N° 49
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2024
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur « Pour rendre
l'armée plus
attractive :
retenir, attirer,
réunir »,
Par Mmes Vivette LOPEZ et Marie-Arlette CARLOTTI,
Sénateur et Sénatrice
(1) Cette commission est composée de :
M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal
Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret,
Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau,
Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal,
vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette
Lopez, MM. Hugues Saury,
Jean-Marc Vayssouze-Faure,
secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet,
Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette
Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial,
Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, M. Philippe Folliot,
Mme Annick Girardin, M. Guillaume Gontard, Mme Sylvie
Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand,
André Guiol, Ludovic Haye,
Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle
Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le
Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi,
Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc
Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
L'ESSENTIEL
POUR RENDRE L'ARMÉE PLUS ATTRACTIVE : RETENIR, ATTIRER, RÉUNIR
I. L'ATTRACTIVITÉ DES ARMÉES : UN PROBLÈME D'INGÉNIERIE ADMINISTRATIVE ET DE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE
A. UNE TRAJECTOIRE PLURIANNUELLE D'EFFECTIFS DÉJÀ MENACÉE
1. Une nouvelle exécution préoccupante du schéma d'emplois du ministère en 2023
Depuis trois ans, les armées échouent à respecter le schéma d'emplois fixé en loi de finances. L'année 2023 a été particulièrement difficile, avec un écart de plus de 8 000 ETP par rapport à l'objectif de recrutement. Il semblerait que la tendance en 2024 se soit redressée, mais le schéma d'emplois prévu en loi de finances pour 2024 était déjà moins ambitieux que ce que prévoyait la LPM pour sa première année d'exécution.
En conséquence, la trajectoire fixée par la LPM se révèle déjà difficile à respecter. Et pour cause : les effectifs du ministère baissent au lieu d'augmenter. Il en découle une première difficulté d'ordre budgétaire. L'article 7 de la LPM autorise le ministère à utiliser les crédits n'ayant pas été consommés pour le recrutement pour renforcer la fidélisation des agents. La Cour des comptes s'inquiète à présent de la capacité future du ministère à rattraper la trajectoire d'effectifs devenus plus onéreux. Or le respect de la trajectoire conditionne à son tour le respect, par les armées, de leurs contrats opérationnels.
Évolution des effectifs du ministère des
armées et trajectoire prévue par les LPM
(en ETPT)
Source : Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Défense » pour l'année 2023.
La loi de programmation trouve ici ses limites. L'enveloppe qui finance concurremment la hausse d'effectifs et l'amélioration de leurs conditions matérielles risque de se révéler trop étroite pour poursuivre les deux finalités. En dépit de l'état catastrophique des finances publiques, il faut tout faire pour éviter de sacrifier l'un de ces deux objectifs. Malheureusement, l'information du Parlement n'est pas toujours claire sur cet aspect de l'exécution de la LPM.
2. Un phénomène assez hétérogène, des variables nombreuses et complexes
La difficulté à respecter les schémas d'emplois vient d'abord d'une difficulté à fidéliser les militaires en poste. Le volume des départs spontanés a atteint le plus haut niveau depuis 2017. Le taux d'attrition, c'est-à-dire le taux de départ en cours de période probatoire, est orienté à la hausse depuis 2020. Les non-renouvellements de contrat à l'initiative du militaire ont également augmenté de 70 % depuis 2018. En revanche, le nombre de désertions est stable depuis 2017, à environ 1 500 cas par an.
En conséquence, l'ancienneté moyenne des militaires au moment de leur départ de l'institution n'a cessé de baisser depuis dix ans pour atteindre, en 2023, 25,3 ans pour les officiers, 18,4 ans pour les sous-officiers, et 4,3 ans pour les militaires du rang.
L'armée de Terre est la première concernée. Le taux de départ y a progressivement augmenté depuis 2015, et le recrutement est devenu plus difficile en 2023, surtout au niveau des sous-officiers et des militaires du rang, lesquels ont contribué au déficit à hauteur de 2 000 ETP en 2023. Le recrutement d'officiers n'affiche en revanche pas de difficulté particulière. Dans l'armée de l'air et de l'espace et la marine, le problème réside moins dans le recrutement que dans la difficulté à retenir les départs. Le caractère plus spécialisé de nombreux profils les rend facilement employables, et dans de meilleures conditions, dans le secteur privé.
La situation de l'armée française n'est certes pas isolée. L'armée britannique a poursuivi sa rétractation engagée depuis plusieurs années, en dépit de la volonté récente d'inverser la tendance, surtout depuis la guerre en Ukraine. L'armée allemande a également fondu de 1 500 personnes en 2023, malgré les efforts en sens contraire. Les Etats-Unis, quant à eux, disposent à présent de leur plus petite armée depuis 80 ans.
Les déterminants de cette situation sont complexes. L'état du marché du travail a des répercussions significatives sur les volumes recrutés chaque année - près de 30 000 personnes. La taille des cohortes également - un creux a été atteint en 2020, mais le mini-baby-boom du début des années 2000 devrait jouer en sens contraire dès 2025. L'image des armées n'est pas en cause, puisque la France est le pays européen où elle a le plus progressé ces 15 dernières années. L'état de santé et le niveau éducatif des jeunes Français ne sont pas encore des variables déterminantes, mais elles restent à surveiller car la sédentarité, l'addiction aux écrans, le surpoids et l'obésité progressent.
La variable sociologique la plus fondamentale semble être le creusement de l'écart entre la vie militaire et la vie professionnelle du monde civil. La contrainte est bien sûr inhérente à la vie militaire, mais les aspirations individuelles changent. Les études empiriques montrent que les plus jeunes accordent une importance croissante à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. De plus, les conjoints de militaires sont beaucoup plus nombreux qu'avant à travailler, ce qui rend plus délicate l'absorption des sujétions par la cellule familiale.
Les conjoints de militaires sont désormais plus des trois quarts à avoir une activité professionnelle, contre environ la moitié il y a trente ans.