III. POUR UN NOUVEAU MODÈLE CONCESSIF AUTOROUTIER PROFONDÉMENT RÉFORMÉ

A. LE MODÈLE CONCESSIF DOIT ÊTRE PROFONDÉMENT RÉFORMÉ POUR PROTÉGER LES INTÉRÊTS DES USAGERS ET DE L'ÉTAT CONCÉDANT

Parce que ses principes fondamentaux lui paraissent meilleurs que ceux des alternatives à ce système, le rapporteur considère que le principe du modèle concessif doit être maintenu à l'issue des concessions historiques. Cependant, le modèle doit être profondément réformé et rééquilibré afin que l'État concédant en reprenne la maîtrise, au bénéfice de ses intérêts patrimoniaux et des usagers des autoroutes.

Dans les développements qui suivent, le rapporteur décrit ainsi l'ensemble des caractéristiques que devra nécessairement revêtir le système concessif réformé qui aura vocation à s'appliquer au terme des contrats historiques.

Ce modèle devra reposer sur des contrats plus courts recouvrant des périmètres géographiques révisés et dont les paramètres économiques et financiers, précisément définis, feront l'objet d'un encadrement, d'un suivi approfondi ainsi que d'une révision quinquennale pour éviter le risque de captation d'une rente indue par le secteur privé.

Recommandation n° 8 : au terme des contrats historiques, instaurer un modèle concessif autoroutier profondément réformé et rééquilibré au bénéfice des usagers et des intérêts patrimoniaux de l'État.

1. Des concessions plus courtes afin de les remettre en concurrence plus fréquemment et de rééquilibrer la relation entre l'État concédant et les concessionnaires
a) Des concessions d'une durée de 15 ans à 20 ans

Le choix de conserver le modèle concessif actuel à l'issue des contrats historiques suppose en premier lieu de limiter la durée des contrats de concessions, d'une part, afin de rendre plus fréquentes les remises en concurrence et, d'autre part, de réduire considérablement le recours à des avenants négociés de gré à gré trop souvent aux dépens des intérêts patrimoniaux de l'État concédant.

Cette réduction de la durée des contrats de concession est en phase avec une situation qui sera bien différente que celle qui prévalait lorsque les cahiers des charges historiques ont été conclus. L'essentiel du réseau autoroutier est construit. Même s'il convient de rester prudent au regard des incertitudes qui pèsent sur l'ampleur des investissements futurs, notamment en lien avec les enjeux de décarbonation et d'adaptation au changement climatique (voir infra), les concessions futures ne conduiront plus à développer ex-nihilo de nouvelles infrastructures autoroutières.

Cette nouvelle situation conduira d'ailleurs aussi à réduire l'ampleur des risques supportés par les futurs concessionnaires dans la mesure où ils ne seront plus ou beaucoup moins exposés au risque construction. Cette évolution devra se traduire par une diminution de la rémunération demandée par les postulants pour compenser les risques inhérents aux concessions.

Selon l'ART, si le modèle concessif est retenu pour l'avenir, la réduction de la durée des contrats constitue la mesure principale et incontournable qui conditionne le nécessaire rééquilibrage du système visant à donner enfin à l'État concédant les moyens de défendre pleinement et strictement ses intérêts patrimoniaux.

Les réseaux étant matures et des développements importants n'étant plus de mise, l'autorité propose fort logiquement d'aligner la durée d'éventuels futurs contrats de concession sur celle d'un cycle complet moyen d'entretien et de maintenance des infrastructures, soit environ quinze ans. Pour le rapporteur, ce principe semble adapté à la gestion des réseaux actuels et permettrait de respecter la règle selon laquelle la durée d'un contrat ne doit pas excéder le temps raisonnable escompté par le concessionnaire pour amortir les investissements nécessaires à l'exploitation des infrastructures concédées.

Le principal bénéfice pour l'État concédant et les usagers d'un raccourcissement de la durée des concessions résultera d'une remise en concurrence plus fréquente des infrastructures, le meilleur des gages d'une gestion optimale du réseau autoroutier, en matière économique comme de qualité de service. L'ART a tout particulièrement signalé cet enjeu au rapporteur : « c'est un enjeu essentiel : en remettant en concurrence régulièrement, le concédant peut bénéficier des offres les plus attractives, donc des coûts les plus faibles du marché »122(*).

Des concessions plus courtes éviteraient également le recours trop fréquent à des avenants aux contrats, négociés de gré à gré sans mise en concurrence avec le concessionnaire en place. Comme cela a été décrit dans la première partie, la négociation de ces avenants tourne systématiquement au désavantage des intérêts de l'État concessionnaire et des usagers, notamment en raison de l'asymétrie d'information qui bénéficie à la société d'autoroutes détentrice du contrat.

Ainsi, pour l'ART, « le défaut majeur des contrats actuels tient à leur durée initiale excessive et à leurs prolongements, qui se traduisent par des renégociations régulières en l'absence de toute discipline concurrentielle susceptible de garantir le respect de l'intérêt des usagers »123(*). En effet, dans cette configuration, « par construction, le prestataire en place est alors incontournable, si bien qu'il dispose d'un pouvoir de marché susceptible de lui procurer une rente (...). Avec des contrats plus courts, les usagers bénéficieraient davantage des garde-fous de la concurrence. Le meilleur moyen de réduire la rente du titulaire du contrat est d'éviter les situations de négociation asymétriques. Avec des contrats plus courts, la réponse aux nouveaux besoins identifiés passerait plus souvent par l'attribution de nouveaux contrats à l'issue d'un appel d'offres »124(*).

La mise en concurrence, en obligeant les postulants à révéler leurs véritables coûts, doit en effet permettre de supprimer l'avantage dont profite le concessionnaire sortant, à la condition cependant qu'il ait bien transmis au concédant l'ensemble du détail et de l'historique des données nécessaires à la gestion des infrastructures concernées.

La direction générale du Trésor a également signalé au rapporteur « qu'une durée excessive ferait obstacle à l'obligation de remise en concurrence périodique des contrats publics posée par le droit de l'Union européenne et le droit interne ».

En prenant en considération le nécessaire équilibre à trouver entre les gains résultant d'une mise en concurrence plus régulière des concessions et les coûts engendrés par la lourdeur des procédures d'appel d'offre, l'ART en est arrivée à recommander, si le modèle concessif était confirmé, des contrats d'une durée de 15 à 20 ans pouvant exceptionnellement aller jusqu'à 25 ans dans l'hypothèse où des travaux de grande ampleur seraient nécessaires.

Compte-tenu de toutes les considérations qui précèdent, le rapporteur estime que la durée adaptée des futurs contrats de concession, en fonction du volume d'investissements nécessaires, devrait se situer entre 15 et 20 ans. Il va sans dire que pour ne pas retomber dans les travers actuels et perdre tout le bénéfice de cette réduction de la durée des concessions, ces contrats ne devront pas faire l'objet de prolongations. Si des investissements exceptionnels ne pouvaient être amortis cette durée de contrats, le rapporteur recommande l'utilisation d'un mécanisme de « soulte » décrit ci-après.

b) Un système de soulte pour des investissements lourds qui ne pourraient être amortis sur la durée du contrat

Si l'on respectait à la lettre le principe d'une correspondance entre le temps d'amortissement des investissements et la durée d'un contrat de concession, il subsisterait un risque de retomber dans les affres des contrats de concessions historiques dans l'hypothèse où des réseaux nécessiteraient des travaux d'une ampleur particulière. Aussi, en janvier 2023, dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières, l'ART appelait-elle à créer les conditions d'une décorrélation partielle entre l'ampleur des investissements requis et la durée d'un contrat de concession : « retenir une durée contractuelle longue au simple motif que les montants d'investissements envisagés pourraient être substantiels n'est pas souhaitable. Il semble donc essentiel de décorréler les questions du financement et du choix du modèle, même si cela implique de mobiliser des outils de financement innovants ».

En cas d'investissements importants nécessaires sur une concession, une façon de concilier cette nécessité avec les avantages d'une remise en concurrence régulière peut être apportée par le recours à un dispositif dit de « soulte ». Ce mécanisme interviendrait dans l'hypothèse où la durée du contrat de concession ne seraient pas suffisante pour permettre au concessionnaire d'amortir l'intégralité des investissements qu'il a eu à réaliser pour l'exécution de sa concession. Dans ce cas de figure, une compensation financière lui serait versée au terme du contrat par le concédant ou le nouveau concessionnaire. L'ART souligne ainsi dans son rapport sur l'économie des concessions autoroutières de 2023 que « plusieurs contrats pourraient alors se succéder, chacun étant équilibré grâce au versement d'une soulte par le nouvel attributaire à l'attributaire sortant ».

Le système de « soulte » préconisé par l'ART

Il serait nécessaire (en particulier dans l'hypothèse où l'État souhaiterait faire réaliser des investissements conséquents aux nouveaux concessionnaires) d'envisager un aménagement des modalités de financement des infrastructures.

En introduisant un mécanisme de soulte, par exemple, il serait possible, d'abord, d'éviter de nouveaux allongements de contrats en cours. Il serait aussi possible, à l'avenir, d'éviter de signer à nouveau des contrats longs en prévoyant plutôt une succession de contrats courts.

Il s'agirait non plus de faire coïncider la durée de perception d'un péage avec la durée de vie de l'infrastructure, mais de déterminer la durée des contrats selon des critères d'efficacité.

Concrètement, la soulte serait une indemnité monétaire définie dès la signature du contrat comme la part des coûts contractualisés que les péages perçus durant le contrat ne permettent a priori pas de couvrir, et qui serait versée au concessionnaire en place à la fin de son contrat. Cette soulte correspondrait à un droit d'entrée dont s'acquitterait le délégataire suivant, et qu'il pourrait lui-même recouvrer grâce à la perception de péages au cours de son contrat.

Certes, des investigations techniques restent nécessaires avant de recourir à ce mécanisme à grande échelle. Toutefois, une soulte a déjà été mise en place pour financer le péage en flux libre sur l'autoroute Paris-Normandie sans prolonger la concession. Pour éviter d'instaurer à nouveau des contrats trop longs, ces investigations doivent être menées au plus vite.

Source : réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur

Présentation du fonctionnement du système de « soulte » proposé par l'ART

Source : rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023

2. Un suivi et un encadrement sérieux de la rentabilité des concessions couplés à des révisions quinquennales de leurs paramètres économiques et financiers
a) Un équilibre financier de la concession clairement défini associé à un encadrement et à un suivi rigoureux de la rentabilité des concessionnaires

Sur le modèle notamment des concessions autoroutières les plus récentes, les contrats qui succèderont aux cahiers des charges des concessions historiques devront impérativement prévoir un encadrement beaucoup plus strict des paramètres économiques et financiers, de façon à prévenir les phénomènes de surrentabilité et de captation de rentes par le secteur privé au détriment des intérêts des usagers et de l'État.

Le préalable indispensable à cet encadrement est de définir de façon très précise et rigoureuse dans les cahiers des charges initiaux l'équilibre financier de la concession. L'ensemble des hypothèses et des paramètres sous-jacents à cet équilibre devront être décrits de façon détaillée de même que les méthodes de calcul et d'indexation afférentes. Un TRI actionnaire cible, qui pourra servir de référence pour le suivi de la rentabilité des concessionnaires, devra également être précisé dans le contrat.

Par ailleurs, pour prévenir les phénomènes de surrentabilité, à l'instar des clauses introduites dans le cadre des concessions les plus récentes (décrites supra dans les développements de la première partie), les futurs contrats devront comprendre des dispositifs d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires. Ces dispositifs, qui peuvent le cas échéant se combiner, devront être construits à partir de la « boîte à outils » suivante :

des clauses de « partage des fruits de la concession » en fonction du chiffre d'affaires cumulé constaté au cours de l'exécution du contrat ;

des clauses de « partage des gains de refinancement » en fonction des bénéfices économiques qui seraient issus d'un refinancement de la dette liée au projet ;

des clauses de « péages endogènes » susceptibles de se substituer aux deux types de clauses précédentes pour se répercuter dans des modérations de péages au profit des usagers ;

des clauses de « durée endogène » qui pourraient conduire à une fin anticipée des concessions en fonction du chiffre d'affaires effectif.

Cependant, il ne suffit pas d'introduire de telles clauses dans les contrats de concession pour véritablement prévenir les phénomènes de surrentabilité. Pour parvenir à cet objectif, il conviendra que l'État concédant calibre minutieusement les seuils de déclenchement de ces clauses afin qu'elles soient réellement opérantes, contrairement à celles qui ont été ajoutées aux contrats de concessions historiques en 2015.

Sur la base de l'équilibre économique de la concession précisément défini et des clauses d'encadrement de la rentabilité des concessionnaires, les services de l'État devront exercer un suivi juridico-financier des contrats fin et régulier.

b) Des clauses de révisions quinquennales des paramètres économiques et financiers de la concession

Pour le rapporteur, l'un des aspects les plus déterminants de la réforme du modèle concessif, serait de prévoir des révisions régulières des paramètres économiques qui fondent l'équilibre du contrat. Cette évolution constituerait peut-être le moyen le plus efficace de prévenir les risques de surrentabilité.

Il a été souligné supra, dans les développements de la première partie, à quel point il était irrationnel de figer dans le marbre d'un contrat de plusieurs dizaines d'années les prévisions d'évolutions de paramètres aussi incertains que la croissance, les taux d'intérêt, l'inflation ou encore le trafic, en particulier des poids lourds.

Certes la réduction de la durée des concessions permettra déjà d'atténuer ce phénomène. Cependant, même des horizons de 15 ou 20 ans sont trop lointains pour envisager de pouvoir estimer avec un degré de confiance suffisant l'évolution de ces indices.

Le rapporteur considère qu'un horizon de 5 ans serait beaucoup plus raisonnable. Aussi préconise-t-il que dans le cadre de la nécessaire réforme du modèle concessif, les futurs contrats comportent une clause de révision quinquennale de leurs paramètres économiques. Tous les cinq ans, les trajectoires prévisionnelles d'évolution des différents paramètres économiques jusqu'à la fin de la concession, qui fondent l'équilibre financier du contrat, seraient actualisées pour être en phase avec les anticipations les plus récentes. Les trajectoires de péages, la durée de la concession, le paramétrage des clauses d'encadrement de la rentabilité, le TRI cible ou encore les investissements nécessaires pourraient alors être ajustés en conséquence.

Le rapporteur note à ce titre que l'exemple italien pourrait nous servir de modèle. En effet, en Italie, un document intitulé « plan économique et financier » est annexé aux contrats de concession. Ce document, qui détermine les paramètres de l'équilibre économique de la concession, est systématiquement révisé tous les cinq ans sous la supervision du régulateur sectoriel.

Les modalités de gestion du réseau autoroutier italien

L'Italie présente un réseau autoroutier comparable à la France avec une proportion concédée de 82 %, soit 6 020 kilomètres de linéaire. Le réseau italien est cependant davantage morcelé avec une grosse concession de 2 857 kilomètres et 28 autres qui se partageant l'autre moitié du réseau.

1. Organisation institutionnelle et gouvernance

Parmi ses principaux acteurs de l'organisation institutionnelle du secteur autoroutier italien, figurent :

- la direction générale pour la supervision des concessions d'autoroute du ministère des infrastructures et des transports (MIT) qui contrôle les sociétés concessionnaires d'autoroutes et prépare les avenants aux contrats de concession ;

- l'ANAS (société nationale pour les routes), entreprise publique, constituée sous la forme d'une société commerciale, qui est chargée de la gestion du réseau routier et autoroutier national non concédé selon un contrat de programme conclu avec le MIT pour 5 ans ;

- l'Autorité de régulation des transports, autorité administrative indépendante, qui assure une mission de régulation ainsi qu'une mission consultative.

Une particularité du modèle italien réside dans le rôle joué par le Comité interministériel pour la programmation économique (CIPE). Présidé par le Président du Conseil, le CIPE est un des organes les plus importants du gouvernement italien. Dans le cadre de la gestion des autoroutes, il a pour mission d'approuver les contrats de concession et leurs avenants.

2. Régulation économique et financière et révision quinquennale

Le cadre italien des concessions d'autoroutes prévoit une révision quinquennale des contrats.

Le plafond tarifaire est déterminé selon des projections réalisées tous les 5 ans prenant la forme d'un plan économique et financier annexé au contrat. Cela permet de limiter les risques exogènes pour les concessionnaires avec une gestion plus souple.

L'autorité de régulation est chargée de définir un système tarifaire commun et de superviser la mise à jour des plans annexés. Son action de régulation permet d'éviter les phénomènes de double rente, financière et organisationnelle, des concessionnaires en fixant le taux de rémunération du capital et en incitant à la réduction des coûts opérationnels.

De plus, deux mécanismes de correction des tarifs sont prévus en cas d'écarts avec les prévisions. Le premier conduit à reverser une part des recettes supplémentaires aux usagers (baisse des tarifs) si le trafic est supérieur de 2 % aux estimations ; le deuxième rectifie les tarifs en cas de retards des travaux et peut pénaliser le concessionnaire.

Source : commission des finances du Sénat

Recommandation n° 9 : construire le nouveau modèle concessif sur la base de concessions plus courtes faisant l'objet d'un réexamen tous les cinq ans.

Recommandation n° 10 : définir précisément les paramètres économiques et financiers des nouvelles concessions, en assurer un suivi continu approfondi de façon prévenir les phénomènes de surrentabilité.

3. Des périmètres géographiques à ajuster pour amplifier les gains d'efficience liés à l'intensité concurrentielle

Comme l'illustre le tableau ci-après, la France se caractérise par une grande diversité dans la taille de ses concessions autoroutières, de moins de 20 kilomètres pour les plus petites d'entre-elles à 2 730 kilomètres pour la concession des autoroutes du sud de la France (ASF).

Dimension des concessions autoroutières

(en kilomètres)

Sociétés

Longueur du réseau

ADELAC

19,6

ALBEA

17,8

ALIAE

88,4

ALICORNE

45

A'LIENOR

150

ALIS

125

APRR

1 890

ARCOS

24

ARCOUR

101

AREA

409

ASF

2 730

ATLANDES

104

ATMB

138

COFIROUTE

1 111

ESCOTA

471

SANEF

1 396

SAPN

372

SFTRF

80

SRL2 Marseille

9

Total réseau autoroutier concédé

9 310

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

Mais la France se distingue peut-être plus encore par l'existence de concessions de dimensions très vastes, aux premiers rangs desquelles les concessions ASF et APRR. L'existence de ces concessions très étendues explique notamment le fait que plus de 90 % du réseau actuel soit concentré sur seulement 7 concessions.

Proportion de chaque concession autoroutière dans la longueur totale
du réseau autoroutier concédé

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données de l'association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)

a) Une réduction de la taille des concessions les plus étendues pourrait sensiblement intensifier la concurrence lors des futurs appels d'offres

Dans la deuxième édition de son rapport sur l'économie des sociétés d'autoroutes en 2023, l'ART notait que la réduction de l'assiette géographique des contrats de concessions pourrait présenter des avantages et devait par conséquent être sérieusement étudiée. L'autorité indiquait ainsi qu'il était nécessaire « qu'en prévision de l'échéance des contrats en cours, une réflexion globale soit lancée sur l'opportunité d'un redécoupage géographique des réseaux des concessions historiques ».

Les gains d'efficience à attendre d'une révision des périmètres géographiques des concessions historiques résulteraient principalement d'une intensification de la concurrence lors des procédures d'appels d'offre qui auraient lieu à l'issue des contrats actuels. En effet, dans son rapport de 2023 sur l'économie des sociétés d'autoroutes, l'ART soulignait que « réduire la taille des réseaux permettrait de limiter les barrières à l'entrée lors de la réattribution des contrats ».

La diminution de la taille des concessions les plus vastes permettrait à des acteurs d'envergure plus modestes que les sociétés d'autoroutes actuelles de postuler aux futurs appels d'offre, ouvrant ainsi le champ concurrentiel. C'est cette relation de cause à effet qu'a mis en évidence le régulateur dans ce même rapport : « en général, répondre à un appel public à la concurrence pour l'attribution d'un contrat autoroutier suppose de disposer d'une certaine envergure financière. Le phénomène est sans doute plus marqué encore si le réseau est très étendu : il est probable que le nombre d'acteurs susceptibles de faire des offres crédibles diminue avec l'importance géographique du contrat. Dès lors, un redécoupage géographique des concessions existantes pourrait permettre de maximiser le nombre de candidats, donc l'intensité concurrentielle et la qualité des offres ».

La taille considérable de la concession d'ASF et dans une moindre mesure celle d'APRR serait de nature à dissuader bon nombre de candidats potentiels, réduisant ainsi d'autant les gains d'efficience générés par la remise en concurrence de la gestion de ces réseaux autoroutiers. Or, aujourd'hui, comme la direction générale du Trésor a pu le confirmer au rapporteur, de nombreux investisseurs sont intéressés par ce type d'actifs.

Aussi, le rapporteur considère-t-il qu'à condition de faire en sorte d'attirer un maximum de ces acteurs, le potentiel de gains d'efficience dont pourrait tirer parti l'État concédant dans le cadre de futurs appels d'offres semble très prometteur, et vraisemblablement beaucoup plus qu'il n'a pu l'être lors de la privatisation de 2006.

b) Un redécoupage plus fin pourrait être nécessaire afin de corriger l'asymétrie d'information qui favorise le concessionnaire sortant

Les gains d'efficience résultants de la mise en concurrence des réseaux autoroutiers ne dépendent pas uniquement du seul critère de la taille des concessions. Ils peuvent également être amoindris du fait de l'asymétrie d'information dont bénéficie le concessionnaire sortant qui connait parfaitement le réseau qu'il a géré pendant plusieurs décennies ainsi que l'ensemble des ses conditions et données d'exploitation.

À ce titre, le concessionnaire sortant disposerait d'un avantage indéniable sur d'autres candidats, y compris si la concession qu'il gérait auparavant était découpée en plusieurs morceaux. Pour atténuer cette asymétrie d'information, l'État concédant pourrait être amené à redécouper de façon plus fine le périmètre géographique des concessions historiques, le cas échéant en créant de nouveaux périmètres qui réviseraient les actuels découpages entre concessions. L'ART considère en effet « qu'en modifiant la délimitation géographique des concessions, il serait possible d'éviter que les acteurs sortants bénéficient d'un avantage informationnel »125(*).

Un redécoupage des concessions historiques visant à prévenir l'asymétrie d'information qui profiterait au concessionnaire sortant

Le découpage des futurs réseaux devrait être conçu de façon à éviter que les concessionnaires en place bénéficient, lors des remises en concurrence, d'un avantage excessif. Une réduction de la taille des réseaux, si elle était opérée simplement en découpant les concessions existantes, pourrait avoir peu de répercussions concrètes.

En effet, les concessionnaires en place, compte tenu de leur meilleure connaissance du réseau qu'ils exploitent, disposeront, pour tout appel d'offres correspondant à un sous-ensemble de ce réseau, d'un avantage par rapport aux concurrents potentiels. Cet avantage pourrait être tel qu'aucune pression concurrentielle ne s'exercerait en réalité sur le concessionnaire historique.

Pour éviter ce phénomène, une solution envisageable serait de constituer les futurs réseaux en combinant des sous-ensembles des concessions actuelles.

Source : rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023

c) Réaliser un bilan coûts-bénéfices de l'opportunité de découper le périmètre géographique des concessions historiques

Dans le même temps, s'il est susceptible de générer des gains d'efficience en stimulant la concurrence, un redécoupage géographique peut aussi se traduire, à l'inverse, par des phénomènes de « désoptimisation ». Ceux-ci s'expliquent par le fait que jusqu'à un certain point, l'augmentation de la longueur de linéaire géré, permet au concessionnaire de réaliser des économies d'échelle. La réduction du périmètre géographique d'une concession peut ainsi se traduire par une augmentation des coûts organisationnels voir rendre nécessaire la réalisation de nouveaux investissements afin d'assurer la continuité de service.

En 2023126(*), l'ART notait ainsi que « la taille des réseaux doit rester suffisante pour permettre de maximiser les effets d'échelle. Des réseaux de taille trop limitée pourraient engendrer des surcoûts. L'exploitation d'infrastructures autoroutières est une activité qui se caractérise, dans une certaine mesure, par des économies d'échelle : par exemple, il convient de tenir compte du rayon d'action d'un centre d'exploitation ».

Toutefois, ce phénomène d'économies d'échelle ne s'observe que jusqu'à une certaine taille de linéaire. Au-delà, au contraire, la gestion d'une concession devient moins efficiente. C'est notamment ce que la DGITM a indiqué au rapporteur : « une entité en charge d'un réseau très étendu perd en efficience et en cohérence, typiquement lorsque l'entité est conduite à diviser ses directions opérationnelles (direction d'exploitation notamment) »127(*).

Les sociétés d'autoroutes mettent aussi en exergue le phénomène de foisonnement des risques permis par une concession étendue et composée de voies qui présentent des caractéristiques diverses. Il en résulterait une meilleure maîtrise des risques de la concession. Les conséquences de la manifestation d'un risque sur une partie du réseau pourraient plus facilement être compensées par les conditions d'exploitation constatées sur d'autres composantes de la concession.

Les sociétés d'autoroutes prennent notamment l'exemple du risque trafic et plus particulièrement sur sa composante la plus volatile, à savoir la circulation des poids lourds. Cette dernière est en effet très variable selon les voies. Disposer, au sein d'une même concession à la fois de voies très empruntées par les véhicules lourds et d'autres qui le sont moins permet de mieux en maîtriser les risques. Plus généralement, les concessionnaires estiment également que des effets sur le trafic qui sont liés aux conditions météorologiques sont susceptibles d'être mieux maîtrisés sur des réseaux étendus.

Dans ces conditions, le rapporteur considère qu'il s'avère absolument nécessaire de conduire une réflexion approfondie sur le dimensionnement optimal des concessions autoroutières en France. Cette réflexion devra permettre de réaliser un bilan coûts-bénéfices d'un réaménagement du périmètre géographique des concessions actuelles, en particulier les plus étendues. Il s'agira de s'assurer que les bénéfices tirés d'une intensité concurrentielle accrue l'emportent sur les coûts organisationnels qui résulteraient du redécoupage de certaines concessions.

En Italie, la question de la taille optimale des concessions autoroutières est beaucoup débattue et une vraie réflexion a d'ores et déjà été conduite à ce sujet. Pour objectiver les déterminants de cette question, une étude a été réalisée en 2016 par l'autorité de régulation italienne. La conclusion de cette étude était que, d'un point de vue des économies d'échelles, la taille optimale d'une concession autoroutière se situerait entre 180 et 315 kilomètres. Pour l'ART128(*), « si ces résultats reflètent probablement certaines spécificités du réseau italien, ils suggèrent que les concessions historiques privées françaises, dont la taille s'échelonne entre 372 kilomètres (SAPN) et 2 724 kilomètres (ASF) se situent sans doute bien au-delà de ce qui est requis pour optimiser les effets d'échelle ». Pour cette raison, « avant de procéder à la réattribution des contrats, l'autorité recommande que soit mené un exercice similaire pour statuer sur la taille optimale des réseaux dans le cas français ».

Au regard de la taille manifestement excessive de certaines concessions d'autoroutes en France, et en s'appuyant notamment sur l'étude italienne, la direction générale du Trésor dresse également le constat qu'en cas de maintien d'un système concessif, il serait indispensable de « définir de manière plus rationnelle le nombre, la taille et la localisation des contrats. La taille actuelle des concessions d'autoroutes semble en effet supérieure à la taille nécessaire pour amortir les coûts fixes et pourrait restreindre la concurrence en cas de remise en concession en excluant les plus petits acteurs »129(*).

À ce stade, l'ART a signalé au rapporteur estimer que des concessions étendues sur 1 000 à 1 500 km au maximum pourraient constituer un « juste équilibre » et se traduire par un bilan coûts-bénéfices avantageux pour l'État et les usagers. Pour autant, des études complémentaires apparaissent nécessaires pour parfaitement objectiver cette problématique.

Le rapporteur considère qu'il est nécessaire que le Parlement confie à l'ART la réalisation et la publication d'un étude visant à objectiver les critères susceptibles d'éclairer une éventuelle révision du périmètre géographique des concessions actuelles.

Cette étude devra ensuite servir de base aux réflexions plus larges qui seront menées dans le cadre d'une concertation ouverte et transparente de l'ensemble des acteurs impliqués, au premier rang desquelles les collectivités territoriales et les élus locaux, mais aussi bien évidemment les principales organisations professionnelles du secteur, les services de l'État ou encore les usagers (voir infra la recommandation n° 13). Ce n'est qu'à l'issue de ce processus que l'opportunité d'un redécoupage ainsi que sa configuration seront déterminées.

Recommandation n° 11 : demander à l'ART de réaliser et de rendre public une étude visant à objectiver les critères susceptibles d'éclairer une éventuelle révision du périmètre géographique des concessions actuelles.

4. Des procédures d'échéance des concessions bien définies dans les cahiers des charges d'origine

À l'instar des bonnes pratiques adoptées pour les concessions les plus récentes, et pour combler l'une des principales lacunes des cahiers des charges des concessions historiques, les contrats des futures concessions devront définir avec précision dès leur origine les procédures liées à leur expiration. Les différents documents et leur contenu, le détail des responsabilités du concédant et du concessionnaire, les règles de l'art en matière d'entretien du patrimoine, la phase de transition avec le concessionnaire suivant ou encore la définition du bon état des biens de retour devront ainsi être précisément décrits dans les cahiers des charges d'origine.

Par ailleurs, contrairement à ce qui a prévalu pour les contrats historiques, les inventaires détaillés de leur patrimoine devront être réalisés et actualisés de façon régulière tout au long de la vie des concessions.

Enfin, à la différence de ce qui s'est passé pour les contrats historiques en raison de leurs lacunes sur cette question, l'état structurel du patrimoine et non de son seul état courant devra faire l'objet d'un suivi constant tout au long de la durée de vie des concessions et non pas seulement quelques années avant son expiration. Cela évitera à l'État concédant de se retrouver en fin de concession face à des échéances et des délais très contraints qui fragilisent la défense de ses intérêts comme de ceux des usagers.


* 122 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 123 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 124 Rapport sur l'économie des concessions autoroutières, 2ème édition, ART, janvier 2023.

* 125 Réponses écrites de l'ART au questionnaire du rapporteur.

* 126 Dans la 2ème édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières.

* 127 Réponses écrites de la DGITM au questionnaire du rapporteur.

* 128 Dans la 2ème édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières.

* 129 Réponses écrites de la direction générale du Trésor au questionnaire du rapporteur.

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