D. LES NOUVELLES CONCESSIONS AUTOROUTIÈRES ONT CORRIGÉ CERTAINS DES PRINCIPAUX DÉFAUTS DES CONTRATS HISTORIQUES
Le rapporteur a pu constater à quel point les clauses des contrats des nouvelles concessions se distinguaient de celles contenues dans les contrats historiques. Les contrats des nouvelles concessions apparaissent comme nettement plus protecteurs des intérêts du concédant et des usagers. Entre autres, ils prévoient divers dispositifs permettant de réellement encadrer la rentabilité des concessionnaires. Ces contrats intègrent par ailleurs d'emblée les enjeux relatifs à l'échéance des concessions.
Dans ses réponses écrites au questionnaire du rapporteur, l'ART a insisté sur le chemin parcouru entre les contrats des concessions historiques et ceux qui ont été négociés dans le cadre des concessions créées plus récemment : « dans le détail de leur mise en oeuvre, les contrats de concession ont d'ores et déjà largement évolué pour prendre en compte le retour d'expérience sur le modèle concessif. Par exemple, ils fixent des objectifs en matière de qualité de service, entre autres sur l'attente aux gares de péage, la gestion de la viabilité hivernale, ou encore les délais de dépannage, et prévoient des pénalités dans le cas où ces objectifs ne sont pas atteints. Dans le dernier contrat de concession signé, celui portant sur l'autoroute A69, figure également une annexe définissant exhaustivement le bon état de retour de l'infrastructure : elle permettra d'éviter toute difficulté à ce sujet en fin de de concession ».
Cette capacité qu'a eu le modèle concessif à évoluer et à s'améliorer à travers ces nouvelles concessions est également à mettre à son crédit. Les reproches légitimes faits aux contrats historiques ne doivent pas conduire à omettre ces évolutions positives.
1. Un véritable encadrement de la rentabilité des concessions
Les clauses visant à encadrer la rentabilité des concessionnaires sur la durée d'application du contrat peuvent se décliner en quatre catégories.
La plupart des contrats récents prévoient ainsi des clauses de partage des gains d'exploitation dites « de partage des fruits de la concession ». Ces mécanismes peuvent conduire au reversement par le concessionnaire d'une redevance dans l'hypothèse où le chiffre d'affaires cumulé de la concession dépasserait un certain seuil situé à un niveau supérieur à l'évaluation prévisionnelle d'origine déterminée lors de la mise en concurrence. Le contrat prévoit alors une clé de partage progressive des gains réalisés en fonction de l'ampleur du dépassement du seuil. La DGITM souligne que l'intérêt de ce mécanisme est de « limiter la profitabilité que pourrait générer un niveau de recettes significativement supérieur aux prévisions du concessionnaire au moment de la remise de son offre »63(*).
Des clauses de « partage des gains de refinancement » prévoient que le gain résultant d'un refinancement de la dette du concessionnaire soit partagé entre celui-ci et l'État concédant. Ces mécanismes permettent à l'État concédant de bénéficier d'une partie du gain issu d'un refinancement de la dette du projet dans le cas où les conditions de financement auraient évolué favorablement.
Le rapporteur note qu'au regard de la longue période de taux d'intérêt très bas dont elles ont pu bénéficier, de telles clauses auraient vraisemblablement nettement réduit la rentabilité des concessions historiques. Dans ce type de dispositifs, les gains issus du refinancement sont calculés en comparant la dernière version du modèle financier avant le refinancement avec le modèle mis à jour suite au refinancement. À défaut d'accord particulier entre les parties sur le partage du gain de refinancement, celui-ci est réalisé par application d'une formule prévue au contrat. Le rapporteur a pu constater qu'une telle clause a notamment été activé dans le cadre de la concession de l'autoroute A63 opérée par la société Atlandes. En effet, à l'occasion du refinancement d'Atlandes en 2015, le gain résultant de la baisse des taux d'intérêt a été partagé avec l'État qui a pu encaisser 247 millions d'euros dans cette opération.
Les nouveaux contrats prévoient aussi des clauses de modération tarifaire dites de « péages endogènes » qui peuvent se substituer aux clauses « partage des fruits de la concession » ou de « partage des gains de refinancement » et sont activées dans les mêmes conditions pour des effets équivalents au bénéfice des utilisateurs.
Les cahiers des charges des concessions récentes peuvent enfin inclure des clauses de réduction de la durée des concessions dites « de durée endogène ». À travers ce type de dispositifs, la concession pourrait prendre fin de façon anticipée si le chiffre d'affaires effectif cumulé dépassait un certain seuil. Ce seuil de chiffre d'affaires cumulé est établi au moment de la remise de l'offre du candidat sur la base d'une « surperformance » en général de l'ordre de 10 % par rapport au plan d'affaires qu'il a proposé.
Par ailleurs, la formulation des clauses dites de « stabilité du paysage fiscal » des nouvelles concessions est plus souple que celle de l'article 32 des contrats historiques tel qu'il a été révisé en 2015. Pour les nouveaux contrats, le droit à compensation n'est pas inconditionnel. Il ne vaut que dans l'hypothèse où l'évolution des prélèvements spécifiques au concessionnaire a conduit à dégrader de façon « substantielle » l'équilibre économique et financier de la concession.
2. Des procédures de fin des concessions protectrices des intérêts patrimoniaux de l'État définies clairement dès l'origine
Les contrats de concession les plus récents ont remédié à l'une des principales lacunes des contrats historiques. Alors que ces derniers éludaient très largement les enjeux et procédures liées à la fin des concessions, les nouveaux contrats sont beaucoup plus précis et nettement plus protecteurs pour l'État concédant dans ce domaine.
Les contrats les plus récents définissent la doctrine de « bon état d'entretien » des biens de retour qui reviendront gratuitement à l'État en fin de concession. Ils décrivent précisément les différentes étapes du processus, leur déroulement ou encore les différents documents qui doivent être produits par le concessionnaire. Les responsabilités du concédant et du concessionnaire sont clairement définies.
En outre, dans ces nouveaux contrats, au-delà d'être précisément définies, les clauses relatives à la procédure de fin des concessions apparaissent comme très protectrices des intérêts de l'État concédant.
Il en va ainsi par exemple des règles relatives à la garantie financière que doit constituer le concessionnaire après la notification par l'État du programme d'investissement de fin de concession. En effet, afin d'assurer la réalisation effective des travaux notifiés dans le cadre de ce programme, les contrats exigent que le concessionnaire constitue une garantie. Dans les contrats les plus récents, la garantie financière doit être constituée dans les deux mois qui suivent l'établissement du programme d'investissements et son montant correspond au coût prévisionnel des travaux majoré de 20 %. Si jamais le concessionnaire n'exécute par l'ensemble des travaux requis par le programme, l'État concédant procède à des levées de cette garantie. Par ailleurs, comme le soulignait l'ART en 2020 dans la première édition de son rapport sur l'économie des concessions autoroutières64(*), si ce montant s'avérait insuffisant pour faire réaliser les travaux, en vertu des contrats les plus récents, l'État concédant serait en droit d'exiger une contribution complémentaire du concessionnaire : « l'article des cahiers des charges relatif aux garanties a été renforcé sur plusieurs aspects au gré de la conclusion de nouveaux contrats de concession. Ainsi, les cahiers des charges de la plupart des sociétés récentes prévoient expressément que l'appel des garanties ne limite pas le recours du concédant à l'égard du concessionnaire si les garanties s'avéraient insuffisantes pour couvrir les sommes dues par le concessionnaire pour la réalisation des travaux. Il prévoit aussi que le concessionnaire reconstitue la garantie sans délai à son montant initial en cas d'appel total ou partiel de celle-ci ».
Dans ce même rapport, l'ART soulignait les très lourdes sanctions auxquelles s'exposeraient les sociétés concessionnaires d'autoroutes qui enfreindraient les clauses des contrats récents liées aux garanties financières : « les cahiers des charges de la plupart des sociétés récentes prévoient que, si le concessionnaire ne produit pas ou ne maintient pas ladite garantie, il encourt la déchéance sans pouvoir prétendre au bénéfice d'aucune indemnité ».
Pour que l'État concédant dispose du temps nécessaire pour s'assurer que le programme d'investissements a bien été réalisé dans son intégralité, les contrats récents prévoient que les travaux dudit programme doivent être achevés au plus tard un an avant l'expiration de la concession.
En outre, afin de garantir la bonne exécution de la procédure de renouvellement de la concession et pour favoriser la transition avec un éventuel nouveau concédant, les contrats les plus récents prévoient aussi que, deux ans avant la fin de la concession, le concessionnaire remette au concédant un « dossier de fin de concession ». Celui-ci doit « décrire la consistance et l'étendue de l'ensemble des ouvrages, équipements, emprises constituant l'autoroute », et « retracer l'historique de la gestion de l'autoroute et de l'exécution du contrat, à la fois sur les plans technique, financier et contractuel, de façon à permettre à un nouveau gestionnaire d'exploiter, de maintenir et d'entretenir l'autoroute sans difficulté particulière à l'issue du contrat de concession »65(*). Cette transmission d'informations sur la gestion des infrastructures des concessions concernées est absolument essentielle pour réduire l'asymétrie d'information qui existe, au moment du renouvellement de ces concessions, entre d'une part le concédant en place et d'autre par l'État ainsi que d'autres prétendants éventuels à leur reprise.
À contrario, l'ART mettait en garde en 2020 l'État concédant sur le fait que les contrats historiques ne prévoyaient rien en termes de transfert de données et que ce sujet devrait faire l'objet d'une attention toute particulière dans le cadre des procédures d'expiration des concessions concernées : « si ces précisions dans les contrats les plus récents sont favorables au concédant, il n'en demeure pas moins que les premiers contrats, dont l'échéance interviendra entre 2031 et 2036 et qui constituent la majeure partie du réseau autoroutier concédé, ne comportent pas de dispositions ayant vocation à faciliter la transition vers un nouveau gestionnaire. Il appartiendra donc au concédant d'être vigilant et de s'assurer en temps utile que toutes les informations nécessaires à la bonne reprise de l'exploitation par un nouvel opérateur sont en sa possession, quel que soit le mode de gestion retenu ».
Le rapporteur tient à souligner que par principe, et cela vaut également et peut-être surtout pour les développements qui vont suivre concernant la fin des concessions historiques et les enjeux considérables qu'ils recouvrent, les avis et recommandations de l'ART doivent servir de base à l'approche de l'État concédant.
* 63 Réponses de la DGITM au questionnaire du rapporteur.
* 64 Économie des concessions autoroutières, 1ère édition, ART, novembre 2020.
* 65 Article 38 des cahiers des charges des concessions Aliae et Arcos.