B. CE NOUVEAU MODÈLE CONCESSIF DEVRAIT ÊTRE SOUTENU PAR UNE GOUVERNANCE INTERMINISTÉRIELLE RENFORCÉE
Comme indiqué dans les développements précédents, contrairement aux négociations d'avenants au cours desquelles il se trouve structurellement en situation de faiblesse, l'État concédant a des atouts à faire valoir et bénéficie d'une position beaucoup plus confortable lorsqu'il s'agit de remettre en concurrence des infrastructures autoroutières, à condition cependant que les procédures d'appel d'offres se déroulent dans des conditions optimales.
Comme le soulignait la commission d'enquête sénatoriale en 2020, la pression concurrentielle qui s'exerce lors de l'attribution de nouvelles concessions permet à l'État concédant de « défendre au mieux ses intérêts et ceux des usagers, en retenant l'offre la plus avantageuse et en fixant un cadre contractuel protecteur. Les nouveaux contrats de concession attestent, en effet, d'une plus forte régulation des sociétés concessionnaires et d'un meilleur partage des fruits de la concession par rapport aux contrats historiques ».
En 2021, le rapport de l'IGF et du CGEDD le constatait : « l'essentiel des négociations relatives aux concessions autoroutières est géré de façon autonome par le ministère en charge des transports ». Cependant, dans le cadre de l'élaboration de nouveaux contrats de concessions autoroutières, sur les sujets juridiques et financiers, la DGITM recourt tout de même habituellement à l'assistance de prestataires extérieurs. Elle n'y est pas contrainte et aucune procédure particulière n'est formalisée à ce titre. Elle peut aussi s'appuyer sur l'expertise de certains services des ministères économiques et financiers, notamment la direction générale du Trésor ou la mission d'appui au financement des infrastructures (Fin Infra).
La Mission d'appui au financement des infrastructures « Fin Infra »
La Mission d'appui au financement des infrastructures « Fin Infra », est un service à compétence nationale rattaché à la direction générale du Trésor qui conseille les décideurs publics sur la conduite des projets d'investissement publics. Son expertise est juridique et financière. Fin Infra effectue environ 80 missions par an, à la fois pour des ministères, des collectivités territoriales et des établissements publics, dans tous les secteurs de l'investissement public (bâtiments, transports, énergie, télécoms).
Son premier « client » est le ministre de l'économie et des finances, notamment sur les concessions autoroutières au moment de la saisine de l'ART puis du Conseil d'État préalablement à la prise du décret approuvant le contrat ou l'avenant.
S'agissant des avenants, Fin Infra contre-expertise le coût moyen pondéré du capital proposé par les concessionnaires pour calculer les compensations dues au titre des avenants. Fin Infra élabore ce calcul à partir d'une méthodologie proposée par Frontier Economics et concertée avec l'ART.
Depuis 2021, Fin Infra participe aux comités consultatifs chargés de classer les offres reçues par l'État dans le cadre de la dévolution des nouveaux contrats de concession autoroutière.
L'expertise juridique et financière de Fin Infra, et sa connaissance du marché du financement des infrastructures permettent de réduire l'asymétrie d'information de l'État lors de la conclusion de ces contrats.
En 2023, Fin Infra a construit un modèle financier de suivi de la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes baptisé MARIA (Modèle d'Analyse de la Rentabilité des Infrastructures Autoroutières).
MARIA est mis à jour annuellement à partir des données publiques des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Il permet de calculer la rentabilité (TRI projet et TRI actionnaire) des sociétés concessionnaires à date (une année donnée) et à terminaison (à la fin des concessions).
Source : réponses de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur
Si la DGITM se trouve au coeur des procédures d'élaboration, d'attribution et de modifications des contrats de concessions autoroutières, il existe ainsi tout de même un embryon de travail interministériel qui mériterait cependant d'être considérablement développé et formalisé pour renforcer la position de l'État concédant et la préservation de ses intérêts patrimoniaux.
Ainsi, avant la saisine du Conseil d'État ou de l'ART au sujet d'un projet d'avenant ou avant le lancement d'un appel d'offres relatifs à une nouvelle concession, la DGITM saisit généralement les services de la direction générale du Trésor pour qu'ils réalisent un travail de contre-expertise sur les questions d'équilibre économique des concessions et de leurs avenants. Ces derniers examinent notamment les TRI ainsi que les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes à l'équilibre économique des contrats et de leurs avenants. Toutefois, comme le soulignait déjà la commission d'enquête sénatoriale en 2020, cette expertise extérieure, qui n'intervient « qu'en tant que de besoin », est manifestement insuffisante et trop peu formalisée. Pour que l'État concédant parle d'une seule voix plus forte et plus experte sur les questions juridiques et financières, la commission recommandait ainsi de renforcer substantiellement la coordination entre les services de l'État.
Si depuis 2021, les nouvelles concessions lancées prévoient la mise en place d'une commission consultative interministérielle cette dernière n'est consultée que pendant la phase de procédure et non pas pendant la phase préalable. La direction générale du Trésor a ainsi indiqué au rapporteur que les services des ministères économiques et financiers ne sont associés « que de manière exceptionnelle et à titre purement consultatif »130(*) à la préparation du dossier de consultation réalisée par la DGITM.
Dans une communication131(*), la Cour des comptes considérait pourtant dès 2013 que la DGITM était trop isolée dans les procédures d'élaboration et de modification des contrats et qu'elle opérait à ce titre dans un cadre insuffisamment formalisé. Pour la juridiction, cette situation contribuait à l'affaiblissement de la position de l'État concédant dans ses relations avec les sociétés d'autoroutes.
La Cour des comptes regrettait vivement que les services des ministères économiques et financiers ne soient pas plus impliqués et de façon plus formelle dans l'élaboration, les modifications et le suivi des contrats de concession. Elle estimait alors que seuls des mandats de négociations interministériels intégrant pleinement l'expertise et les positions des ministères économiques et financiers, auraient été de nature à réellement préserver les intérêts de l'État concédant et des usagers. Pour elle, ce défaut manifeste de gouvernance expliquerait en partie que, sur les plans économiques et financiers, les négociations avec les sociétés d'autoroutes aient si souvent tourné au désavantage de l'État.
En 2021, le rapport de l'IGF et du CGEDD déplorait également que les ministères économiques et financiers soient si peu associés à l'élaboration, à l'attribution et au suivi des contrats de concessions d'autoroutes. Selon ce rapport, cette situation explique en partie que les paramètres économiques des contrats historiques et de leurs avenants aient été négociés à des conditions trop favorables aux concessionnaires. Les inspections soulignaient en effet le fait que « l'organisation imparfaite de l'État concédant contribue à le placer en position défavorable dans les négociations avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes ». Elles précisaient à ce titre que « face à des sociétés concessionnaires d'autoroutes structurées au sein de grands groupes, et qui tendent à s'inscrire dans le temps long, l'État ne dispose pas des outils et de l'organisation propices à lui permettre de négocier les avenants en position de force. L'articulation entre le ministère en charge des transports et le ministère en charge des finances n'est notamment pas optimale pour permettre à l'État de mobiliser au mieux les expertises des deux structures au cours de la négociation ».
Aussi, pour y remédier, le rapport recommandait-il l'instauration d'un comité interministériel permanent qui interviendrait notamment très en amont du processus, dès la phase d'élaboration du cahier des charges proposé lors de la mise en concurrence d'une nouvelle concession, c'est-à-dire avant la diffusion du dossier de consultation de l'appel d'offres.
Pour renforcer la position et l'expertise de l'État concédant, la direction générale du Trésor a également souligné auprès du rapporteur à quel point il lui semblait utile de prévoir une plus grande implication des ministères économiques et financiers dans les procédures d'attribution et de suivi des contrats de concession portant sur des projets autoroutiers. Afin qu'elle puisse avoir une vraie influence sur la détermination des paramètres économiques et financiers des contrats, la direction générale du Trésor insiste à ce titre sur la nécessité de prévoir cette intervention le plus en amont possible des procédures : « il est fondamental que cette implication se fasse le plus tôt possible pour que les services puissent exercer, au travers d'un tel comité, une véritable influence tant au moment de l'élaboration du dossier de consultation que pendant toute la phase de contractualisation (négociations) ou sur les caractéristiques du projet autoroutier qui doit être lancé »132(*).
Pour que l'État parle d'une seule voix et qu'il défende de façon plus efficace ses intérêts patrimoniaux, le rapporteur considère que la gouvernance relative à l'élaboration, aux modifications et au suivi des contrats de concessions d'autoroutes doit être réformée. Pour renforcer la position de l'État, il est nécessaire d'affirmer le caractère interministériel des processus en sortant d'une forme de « tête à tête » inconfortable entre la seule DGITM et les sociétés d'autoroutes. Aussi, le rapporteur estime-t-il nécessaire de formaliser une implication des services des ministères économiques et financiers très en amont des procédures de mise en concurrence d'une nouvelle concession ou de négociations d'un avenant. Cette nouvelle gouvernance, qui pourrait prendre la forme d'une délégation interministérielle, devrait contribuer à rééquilibrer l'expertise des paramètres économiques et financiers des contrats afin qu'elle ne penche plus, comme cela a été trop souvent le cas par le passé, de façon manifeste du côté des sociétés d'autoroutes.
Cette nouvelle gouvernance pourrait notamment s'inspirer du modèle italien de gestion des autoroutes (voir supra) au sein duquel le Comité interministériel pour la programmation économique (CIPE), présidé par le Président du Conseil, joue un rôle central en approuvant les contrats de concession et leurs avenants.
Recommandation n° 12 : à travers une nouvelle gouvernance intégrant les services des ministères économiques et financiers, en amont du lancement des appels d'offres et des négociations d'avenants puis tout au long des procédures, renforcer le rôle de l'État par une approche interministérielle de la négociation et du suivi juridique, économique et financier des contrats de concessions d'autoroutes.
* 130 Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur.
* 131 Les relations entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes, communication de la Cour des comptes, novembre 2013.
* 132 Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur.