre des actes à caractère sexuel sur une victime privée de discernement ou de tirer profit d'une situation de faiblesse excluant toute possibilité de consentement.
Ces situations pouvaient être ponctuelles ou chroniques et être provoquées ou non par l'auteur des faits. Elles incluaient des cas variés, tels que des victimes atteintes d'un handicap mental, l'administration de substances ou encore une alcoolisation volontaire de la victime. Le comportement de l'auteur constituait alors un élément central dans la qualification des infractions sexuelles et déterminait la répartition des incriminations.
La réforme législative de septembre 2022 a profondément modifié cette conception. Désormais, l'agression sexuelle est définie comme tout acte à caractère sexuel réalisé sans le consentement libre et explicite de la personne sur laquelle il est commis. La distinction entre agression sexuelle et abus sexuel a été supprimée.
Ainsi, l'absence de consentement mutuel est devenue la seule condition nécessaire, mais suffisante, pour qualifier un acte d'agression sexuelle. Cette redéfinition englobe non seulement les faits déjà qualifiés d'agression sexuelle ou d'abus sexuel avant la réforme, mais également des situations qui, jusqu'alors, échappaient à toute incrimination, dans la mesure où le consentement faisait défaut sans qu'aucun comportement agressif ou abusif ne soit en cause.
Les implications de cette réforme sont considérables et témoignent d'une volonté explicite de changer de paradigme. C'est désormais la préservation de la liberté sexuelle qui prime, indépendamment des moyens utilisés pour porter atteinte à celle-ci. La loi adopte ainsi une fonction expressive forte, affirmant l'importance de cette liberté fondamentale.
Le législateur, conscient des difficultés probatoires liées à la notion subjective d'absence de consentement, a précisé les modalités de son évaluation. Aucun formalisme n'est exigé pour la preuve et il n'est pas question de requérir des éléments préconstitués. La réalité et la liberté du consentement doivent être appréciées à partir de l'attitude de la personne concernée, y compris sa communication non verbale. En revanche, l'absence d'opposition ou de réaction ne saurait être interprétée comme une preuve de consentement. Celui-ci ne peut jamais être présumé, y compris dans le cadre d'une relation conjugale.
Dans cette nouvelle perspective, des situations telles que des relations avec une personne endormie, privée de conscience par des substances ou en état de sidération sont désormais systématiquement qualifiées d'agressions sexuelles. Pour éviter cette qualification, il est impératif que le consentement soit explicite, c'est-à-dire qu'il s'exprime par une manifestation positive de volonté.
L'élargissement de la notion d'agression sexuelle introduit par la réforme de 2022 se traduit par un durcissement des dispositions pénales par rapport au droit antérieur. Toutefois, cette sévérité s'applique exclusivement aux faits commis après l'entrée en vigueur de la loi, le 7 octobre 2022. Les effets de cette réforme, notamment l'exigence d'un consentement explicite, restent difficiles à évaluer en l'absence d'un volume significatif de décisions publiées.
Concernant l'appréciation du consentement, nous pouvons raisonnablement penser que le Tribunal suprême maintiendra, a minima, les critères qu'il avait établis en matière d'abus sexuel, lesquels paraissent compatibles avec les nouvelles orientations législatives. Ces critères incluent notamment l'exigence d'un consentement persistant tout au long de l'acte sexuel et la possibilité, pour une personne, de retirer son consentement à tout moment.
En l'absence de preuves matérielles, l'évaluation de la crédibilité des versions respectives de l'auteur et de la victime revêt une importance capitale. La jurisprudence espagnole témoigne par ailleurs d'une attention notable à la prévention de la victimisation secondaire.
Toutefois, il est encore trop tôt pour évaluer avec précision les effets pratiques de l'élargissement des infractions de viol et des autres agressions sexuelles introduit par la réforme de 2022. En réalité, le coeur de cette réforme n'a pas été au centre des débats publics. L'essentiel des arrêts et du débat public s'est concentré sur une conséquence inattendue de la loi : l'interprétation judiciaire de l'application temporelle des peines prévues par le texte.
Cette difficulté, qui n'aurait pas pu se produire en France en raison de systèmes de pénalité différents, mérite d'être explicitée pour comprendre les motivations ayant conduit à la nouvelle réforme d'avril 2023. En Espagne, les peines encourues sont exprimées sous forme de fourchettes, modulables en fonction de circonstances atténuantes ou aggravantes, lesquelles permettent également de réduire l'intervalle dans sa moitié inférieure ou supérieure.
La loi de 2022, animée par un souci légitime de proportionnalité, a élargi ces fourchettes sans augmenter les peines maximales, mais en abaissant les seuils minimaux. Par exemple, la peine pour un viol simple, auparavant fixée entre six et douze ans d'emprisonnement, est passée à une fourchette de quatre à douze ans, afin d'y intégrer des actes auparavant qualifiés d'abus sexuels. Avec une circonstance atténuante, l'intervalle est passé de six-neuf ans à quatre-huit ans.
L'objectif du législateur était de refléter, par cet élargissement, l'inclusion des abus sexuels et des hypothèses moins graves au sein d'une qualification unique d'agression sexuelle. En dépit d'une circulaire appelant à considérer la réforme de 2022 comme indivisible et globalement plus sévère, certains juges, y compris au sein du Tribunal suprême, ont estimé que des condamnations antérieures devaient être révisées en appliquant rétroactivement les nouvelles peines minimales plus favorables.
Cette interprétation a conduit à la révision de centaines de condamnations et à la libération anticipée de plusieurs dizaines de personnes, provoquant un scandale d'ampleur. Faute d'instruments juridiques permettant d'interdire aux juges cette application rétroactive, le législateur espagnol a dû adopter une nouvelle réforme, entrée en vigueur le 27 avril 2023.
Si cette loi ne peut modifier les peines pour les faits commis avant son entrée en vigueur, en raison du principe de non-rétroactivité, elle exclut pour l'avenir la possibilité que des faits d'une gravité particulière bénéficient de peines plus légères. Désormais, une peine de six à douze ans d'emprisonnement est prévue pour les viols commis avec violence, intimidation ou sur une victime privée de volonté. De plus, la circonstance atténuante fondée sur la faible gravité des faits est expressément exclue dans ces cas.
Certains y voient un recul symbolique par rapport à la loi de 2022, qui visait à établir une qualification unique pour l'ensemble des actes non consentis. Cependant, on peut également considérer que cette « contre-réforme » offre une gradation plus claire et cohérente des peines, en adéquation avec la gravité des comportements fautifs, qui est un critère fondamental du droit pénal.
Malgré ces ajustements, l'apport essentiel de la réforme de septembre 2022 demeure intact. En conformité avec les exigences de la Convention d'Istanbul, l'agression sexuelle est désormais définie comme tout acte de nature sexuelle commis sans consentement libre, mutuel et explicite.
Merci pour votre attention.
Elsa Schalck. - Je vous remercie pour cette présentation démontrant la complexité de la loi et la réactivité des autorités espagnoles. Elle montre aussi à quel point il est important de vérifier les effets de bords lorsque l'on modifie une telle législation.
Je laisse la parole à Françoise Kempf.
INTERVENTION DE
FRANÇOISE KEMPF
ADMINISTRATRICE DU GROUPE D'EXPERTS DU CONSEIL DE
L'EUROPE
SUR LA VIOLENCE À L'ÉGARD DES FEMMES ET LA VIOLENCE
DOMESTIQUE (GREVIO)
Merci beaucoup pour cette invitation à participer à cette audition très importante.
Dans le temps qui m'est imparti, je propose de vous exposer de manière concise le cadre établi par la Convention d'Istanbul pour prévenir et réprimer les violences sexuelles tout en assurant la protection des victimes. Dans un premier temps, je vous présenterai un aperçu des principales dispositions de cette convention relative aux violences sexuelles, y compris la définition du viol. Ensuite, j'analyserai les diverses approches adoptées par les États parties à la convention, en examinant leur compatibilité avec ses exigences et les enseignements que nous pouvons tirer de ces approches.
Tout d'abord, il convient de souligner que la Convention d'Istanbul contient plusieurs dispositions essentielles relatives aux violences sexuelles. L'article 36, notamment, propose une définition de la violence sexuelle et du viol, sur laquelle je reviendrai dans un instant. Par ailleurs, les articles 49 et 50 contiennent un ensemble d'exigences précises en matière d'enquête et de poursuites visant toutes les formes de violences faites aux femmes, y compris les violences sexuelles. L'article 56 se concentre sur les mesures de protection à mettre en oeuvre pour les victimes tout au long de la procédure judiciaire, des dispositions particulièrement cruciales lorsqu'il s'agit de violences sexuelles. Enfin, l'article 25 impose aux États parties de créer et de maintenir un nombre suffisant de services de soutien spécialisés destinés aux victimes de ces violences. Ces services incluent une assistance psychologique, médicale, et juridique, ainsi que la possibilité de collecter et de conserver des preuves, même en l'absence de plainte formelle.
Venons-en maintenant à la définition de la violence sexuelle et du viol, telle que spécifiée dans l'article 36 de la Convention. Cet article impose aux États parties de considérer comme une infraction pénale :
- toute pénétration vaginale, anale ou orale non consentie du corps d'autrui, réalisée avec une partie du corps ou un objet ;
- tout acte de nature sexuelle imposé sans le consentement de la personne ;
- le fait de contraindre une personne à accomplir des actes sexuels non consentis avec un tiers.
En somme, cette disposition englobe l'ensemble des actes à caractère sexuel imposés de manière intentionnelle à une personne sans son libre consentement. Cette définition, il faut le souligner, ne requiert ni l'usage de la force ou de la menace ni la preuve d'une résistance physique ou verbale de la victime.
Les rédacteurs de la Convention d'Istanbul ont ainsi poursuivi deux objectifs principaux. D'une part, il s'agissait de garantir que certains types de viols ne restent pas impunis, notamment lorsque les victimes n'ont pas manifesté une résistance active ou n'ont pas été en mesure de le faire. D'autre part, cette approche vise à refléter pleinement l'expérience des femmes victimes de viol en adoptant une perspective centrée sur leur vécu, en prenant notamment en compte les traumatismes qu'elles subissent.
Enfin, il importe de préciser que cette définition s'appuie sur une jurisprudence fondamentale de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Dès 2003, celle-ci a affirmé que les enquêtes concernant les violences sexuelles devaient se concentrer avant tout sur la question du consentement. Elle a également qualifié de « rigide » l'approche fondée uniquement sur la preuve de la force ou de la contrainte, estimant que cette dernière compromettait l'autonomie sexuelle des victimes.
Un autre aspect fondamental de la définition énoncée à l'article 36 de la Convention d'Istanbul, évoqué par les précédentes intervenantes, réside dans la nécessité d'une évaluation contextuelle des preuves lorsque l'on cherche à déterminer l'existence ou l'absence de consentement. Il s'agit, encore une fois, de prendre pleinement en considération la situation spécifique dans laquelle se trouvait la victime au moment des faits et d'examiner l'ensemble des circonstances.
La mise en oeuvre de la Convention d'Istanbul fait l'objet d'un suivi par deux instances dédiées, créées à cet effet par la Convention elle-même. Parmi celles-ci figure le Grevio. Il est chargé d'élaborer des rapports d'évaluation et de formuler des recommandations aux États parties. Il a publié un peu plus de quarante rapports au cours des huit dernières années. Sur la base des constats issus de ces rapports, quatre grandes approches législatives en matière de définition et de poursuite du viol peuvent être identifiées.
La première de ces approches repose sur des lois définissant le viol à partir du recours à la force, à la contrainte, à l'intimidation ou à la menace. Ce modèle reste encore prédominant dans un certain nombre de pays, tels la France, la Bosnie-Herzégovine, l'Estonie, l'Italie, les Pays-Bas ou encore la Pologne. Cette approche reflète la conception pénale traditionnelle du viol, largement fondée sur une représentation archaïque selon laquelle les viols seraient majoritairement perpétrés par des étrangers à la victime, en usant de violence et en causant des dommages physiques.
Or il est désormais établi qu'une proportion importante de viols sont en réalité commis par des personnes proches ou connues de la victime, et qu'ils ne s'accompagnent pas nécessairement de blessures visibles. Cette approche traditionnelle tend également à perpétuer l'idée, injustifiée, que les accusations de viol sont aisées à formuler, mais difficiles à réfuter, ce qui influence les règles relatives à l'administration de la preuve. Dans ce cadre, l'expérience des victimes de viol n'est que peu prise en compte de manière adéquate, notamment en ce qui concerne les réactions psychologiques telles que l'inhibition, la soumission, ou même l'attachement, dont il a été question précédemment.
Cela étant, il convient de nuancer ce constat en précisant que la majorité des États parties à la convention qui suivent cette approche reconnaissent, que ce soit par le biais de la législation ou de la jurisprudence, certaines circonstances invalidant le consentement. Ces circonstances incluent, entre autres, des états d'impuissance ou de vulnérabilité, des abus de position d'autorité, une infériorité physique ou des situations de surprise.
Cependant, le Grevio a mis en évidence deux problèmes majeurs liés à cette approche. D'une part, l'absence de consentement est encore trop souvent interprétée de manière inconsistante par les tribunaux. D'autre part, le niveau de preuve requis pour établir l'existence d'un viol reste très élevé. Ces obstacles contribuent de manière significative aux abandons de poursuites dans les affaires de violences sexuelles, ce qui explique en partie les faibles taux de condamnation observés.
La deuxième approche, dite à deux niveaux, est suivie par des pays tels que la Grèce, la Norvège ou la Serbie.
Dans ces pays, la législation pénale prévoit à la fois une disposition exigeant le recours à la force et une autre fondée sur l'absence de consentement. En règle générale, les infractions impliquant un recours à la force sont punies par des peines d'emprisonnement plus sévères, tandis que les cas où la force n'est pas employée ne sont souvent pas qualifiés de viols. Ces infractions sont donc classées selon la gravité de la violence physique ou de la menace exercée par l'auteur, ainsi que selon le degré d'impuissance de la victime ou son incapacité à manifester une résistance ou à exprimer sa volonté.
Pour le Grevio, ce n'est pas le recours à la force qui devrait déterminer la gravité de la sanction, mais bien l'absence de consentement. Le recours à la force devrait toutefois être considéré comme une circonstance aggravante. De plus, le Grevio a observé que l'introduction de différentes catégories d'infractions sexuelles se traduit souvent, dans la pratique, par une hiérarchisation des victimes selon leur degré de vulnérabilité, ce qui n'est pas sans rappeler les problématiques soulevées dans le cas espagnol évoqué précédemment.
J'en viens maintenant à la troisième approche, dite du « non, c'est non », adoptée notamment par l'Allemagne et, plus récemment, par la Suisse. Selon cette approche, un acte sexuel est considéré comme consenti si aucune des parties n'exprime de refus. Cette approche repose donc sur une présomption de consentement, sauf si celui-ci est explicitement retiré. En pratique, elle incrimine les actes sexuels réalisés contre la volonté d'une personne, ce qui implique que, pour établir l'absence de consentement, le degré d'opposition exprimée - verbalement ou autrement - par la victime est déterminant. Cette approche tend ainsi à se focaliser davantage sur le comportement de la victime que sur celui de l'auteur.
Cette méthode présente plusieurs limites. D'une part, le mythe persistant selon lequel un « non » de la victime pourrait signifier « oui » reste profondément ancré dans nos sociétés. D'autre part, les situations de passivité, sans consentement explicite, mais où aucune opposition n'est exprimée, sont plus difficiles à aborder dans ce cadre.
Pour répondre à cette difficulté, la Suisse, qui a révisé sa définition du viol en 2023 en adoptant l'approche du « non, c'est non », a intégré des dispositions spécifiques pour reconnaître les cas d'immobilité tonique, ou « freezing », caractérisés par une paralysie de la victime.
Venons-en enfin à la dernière approche, préconisée par la Convention d'Istanbul, communément appelée l'approche du seul un oui veut dire oui. Cette méthode, adoptée par la Suède en premier lieu, puis par la Belgique, le Luxembourg, l'Islande, l'Espagne (avec certaines nuances abordées précédemment) et la Slovénie, repose sur des normes de consentement affirmatif et librement donné. Selon cette conception, le consentement se définit comme un accord mutuel fondé sur le libre arbitre des parties. Ainsi, il incombe à l'auteur de s'assurer qu'un consentement explicite a été exprimé, plutôt qu'à la victime de manifester une opposition. C'est sur ce point précis que cette approche diffère de celle du « non, c'est non. »
Dans les pays qui adoptent cette approche, les rapports sexuels avec une personne n'ayant pas donné son consentement ou n'ayant pas participé de manière volontaire à l'acte sexuel sont répréhensibles. Il est évident que le silence ou l'absence de résistance ne saurait en aucun cas constituer une preuve de consentement. De plus, le consentement doit pouvoir être retiré à tout moment au cours de l'acte sexuel.
La distinction avec l'approche « non, c'est non », parfois perçue comme difficile à saisir, réside également dans l'évolution de la manière dont la société, ainsi que le système judiciaire, appréhendent le processus de consentement à un acte sexuel. Dans cette optique, le sexe est perçu comme un acte auquel les deux parties doivent consentir librement et de manière explicite.
Cette approche entraîne des règles plus claires pour les parties concernées, tant pour celles susceptibles de commettre une agression sexuelle que pour les victimes. Elle vise également à mieux protéger ces dernières en les plaçant au centre de l'intervention, en prenant en compte intégralement ce qu'elles ont subi et leurs traumatismes.
Elle donne lieu à des enquêtes qui se concentrent davantage sur l'absence de consentement que sur les violences subies.
Par ailleurs, cette approche permet d'incriminer d'autres formes d'actes sexuels non consentis, telles que le retrait de préservatifs en cours d'acte, ou encore les agressions sexuelles facilitées par des drogues.
Cette approche juridique implique un changement de paradigme, ayant pour vocation d'impacter la société dans son ensemble. De cette perspective, elle permet une meilleure prévention des violences sexuelles. C'est pour cette raison que le Grevio a estimé que cette approche était la plus conforme à l'esprit de la Convention.
Cette dernière impose aux États des mesures dans divers domaines, comprenant la protection, les poursuites, mais également la prévention ainsi que des politiques globales de lutte contre les violences faites aux femmes.
Je vais maintenant illustrer ces propos par un exemple concret, à savoir celui de la Suède. Elle a été le premier pays en Europe à adopter une approche fondée sur le consentement positif, et pour laquelle nous disposons aujourd'hui d'un certain recul, après la mise en conformité avec la Convention d'Istanbul en 2018 concernant la définition du viol.
En droit pénal suédois, le viol est défini comme tout acte sexuel réalisé avec une personne n'y prenant pas part volontairement. La participation doit donc être volontaire et perçue comme telle. En outre, le droit suédois prévoit deux autres infractions relevant de la catégorie des abus sexuels par négligence. Dans ces cas, la responsabilité pénale de l'auteur peut être engagée si celui-ci n'a pas raisonnablement pris toutes les mesures nécessaires pour s'assurer du consentement de l'autre personne. Il ne s'agit donc pas d'un viol intentionnel, mais d'un viol par négligence grave de l'accusé.
À la suite de la modification de la législation pénale suédoise, il a été observé qu'entre 2017 et 2019, les condamnations pour viol ont augmenté de 75 %. À partir de 2019, l'augmentation des condamnations s'est poursuivie, bien que de manière beaucoup moins marquée. Entre 2019 et 2023, on a observé une croissance d'environ 5 % par an.
Parallèlement, la Suède a connu une hausse des signalements de viols, notamment ceux impliquant des situations telles que le viol par surprise, ou dans lesquels la victime est restée passive pour diverses raisons. Ce sont précisément ces types de situations que la loi visait à prendre en compte en priorité.
D'autres évolutions positives ont été rapportées par les autorités suédoises, dont une amélioration notable concernant les preuves apportées. Il est désormais de plus en plus rare d'utiliser des preuves relatives aux blessures physiques des victimes, au profit d'autres types de preuves, telles que les enregistrements des faits, les appels d'urgence passés par la victime, ou encore les témoignages de personnes à qui la victime s'est confiée. Cette évolution a conduit à une augmentation des condamnations pour viol sur la base de ce type de preuve.
En outre, des unités de police spécialisées dans la violence sexuelle ont été créées, et les procureurs ont reçu des formations ainsi que des directives spécifiques pour l'application de la nouvelle législation. En effet, il ne suffit pas de modifier la loi pour que des changements se produisent de manière effective.
Par ailleurs, on a pu constater une réduction de la peur des victimes d'être culpabilisées, grâce à une meilleure compréhension de leur situation et à un accent porté davantage sur les explications fournies par l'auteur de l'agression que sur celles devant être présentées par la victime. En conséquence, ces dernières sont moins susceptibles de se voir confrontées aux préjugés persistants au sein du système pénal.
Enfin, les autorités suédoises ont accompagné la réforme législative de mesures de sensibilisation au sein de la société dans son ensemble, par le biais de campagnes d'information, et dans le système éducatif. Des actions ont été menées pour promouvoir la notion de consentement. Il en ressort que la population suédoise est désormais mieux informée à ce sujet. Bien entendu, il reste encore des progrès à réaliser. Il demeure des domaines dans lesquels des améliorations sont attendues, même en Suède.
Pour de plus amples informations, je vous invite à consulter le rapport initial du Grevio sur la Suède de 2019. Un nouveau rapport sera publié dès la semaine prochaine. Je tiens également à signaler que nous publions aujourd'hui la deuxième évaluation du Grevio concernant l'Espagne, qui pourrait également vous intéresser.
Je vous remercie sincèrement pour votre attention.
Elsa Schalck. - Je vous remercie pour cette intervention, qui s'est révélée particulièrement instructive concernant la Convention d'Istanbul et les diverses approches de l'incrimination de viol. Je cède maintenant la parole à mes collègues pour d'éventuelles questions.
TEMPS D'ÉCHANGES
Laurence Rossignol. - Il est vrai que le viol, en tant qu'acte criminel, revêt une dimension universelle. Il demeure semblable d'un pays à l'autre. Cependant, les législations qui régissent cet acte et les résultats qui en découlent ne sont pas tout à fait identiques. En fonction des pays, elles ont évolué de manière différente.
Pour autant, le taux de condamnation au Canada n'est pas plus élevé que le nôtre. En effet, environ 5 à 6 % des victimes portent plainte, et au final, le taux de condamnation atteint environ 12 %. Autrement dit, malgré des approches distinctes, les résultats restent les mêmes. Il est néanmoins à noter que le Canada a mis en place un dispositif législatif tout à fait fascinant, éclairant et même instructif pour nous en France.
Quant à la Suède, je souhaiterais nuancer quelque peu les propos qui ont été tenus. Il est essentiel de prendre en compte le contexte initial dans lequel ce pays se trouvait avant l'introduction de la nouvelle législation. Ainsi, bien que l'augmentation de 75 % des condamnations depuis la réforme soit notable, il convient de se rappeler qu'avant la loi, la Suède ne reconnaissait comme éléments constitutifs de l'infraction sexuelle que la violence, la menace et la faiblesse de la victime - tel que son état d'ébriété par exemple.
À cet égard, la procureure Voigt relate l'histoire d'une jeune femme qui, un soir, fait ses besoins dans un parc, lorsqu'un homme s'approche et lui insère un doigt dans le vagin. Avant la réforme législative, cet homme n'aurait été condamné que pour agression sexuelle. Depuis la réforme, il peut désormais être jugé pour viol. Toutefois, ces mêmes faits aboutiraient aujourd'hui en France à une condamnation pour viol, car ils impliquent à la fois la pénétration et un acte de surprise.
Dans ce contexte, s'il me semble utile de comparer les législations diverses, il faut conserver à l'esprit le fait que tous les pays ne présentaient pas les mêmes définitions au départ, avant l'évolution de la loi. Sans vouloir vous paraître trop productiviste, je rappelle que nous cherchons ensemble à augmenter le nombre de poursuites et de condamnations.
Annick Billon. - Permettez-moi de revenir sur une remarque qui a été formulée par l'une des intervenantes ce matin, à savoir que la loi ne saurait tout résoudre. À partir du moment où nous disposons d'une définition du viol relativement solide dans le droit français, je me demande si, dans d'autres pays, vous avez observé des dispositifs permettant de lutter contre cette culture du viol, notamment face à l'expansion de la pornographie. Laurence Rossignol et moi-même avons mené avec la délégation aux droits des femmes un travail considérable sur l'industrie pornographique. Quelles innovations existent dans les pays voisins ou dans les pays engagés sur ces enjeux, qui pourraient constituer des leviers efficaces pour combattre la culture du viol ?
Marie Mercier. - Je souhaiterais revenir sur la situation au Canada. Depuis l'adoption en France de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, et d'une disposition visant à interdire l'accès des mineurs aux sites pornographiques, je collabore avec Julie Miville-Dechêne, sénatrice canadienne indépendante. Elle s'efforce de faire adopter un texte visant à protéger les enfants des films pornographiques gratuits.
Cependant, elle se heurte aux mêmes difficultés que nous rencontrons ici, en France : la protection de la vie privée des utilisateurs et la liberté d'expression des consommateurs de contenus pornographiques. Que ce soit au Canada, un pays hors de l'Union européenne, ou chez nous, nous faisons face aux mêmes obstacles pour protéger nos enfants de l'accès aux films pornographiques gratuits.
Laurence Cohen, ancienne sénatrice du Val-de-Marne. - Je vous remercie pour ces interventions, qui ont toutes été particulièrement éclairantes. Toutefois, je constate qu'elles soulignent un point fondamental : la loi doit être effectivement appliquée. Le problème que nous rencontrons, notamment en France, mais aussi en Suède, au Canada ou en Espagne, réside précisément dans cette application et dans la connaissance qu'en ont les magistrats. En France, par exemple, nous avons redéfini la notion de viol de manière extrêmement précise, mais au cours de différents procès, nous constatons une méconnaissance réelle et profonde de cette loi.
Il ne s'agit pas uniquement de la loi en elle-même, mais de son application, ce qui nous amène à réfléchir à la formation des magistrats ainsi qu'à la qualité des enquêtes. À mon sens, ces deux éléments sont d'une importance capitale et méritent d'être mis en lumière.
Mélanie Vogel. - La question que nous nous posons en France est la suivante : à partir du droit actuel, l'introduction de l'absence de consentement comme élément constitutif du viol améliorerait-elle à la fois le taux de condamnation et le nombre de poursuites, et permettrait-elle également de réduire le nombre de viols ? Un certain nombre d'entre nous sont convaincus que cette modification générerait un effet positif, tandis que d'autres émettent des doutes à ce sujet.
Dans ce contexte, pourriez-vous expliciter les cas qui pourraient être condamnés grâce à l'ajout de la notion de consentement dans la loi, qui ne le sont pas avec notre législation actuelle ? J'ai quelques exemples en tête, mais je pense qu'il est important de les clarifier, afin de bien montrer l'intérêt d'une telle modification là où le droit actuel semble insuffisant.
Françoise Kempf. - Je peux répondre de manière globale à la majorité des questions soulevées, notamment celles concernant la culture du viol, la sensibilisation, la prévention, et le phénomène connexe de la pornographie et son accès croissant parmi les jeunes. Le Grevio a observé une augmentation notable de l'accès des jeunes à la pornographie, dans la plupart des pays, ainsi qu'une hausse des violences sexuelles commises par des très jeunes sur des très jeunes, en particulier des violences graves ou collectives.
Quant aux réponses apportées par les États, bien qu'il existe certaines bonnes pratiques dans divers pays, il ressort généralement un manque de prévention systématique. Les campagnes de sensibilisation ne sont pas suffisamment régulières, organisées ou dotées de budgets conséquents. La violence dans la sphère numérique, continuum des violences physiques, demeure un angle mort dans la prévention, ce qui constitue un problème dans de nombreux pays européens.
De plus, l'éducation à la sexualité, bien que prévue dans la législation de nombreux pays, est souvent mal mise en oeuvre, ou limitée à des initiatives locales. En France, par exemple, la loi de 2001 n'est pas appliquée de manière systématique. Cette absence d'une éducation complète, couplée à l'accès facile à la pornographie, crée une situation problématique pour les jeunes.
Par ailleurs, le Grevio insiste régulièrement sur la nécessité d'une formation initiale et continue obligatoire des magistrats, pour traiter toutes les formes de violence à l'égard des femmes. Bien que certains magistrats évoquent l'indépendance judiciaire comme un obstacle à la mise en place de formations obligatoires, le Grevio considère qu'il s'agit d'un point essentiel. Si des progrès ont été réalisés dans certains pays européens, il reste beaucoup de travail à accomplir pour surmonter les stéréotypes et préjugés persistants dans le milieu judiciaire.
Enfin, bien que je n'aie pas eu le temps d'aborder la question des enquêtes, la Convention d'Istanbul est très précise sur ce sujet et appelle à des investigations rigoureuses pour traiter les violences sexuelles de manière appropriée. Elle recommande que les violences faites aux femmes, et en particulier les violences sexuelles, soient traitées rapidement et, dans la mesure du possible, en urgence. Certains États ont déjà mis en place de telles mesures. Elle comporte également des exigences strictes en matière de collecte des preuves : il ne suffit pas de se fier uniquement au témoignage de la victime. Il est essentiel de recueillir un faisceau d'indices pour étayer les faits. En outre, la manière dont la victime est reçue et accompagnée tout au long de la procédure judiciaire est un point crucial. Faute de temps, je ne peux pas exposer l'ensemble de ces recommandations ici.
Concernant l'introduction de la notion de consentement dans le droit, il ne s'agit pas simplement de traiter des cas particuliers, mais d'une véritable mutation du paradigme juridique. Il est important de souligner que ce changement s'inscrit dans une volonté de modifier profondément la manière dont les actes sexuels sont perçus dans la société. Le droit doit conduire à un changement de mentalité au sein de la société, en instaurant une approche différente des relations sexuelles. La Convention d'Istanbul plaide précisément pour cette transformation des mentalités.
L'approche la plus conforme à la Convention, dans cette perspective, consiste en un modèle qui vise à transformer le paradigme existant, en faisant des actes sexuels des actes fondés sur le consentement mutuel et non sur la contrainte ou le non-consentement de l'une des parties. C'est cet aspect fondamental qu'il convient de retenir, même si le droit français, à l'instar d'autres législations fondées sur des critères tels que la contrainte ou la menace, a mis en place des garde-fous et une jurisprudence qui prend en compte des situations particulières comme la sidération. Toutefois, l'élément distinctif de l'approche défendue par la Convention d'Istanbul réside dans son caractère global et son ambition de générer un changement profond dans la société.
Je n'ai pas suffisamment travaillé sur le cas de la Belgique pour en donner une analyse détaillée ici. Je pourrai vous fournir des informations spécifiques sur la définition du viol dans ce pays, si vous le souhaitez. Le Grevio y prévoit une visite début 2025, ce qui nous permettra d'avoir des informations plus actualisées prochainement.
Elsa Schalck. - Je tiens à exprimer ma sincère gratitude pour ces différents éclairages qui se sont révélés extrêmement précieux. Nous identifions clairement la question du changement de paradigme. Comme vous l'avez souligné, le droit comparé apporte un éclairage significatif sur le droit national. Je crois que ce point fera l'objet de discussions approfondies lors de la deuxième table ronde. Il me revient de vous remercier chaleureusement pour ces différentes perspectives qui, sans aucun doute, ressurgiront dans nos débats ultérieurs.
Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour cette première séquence internationale.
Nous allons maintenant nous pencher sur les débats en cours sur l'évolution du code pénal français en matière de viol. J'invite pour cela les participants à la seconde table ronde à me rejoindre sur l'estrade, ainsi que mes deux collègues, Hussein Bourgi, membre à la fois de notre délégation et de la commission des lois, très impliqué sur tous les sujets de lutte contre les violences faites aux femmes, chargé de l'animation de cette deuxième table ronde ; et Catherine Di Folco, membre de la commission des lois, qui représente sa présidente Muriel Jourda, qui ne pouvait malheureusement pas être présente parmi nous ce matin. C'est un bon début, puisque Catherine Di Folco est une des co-rapporteures de la mission conjointe de contrôle sur la prévention de la récidive en matière de viol et d'agressions sexuelles.
Débats autour de l'évolution
du code
pénal en France
TABLE RONDE ANIMÉE PAR HUSSEIN
BOURGI
SÉNATEUR DE L'HÉRAULT
Chers collègues, notre seconde table ronde est consacrée à la question de l'évolution du code pénal français et de la pertinence, ou non, de redéfinir le viol en y intégrant explicitement la notion de consentement.
Commençons par rappeler la législation actuelle en matière de viol et d'agression sexuelle.
L'article 222-22 du code pénal dispose que constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi, toute atteinte commise par un majeur sur un mineur. En particulier, comme prévu par la loi du 21 avril 2021, adoptée à l'initiative de notre collègue Annick Billon, toute relation sexuelle d'un majeur avec un enfant de moins de 15 ans est un viol, sans qu'il soit nécessaire de prouver l'emploi d'un des quatre procédés habituels et sans qu'un quelconque consentement de l'enfant puisse être interrogé.
L'article 222-22 ajoute que « le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu'ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l'agresseur et sa victime, y compris s'ils sont unis par les liens du mariage. »
L'article 222-23 précise la définition du viol en ces termes : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » L'un de ces quatre procédés doit être prouvé pour caractériser le crime.
Par leur jurisprudence, les tribunaux précisent les contours de cette législation. Ainsi, en septembre dernier, la Cour de cassation a estimé qu'une agression sexuelle avec surprise est caractérisée lorsqu'un auteur procède à des attouchements sur une victime endormie et qu'il les poursuit au réveil de cette dernière qui se trouve en état de sidération.
Cette décision n'est pas sans faire écho au procès dit des viols « de Mazan » qui se tient actuellement devant la cour criminelle du Vaucluse. Ce procès a d'ailleurs relancé les débats autour de la notion de consentement, mais aussi sur celle de l'intentionnalité de l'auteur, bien qu'en l'espèce la rédaction actuelle du code pénal ait permis de poursuivre les hommes accusés.
En réalité, ce débat est bien plus large car la convention d'Istanbul impose aux États signataires d'intégrer la notion d'absence de consentement au sein de leur définition du viol, comme l'a bien expliqué Françoise Kempf lors de la précédente table ronde, mais élus, juristes et associations sont divisés sur cette question.
Inscrire dans la loi l'obligation de s'assurer du consentement explicite, libre et éclairé de l'autre et qualifier de viol tout acte sexuel non consenti poursuit un double objectif. D'une part, cela constituerait un changement de paradigme, en sortant de la « présomption de consentement » en matière sexuelle et en affirmant que « seul un oui est un oui ». D'autre part, cela pourrait permettre d'augmenter le nombre de poursuites et de condamnations, pour des situations qui ne sont aujourd'hui pas couvertes par les quatre critères du viol, ou dans lesquelles la victime n'est pas en mesure de prouver la menace ou la contrainte. Il ne s'agirait pas nécessairement de remplacer les quatre critères, aujourd'hui bien établis, mais sans doute plutôt de les compléter.
Cependant, certains et certaines estiment dangereux de bouleverser l'architecture actuelle du code pénal. Introduire la notion de consentement pourrait desservir les victimes, en déplaçant les débats sur le comportement de la victime plutôt que sur celui de l'auteur, mais aussi conduire à un renversement de la charge de la preuve.
En pratique, les débats autour du comportement de la victime ont d'ores et déjà lieu à l'audience et je l'ai, pour ma part, malheureusement constaté lorsque j'étais bénévole au sein d'une association de soutien aux femmes victimes de violences. J'accompagnais en effet une victime qui s'est retrouvée, lors de l'audience, placée en situation de coupable. Il faut au contraire analyser le comportement de l'auteur et la stratégie de l'agresseur, c'est une conviction forte de notre délégation aux droits des femmes.
Afin d'approfondir ces problématiques, nous accueillons quatre intervenants :
- François Lavallière, premier vice-président au tribunal judiciaire de Rennes, maître de conférences associé en droit pénal à Sciences Po Rennes. Il est l'auteur d'une tribune publiée il y a pile un an, intitulée Violences sexuelles : « La France doit inscrire le consentement au coeur de l'infraction de viol ». Il pourra nous livrer son analyse de magistrat sur la façon dont les juges appréhendent aujourd'hui l'absence de consentement, sur les conséquences concrètes pour la justice de l'introduction du consentement dans la définition pénale du viol, et le cheminement qui a forgé sa position sur le sujet ;
- Laure Heinich, avocate pénaliste au barreau de Paris. Alors qu'elle défend régulièrement des victimes de violences sexuelles, elle nous expliquera le regard qu'elle porte sur le champ actuel de la définition du viol, ainsi que sur les risques qu'elle entrevoit à une interrogation du consentement des victimes ;
- Frédérique Pollet-Rouyer, avocate au barreau de Paris, spécialisée dans la défense des victimes de violences. Elle nous expliquera le regard, différent de celui de sa consoeur - c'est cela la richesse du barreau -, qu'elle porte sur cette question et pourquoi elle plaide pour une modification du cadre pénal du viol ;
- et enfin Alexia Boucherie, doctorante en sociologie au Centre Émile Durkheim de l'Université de Bordeaux, qui mène des travaux sur les pratiques et représentations du consentement sexuel, notamment chez les jeunes générations, et interroge les contextes sociaux et rapports de pouvoir qui peuvent affecter ce consentement. Elle nous présentera ses travaux, qui peuvent éclairer les forces de l'ordre, les magistrats et les avocats dans leur caractérisation des viols.
Merci à vous quatre pour votre disponibilité et votre participation ce matin.
Avant de vous laisser la parole, je me tourne vers ma collègue Catherine Di Folco, membre de la commission des lois, sénateur du Rhône, qui représente la présidente de la commission, Muriel Jourda, qui ne pouvait malheureusement pas être parmi nous ce matin.
INTERVENTION DE CATHERINE DI
FOLCO
SÉNATEUR DU RHÔNE
La délégation aux droits des femmes a très judicieusement organisé ce colloque en cette journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Dans ce contexte, une réflexion sur la définition pénale du viol est plus que bienvenue, tant celle-ci n'est pas toujours suffisamment précise, malgré une abondante jurisprudence, pour saisir toutes les situations que peuvent rencontrer les victimes et faire reconnaître par la justice l'outrage fait à leur corps, à leur personne et à leur dignité. Je remercie la Présidente Vérien d'avoir bien voulu y associer la commission des lois. Muriel Jourda, notre présidente, vous prie de l'excuser. Malgré tout l'intérêt qu'elle porte à ces sujets, elle ne pouvait être présente ce matin. J'ai donc la charge de porter la voix de notre commission pour introduire cette table ronde.
Dans les prétoires, la question de savoir si la femme a ou n'a pas acquiescé ou consenti à la relation sexuelle est souvent mise en avant, parfois éhontément, par les agresseurs sexuels pour échapper à leurs responsabilités. De ce constat découle une réflexion autour de la pertinence de l'introduction expresse de la notion de consentement en droit français, qui rejoindrait ainsi d'autres législations étrangères.
La répression de ce phénomène ainsi que la protection des victimes doivent rester au coeur de l'action de notre société. La justice doit pouvoir disposer de règles et de procédures efficaces pour sanctionner toutes les situations de viol.
Or au vu des chiffres dont nous disposons, nous en sommes sans doute encore loin. Certes, en 2023, 84 000 plaintes pour violences sexuelles ont été déposées, ce qui peut paraître considérable. Ce chiffre se situe probablement bien en deçà de la réalité du phénomène, car le Haut Conseil à l'égalité (HCE) estime que moins de 10 % des victimes portent plainte contre leur agresseur.
On sait que le cheminement judiciaire pour obtenir une condamnation est long et éprouvant, et que de nombreuses plaintes n'aboutissent pas à une condamnation. La première des priorités réside donc dans le fait d'encourager les victimes à porter plainte et, pour ce faire, de leur garantir qu'elles seront écoutées et traitées avec discernement et respect.
Mais si la lutte contre le viol est d'abord une lutte de terrain, elle exige aussi des règles définies par le législateur qui donnent des garanties d'une prise en compte effective par les autorités judiciaires des situations de viol rencontrées par les victimes.
D'ailleurs, dès 1982, notre Haute Assemblée a contribué à mettre en place une définition pénale du viol en élargissant progressivement son périmètre afin de donner aux victimes un levier sur lequel s'appuyer pour poursuivre leurs agresseurs en justice. Dans cette entreprise, la définition des éléments constitutifs du viol, et notamment de la place du consentement, est évidemment centrale. Se posent aussi deux autres questions connexes, celles de la circonstance de la préméditation et du délai de prescription.
Comme vous le savez, la définition actuelle du code pénal caractérise le viol par une pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital commis par violence, contrainte, menace ou surprise. Le consentement est donc absent de ces critères. Cette absence peut poser problème dans la mesure où la définition actuelle ne permet pas de prendre en compte les cas où les agresseurs passent outre le consentement de la victime, sans pour autant user de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Cela peut pourtant être le cas, et nous le savons, dans des contextes où l'agresseur exerce une emprise sur sa victime ou est lié à elle par des liens affectifs.
Pour autant, l'inscription du consentement dans la définition du viol soulève plusieurs interrogations. Certaines associations féministes soulignent qu'elle pourrait concentrer la procédure pénale sur le consentement éventuel de la victime. Celle-ci devrait alors endosser la charge de prouver son défaut de consentement au lieu de laisser la justice s'intéresser en premier lieu à la stratégie de l'agresseur. Tel était d'ailleurs le sens des arguments déployés dans les années 1980 par Gisèle Halimi et par les promoteurs de la définition retenue aujourd'hui par notre code pénal.
Par ailleurs, cette inscription n'est pas une solution miracle pour mieux sanctionner les violences sexuelles. Nos voisins européens qui l'ont inscrite dans leurs droits n'ont pas noté d'impact considérable sur le nombre de condamnations pour viol. Preuve s'il en est que cette évolution ne représenterait qu'une partie de la solution au problème.
Il est donc important de tenir aujourd'hui cette discussion sur une évolution du droit qui ajouterait l'absence de consentement aux caractéristiques du crime de viol. Pour autant, j'attire votre attention sur la prudence dont nous devons faire preuve quant aux éventuels effets juridiques d'une telle mesure qui, surtout, ne doit pas avoir pour effet de se retourner contre la victime.
Permettez-moi aussi d'évoquer la reconnaissance de la préméditation comme circonstance aggravante du viol. Elle est définie par le code pénal comme le « dessein formé avant l'action de commettre un crime ou un délit déterminé ». Elle est une circonstance aggravante d'autres crimes comme le meurtre, la torture ou les actes de barbarie et fait courir aux agresseurs une peine plus longue. Cette circonstance de la préméditation n'est pourtant pas prévue par la loi pour les agressions sexuelles, dont le viol.
Vous le savez, dans l'écrasante majorité des cas, les agressions sexuelles sont commises par un membre de l'entourage de la victime. Par conséquent, il existe de nombreux contextes dans lesquels un viol est réfléchi, anticipé par l'agresseur avant son passage à l'acte. L'inscription de préméditation comme une circonstance aggravante du viol permettrait de mieux appréhender ces cas de figure. Il s'agit également pour le législateur de renforcer l'arsenal juridique qui vise à sanctionner plus sévèrement les auteurs de ces infractions. Il me semble donc intéressant de prendre en compte cette question au cours de nos échanges.
Enfin, une dernière interrogation concerne le délai de prescription du viol qui revient régulièrement dans nos débats. Les évolutions récentes de la législation ont permis de rallonger le délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels sur mineur et d'instaurer un système de prescription glissante qui renforce la protection de ces victimes en particulier. La question se pose désormais de reconnaître l'imprescriptibilité du viol, pour l'instant réservé aux crimes contre l'humanité. Les motivations sont nombreuses et légitimes. En effet, il n'est pas rare que les victimes de viol soient confrontées à une amnésie traumatique. Dans de telles situations, le délai de prescription présente une barrière supplémentaire dans le processus de signalement du viol auprès des autorités. C'est pourquoi le sujet de l'imprescriptibilité revient régulièrement, au Parlement comme dans le débat public.
Cependant, je tiens à rappeler ici que les effets juridiques de la suppression du délai de prescription demeurent incertains et posent notamment une question de constitutionnalité.
Je ne vous demande pas d'apporter une réponse à cette introduction, qui présente plutôt des pistes de réflexion que je voulais évoquer avec vous.
Pour finir, je tiens à témoigner une fois encore ma détermination à participer à cette réflexion et au combat contre les violences sexuelles. Nous devons en finir avec l'impunité des agresseurs comme avec la stigmatisation des victimes. Le défi est immense et comme souvent, il n'existe pas de réponse simple. La solution repose sur l'intégrité et l'efficacité du système judiciaire dans son ensemble. Nous pouvons contribuer, en tant que législateurs, à rendre ce système plus protecteur pour les victimes et plus dissuasif pour les agresseurs.
Je vous remercie de votre attention.
Hussein Bourgi. - Merci beaucoup, chère collègue. Je cède immédiatement la parole à François Lavallière, premier vice-président au tribunal judiciaire de Rennes, coordinateur du Pôle VIF (Violences intrafamiliales). Votre riche carrière de magistrat vous a emmené de Caen à Argenton en passant par l'ENM. C'est surtout la coordination du Pôle « Violences intrafamiliales (VIF) » qui a pu forger votre conviction. La parole est à vous.
INTERVENTION DE
FRANÇOIS LAVALLIÈRE
PREMIER VICE-PRÉSIDENT AU TRIBUNAL
JUDICIAIRE DE RENNES
MAÎTRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ EN
DROIT PÉNAL À SCIENCES PO RENNES
Merci pour cette invitation.
Je suis magistrat depuis plus de vingt ans. J'ai appliqué la loi pénale, et précisément les articles 222-22 et 222-23 du code pénal qui définissent et sanctionnent les viols et les agressions sexuelles, à toutes les étapes de la procédure pénale.
Je l'ai fait en tant que magistrat du parquet chargé de la direction des enquêtes et porteur de l'accusation lors des audiences, tant devant le tribunal correctionnel que devant la cour d'assises, mais aussi en tant que juge d'instruction, chargé de la manifestation de la vérité, dans le respect de la présomption d'innocence, principe essentiel de notre procédure pénale. Comme président du tribunal correctionnel et assesseur aux assises, j'ai dû décider, avec mes collègues, si les hommes et femmes mis en cause étaient coupables. Il s'agissait plus souvent d'hommes, étant donné que 90 % des faits de violences sexuelles concernent des femmes victimes. J'ai également été juge de l'application des peines chargé du suivi des condamnés.
Je ne suis aujourd'hui ni l'avocat des victimes, ni l'avocat des auteurs, des accusés, des prévenus, des mis en cause, ni l'avocat des femmes, ni celui des hommes. Je ne suis pas davantage l'avocat des juges.
Vous m'avez invité à donner mon avis. Je vais le faire avec la sincérité qu'impose ce sujet. Vous avez invité un magistrat pour obtenir une mise en perspective, plus qu'un discours d'explication de la règle. Comment, avec ces années de pratique, avec ces réflexions personnelles, en suis-je arrivé à penser que notre droit n'était plus adapté ?
Il est important pour moi, pour bien appliquer la loi et pour l'enseigner à mes élèves, d'en comprendre le sens, d'en connaître les exigences et les limites et d'avoir conscience de ses effets, pour ne pas avoir une confiance vaine.
S'agissant du viol et de l'agression sexuelle, je ne parviens pas à expliquer l'état actuel de notre droit français, si ce n'est en me référant à l'histoire et aux préjugés sexistes et patriarcaux qui continuent à prévaloir.
J'aime me référer à l'Histoire et comparer les évolutions des sociétés. Au début des années 1990, au Canada, ont eu lieu les grandes réformes évoquées par Catherine Le Magueresse.
En France, pour la première fois en 1990, la Cour de cassation disait qu'un viol était envisageable dans un couple marié. Auparavant, tout était couvert, permis, oserais-je dire, par le devoir conjugal. C'est dire déjà ce décalage social à l'époque entre le Canada et la France.
Vous avez parlé, à juste titre, de l'apport considérable de Gisèle Halimi. Oui, elle a contribué à faire évoluer la loi. Oui, ses prises de position et ses plaidoiries l'ont fait à une période où le débat sur le consentement n'en était pas au même stade.
Je ne me permettrais pas de parler pour quelqu'un qui n'est pas là de manière générale. Je ne le ferai pas pour Gisèle Halimi. Je me permets juste de replacer un contexte. Les données sociales, la prise en compte des stéréotypes et des préjugés n'étaient pas au coeur de notre société à l'époque.
La loi française a évolué jusqu'en avril 2021, avec l'élargissement de la définition du viol aux actes bucco-génitaux et la meilleure protection des mineurs de 15 ans.
Aujourd'hui, pour condamner une personne pour un viol ou une agression sexuelle, il est nécessaire de prouver que les faits ont été commis avec violence, menace, contrainte ou surprise. Ces quatre critères sont posés par la loi et doivent demeurer, à mon avis.
Les tribunaux et les cours ont appliqué ces quatre critères et les ont fait progresser, mais ils sont encore insuffisants pour couvrir la réalité des atteintes à l'intégrité sexuelle, physique et psychique des victimes et principalement des femmes.
Les juges jugeraient-ils mal ? Appliqueraient-ils mal la loi actuelle ? Peut-être. Sans doute. Je fais partie de ces juges, et j'assume aussi que nous pouvons encore davantage nous former, que nous devons encore plus sortir de ces clichés qui traversent la société et qui nous traversent, qui nous habitent, dans lesquels nous sommes nés. Lorsque je suis né, en France, il ne pouvait y avoir de viol entre époux. Mon éducation, comme la vôtre, a été fondée sur ce principe.
Nous, services d'enquêtes, magistrats, avocats, devons continuer à mieux nous former, mais cela ne suffira pas. Des progrès importants ont été enregistrés au cours des dernières années, et nous comprenons désormais mieux un certain nombre de phénomènes, grâce aux études de victimologie, ou aux travaux des psychologues, psychiatres, criminologues et sociologues, notamment Canadiens. Nous connaissons mieux l'amnésie traumatique, la dissociation, la sidération traumatique. Les juges connaissent ces thèmes. Les experts les évoquent de plus en plus dans leurs rapports, ce qui permet ainsi aux juges de les exploiter pendant les audiences. Car moi, juge, je ne peux pas exploiter mes connaissances personnelles et mes convictions dans les dossiers que j'ai à traiter. Je ne peux pas caractériser de mon seul avis un état de sidération. J'ai besoin que des psychologues, des psychiatres l'aient posé.
La Cour de cassation a rendu un arrêt majeur le 11 septembre dernier, arrêt grâce auquel il a été reconnu qu'une agression sexuelle peut être retenue et son auteur condamné lorsqu'il y a état de sidération. Je souhaite nuancer et éclairer immédiatement cette information, avec le regard du praticien. Dans cet arrêt d'espèce qui concerne une affaire où l'homme en cause avait reconnu et avait même écrit dans des messages qu'il avait bien vu que cette femme ne pouvait pas réagir, qu'elle était, disait-il, une poupée de chiffon.
Il avait exprimé clairement qu'il avait conscience qu'elle ne pouvait réagir, qu'elle était en état de sidération. Il en avait constaté les effets sur l'expression de son accord ou pas et sur son comportement. C'est pour cela que les juges ont pu retenir la sidération. S'il ne l'avait pas dit, s'il ne l'avait pas écrit, je pense que la décision aurait été différente.
Nous avons trois éléments à retenir :
- l'élément légal, qui correspond à l'infraction définie par la loi et assortie d'une peine déterminée par le législateur en fonction de la gravité du comportement incriminé ;
- l'élément matériel, qui dans le cas du viol, se caractérise par l'acte de pénétration sexuelle, qu'il s'agisse d'un coït, d'un acte bucco-génital, ou de tout autre acte similaire ;
- l'élément intentionnel, ou moral, c'est-à-dire l'intention consciente de l'auteur de commettre l'acte en exploitant une contrainte, une menace, ou une surprise, et la reconnaissance de l'impact de ces conditions imposées ou exploitées sur la victime.
La preuve de cet élément intentionnel s'avère particulièrement complexe dans notre droit et conditionne pourtant toute possibilité de condamnation. En l'absence de démonstration de cet élément intentionnel, il est impossible d'aboutir à une condamnation. C'est parce que je ne pouvais pas le démontrer que j'ai parfois dû classer sans suite des procédures, rendre des ordonnances de non-lieu en phase d'instruction, ou conclure à la relaxe au tribunal correctionnel, voire prononcer des acquittements avec mes collègues magistrats et jurés en cour d'assises.
Il m'est souvent arrivé de dire aux victimes, lors d'audiences : « Madame, je vous crois. » Cependant, je ne pouvais pas, au regard des éléments recueillis dans la procédure et des exigences imposées par la loi, condamner l'auteur. Expliquer cette décision était pour moi une nécessité, car il n'existe pas pire sanction que de laisser une victime avec le sentiment de ne pas être crue, ou pire, d'être considérée comme une menteuse. Non, je les croyais sincèrement.
Je croyais qu'elles n'avaient pas consenti librement et qu'elles avaient vécu l'expérience comme une effraction dans leur intimité, comme un viol ou une agression sexuelle. Pourtant, si la notion de consentement imprègne les enquêtes et les débats judiciaires, elle reste absente de la loi. Celle-ci n'exige toujours pas de l'initiateur du contact sexuel qu'il s'assure du consentement explicite de l'autre personne.
Plus encore, il existe une sorte de présomption implicite de consentement dans la loi actuelle. En l'absence de violence, de menace, de contrainte ou de surprise, si la victime n'a exprimé aucune opposition, qu'elle ne s'est ni débattue ni explicitement opposée à l'acte, l'auteur, statistiquement un homme, n'est pas tenu de vérifier si elle était réellement consentante. Elle est alors présumée consentante.
Vous m'avez demandé d'évoquer mon cheminement sur ce sujet. Je dois avouer que c'est la lecture de l'ouvrage de Catherine Le Magueresse, Les pièges du consentement, qui m'a permis, après plus de quinze ans de pratique, de comprendre pourquoi nous n'arrivions pas à faire mieux. Cet ouvrage m'a éclairé sur le postulat erroné selon lequel le consentement serait présumé. Celui-ci est, selon moi, à l'origine de nos limites actuelles. J'adhère pleinement au raisonnement développé par Catherine Le Magueresse.
Si nous inscrivons explicitement le consentement dans la loi, quel serait l'impact réel de cette réforme ? Je ne peux pas l'affirmer immédiatement et j'y reviendrai ultérieurement. Cependant, il convient d'insister sur un problème fondamental lié à la présomption implicite de consentement actuelle : lorsque la victime ne s'est pas opposée verbalement ou physiquement, les chances de caractériser l'infraction deviennent extrêmement réduites.
[François Lavallière se lève et s'empare du téléphone du sénateur Hussein Bourgi, posé sur la table à côté de lui.]
Qu'ai-je fait à l'instant ? J'ai volé un téléphone. Monsieur le Sénateur, vous n'avez rien dit, vous ne vous êtes pas défendu. Tout le monde m'a regardé, et personne n'a bougé. Cependant, je m'interroge. Pourquoi ce téléphone est-il davantage protégé que le corps et l'intégrité d'une femme, d'un homme, d'un enfant ? La raison ne découle pas, selon moi, de la sévérité des peines prévues en France pour les délits et crimes sexuels. En effet, nous disposons déjà de l'un des dispositifs les plus stricts en Europe. Je ne suis pas convaincu que nous protégions mieux nos victimes pour autant.
Vous me demandiez comment pourraient être écrits nos textes de loi pour faire évoluer les lignes. Imaginons un cadre légal établissant qu'il est impératif de vérifier explicitement l'accord de son partenaire avant tout acte de nature sexuelle, et ce, dans des conditions où celui-ci est pleinement libre d'exprimer un « oui » ou un « non ». Une telle réforme nécessiterait de définir précisément le consentement comme un accord libre et volontaire à un acte spécifique, donné à un instant « T » et pouvant être retiré à tout moment. Ainsi, consentir à des caresses ou à des attouchements ne signifie pas automatiquement consentir à une pénétration qui suivrait. De surcroît, ce consentement ne peut être donné que par la personne concernée elle-même, et non par un tiers, pas même un mari. Et, parce que céder n'est pas consentir, parce qu'un consentement peut être extorqué ou forcé, écrivons dans le code pénal que le consentement n'est pas valide si la victime est inconsciente, sous l'emprise de l'alcool, ou incapable de formuler un accord clair.
Aujourd'hui, ces critères peuvent déjà être retenus. La contrainte peut l'être, et la surprise peut couvrir une partie de ces situations. Pour autant, toutes les situations ne sont pas prises en compte. Il subsiste des lacunes que seule une réforme explicite pourrait combler.
De même, inscrivons qu'un consentement ne saurait être valide lorsqu'il est obtenu par abus d'autorité ou de confiance. En outre, il est essentiel d'énoncer que, comme cela est déjà établi pour d'autres infractions, il ne peut y avoir de consentement en cas de violence, de menace, de contrainte ou de surprise.
Suivant l'exemple du Canada, de la Suède et de la Belgique, il serait pertinent de poser comme obligation légale que l'initiateur d'un contact sexuel ait la responsabilité de vérifier ce consentement en prenant toutes les mesures raisonnables adaptées au contexte. Ajoutons que le consentement ne peut être déduit du silence ou de l'absence de réaction de la victime. Il doit être communiqué.
Appliquons la Convention d'Istanbul et son article 36 sans attendre une condamnation par la CEDH.
Actuellement, sept dossiers soulevant ces débats autour de la vérification du consentement sont en attente d'une décision.
Une modification de la loi pour inscrire comme principe fondamental cette vérification aurait un impact concret sur la pratique des magistrats et des enquêteurs. Par exemple, les prévenus qui déclarent : « Je croyais qu'elle était d'accord, elle ne s'est pas débattue, elle n'a pas réagi » pourraient être condamnés. L'argument selon lequel elle n'aurait rien dit ou fait ne serait plus suffisant pour prouver l'absence d'intention coupable. L'élément intentionnel serait établi par le fait de ne pas avoir vérifié explicitement le consentement.
La prise de mesures raisonnables pour vérifier cet accord permettrait également d'écarter les préjugés sexistes et culpabilisants, tels que ceux qui associent le consentement à une tenue courte, à l'acceptation d'une invitation ou au fait d'avoir déboutonné son chemisier. Ces stéréotypes, encore présents, nuisent gravement à une véritable compréhension de ce qu'est un consentement libre et éclairé. Catherine Le Magueresse a notamment évoqué des exemples issus de la jurisprudence canadienne, où une telle approche a déjà contribué à une meilleure prise en compte de la réalité des violences sexuelles. Une tribune à ce sujet sera prochainement publiée pour approfondir ces réflexions et s'inspirer des avancées canadiennes, malgré les différences de régimes juridiques [« Faisons entre le consentement libre et volontaire dans le droit pénal », François Lavallière et Delphine Mauger, Le Monde du 29 novembre 2024].
Les questions posées par les enquêteurs seraient différentes. Les débats lors des audiences changeraient, limitant considérablement la culpabilisation et la victimisation secondaire.
Ai-je dans cette présentation déplacé le débat sur la victime plutôt que sur l'auteur ? Non, bien au contraire. Je crois que Françoise Kempf nous a montré, grâce à l'exemple de la Suède et au quatrième critère du Grevio, que la prise en compte du consentement ne revient pas à regarder la victime et son comportement pour exprimer un désaccord. Il s'agirait au contraire de comprendre ce qu'elle a vécu et subi, sans la juger sur ses réactions.
La preuve de l'absence de vérification du consentement serait-elle impossible à produire ? Les questions posées par les enquêteurs changeraient. Nous formerions différemment les enquêteurs, les magistrats. Quand je pense au nombre d'affaires dans lesquelles les mis en causes affirment avoir cru qu'elle était d'accord, car elle n'a pas résisté, elle n'a rien dit. Dans cette formule, nous trouverions de quoi envisager une condamnation, car l'accusé admettrait ainsi qu'il n'avait pas vérifié l'accord de sa partenaire.
Dans les dossiers que je juge actuellement, je constate de plus en plus la présence de retranscriptions de messages sur les réseaux sociaux. Ces messages, où les auteurs se vantent d'avoir eu affaire à une femme passive, telle une « poupée de chiffon » qui n'aurait rien dit, et qui n'aurait pas bougé, pourraient constituer des éléments matériels prouvant que l'accusé n'a pas pris les mesures raisonnables pour s'assurer du consentement. Nous pourrions faire tomber la crainte selon laquelle nous ne pourrions rien prouver.
Il est important de noter qu'un écrit ou un contrat ne serait pas nécessaire pour prouver le consentement. Aucun pays ayant adopté cette approche ne l'a envisagé. Plus encore, le Canada et la Suède ont précisé que même un accord écrit ne vaut que pour l'instant présent et l'acte en cours, et non pour la suite. Ainsi, il est inexact d'affirmer que l'on serait pieds et mains liés par un consentement écrit à un moment. Ce serait ne pas comprendre la pleine logique de ce raisonnement basé sur le consentement.
Concernant la présomption d'innocence, elle ne disparaîtrait pas. Nous n'assisterions pas à un renversement de la charge de la preuve. Ces mêmes inquiétudes ont été soulevées au Canada à la fin des années 1980 et en Suède lors de leurs réformes respectives. Les Canadiens ont pris le temps d'une réflexion collective, tandis qu'en Suède, un comité a travaillé durant deux ans pour produire une proposition unanime aboutissant au vote législatif. Pourtant, les avis étaient diamétralement opposés au début des travaux de ce comité. C'est dire qu'en prenant le temps d'aborder les points les uns après les autres, sérieusement, dans l'intérêt de la société dans son ensemble, il est possible de parvenir à une rédaction législative équilibrée, évitant les écueils redoutés.
La présomption d'innocence demeurerait un principe fondamental respecté. Il faudrait toujours prouver que l'accusé n'a pas vérifié le consentement de son ou sa partenaire, ou que le consentement n'était pas valable pour diverses raisons (donné par un tiers, victime inconsciente ou droguée, relation de pouvoir empêchant un refus, etc.). Il faudrait également prouver l'usage de violences, menaces, contraintes ou surprises, bien que cet élément deviendrait subsidiaire, les trois premières étapes permettant d'englober bien plus de situations. La présomption d'innocence demeurerait : si nous ne parvenons pas à prouver l'un de ces éléments, l'accusé ne serait pas condamné.
Une réforme de la loi ne changerait pas tout instantanément. Le Canada ne fournit pas de chiffres officiels sur l'impact de sa réforme, car à l'époque, l'accent n'était pas mis sur les taux de condamnation ou les effets de la loi. Il n'existe pas de données statistiques en la matière. Il s'agit d'une révolution culturelle dont les effets se mesurent sur le long terme.
Madame la Sénatrice, je n'ai jamais lu le chiffre que vous évoquiez.
Par ailleurs, la charge de la preuve devrait toujours incomber au procureur. Il n'appartient ni à la victime de prouver son non-consentement, ni aux personnes mises en cause de réfuter une présomption de culpabilité, qui n'existe d'ailleurs pas.
Enfin, les conséquences traumatiques des viols et infractions sexuelles sont considérables, de même que le sentiment d'injustice lorsque la société et la justice faillissent. Il est urgent d'adopter un cadre différent, à l'instar du modèle suédois présenté par Françoise Kempf et de la quatrième vision évoquée par le Grevio. Ce changement de paradigme nécessite une formation approfondie, une réflexion collective et une évolution globale de la société.
Vous m'interrogiez sur mon cheminement personnel. Ma pratique professionnelle m'a fait évoluer. Mes étudiants m'ont également poussé à réfléchir, car en expliquant le droit, on en perçoit les lacunes. Je salue les réflexions menées principalement par des femmes, comme Catherine Le Magueresse. Mon aspiration à la justice, mon statut d'homme et de père ont aussi façonné ma pensée. Je ne tiendrais pas ce discours sans les échanges enrichissants menés avec mon épouse et mes filles. C'est aussi pour elles que je m'exprime aujourd'hui.
Hussein Bourgi. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, pour ce témoignage très fort. Je vais céder la parole à Maître Laure Heinich, avocate pénaliste au barreau de Paris, à la tête d'un cabinet engagé au service de la cause des femmes. Maître, vous avez écrit trois livres. Vous êtes connue aussi pour votre éloquence, puisque vous avez été la première secrétaire de la conférence du barreau de Paris. Je vous cède immédiatement la parole.
INTERVENTION DE LAURE
HEINICH
AVOCATE AU BARREAU DE PARIS
En parlant d'éloquence, permettez-moi, tout d'abord, de vous prévenir : je crains que mon ton ne soit pas parfaitement mesuré, car ce que je viens d'entendre me met en colère. Oui, je suis en colère face à ce débat, alors que nous devrions, par principe, nous accorder sur un constat simple : si 75 % des affaires sont classées sans suite, cela n'a rien à voir avec la loi. Et si une nouvelle loi, présentée comme un slogan en faveur des femmes, venait à être adoptée, elle n'aurait aucun impact sur ces classements sans suite.
Si nous voulons rétablir la confiance dans l'action publique, trop souvent décriée, il est impératif de reconnaître qu'on ne s'occupe pas des femmes. Or, défendre les droits des femmes ne signifie pas négliger ceux des hommes. En tant qu'avocate, je suis convaincue qu'il est impossible de garantir la justice pour les uns sans se préoccuper des autres. Malheureusement, notre système judiciaire maltraite tout le monde, sans exception.
Ce problème relève avant tout d'un manque de moyens et d'une volonté politique insuffisante. Cette dernière ne réside pas dans un élargissement des lois. D'ailleurs, « foutez-nous la paix » avec les lois. À cet égard, Monsieur Lavallière, permettez-moi de vous rassurer : nous n'avons pas réagi lorsque vous vous êtes levé après avoir volé un téléphone portable, si vous aviez agressé une femme, nous aurions réagi.
Le véritable problème réside dans ces classements sans suite. Appeler cela des « stocks » est déjà un affront : il est temps de les qualifier de « gens ». Monsieur Lavallière, vous dites recevoir des femmes pour leur expliquer vos décisions, mais la plupart de celles dont les plaintes sont classées sans suite ne sont jamais reçues. Ce qui manque dans la justice, comme à l'hôpital, c'est d'expliquer les choses aux gens, de les recevoir, plutôt que d'envoyer un simple document - qui d'ailleurs n'est souvent même pas envoyé. Sans avocat, personne n'est informé du classement sans suite, qu'on soit auteur présumé ou victime.
Pour obtenir le classement sans suite et la copie du dossier, numérisé, nous devons écrire et réécrire aux magistrats pendant un an. C'est là que réside la maltraitance. Quand on est sur le terrain comme moi, on constate que la réalité est bien loin de ces débats.
Je serais favorable à un projet de loi prévoyant qu'un magistrat - et non un sous fifre, délégué du procureur - reçoive les personnes pour leur expliquer le classement sans suite.
Dire à quelqu'un : « Je vous crois, mais je n'ai pas pu condamner l'auteur » est extrêmement important.
François Lavallière. - C'est ce que je faisais lorsque j'étais substitut du procureur.
Maître Laure Heinich. - D'après moi, c'est ce qu'il faut continuer de faire plutôt que de changer la loi.
Le slogan féministe « Je te crois » est génial. Les familles devraient le dire, et peut être même les juges en aparté. Récemment, j'ai assisté à l'audition d'une jeune femme. Le cas est extrêmement complexe, et je suis certaine que la juge d'instruction la croit. Moi aussi, je la crois. Pourtant, il y aura probablement un non-lieu. Ce sera justice, car la justice, ce n'est pas simplement dire « Je te crois ».
Je suis en colère car ce ne sont pas de grands principes que j'énonce. Nous devrions tous être d'accord. Où allons-nous si nous considérons comme un drame le fait qu'un magistrat croit une femme, mais ne peut pas le prouver ? C'est cela, la justice.
Je ne parlerai pas pour Gisèle Halimi, même si j'ai travaillé avec elle sur de nombreux dossiers. Je l'ai bien connue. Je me dois de vous dire qu'elle n'aurait pas apprécié la récupération dont elle fait l'objet. Son hommage national ne lui aurait pas plu.
Le procès Mazan est perçu comme le « nouvel Aix en Provence ». Il en est potentiellement le retour de bâton. Il est inexact d'affirmer qu'on ne parlait pas de consentement auparavant. C'était précisément le coeur de la loi. Gisèle Halimi a plaidé et fait évoluer la législation de manière significative. La loi actuelle définit le viol et l'agression sexuelle par la présence de violence, menace, contrainte ou surprise. Cette définition est déjà très large.
Si vous n'étiez pas magistrat, Monsieur Lavallière, j'aurais pensé que vous preniez les magistrats pour des imbéciles. Ces quatre éléments sont très larges. Aux États Unis, l'avocate Catharine MacKinnon, bien que d'une lecture ardue, a joué un rôle crucial dans l'évolution de la législation sur le harcèlement sexuel. Elle considère que la loi française sur le viol est aujourd'hui exemplaire et que les autres pays devraient s'en inspirer.
Dans vos propositions, vous vous focalisez uniquement sur la victime. On ne regardera qu'elle. Vous dites que nous avons aujourd'hui un problème avec l'intention de l'auteur. Ne va-t-on plus l'étudier ? Il s'agit pourtant des fondements du droit.
Toute infraction comporte un élément matériel et un élément intentionnel. Nous ne pouvons pas créer d'exception. L'élément matériel est parfois difficile à prouver. Nous ne pouvons passer outre. La loi actuelle s'intéresse à la manière dont la menace, la violence, la contrainte ou la surprise ont été exercées, sans interroger la victime sur ses actions. Cette question ne doit pas être posée en audience. Il incombe aux magistrats et avocats de ne pas la poser, ou de s'opposer à ceux qui la poseraient. La loi ne regarde pas la victime.
De plus, de nombreux professeurs de droit estiment qu'allonger un texte de loi complique la caractérisation de l'infraction.
Par ailleurs, vos propositions manquent de clarté. Envisagez-vous d'ajouter la notion de consentement aux critères existants ? Monsieur Lavallière, vous suggérez de préciser dans la loi les situations où le consentement est invalide, comme l'ivresse ou l'inconscience, etc. Allons-nous y inscrire tous les éléments qu'englobe ce « etc. » ? Ces situations sont déjà prises en compte par la jurisprudence actuelle. En 2024, les magistrats considèrent généralement l'ivresse de la victime comme un facteur invalidant son consentement. Par ailleurs, l'ivresse de l'auteur est une circonstance aggravante. Ces principes sont déjà appliqués dans les tribunaux, même s'il existe des exceptions regrettables.
Les juges rendant mal la justice sont moins nombreux que les avocats défendant mal leurs clients, mais ils existent tout de même. Je reconnais que la loi peut être mal appliquée parfois, mais cette réalité est préférable à une application systématique et déshumanisée de la justice. Certes, si nous sommes parfois consternés d'entendre encore des propos sexistes en audience, nous devons admettre que leur fréquence a considérablement diminué. Cette évolution n'est pas due à la loi, mais plutôt à l'amélioration significative de la formation, notamment à l'ENM, dont les effets sont manifestes.
Concernant la sidération, l'emprise et d'autres concepts similaires, nous n'avons plus besoin de les expliquer aux juges, qui les maîtrisent désormais mieux que nous. Ces notions sont pleinement intégrées dans les décisions judiciaires, indépendamment des aveux du mis en cause.
J'ai pris connaissance de l'intervention de Catherine Le Magueresse. Nous ne pouvons empêcher les accusés de se défendre, même maladroitement ou de manière déplacée. Ce n'est pas l'objectif de la loi de restreindre les moyens de la défense, car cette action ne mènerait pas à des condamnations plus justes. Les accusés, quels qu'ils soient, disent souvent n'importe quoi pour se défendre. C'est le cas des mis en cause dans le procès Pelicot, arguant qu'ils pensaient n'avoir besoin que du consentement par délégation du mari.
L'ajout de la notion de consentement dans la loi ne changera pas fondamentalement la situation. Les accusés pourront toujours prétendre avoir obtenu un consentement explicite, et s'en être réassurés, sans que cela modifie réellement la nature des débats. Ils pourront affirmer que la victime a dit cinquante fois qu'elle était d'accord, qu'elle n'a pas fait un clin d'oeil ou remis ses cheveux, mais qu'elle a dit « oui, vas-y, par devant, par derrière ». Nous ne serions pas plus avancés en ajoutant la notion de consentement.
J'entendais dans l'intervention précédente que les défenses dans l'affaire Pelicot nous interpellent. Elles révèlent une méconnaissance de l'article 222 23 du Code pénal. Il serait peut-être judicieux d'enseigner ces notions juridiques au lycée, dans le cadre d'une éducation à la justice ou au droit.
J'entendais également que le changement de la loi permettrait d'éviter l'argument du « j'ai cru que ». Celui-ci relève de l'intention, un élément constitutif de tous les crimes et délits. Aucun changement législatif ne pourra altérer ce principe fondamental du droit pénal. Je ne vois pas l'avenir, mais je n'imagine pas qu'un juge puisse acquitter les mis en cause de l'affaire Pelicot, malgré leurs arguments de type « j'ai cru que ». Nous n'avons pas besoin d'une nouvelle loi. Dans cette affaire, nous retrouvons la contrainte et la surprise, par exemple. Il est clair que le consentement de Mme Pelicot n'a pas pu être donné dans ces circonstances. La contrainte et la surprise la sauvent.
Je reconnais mes limites en matière juridique, et je concède volontiers avoir une mémoire de poisson rouge. Pour autant, lorsque quelqu'un vient me voir en m'annonçant avoir eu des relations sexuelles avec un mineur de plus de 15 ans, je ne suis pas capable de lui dire s'il en avait le droit ou non, si un principe d'autorité s'applique ou non. Je suis obligée de consulter mon code pénal. Je suis rassurée par le fait que mes associés doivent, eux aussi, s'y référer. Je ne parle même pas de prescription. Toutes les femmes venant me voir pensent que leur cas est prescrit alors que ce n'est pas le cas, ou pensent qu'il ne l'est pas, alors qu'il l'est. Le code est illisible. Les agressions sexuelles sont abordées dans de nombreux articles. Les magistrats eux-mêmes peinent à avoir un code à jour, tant les modifications sont fréquentes. Ainsi, j'appelle à une stabilisation des textes pour permettre aux praticiens de travailler avec des outils fiables. D'ailleurs, l'ancien garde des sceaux Éric Dupond Moretti n'a cessé de produire des lois qui existaient déjà. Je ne lui jette pas la pierre.
Je ne serai pas politiquement correcte en exprimant que nous nous plaçons ici dans un débat de riches qui ne changera rien. Lorsque nous disposerons des moyens adéquats, je serai ravie que l'on puisse le tenir, lorsque nous pourrons enquêter sur les plaintes, les instruire. Il paraît qu'avant de quitter son ministère, Éric Dupond Moretti a demandé de classer un tiers des affaires sans suite. Les délais pour obtenir les copies des dossiers s'allongent, masquant souvent l'absence d'enquêtes. Lorsqu'une jeune fille porte plainte, et que sa propre mère, à qui elle s'est confiée, n'est pas entendue, je peine à croire que l'auteur l'ait réellement été. C'est sur ces aspects concrets que nous pourrons constater de réelles avancées pour les victimes.
Si vous ne m'avez pas jugée trop insupportable, j'aimerais être invitée de nouveau pour discuter de la prescription, si vous débattiez du sujet à l'avenir.
Concernant la préméditation, son introduction comme circonstance aggravante mérite réflexion. Elle permettrait de distinguer les actes planifiés de ceux qui ne le sont pas, et de prévoir des peines différentes dans ce cadre. Cependant, c'est tout le quantum des peines qu'il faudrait revoir. L'échelle actuelle, du vol aux crimes les plus graves, est trop large. Elle conduit les magistrats à prononcer des peines bien inférieures aux maximum encourus, créant une incompréhension chez les victimes et un sentiment d'impunité chez les auteurs.
Hussein Bourgi. - Merci Maître. Je laisse la parole à Maître Pollet Rouyer, avocate pénaliste à Paris. Elle a publié des billets sur le procès de Mazan dans Mediapart. Je vous recommande vivement la lecture de ses réflexions. Elles offrent un point de vue complémentaire sur ce procès, différent de celui habituellement présenté dans les médias.
INTERVENTION DE
FRÉDÉRIQUE POLLET-ROUYER
AVOCATE AU BARREAU DE PARIS
J'ai co-signé avec François Lavallière et d'autres collègues juristes plusieurs tribunes pour expliquer l'importance de réexaminer la loi et de réformer le code pénal. Bien que sereine initialement, je suis à présent irritée par les propos entendus. Néanmoins, je vais tâcher de canaliser cette colère et d'être constructive.
Nous partageons le constat du dysfonctionnement de la justice et de la maltraitance qu'elle inflige. Simplement, nous discutons aujourd'hui du droit et de la protection des femmes, à la veille du 25 novembre. Nous reconnaissons les difficultés liées aux conditions de garde à vue et aux enquêtes non réalisées. Cependant, ces dysfonctionnements ne doivent pas freiner notre réflexion et nos efforts pour faire évoluer la situation. Ce n'est pas une fatalité.
Affirmer qu'il faut nous laisser tranquilles avec la loi est contre-productif. Dans ce cas, nous n'aurions pas obtenu la loi de 1980 à l'issue du procès d'Aix-en-Provence. Par ailleurs, il est vrai que nous aurions peut-être réagi, au sein de cette assemblée, si Monsieur Lavallière avait agressé une femme plutôt que volé un téléphone, mais c'est loin d'être le cas partout. Nos dossiers regorgent de témoignages de viols commis lors de soirées ou en discothèque, sans que personne ne réagisse, révélant les stéréotypes sexistes qui persistent.
Proposer comme solution l'explication des classements sans suite sans modifier la loi manque d'ambition féministe dans le cadre de la lutte pour les femmes. Notre objectif n'est pas simplement d'expliquer ces classements. En général, nous anticipons déjà ce risque auprès de nos clientes, les informant des probabilités en fonction des éléments du dossier. Souvent, ces femmes portent plainte malgré le risque judiciaire, pour signaler les faits, pour les victimes futures et pour contribuer à d'éventuelles plaintes ultérieures. En effet, contrairement aux idées reçues, un violeur n'est souvent pas celui d'une seule personne ou d'une seule fois. C'était pourtant la défense des parties civiles hier lors du procès de Mazan.
Nous n'avons jamais affirmé que la justice ne se résumait pas à « je te crois ». C'est une posture féministe qui consiste à ne pas présumer du mensonge d'une victime, sauf en cas de récit manifestement incohérent.
Évidemment, nous n'abandonnons pas l'élément intentionnel. C'est un principe fondamental du droit pénal. Cependant, la mauvaise application des textes empêche souvent l'engagement des poursuites. Fréquemment, face au récit de la victime et à celui de l'agresseur prétendant « avoir cru que » ou « ne pas avoir su », les poursuites sont abandonnées.
Le procès Pelicot est particulier, impliquant de multiples agresseurs avec un mode opératoire particulier et des preuves accablantes, balayant immédiatement le fameux argument « j'ai cru que ». Pourtant, dans la majorité des cas, celui-ci suffit à stopper les poursuites. On ne va pas investiguer auprès de la mère, des confidentes, des compagnes de Monsieur. On n'en a pas suffisamment le temps durant la garde à vue. On finit par classer l'affaire sans suite, parce que rien n'est évident dans le dossier. On va d'autant moins l'approfondir que le texte ne nous y convie pas, parce qu'il ne détaille pas ou ne précise pas un certain nombre de situations de contrainte. Il ne permet pas de caractériser la relation entre la victime et l'agresseur. Ces lacunes doivent être comblées.
Contrairement à ce qui est affirmé, nous scrutons constamment le comportement de la victime, que ce soit pendant l'enquête, l'instruction ou le procès. Les expertises psychologiques, bien que non obligatoires pour les victimes, visent à évaluer leur crédibilité, notamment concernant l'absence de consentement. Il est temps de s'attaquer à cette réalité et de définir le consentement de manière féministe, plutôt que de le laisser dans un flou propice aux interprétations aléatoires.
En effet, le texte ne devrait pas être trop long. Dans le même temps, la clarté des termes employés et l'efficacité des outils fournis par le texte, pour protéger les femmes doivent primer.
De plus, malgré les affirmations contraires, l'analyse des relations de pouvoir n'est pas toujours exempte de sexisme dans la jurisprudence. Deux arrêts récents de la Cour de cassation sur des affaires similaires de violences conjugales aboutissent à des conclusions divergentes : l'un reconnaît l'absence de marge de manoeuvre de la victime pour s'opposer à l'acte sexuel dans un contexte de violences conjugales, tandis que l'autre interprète les relations sexuelles comme un mode de résolution des conflits de la part de la victime et du mis en cause.
L'affaire du « 36 quai des Orfèvres » illustre également ces incohérences. En appel, l'état d'ébriété avancé de la victime n'est plus considéré comme un critère d'incapacité à consentir, et les divergences dans les récits des hommes ne sont plus prises en compte. En revanche, la vie sexuelle et les fréquentations de la victime sont scrutées, en contradiction avec les recommandations de la CEDH. La victime est soudainement devenue un élément crucial du procès. C'est d'autant plus frappant quand on apprend que le juge d'instruction a été chargé d'enquêter sur la vie privée de la victime, y compris sur ses habitudes sexuelles, jusqu'au Canada.
Notre démarche vise à lutter contre ces aléas en clarifiant les textes sur lesquels s'appuient les décisions de justice. Nous souhaitons inscrire une définition du consentement et de la contrainte qui protège efficacement les femmes, les enfants et plus largement toutes les victimes, y compris les hommes. Nous avons pour objectif d'établir une définition du viol qui ne se limite pas à la question du consentement, mais qui prenne en compte la réalité vécue par les victimes, souvent sidérées et prises dans des relations de domination avec leur agresseur.
Par ailleurs, il est crucial de prendre en compte le contexte et les circonstances coercitives qui pèsent sur ces femmes, à titre personnel et en s'adossant à une analyse structurelle des violences. Celles-ci sont causées par le sexisme, comme l'a démontré de manière flagrante le procès de Mazan, où des conceptions choquantes de la sexualité envers les femmes ont été exprimées.
Il existe des exemples de jurisprudence audacieuse, notamment à la cour d'appel de Poitiers, concernant le contrôle coercitif. Ces initiatives examinent précisément les circonstances tout en considérant l'aspect structurel des violences. Il serait pertinent de codifier ces approches dans la loi.
Je vous recommande également la lecture d'un récent rapport remis au Gouvernement sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d'autorité ou de pouvoir. Il replace la question du viol dans une analyse structurelle des inégalités femmes-hommes, alimentées par les stéréotypes sexistes. Cet aspect est crucial pour comprendre comment ces derniers structurent la conception de la sexualité de l'accusé et détermine sa relation avec la victime.
Nous relevons un manque flagrant de formation sur ces sujets, tant pour les enquêteurs que pour les magistrats. Je pense que la société est prête à aborder ces questions : nos enfants parlent déjà de consentement et ont besoin que nous, adultes, leur fournissions des outils et validions certains concepts dans la loi. Un sondage Ifop de novembre 2023 montre que les citoyens souhaitent une définition plus précise du consentement. Notre objectif n'est pas de prétendre que la loi est parfaite, mais de sortir du statu quo et d'élaborer une législation progressiste. Voilà le but de notre action.
Ensuite, j'entends souvent que le consentement est une notion subjective et délicate. Cependant, cette affirmation ne nous fait pas avancer. Il est important de distinguer le champ de la sexualité, où le consentement peut effectivement être subjectif, du champ des violences, où nous nous intéressons aux manifestations objectivables du consentement.
Dans le domaine des violences, nous devons nous concentrer sur les expressions du consentement et sur le contexte, notamment les circonstances coercitives. En définissant dans la loi que le consentement doit être conscient, exprès, explicite, continu et porter sur les conditions de l'interaction sexuelle, nous objectivons cette notion. Ainsi, sans bâillonner la défense, il ne sera plus possible de se satisfaire de propos tels que « je croyais que » ou « je n'étais pas en mesure de savoir » pour classer sans suite ou acquitter.
Je ne partage pas l'avis de ma consoeur Laure Heinich concernant l'adaptation des agresseurs. Ils pourraient prétendre que la victime était consentante, voire qu'elle a explicitement exprimé son accord à plusieurs reprises. Cependant, dès lors qu'on développe un discours, on s'expose à des fragilités et des contradictions. Avec d'autres éléments du dossier, comme des confidences ou des SMS, il sera davantage possible de confronter cette défense, la victime aura pu confier qu'elle n'a pas été en mesure bouger, qu'elle était sidérée, qu'elle s'en veut de n'avoir pas réagi, qu'elle se sent coupable de ne pas avoir fui la situation. Ces éléments qui contredisent la défense permettront au juge de forger sa conviction. Ainsi, l'argument selon lequel les agresseurs pourront s'adapter est fallacieux. Mieux définir le consentement c'est au contraire contribuer à ce que leur défense soit davantage interrogée.
La définition positive du consentement englobe les situations où la victime n'a pas pu réagir, que ce soit par sidération, sommeil ou silence. Nous constatons encore des décisions aléatoires dans ces cas. Des hommes n'ont pas été condamnés alors que la victime dormait ou était à moitié éveillée, qu'elle était sous l'influence de l'alcool, etc. Tout ce qui ne relève pas d'un consentement exprès, par la parole ou par les actes, pourrait être pris en charge par cette définition. Pour autant, celle-ci ne suffit pas, car il faut également examiner ce qu'est un consentement libre et ce qui le rend contraint.
Notre approche est pragmatique. Nous analysons les dossiers où la victime n'a rien pu dire, ceux où elle a dit non sans être entendue, et les situations où un accord a été extorqué. Ce dernier cas concerne les femmes qui ont cédé par peur de perdre leur travail, de briser leur famille, ou en raison d'une dépendance économique ou d'une vulnérabilité particulière, etc. L'exercice d'une autorité morale ou une asymétrie sociale peuvent en effet empêcher de s'opposer.
La « fabrique du consentement », récemment évoquée par une consoeur sur le plateau de Mediapart, implique une autorité morale dans une société patriarcale, où de nombreux facteurs entrent en jeu pour faire céder une victime. Tous ces éléments doivent être examinés.
Certains disent que nous voulons contractualiser les rapports sexuels. Ce n'est pas vrai. Dans les années 1970, le Mouvement de libération des femmes (MLF) affirmait qu'un non est un non. Les Espagnols nous disent que seul un oui est un oui. Nous voulons affirmer qu'un oui est un oui, mais pas à n'importe quelle condition. Un contrat, même signé, ne sera valable que si les conditions de production de cet accord ont été examinées. Il est fondamental que la loi agisse sur ces leviers, notamment ceux liés à l'autorité et à la domination, qui figurent actuellement parmi les circonstances aggravantes et qui devraient être intégrés aux éléments de caractérisation de l'infraction.
Hussein Bourgi. - Je vous remercie. Je laisse enfin la parole à notre dernière intervenante, Madame Alexia Boucherie, doctorante en sociologie au centre Émile Durkheim de l'Université de Bordeaux.
INTERVENTION D'ALEXIA
BOUCHERIE
DOCTORANTE EN SOCIOLOGIE
CENTRE ÉMILE DURKHEIM,
UNIVERSITÉ DE BORDEAUX
Merci à la délégation aux droits des femmes de m'avoir invitée pour présenter mes travaux.
Je suis doctorante en sociologie, je n'ai donc pas grand chose à dire sur le droit. J'étudie le consentement sexuel depuis 2015, en me concentrant sur les relations sexuelles ordinaires qui ne sont pas d'emblée considérées comme problématiques parce qu'aucun élément explicite ne permet de les caractériser comme des viols. Pour autant, beaucoup de ces relations ne sont pas nécessairement désirées. J'examine particulièrement ce que j'ai nommé les « zones grises », caractérisées par une inadéquation entre le consentement exprimé et le désir réel d'avoir une relation sexuelle.
Dans ces situations, l'acte sexuel résulte non pas d'une contrainte externe, mais d'une autocontrainte, qui peut se manifester par une attitude active. Cette violence interne, d'intensité variable, découle de la perception qu'il n'y a pas d'autre choix que d'accepter et de participer, de jouer le jeu. Mon travail vise à comprendre comment cette autocontrainte persiste aujourd'hui, notamment chez les jeunes de 18 à 25 ans, et comment les manifestations externes du consentement ne reflètent pas toujours les motivations internes.
Je n'ai pas de position tranchée sur l'inscription du consentement dans la loi. Lorsque j'entends des éléments en faveur de cet ajout, j'y suis favorable. Quand j'entends des arguments qui s'y opposent, je me dis qu'ils ont raison. Ce débat est passionnant. Je n'ai pas de position arrêtée sur le sujet, mais sur la conception de la liberté individuelle, qui sous-tend celle de la possibilité de consentir.
Je me situe entre un matérialisme strict, qui supposerait que les personnes en situation de domination n'ont aucune marge de manoeuvre et ne pourraient pas consentir, et un universalisme libéral, qui considérerait que chacun est libre et égal, et qu'il suffirait de vouloir pour pouvoir.
Je conçois le consentement comme possible, à condition qu'il soit situé et mesuré en balance des possibilités réelles de refus. Il implique de passer en revue l'ensemble des éléments qui rendent difficile le fait de refuser, afin qu'un consentement puisse être considéré comme libre et volontaire.
Un élément commun aux situations de viol ou de zones grises est l'immobilité et l'isolement dans lesquels se trouvent les personnes, rendant le refus extrêmement coûteux. Pour penser le consentement, il faut pouvoir déterminer l'existence de son inverse, le non consentement. Or, refuser est complexe, particulièrement dans des positions subalternes.
Dès l'enfance, le refus et l'opposition sont généralement mal perçus et découragés par de la sanction, surtout lorsqu'ils menacent un ordre établi, pensé comme légitime. Refuser une relation sexuelle, notamment lorsqu'elle est supposée aller de soi, peut s'apparenter à une menace contre cet ordre, et exposer à des sanctions. Il s'agit là d'un des facteurs principaux permettant de comprendre la difficulté à refuser ou à accepter de se voir opposer un refus.
De manière générale, pour comprendre la dimension sexuelle d'une situation, les individus se réfèrent à des scripts, à un ensemble de normes, de codes et de représentations constituant un imaginaire collectif de la sexualité. Ces scripts, issus de l'historicisation d'une culture hétérosexuelle et patriarcale, définissent des lieux - la chambre à coucher, l'espace festif -, des relations - la conjugalité ou des relations hors mariage - et des comportements genrés associés à la sexualité - un homme aurait toujours envie, un homme devrait réguler ses avances, il faudrait être disponible, mais pas trop, et pas avec n'importe qui. Ces scénarios mettent en scène des situations présentant une potentialité sexuelle légitimée, dont on suppose que tout le monde partage le référentiel.
La présence de multiples éléments conformes à ces scripts crée une attente de finalité sexuelle. Rompre avec cette attente, surtout après avoir participé volontairement à des situations préalables, nécessite des dispositions particulières pour émettre un refus frontal et assumer ses conséquences potentielles, qu'elles soient sociales, conjugales, économiques.
Ainsi, les personnes tentent souvent d'éviter d'avoir à refuser explicitement, cherchant plutôt des éléments externes pour s'extraire de situations où elles se sentent obligées d'accepter une relation sexuelle non désirée.
Permettez-moi d'aborder certains éléments cruciaux qui, selon mes recherches, constituent une liste non exhaustive de points de vigilance complexifiant, voire rendant impossible, le refus.
L'intersection des stéréotypes de race, classe, genre, âge et handicap crée des identités perçues comme plus ou moins dignes de consentement. Cette catégorisation véhicule des croyances de disponibilité sexuelle, entraînant une attention réduite, voire inexistante, à la possibilité d'émettre un refus pour certaines personnes. De même, les individus peuvent avoir intériorisé ces stéréotypes, les amenant à performer l'identité qu'on leur présuppose.
Ces stéréotypes découlent d'une culture du viol scientifiquement documentée, dans laquelle un ensemble de média cultures, pas uniquement pornographiques, participent à la construction de croyances hégémoniques. Selon ces dernières, la sexualité serait un dû, et la séduction une étape de persuasion du bien fondé de ce dû basé sur une supposée alchimie spontanée entre les corps qui s'attireraient sans même avoir à se demander. Modifier ces scripts considérés comme naturels serait perçu comme perturbateur.
Dans cet imaginaire, le violeur est toujours « l'autre », comme l'illustre la défense utilisée lors du procès de Mazan. Le viol est perçu comme extrêmement violent et traumatisant, ce qui permet aux individus de relativiser ce qui a été vécu ou commis et de se distancier des comportements problématiques.
Un élément crucial, souvent négligé, mais prépondérant dans mes recherches, relève du contexte spatio-temporel de la relation sexuelle. Il s'agit d'observer l'ensemble des actions préalablement acceptées ayant conduit les personnes à se retrouver dans un espace d'intimité. Plus cet espace est connoté comme sexuel et isolé et plus les actes s'enchaînent rapidement, plus les possibilités de refus sont limitées. Cette difficulté provient non seulement de l'idée qu'une fois engagé, on ne peut plus reculer, mais aussi de contraintes matérielles : la proximité des corps, presque entravés, ne permet pas la distance nécessaire pour réfléchir à la situation en cours, conduisant à poursuivre mécaniquement le script.
Le paradigme de l'autonomie relationnelle, par opposition à la simple autonomie libérale, est crucial dans le débat juridique sur la qualification de l'intention de viol. Il s'agirait de statuer sur la présence ou non de facilitateurs de refus. Dans le cadre d'une relation sexuelle consentie, il est essentiel de s'assurer que l'autre personne puisse refuser, en abandonnant l'idée d'un libre arbitre aisément exerçable.
La vérification du consentement ne peut se réduire à un énoncé performatif entre deux individus ou à un caractère enthousiaste. Il convient de prendre en compte le degré d'autonomie dont dispose une personne, en considérant l'aménagement de l'environnement permettant l'exercice de cette autonomie. Ainsi, l'importance normative de l'expression d'un « oui » explicite cède la place au contexte qui, en rendant possible le refus, permet diverses expressions du consentement.
Je vous recommande vivement de consulter les travaux des sociologues sur ce sujet, car ils pourraient apporter un éclairage pertinent à ces débats.
Hussein Bourgi. - Je remercie vivement Mme Boucherie ainsi que chacun des intervenants pour leurs contributions passionnées et engagées. Merci, Madame la Présidente, Dominique Vérien, de m'avoir confié l'animation de cette table ronde. Je vous cède à présent la parole. Nous allons libérer nos sièges afin de permettre à nos collègues députées de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale de prendre place à la tribune.
Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup à tous nos intervenantes et intervenants pour ces débats passionnés. J'invite désormais nos collègues députées Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, respectivement présidente et vice-présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, à nous rejoindre, afin de clôturer ce colloque par une présentation des travaux qu'elles ont menés en tant que rapporteures d'une mission d'information sur la définition pénale du viol. J'espère qu'elles nous mettront toutes et tous d'accord.
Clôture du
colloque
Véronique Riotton, députée de la
Haute-Savoie, présidente,
et Marie-Christine Garin,
députée du Rhône, vice-présidente,
de la
délégation aux droits des femmes de l'Assemblée
nationale
Rapporteures de la mission d'information
sur la
définition pénale du viol
Véronique Riotton. - Merci infiniment, Madame la Présidente, chère Dominique. C'est un honneur de participer à cette matinée dont les échanges se sont révélés particulièrement enrichissants. Ces discussions complètent parfaitement nos travaux en cours. Je ne sais si l'on attend de nous des conclusions définitives à ce stade, mais nous avons aujourd'hui l'occasion de clore cette séance matinale en partageant un constat commun. Dans le cadre de la mission confiée à Marie-Charlotte Garin et à moi-même, il nous semble essentiel de dégager des orientations claires, en vue de formuler ultérieurement une proposition de loi. Cependant, nous ne souhaitons en aucun cas figer nos conclusions dans un rapport prématuré. Il nous semble essentiel d'accorder du temps à l'élaboration approfondie et au travail parlementaire.
Vous le savez, cette mission d'information a débuté en décembre 2023. Après un an de travaux, nous avons procédé à de nombreuses auditions de juristes, avocats, magistrats, associations accompagnant les victimes, et bien d'autres encore. Dès les premières étapes, nous nous sommes interrogées sur la nécessité de modifier la définition pénale du viol. Aujourd'hui, quelle que soit notre appartenance politique, nous partageons la conviction que cette révision est indispensable.
Mais pourquoi cette redéfinition s'impose-t-elle ?
Le constat partagé ce matin est clair, la réalité du viol et des agressions sexuelles est désormais mieux comprise et plus largement reconnue, en partie grâce au mouvement #MeToo, aux avancées de la recherche, à la mobilisation de la société civile, des professionnels et des organisations féministes. Il faut rappeler que le viol est un crime de masse, profondément enraciné dans une culture du viol nourrie par des préjugés anciens, très ancrés dans notre société. Les conséquences pour les victimes sont dévastatrices et le coût pour la société, immense.
Bien que de réels progrès aient été réalisés, notamment en matière de formation des professionnels et d'accompagnement des victimes, ces efforts demeurent insuffisants.
La jurisprudence s'est enrichie et l'arsenal juridique a été renforcé ces dernières années, avec une aggravation des peines et un allongement des délais de prescription. Cependant, ces avancées n'ont pas eu pour effet de faire reculer la criminalité sexuelle, de protéger efficacement les victimes ou de réduire l'emprise de la culture du viol. Les données statistiques sont édifiantes : entre 2011 et 2018, les enquêtes du ministère de l'intérieur estiment que, parmi les 18-75 ans, plus de 230 000 personnes subissent chaque année des violences sexuelles. Certaines études vont jusqu'à évoquer un chiffre de près de 500 000 victimes annuelles. Pourtant, 80 % d'entre elles ne signalent pas les faits aux autorités. Parmi elles, trois sur quatre renoncent à le faire, estimant que cela serait vain ou qu'une autre solution serait préférable. Même celles qui se présentent dans un commissariat ne déposent pas plainte dans quatre cas sur dix. Lorsque des plaintes sont effectivement déposées, près de 70 % d'entre elles sont classées sans suite, comme nous l'avons encore constaté ce matin.
Pour le dire simplement, la justice ne traite actuellement que la partie émergée de l'iceberg. Seuls 1 à 2 % des viols donnent lieu à une condamnation aux Assises, ce qui signifie que, dans près de 99 % des cas, ce crime reste impuni. Aucun autre crime ou délit ne présente un taux de sanction aussi faible.
Par ailleurs, les situations d'emprise, de sidération ou de vulnérabilité des victimes sont insuffisamment prises en compte, ce qui constitue un frein majeur à l'engagement des poursuites. Cette réalité alimente un sentiment persistant d'impunité ainsi qu'un sentiment légitime d'abandon chez les victimes. Cela pose, en toute logique, la question de la définition pénale du viol.
Il est inacceptable de supposer que huit femmes sur dix mentiraient en portant de telles accusations. De même, il est intolérable que le risque, pour un auteur de viol, d'être condamné soit réduit à 1 ou 2 %. Si cette situation découle en partie d'un manque de moyens, elle relève également d'une définition légale insuffisante.
En l'état actuel, le droit pénal échoue à remplir ses trois fonctions essentielles : réprimer les crimes, protéger les victimes et exprimer les valeurs fondamentales de la société. La définition actuelle du viol résulte d'une histoire juridique où la jurisprudence et les évolutions sociétales ont toujours précédé les réformes législatives. Nous nous trouvons précisément à cette étape charnière de ce processus.
Bien que riche, la jurisprudence actuelle est incapable de pallier les lacunes de la loi, notamment sur la notion de consentement. Celle-ci, pourtant omniprésente dans les débats publics - qu'il s'agisse des procès, de l'éducation à la sexualité ou des discussions médiatiques, notamment depuis le mouvement #MeToo -, reste absente du texte légal.
Nous sommes parvenues à la conclusion que, dans le cas des violences sexuelles, le droit pénal échoue actuellement à remplir ses trois grandes fonctions : répression, protection et expression. Dans la définition actuelle du viol, si un juge ne parvient pas à démontrer l'usage de la violence, de la contrainte, de la menace, de la surprise, ou l'intentionnalité, il prive sa décision de base légale. Cette approche repose sur l'idée implicite qu'une victime doit prouver son non-consentement. Une telle définition perpétue la distinction entre les « bonnes » victimes, qui se débattent, et les autres, dont le silence est interprété comme un consentement.
De ce fait, elle exclut les cas majoritaires de sidération traumatique ou de vulnérabilité, ainsi que les stratégies délibérées des agresseurs. Elle conduit également à des décisions judiciaires aberrantes, comme celles évoquées plus tôt, et entretient un climat d'impunité. Les affaires de viol sont, dans leur grande majorité, classées sans suite pour insuffisance de preuves, bien que l'auteur soit souvent connu et identifié.
Contrairement aux violences conjugales, qui bénéficient d'une répression accrue depuis 2017, les violences sexuelles continuent de faire l'objet d'un nombre croissant de classements sans suite. Ce taux de condamnation extrêmement faible dissuade les victimes de porter plainte.
De plus, le droit pénal échoue également dans sa fonction protectrice. Les victimes ne bénéficient pas d'une protection suffisante et subissent, dans bien des cas, un traumatisme secondaire lorsqu'elles ont le courage de porter plainte. Les interrogatoires et les investigations se concentrent encore trop souvent sur la victime, dans le but de démontrer l'intentionnalité de l'acte et la preuve de la coercition. Il n'est pas rare d'entendre des magistrats ou des avocats expliquer qu'une condamnation du présumé coupable est impossible parce que la victime était endormie, inconsciente, qu'elle ne s'est pas débattue, qu'elle était en situation de vulnérabilité économique ou encore qu'elle était en situation de handicap. Une telle approche revient non seulement à revictimiser les personnes concernées, les contraignant à revivre leur traumatisme lors de leur dépôt de plainte, mais aussi à faire de leur vulnérabilité un facteur en leur défaveur. Une telle situation est profondément inacceptable.
Enfin, la loi pénale ne remplit pas sa fonction expressive. Plus de dix ans après le mouvement #MeToo et face aux attentes sociétales, le droit ne devrait-il pas énoncer clairement les comportements normalement diligents attendus dans le cadre d'une relation sexuelle consentie ? La rédaction actuelle des textes contribue au maintien d'un malentendu sociétal sur des notions fondamentales, celle de la « bonne » victime, celle du « vrai » viol et celle d'une présomption de consentement ou de disponibilité sexuelle des victimes.
Pourtant, nulle personne initiant un contact sexuel ne devrait être dispensée de s'assurer du consentement libre et éclairé de l'autre. Le consentement doit garantir à chaque individu la liberté de choix, et ce, à chaque instant du contact sexuel.
Certes, il ne faut pas être naïf : une modification législative à elle seule ne suffira pas à résoudre l'ensemble des problématiques rencontrées par les victimes de viol, lesquelles sont profondément multifactorielles. Le viol est un crime systémique, enraciné dans des rapports de genre inégalitaires et alimenté par une culture du viol qu'il est essentiel de réfuter et de combattre.
Par ailleurs, des obstacles matériels subsisteront. Le viol, en tant que crime relevant de l'intime, complique considérablement l'administration de la preuve. La honte, le silence et le passage du temps jouent trop souvent contre les victimes.
Enfin, les moyens alloués aux services de l'État - qu'il s'agisse de la police, de la justice ou des dispositifs d'accompagnement des victimes - restent insuffisants et devront être considérablement renforcés. Nous l'avons rappelé à la ministre chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, nous l'avons inscrit dans le rapport de la délégation sur le projet de loi de finances et nous avons déposé des amendements en ce sens. Nous continuerons à nous battre pour obtenir ces améliorations nécessaires.
Cependant, au-delà de ces enjeux matériels, le dispositif législatif actuel constitue un obstacle majeur à l'aboutissement des poursuites en matière d'agressions sexuelles. Il nous incombe, en tant que responsables politiques, d'être à la hauteur du courage des victimes et de modifier la loi en conséquence.
Marie-Charlotte Garin. - Merci, Madame la Présidente, pour l'organisation de ce colloque passionnant, ainsi qu'à l'ensemble des intervenants et intervenantes pour leurs contributions riches et d'une grande qualité ce matin. Je tiens également à souligner l'importance de la collaboration entre nos délégations respectives, qui travaillent de manière harmonieuse et constructive.
Permettez-moi de commencer par rappeler l'impact du mouvement #MeToo, qui a constitué un bouleversement majeur dans notre société. Malgré cela, force est de constater qu'aucune réforme législative d'envergure n'a suivi ce bouleversement. Aucun changement significatif n'a été engagé à la hauteur de ce que ce mouvement a représenté pour la société. Il a mis en lumière l'ampleur des violences sexuelles. Les victimes parlaient déjà, mais ce mouvement a permis de faire entendre leurs voix collectivement, leur donnant davantage de légitimité. Grâce à ce contexte, certaines ont trouvé le courage de continuer à témoigner ou à porter plainte.
Cependant, une question demeure : sont-elles vraiment entendues aujourd'hui ? Depuis #MeToo, quelques évolutions se sont produites, mais elles restent marginales, en tout cas sur le plan législatif. En matière de justice, les défaillances dans la réponse aux violences sexistes et sexuelles sont régulièrement dénoncées. Nous pensons notamment à la difficulté de déposer plainte, aux processus de re-victimisation que les victimes subissent parfois lors des procès, au nombre inexplicable de classements sans suite ou encore à l'insuffisance criante d'accompagnement pour ces victimes.
La prévention reste également indigente. Le chantier pour améliorer la prise en charge des violences sexuelles et sexistes au sein de notre système judiciaire est immense, mais les moyens dédiés à cet objectif demeurent largement insuffisants. Ce constat, je crois, est partagé par toutes et tous ici.
Bien que des efforts partiels aient été consacrés à la prévention, ils restent manifestement insuffisants. Nous avons notamment évoqué la question de l'éducation à la vie affective et sexuelle, enjeu central de prévention. C'est une bataille essentielle qui nous tient à coeur, mais nous constatons aujourd'hui que des limites sont atteintes, dans un contexte d'actions manifestement trop restreintes.
Changer la loi apparaît dès lors comme un premier pas indispensable pour avancer et amorcer un changement de paradigme, un changement qui, selon nous, est aujourd'hui nécessaire. Cela a été largement rappelé ce matin, notamment en ce qui concerne le droit européen et international.
Véronique Riotton soulignait que le droit pénal échoue actuellement à remplir ses trois fonctions fondamentales : répressive, expressive et protectrice. Cet échec nous amène à interroger la définition actuelle du viol. Sur le plan international, la situation est paradoxale. Le Gouvernement revendique une diplomatie féministe reconnue comme telle par plusieurs de nos partenaires dans les enceintes multilatérales. Cependant, il est évident que nous n'avons pas pleinement honoré nos engagements internationaux, notamment dans le cadre de la Convention d'Istanbul.
Dès 2019, le Grevio a souligné que, en France, la définition juridique des infractions sexuelles n'est pas fondée de manière explicite sur le consentement libre et non équivoque de la victime. Plus encore, il relève que la France aujourd'hui, qui ne s'aligne pas sur la définition de la Convention d'Istanbul, pallie les insuffisances mises en évidence lors de son évaluation. Ces insuffisances concernent, d'une part, une forte insécurité juridique générée par les interprétations fluctuantes des éléments constitutifs du viol - à savoir la violence, la contrainte, la menace et la surprise - et, d'autre part, l'incapacité des éléments probatoires actuels à couvrir la situation de toutes les victimes non consentantes, notamment celles en état de sidération. Par ailleurs, il met en lumière les insuffisances du traitement judiciaire des violences sexuelles.
Ces faiblesses s'inscrivent dans un problème systémique plus large que la seule définition du viol. Toutefois, le Grevio relève que la faiblesse du taux de condamnation est aussi liée à un phénomène particulièrement marqué dans les cas de viols où la force n'a pas été utilisée, ainsi que dans les viols conjugaux, les viols sur des personnes en situation de handicap ou encore les viols incestueux à caractère paternel.
En novembre 2023, lors des discussions au niveau européen sur la directive visant à proposer une définition communautaire du viol, deux points de désaccord ont émergé. Le gouvernement français a notamment exprimé des réserves sur les compétences de l'Union européenne en la matière, estimant que le sujet relevait d'une compétence nationale. Par ailleurs, des divergences conceptuelles ont été soulevées, portant sur la définition même du crime de viol : entre une approche fondée exclusivement sur le non-consentement de la victime, comme c'est le cas aujourd'hui en droit pénal français, et une approche centrée sur les faits matériels.
À ce jour, quinze des vingt-sept pays de l'Union européenne ont adopté une définition du viol reposant sur l'absence de consentement. Dans le cadre de la stratégie internationale que la France s'apprête à dévoiler et alors qu'elle accueillera en juillet une importante conférence internationale sur la diplomatie féministe, il est évident que celle-ci sera attendue sur sa capacité à se conformer pleinement au droit international. Pour ce faire, elle devra non seulement modifier son code pénal, mais aussi mettre en place des moyens substantiels pour améliorer la prise en charge des victimes.
Au terme de plus d'un an de travaux, la solution que nous souhaitons proposer vise à mieux protéger les victimes, à renforcer la répression, mais aussi à affirmer clairement que la frontière entre un viol et un acte sexuel réside dans le consentement. Il est essentiel de rappeler que sans consentement, il ne s'agit pas de sexualité mais d'un rapport de domination, d'une violence exercée par une personne sur une autre. Ainsi, le consentement constitue la ligne de démarcation fondamentale entre les deux.
Dans cet esprit, nous tenons également à respecter les grands principes du droit. Le Président de la République et le garde des sceaux se sont déjà prononcés en faveur de cette orientation. Par ailleurs, l'actualité récente a contribué à faire du consentement un enjeu central du débat public. Nous avons la chance d'avoir entamé nos travaux bien en amont de cette médiatisation, ce qui nous permet de travailler avec un recul nécessaire, à l'abri des pressions médiatiques, et de mener notre réflexion de manière prudente et approfondie.
L'un des grands axes guidant notre travail relève de l'introduction explicite de la notion de consentement dans la définition juridique du viol, inscrite dans le code pénal. Nous avons acquis une conviction ferme quant à la nécessité de cette évolution, tout en restant vigilants face aux écueils potentiels liés à cette notion.
Nous ne défendons pas une conception libérale du consentement qui pourrait légitimer certains cas problématiques. Par exemple, une contractualisation ou une interprétation systématique du « oui » comme un consentement clair et inconditionnel s'accompagnent de risques que nous devons absolument éviter. Nous devons définir précisément les contours de cette notion pour en expliciter les fondements et prévenir toute dérive.
Nous souhaitons par ailleurs maintenir les éléments constitutifs de la définition actuelle du viol. Dès le début de nos travaux, il est apparu comme une évidence qu'il était hors de question de remplacer les critères de violence, de contrainte, de menace et de surprise. Ces éléments, ancrés dans notre jurisprudence, constituent des acquis essentiels. Notre démarche ne vise nullement à fragiliser les droits des victimes, qu'elles soient celles d'hier, d'aujourd'hui ou de demain, au contraire. Notre objectif est d'élargir le cadre juridique, sans pour autant effacer ou invisibiliser ces critères, qui permettent également de caractériser la stratégie adoptée par l'agresseur au moment des faits.
Nous souhaitons aussi préciser la manière dont le non-consentement doit être apprécié, en prenant en compte les circonstances environnantes. Il s'agit ici d'un changement de paradigme. Actuellement, la défense des accusés repose souvent sur l'absence d'intentionnalité. Nous proposons d'orienter les enquêtes et les jugements vers une investigation plus approfondie des comportements de l'auteur présumé. Par exemple, quelles mesures raisonnables cette personne a-t-elle prises pour s'assurer du consentement de la victime ? Cela suppose une enquête qui examine non seulement les moyens mis en oeuvre pour obtenir un consentement éclairé, mais également le mode opératoire de l'auteur présumé. Une telle approche permettrait de renforcer la qualité des investigations, là où de nombreuses affaires sont aujourd'hui closes trop rapidement, dès le stade de l'enquête.
Un quatrième point fondamental concerne la clarification des cas où le consentement ne peut pas être déduit. Par exemple, le simple silence ou l'absence de résistance de la victime ne peuvent en aucun cas être interprétés comme une forme de consentement. Nous insistons sur la prise en compte des situations de sidération, qui concernent près de 70 % des cas de viol, où la victime est dans l'incapacité d'exprimer son refus. De même, il est essentiel d'apprécier la vulnérabilité des victimes dans ces contextes.
Nous sommes conscientes que cette réforme doit s'inscrire dans le respect des grands principes de notre droit. Nous veillons également à ce que les affaires en cours ne soient pas affectées par les modifications législatives envisagées. Notre rédaction n'est pas encore finalisée, mais elle repose sur des principes solides. Nous avançons avec prudence et minutie, convaincues qu'une réforme d'une telle ampleur nécessite du temps et un travail approfondi. Je rappelle que la réforme suédoise a demandé deux ans d'élaboration.
Nous avons pour ambition de mener un travail précis, exempt de toute opportunité politique, avec le souci constant d'offrir la meilleure solution possible aux professionnels du droit, aux victimes et à la société dans son ensemble. Il est primordial que cette réforme ait aussi une valeur pédagogique et éducative.
Nous sommes lucides, cette réforme ne sera ni une solution miracle ni la fin de toutes les violences sexistes et sexuelles. Elle représente, selon nous, une première étape dans un processus long et complexe. Chacun, à son niveau, doit continuer à agir pour bâtir une société plus juste et égalitaire. Nous aspirons à une société où les rapports entre femmes et hommes ne seraient plus marqués par la violence, et où celle-ci, en particulier lorsqu'elle est de nature sexiste et sexuelle, serait fortement réduite, voire inexistante.
Nous savons que cela ne suffira pas. Nous relevons un besoin criant de moyens supplémentaires, notamment pour la justice, mais aussi pour les services de santé, les associations qui oeuvrent dans le domaine de la prévention, ainsi que pour l'éducation à la vie affective et sexuelle. Ce besoin transversal est partagé par toute la société.
Je conclurais mon propos en mentionnant une coalition de nombreuses associations qui vient de présenter 140 propositions concrètes à la presse pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Nous appelons le Gouvernement à se saisir des travaux que nous allons finir de mener, mais aussi des travaux conduits par les associations, pour enfin assurer une réelle prise en charge de la question de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, à la hauteur des enjeux.
Je vous remercie.
Dominique Vérien, présidente. - Merci beaucoup pour cette excellente conclusion. Cette table ronde est née du constat selon lequel la situation actuelle est insatisfaisante. Les chiffres de pénalisation du viol restent dramatiquement bas. Ce crime, bien qu'extrêmement grave, demeure l'un des plus faciles à commettre et largement impuni. Cependant, nous sommes également conscients que tout ne se résoudra pas par des modifications législatives.
La prévention, la formation de tous les acteurs concernés, ainsi que la lutte contre l'accès des mineurs à la pornographie - un sujet prioritaire pour notre délégation -, constituent des éléments clés pour combattre efficacement cette culture du viol qui, malheureusement, semble encore se développer. Ces échanges avaient pour but d'alimenter la réflexion.
Modifier la loi constitue un enjeu central, notamment en réponse aux sollicitations et obligations internationales qui nous pressent d'intégrer explicitement la notion de consentement. Mais la question demeure : cette réforme doit-elle être uniquement symbolique, ou peut-elle véritablement améliorer l'efficacité de notre système judiciaire ? Notre objectif est clair : travailler dans le sens d'une plus grande efficacité. Nous ne pourrons le faire qu'à travers un travail collectif, transpartisan, non seulement entre les différentes sensibilités politiques, mais aussi grâce à une collaboration étroite entre nos deux assemblées.
Je tiens à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à ces tables rondes et aux débats organisés par la délégation aux droits des femmes. Merci également à toutes celles et tous ceux et qui sont restés jusqu'à la fin, jeunes étudiantes de Sciences Po, journalistes, ou parlementaires.
Merci également à tous les intervenants pour la richesse de leurs contributions, quelles qu'elles soient. Vos réflexions nourriront les débats à venir et permettront d'avancer sur ce sujet crucial.
Enfin, poursuivons ce travail ensemble, avec détermination, toujours dans un esprit de collaboration transpartisane.
ANNEXES
LA DÉFINITION DU VIOL DANS LES ÉTATS
MEMBRES
DE L'UNION EUROPÉENNE
En janvier 2024, le Service de recherche du Parlement européen a publié une étude1(*) (Definitions of rape in the legislation of EU Member States), présentant les différentes définitions du viol retenues dans les législations des États membres de l'Union européenne. À titre préliminaire, il convient de rappeler que six États membres de l'UE (Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie et République tchèque), ne sont pas parties à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul).
La majorité des États européens a adopté dans son corpus juridique une définition du viol assise sur la notion de consentement. L'acte de viol, illégal au sein de tous les États, est établi en l'absence de consentement de la victime (Croatie, Danemark, Chypre, Estonie, Finlande, Irlande, Grèce, Luxembourg, Malte, Slovénie, Allemagne, Espagne, Lituanie, Suède, Bulgarie). Le consentement est ainsi compris comme devant être donné librement, sans être déduit de la seule absence de résistance de la victime.
Toutefois, les critères encadrant la notion de consentement varient. En effet, si certains États conçoivent le consentement comme comprenant une manifestation de volonté extérieure, libre et non ambiguë, et devant être clairement perceptible (Slovénie, Suède, Malte), certains États vont encore plus loin, et incluent l'état émotionnel et psychologique de la victime (Malte) dans la recherche du consentement. Certains pays accordent une attention particulière à la question de savoir si le caractère volontaire a été exprimé par la parole, par les actes (Espagne) ou d'une autre manière (Suède), exprimant clairement la volonté de la personne.
A contrario, certains États ne font aucune mention du consentement ou de la volonté de la victime dans la définition légale du viol (France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Roumanie, Hongrie).
Le viol est défini par des critères variables selon les pays, conduisant ainsi à des définitions divergentes de l'acte de viol au sein de l'UE. Certains États le caractérisent comme impliquant nécessairement une pénétration (Chypre, Malte, Luxembourg, Espagne, Allemagne) et adoptent une définition stricte du viol, tandis que d'autres qualifient légalement le viol comme une agression quelle que soit la nature de l'acte sexuel (attouchement) et les moyens, renvoyant à une conception large du viol (Belgique, Croatie, Luxembourg, Portugal) comme tout acte sexuel ou équivalent sans le consentement de la victime (Croatie). Puis, d'autres États considèrent comme un viol, tout fait consistant à accomplir ou faire accomplir, contre la volonté apparente d'une personne des actes sexuels, ou à tolérer des actes sexuels sur ou par une tierce personne (Allemagne). Enfin, certaines législations qualifient tout acte de violence sexuelle comme un viol (Belgique).
Différents qualificatifs sont retenus dans la législation des États européens, pour dénommer le viol. Si certains États désignent le viol comme un rapport « charnel » (Malte, Espagne), d'autres le définissent comme « une agression », un « acte grave », ou une « agression sexuelle particulièrement dégradante » (Allemagne).
Certains États considèrent le viol comme un acte commis nécessairement par un homme (Irlande, Bulgarie) sur une femme (Slovaquie, Bulgarie, Irlande).
Enfin, de nombreux États définissent le viol comme un acte commis exclusivement sur la base de la force et de la violence. Pour certains, le viol comprend le recours à la violence ou la menace de violence (République tchèque, Slovaquie, Hongrie, Bulgarie, Luxembourg), l'usage de la force (Bulgarie, Lituanie, Lettonie, Hongrie), ou autres dommages graves. De surcroît, abuser de l'absence de défense et de l'état d'impuissance d'une personne est considéré comme un viol (Lituanie, Lettonie, Slovaquie, Bulgarie), en ce que la victime est privée de toute possibilité de résistance. Ces États ne prennent pas en considération le degré de violence, tout acte incluant la menace et la violence emporte la qualification de viol. A contrario, certains pays font dépendre la reconnaissance du viol en fonction de la gravité de la violence physique ou de la menace utilisée, ou du degré d'impuissance de la victime (Pologne), variable selon les cas. Certains États exigent quant à eux la preuve de la contrainte nécessaire (Pays-Bas).
D'autres États évoquent également le vice de consentement, c'est-à-dire qu'il y a viol, si le consentement a été obtenu de manière biaisée, sous la force, la menace ou la peur (Chypre) ou contre une personne ne comprenant pas la situation (Estonie).
Enfin, si certains États ne font aucune distinction entre le viol avec et sans violence, d'autres reconnaissent cette distinction (Portugal). Parmi ces États, certains États dissocient le viol, comme acte sexuel sans le consentement de la victime, de la contrainte sexuelle (Grèce), de l'agression sexuelle aggravée (Allemagne, Espagne), ou encore de l'autodétermination sexuelle (Autriche), qui ne conserve pas un élément de force. Certains États apportent un autre degré de nuance entre différentes déclinaisons du viol, comme le viol par négligence (Suède) commis par négligence grave au regard de la circonstance que l'autre personne ne participe pas volontairement.
Tableau 1 : Situation législative dans les États membres de l'Union européenne parties à la Convention d'Istanbul
Source : Service de recherche du Parlement européen, à partir des informations du Grevio. Le Grevio (Groupe d'experts sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique) est un organe indépendant de suivi des droits de l'homme chargé de surveiller la mise en oeuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (Convention d'Istanbul).
État membre |
Législation nationale :
définition du viol |
Peine (durée d'emprison nement) |
Commentaires ou recommandations |
Année de réforme |
Autriche |
Violation de l'auto-détermination sexuelle (distinct du viol) : « s'engager dans un rapport sexuel ou un acte sexuel équivalent avec une personne contre leur gré... » ( art. 205a du Strafgesetzbuch). Le viol conserve un élément de force ( art. 201 du Strafgesetzbuch). |
Jusqu'à 2 ans |
L'Autriche était l'une des premières parties [du Conseil de l'Europe] à adapter son code pénal aux dispositions de la Convention d'Istanbul art. 36 ( GREVIO BER*, 2017). |
2015 |
Belgique |
Viol : tout acte de pénétration sexuelle, peu importe sa nature et par tous les moyens, commis à une personne non consentante ( art. 417/11 du code pénal). Le consentement : le consentement doit être donné « librement ». « Cela doit être évalué à la lumière des circonstances de l'affaire. Le consentement ne peut être déduit de la simple absence de résistance de la victime. Le consentement peut être retiré à tout moment avant ou pendant l'acte sexuel » |
10-15 ans |
Le Grevio félicite la Belgique pour sa définition de la violence sexuelle, qui s'appuie sur le manque de consentement de la victime, conformément à l'article 36 de la Convention d'Istanbul ( GREVIO BER, 2023). |
1989 2022 |
Croatie |
Viol : rapport sexuel ou acte équivalent avec une autre personne sans son consentement ( art. 153 du code pénal)[source non vérifiée]). |
1-5 ans |
Le Grevio note avec satisfaction que la définition juridique du viol prévue par le code pénal ait été amendée en 2020 ( GREVIO BER, 2023). |
2020 |
Chypre |
Viol : pénétration illicite par voie vaginale, anale ou orale du pénis dans le corps d'une autre personne, sans son consentement ou avec le consentement donné sous l'influence de la force, de la menace ou de la peur ( art. 144 du code pénal). |
Jusqu'à la perpétuité |
Le Grevio se félicite de l'inclusion dans le code pénal chypriote d'une définition du viol et des abus sexuels par pénétration, criminalisés sur la base de l'absence de consentement de la victime. Le Grevio recommande à Chypre de prendre des mesures législatives ou autres pour qualifier plus précisément le concept de consentement, en précisant qu'il doit être donné volontairement en tant que résultat de la libre volonté de la personne, évaluée dans le contexte des circonstances environnantes ( GREVIO, BER 2022). Recommandation similaire du Conseil de l'Europe, Comité des Parties, décembre 2022. |
2020 |
Danemark |
Viol : rapport sexuel avec une personne qui n'y a pas donné son consentement ( art. 216 du code pénal). |
Jusqu'à 8 ans |
2021 |
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Estonie |
Viol : rapport sexuel avec une personne contre son gré en utilisant la force ou en profitant d'une situation dans laquelle la personne n'est pas en mesure d'opposer une résistance ou de comprendre la situation ( art. 141 du code pénal). |
1-6 ans |
Le Grevio regrette que l'article 141 du code pénal exige, pour qu'un comportement sexuel non consensuel constitue un viol, que la force soit utilisée dans la commission de l'acte ou que l'auteur profite de l'incapacité de la victime à opposer une résistance ( GREVIO BER 2022). Réforme également nécessaire Comité des parties, décembre 2022. |
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Finlande |
Viol : rapport sexuel avec une personne qui n'y participe pas volontairement ( art. 1 du chapitre 20 du code pénal). |
Les conclusions du Comité des parties (juin 2023) saluent l'introduction dans le code pénal d'une définition du viol fondée sur le consentement. |
2023 |
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France |
Pas de mention du consentement ou de la volonté de la victime ( voir articles 222-22 et la suite du code pénal). |
15 ans |
La formulation choisie par le législateur français met l'accent sur les éléments de preuve permettant d'établir l'absence de consentement, au détriment de la centralité de l'absence de consentement. Le Grevio demande instamment aux autorités françaises de fonder la définition des violences sexuelles sur l'absence de consentement libre de la victime, conformément à l'article 36 de la Convention d'Istanbul (GREVIO BER). Les conclusions du Comité des Parties, juin 2023, exigent une réforme. |
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Allemagne |
Agression sexuelle (infraction générale) : le fait d'accomplir ou de faire accomplir, contre la volonté apparente d'une autre personne, des actes sexuels sur cette personne, ou le fait d'amener cette personne à accomplir ou à tolérer des actes sexuels sur ou par une tierce personne ( art. 177.1 du Strafgesetzbuch). Viol : agression sexuelle aggravée consistant en des rapports sexuels ou des actes particulièrement dégradants ( article 177.6 du Strafgesetzbuch). |
6 mois à 5 ans pour agression sexuelle Au moins 2 ans pour viol |
Le Grevio se félicite de l'introduction d'une définition du viol et des violences sexuelles fondée sur le consentement et note avec satisfaction que le processus de réforme a été accompagné d'importantes campagnes de sensibilisation qui ont conduit à un large débat public ( GREVIO, BER 2022). |
2016 |
Grèce |
Le code pénal prévoit deux infractions distinctes : L'acte sexuel (rapport sexuel ou acte de gravité équivalente) sans le consentement de la victime ( art. 336.4 du code pénal). La contrainte à l'acte sexuel, par la violence corporelle ou la menace d'un danger grave et imminent ( art. 336.1 du code pénal). |
Jusqu'à 10 ans pour une infraction à l'article 336.4 Au moins 10 ans pour une infraction à l'article 336.1 |
Pas encore de rapport, évaluation en cours. |
2019 |
Irlande |
Viol : un homme commet un viol si (a) il a des rapports sexuels illégaux avec une femme qui, au moment des rapports, n'y consent pas, et (b) à ce moment-là, il sait qu'elle n'y consent pas ou il ne se soucie pas de savoir si elle y consent ou non ( art. 2 du Criminal Law (Rape) Act 1981). |
Jusqu'à 10 ans |
Pas encore de rapport, évaluation en cours. |
En cours |
Italie |
Pas de mention du consentement ou de la volonté de la victime (voir art. 609-bis du code pénal). |
6-12 ans |
La législation italienne ne définit pas la violence sexuelle comme un délit fondé sur l'absence de consentement donné volontairement, résultant de la libre volonté d'une personne et évalué dans le contexte des circonstances environnantes, conformément aux termes de l'article 36 de la Convention d'Istanbul. Le Grevio encourage vivement les autorités italiennes à envisager de modifier leur législation afin de fonder l'infraction de violence sexuelle sur la notion de consentement librement donné, comme l'exige l'article 36, paragraphe 1, de la Convention d'Istanbul ( GREVIO BER, 2020). |
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Luxembourg |
Viol : tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne non consentante, y compris en usant de violence ou de menaces graves par ruse ou artifice, ou en abusant d'une personne incapable de donner son consentement ou libre de s'opposer à la résistance ( art. 375 du code pénal). |
5-10 ans |
Le Grevio note avec satisfaction que l'article 375 du code pénal définissant le viol a été modifié en 2011 pour faciliter la preuve de l'absence de consentement de la victime. Le Grevio encourage les autorités luxembourgeoises à rapprocher la définition du consentement de celle de l'article 36 ( GREVIO, BER 2023). |
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Malte |
Viol : rapport charnel non consensuel, c'est-à-dire une pénétration vaginale, anale ou orale avec un organe sexuel du corps d'une autre personne ( art. 198 du code pénal). Définition du consentement : les actes sont réputés non consensuels à moins que le consentement n'ait été donné volontairement, comme résultat de la volonté libre de la personne, évaluée dans le contexte des circonstances environnantes et de l'état de cette personne à ce moment-là, en tenant compte de l'état émotionnel et psychologique de cette personne, parmi d'autres considérations. |
6-12 ans |
Le Grevio félicite Malte pour avoir fait de grands progrès dans le cadre législatif régissant les violences sexuelles et le viol. Il se félicite en particulier que la définition du viol ait été modifiée suite à l'entrée en vigueur de la loi sur la GBVDV, conformément aux exigences de la convention ( GREVIO BER 2020). |
2018 |
Pays-Bas |
Pas de mention du consentement ou de la volonté de la victime (voir art. 242 code pénal relatif au viol et art. 246 ibid. relatif à l'agression sexuelle). |
Jusqu'à 8 ans ou amende de catégorie 5 |
Dans leur rédaction actuelle, les dispositions relatives au viol (article 242 du Code pénal) et à l'attentat à la pudeur (article 246 du Code pénal) exigent la preuve de la contrainte. Cela a été interprété comme signifiant que le suspect amène délibérément la victime à subir des actes contre sa volonté, ce qui n'est pas conforme à l'article 36 de la Convention d'Istanbul. Le Grevio encourage les autorités néerlandaises à réformer rapidement les dispositions du code pénal relatives aux violences sexuelles ( GREVIO BER 2020). |
En cours |
Pologne |
Pas de mention du consentement ou de la volonté de la victime (voir art. 197.1 du code pénal relatif au viol). |
2-15 ans |
Le Grevio note avec préoccupation que ni l'infraction de viol ni les autres infractions sexuelles ne sont fondées exclusivement sur l'absence de consentement. Au lieu de cela, ils continuent d'être classés en fonction du degré de violence physique ou de menace utilisé, ou du degré d'impuissance de la victime, de son incapacité à opposer une résistance ou à exprimer son consentement/sa volonté. Le Grevio demande instamment aux autorités polonaises de réformer toutes les infractions sexuelles afin d'intégrer pleinement la notion de consentement librement consenti, comme l'exige l'article 36 ( GREVIO, BER 2021). Réforme requise par le CdP, décembre 2021. |
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Portugal |
L'article sur le viol prévoit deux types de délits sexuels : sans et avec force : - contraindre une autre personne à se livrer à la copulation, au coït anal ou au coït oral avec l'auteur ou avec une autre personne, ou à accomplir des actes d'introduction vaginale, anale ou orale de parties du corps ou d'objets ( art. 164.1 du code pénal) ; - contrainte par la violence ou des menaces graves, ou après avoir rendu la personne inconsciente ou incapable de résister, d'accomplir ou de tolérer de tels actes ( art. 164.2 du code pénal). Définition de la contrainte : tout moyen non prévu à l'alinéa 2 précédent, utilisé pour l'accomplissement ou la tolérance de ces actes, utilisé pour la pratique des actes visés aux points a) et b) contre la volonté consciente de la victime. |
Le rapport du GREVIO et la recommandation du Comité des Parties de janvier 2019 sont antérieurs à l'amendement législatif de 2019, qui a introduit les paragraphes (1) et (3) de l'article 164. |
2019 |
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Roumanie |
Pas de mention du consentement ou de la volonté de la victime (voir art. 218 du code pénal [source non vérifiée]). |
Le Grevio a recommandé à la Roumanie de modifier sa définition du viol pour la rendre conforme aux exigences de l'article 36 en 2022, en y intégrant la notion de consentement librement donné, et de veiller à ce que ces dispositions soient effectivement appliquées dans la pratique. Réforme requise par le CdP, décembre 2022. |
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Slovénie |
Viol : relations sexuelles ou actes sexuels équivalents, sans le consentement d'une autre personne ( art. 170.1 du code pénal). Définition du consentement : Le consentement est donné si une personne, par sa volonté extérieurement perceptible, non ambiguë et libre, a consenti à un rapport sexuel ou à un comportement sexuel équivalent et était capable de prendre une telle décision ( art. 170.2 ibid.) |
6 mois à 5 ans |
Dans ce contexte, le Grevio se félicite du récent amendement du code pénal [...] Cependant, comme cet amendement a été porté à l'attention du Grevio très récemment, puisqu'il a été adopté par le Parlement slovène après la soumission des commentaires du gouvernement sur le projet de rapport d'évaluation du GREVIO, le GREVIO n'est pas en mesure d'en évaluer le contenu ( GREVIO, BER 2021). |
2021 |
Espagne |
Agression sexuelle : tout acte qui porte atteinte à la liberté sexuelle d'une autre personne sans son consentement ( art. 178.1 du code pénal). Viol : agression sexuelle consistant en un accès charnel vaginal, anal ou oral, ou en l'introduction de membres ou d'objets corporels par l'une des deux premières voies. Définition du consentement : Le consentement sexuel n'est considéré comme tel que lorsqu'il est librement exprimé par des actes qui, compte tenu des circonstances de l'espèce, expriment clairement la volonté de la personne ( art. 178.1 du code pénal). |
4-12 ans pour viol |
Le rapport GREVIO (BER, 2020) est antérieur à la modification législative. |
2022 |
Suède |
Viol : relations sexuelles vaginales, anales ou orales, ou tout autre acte sexuel comparable avec une personne qui n'y participe pas volontairement ( art. 1er du chapitre 6 du code pénal). Le consentement : Lors de l'évaluation du caractère volontaire ou non de la participation, une attention particulière est accordée à la question de savoir si le caractère volontaire a été exprimé par la parole, par les actes ou d'une autre manière ( art. 1er du chapitre 6 du code pénal). Viol par négligence : viol commis par négligence grave en ce qui concerne la circonstance que l'autre personne ne participe pas volontairement ( art. 1A du chapitre 6 du code pénal). |
3-6 ans pour viol |
Une modification récente du code pénal garantit désormais que tous les actes sexuels non consensuels sont criminalisés. Les articles 1 et 2 du chapitre 6 sur les délits sexuels criminalisent les rapports sexuels ou tout autre acte sexuel avec une personne « qui n'y participe pas volontairement ». La participation à un acte sexuel doit être volontaire et perceptible. La passivité ne peut être considérée comme un signe de participation volontaire en soi ( GREVIO, BER 2019). |
2018 |
Tableau 2 : Situation législative dans les États-membres de l'Union européenne non parties à la Convention d'Istanbul
République tchèque |
Le code pénal tchèque ( loi n° 40/2009 Coll.) définit le viol à l'article 185 comme le fait de forcer une autre personne à avoir des relations sexuelles par la violence ou la menace de violence ou la menace d'autres dommages graves, ou en abusant de l'absence de défense de la victime pour un tel acte. L'absence de consentement n'est pas incluse dans la définition, mais un débat public est en cours sur la réforme de la législation, avec le soutien de la société civile (par exemple, à travers les pétitions chce to souhlas, la pétition d'Amnesty). La question a été fortement médiatisée dans le contexte des accusations de viol portées contre un membre du Parlement tchèque. Le gouvernement envisage de modifier la définition et le ministre de la justice a présenté deux propositions à cet égard en 2023. |
L'article 149 du code pénal lituanien prévoit ce qui suit : « 1. Une personne qui a des relations sexuelles avec une personne contre son gré en utilisant la violence physique ou en menaçant d'y recourir immédiatement ou en privant la victime de toute possibilité de résistance ou en profitant de son état d'impuissance, est punie d'une peine privative de liberté d'une durée maximale de sept ans ». Il n'y a pas eu de réforme récente de la loi. |
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L'article 159 du droit pénal de la République de Lettonie relatif au viol prévoit ce qui suit : (« 1) Pour une personne qui commet un acte sexuel en profitant de l'état d'impuissance d'une victime ou un acte sexuel contre la volonté de la victime en utilisant la violence, les menaces ou en utilisant la confiance, l'autorité ou en exerçant une autre influence sur la victime (viol), la peine applicable est la privation de liberté pour une période de quatre et jusqu'à dix ans et avec une surveillance probatoire pour une période allant jusqu'à cinq ans ». Il n'y a pas eu de réforme récente de la loi. |
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L'article 152 du code pénal bulgare (traduction officielle en anglais publiée sur cyrilla.org) donne la définition suivante du viol : « (1) Quiconque copule avec une personne de sexe féminin : 1. incapable de se défendre et sans son consentement ; 2. en l'y contraignant par la force ou la menace ; 3. en l'amenant à un état d'impuissance ; est puni pour viol d'une peine d'emprisonnement de deux à huit ans ». |
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Slovaquie |
La disposition du code pénal § 199 par. 1, qui définit le viol, met l'accent sur la force [source non vérifiée] : Quiconque contraint une femme à avoir des rapports sexuels par la force ou la menace d'une violence imminente, ou qui exploite son absence de défense pour un tel acte, est puni d'une peine d'emprisonnement de cinq à dix ans. |
Le code pénal hongrois définit la violence sexuelle (article 197) par rapport à l'utilisation de la force, de menaces ou de l'exploitation de l'incapacité de la victime à se défendre ou à exprimer sa volonté. La coercition sexuelle pour accomplir ou tolérer des activités sexuelles (article 196) est définie exclusivement sur la base de la force. La loi ne mentionne pas le consentement. Toutefois, la terminologie du « consentement » est utilisée dans l'explication ministérielle du code pénal, selon laquelle « l'exploitation/la contrainte à accomplir ou à tolérer un acte sexuel comprend tout comportement où la victime ne consent pas volontairement et librement à l'acte sexuel. Il faut donc toujours chercher à savoir si la victime a consenti à l'acte sexuel. En l'absence de consentement, il s'agit de coercition ». La jurisprudence existante continue cependant de souligner que la victime doit résister, tout en reconnaissant que cela n'exclut pas l'abandon de la résistance dans les situations désespérées. La nécessité d'améliorer la législation a été reconnue par les experts juridiques et la société civile. Les tribunaux hongrois ont demandé une disposition interprétative du code pénal pour clarifier la coercition sexuelle. Même si plusieurs propositions, émanant des milieux scientifiques et professionnels, ont été avancées pour modifier le code pénal et les dispositions relatives aux crimes sexuels, il n'existe aucun projet de réforme législative. |
LA LÉGISLATION SUÉDOISE
1. Les enjeux autour de la définition du viol et de la notion de consentement
En 2018, la Suède a apporté des modifications importantes à sa législation sur le viol, notamment par l'introduction de la notion de consentement explicite (frivilligt samtycke). Cette réforme s'inscrit dans un contexte social et juridique marqué par des débats intenses autour de la protection des droits des victimes de violences sexuelles et de l'autonomie sexuelle.
L'un des enjeux majeurs de cette réforme réside dans l'évolution de la culture du consentement. Cette transformation a été alimentée par différents mouvements très actifs dans le débat public, qui ont cherché à sensibiliser l'opinion publique aux insuffisances des lois fondées sur la preuve de la contrainte ou de la violence. Le mouvement suédois Fatta (comprends), lancé après un cas de viol très médiatisé en 2013, a joué un rôle décisif dans la promotion de cette nouvelle approche. Dans cette affaire, trois hommes ont été acquittés malgré des preuves accablantes. Celle-ci a provoqué une onde de choc dans la société suédoise, conduisant à des manifestations et à une remise en question des normes juridiques existantes2(*).
Le nouveau cadre juridique repose sur l'idée que le consentement ne peut pas être implicite. Il prévoit que l'absence de résistance ou l'absence de « non » explicite ne constitue pas un consentement, et que la relation sexuelle doit être fondée sur une participation active et volontaire.
La Suède a également introduit de nouvelles catégories de crimes, comme le « viol par négligence », permettant de condamner un acte sexuel lorsque l'auteur « aurait dû savoir » que le consentement de la victime était absent, même sans preuve de malveillance intentionnelle. Ce concept de négligence est une innovation juridique visant à combler les lacunes entre les cas de consentement explicite et ceux où la victime n'a pas pu donner son accord de manière active. En élargissant le champ d'application du viol, la nouvelle législation vise à mieux protéger les victimes, en particulier dans des situations où l'incapacité à donner un consentement explicite (en raison de la peur, de l'intoxication) aurait auparavant conduit à un non-lieu3(*).
La réforme a également des implications pour la formation et la sensibilisation des jeunes sur le concept de consentement. Des initiatives éducatives ont été proposées pour enseigner aux jeunes l'importance de la communication dans les relations intimes et pour encourager une culture de respect du consentement mutuel. Ces efforts visent à ancrer le consentement comme norme sociale dès le plus jeune âge4(*).
2. Le nouveau régime juridique du viol et les peines applicables
La réforme de 2018 s'est traduite par l'adoption d'un ensemble de textes modifiant le droit en vigueur5(*). Elle a introduit des modifications significatives au code pénal (Brottsbalken) ainsi qu'à la procédure pénale (Rättegångsbalken), à travers principalement une nouvelle définition du viol fondée sur le consentement explicite, ce qui marque un tournant juridique en matière de protection de l'intégrité sexuelle.
a) Les modifications apportées au code pénal
La nouvelle législation clarifie les éléments de consentement volontaire, par l'instauration d'une nouvelle infraction de « viol par négligence » et renforce la protection des victimes, en particulier des mineurs.
· Une nouvelle définition de la violence sexuelle et du viol
La réforme redéfinit l'infraction de viol à l'article 1er du chapitre 6 du code pénal6(*). Le nouvel article dispose que « toute activité sexuelle requiert un consentement explicite, formulé par des mots, des actions ou un comportement non équivoque ». La réforme a supprimé la condition antérieure selon laquelle une infraction sexuelle était définie par l'usage de violence, de menace ou l'exploitation d'une situation de vulnérabilité de la victime. Désormais, l'absence de consentement volontaire est le critère essentiel, indépendamment de la résistance physique de la victime.
Selon la nouvelle rédaction, certaines conditions rendent impossible toute présomption de consentement, notamment si la victime a été contrainte par la violence, la menace ou la manipulation, si l'auteur de l'acte a abusé de la vulnérabilité de la victime, par exemple si celle-ci était inconsciente, endormie, sous l'effet de drogues ou de substances ou se trouvait dans une situation d'extrême peur ou d'incapacité psychologique à résister ou si l'auteur a tiré parti d'une position de pouvoir ou de dépendance vis-à-vis de la victime.
· L'introduction de l'infraction de « viol par négligence »
Le nouvel article 1er a du chapitre 6 du code pénal instaure l'infraction de « viol par négligence » (oaktsam våldtäkt). La disposition est conçue pour répondre aux situations dans lesquelles l'auteur de l'acte n'a pas cherché à vérifier si le consentement était présent ou s'est délibérément abstenu de le faire. Pour établir cette infraction, il suffit de démontrer que l'accusé a manqué de diligence en ne vérifiant pas le consentement, ce qui distingue cette infraction d'une intentionnalité de nuire caractérisant le viol.
Cette négligence est punissable d'une peine maximale de quatre ans d'emprisonnement, avec une gradation des sanctions en fonction de la gravité des faits et des circonstances. L'introduction de cet article répond aux lacunes des législations antérieures qui nécessitaient une preuve d'intention directe de l'auteur, excluant certains cas d'ambiguïté quant au consentement.
· La modification de l'infraction d'agression sexuelle
L'article 2 du même chapitre a été revu pour s'aligner sur la nouvelle conception de consentement volontaire. Désormais, l'infraction d'agression sexuelle comprend les situations où l'auteur engage une activité sexuelle avec une personne qui n'a pas consenti, mais sans acte explicitement violent. Ce nouvel article permet d'inclure des comportements ou situations moins graves que ceux du viol, mais qui restent criminels en raison de l'absence de consentement clair.
· Les modifications apportées en matière d'infractions sexuelles contre les mineurs et la définition du viol sur enfant
La réforme renforce également les protections pour les mineurs à travers la révision de l'article 4 du même chapitre. Le terme « viol sur enfant » couvre désormais tous les cas où l'auteur de l'acte s'engage dans une activité sexuelle avec un enfant de moins de 15 ans, ou avec un mineur entre 15 ans et 18 ans si ce dernier est dans une situation de dépendance à l'égard de l'auteur (comme un lien parental ou éducatif).
Les peines pour ces infractions sont augmentées, avec une peine minimale pour les cas de viol aggravé portée à cinq ans, contre quatre auparavant. Ces dispositions imposent également à l'auteur de prendre en compte l'âge de la victime, que cette information soit connue ou qu'il ait raisonnablement dû la connaître. Ce renforcement du seuil de responsabilité permet de mieux couvrir les cas de violences sexuelles impliquant des mineurs et évite toute défense par ignorance de l'âge.
L'article 5 prévoit une nouvelle qualification pour les viols considérés comme « moins graves ». Cette disposition permet d'adapter les peines dans des cas où l'acte est moins violent ou si les circonstances rendent l'infraction moins sévère que les cas habituels de viol. Cependant, cette gradation n'enlève rien au fait que toute absence de consentement est désormais criminalisée.
L'article 13 est modifié pour préciser que toute personne se rendant coupable d'une infraction sexuelle impliquant un mineur est responsable de vérifier l'âge de la victime. Cette obligation de diligence implique une vérification effective de l'âge de la victime dans toutes les interactions susceptibles de mener à une infraction sexuelle.
· Les délais de prescription pour les infractions impliquant des mineurs
La réforme modifie également le chapitre 35, article 4 du code pénal, en prolongeant les délais de prescription pour les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Selon la nouvelle disposition, le délai de prescription de ces infractions ne commence qu'à partir de la date où la victime atteint l'âge de 18 ans, permettant ainsi un délai plus long pour que la victime puisse engager des poursuites.
Enfin, la loi durcit les peines pour les infractions graves, en particulier le viol aggravé et le viol impliquant des enfants. La peine minimale pour ces cas passe de quatre à cinq ans, une mesure qui renforce la gravité reconnue de ces crimes par la législation suédoise.
b) Les modifications apportées en matière de procédure pénale
· L'assistance juridique immédiate aux victimes
L'article 23, section 5 du code de procédure pénale prévoit désormais la désignation immédiate d'un avocat pour les victimes dès qu'une enquête portant sur une infraction sexuelle est ouverte ou relancée. Cette nouvelle disposition vise à fournir un soutien juridique dès les premières étapes de l'enquête, sauf dans les rares cas où la victime ne nécessiterait pas d'assistance juridique. Cela permet de garantir que les droits des victimes sont protégés tout au long de la procédure.
3. L'évaluation de la réforme de 2018 et les défis restants
Dans un rapport d'évaluation publiée en 20207(*), le Conseil national suédois de prévention du crime (Brottsförebyggande rådet - Brå)8(*) affirme que la réforme de 2018 a engendré une augmentation notable des signalements, des poursuites et des condamnations pour viol. Cette analyse repose sur les 362 jugements de 2019 relatifs à des cas de viol, des statistiques criminelles et les avis de professionnels et d'organisations. Elle dresse les conclusions suivantes :
- une augmentation des poursuites et des condamnations : depuis l'entrée en vigueur de la loi, les signalements de viol ont nettement augmenté, même si cette tendance avait déjà commencé à la suite du mouvement #MeToo. Les condamnations pour viol sont passées de 190 à 333 entre 2017 et 2019 (+ 75 %). Cependant, la nouvelle infraction de « viol par négligence » n'a mené qu'à une minorité de jugements, avec seulement douze condamnations identifiées, dans la mesure où les procureurs privilégient souvent le viol intentionnel et ne recourent à la négligence que comme chef d'accusation secondaire ;
- l'introduction de nouveaux types de contentieux : l'un des objectifs de la réforme était de mieux protéger les victimes de situations où le consentement n'est pas explicite mais où il n'y a ni violence ni menace. Cette loi inclut désormais des cas de « viol par surprise » ou des situations où la victime reste passive pendant l'agression, comportements qui, auparavant, n'entraînaient pas de poursuite pour viol. L'analyse des jugements de 2019 indique que, sur les 362 affaires de viol, 76 cas auraient probablement été classés sans suite sous l'ancienne législation. Dans ce sous-ensemble, vingt-six affaires ont abouti à une condamnation pour viol et douze à une condamnation pour viol par négligence ;
- avec la nouvelle définition du viol fondée sur le consentement explicite, les blessures physiques, qui étaient autrefois des preuves importantes, sont moins fréquentes dans les nouvelles affaires portées en justice. En 2017, les blessures significatives figuraient dans 37 % des jugements, contre seulement 13 % en 2019. Malgré la diminution des preuves physiques, les tribunaux ont maintenu un niveau de preuve similaire à celui des cas de viol de 2017, utilisant d'autres éléments probants comme des enregistrements, des confessions ou des témoignages de tiers. Dans les cas de viol par négligence, les preuves sont souvent plus faibles, et dans neuf des douze jugements de ce type, le seul soutien apporté aux accusations était constitué de témoignages indirects, par exemple de personnes ayant été informées par la victime ;
- l'évaluation du consentement par les tribunaux : une des critiques contre la loi portait sur la difficulté de juger si la victime avait participé volontairement ou non à l'acte sexuel. Les tribunaux se sont concentrés sur les preuves concernant la manifestation du refus ou du consentement de la victime. Dans les affaires où une condamnation pour viol a été prononcée, il est souvent établi que la victime n'avait montré aucun intérêt pour un rapport sexuel et avait réagi par passivité ou paralysie pendant l'agression. Les affaires de viol par négligence sont, elles, plus ambiguës : les jugements montrent des interprétations diverses sur la réaction de la victime, posant des problèmes d'application de la loi ;
- la limite entre l'intention imprudente et la négligence grave : l'introduction de la notion de « viol par négligence » rend complexe la distinction entre l'intention imprudente et la négligence grave, en particulier lorsque le consentement est implicite ou ambigu. Les tribunaux doivent déterminer si le prévenu comprenait que la victime n'était pas consentante ou s'il était indifférent à ce risque (intention imprudente), ou bien s'il ne percevait pas le risque d'un manque de consentement (négligence). Le Conseil national de prévention du crime souligne la difficulté à tracer cette frontière dans les cas où la victime a donné des signaux ambigus, augmentant l'incertitude juridique ;
- l'allongement des peines d'emprisonnement : la durée des peines de prison pour les affaires de viol a augmenté depuis la réforme. Entre 2018 et 2019, la peine moyenne est passée de 25,3 à 26,5 mois, avec une augmentation notable pour les viols commis dans des situations qui auraient été punissables même avant la réforme.
L'opinion exprimée par les professionnels du droit sur la réforme reste partagée. Si la majorité des magistrats est favorable à cette réforme, estimant qu'elle facilite les poursuites et envoie un message normatif fort, un tiers des procureurs et des juges trouvent la frontière entre intention imprudente et négligence grave encore floue. La police exprime plus de réserves, notant que les nouvelles affaires créent davantage de défis, et certains agents soulignent un impact sur la sécurité juridique. Les avocats de la défense sont, pour la majorité, critiques envers cette législation, estimant que le manque de clarté sur ce qui constitue un crime affaiblit la sécurité juridique, rendant leur travail plus difficile. Ils estiment que la loi crée une incertitude quant aux critères de preuve et à la définition du consentement.
Si les organisations telles que Fatta et Unizon ont accueilli favorablement la loi, estimant qu'elle réduit le risque pour les victimes de se sentir responsables de l'agression subie ; elles insistent sur la nécessité de diffuser largement les implications de cette loi, en particulier au sein du système judiciaire, et d'intégrer cette notion de consentement dans l'éducation sexuelle pour permettre aux jeunes de mieux comprendre ses implications.
Enfin, le Conseil national de prévention du crime formule plusieurs recommandations, appelant notamment la jurisprudence des cours supérieures à venir clarifier la distinction entre l'intention imprudente et la négligence, ainsi que les critères de consentement explicite.
L'un des défis majeurs posés par la législation de 2018 réside dans la preuve du consentement explicite. Bien que la loi insiste sur la nécessité d'un consentement clair, de nombreux cas soulèvent la question de savoir comment interpréter les indices non verbaux et l'ambiguïté des comportements, en particulier dans des situations où la victime n'a pas pu résister activement en raison de l'effet de paralysie, une réaction psychologique fréquente chez les victimes de viol. Certaines études montrent que la loi de 2018 a partiellement déplacé la charge de la preuve en ce qui concerne le comportement du prévenu mais que cela reste difficile à prouver en raison des preuves subjectives nécessaires pour démontrer la non-participation volontaire9(*).
Les critiques appellent à la définition juridique de lignes directrices supplémentaires pour aider les juges à évaluer de manière cohérente les cas où le consentement est difficile à interpréter, en particulier dans les affaires de « viol par négligence », introduites par la réforme10(*).
PHOTOS DU COLLOQUE
* 1 EPRS, Definitions of rape in the legislation of EU Member States, 2024
* 2 https://www.ibanet.org/article/386A45E6-0A58-4A7F-8741-3CE58A50F8C4
* 3 https://www.aklagare.se/en/affected-by-crime/sexual-offences/
* 4 https://europe.ippf.org/stories/anything-less-yes-rape-campaign-consent-based-rape-law-sweden
* 5 Loi n° 2018:601 modifiant le code pénal, loi (2018:602) modifiant le code de procédure judiciaire, loi n° 2018:603 modifiant la loi sur l'accès du public à l'information et le secret professionnel, loi n° 2018:618 modifiant le code pénal et loi n° 2018:619 modifiant le code de procédure judiciaire. L'ensemble de ces textes a été introduit par le projet de loi n° 2017/18:177 relatif à la nouvelle législation sur les infractions sexuelles fondées sur le consentement.
* 7 Brå report 2020:6, The new consent law in practice, An updated review of the changes in 2018 to the legal rules concerning rape.
* 8 Le Brå est une agence gouvernementale consacrée à la recherche et à l'analyse sur la criminalité et la prévention du crime. Sa mission est de fournir des informations objectives et des connaissances approfondies sur la criminalité, en soutenant les actions du gouvernement et des organismes de justice pénale pour renforcer la sécurité publique et élaborer des politiques de prévention efficaces.
* 9 Linnea Fransson, The Problem of Establishing Consent - A critical policy analysis of how the problem of establishing consent and voluntariness has changed in Swedish rape judgements after the consent law, Lund University, 2022.
* 10 Amnesty International, Criminalization and prosecution of rape in Sweden submission to the un special rapporteur on violence against women, its causes and consequences, 2020.