TROISIÈME PARTIE
LA GOUVERNANCE ET LA RÉGULATION
DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Dès le début de l'année 2017, le rapport de l'Office affirmait que « ces technologies doivent être maîtrisées, utiles et faire l'objet d'usages conformes à nos valeurs humanistes »307(*). Sa réflexion avait largement porté sur les questions éthiques, de l'amont avec l'éthique de la recherche en intelligence artificielle jusqu'à l'aval avec l'éthique pratique des robots intelligents, en passant par la revue de l'ensemble des démarches engagées en la matière. Le rapport appelait à « ne pas céder à la tentation de définir un cadre juridique trop contraignant, qui aurait pour inconvénient de figer des règles codifiant des préceptes moraux et, partant, de gêner et de ralentir l'innovation ». Les rapporteurs, au terme de leurs investigations, n'avaient pas été convaincus de l'urgence d'une intervention législative ou réglementaire en matière d'intelligence artificielle, surtout en raison de son caractère très évolutif. Une proposition de loi leur paraissait inopportune.
Cependant, le rapport affirmait également qu'un « régime du type de celui qui est applicable aux médicaments avant autorisation de mise sur le marché, avec une période de tests et d'observations, pourrait devenir obligatoire pour les systèmes autonomes d'intelligences artificielles, au stade où leur commercialisation massive sera envisagée »308(*). Cette approche semble bien être celle retenue par l'Union européenne en 2024, à l'heure du déploiement massif de l'IA générative.
Qu'il s'agisse de dispositions contraignantes ou de simples guides éthiques, l'objectif reste le plus souvent le même : maîtriser l'IA pour que se déploient les technologies les plus sûres et responsables possibles, dans la confiance et le respect du droit et des libertés individuelles.
Selon Bertrand Braunschweig, coordinateur scientifique du programme Confiance.ai et ancien coordinateur pour la recherche du programme national d'intelligence artificielle, entendu par vos rapporteurs, le sujet de la confiance dans l'IA est un aspect fondamental pour les développeurs comme pour les pouvoirs publics ainsi qu'une condition essentielle à un déploiement fluide et efficace des technologies.
Le dernier rapport de la Cnil énonçant ses recommandations pour le déploiement des systèmes d'IA a été publié en avril 2024 à la suite d'une vaste consultation publique309(*). Il s'intéresse directement à ce sujet. Vos rapporteurs y renvoient donc pour les réponses concrètes à apporter aux questions à la fois juridiques et techniques posées par le déploiement des systèmes d'IA. Il s'agit d'évolutions importantes pour aller vers une IA de confiance.
Le fait d'adopter des dispositifs juridiques encadrant l'IA ne va pas de soi. Beaucoup, notamment dans le monde économique, croient d'abord à l'autorégulation. Le Partnership on AI créé en 2016310(*) ou, plus récemment, le Frontier Model Forum, partenariat créé en 2023 par Microsoft, OpenAI, Google et Anthropic, se proposent de définir les conditions du développement d'IA sûres et responsables. Une telle option pose néanmoins le problème des pratiques réelles des entreprises qui, en l'absence de contrôles, risquent fort de se concentrer sur leurs objectifs fondamentaux, à savoir enregistrer des profits et gagner des parts de marché.
Certains prônent un encadrement vertical par la législation, ce qui fait courir le risque de politiques publiques lourdes et mal ciblées, sans pour autant éviter les problèmes de « capture du régulateur » par les entreprises en raison de leur quasi-monopole d'expertise technique ou en tout cas de leur meilleure connaissance des modèles d'IA qu'elles développent et/ou déploient.
Cette régulation peut en pratique prendre des formes multiples :
- se baser sur des principes ou sur des niveaux de risque ;
- être tournée vers les technologies, les applications ou les usages ;
- laisser un accès libre au marché avec de simples déclarations et des autoévaluations ou obliger à communiquer des descriptions techniques (au régulateur voire au grand public) ou, encore, fixer un régime d'autorisation préalable, avec le cas échéant la création d'une agence de régulation.
Entre ces deux pôles, se situent les solutions de corégulation, qui associent les entreprises à la définition des normes, à leur mise en oeuvre, voire à leur contrôle.
Ce sont, de fait, les perspectives qui se dessinent dans le monde occidental, même si l'Union européenne va un peu plus loin et se rapproche d'une régulation verticale avec son règlement de 2024 sur l'IA, dit AI Act, dont les dispositions complexes seront présentées plus loin.
I. LES DISPOSITIFS NATIONAUX OU RÉGIONAUX
A. UNE POLITIQUE FRANÇAISE DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN DEMI-TEINTE
1. La stratégie nationale en faveur de l'IA depuis 2017 : un retard à l'allumage
Des stratégies nationales ambitieuses pour le secteur numérique ont déjà été définies par le passé. Le « Plan Calcul », lancé en 1966, le rapport sur l'informatisation de la société publié en 1978, qui a inventé le concept de télématique et proposé le lancement du réseau Minitel311(*), le plan « Informatique pour tous » impulsé en 1985, le rapport sur les autoroutes de l'information en 1994 ou encore le programme d'action gouvernemental pour la société de l'information (PAGSI) et les espaces publics numériques (EPN) en 2000312(*), en sont différents exemples qui ont souvent laissé des souvenirs doux-amers en raison de leurs résultats qui n'étaient pas à la hauteur des espoirs suscités.
En France, le pouvoir exécutif a depuis 2017, sans directement réguler l'intelligence artificielle, annoncé des stratégies nationales pour l'IA et mis en place une série de mesures concernant la gouvernance de l'IA. Refaire l'histoire de cette succession d'annonces ou de mesures dans le domaine des technologies d'intelligence artificielle est indispensable avant de pouvoir dessiner des perspectives pour le futur.
Une première stratégie nationale pour l'IA a été voulue par le Président de la République, alors François Hollande, dès janvier 2017, en écho à la stratégie américaine dévoilée en octobre 2016 par le président américain Barack Obama.
La secrétaire d'État chargée du numérique et de l'innovation, Axelle Lemaire, avait ainsi été missionnée pour préparer les détails de ce plan baptisé « France IA », lancé dans l'incubateur Agoranov le 20 janvier 2017 et ayant conduit à la remise d'un rapport au Président de la République à la Cité des Sciences et de l'industrie le 21 mars 2017.
Ce plan visait notamment à mettre en place un comité de pilotage « France IA », à financer de nouveaux projets de recherche en IA à travers le programme pour les investissements d'avenir (PIA), à créer un centre interdisciplinaire sur l'IA, à réaliser une cartographie de l'écosystème de l'intelligence artificielle en France en vue de mobiliser les acteurs publics et privés, à réfléchir à des normes et des standards, et à suivre l'impact de l'IA sur l'économie et la société.
En parallèle de ce plan gouvernemental, dès le printemps 2016, la sénatrice Dominique Gillot et le député Claude de Ganay ont préparé le premier rapport de l'OPECST sur l'intelligence artificielle. Publié le 15 mars 2017, ce rapport présentait 15 propositions au nom de l'Office. Ses auteurs y regrettaient qu'en raison de l'actualité, le plan France IA arrive trop tard pour pouvoir être réellement pris en compte dans les politiques publiques313(*).
Le plan France IA du Gouvernement a ensuite été suspendu puis a été purement et simplement enterré : il n'a pu en effet être mis en oeuvre dans le contexte des élections présidentielles de 2017 et de l'élection d'Emmanuel Macron à la tête de l'État.
Ce dernier a préféré retravailler une nouvelle stratégie pour l'intelligence artificielle durant son premier mandat, qu'il annoncerait lui-même : un an plus tard c'est avec la remise d'un autre rapport314(*) émanant du président de l'Office, notre ancien collègue député Cédric Villani, alors en mission pour l'exécutif, que le Président de la République a pu proposer au Collège de France, le 29 mars 2018, en présence de la ministre allemande de la recherche et du commissaire européen à l'innovation, une « Stratégie nationale et européenne pour l'intelligence artificielle », lors d'un événement baptisé « AI for Humanity »315(*).
Rétrospectivement, cette approche semblait se préoccuper insuffisamment de l'innovation technique en IA, le rapport de notre ancien collègue était d'ailleurs exclusivement tourné vers les technologies de Deep Learning en vogue à l'époque et appelait essentiellement à centrer les efforts de notre stratégie en matière d'intelligence artificielle sur leur déploiement dans certains domaines d'application comme les transports, la santé, la sécurité, l'environnement et la défense. En matière de santé, il proposait par exemple d'interconnecter les fichiers déjà existants pour développer ce qui est devenu le Health Data Hub.
Avec un financement pluriannuel d'1,5 milliard d'euros annoncé, la stratégie nationale pour l'IA ambitionnait de faire de la France un des leaders mondiaux de l'intelligence artificielle. Or, elle a surtout consisté dans la labellisation de quatre instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (3IA), le financement de chaires et de doctorats ou encore l'investissement indispensable dans des infrastructures de calcul à travers des supercalculateurs gérés par le GENCI (pour Grand équipement national de calcul intensif) comme Jean Zay, inauguré en 2019, ou Adastra, inauguré en 2023, et dont les performances atteignent respectivement 36,85 pétaflops et 74 pétaflops (Jean Zay devrait toutefois atteindre 125,9 pétaflops cette année). Pour mémoire un pétaflop représente un million de milliards de calculs d'opérations en virgule flottante par seconde.
Il faut noter que ces deux supercalculateurs n'étant plus au niveau exascale des standards internationaux, c'est-à-dire dépassant un exaflop par seconde (un milliard de milliards de calculs par seconde), la France va héberger un supercalculateur européen (qui devait s'appeler Jules Verne mais portera finalement le nom de la chercheuse oubliée Alice Recoque) dont elle devra partager l'usage avec l'Union européenne316(*). À titre de comparaison, l'entreprise d'Elon Musk spécialisée en IA, appelée « xAI » et qui développe le système Grok, s'est engagée à acheter entre 3 et 4 milliards de dollars de GPU à Nvidia et s'est dotée d'un supercalculateur de 150 MW du nom de Colossus, construit en 19 jours317(*), développant théoriquement 3,4 exaflops par seconde, car composé de 100 000 processeurs Nvidia Hopper 100318(*). Sa taille devrait doubler d'ici quelques mois pour atteindre 200 000 processeurs319(*). Pour mémoire, Google, OpenAI, Microsoft, Meta et Nvidia étaient les seules entreprises au monde à dépasser les 50 000 GPU et xAI vient de repousser la frontière du concevable avec la perspective de cette structure de 200 000 processeurs GPU. Les puces utilisées, les Nvidia Hopper H100, ont un coût unitaire qui varie de 30 000 à 70 000 dollars, un coût du même ordre que la nouvelle génération de puces Nvidia, les Blackwell B200, dont vos rapporteurs ont pu voir le format réduit au siège de Nvidia, et qui seront commercialisées prochainement320(*). Les 200 000 processeurs de xAI ont une valeur comprise entre 6 et 14 milliards de dollars environ. Le supercalculateur Jean Zay, après son extension prévue d'ici la fin de l'année 2024, sera quant à lui doté de 1 456 GPU Nvidia H100321(*).
La stratégie nationale pour l'intelligence artificielle, divisée en deux phases322(*), a également conduit à une coordination qui n'a d'interministérielle que le nom avec un coordinateur rattaché initialement à la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication (DINSIC), puis à la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie, sans autorité réelle sur les conditions de mise en oeuvre de la stratégie.
L'instabilité du titulaire de cette fonction et les vacances répétées du poste sont également frappantes : Bertrand Pailhès nommé en juillet 2018, quitte ses fonctions un an plus tard en novembre 2019, il n'est remplacé par Renaud Vedel qu'en mars 2020, qui ne reste chargé de cette mission que jusqu'à l'été 2022, Guillaume Avrin ne rejoint la structure qu'en janvier 2023, à nouveau après une vacance de six mois. Cette instabilité et ces vacances révèlent une fonction problématique et mal définie.
Au total, le pilotage de la stratégie nationale en IA reste toujours défaillant : elle demeure d'ailleurs en réalité toujours sans pilote, évoluant au gré des annonces du Président de la République, à l'instar de son courrier du 25 mars 2024 faisant d'Anne Bouverot « l'envoyée spéciale du Président de la République » pour le futur sommet sur l'IA ou de son discours lors du rassemblement des plus grands talents français de l'IA à l'Élysée le 21 mai 2024, qui présentait les nouveaux cinq grands domaines de la stratégie nationale pour l'IA.
2. Le bilan critique de la stratégie et son évaluation par la Cour des comptes
La première étape de la stratégie nationale pour l'IA mise en place par l'exécutif à partir de 2018 a déjà pu être évaluée et les effets produits par les mesures prises ont pu être comparés à leurs effets escomptés.
La Cour des comptes a ainsi publié, en avril 2023, un rapport323(*) qui dresse le bilan de la stratégie mise en place par l'exécutif concernant l'intelligence artificielle. Elle évalue en particulier les mesures prises et leurs effets par rapport aux objectifs fixés par le Président de la République lors de la mise en place de ce plan : positionner la France parmi les cinq meilleurs pays en termes d'IA, et devenir les chefs de file européens dans le domaine.
L'évaluation est plutôt mitigée. En effet, loin d'atteindre les objectifs affichés, comme celui de devenir un leader mondial, il semble que la stratégie nationale pour l'IA ait surtout permis à la France de ne pas décrocher davantage dans la compétition au niveau mondial, au moins dans les quelques domaines investis par le plan.
La Cour des comptes affirme ainsi que la priorité donnée à la recherche en IA a permis à la France de maintenir un niveau honorable en termes de publication d'articles scientifiques et d'efficience de la recherche.
Ce résultat est cependant à relativiser puisque lorsque ces classements sont rapportés au PIB, la position de la France chute au 44e rang : « Si la France apparaît assez performante en matière de recherche en IA (10e rang mondial et 2e rang européen en 2021 en nombre de publications en IA sur un total de 47 pays comparés), sa recherche dans ce domaine apparaît peu efficiente au regard du produit intérieur brut de la France (44e rang mondial et 25e européen en 2021 pour le même critère rapporté au PIB). »324(*)
La mise en place des Instituts 3IA est jugée plutôt efficace par le rapport, qui constate que ces instituts contribuent à l'augmentation du nombre de publications scientifiques et de coopérations internationales en matière d'IA. Ceci est permis grâce à des collaborations interdisciplinaires et à l'acquisition de ressources technologiques avancées. Un exemple est l'acquisition de noeud de clusters GPU par le 3IA de Nice Sophia-Antipolis pour renforcer ses capacités de calcul ; il est mis à disposition en priorité pour les chaires 3IA.
Le rapport note toutefois que les résultats des Instituts 3IA ne sont pas à la hauteur des attentes initiales. D'après la Cour des comptes, la cartographie des formations en IA, loin d'être homogène, est complexe et peu lisible. De plus, les instituts 3IA ne sont pas autonomes et apparaissent précaires : la pérennité des financements de l'État est cruciale pour maintenir la dynamique de ces instituts, or la visibilité des perspectives financières est très réduite.
En raison de ce contexte global, le rapport juge que la formation des talents en IA, même si elle a progressé, reste encore très insuffisante pour combler le déficit de compétences en intelligence artificielle dans le pays. Vos rapporteurs ajoutent que rien n'a non plus été fait pour lutter contre la fuite des cerveaux.
S'agissant de la gouvernance et des investissements en IA, la complexité de l'écosystème d'acteurs et des outils de financement public constitue un frein à l'efficacité des mesures voulues par l'exécutif, et ce, malgré la présence du coordinateur national à l'intelligence artificielle (aujourd'hui Guillaume Avrin). Cette coordination ne joue pas un rôle assez important et n'est pas assez financée selon la Cour.
Ce déficit de cohérence dans la gouvernance française de sa stratégie en IA crée des difficultés pour attirer et concentrer les investissements. Aussi, bien que les sommes investies représentent des montants importants, la dispersion des moyens dans un saupoudrage peu rationnel empêche ces investissements d'être pleinement efficaces.
Aussi, la Cour des comptes préconise l'élaboration d'une nouvelle politique publique globale en matière d'IA, au moins pour assurer une bonne gouvernance et une coordination de l'ensemble des dispositifs de financement.
3. Les perspectives de relance de la politique nationale de l'IA
La dernière étape concernant la gouvernance française de l'intelligence artificielle a été la remise au Gouvernement du rapport « IA : notre ambition pour la France » le 13 mars 2024325(*).
Ce rapport a été rédigé par la Commission de l'intelligence artificielle dont les présidents étaient Anne Bouverot et Philippe Aghion, rencontrés par vos rapporteurs, tout comme l'ont été les deux rapporteurs généraux du rapport, Cyprien Canivenc et Arno Amabile.
Ce rapport important contient 25 recommandations pour une politique ambitieuse de la France en matière d'IA, avec un investissement d'un peu plus de cinq milliards d'euros par an sur cinq ans. Ces dépenses évaluées à 27 milliards d'euros au total sont récapitulées ci-après.
Tableau récapitulatif des recommandations de la Commission de l'intelligence artificielle
Recommandations |
Coût estimé sur cinq ans |
|
1 |
Créer les conditions d'une appropriation collective de l'IA et de ses enjeux afin de définir collectivement les conditions dans lesquelles elle s'insère dans notre société et nos vies quotidiennes |
10 millions d'euros |
2 |
Investir dans l'observation, les études et la recherche sur les impacts des systèmes d'IA sur la quantité et la qualité de l'emploi |
5 millions d'euros |
3 |
Faire du dialogue social et professionnel un outil de co-construction des usages et de régulation des risques des systèmes d'IA |
- |
4 |
Porter une stratégie de soutien à l'écosystème d'IA ouverte au niveau international en soutenant l'utilisation et le développement de systèmes d'IA ouverts et les capacités d'inspection et d'évaluation par des tiers |
- |
5 |
Faire de la France un pionnier de l'IA en renforçant la transparence environnementale, la recherche dans des modèles à faible impact, et l'utilisation de l'IA au service des transitions énergétique et environnementale |
100 millions d'euros |
6 |
Généraliser le déploiement de l'IA dans toutes les formations d'enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l'enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées |
1,2 milliard d'euros |
7 |
Investir dans la formation professionnelle continue des travailleurs et dans les dispositifs de formation autour de l'IA |
200 millions d'euros |
8 |
Former les professions créatives à l'IA, dès les premières années de l'enseignement supérieur et en continu |
20 millions d'euros |
9 |
Renforcer la capacité technique et l'infrastructure du numérique public afin de définir et de passer à l'échelle une réelle transformation des services publics grâce au numérique et à l'IA, pour les agents et au service des usagers |
5,5 milliards d'euros |
10 |
Faciliter la circulation des données et le partage de pratiques pour tirer les bénéfices de l'IA dans les soins, améliorer l'offre et le quotidien des soignants |
3 milliards d'euros |
11 |
Encourager l'utilisation individuelle, l'expérimentation à grande échelle et l'évaluation des outils d'IA pour renforcer le service public de l'éducation et améliorer le quotidien des équipes pédagogiques |
1 milliard d'euros |
12 |
Investir massivement dans les entreprises du numérique et la transformation des entreprises pour soutenir l'écosystème français de l'IA et en faire l'un des premiers mondiaux |
3,6 milliards d'euros |
13 |
Accélérer l'émergence d'une filière européenne de composants semi-conducteurs adaptés aux systèmes d'IA |
7,7 milliards d'euros |
14 |
Faire de la France et de l'Europe un pôle majeur de la puissance de calcul installée |
1 milliard d'euros |
15 |
Transformer notre approche de la donnée personnelle pour mieux innover |
16 millions d'euros |
16 |
Mettre en place une infrastructure technique favorisant la mise en relation entre les développeurs d'IA et les détenteurs de données culturelles patrimoniales |
35 millions d'euros |
17 |
Mettre en oeuvre et évaluer les obligations de transparence prévues par le règlement européen sur l'IA en encourageant le développement de standards et d'une infrastructure adaptée |
- |
18 |
Attirer et retenir des talents de stature internationale avec des compétences scientifiques ou entrepreneuriales et managériales dans le domaine de l'IA |
10 millions d'euros |
19 |
Assumer le principe d'une « Exception IA » sous la forme d'une expérimentation dans la recherche publique pour en renforcer l'attractivité |
1,025 milliard d'euros |
20 |
Inciter, faciliter et amplifier le recours aux outils d'IA dans l'économie française en favorisant l'usage de solutions européennes |
2,6 milliards d'euros |
21 |
Faciliter l'appropriation et l'accélération des usages de l'IA dans la culture et les médias pour limiter la polarisation entre grands groupes et petits acteurs et lutter contre la désinformation |
60 millions d'euros |
22 |
Structurer une initiative diplomatique cohérente et concrète visant la fondation d'une gouvernance mondiale de l'IA |
300 millions d'euros |
23 |
Structurer dès maintenant un puissant écosystème national de gouvernance de l'IA |
5 millions d'euros |
24 |
Doter la France et l'Europe d'un écosystème d'évaluation public et privé des systèmes d'IA au plus proche des usages et des derniers développements technologiques |
15 millions d'euros |
25 |
Anticiper les concentrations de marché sur l'ensemble de la chaîne de valeur de l'intelligence artificielle |
- |
TOTAL |
27 milliards d'euros |
Les principaux leviers d'action actuels de l'exécutif sont ceux de la deuxième phase de la stratégie nationale pour l'intelligence artificielle (2021-2025), ainsi que les compléments apportés à cette stratégie par les mesures annoncées par le Président de la République lors du « rassemblement des plus grands talents français de l'IA » à l'Élysée le 21 mai 2024.
Lors de son audition par vos rapporteurs, Guillaume Avrin, coordinateur national pour l'IA, a détaillé la structure du dispositif mis en place pour favoriser l'IA dans notre pays. Il a précisé que le plan de l'exécutif se découpait en plusieurs phases. La première phrase, aujourd'hui terminée consistait d'abord à promouvoir une IA d'excellence notamment grâce à la création des Instituts 3IA. Le second volet, en cours de déploiement, censé couvrir la période 2021-2025, consiste à diffuser l'IA dans l'économie et la société à l'aide de trois moyens d'investissement : la commande publique, les subventions et l'investissement en capital.
Le développement de cette deuxième phase vise spécifiquement quatre domaines : l'IA frugale, soit l'IA compétitive tout en étant écologiquement responsable, l'IA embarquée, c'est-à-dire des systèmes pouvant être exécutés localement, l'IA de confiance et l'IA générative, des aspects thématiques bien plus mis en avant que lors de la première phase. Le souhait de l'exécutif est de développer l'interdisciplinarité pour l'IA en promouvant l'initiative « l'IA plus X », c'est-à-dire l'utilisation de l'IA comme outil dans divers secteurs. L'approche applicative semble donc très privilégiée par le gouvernement, ce qui a été confirmé par l'audition de la DGE par vos rapporteurs.
Lors du rassemblement des plus grands talents français de l'IA à l'Élysée le 21 mai 2024, le Président de la République, Emmanuel Macron, a indiqué qu'il souhaitait voir la stratégie en matière d'IA se déployer autour de cinq grands domaines : les talents, les infrastructures, les usages, l'investissement et la gouvernance. Une telle approche est plus satisfaisante qu'une concentration sur les seules applications.
Il a annoncé un plan d'investissement de 400 millions d'euros pour financer neuf pôles d'excellence en IA, comprenant les quatre anciens Instituts 3IA lancés en 2019 (MIAI@Grenoble-Alpes, 3IA Côte d'Azur, PRAIRIE et ANITI) auxquels s'ajoutent désormais SequoIA à Rennes, un projet de l'université de Lorraine, Hi Paris! de l'Institut polytechnique de Paris, PostGenAI@Paris de la Sorbonne et DATA IA de l'Université Paris-Saclay, l'objectif étant de passer de 40 000 à 100 000 personnes formées à l'IA par an.
Un autre projet annoncé par le chef de l'État est « Scribe » d'une durée prévue de deux ans, inclus dans le plan France 2030 et visant à soutenir l'IA sectorielle. Ce plan vise à encourager le développement de modèles de fondation et des applications sectorielles de l'IA, la création de jeux de données d'alignement sectoriels et le développement d'outils d'évaluation et de sécurité.
Un nouveau fonds d'investissement devrait être mis en place, dont un quart sera financé par l'État afin de financer des domaines aujourd'hui moins en vue, voire oubliés, bien que pourtant indispensables à l'IA, comme la filière des semi-conducteurs et des puces ainsi que l'informatique en nuage. Cet aspect est à suivre de près.
Le Président de la République a dans le même temps annoncé vouloir créer des fonds d'investissement similaires au niveau européen avec le même objectif de financement de ces secteurs stratégiques. Il faut espérer qu'une telle démarche ne conduise pas à prendre encore davantage de retard dans la mise en oeuvre d'un financement urgent et ciblé en direction de la filière française des semi-conducteurs et des puces ainsi que de l'informatique en nuage.
Le Président de la République a également prévu de doter le Conseil national du numérique de 10 millions d'euros supplémentaires pour lui permettre de réaliser sa mission d'acculturation des citoyens à l'IA, notamment à travers les « Cafés IA », proposés par la commission de l'intelligence artificielle.
Enfin, l'ouverture du centre d'évaluation en IA au sein du Laboratoire national de métrologie et d'essai (LNE) confirme le rôle important joué par cette structure dans le suivi et l'évaluation des modèles d'IA, en lien avec les exigences posées par l'AI Act de l'UE en 2024. Ce texte prévoit en effet un cadre assez précis en la matière.
* 307 Cette formulation est tirée du rapport de l'OPECST « Pour une intelligence artificielle maîtrisée, utile et démystifiée » en sa page 26. Ses références ont déjà été données.
* 308 Extrait du rapport op. cit., page 144.
* 309 Cf. la page de présentation du rapport qui contient le lien vers le document complet : https://www.cnil.fr/fr/ia-la-cnil-publie-ses-premieres-recommandations-sur-le-developpement-des-systemes-dintelligence
* 310 Fondée par Amazon, Facebook, Google, DeepMind, Microsoft et IBM, rejoints par Apple en 2017, cette association regroupe une centaine de structures, non seulement des entreprises mais aussi des associations et des organismes du monde de la recherche.
* 311 Ce rapport, remis au Président de la République Valéry Giscard d'Estaing en décembre 1977 par Simon Nora et Alain Minc, préconisait de manière audacieuse d'associer les télécommunications et l'informatique grâce à la connexion de terminaux informatiques permettant la visualisation et l'échange, à travers les réseaux de télécommunication, de données stockées dans des ordinateurs. Il a inventé le concept de télématique et a proposé le lancement du réseau Minitel, exactement seize ans après qu'un chercheur du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Joseph Carl Robnett Licklider, eut rédigé les premiers textes décrivant les interactions sociales rendues possibles par l'intermédiaire d'un réseau d'ordinateurs alors baptisé « réseau galactique » qu'il développa dans les années 1970 pour le gouvernement américain sous le nom d'Arpanet (ou réseau de l'Arpa, du nom de la structure ayant précédé la Darpa) et ayant conduit à Internet après l'adoption du protocole TCP/IP en 1983.
* 312 Ce programme reposait sur le Comité interministériel sur la société de l'information, Cf. son rapport préparé en amont du programme : Préparer l'entrée de la France dans la société de l'information, Paris, La Documentation française, 1998. Cf. également la déclaration du 10 juillet 2000 de Lionel Jospin, alors Premier ministre, sur les priorités du gouvernement concernant la société de l'information, notamment la volonté de combler le fossé numérique en offrant à tous la possibilité de s'initier à l'Internet : https://www.vie-publique.fr/discours/137517-declaration-de-m-lionel-jospin-premier-ministre-sur-les-priorites-du
* 313 Cf. le rapport de l'OPECST op. cit. page 142.
* 314 Le rapport abordait successivement différentes facettes de l'IA : politique économique, recherche, emploi, éthique, cohésion sociale. Et cinq annexes insistaient sur des domaines d'intérêt particulier : éducation, santé, agriculture, transport, défense et sécurité. Rapport de Cédric Villani « Donner un sens à l'intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne », 2018, https://www.vie-publique.fr/rapport/37225-donner-un-sens-lintelligence-artificielle-pour-une-strategie-nation
* 315 L'expression AI for Humanity sera utilisée par EDF, Thalès et Total pour nommer en 2020 leur premier laboratoire industriel conjoint de recherche. Rapidement débaptisé, il s'intitule désormais Sinclair (pour Saclay INdustrial Collaborative Laboratory for Artificial Intelligence Research).
* 316 L'entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance, ou European High-Performance Computing Joint Undertaking (EuroHPC JU), a sélectionné en 2022 le Forschungszentrum Jülich, pour exploiter en Allemagne Jupiter (pour Joint Undertaking Pioneer for Innovative and Transformative Exascale Research), le premier supercalculateur européen exascale. Il a ensuite sélectionné en 2023 le consortium franco-néerlandais Jules Verne pour un second supercalculateur exascale qui sera hébergé par le CEA, à Bruyères-le-Châtel, près d'Arpajon dans l'Essonne et devait prendre le nom du consortium. Enfin, en 2024 le Gouvernement et le GENCI annoncent que le supercalculateur prendra finalement le nom de la chercheuse en informatique Alice Recoque.
* 317 Sa construction complète a pris 122 jours en incluant la fabrication des processeurs mais entre la livraison des processeurs à Memphis, Tennessee, et l'entraînement des modèles il n'a fallu que 19 jours. Cf. le communiqué de Nvidia : https://nvidianews.nvidia.com/news/spectrum-x-ethernet-networking-xai-colossus?ncid=so-twit-249598 ainsi que l'interview du PDG de Nvidia Jensen Huang expliquant que « building xAI's computing supercluster in just 19 days, from concept to training, was a superhuman effort and the only person in the world who could have done it is Elon Musk » : https://x.com/tsarnick/status/1845528355833319769
* 318 Cf. cet article du 9 septembre 2024 qui explique que « the biggest AI computer the world has ever seen (and it's not even close) boasts some of the most astonishing numbers one can fathom and helps us toy with the idea of how large the next generation of models will be » : https://pub.towardsai.net/putting-the-worlds-largest-ai-supercomputer-into-perspective-60afde9bc653 et cet article du 4 septembre 2024 « xAI has apparently completed the world's fastest supercomputer »: https://www.heise.de/en/news/xAI-has-apparently-completed-the-world-s-fastest-supercomputer-9857540.html
* 319 Cf. la déclaration d'Elon Musk le 28 octobre 2024 sur X : https://x.com/elonmusk/status/1850991323010261230 et surtout le communiqué assez complet de Nvidia du même jour : https://nvidianews.nvidia.com/news/spectrum-x-ethernet-networking-xai-colossus?
* 320 Le prix de 70 000 dollars est évalué par HSBC, cf. https://www.lebigdata.fr/une-puce-ia-a-70-000-le-prix-des-nvidia-blackwell-fait-trembler-lindustrie en dépit des déclarations du PDG de Nvidia qui parle, lui, d'un coût de 30 000 à 40 000 dollars pièce : https://next.ink/brief_article/le-gpu-blackwell-b200-coutera-entre-30-000-et-40-000-dollars-piece/
* 321 Il faut ajouter à ces 1 456 GPU H100 des processeurs d'ancienne génération, comme les 416 GPU A100 et les 1 832 GPU V100. Cf. https://www.cnrs.fr/fr/presse/genci-et-le-cnrs-choisissent-eviden-pour-faire-du-supercalculateur-jean-zay-lune-des
* 322 La première phase (2018-2022) visait à doter la France de capacités de recherche compétitives. Cette première étape a été financée à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Elle a notamment permis la création et le développement du réseau d'instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle (3IA), la mise en place de chaires d'excellence et de programmes doctoraux, ainsi que le supercalculateur Jean Zay. La deuxième phase (2021-2025) cherche à diffuser les technologies d'IA au sein de l'économie et à soutenir le développement et l'innovation dans des domaines prioritaires comme l'IA embarquée, l'IA de confiance, l'IA frugale et l'IA générative. Cette seconde phase devrait être dotée de 2,2 milliards d'euros, notamment dans le cadre de France 2030, et s'articule autour de trois piliers : le soutien à l'offre deep tech, la formation et l'attraction des talents, le rapprochement de l'offre et de la demande de solutions en IA, cf. https://www.entreprises.gouv.fr/fr/numerique/enjeux/la-strategie-nationale-pour-l-ia
* 323 Cf. le rapport de la Cour des comptes, 2023, « La stratégie nationale de recherche en intelligence artificielle » : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/la-strategie-nationale-de-recherche-en-intelligence-artificielle
* 324 Op. cit. p. 47.
* 325 Cf. la présentation du rapport de la Commission de l'intelligence artificielle présidée par Anne Bouverot et Philippe Aghion : https://www.info.gouv.fr/actualite/25-recommandations-pour-lia-en-france