EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 30 octobre 2024, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Claude Raynal, président, sur la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat.

M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, s'il y a un sujet qui concerne l'ensemble de nos collègues dans leur travail parlementaire et qui peut parfois être source d'incompréhensions, c'est bien le contrôle de la recevabilité financière de leurs amendements.

J'y suis particulièrement confronté : en tant que président de la commission des finances, il m'appartient d'examiner la recevabilité de l'intégralité des amendements déposés par les sénateurs en vue de leur discussion en séance publique. Il me revient également, à leur demande, de conseiller les présidents de commission, chargés de contrôler la recevabilité des amendements déposés lors de l'examen du texte en commission.

Or le dernier ouvrage consacré dans notre assemblée à la jurisprudence relative à la recevabilité financière a été rédigé voilà plus de dix ans par notre collègue Philippe Marini. Le temps était donc venu de vous présenter une nouvelle synthèse de l'application au Sénat de la recevabilité financière, qui comprend à la fois la recevabilité au regard de l'article 40 de la Constitution et la recevabilité au regard des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Ces travaux s'inscrivent dans la continuité de ceux de mes prédécesseurs et je n'entends pas réinventer la discipline. Néanmoins, une réactualisation était devenue indispensable, notamment au regard des décisions du Conseil constitutionnel et pour tenir compte de la révision de la LOLF.

Cette actualisation prend la forme d'un nouveau rapport qui a été envoyé à tous les sénateurs. L'objectif est d'offrir à l'ensemble de nos collègues une information claire, lisible et rassemblée en un seul document, appuyé sur les exemples les plus récents.

Je suis conscient que l'application de la recevabilité financière suscite des interrogations et des doutes, pour ne pas dire des critiques. Je sais également à quel point il peut être frustrant pour un parlementaire de voir ses marges de manoeuvre réduites. Néanmoins, nous sommes contraints par la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, qui impose aux deux assemblées de s'assurer que les amendements et les propositions de loi respectent bien l'article 40 de la Constitution dès le stade de leur dépôt.

La conséquence de cette décision est claire : si nous n'examinions pas nous-mêmes a priori la recevabilité financière, le Conseil constitutionnel s'en chargerait. Je me permets d'indiquer que je ne suis pas certain que l'initiative parlementaire en retirerait des bénéfices. Quelques-uns des assouplissements que nous avons apportés au fil du temps pourraient ainsi être remis en cause, au détriment des parlementaires.

J'ai parlé du contrôle des amendements déposés en commission et en séance. La recevabilité des propositions de loi est, quant à elle, examinée par le Bureau du Sénat. Vous le savez, l'usage permet de discuter de ces textes susceptibles de contenir certaines dispositions qui constituent une charge. Pour autant, le contrôle sur invocation par le Gouvernement demeure possible à l'encontre de tout ou partie des dispositions de la proposition de loi. C'est d'ailleurs arrivé au mois d'avril dernier, à l'encontre de la proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites - c'était la première fois depuis 2011.

L'article 40 est très bref : « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique. »

Cette rédaction interdit à un parlementaire de créer ou d'aggraver une charge publique. Il en découle également l'impossibilité de compenser une nouvelle charge publique par la diminution d'une autre charge ou par l'augmentation d'une recette. À l'inverse, une perte de recettes publiques peut être gagée.

Partant de ce point de départ, les assemblées parlementaires ont progressivement dégagé des principes détaillés permettant l'élaboration d'une véritable jurisprudence. Ceux-ci répondent à un impératif : concilier des exigences constitutionnelles contradictoires, à savoir, d'une part, l'application stricte de l'article 40 de la Constitution et, d'autre part, la protection de l'initiative parlementaire.

Les décisions prises en matière de recevabilité financière ne découlent en aucune façon du contenu des amendements. Le raisonnement à l'oeuvre est exclusivement juridique. Il ne repose donc ni sur une lecture politique - et c'est heureux ! -, ni sur une base économique. Croyez bien qu'à titre personnel je pourrais être favorable à de nombreuses initiatives sénatoriales que je suis pourtant contraint de déclarer irrecevables. C'est vrai pour moi comme cela l'était pour mes prédécesseurs.

Le juge de la recevabilité financière s'attache exclusivement à une analyse juridique de la notion de charge. Cela explique notamment que des amendements soient irrecevables quand bien même la charge publique qui en découlerait ne serait que facultative ou hypothétique.

En revanche, toutes les décisions sont guidées par la volonté de favoriser l'initiative des parlementaires. Le principe cardinal que les présidents successifs se sont attachés à suivre est le suivant : lorsqu'il existe un doute sur le caractère coûteux d'un amendement, ce doute bénéficie systématiquement aux auteurs.

Je signale d'ailleurs que le traitement des amendements se fait dans des conditions toujours plus difficiles, alors que le nombre d'amendements examinés en séance publique a augmenté de 300 % entre 2016 et 2023. Une erreur est donc toujours possible. Il arrive d'ailleurs que je sois conduit à revenir sur une décision lorsque des collègues me font parvenir des éléments dont je n'avais pas connaissance.

En conséquence, je vous invite, ainsi que l'ensemble de nos collègues, à être explicites dans la rédaction des objets de vos amendements, par exemple lorsque la recevabilité de votre amendement est « couverte » par une disposition déjà adoptée par l'une des chambres.

J'en terminerai avec les évolutions qui sont intervenues ces dernières années et qui ont motivé la rédaction de ce nouveau rapport.

Premièrement, des assouplissements majeurs ont été introduits en 2020 par mon prédécesseur, Vincent Éblé. Trois principaux changements sont intervenus sous sa présidence.

D'abord, les amendements ayant pour seule conséquence une charge de trésorerie sont désormais recevables, sous réserve que leur effet présente un caractère infra-annuel et non massif sur la trésorerie de la personne publique concernée.

Ensuite, il est désormais possible de fusionner plusieurs personnes publiques existantes à des fins de rationalisation.

Enfin, et sous réserve des dispositions de la LOLF, des amendements affectant de nouvelles recettes à une personne publique sont recevables si celle-ci dispose de la personnalité morale et sous réserve de ne pas flécher leur utilisation vers une dépense spécifique. Il est possible de l'évoquer dans l'objet, mais cela ne doit pas apparaître dans le dispositif.

Ces évolutions ont contribué au rapprochement de nos jurisprudences avec celles de l'Assemblée nationale. Si chaque chambre reste bien entendu libre d'élaborer ses propres analyses, les divergences qui demeurent sont désormais résiduelles. Celles-ci sont d'ailleurs mentionnées dans le rapport.

Deuxièmement, au cours des années, de nouvelles thématiques sont apparues, qui ne figurent pas dans le rapport de Philippe Marini, ou qui y figuraient, mais dont le mode de financement a évolué. Je peux mentionner, à titre d'exemple, les amendements ayant trait aux dépenses informatiques, aux marchés publics ou encore à la formation professionnelle et au logement social.

Troisièmement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel nous a parfois contraints à faire évoluer notre analyse, dans un sens, je dois le dire, le plus souvent défavorable à l'initiative parlementaire. À titre d'exemple, nous avons longtemps considéré comme recevables les amendements qui étendaient la possibilité pour des professionnels de santé de prescrire des produits ou des dispositifs médicaux. Je me dois désormais de déclarer irrecevables de tels amendements, afin d'être conforme à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022.

Enfin, la recevabilité des amendements est également examinée au regard des dispositions de la LOLF. Sa révision, en 2021, a considérablement simplifié l'examen de la recevabilité organique des amendements, notamment au regard du principe de bipartition des lois de finances, c'est-à-dire du placement des amendements en première ou en seconde partie de la loi de finances.

Je n'entrerai pas davantage dans les détails de ce rapport. J'espère que ce document, comme les précédents, servira de guide pour la rédaction des amendements. J'ai d'ailleurs tenu à conserver deux parties distinctes sur la recevabilité des amendements qui ont trait aux collectivités territoriales et aux administrations de sécurité sociale. J'ai ainsi souhaité tenir compte du volume d'amendements déposés dans ces deux domaines.

Pour conclure, et j'insiste, le président de la commission des finances exerce un rôle de conseil en amont du dépôt des amendements. C'est extrêmement important : les sénateurs peuvent me contacter ou prendre attache avec le service de la commission des finances chargé de l'instruction de la recevabilité financière pour disposer de conseils. De même, je m'attache à proposer des rectifications, quand cela est possible, pour rendre recevable un amendement et je suis toujours prêt à revoir ma décision ou à apporter des éclaircissements supplémentaires sur les motivations qui m'ont conduit à déclarer irrecevable un amendement. Je précise que les amendements mal gagés sont automatiquement corrigés afin d'assurer leur recevabilité.

Je tiens à remercier les administrateurs de la commission des finances, notamment ceux qui, au fil des ans, ont composé la « cellule article 40 », bien souvent sous pression. Ils ont effectué un travail lourd et minutieux pour la rédaction de ce rapport.

La recevabilité financière peut apparaître comme une matière complexe, pour ne pas dire opaque. Cette complexité découle des très nombreux aménagements qui doivent permettre de concilier au mieux les exigences constitutionnelles, entre, d'une part l'article 40 et, d'autre part, le droit d'initiative des parlementaires. À ce titre, le rapport que je vous présente se veut aussi une oeuvre de transparence.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le travail réalisé par notre président. Certes, il peut y avoir une certaine souplesse dans l'appréciation de la recevabilité financière, mais le cadre demeure contraint, notamment par les décisions du Conseil constitutionnel qui s'imposent à nous.

Monsieur le président, vous êtes le garant de ce cadre ; on le sait, certains seraient tentés de prendre quelques libertés, à coups de dérogations ou d'expérimentations. Je relève par ailleurs que la rigueur de ce cadre, qui ne s'impose pas au Gouvernement, n'évite pas la dérive budgétaire, on le constate actuellement...

Certains de nos collègues font encore valoir des jurisprudences divergentes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, elles sont désormais limitées et j'en remercie les présidents successifs de notre commission et de la commission des finances de l'Assemblée nationale.

J'espère enfin que ce travail utile débouchera sur une plus grande rigueur dans le dépôt des amendements, notamment pour le tout prochain projet de loi de finances.

M. Claude Raynal, président. - À la suite de ce travail et de celui qui a été réalisé sous la présidence de Vincent Eblé, les divergences d'analyse entre le Sénat et l'Assemblée nationale ont en effet presque toutes disparu. L'Assemblée nationale tend à se rapprocher de nos positions sur deux derniers points et nous espérons donc nous acheminer vers une analyse totalement homogène.

Je le redis, le dépôt d'un amendement n'est pas la seule façon pour un parlementaire de traiter un sujet. Si le Gouvernement est hostile à une disposition dans le cadre du projet de loi de finances, elle a peu de chances d'être adoptée. Il faut donc rechercher un compromis préalable avec le Gouvernement. Bien sûr, certains amendements relèvent d'un positionnement politique, et leurs auteurs savent bien qu'il n'y a aucune chance que le Gouvernement les accepte. Mais si l'on souhaite qu'un amendement prospère, mieux vaut en discuter en amont avec le ministère.

N'oubliez pas que le Gouvernement peut aussi faire une ouverture lors de la discussion générale, ce qui permet de déclarer l'amendement recevable, car « couvert » par une intention du Gouvernement. Nous pouvons sensibiliser nos groupes parlementaires respectifs à cette possibilité.

M. Victorin Lurel. - L'article 40 confère une certaine tonalité à notre Ve République. Nous ne sommes pas dans une démocratie très épanouie, car le Gouvernement a le dernier mot quoi que l'on fasse.

Monsieur le Rapporteur général, permettez-moi de souligner que depuis 1958, les dérives ne sont pas le fait des parlementaires. Sous la IVe République, tout était permis et cela pouvait constituer un écueil, mais c'est tellement corseté aujourd'hui ! Et d'ailleurs, même sans majorité à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a les moyens de s'imposer avec comme arme ultime la procédure du 49.3.

Le débat sur l'orientation des finances publiques que nous aurons aujourd'hui en séance publique ne servira à rien. C'est kafkaïen !

Vous nous présentez la jurisprudence de l'application de l'article 40, et c'est votre rôle. Je pense toutefois qu'il nous faut réfléchir sérieusement à une réforme, sans retomber dans les travers de la IVe République. D'autres modalités de fonctionnement sont possibles. Je suis d'accord pour améliorer le travail parlementaire, mais c'est insuffisant et même frustrant. Le parlementaire élu doit pouvoir travailler, sans pour autant se montrer irresponsable dans la gestion des fonds publics.

M. Claude Raynal, président. - Le contrôle de la recevabilité financière des amendements déposés sur les projets de loi de finances n'a en effet pas empêché l'État de se retrouver en difficulté...

La commission a adopté le rapport d'information et en a autorisé la publication.

Partager cette page