II. UN RECOURS ENCORE TRÈS INÉGAL ET EN ORDRE DISPERSÉ
A. UN RECOURS IMPORTANT CHEZ LES JEUNES, DES PRATIQUES TRÈS HÉTÉROGÈNES CHEZ LES ENSEIGNANTS
Si les applications potentielles de l'IA dans l'éducation sont nombreuses, le recours à ces outils innovants reste très inégal. Il est largement engagé chez les jeunes, mais globalement faible chez les enseignants, dont l'acculturation se fait encore en ordre dispersé.
Les informations dont disposent les services ministériels ne permettent pas de disposer d'un recensement exhaustif des usages de l'IA par les enseignants et les élèves. Cependant, les témoignages recueillis et les renseignements collectés dans diverses enquêtes convergent : marqué par un certain fossé générationnel, l'usage de l'IA est déjà massif chez les plus jeunes et il n'en est qu'à ses balbutiements dans les pratiques enseignantes.
Sans surprise en effet, la prévalence de l'IA générative dans les habitudes des jeunes générations enregistre un niveau élevé : un sondage réalisé auprès de lycéens scolarisés en région Nouvelle-Aquitaine révèle ainsi que plus de 90 % des élèves de seconde l'avaient déjà utilisé pour s'aider à faire leurs devoirs14(*).
L'enquête effectuée par l'agence Heaven en juin 202415(*) indique également que 85 % des jeunes âgés de 18 à 21 ans avaient utilisé l'IA générative au cours des six mois précédant l'enquête, l'usage étant qualifié d'également « bien avancé » chez les 13-14 ans.
Utilisation des outils d'IA générative chez les jeunes de 18 à 21 ans
Source : Heaven, 499 répondants de 18 à 21 ans, juin 2024
83 % des jeunes interrogés ont recours aux outils d'IA générative dans le cadre de leur scolarité ou de leurs études. Près de la moitié des utilisateurs y auraient recours pour la révision de leurs cours16(*).
Parmi les outils d'IA générative, ChatGPT s'impose comme le modèle dominant, affichant une prévalence d'utilisation de 75 % des sondés, en particulier pour réaliser des synthèses, des traductions, voire la création de textes.
L'utilisation de l'IA générative est encore très corrélée à la tranche d'âge : une enquête Ifop/Talan indique que près de 70 % des 18-24 ans l'utilisent personnellement contre 47 % des 25-34 ans et seulement 22 % des 35 ans et plus17(*). Cependant, les pratiques évoluent très vite : en un an, le nombre d'utilisateurs aurait crû de 60 %.
Lorsqu'ils sont interrogés sur leur perception des outils d'IA générative, les élèves sont enclins à relever la patience infinie de ces systèmes, leur bienveillance, et le fait qu'ils se mettent à leur portée, sans jugement de valeur.
Dans l'enseignement supérieur, selon les résultats d'un sondage de novembre 2023 de l'Institut Sphinx pour le logiciel Compilatio18(*), plus de la moitié des étudiants (55 %) déclaraient utiliser un outil d'IA générative au moins occasionnellement. S'agissant des objectifs poursuivis, 43 % déclaraient avoir recours à l'IA comme d'un assistant à la rédaction, seuls 28 % d'entre eux reformulant néanmoins le texte produit avant de livrer leur travail.
À l'inverse, 56 % des enseignants de l'enseignement supérieur disaient connaître les outils d'IA sans jamais les utiliser et 9 % ne les connaissaient pas, 8 % en utilisaient régulièrement et 27 % occasionnellement. Au total, 65 % des enseignants n'utilisaient pas d'IA générative.
Au sein de l'Éducation nationale, en l'absence de démarche structurée et de cadre d'usage partagé, le recours des enseignants à l'IA résulte largement d'initiatives individuelles ou d'expérimentations à petite échelle malgré la mise à disposition d'outils par le ministère au titre de la stratégie pour l'IA déployée depuis 2018. En effet, selon les informations collectées, les outils institutionnels demeurent globalement méconnus et les usages avancés sont rares. L'intégration des outils d'IA dans la pédagogie reste largement fonction de l'appétence de chacun.
Les technologies d'IA qui ne respectent pas les exigences de la réglementation sur la protection des données (RGPD) n'étant pas accessibles dans l'enceinte des établissements scolaires, elles ne peuvent être utilisées pour préparer les enseignements que dans la sphère privée. Dans ce contexte, une fracture significative persiste entre adultes et adolescents.
Dans l'enseignement supérieur, où prévaut le principe d'autonomie des établissements et où les pratiques et avancées apparaissent très hétérogènes, plusieurs grandes écoles s'organisent pour prendre en compte les usages de l'IA et réfléchir aux moyens d'enseigner l'IA et d'enrichir les enseignements par l'IA.
Certaines d'entre elles, en particulier les écoles de management comme « Neoma Business School » ont mis en place des outils d'apprentissage adaptatif et des stratégies de formation à l'IA de l'ensemble des étudiants et des enseignants. Cependant, ces développements restent encore l'apanage de quelques établissements précurseurs disposant des moyens adéquats et la diffusion d'une culture de l'IA reste globalement balbutiante.
* 14 Équipe Flowers de l'Inria, juin 2024. Pierre-Yves Oudeyer, « IA générative, société et éducation : En quoi l'IA générative représente-t-elle un enjeu dans la formation des citoyens ? », septembre 2024.
* 15 Agence Heaven, Premiers usages de l'IA chez les jeunes. Baromètre « Born AI », juin 2024.
* 16 Gamma (préparation d'exposés ou de présentation PPT), Quizlet (création de fiches de révision) ou Photomath (résolution d'exercices de maths à partir de la photo du problème).
* 17 Ifop pour Talan, Baromètre 2024 Les Français et les IA génératives, avril 2024.
* 18 Le Sphinx, en partenariat avec Compilatio, spécialisé dans la prévention de la fraude académique, Enquête nationale au sujet de l'IA dans l'enseignement. Enseignants et étudiants confrontent leurs regards sur l'IA, enquête réalisée en France auprès de 1 242 enseignants et 4 443 étudiants du 21 juin au 15 août 2023.