EXAMEN EN COMMISSION
6 NOVEMBRE 2024
M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent le rapport de Sylvie Robert, Monique de Marco et Else Joseph sur l'évaluation de la partie « création » de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP.
Mme Else Joseph, rapporteure. - La loi LCAP est le fruit de travaux parlementaires très approfondis et constructifs - le texte a fait l'objet de deux lectures dans chacune de nos assemblées, ce qui n'est plus arrivé depuis longtemps ! -, ainsi que l'aboutissement d'un long processus de concertation avec les professionnels de la culture. Son périmètre est très large puisqu'il va de la création et de la diffusion artistiques au patrimoine et à l'architecture, en passant par l'enseignement supérieur artistique.
Après huit années d'application, notre commission a souhaité évaluer la mise en oeuvre du volet consacré à la création artistique ; celui qui est relatif au patrimoine a été abordé dans le cadre de la mission d'information sur les architectes des bâtiments de France, dont les conclusions viennent de nous être présentées par Marie-Pierre Monier et Pierre-Jean Verzelen.
Notre mission, transpartisane, avait donc pour objectif de dresser un état des lieux approfondi des avancées, mais aussi des limites de la loi LCAP pour la création, qui - rappelons-le - a subi de plein fouet les crises successives de ces dernières années. Ce secteur est confronté à des enjeux majeurs comme la transformation des pratiques culturelles à l'ère du numérique ou la transition écologique, et son modèle économique est fragilisé par la dégradation des finances publiques.
À l'issue de notre trentaine d'auditions, nous avons choisi de structurer notre rapport autour de quatre axes principaux : l'effectivité des principes de liberté et de diffusion artistiques, la gouvernance et le financement des politiques publiques de la création, le cadre de la labellisation et du conventionnement, et l'organisation de l'enseignement supérieur artistique. Nous avons ajouté, à la fin du rapport, plusieurs remarques sur des dispositions diverses nécessitant, selon nous, une évolution législative ou réglementaire.
Commençons par un constat global positif : la loi LCAP a incontestablement permis des avancées pour un secteur qui souffrait jusqu'alors d'un certain flou normatif. Avec ses cinquante-quatre articles, le volet relatif à la création a créé un cadre juridique protecteur pour les libertés de création et de diffusion, précisé la gouvernance des politiques publiques de soutien à la création, formalisé la politique de labellisation et de conventionnement, structuré le paysage de la création et organisé l'enseignement supérieur artistique.
Sur certains de ces sujets, la loi LCAP a fait évoluer le droit existant, sur d'autres, elle a posé un socle juridique qui n'existait pas encore. Elle est ainsi considérée par nombre de professionnels comme un texte structurant, une « boussole », pour reprendre l'expression de l'un d'entre eux.
Mme Sylvie Robert, rapporteure. - Venons-en à notre premier grand axe d'étude, à savoir les principes des libertés de création et de diffusion artistiques.
Les deux premiers articles de la loi LCAP consacrent, pour la première fois dans notre législation, les libertés de création et de diffusion, jusqu'alors considérées comme des applications particulières de la liberté d'expression. Désormais, la possibilité de créer des oeuvres et de les diffuser sans être soumis à des contingences politiques, économiques ou sociales, est garantie par la loi. En outre, un délit spécifique est créé pour punir les cas d'entrave à l'exercice des libertés de création et de diffusion. Ces dispositions constituent un acquis symbolique et juridique majeur, unanimement salué par les professionnels.
Qu'en est-il cependant dans la pratique ?
Les remontées de terrain nous permettent de dresser un constat paradoxal et inquiétant : alors que les libertés de création et de diffusion artistiques sont reconnues et protégées par la loi depuis 2016, les atteintes qui leur sont portées sont de plus en plus fréquentes et diverses.
Auparavant limitées à quelques affaires emblématiques d'audience nationale, dans des lieux souvent symboliques ou susceptibles d'une importante médiatisation, les entraves constatées ces dernières années sont plus nombreuses. Elles ont une portée plus locale et sont motivées par des intérêts plus diversifiés. Dirigées contre les artistes, leurs oeuvres ou leurs programmateurs, elles prennent la forme d'annulations de représentations, de manifestations sur les lieux d'exposition ou de représentation, voire même d'actions d'intimidation parfois violentes.
Que révèlent ces entraves aux libertés de création et de diffusion ?
D'abord, que les censeurs, aux profils plus hétérogènes que par le passé, cherchent non seulement la plus grande audience médiatique possible, mais veulent aussi se rendre visibles dans la vie locale et exercer une pression directe sur les artistes et les diffuseurs.
Ensuite, que les mutations sociétales récentes élargissent le périmètre des sujets pouvant donner lieu à contestation, tandis que la transformation des moyens collectifs d'action, en particulier l'usage croissant des réseaux sociaux, joue un rôle organisateur et amplificateur majeur.
Enfin, que la culture, dans une société fortement polarisée, a un retentissement symbolique et médiatique très fort.
Nous pointons une autre évolution récente, tout aussi inquiétante : le développement, dans nos territoires, d'une nouvelle forme de censure, moins visible et plus insidieuse, pouvant être qualifiée de censure préventive. Elle est le fait de programmateurs, d'élus locaux qui, de leur propre chef ou sous certaines pressions, préfèrent éviter de mettre à l'affiche certaines oeuvres par crainte qu'elles ne heurtent une partie de la population. Des créations abordant des sujets sociétaux jugés a priori clivants peuvent ainsi être écartées. Nous ont également été rapportés des cas de censure préventive impliquant des préfets, qui ont pu faire valoir un risque manifeste de trouble à l'ordre public pour justifier la non-diffusion d'un spectacle.
Ces dérives sont extrêmement préoccupantes, tant pour la diversité des points de vue artistiques, la qualité de l'offre culturelle que la vigueur du débat public. Aussi, nous rappelons avec force que les libertés de création et de diffusion artistiques sont essentielles au bon fonctionnement d'une société démocratique et qu'en conséquence, elles doivent absolument être protégées des décisions de pure opportunité politique ou économique.
Nous regrettons d'ailleurs que les entraves aux libertés de création et de diffusion ne fassent pas l'objet d'un travail d'observation de la part du ministère de la culture : nous manquons de données nationales consolidées pour quantifier et caractériser un phénomène largement constaté par les acteurs de terrain.
Nous dressons enfin un dernier constat : malgré la multiplication des atteintes aux libertés de création et de diffusion, le dépôt de plainte prévu par la loi LCAP est insuffisamment utilisé, tant par méconnaissance du dispositif que par difficulté à caractériser le délit. Qui plus est, lorsqu'une situation d'entrave est portée en justice, le juge argue généralement d'une atteinte à la liberté d'expression et non à la liberté de création ou de diffusion.
Au regard de cet état des lieux assez sombre, il nous semble indispensable d'aller plus loin dans la protection effective des libertés de création et de diffusion. Pour ce faire, nous formulons deux séries de recommandations.
En amont, il faut reconnaître la spécificité des principes de liberté de création et de diffusion artistiques et mieux prévenir les atteintes qui leur sont portées.
Pour ce faire, nous recommandons de modifier l'article 2 de la loi LCAP pour renforcer la portée normative des libertés de création et de diffusion ; d'élaborer et de diffuser, en lien et pour les professionnels de la création, un guide juridique et pratique relatif à ces libertés ; d'inciter les associations d'élus à davantage sensibiliser et former les élus locaux aux libertés de création et de diffusion artistiques ; de rappeler aux préfets l'intérêt de garantir l'effectivité de ces principes ; de mettre en place, au niveau de chaque DRAC, d'une cellule d'observation et d'alerte recensant les différentes formes d'atteinte aux libertés de création et de diffusion artistiques ;d'étudier la possibilité de la création d'une instance de médiation indépendante, qui pourrait être un Défenseur des libertés de création et de diffusion artistiques, sur le modèle du Défenseur des droits.
En aval, il faut actionner davantage le délit d'entrave aux libertés de création et de diffusion artistiques. Les professionnels de la création et les élus locaux doivent être mieux informés sur la possibilité de recours devant les tribunaux. De plus, un travail d'expertise juridique doit être mené pour faciliter le dépôt de plainte sur le fondement de l'article 431-1 du code pénal. Enfin, le contentieux relatif aux libertés de création et de diffusion artistiques doit être confié à des chambres spécialisées.
Pour terminer ce chapitre, la ministre nous a rassurés hier, lors de son audition par notre commission, en annonçant qu'elle allait se saisir de cette question et qu'elle présentera prochainement un plan qui, nous l'espérons, sera largement inspiré par nos recommandations.
Mme Monique de Marco, rapporteure. - Poursuivons avec notre deuxième axe d'étude : la gouvernance et le financement des politiques publiques de soutien à la création.
Vous le savez, les politiques culturelles constituent, en application des lois de décentralisation successives, une compétence partagée entre l'État et les collectivités territoriales, comme le confirment la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, puis la loi LCAP de 2016.
Parfois remise en question au profit d'une organisation qui reposerait sur un « chef de filât », comme l'a récemment proposé le rapport Woerth sur la décentralisation, la compétence partagée en matière culturelle est un principe qui, à nos yeux, continue de faire sens, mais qui nécessite une coopération exigeante entre les collectivités publiques.
L'article 4 de la loi LCAP prévoit que cette coopération se déroule au sein d'une nouvelle enceinte, les conférences territoriales de l'action publique (CTAP) dédiées à la culture. Or, dans la plupart des régions, ces CTAP « culture » sont aujourd'hui inopérantes, si tant est qu'elles existent. Elles n'ont jamais réellement trouvé leur place, excepté en Normandie et en Bretagne. Quand elles se réunissent, elles s'apparentent à des grands-messes composées d'une centaine de membres, où les prises de parole se succèdent de manière uniquement formelle.
Prenant acte de leur échec, et dans la continuité du rapport d'information sur les nouveaux territoires de la culture déposé par Sonia de La Provôté et Antoine Karam, nous estimons que de nouvelles perspectives doivent être tracées en matière de gouvernance des politiques culturelles à l'échelle des territoires. Aux organes de dialogue pléthoriques et formels doivent succéder d'autres types d'instances permettant de fédérer les différents acteurs publics autour d'une démarche véritablement stratégique et opérationnelle.
C'est pourquoi nous appelons à faire émerger, au niveau des territoires, des alliances culturelles stratégiques. Ces alliances réuniraient les collectivités territoriales volontaires et l'État autour de quelques grands objectifs communs pour répondre aux besoins culturels locaux.
Ce renouvellement de la gouvernance suppose, en parallèle, de mettre fin à l'affaiblissement de l'État culturel déconcentré. Au cours de nos auditions, nous avons été alertées à de nombreuses reprises sur la grande fragilité dans laquelle se trouvent les directions régionales des affaires culturelles (Drac). Alors que 80 % de l'action et des crédits du ministère de la culture en soutien à la création sont déconcentrés et que les Drac disposent historiquement d'une expertise dans ce secteur, leurs conseillers chargés de la création sont peu nombreux et extrêmement mobilisés, car la fusion des régions a considérablement développé leur périmètre d'intervention sans que leur répartition globale soit toujours harmonisée.
Il nous apparaît donc indispensable de revitaliser les Drac en renforçant leurs moyens humains et en leur donnant davantage de latitude pour répartir les crédits déconcentrés, car ce sont elles, et non l'administration centrale du ministère, qui connaissent les besoins du terrain.
Analyser le sujet de la gouvernance nous a inévitablement amenées à aborder celui du financement de la création artistique. Vous n'êtes pas sans le savoir, de nombreuses structures culturelles dans nos territoires sont confrontées à la réduction de leurs marges artistiques, en raison des surcoûts causés par les crises énergétiques et inflationnistes. Cette situation menace leur capacité à mener à bien leurs missions de soutien à la création, de promotion de la diversité artistique et d'animation culturelle des territoires.
Alors que le secteur de la création a fait l'objet d'une coupe budgétaire de 96 millions d'euros en début d'année, nous rappelons que lorsqu'on assèche la création, toutes les politiques publiques culturelles sont menacées. À l'heure du plan « Mieux produire, mieux diffuser » porté par le ministère de la culture, comment, dans le contexte budgétaire très contraint que nous connaissons, penser et financer la création artistique ?
Sans vouloir préempter le débat que nous aurons dans quelques semaines lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, nous pensons qu'une piste consisterait à réaffecter au secteur de la création une partie des financements consacrés au pass Culture. Ce dispositif concentre depuis plusieurs années l'essentiel des augmentations de crédits du ministère, alors qu'il ne peut constituer l'alpha et l'oméga de la politique culturelle de l'État.
Il se trouve qu'avant de le confirmer hier lors de son audition, la ministre de la culture a annoncé, le 11 octobre dernier, dans une tribune au journal Le Monde, une réforme en profondeur du pass Culture, en esquissant plusieurs voies d'évolution - modulation de la somme offerte aux jeunes en fonction de leur milieu social, fin de l'utilisation libre des crédits individuels, dont une part serait obligatoirement réservée au spectacle vivant, meilleure association des collectivités territoriales au dispositif. Cependant, en l'absence de précisions sur les modalités, le calendrier et le financement d'un tel projet de réforme, nous maintenons notre recommandation.
Parmi les autres leviers de financement envisageables, nous proposons d'examiner la possibilité pour l'État et les collectivités territoriales de consacrer un pourcentage du coût des travaux publics au soutien des projets artistiques dans l'espace public. Un tel dispositif avait déjà été envisagé par la loi LCAP via la remise d'un rapport au Parlement ; celui-ci a bien été rendu, mais aucune suite n'y a été donnée. Remettons ce sujet sur le métier !
Mme Else Joseph, rapporteure. - Nous arrivons à notre troisième axe de réflexion, qui concerne la politique de labellisation et de conventionnement des structures culturelles.
L'article 5 de loi LCAP et ses textes d'application ont permis la formalisation d'un cadre national de référence très largement plébiscité. En effet, l'obtention d'un label ou d'un conventionnement est gage de reconnaissance de la crédibilité artistique à l'échelle territoriale, voire nationale.
Les acteurs de terrain ont cependant fait remonter plusieurs difficultés dans le déploiement de ce référentiel national, qui peuvent s'avérer particulièrement bloquantes pour certaines structures culturelles. Les procédures sont souvent très chronophages, complexes et rigides. En outre, les cahiers des missions et des charges, sous-tendus par une logique quantitative et la définition à l'échelon national d'un nombre très important d'indicateurs, sont souvent inadaptés aux besoins culturels locaux et aux problématiques sociétales actuelles comme la transition écologique ou l'intelligence artificielle.
Compte tenu de ce bilan en demi-teinte, nous estimons que le dispositif réglementaire issu de la loi LCAP mérite d'être maintenu dans ses grandes lignes, mais qu'il est nécessaire de l'adapter.
D'abord, nous recommandons d'introduire une logique davantage qualitative aux cahiers des missions et des charges, en réduisant leur nombre d'indicateurs et en actualisant ceux-ci au regard des problématiques sociétales actuelles. Ensuite, il faut permettre une meilleure déclinaison territoriale de ces cahiers, afin qu'ils puissent être adaptés aux caractéristiques culturelles locales.
Mme Sylvie Robert, rapporteure. - Venons-en au quatrième et dernier sujet d'analyse, l'organisation de l'enseignement supérieur artistique.
La loi LCAP a juridiquement clarifié les modalités de cet enseignement, mais, huit ans plus tard, les écoles supérieures d'art sont toujours confrontées à d'importants problèmes structurels.
Elles peinent à s'inscrire pleinement dans le troisième cycle doctoral, les universités disposant d'un monopole en la matière. En outre, le statut de leurs enseignants titulaires continue d'être un sujet bloquant, le recours aux personnels contractuels est de plus en plus fréquent et la concurrence des formations privées en art se fait de plus en plus offensive.
Vous le savez, les écoles de dimension territoriale sont en grande difficulté financière, ce qui a poussé le ministère de la culture à enfin diligenter une mission de diagnostic. Ses conclusions devraient être rendues d'ici à la fin du mois.
Enfin, les régions se sont globalement peu emparées de leur compétence en matière d'organisation de l'enseignement supérieur artistique. Celles qui ont voulu s'impliquer, comme la région Normandie, se sont vu refuser le transfert des crédits correspondants par l'État.
Au vu de cet état des lieux décevant, nous appelons à un réengagement public en faveur de l'enseignement supérieur artistique et recommandons d'inciter les universités et les écoles publiques d'art à nouer des partenariats en matière de troisième cycle doctoral, comme cela se fait dans certains territoires avec de bons résultats.
Nous demandons également une revalorisation du statut de professeur d'enseignement artistique, condition indispensable à une meilleure attractivité de ce métier.
En outre, il faut réaffirmer la compétence et la responsabilité des régions en matière de développement de l'enseignement supérieur artistique, moyennant le transfert concomitant et intégral des crédits correspondants.
De plus, nous pointons le manque d'intégration des écoles d'architecture dans l'écosystème de l'enseignement supérieur et de la recherche et, plus globalement, l'insuffisante mise à profit de la tutelle exercée par le ministère en charge de ce secteur. C'est pourquoi nous pensons qu'un rééquilibrage de la double tutelle ministérielle exercée sur ces écoles devient nécessaire.
Enfin, nous dénonçons la non-amélioration de la situation des conservatoires, en dépit des espoirs suscités par la loi LCAP. Notre collègue Catherine Morin-Desailly nous a régulièrement alertés sur ce sujet. Mettre fin à la dualité des interlocuteurs au sein du ministère de la culture, ceux-ci se renvoyant la balle, permettrait sans doute de faciliter le déblocage de ce dossier.
Mme Monique de Marco, rapporteure. - Un dernier mot pour vous signaler plusieurs problématiques spécifiques, que notre rapport développe plus en détail. Certaines sont abordées par la loi LCAP, mais nécessitent d'être retravaillées, d'autres n'ont pas été traitées par le législateur en 2016 et méritent aujourd'hui d'être étudiées.
Le dossier de la pratique artistique en amateur nous semble devoir être rouvert, les failles du cadre réglementaire actuel devant être comblées.
Il faut également faciliter l'accès, aujourd'hui trop limité, du Centre national de la musique (CNM) aux données nécessaires à l'exercice de sa mission d'observation économique du secteur de la musique.
De plus, nous recommandons de reconsidérer l'évolution du périmètre d'intervention du médiateur de la musique, dans le cadre d'une concertation avec les professionnels de la filière musicale.
Il faut en outre une clarification du régime des quotas radiophoniques francophones, à laquelle doit s'atteler l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) en lien avec les professionnels concernés.
Nous recommandons également de lancer une réflexion sur la protection juridique des producteurs de spectacles, qui ne sont actuellement pas couverts par la législation.
Il faut enfin réaffirmer la position de la France, notamment sur la scène européenne, en faveur de la protection du droit d'auteur, dans le contexte d'essor de l'intelligence artificielle.
Voilà, mes chers collègues, les différents constats et recommandations que nous souhaitions vous présenter au terme de nos travaux. Nous sommes bien sûr à votre disposition pour en débattre et répondre à l'ensemble de vos interrogations.
Mme Colombe Brossel. - Je remercie les rapporteures des nombreuses auditions passionnantes qu'elles ont organisées, et de la qualité des échanges qui nous ont permis de travailler en profondeur plusieurs sujets, ainsi que la liste des nombreuses recommandations l'illustre.
J'ai été très frappée et surprise par le fait que, malgré leur extrême diversité, tous les acteurs et professionnels que nous avons auditionnés ont débuté leurs interventions en abordant les questions de la liberté de création et de diffusion, de censure, d'autocensure et de freins à la création. Il ne s'agit pas que d'une question de principe : chacun apportait des exemples étayés, relativement récents, de censures, d'autocensures, de freins ou d'interdictions, formalisés ou non.
Ce diagnostic partagé doit collectivement nous interroger, ce que permettent les recommandations formulées par les rapporteures.
Nous serons attentifs au plan annoncé hier par la ministre à la suite de l'interpellation de Sylvie Robert, pour que les libertés de création et de diffusion soient au coeur de notre engagement collectif.
Ce travail, d'une extrême qualité, dessine un paysage sombre. Il faut prendre les sujets un par un pour avancer. Vos recommandations nous y aident.
Mme Sonia de La Provôté. - Je remercie les rapporteures de leur bilan exhaustif de l'application du volet création de la loi LCAP. Les auditions qu'elles ont organisées, dont le ton était assez libre, ont permis de faire émerger des sujets qui n'étaient pas forcément attendus.
Tous les points de vue, qu'ils proviennent d'acteurs publics, d'associations de collectivités, de producteurs, de directions de structure ou de syndicats, ont convergé vers les mêmes sujets. Le bilan que dresse ce rapport est le fruit des remarques d'un écosystème tout entier.
La partie du rapport qui concerne la co-construction au niveau territorial me semble essentielle. Le dernier Atlas régional de la culture date de 2019, mais à l'époque déjà l'État n'assurait que 40 % des financements, le reste incombant aux collectivités, notamment au bloc communal qui y participait à hauteur de 60 %. La co-construction est donc financièrement indispensable. En période de disette budgétaire, nous ne pourrons pas nous contenter d'entendre que celui qui paye décide. L'État doit retrouver son rôle, fixer les grands objectifs de l'accès à la culture et défendre les droits culturels définis par la loi LCAP. Le rapport illustre l'importance de disposer d'une co-construction active et agile, afin que les réunions ne se réduisent pas à des grands-messes.
Je ne reviendrai pas sur la question de la labellisation, mais le sujet est abordé chaque année lors des discussions budgétaires. Les cahiers des charges et des missions doivent évoluer !
Le réengagement public pour les écoles supérieures d'art constitue également un marronnier budgétaire. Les questions essentielles telles que le statut des enseignants ou le troisième cycle doctoral ne sont toujours pas traitées, alors que le sujet n'est pas subsidiaire, puisque l'émergence créative vient pour beaucoup de ces écoles.
Un autre marronnier budgétaire est le plan relatif aux conservatoires, dont on peine à concevoir la réalisation.
La recommandation relative aux missions du CNM, notamment celle qui concerne l'observation du secteur de la musique, est également essentielle : il faut voir comment sont répartis les financements en fonction des esthétiques et des disciplines, tout en conférant davantage d'agilité aux structures et en veillant à l'équité territoriale. Ces sujets doivent être traités, car les collectivités, dont les budgets vont être réduits, ne pourront pallier toutes les carences de l'État.
Je terminerai avec la question de la censure et de l'autocensure préventive. Il n'était pas prévu que ce rapport aborde en priorité ce sujet, qui est très spontanément arrivé en premier lors des auditions. Cela résulte probablement de l'émergence de pressions venant des réseaux sociaux, qui font que chaque contradiction peut donner lieu à des manifestations ou à des pressions, voire à des violences. Mettre en avant ce sujet ne peut être évité, d'autant que les libertés de création et de diffusion sont définies par les deux premiers articles de la loi LCAP.
Même si cette question encore émergente n'est pas totalement objectivée, elle doit être traitée. J'ajouterai peut-être à la recommandation n° 6 le terme « opportunité » à propos d'une réflexion sur la création d'une instance de médiation. Cette création pourrait en effet être conditionnée au contenu du plan annoncé par la ministre, pour voir comment mieux observer ce phénomène qui, compte tenu du nombre des témoignages, n'est pas un simple ressenti, mais bien une réalité.
M. Pierre Ouzoulias. - Votre travail est courageux, et le sujet, grave, est difficile à appréhender et encore plus complexe à restituer.
Comme vous, et l'élection outre-Atlantique de cette nuit ne me porte pas à l'optimisme, je suis effrayé par la montée d'une forme d'intolérance qui touche toutes les libertés, qu'il s'agisse des libertés académiques, des attaques sur le discours historique, ou des attaques sur la liberté de la création et le statut de l'artiste. Il s'agit de symptômes d'une société qui va mal, qui trouve un sens dans l'exclusion de l'autre, tant de la part de la gauche que de celle de la droite. J'ai le triste sentiment que les peuples sont en train d'éteindre les Lumières. Il y a parfois la volonté de retrouver une forme de réalisme socialiste, lorsque l'État organisait ce que devait être la création. « Il n'existe pas, dans la réalité, d'art pour l'art, d'art au-dessus des classes, ni d'art qui se développe en dehors de la politique ou indépendamment d'elle » : cette citation est de Mao Zedong.
Les solutions sont extrêmement complexes. Vous en proposez quelques-unes, mais nous sommes un peu désarmés.
Je dépose tous les ans un amendement de suppression du pass Culture, et j'irai dans le sens de votre recommandation. Il faut revenir sur ces gadgets macroniens, tels que le service national universel (SNU) ou le pass Culture, qui ont montré leurs limites. Il faut réaliser un travail structurel qui s'appuie sur ce qui existe déjà, et arrêter d'imaginer que l'on peut trouver des solutions en créant des structures idoines ad hoc en dehors de tout contrôle parlementaire et ministériel. Le pass Culture doit devenir une politique au service du ministère de la culture. Sans même regarder son intérêt en pratique, il y a là une forme d'exigence démocratique.
En ce qui concerne la réforme des écoles d'art, vous avez tout à fait raison. Le ministère de tutelle ne fait rien, car le sujet est dans l'angle mort de ses politiques. Je crains que lorsque l'État est défaillant, il ne renvoie la compétence aux collectivités, alors que ce n'est plus aujourd'hui la solution.
M. Max Brisson. - Comme Colombe Brossel et Pierre Ouzoulias, je parlerai essentiellement des menaces contre la liberté de création et de diffusion artistiques, en ayant le sentiment de me trouver un peu à contre-courant de leurs positions, tout comme de celles de la ministre.
Auparavant toutefois, je souhaite préciser que je crois profondément que les élus de la République sont capables de défendre l'intérêt général, de résister aux pressions et de s'opposer aux influences. Dans notre histoire, il est aussi arrivé à des fonctionnaires de céder aux pressions et de subir des influences. Ce que j'ai entendu au sujet des élus m'a posé problème, surtout de la part de notre Assemblée.
Je remercie nos trois collègues pour l'exhaustivité et la qualité de leur travail, en particulier au sujet de la co-construction des politiques culturelles de territoire ou du rôle et des faiblesses de l'État déconcentré en matière de culture, ainsi que pour leurs recommandations en faveur des écoles supérieures d'art. Les axes deux à cinq du rapport me semblent intéressants, même si l'on peut s'interroger sur l'effet que peuvent avoir vingt-huit recommandations.
Je suis en revanche bien plus réservé sur le premier axe du rapport. Bien entendu, je ne nie pas l'existence d'atteintes à la liberté de création et de diffusion artistiques, mais j'aimerais que celles-ci soient replacées dans le temps.
Avant même 2016, moment où elle a été érigée au rang de liberté fondamentale, accompagnant le renforcement des fondements de notre démocratie et de notre République, la liberté de création était une liberté fondamentale au travers de la liberté d'expression. Dans ce cadre, elle a toujours été menacée, entravée, censurée par des forces obscurantistes ou totalitaires, partisanes par essence d'une conservation absolue ou de l'imposition forcée d'une culture unique répondant à un schéma totalitaire.
Dans les années 1930 ou pendant la guerre froide, certains rêvaient d'appliquer les canons d'un art officiel face à ceux qui voulaient protéger la diversité, qui étaient parfois accusés de céder aux sirènes de la domination d'Hollywood. Cela n'est pas nouveau, et cela n'a pas empêché de préserver et d'approfondir les libertés de création et de diffusion.
Si l'on s'inscrit dans le temps long, ces menaces ne me paraissent donc pas plus prégnantes aujourd'hui que par le passé. Comme toujours, elles proviennent de groupes de l'ultradroite ou de l'ultragauche, qui sont aussi ultraminoritaires. Elles sont toujours menées au nom de grands principes absolutistes, politiques, moraux ou religieux, cherchant à éradiquer toute forme de diversité.
C'est ainsi qu'on peut souiller nos plus grandes oeuvres, détériorer nos musées, déceler nos statues, bannir nos publications, harceler les artistes ou censurer les expressions artistiques.
Bien entendu, devant ces provocations et ces atteintes, la République ne doit pas reculer. Le sujet devait donc être posé, même s'il ne fallait pas l'exagérer ou le présenter comme totalement nouveau, au vu de l'histoire démocratique et républicaine.
Notre pays protège la liberté artistique, la liberté de création, la liberté d'expression. Ce qui me pose problème, à la lecture de ce rapport, c'est l'idée que l'appareil d'État et les élus de la République seraient en quelque sorte défaillants, manqueraient de volonté, méconnaîtraient le droit ou pire, feraient preuve de lâcheté face aux pressions qu'ils rencontrent.
Si cela peut se produire, ce n'est pas la règle, ou alors il faudrait désespérer de notre République. Dans certains territoires, on constate que la liberté artistique est menacée, mais ce n'est pas alors la seule liberté qui le soit. Ce recul n'est-il pas alors celui d'une République vacillante, qui ne donne pas toujours et partout à ses serviteurs, préfets et élus locaux, les moyens de la faire effectivement respecter ?
Je peux ainsi faire miennes la recommandation qui vise à conforter le délit d'entrave aux libertés de création et de diffusion, celle qui préconise de renforcer la sensibilisation et la formation des élus locaux, ou celle qui propose l'élaboration d'un guide juridique à destination des artistes.
En revanche, je doute que le sujet soit à ce point prégnant pour qu'il soit nécessaire de créer des chambres spécialisées. Je n'ai pas davantage d'appétence pour faire des rappels à l'ordre aux préfets, garants des libertés publiques et de l'ordre constitutionnel dans notre République. Surtout, je n'ai aucune appétence pour la création d'une instance indépendante qui générerait toujours son propre droit et finirait par échapper au pouvoir politique, pourtant seul détenteur de la souveraineté populaire.
À titre personnel, je précise qu'en trente-cinq ans de vie publique, je n'ai jamais rencontré de censeurs parmi les élus locaux, et je n'ai pas envie de leur faire passer le message que vous voulez leur adresser.
À titre collectif, après avoir indiqué les réserves que nous inspirent certaines des neuf premières recommandations, nous approuverons huit d'entre elles, mais nous demanderons, monsieur le président, de voter séparément sur la recommandation n° 6.
Mme Laure Darcos. - Je pourrais faire mienne l'intervention de Colombe Brossel, même si nous n'appartenons pas au même groupe politique. Tant mieux si ce problème ne s'est jamais posé dans les Pyrénées-Atlantiques, mais toutes les personnes auditionnées ont fait part de pressions provenant d'un bord ou de l'autre, qu'il s'agisse de wokisme, d'extrémisme religieux ou d'aspects moraux.
Il me semble que les propos de l'orateur précédent ont été excessifs. Les rapporteures, à la suite d'un dialogue, ont assoupli leurs recommandations et fait preuve d'ouverture. Nous ne voulons pas créer des instances de censure ou de discipline.
Mme Laure Darcos. - Pour ma part, je suivrai donc entièrement les recommandations de nos rapporteures. J'ai été confortée par les annonces de la ministre, qui a été alertée sur ces problèmes relatifs à la liberté de création. Il nous faut rester toujours le pays des Lumières, comme le dit Pierre Ouzoulias, et faire de la liberté de création artistique un fer de lance.
M. Jean-Gérard Paumier. - Cette mission d'évaluation revêt pour moi une importance particulière alors que partout dans le monde un nombre croissant de régimes autoritaires ou de groupes extrémistes s'en prennent à la liberté de création artistique. Notre pays n'est d'ailleurs pas exempt de tensions en ce domaine. Dans mon département, des lectures de textes contre l'homophobie ont été organisées à l'initiative de deux communes rurales, mais les élus ont dû résister à de fortes pressions.
Ce rapport rappelle avec force que la liberté de création artistique est une liberté fondamentale dans une démocratie. C'était nécessaire.
J'ai une réserve toutefois, d'ordre budgétaire, sur la recommandation n°11 : il ne faut pas plus de Drac, mais mieux de Drac, de telle sorte qu'elles soient dotées de davantage de crédits déconcentrés du ministère, pour leur permettre de gérer les projets locaux au plus près des territoires.
Mme Catherine Morin-Desailly. - La loi LCAP avait été adoptée après deux lectures dans chaque chambre au Parlement : c'est très rare. Cet examen approfondi nous avait permis d'améliorer sensiblement le texte et de lui donner du sens : l'Assemblée nationale avait mis l'accent sur l'architecture, le Sénat sur le patrimoine. Ce bilan, huit ans après, me semble utile. Nous avions fait de notre mieux sur les labels, la décentralisation des enseignements artistiques, ou sur d'autres sujets, mais nous avions le sentiment qu'il était possible d'aller plus loin. Il est donc intéressant de reprendre la réflexion aujourd'hui.
Lorsque l'on est élu, on est confronté en permanence à d'autres élus qui ne respectent pas la liberté de création. Combien de fois ai-je été attaquée, en Normandie, par des élus du Rassemblement national sur les oeuvres qu'achetait le Fonds régional d'art contemporain, sur les films et les documentaires que la région aidait à produire, sur la programmation de certains festivals, etc. Les élus sont souvent dépourvus pour répondre à ces attaques qui prennent à témoin l'opinion publique à travers les réseaux sociaux notamment. Il est si facile de faire de la démagogie sur ces sujets.
Je rejoins Pierre Ouzoulias : les atteintes à la liberté de création ou aux oeuvres elles-mêmes proviennent de tous les bords, de la droite comme de la gauche : certains portent atteinte à des tableaux du Louvre pour des motifs écologistes, certains veulent déboulonner des statues sans prendre en compte le contexte dans lequel elles ont été créées. Il faut donc réaffirmer nos valeurs et nos principes.
Les collectivités ont joué un rôle moteur dans l'élaboration de politiques culturelles partagées depuis les lois de décentralisation. La loi NOTRe de 2015 a confirmé que ce domaine relevait d'une compétence partagée. Les collectivités ont su construire un maillage territorial précieux.
Je suis toutefois dubitative sur l'axe 2 relatif à la co-construction des politiques culturelles à l'échelle des territoires. Je ne mets pas en cause vos propositions qui me paraissent de bon sens, mais aura-t-on la capacité de les mettre en oeuvre ? La situation budgétaire des collectivités territoriales est tendue. Leurs dotations sont réduites, les transferts de compétences n'ont pas été assortis de moyens supplémentaires. Les collectivités sont souvent dans une impasse budgétaire et elles doivent faire des économies qui affecteront aussi la culture et le patrimoine. Ne faut-il pas s'interroger sur les modèles économiques et d'intervention de toutes les parties prenantes de ce secteur ? Les acteurs de la culture posent cette question avec lucidité.
La proposition de consacrer une partie des crédits du pass Culture au financement de la création est excellente. Le pass Culture est une politique de la demande, et non pas de l'offre : on ne se demande jamais si les opérateurs ont les moyens de développer une offre culturelle adaptée. Or les marges dans le domaine artistique se sont réduites comme peau de chagrin. Il y a donc un effet ciseau. Les collectivités n'auront bientôt plus les moyens de financer leurs services d'éducation artistique et culturelle. La ministre s'interrogeait hier dans son audition sur l'offre d'éducation artistique et culturelle. Il suffit de regarder ce qui se fait dans chaque territoire. C'est inscrit dans les contrats d'objectifs et de moyens (COM) de toutes les structures du secteur cofinancées par les collectivités.
Il est temps de lancer un nouvel acte de décentralisation en ce qui concerne l'enseignement artistique. La ministre n'a pas répondu hier sur les écoles d'art, sur les conservatoires, etc. On se contente de poser des rustines. Il faut tout remettre à plat dans un nouvel acte de décentralisation, assorti d'un transfert de moyens. Nos rapporteures ont rappelé ce qui s'était passé lorsque la région Normandie a voulu définir un vrai schéma régional des enseignements artistiques. Celui-ci avait été élaboré à l'issue d'une CTAP constructive. Tous les acteurs avaient travaillé ensemble pendant deux ans sur le sujet. Mais Roselyne Bachelot a refusé le transfert financier correspondant : celui-ci était pourtant prévu par la loi. Cela a marqué un coup d'arrêt aux initiatives des autres régions pour élaborer ces schémas. De tels outils auraient pourtant permis de clarifier l'avenir des écoles d'art ou des conservatoires. Il faut reprendre le dossier.
Enfin, vos propositions sur les labels sont très pertinentes : imposer des indicateurs chiffrés ou strictement quantitatifs n'est plus possible vu la situation budgétaire des communes et des établissements. Les labels n'ont pas pris en compte les exigences, pourtant inscrites dans la loi, sur la territorialisation de l'offre culturelle. Les critères des labels doivent donc être revus en ce sens. On se demande d'ailleurs parfois comment les labels sont octroyés. L'orchestre des Pays de Savoie n'a pas obtenu le label qu'il réclamait, alors qu'il avait fait un travail remarquable pour répondre à toutes les demandes. Il n'a toutefois pas été soutenu par le ministère et les collectivités se sont désengagées du projet. Un effort de transparence s'impose.
Mme Else Joseph, rapporteure. - Certains d'entre vous ont évoqué la censure et l'autocensure. Il ne s'agissait pas pour nous, dans notre recommandation n° 4, d'adresser un rappel à l'ordre aux préfets ou aux élus. Néanmoins, afin de tenir compte de vos remarques, peut-être pourrions-nous modifier la rédaction de cette recommandation en remplaçant « Rappeler aux préfets l'intérêt de garantir l'effectivité... », par : « Inviter les préfets à garantir l'effectivité ». J'insiste sur le fait que la plupart des constats que nous formulons proviennent des acteurs de terrain, qu'il s'agisse des professionnels de la création ou des élus, que nous avons auditionnés. L'idée était de faire remonter leurs observations, de rappeler le contexte d'atteintes à la liberté de création qui prévaut bel et bien dans certains territoires, et de formuler des recommandations.
Je souscris à la proposition de Sonia de La Provôté visant à compléter la rédaction de la recommandation n° 6.
Mme Sylvie Robert, rapporteure. - J'ai vécu, comme Catherine Morin-Desailly, l'élaboration de cette loi. Il était important de l'évaluer huit ans après, d'identifier les manquements et de tracer des pistes pour l'avenir.
Les faits que nous mentionnons dans notre rapport nous ont été relatés lors des auditions. Ils illustrent un mouvement réel dans notre société, comme Pierre Ouzoulias l'a souligné, qui consiste à affecter, sinon à entraver, l'exercice des libertés. Or la liberté de création a été consacrée par la loi comme une liberté fondamentale spécifique.
Certains élus s'opposent à l'exercice de cette liberté dans certains territoires, tandis que d'autres, qui s'efforcent de la promouvoir, sont parfois totalement désemparés face aux pressions qu'ils subissent. Nous devons les aider à résister et les protéger lorsqu'ils sont attaqués sur les réseaux sociaux. C'est tout à l'honneur du Sénat de chercher à remédier à ce problème.
Enfin, nous proposons non pas de créer de nouvelles chambres spécialisées, mais de confier le contentieux relatif aux libertés de création et de diffusion artistiques à des chambres spécialisées qui existent déjà, telles que les chambres compétentes en matière de liberté de la presse
Enfin, mes chers collègues, je vous rappelle que nous n'en sommes qu'au stade de l'adoption du rapport. Il ne s'agit pas d'une proposition de loi. Le risque, si les recommandations ne sont pas adoptées, c'est de créer une jurisprudence. Je vote souvent des rapports et les recommandations qui en découlent, car les recommandations s'inscrivent dans un travail de réflexion cohérent qu'il faut respecter. Je ne conditionne jamais mon vote sur un rapport à la présence ou à la suppression de telle ou telle recommandation. Une telle démarche me semblerait étonnante. Encore une fois, j'y insiste, l'objet des recommandations est simplement de susciter la réflexion.
Il nous semble intéressant de proposer une réflexion sur la création d'une instance indépendante. La ministre aura peut-être une autre idée. Nous ouvrons le débat.
Mme Monique de Marco, rapporteure. - Mes collègues l'ont dit : il ne s'agit que d'un rapport, assorti de propositions de recommandations, que nous soumettons à la discussion.
Nous ne pensons pas que les élus fassent preuve de lâcheté en matière de liberté de création, mais ils appliquent le principe de précaution et préfèrent éviter les polémiques sur leurs territoires. C'est compréhensible. Ceux qui ont participé aux auditions ont bien pu constater qu'il y avait là un sujet. Je suis ouverte à une reformulation des recommandations n°s 4 et 6.
Monsieur Paumier, les Drac ont une grande expertise et connaissent bien les besoins locaux. Il faut les renforcer en leur octroyant davantage de moyens, mais aussi en leur donnant davantage de latitude pour agir. C'est l'objet de notre recommandation n° 11.
Pour le reste, mes chers collègues, vos remarques me semblent aller dans le sens de nos recommandations. Nous verrons ce que la ministre de la culture fera de notre rapport et quelles seront ses propositions.
M. Laurent Lafon, président. - À l'issue de ces échanges, nos rapporteures proposent de rédiger ainsi la recommandation n°4 : « Inviter les préfets à garantir l'effectivité des principes de liberté de création et de diffusion artistiques. »
La proposition de modification est adoptée.
M. Laurent Lafon, président. - De même, nous pourrions rédiger ainsi la recommandation n° 6 : « Étudier l'opportunité et les conditions de création d'une instance de médiation indépendante, qui pourraient être un Défenseur des libertés de création et de diffusion artistiques, sur le modèle du Défenseur des droits. »
La proposition de modification est adoptée.
M. Max Brisson. - Nous ne donnons pas, mes chers collègues, le même sens au terme « recommandation » du Sénat. Les recommandations sont le fruit d'un travail de réflexion mûri et d'un vote. Si nous les adoptons, elles deviennent la position du Sénat ! Il ne s'agit pas d'un simple élément apporté au débat. Certes, le Gouvernement est libre de s'en saisir ou pas, et les parlementaires peuvent aussi déposer des propositions de loi, mais les recommandations du Sénat ont une importance aussi forte que celle de nos rapports. Le président du Sénat n'a-t-il pas dit au Premier ministre qu'il y avait sur les étagères du Sénat beaucoup de rapports qui pourraient inspirer l'action publique ?
Je suis heureux que le débat que j'ai enclenché ait conduit à parler de la protection des élus. Si le but est de protéger les élus, je vous rejoins, mais je n'ai pas lu votre rapport ainsi.
Nous sommes réticents à créer des autorités qui échappent au Parlement : celles-ci créent leur propre jurisprudence qui enserre la capacité d'action du peuple souverain. C'est le rôle du Parlement et du Sénat de défendre la liberté de création. C'est donc pour des raisons de principe que je m'opposerai, avec certains de mes collègues, à la recommandation n° 6. Nous voterons les autres recommandations.
M. Laurent Lafon, président. - Je vais à présent mettre aux voix successivement les recommandations présentées par nos rapporteures.
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.