N° 100

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la recevabilité financière
des
amendements et des propositions de loi au Sénat,

Par M. Claude RAYNAL,

Sénateur

Président

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mme Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Jean-Baptiste Olivier, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Près de quinze ans après la mise en application par le Sénat du contrôle systématique et a priori de la recevabilité financière des propositions de loi et amendements formulés par les sénateurs et dix ans après le rapport d'information de Philippe Marini sur ce sujet1(*), il apparaît utile de faire à nouveau le point sur la jurisprudence sénatoriale en la matière. De nombreuses évolutions, en très grande majorité favorables à l'initiative parlementaire, sont en effet intervenues depuis 2014.

Si la limitation du droit d'amendement suscite parfois des incompréhensions et des critiques, elle résulte de l'application de l'article 40 de la Constitution et de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), dont nous sommes tous les garants. Le contrôle de la recevabilité financière des amendements intervient en effet désormais dès le stade de l'examen en commission, sous la responsabilité des présidents de commission.

Il serait fallacieux de ne pas reconnaître que l'article 40 de la Constitution contraint effectivement le droit d'initiative des parlementaires, consacré par l'article 39 pour les propositions de loi et par l'article 44 pour le droit d'amendement. Les articles 40 et 412(*) ont été conçus à cette fin, comme le montrent les travaux préparatoires à l'élaboration de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a, dès 1978, affirmé le caractère « absolu » de cette limite, dont il a par ailleurs donné des éléments d'interprétation au travers de plusieurs décisions.

C'est également le juge constitutionnel qui, dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 20073(*), a imposé au Sénat de mettre en place une procédure de contrôle a priori des amendements et des propositions de loi, faute de quoi il se serait accordé le droit de « passer au crible » toute disposition d'origine sénatoriale. Dès lors, un contrôle strict réalisé en amont nous protège ; la jurisprudence établie par la commission des finances assurant un degré de prévisibilité aux sénateurs. Le contrôle a priori permet, en outre, en cas de risque d'irrecevabilité financière, d'apporter des adaptations aux propositions des sénateurs, afin que celles-ci puissent être examinées. Parfois méconnu, le rôle de conseil du président de la commission des finances ne saurait être suffisamment rappelé.

Le président de la commission des finances, quand il fait office de « juge » de la recevabilité des initiatives parlementaires au regard de l'article 40 et de la LOLF, conformément aux dispositions de l'article 45 du Règlement du Sénat, se doit donc de respecter des contraintes qui résultent directement de la volonté du constituant.

Pour autant, toute règle limitant l'initiative parlementaire doit être strictement interprétée, c'est-à-dire en cherchant à empiéter le moins possible sur ce droit d'initiative. C'est ainsi que le juge de la recevabilité financière applique un raisonnement strictement juridique, et non économique ou politique. L'intention des auteurs et le contenu de leurs initiatives n'entrent pas dans le champ de son contrôle.

C'est cet équilibre que ce rapport s'attache à mettre en lumière, en donnant des éléments d'explication sur le cadre juridique applicable à la recevabilité financière et organique des propositions de loi et des amendements formulés par les sénateurs. Il retrace et explicite la jurisprudence dégagée, au fil du temps, par les présidents de la commission des finances à qui incombe en tout premier lieu cette responsabilité.

Je salue les travaux de grande qualité de mes prédécesseurs, Jean Arthuis4(*) et Philippe Marini, que ce rapport n'entend pas « révolutionner » mais actualiser, pour intégrer des assouplissements intervenus ces dernières années ou des évolutions rendues nécessaires par les décisions du Conseil constitutionnel. L'apparente complexité de cette jurisprudence résulte pour l'essentiel de la volonté des présidents successifs de la commission des finances de retenir l'approche la plus favorable aux initiatives des sénateurs.

Impossible de ne pas non plus mentionner les neuf rapports rédigés par plusieurs présidents de la commission des finances de l'Assemblée nationale5(*). La comparaison avec leurs travaux fait apparaître la grande convergence entre les jurisprudences applicables à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il faut saluer à cet égard les efforts de mon prédécesseur, Vincent Éblé, pour limiter encore davantage les divergences d'interprétation entre nos deux chambres6(*). Il en reste peu, elles sont ici présentées et justifiées.

En dépit d'une base jurisprudentielle désormais abondante et solide, ce rapport ne peut prétendre à l'exhaustivité. Pour reprendre une expression chère à l'un de mes prédécesseurs, le « juge » de la recevabilité financière est un juge modeste. Les sujets soulevés par les diverses initiatives sénatoriales peuvent être nouveaux ou conduire à une actualisation de la jurisprudence. Surtout, il ne saurait être passé sous silence les conditions d'urgence dans lesquelles s'exerce souvent l'examen de la recevabilité financière, avec des calendriers toujours plus contraints et une inflation continue du nombre d'amendements déposés. Il peut ainsi arriver que des décisions doivent être prises sur plusieurs centaines voire milliers d'amendements en moins d'une journée, sur des sujets toujours plus complexes. Errare humanum est, perseverare diabolicum7(*) - voilà une maxime que devraient faire leur les « juges » de la recevabilité financière tout autant que les auteurs des initiatives parlementaires soumises à son application.

Il me reste à souhaiter que ce nouveau rapport d'information, à la fois théorique et pratique, soit utile aux sénateurs et leur permette de mieux appréhender une jurisprudence qu'ont contribué à construire, depuis les débuts de la Ve République, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, des élus de tous bords politiques, dans le souci constant de concilier exigences constitutionnelles et initiative parlementaire.


* 1  Rapport d'information n° 263 (2013-2014) de M. Philippe MARINI, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 janvier 2014.

* 2 Irrecevabilité législative. L'article 41 dispose que « s'il apparaît au cours de la procédure législative qu'une proposition ou un amendement n'est pas du domaine de la loi ou est contraire à une délégation accordée en vertu de l'article 38, le Gouvernement ou le président de l'assemblée saisie peut opposer l'irrecevabilité ».

* 3 Conseil constitutionnel, décision n° 2006-544 DC du 14 décembre 2006, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

* 4  Rapport d'information n° 401 (2007-2008) de M. Jean ARTHUIS, fait au nom de la commission des finances, déposé le 18 juin 2008.

* 5 Outre Jean CHARBONNEL (1971), Robert-André VIVIEN (1980), Christian GOUX (1982 et 1983), Jacques BARROT (1994), Pierre MÉHAIGNERIE (2006), Jérôme CAHUZAC (2012), Gilles CARREZ (2017) et Éric WOERTH (2022) ont rédigé de tels rapports.

* 6  Compte-rendu de la commission des finances du Sénat du 8 juillet 2020, Communication du président Vincent Éblé sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires.

* 7 « L'erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique ».

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