N° 49

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur « Pour rendre l'armée plus attractive :
retenir, attirer, réunir »,

Par Mmes Vivette LOPEZ et Marie-Arlette CARLOTTI,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury,
Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, M. Philippe Folliot, Mme Annick Girardin, M. Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand,
André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

L'ESSENTIEL

POUR RENDRE L'ARMÉE PLUS ATTRACTIVE : RETENIR, ATTIRER, RÉUNIR

I. L'ATTRACTIVITÉ DES ARMÉES : UN PROBLÈME D'INGÉNIERIE ADMINISTRATIVE ET DE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE

A. UNE TRAJECTOIRE PLURIANNUELLE D'EFFECTIFS DÉJÀ MENACÉE

1. Une nouvelle exécution préoccupante du schéma d'emplois du ministère en 2023

Depuis trois ans, les armées échouent à respecter le schéma d'emplois fixé en loi de finances. L'année 2023 a été particulièrement difficile, avec un écart de plus de 8 000 ETP par rapport à l'objectif de recrutement. Il semblerait que la tendance en 2024 se soit redressée, mais le schéma d'emplois prévu en loi de finances pour 2024 était déjà moins ambitieux que ce que prévoyait la LPM pour sa première année d'exécution.

En conséquence, la trajectoire fixée par la LPM se révèle déjà difficile à respecter. Et pour cause : les effectifs du ministère baissent au lieu d'augmenter. Il en découle une première difficulté d'ordre budgétaire. L'article 7 de la LPM autorise le ministère à utiliser les crédits n'ayant pas été consommés pour le recrutement pour renforcer la fidélisation des agents. La Cour des comptes s'inquiète à présent de la capacité future du ministère à rattraper la trajectoire d'effectifs devenus plus onéreux. Or le respect de la trajectoire conditionne à son tour le respect, par les armées, de leurs contrats opérationnels.

Évolution des effectifs du ministère des armées et trajectoire prévue par les LPM
(en ETPT)

Source : Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission « Défense » pour l'année 2023.

La loi de programmation trouve ici ses limites. L'enveloppe qui finance concurremment la hausse d'effectifs et l'amélioration de leurs conditions matérielles risque de se révéler trop étroite pour poursuivre les deux finalités. En dépit de l'état catastrophique des finances publiques, il faut tout faire pour éviter de sacrifier l'un de ces deux objectifs. Malheureusement, l'information du Parlement n'est pas toujours claire sur cet aspect de l'exécution de la LPM.

2. Un phénomène assez hétérogène, des variables nombreuses et complexes

La difficulté à respecter les schémas d'emplois vient d'abord d'une difficulté à fidéliser les militaires en poste. Le volume des départs spontanés a atteint le plus haut niveau depuis 2017. Le taux d'attrition, c'est-à-dire le taux de départ en cours de période probatoire, est orienté à la hausse depuis 2020. Les non-renouvellements de contrat à l'initiative du militaire ont également augmenté de 70 % depuis 2018. En revanche, le nombre de désertions est stable depuis 2017, à environ 1 500 cas par an. 

En conséquence, l'ancienneté moyenne des militaires au moment de leur départ de l'institution n'a cessé de baisser depuis dix ans pour atteindre, en 2023, 25,3 ans pour les officiers, 18,4 ans pour les sous-officiers, et 4,3 ans pour les militaires du rang.

L'armée de Terre est la première concernée. Le taux de départ y a progressivement augmenté depuis 2015, et le recrutement est devenu plus difficile en 2023, surtout au niveau des sous-officiers et des militaires du rang, lesquels ont contribué au déficit à hauteur de 2 000 ETP en 2023. Le recrutement d'officiers n'affiche en revanche pas de difficulté particulière. Dans l'armée de l'air et de l'espace et la marine, le problème réside moins dans le recrutement que dans la difficulté à retenir les départs. Le caractère plus spécialisé de nombreux profils les rend facilement employables, et dans de meilleures conditions, dans le secteur privé.

La situation de l'armée française n'est certes pas isolée. L'armée britannique a poursuivi sa rétractation engagée depuis plusieurs années, en dépit de la volonté récente d'inverser la tendance, surtout depuis la guerre en Ukraine. L'armée allemande a également fondu de 1 500 personnes en 2023, malgré les efforts en sens contraire. Les Etats-Unis, quant à eux, disposent à présent de leur plus petite armée depuis 80 ans.

Les déterminants de cette situation sont complexes. L'état du marché du travail a des répercussions significatives sur les volumes recrutés chaque année - près de 30 000 personnes. La taille des cohortes également - un creux a été atteint en 2020, mais le mini-baby-boom du début des années 2000 devrait jouer en sens contraire dès 2025. L'image des armées n'est pas en cause, puisque la France est le pays européen où elle a le plus progressé ces 15 dernières années. L'état de santé et le niveau éducatif des jeunes Français ne sont pas encore des variables déterminantes, mais elles restent à surveiller car la sédentarité, l'addiction aux écrans, le surpoids et l'obésité progressent.

La variable sociologique la plus fondamentale semble être le creusement de l'écart entre la vie militaire et la vie professionnelle du monde civil. La contrainte est bien sûr inhérente à la vie militaire, mais les aspirations individuelles changent. Les études empiriques montrent que les plus jeunes accordent une importance croissante à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. De plus, les conjoints de militaires sont beaucoup plus nombreux qu'avant à travailler, ce qui rend plus délicate l'absorption des sujétions par la cellule familiale.

Les conjoints de militaires sont désormais plus des trois quarts à avoir une activité professionnelle, contre environ la moitié il y a trente ans.

B. UNE POLITIQUE DES RESSOURCES HUMAINES QUI PEUT ENCORE GAGNER EN EFFICACITÉ

1. Améliorer les conditions matérielles d'exercice des militaires

La rémunération est naturellement un facteur déterminant de recrutement et de fidélisation : le tassement des grilles indiciaires désincite à la progression, l'écart avec le reste de la fonction publique n'est pas à l'avantage de l'armée, et les comparaisons internationales ne sont pas favorables à l'armée française.

Le déploiement de la NPRM y a remédié, avec satisfaction semble-t-il, sans que tous ses effets - la fiscalisation des nouvelles primes, notamment - aient pu être encore précisément mesurés. Le plan « Fidélisation 360 », présenté par le ministre en mars 2024, promet en outre, notamment, la prise en compte d'une part de l'indemnitaire dans le calcul de la pension pour celles qui seront versées à compter de 2026.

Le respect du calendrier de mise en oeuvre des nouvelles grilles indiciaires restantes - fin 2024 pour les sous-officiers supérieurs, 2025 pour les officiers - sera un élément déterminant du moral, donc de la fidélisation des militaires.

Sur le plan indiciaire, le Gouvernement a tenu les promesses de la LPM en mettant à jour les grilles des militaires du rang et des sous-officiers subalternes en 2023. Celle des sous-officiers supérieurs doit l'être avant la fin de l'année, mais la publication du décret a été repoussé d'octobre à décembre 2024, pour une mise en paiement en 2025. Quant au projet de grille des officiers, attendu avant fin 2025, il n'a, semble-t-il, pas encore été présenté au guichet unique Bercy-DGAFP. Les rapporteures sont conscientes de l'état des finances publiques mais attirent l'attention sur l'importance du respect de la parole donnée aux militaires : un ajournement ou une révision a minima des grilles seraient à coup sûr désastreux en termes de fidélisation.

Les questions d'hébergement et de logement ont fait l'objet de plusieurs rapports d'évaluation récents. En dépit du plan famille, les programmes de construction restent insuffisants par rapport aux besoins, surtout en zone tendue, et l'état du parc est parfois très dégradé.

L'accompagnement des familles est par ailleurs perfectible. Les espaces ATLAS réunissent aujourd'hui en un lieu unique tous les interlocuteurs utiles de la défense, et des partenariats noués avec les autres administrations permettent d'y adjoindre de nombreux autres services. C'est l'interlocuteur idéal, mais leurs moyens, d'après le conseil supérieur de la fonction militaire, sont encore beaucoup trop faibles.

La mobilité est peut-être le facteur le plus important, puisqu'il surdétermine les contraintes d'hébergement. La mobilité découle certes de la disponibilité en tout lieu et en tout temps des militaires, et la rotation des postes garantit la progression des carrières. Mais c'est aussi l'une des sujétions qui affecte le plus directement la vie quotidienne du militaire et de sa famille, l'accès à la propriété, l'éducation des enfants, la prise en charge médicale, les aspirations du conjoint. Une étude récente d'une mutuelle de militaires a relevé que les conjoints de la population sondée, majoritairement des femmes, et bien que pour moitié diplômées d'un bac+2 à bac+5, déclarait à 63 % un statut d'ouvrière, employée ou technicienne. L'acceptation d'une forme de déqualification imposée par la mobilité du conjoint ne peut aller sans tensions.

Les colonels en service au 31 décembre 2022 ont connu, en moyenne, entre 8 et 10 mutations avec changement de résidence en moins de 30 ans de carrière.

Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire estimait en 2022 que des ajustements à la pratique restaient possibles : l'âge n'est pas assez pris en compte, non plus que l'ancienneté ; l'affectation privilégiée au plus près de la zone géographique souhaitée n'est pas encore la règle... Recourir davantage au télétravail dans les fonctions qui s'y prêtent, et réduire la mobilité géographique au strict nécessaire opérationnel devraient être des objectifs à regarder de plus près.

2. La formation et la gestion des ressources humaines

La fonction de recrutement pourrait sans doute gagner en efficacité. La procédure dure en tout de quatre à six mois, et le principal goulot d'étranglement se situe au niveau de l'aptitude médicale. La réforme prévue du service de santé des armées n'empêche pas d'imaginer un système plus ambitieux de réserve citoyenne pour absorber les flux. La communication des armées sur le recrutement est en outre puissante, mais extraordinairement foisonnante, et gagnerait à être centralisée sur un portail mieux identifié.

La promotion de la mixité est un autre chantier d'importance. Beaucoup a été fait en la matière, mais les discriminations et les violences peuvent rester un frein à l'engagement. Le rapport remis au ministre en juin dernier par le collège des inspecteurs généraux des armées doit être suivi d'effets. Les rapporteures s'interrogent toutefois sur l'opportunité de maintenir la cellule Thémis au sein du ministère, observant qu'en Allemagne, le « commissaire parlementaire aux forces armées » parvient à cumuler la connaissance du fonctionnement de l'institution et la fonction de destinataire des plaintes individuelles.

Les armées ont, par ailleurs, fait des efforts en matière de formation pour organiser des cursus précoces, grâce auxquels les militaires restent en moyenne 7 ans de plus dans l'armée que les autres. Cette politique suit toutefois, nécessairement avec retard, le rythme de déflation ou de reflation des effectifs, ce qui repose la question du modèle d'armée que la France se donne. L'école des mousses ou l'école militaire préparatoire technique sont, ainsi, des recréations d'établissements qui ont fermé dans les années 1980.

Enfin, la stratégie RH des armées pourrait être plus précisément pilotée. Comme elle est dépendante de la stratégie militaire elle-même, le rattachement très récent à l'état-major des armées d'un sous-chef chargé de la stratégie RH est une bonne chose. Les rapporteures préconisent toutefois de lui donner suffisamment de compétences administratives, statistiques, d'études sociologiques, pour affiner la connaissance des viviers, des tendances des jeunes générations, d'évaluations des politiques menées et de conduite du changement.

II. UN PROBLÈME DE SOCIÉTÉ : (RE)CRÉER LES CONDITIONS D'UN RAPPROCHEMENT ENTRE L'ARMÉE ET LA SOCIÉTÉ

A. AUGMENTER LA SURFACE DE CONTACT

1. L'engagement dans les armées reste une vocation très spécifique

Le recrutement dans les armées suit une tendance commune aux métiers de la sphère publique. Dans la fonction publique, le nombre de candidats pour un poste offert y est passé de 16 à 6 ces trente dernières années, et les flux de sorties grossissent depuis dix ans. C'est particulièrement le cas dans la sphère régalienne, la police et la gendarmerie concurrençant en outre directement les armées pour le recrutement. Partout, les viviers s'assèchent et la sélectivité se dégrade, ce qui témoigne d'une forme de crise de l'État de vaste ampleur.

Plus profondément, il faut reconnaître que peu d'éléments, dans la société moderne, prédisposent à s'engager dans l'armée. La valorisation dans les représentations communes de l'individualisme, de l'immédiateté et de la jouissance des bonheurs privés n'est pas facilement conciliable avec la spécificité militaire, et avec l'engagement extrême que représente le fait de pouvoir être amené à tuer ou à mourir sur ordre. Ce qui pose la question plus complexe de la place de la fonction militaire dans la société, qu'il faut à tout prix préserver de l'invisibilisation.

2. Refaire de l'armée un acteur important de la vie collective

Augmenter la surface de contact suppose de rendre les militaires à la fois plus audibles et plus visibles. La France paye à cet égard le prix de la réduction du format des armées après la chute du Mur. Aujourd'hui, 30 départements sont par exemple dépourvus d'implantations de l'armée de Terre, ce qui fait que les jeunes Français d'aujourd'hui, qui sont les enfants de la première génération qui n'a pas fait son service militaire, peuvent ne jamais croiser de militaires avant de parvenir à l'âge adulte.

Le HCECM a déjà fait des propositions visant à réintroduire le soldat dans la vie collective. Y contribuerait par exemple la banalisation du port de l'uniforme dans l'espace public, sur les trajets domicile-travail par exemple - il avait été interdit par le commandement après l'émergence du risque terroriste.

L'expression publique des officiers sur les questions stratégiques pourrait sans doute être davantage encouragée, ce qui suppose de soutenir ce champ disciplinaire, et de valoriser la production intellectuelle des militaires. Sur ce plan, les choses évoluent toutefois, comme en témoigne la création récente de l'Academ.

L'enseignement supérieur est le grand absent des politiques de lien armée-Nation. Pourtant, à l'heure où 60 % d'une classe d'âge est inscrit dans l'enseignement supérieur, où l'on change de métier plus souvent et où l'armée peut être une expérience parmi d'autres, et alors que l'on promeut l'hybridation du modèle d'armée avec la participation accrue de la réserve, les formations initiales militaires et civiles doivent être plus franchement décloisonnées et les échanges facilités à une plus vaste échelle.

B. ABAISSER LES BARRIÈRES ENTRE LES MONDES MILITAIRE ET CIVIL

1. Hybrider davantage le modèle d'armée

Pour compenser un peu les difficultés de recrutement, et pour resserrer les liens entre l'armée et la Nation, il faut rendre plus efficaces les dispositifs de mobilisation de la société. Le rapport examine les différentes options existantes en Europe, et notamment le modèle de « défense totale » de type suédois. Pour l'heure, nos dispositifs de réserve doivent d'abord relever le défi redoutablement ambitieux du recrutement dans les proportions prévues par la LPM, c'est-à-dire un doublement d'ici 2030.

Nombre de réservistes opérationnels actuel et objectifs fixés en LPM

Les objectifs sont pour l'heure tenus, mais les marches seront plus hautes en fin de programmation. Il faudra, là encore, prévoir les moyens budgétaires à la hauteur des besoins car, ces dernières années et en 2024 encore, loin de l'ambition affichée en LPM, les réserves ont été traitées comme des variables d'ajustement en gestion, avec des conséquences très regrettables sur le recrutement ou sur l'activité des réservistes elle-même. Il faudra en outre simplifier les parcours de recrutement, et préciser le régime d'emploi des réservistes, la nature de leurs sujétions et leurs compensations, afin que les armées puissent réellement compter sur eux le jour venu. La réserve citoyenne, enfin, doit être considérée comme un maillon essentiel dans un système de défense plus global.

Le modèle suédois de défense totale

Le système suédois de « défense totale », en vigueur pendant la guerre froide, a été démantelé à la fin de la décennie 1990. La LPM 2016-2020, puis deux rapports de 2017 et 2023, ont appelé à la reconstruire pour faire face à la menace - russe, surtout. La LPM 2026-2030, attendue pour fin 2024, devrait fixer les modalités de sa mise en oeuvre.

Le principe repose sur deux piliers : la défense militaire, assurée par les forces armées, et la défense civile, représentée par l'Agence de protection civile et de gestion de crises, ou MSB, ainsi que par l'ensemble des pouvoirs publics et de la population civile. Il s'agit de protéger la population en cas de crise ou de guerre, d'assurer les fonctions critiques de la société, de soutenir la défense militaire, de susciter la volonté de se défendre et de résister aux opérations d'influence.

Son organisation implique toutes les composantes de la société - pompiers, police, associations, entreprises des secteurs critiques, etc. Au sein de l'état-major des armées, un département « Défense totale » est chargée de planifier les opérations et les exercices conjoints avec les autres agences publiques. Un ministre pour la défense civile a été créé en octobre 2022. L'agence de défense psychologique, démantelée en 2008, a été recréée en 2022.

Tous les individus âgés de 16 à 70 ans ont le devoir de contribuer à la défense du territoire national en cas de crise ou de guerre. Le premier moyen d'y contribuer est le service militaire, rétabli en 2017. Il concerne un nombre de conscrits fixé par le gouvernement, qui s'établit à 8 000 appelés par an en 2024-25. A 18 ans, tous les Suédois et Suédoises sont soumis à un questionnaire obligatoire en ligne, comprenant des questions sur la motivation pour un service militaire ; 10 000 profils sur des cohortes d'environ 100 000 Suédois sont retenus pour des tests, à quoi s'ajoutent des volontaires. Le service militaire dure de 6 à 15 mois. À l'issue du service, les conscrits sont « placés dans un registre de guerre » afin d'être rappelés en cas d'agression armée.

Deuxième manière de servir, le service civil, qui a été réactivé en janvier 2024. Il cible les personnes ayant une expertise au sein des services municipaux d'incendie et de secours, mais pourrait être étendu à d'autres fonctions. Dès septembre 2024, 300 personnes devraient être appelées pour des exercices de répétition sur des scénarios de secours. Enfin, le service civique ou d'intérêt général, qui n'a pas encore été activé, implique que tous les habitants non engagés dans les forces armées ou la Défense civile doivent servir la défense nationale en travaillant dans un domaine relevant des fonctions critiques de la société : transport, énergie, télécoms, etc.

La prochaine LPM suédoise 2026-2030 aura pour priorités : la mobilisation des citoyens, trop peu informés de leurs devoirs ; la formation, notamment dans le domaine cyber ; la modernisation des abris et infrastructures ; la sécurisation des approvisionnements ; la défense économique sans interruption ; la santé.

Des incertitudes subsistent sur le plan budgétaire. En 2025, le budget de la Défense civile correspondra à environ 1,3 milliard d'euros, ce qui en fait le plus gros investissement depuis la Guerre froide. Le budget de Défense a déjà doublé, au cours de la LPM en cours, pour atteindre près de 11 milliards d'euros, presque 10% du budget total de l'État.

Les rapporteures appellent à rénover le parcours d'engagement citoyen. En consolidant l'enseignement de défense à l'école bien sûr, mais surtout en transformant la journée défense et citoyenneté (JDC). Celle-ci devrait, ainsi que la direction du service national et de la jeunesse y travaille actuellement, servir à nourrir une connaissance plus fine de la population et des compétences utiles en cas de risque pour la défense du territoire, et ne devrait pas s'interdire d'assumer plus franchement une perspective de recrutement, dans la réserve ou l'armée d'active.

Redonner une forme de centralité à la JDC impliquera certainement de revoir les modalités du service national universel. Dans un rapport récent, la Cour des comptes a pointé ses difficultés à atteindre les nombreux objectifs qu'il s'était fixé, et son coût élevé, estimé à terme entre 3,5 et 5 milliards d'euros par an.

2. Démocratiser la décision d'usage de l'outil militaire

La spécificité militaire réside dans « le fait de devoir, si l'ordre en est donné, combattre collectivement et violemment au nom de la communauté souveraine », selon la sociologue Laure Bardiès. La conscience qui se soumet à un tel régime le fait car la communauté nationale qu'elle défend est le tout dont elle constitue une partie. La commission est ainsi attentive à la qualité du lien qui relie l'armée à la Nation, donc à la démocratisation de la décision d'emploi de l'outil militaire. La participation du Parlement à la détermination des priorités stratégiques - la Revue nationale stratégique 2022 s'était dispensée de son avis - ou la légitimité de la décision d'engagement des troupes à l'extérieur, sont ainsi liées à la question de l'attractivité des armées, et ne doivent pas être écartée des réflexions de l'heure.

Réunie le mercredi 16 octobre 2024 sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté les conclusions et recommandations du rapport d'information de Vivette Lopez et Marie-Arlette Carlotti sur l'attractivité du métier des armes.

Les principales recommandations

1. Améliorer la lisibilité des documents budgétaires sur le suivi de la trajectoire d'effectifs et le respect de la LPM.

2. Donner à l'état-major les moyens d'un pilotage stratégique de la fonction RH : donner au nouveau « sous-chef chargé de la stratégie RH » des moyens d'analyse sociologique, d'évaluation, de prospective et de conduite du changement, au plus près de la stratégie militaire.

3. Respecter le calendrier de la refonte des grilles indiciaires des militaires et évaluer rapidement les effets de la NPRM.

4. Rendre le processus de recrutement plus efficace : renforcer les moyens du service de santé des armées, créer un portail unique d'information et de candidature.

5. Faire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une priorité. Appliquer les recommandations du rapport des inspecteurs de juin 2024 ; décentrer la cellule Thémis du ministère, voire la fondre dans un organe à statut ad hoc.

6. Réduire au strict nécessaire opérationnel les obligations de mobilité géographique, et offrir aux familles un service complet de conciergerie et d'aide aux démarches en faisant rapidement monter en gamme les services ATLAS.

7. Se doter d'une stratégie et investir davantage dans la formation initiale en interne. Étudier l'opportunité de la création de nouvelles classes ou écoles militaires, éventuellement interarmées, en les répartissant mieux sur le territoire.

8. Se donner les moyens de rendre l'armée visible partout sur le territoire national, dans le cadre des redéploiements ou de la politique de formation initiale.

9. Banaliser la présence militaire dans la société en normalisant le port de l'uniforme dans l'espace public, en encourageant l'expression publique des officiers sur les questions stratégiques, en soutenant la recherche sur ces questions.

10. Réinventer le parcours de citoyenneté et réinterroger les modalités du SNU. Rénover profondément la journée défense citoyenneté, sans s'interdire de la faire contribuer au recrutement.

11. Soutenir le développement des réserves opérationnelle et citoyenne. En sanctuarisant les moyens budgétaires de la réserve opérationnelle, et en développant la réserve citoyenne.

12. Démocratiser la décision d'emploi de l'outil militaire, afin de conserver aux armées un soutien populaire à leur action. Renforcer le rôle du Parlement dans la définition des priorités stratégiques, et son contrôle sur l'envoi de troupes à l'étranger.

AVANT PROPOS

Le bureau de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a confié à Mmes Marie-Arlette Carlotti et Vivette Lopez une mission d'information relative à l'attractivité du métier des armes, motif pris des difficultés de recrutement constatées à la fin de l'année 2023.

La dégradation continue de l'environnement international avait en effet justifié l'établissement, dans la loi de programmation militaire pour les années 2024-2030, d'un calendrier d'augmentation des effectifs relativement ambitieux, mais lesté dès la première année de sa mise en oeuvre d'un déficit produit par la sous-réalisation des schémas d'emplois des deux années précédentes.

Dans le contexte international de l'heure, les moyens de garantir à nos forces une épaisseur suffisante sont peut-être plus primordiaux encore que la course technologique ou le niveau d'entraînement. Comme le rappelle dans un entretien récent le général Schill, chef d'état-major de l'armée de terre, c'est sur terre, où vivent 100 % des hommes, que commencent et finissent les guerres, lesquelles sont les moments d'un duel paroxystique où « un peuple exprime sa volonté avec force ; il le fait en engageant ce qu'il a de plus précieux : sa population et en particulier sa jeunesse »1(*).

Résoudre le problème de l'attractivité des armées implique ainsi de tenter de comprendre les aspirations de la population, et de démêler les variables à l'oeuvre au niveau des choix individuels aussi bien que dans les principes d'organisation institutionnels. La sociologue Barbara Jankowski résume ainsi le problème : « Le rapport des armées à la société dépend de trois facteurs qui concourent à façonner leur image auprès du public : les missions confiées aux armées ; les changements internes à l'institution ; le contexte sociétal »2(*).

Le présent rapport tentera d'articuler ces trois aspects, en se focalisant sur le métier des armes. Il prend acte des importants efforts consentis par le ministère des armées pour remédier aux nombreuses difficultés, désormais bien identifiées, dans la gestion du personnel militaire, et met l'accent sur les variables résiduelles qui semblent aux rapporteures les plus déterminantes.

Il fait en outre la part belle aux comparaisons internationales, dans un contexte de difficultés partagées au sein des armées des pays de l'Otan pour des raisons qui sont partiellement comparables d'un pays à l'autre, et de défis communs à relever dans le cadre de l'alliance. Il appellera assurément d'autres travaux, en fonction de la pérennisation des succès du recrutement annoncés au titre de 2024 et du contexte stratégique, afin de renforcer notre résilience.

I. L'ATTRACTIVITÉ DES ARMÉES : UN DÉFI D'INGÉNIERIE ADMINISTRATIVE ET BUDGÉTAIRE

L'écart croissant entre le volume des armées et les objectifs fixés dans la dernière loi de programmation militaire pose en première instance un problème de crédibilité de la trajectoire que le législateur a établie. Les leviers immédiatement disponibles pour corriger le tir sont désormais bien identifiés, et requièrent une priorisation dans le contexte difficile de l'heure.

A. UN PROBLÈME DANS LA PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE : LA SOUS-EXÉCUTION RÉPÉTÉE DES SCHÉMAS D'EMPLOIS VOTÉS EN LOI DE FINANCES MENACE LE RESPECT DE LA TRAJECTOIRE PLURIANNUELLE

1. Une exécution du schéma d'emplois du ministère des armées devenue plus préoccupante en 2023
a) Un pilotage des effectifs devenu plus difficile en 2023

La loi de finances initiale pour 2023 fixait le niveau du plafond d'emplois militaires à 210 428 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Les effectifs militaires réalisés à la fin de l'année n'ont été que de 202 122 ETPT, soit un écart au plafond d'emplois autorisé par le Parlement de plus de 8 300 unités, ou presque 4 %.

Effectifs militaires réalisés en 2023, rapportés aux effectifs autorisés en loi de finances initiale

Catégorie d'emplois

LFI + LFR

2023

(3)

Transferts
de gestion
2023

(4)

Réalisation

2023

(5)

Écart à
LFI + LFR 2023
(après transferts
de gestion)
(5 - (3 + 4))

1091 - Officiers

35 199,26

-3,08

34 283,25

-912,93

1092 - Sous-officiers

93 544,12

-1,08

89 914,08

-3 628,96

1093 - Militaires du rang

78 897,30

0,00

76 021,50

-2 875,80

1094 - Volontaires

1 641,02

0,00

1 287,17

-353,85

1095 - Volontaires stagiaires du SMV

1 147,20

0,00

616,17

-531,03

Total Militaires

210 428,90

-4,16

202 122,17

-8 302,57

Source : RAP 2023.

Le schéma d'emplois voté par le Parlement, c'est-à-dire la cible de recrutement fixée au gestionnaire cette année-là, s'établissait à 1547 équivalents temps plein en loi de finances initiale. En gestion toutefois, le ministère avait rectifié ce schéma pour le ramener à 804 ETPT, dont 103 pour le service industriel de l'aéronautique, réduisant donc le schéma sur le seul périmètre de la LPM de quasiment 800 ETP.

Le ministère des armées a mis fin pour l'exercice 2023 au mécanisme dit d' « avance-retard », qui lui permettait de recruter par anticipation ou de reporter ses besoins sur l'exercice suivant. En dépit de la souplesse offerte aux gestionnaires, ce mécanisme a été accusé par la Cour des comptes de contribuer à amplifier les écarts entre le schéma prévisionnel et le schéma réalisé, puisqu'il reporte les retards automatiquement d'une année sur l'autre, et de modifier en gestion la nature des recrutements en favorisant les directions civiles, qui ont peu de problèmes de recrutement, au détriment d'autres catégories de personnel3(*). En 2023, l'application de ce mécanisme aurait ainsi conduit à un cumul de retard de 2 200 ETPE environ, soit un schéma d'emploi à réaliser de presque 3 800 ETP4(*).

L'écart de la réalisation à la prévision demeure très important, avec un schéma réalisé de -2 515 ETP, signe que les motifs de révision du schéma d'emplois voté en LFI ont revêtu une ampleur sous-estimée. La Cour observe que, d'une part, la dynamique des recrutements est restée soutenue avec 27 164 entrées nouvelles externes en 2023, lesquelles restent comparables aux 27 707 entrées en 2022, mais inférieure aux objectifs que le ministère s'était fixés, à savoir 29 520 entrées prévues en début de gestion. D'autre part, les départs sont restés importants avec 25 496 sorties définitives, en ligne avec les prévisions de début de gestion, soit 25 309 sorties, et avec les 24 957 départs enregistrés en 2022, mais à leur plus haut niveau depuis 2017.

Exécution du schéma d'emploi 2023

en ETP arrondis à l'entier

Schéma d'emplois 2023

Catégorie

SE LFI

SE Cible

SE exécuté

Officiers

+610

+418

+260

Sous-officiers

+847

-52

-1 226

Militaires du rang

-768

-342

-2 611

Volontaires

+35

+12

-22

TOTAL MILITAIRES

+724

+36

-3 599

TOTAL CIVILS

+823

+768

+1 084

TOTAL MINARM

+1 547

+804

-2 515

Source : DRH-MD.

En 2023, les trois armées portent l'essentiel du déficit, avec un schéma d'emplois réalisé à -2 610 ETP pour l'armée de terre, -669 ETP pour l'armée de l'air et de l'espace et -377 ETP pour la marine nationale.

b) Une menace sérieuse sur la trajectoire pluriannuelle établie en LPM

La sous-exécution du dernier schéma d'emplois n'est certes pas la première de la période récente. En rupture avec la dynamique déflationniste qui prévalait depuis la fin de la guerre froide, la loi de programmation militaire pour la période 2019-2025 prévoyait une augmentation nette de 6 000 ETP sur la période couverte, qui a conduit à la mise en oeuvre d'une ambitieuse politique de recrutement. Ses résultats n'ont hélas pas été atteints. La non-réalisation des schémas d'emplois annuels successifs a touché tant le personnel militaire que le personnel civil, notamment en 2022, où l'écart d'avec la cible ministérielle a été de 2 228 ETP, alors qu'il s'agissait de l'année du plus important volume de recrutement réalisé depuis 2017 avec 27 707 ETP.

Vision pluriannuelle des trajectoires en effectifs

Source : DRH-MD.

La loi de programmation militaire 2024-20305(*) prévoit à son tour un ambitieux calendrier d'augmentation des effectifs du ministère de la défense devant conduire à atteindre la cible de 275 000 équivalents temps plein, soit la création nette de 6 300 ETP, à l'horizon 2030.

Calendrier d'augmentation nette des effectifs du ministère de la défense voté en LPM

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total

Cibles d'augmentation nette des effectifs

700

700

800

900

1000

1000

1200

6300

Source : article 7 de la LPM 2024-2030.

La trajectoire d'augmentation des effectifs fixés par la dernière LPM est ainsi déjà compromise par la tendance à l'oeuvre depuis trois ans, ainsi que l'illustre le graphique ci-dessous.

Évolution des effectifs du ministère des armées et trajectoire prévue par les LPM (en ETPT)

Source : Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023, d'après les données du ministère des armées.

Cet écart pose une première question d'ordre budgétaire. L'article 7 de la LPM prévoit en effet qu' « en fonction de la réalité du marché du travail, le ministère de la défense peut employer les crédits rendus disponibles par une sous-réalisation de ses cibles d'effectifs pour renforcer son attractivité et la fidélisation de ses agents ». Il ne fait que pérenniser une faculté déjà utilisée en 2023 : malgré la révision à la baisse du schéma d'emplois en cours d'exercice, le ministère a conservé le niveau de masse salariale correspondant à un schéma d'emplois complet pour financer d'autres mesures, ainsi que le retrace le tableau ci-dessous.

Mesures prises en gestion sous enveloppe de crédits ouverts en 2023

Marges budgétaires dégagées en cours d'exercice

non-saturation du schéma d'emplois

- 164 M€

moindre besoin pour le surcoût des OPEX

-79 M€

revalorisation du point d'indice réalisée en 2022

-31,5 M€

Moindre surcoût occasionné par la NPRM

-14,4 M€

Contexte inflationniste

revalorisations du SMIC

7,4 M€ au 1er janvier et 39, 4 M€ au 1er mai

Hausse de l'indemnité de garantie individuelle de pouvoir d'achat

20,3 M€

Rendez-vous salarial de juin

Revalorisation de 1,5 % du point d'indice au 1er juillet, prime exceptionnel de pouvoir d'achat, attribution de 1 à 9 points à certains agents

78,9 M€ + 73 M€ + 16,7 M€

Surcoût crise ukrainienne

Indemnités versées aux militaires déployés

74,4 M€

Montée en puissance de la réserve opérationnelle

 

11,4 M€

Source : Cour des comptes, note d'exécution budgétaire 2023.

La Cour des comptes conclut ainsi que le ministère est confronté à une double dynamique contradictoire. « D'une part, le financement de mesures catégorielles sous enveloppe de crédits, grâce à la sous-exécution du schéma d'emplois en 2023 [...] tend à grever la capacité future du ministère à rattraper la trajectoire d'effectifs ambitieuse que lui fixe la LPM. D'autre part, le respect de cette trajectoire conditionne la réalisation de l'ambition portée par la LPM pour les armées aux horizons 2030 et 2035 : il est indispensable pour que les armées soient en mesure de répondre pleinement, à terme, aux contrats opérationnels qui leur sont fixés »6(*).

Le dépassement de cette double contradiction ne peut emprunter qu'un nombre limité de voies. La Cour des comptes en conclut pour sa part que « le ministère des armées devra donc faire preuve de la plus grande prudence dans la mise en oeuvre de ces moyens d'attractivité, afin de garantir que sa masse salariale ne dérive pas et contraigne d'évincer d'autres dépenses ». Il est cependant loisible au législateur de faire primer la dernière partie de l'article 7 de la LPM, consistant à mettre en oeuvre rapidement les mesures susceptibles de freiner la perte d'attractivité des carrières militaires, quitte à reporter à plus tard dans la programmation, et sous réserve de crédits suffisants, la poursuite de l'objectif quantitatif d'augmentation des effectifs.

Ainsi éprouve-t-on rapidement les limites de l'exercice d'élaboration d'une loi de programmation militaire par temps calme. L'étroitesse manifeste de l'enveloppe destinée au financement concurrent de deux objectifs également légitimes, et la rapide dégradation de l'environnement international, peuvent être vues comme des incitations à un réexamen des priorités.

c) Un problème de transparence

Le suivi de la trajectoire d'augmentation des effectifs pose une deuxième question tenant à la transparence de l'information budgétaire.

Les créations de postes prévues par le schéma d'emplois 2023 correspondent à des nouveaux postes à pourvoir dans des domaines stratégiques de la LPM : renseignement et cyberdéfense (+572 ETP), sécurité et protection des sites sensibles (+255 ETP), unités opérationnelles des forces armées (+226 ETP), soutien aux exportations (+208 ETP), ou encore digitalisation et intelligence artificielle. Le rapport précité de la Cour des comptes indique encore que « Leur comparaison avec le schéma d'emplois réalisé fait par conséquent l'hypothèse que l'ensemble des sorties sont compensées par ailleurs. [...] Il apparaît donc difficile, à leur seule lecture, de conclure sur ces deux enjeux pourtant distincts ».

Les magistrats notent encore que « La lisibilité des sous-jacents de l'exécution budgétaire de la mission gagnerait à ce que le ministère des armées détaille, dans ses publications budgétaires, la trajectoire complète de ses effectifs et distingue d'une part l'effectivité des créations de poste décidées en LPM, et d'autre part la question du renouvellement du personnel géré en flux ».

Les rapporteures ne peuvent que rejoindre la Cour des comptes lorsqu'elle recommande d'améliorer la lisibilité budgétaire des enjeux RH du ministère des armées et, à cet effet, de :

- présenter le schéma d'emplois et le plafond d'emplois pour un périmètre unifié, couvrant l'intégralité de la mission ;

- présenter la trajectoire globale prévisionnelle des effectifs, en complément du schéma d'emplois ;

- distinguer au sein du schéma d'emplois, d'une part, les créations de postes qui résultent des efforts capacitaires portés par la LPM, et d'autre part, l'effet des renouvellements nets (recrutements, fidélisation) associés aux postes existants ;

Les rapporteurs observent en outre le peu de valeur ajoutée, s'agissant du suivi des questions de personnel, du document de politique transversale consacré annuellement à la sécurité et à la défense, qui reprend pour l'essentiel le contenu du bleu budgétaire du programme 212. Le suivi de effectifs et des moyens consacrés aux réservistes, en particulier, est particulièrement discret dans tous les documents annexés, alors que leur montée en puissance est censée contribuer au réarmement du pays.

d) Un phénomène relativement répandu dans les pays de l'Otan

La situation de l'armée française, au plan des ressources humaines, ne lui est certes pas propre.

· Au Royaume-Uni, les effectifs restent faibles en dépit de la volonté d'inverser la tendance. Au début des années 2010, confrontée à des coupes budgétaires, la British Army dut se résoudre à réduire ses effectifs à 82 000 soldats. Lors de la revue stratégique de défense publiée en mars 2021, elle dut à nouveau consentir à une diminution de format, à environ 73 000 soldats. La révision du document de 2021 décidée pour tenir compte de la nouvelle donne en Europe prévoit d'infléchir la trajectoire mais n'y est pas encore parvenue.

Les motifs d'inquiétude recensés par la presse et le Parlement recoupent ceux de l'armée française : les plans de recrutement sont parfois difficilement atteints, et la capacité à retenir le personnel devient plus difficile. Les enquêtes internes de la décennie écoulée ont fait apparaître une forte dégradation du moral des militaires. La presse évoque encore la motivation douteuse des précédents engagements à l'étranger, en Irak et en Afghanistan7(*).

Le 21 janvier 2024, le ministre britannique de la défense britannique Grant Shapps a assuré que l'effectif de la British Army ne descendra pas en dessous des 73 000 hommes. Mais d'après une évaluation du Times, il est probable qu'elle passe sous la barre des 70 000 hommes en 2026. La BBC estimait en 2021 que l'armée britannique devait retrouver en 2025 la taille qu'elle avait en 17148(*).

Entrées et sorties dans les forces armées britanniques depuis 2000

Source : Esme Kirk-Wade, Zoe Mansfield UK defence personnel statistics, House of commons library, 18 July 2023.

Entrées et sorties dans les différentes composantes de l'armée britannique (2017-2024)

Source : Ministry of defence, Quarterly service personnel statistics 1 April 2024.

· En Allemagne, les effectifs du ministère de la défense ont fondu d'environ 1 500 personnes en 2023, malgré les efforts en sens contraire. Le total des troupes se porte ainsi à 181 500 soldats, et le nombre de postes restants vacants à 20 000 environ, en raison de candidatures moins nombreuses et d'un taux d'attrition élevé. « La Bundeswehr vieillit et se réduit », avait résumé Eva Hoegl, commissaire parlementaire aux forces armées, dans son rapport annuel publié en mars 2024.

Ce document relève notamment que si le nombre de candidatures a augmenté grâce à la forte augmentation des demandes de service militaire volontaire, les taux d'abandon au cours de la période probatoire de six mois restent très élevés, autour de 26 % pour ceux qui ont commencé leur service en 2022 et 21,5 % à la fin 2023 - même si la période d'essai n'était pas encore terminée à ce stade. L'âge moyen des militaires a encore augmenté, passant de 33,5 en 2022 à 33,8 en 20239(*).

Pour accroître son attractivité, la Bundeswehr a introduit en 2021 de nouveaux grades, ceux de Dienstgrade Korporal et Stabskorporal, elle diversifie son offre de formation continue à des fins de reconversion - ainsi, des cours de psychologie destinés à élargir le bassin de candidats, notamment aux femmes.

La loi pour le renforcement de l'égalité des chances, ou Gleichstellungsfortentwicklungsgesetz, adoptée en début d'année, vise à faire de la Bundeswehr un employeur modèle. Elle insiste en particulier sur l'égalité des chances entre hommes et femmes, la promotion des femmes aux postes d'encadrement, améliore le soutien financier pour la garde d'enfants et l'élargissement de la couverture sanitaire des militaires, ou encore l'égalisation de certaines primes entre militaires professionnels et réservistes.

· Aux Etats-Unis10(*), le recrutement dans les forces armées est en baisse et le pays dispose désormais de leur plus petite armée depuis 1940, avec 445 000 hommes, 41 000 de moins qu'en 2021. En 2022, les forces armées américaines avaient déjà connu leur pire recrutement depuis l'abolition de la conscription en 1973, et ce record a été dépassé en 2023 : l'écart à l'objectif de recrutement atteint 10 000 soldats, soit 20 %. La réserve souffre également puisque l'écart à son objectif est de 30 %. Seules deux des cinq branques de l'armée étatsunienne sont parvenues à atteindre leurs objectifs de recrutement en 2023 : le corps des Marines et la force spatiale, qui représentent aussi, de très loin, les plus petits volumes. Il se pourrait que le pire soit à venir, compte tenu des perspectives démographiques.

De nombreuses expérimentations sont pourtant menées pour enrayer cette désaffection : l'actualisation de slogans à succès des années 1980, l'assouplissement de la politique de contrôle préalable des tatouages et de la consommation de drogue, l'accélération des processus de naturalisation, la participation au remboursement des emprunts étudiant dans l'armée de l'air, ou encore les primes spécifiques dans la Marine. Des millions de dollars sont dépensés dans la communication lors d'événements géants, tel le Super Bowl.

Parmi les causes les plus fréquemment avancées pour l'expliquer figure d'abord la diminution des viviers. Les niveaux record de problèmes de santé en partie hérités de la période du covid font tomber à 23 % la part des jeunes Étatsuniens aptes à servir. La motivation pour le faire décline également et, lorsqu'elle existe, les considérations matérielles dépassent de loin la mention des finalités de la fonction militaire. Un récent sondage Gallup a révélé que la confiance dans l'armée américaine, à 60 %, était à son plus bas niveau depuis plus de deux décennies.

Le fossé entre l'armée et le reste de la société se creuse : près de 80 % des nouvelles recrues ont un vétéran dans leur entourage familial - un parent, même, dans 30 % des cas, ce qui nourrit quelques inquiétudes. Le retour de la conscription, supprimée en 1973, est parfois évoqué.

Dans le cas français aussi, les variables sont nombreuses et difficiles à démêmer.

2. Un phénomène assez hétérogène, et dont les déterminants varient selon les armées
a) Des difficultés ponctuelles de recrutement, un problème structurel de fidélisation

· Une hausse des départs spontanés

En 2023, les volumes de départs atteignent le niveau le plus haut depuis 2017, avec 25 496 ETP de sorties définitives, contre 24 952 ETP en 2022. Ramenés dans le périmètre des emplois militaires sous plafond ministériel des emplois autorisés, le niveau des départs définitifs, qui inclut les départs aidés, spontanés et imposés11(*), se décompose selon les armées ainsi que le présente le graphique ci-dessous.

Départs définitifs de militaires (hors SEO, SSA, DGA, SCA)

Source : commission des affaires sociales, d'après la DRH-MD.

Les départs spontanés représentant la plus grande part des départs définitifs, leur évolution épouse la même trajectoire. Depuis 2009, ceux des officiers sont globalement stables entre 2 % et 3 % des effectifs d'officiers des trois armées. Pour les sous-officiers, la tendance de hausse régulière observable depuis 2013, interrompue en 2020, a repris depuis 2022 avec 7 600 départs, soit 4,6 % des effectifs. Pour les militaires du rang, la hausse, ralentie entre 2014 et 2018, a repris depuis 2020 pour atteindre, en 2022, 6 546 militaires du rang, soit 8,5 % des effectifs.

L'indicateur du taux de dénonciation de contrat des militaires du rang en cours de période probatoire, qui donne une certaine idée de la fermeté de l'engagement dans les armées, ou de l'effet du « choc de militarité », suit une évolution irrégulière mais qui semble, depuis 2020, orientée à la hausse.

Évolution des taux de dénonciation de contrat des militaires du rang dans les trois armées pendant la période probatoire

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Terre

23,5%

24,4%

26,8%

28,2%

30,3%

30,9%

32,3%

29,1%

31,4%

29%

35,5%

Marine

       

12,9%

11,6%

12,5%

23,9%

33%

35%

20,3%

Air

       

27,9%

11,1%

10,6%

13,4%

19,2%

21,5%

16%

Source : HCECM, DRH-MD.

En conséquence, l'ancienneté de service moyenne des militaires au moment de leur départ de l'institution n'a cessé de baisser depuis dix ans, pour atteindre, en 2023, 25,3 ans pour les officiers, 18,4 ans pour les sous-officiers, et 4,3 ans pour les militaires du rang. Ce chiffre s'explique par un nombre de dénonciations de contrats en cours de période probatoire, voire par anticipation avant échéance, qui est en augmentation.

On constate également une forte augmentation des non-renouvellements de contrat à l'initiative du militaire, passés de 1 680 en 2019 à 2 920 en 2023, soit une hausse de 70 % depuis 2018. Cela illustre une inversion du rapport contractuel entre l'autorité militaire et le militaire et donc une bascule du « rapport de force » entre employeur et employé.

Plus anecdotique peut-être, encore que le phénomène ne soit presque pas étudié, les désertions se maintiennent sur un plateau. La désertion est l'infraction commise par un militaire régulièrement incorporé qui se soustrait volontairement à ses obligations et rompt le lien qui le lie aux forces armées en ne rejoignant pas sa formation de rattachement. Sa dénonciation auprès du procureur de la République intervient en principe à l'issue d'un délai d'un mois12(*). Le suivi de ces situations est assuré par la division des affaires pénales militaires (DAPM), qui fait remonter les statistiques correspondant aux juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire de Rennes, Paris, Lille, Metz, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse et Cayenne.

En 2018, une enquête du journal Le Monde avait attiré l'attention sur ce phénomène discret, en révélant son ampleur, et en avançant des causes explicatives. « Sur les dix dernières années, en moyenne 1 810 soldats, presque tous issus de l'armée de terre, ont déserté chaque année. Après une baisse en 2016 (1 213), le taux est remonté en 2017 avec 1 544 cas, deux ans après le début de la vague d'attentats et la mise en place de l'opération « Sentinelle ». « En 2018, on déserte surtout par ennui et sentiment d'inutilité, déplorant d'être si loin des zones de combat, et impatient de passer à autre chose lorsque l'expérience se révèle décevante. Il faut dire qu'entre-temps l'armée a changé de visage. Les déserteurs d'hier étaient des appelés, ceux d'aujourd'hui des engagés volontaires »13(*).

Nombre de désertions enregistrées par les JDCS

Année

2019

2020

2021

2022

2023

Nombre de désertions

1546

1173

1520

1 631

1330

Source : DRH-MD, d'après la DAPM.

· Une compréhension du phénomène à affiner

Chaque année, la DRH-MD recueille auprès des gestionnaires militaires des fichiers individuels de tous les entrants et sortants de l'année. Ces données alimentent le rapport social unique du ministère sur la partie relative aux recrutements sous plafond ministériel des emplois autorisés du ministère des armées et les départs définitifs de l'institution. Parmi les informations produites, le fichier individuel des départs qualifie le motif de départ selon une nomenclature partagée avec les gestionnaires et permet de mesurer l'ancienneté de service au moment du départ.

À ce jour, certains questionnaires existent au sein des armées, directions et services, mais leur hétérogénéité complique leur exploitation. La direction du personnel de la marine indique qu'un entretien est mené avec le marin qui fait part de son intention de départ « dans la mesure du possible », et que, dans tous les cas, un questionnaire est demandé par l'autorité gestionnaire. Une enquête sociologique sur les motifs de départ est menée tous les ans par la DPM, dont les résultats sont transmis à la DRH-MD.

Dans l'armée de l'air et de l'espace, des séances d'information sont réalisées localement par les bureaux des ressources humaines au profit des personnes quittant l'institution. Ils sont à cette occasion informés de leurs obligations, des mesures existantes pour réintégrer l'armée ultérieurement, des opportunités offertes par la réserve, des associations existantes et des dispositifs de reconversion. Un questionnaire sur les motivations au départ est transmis à tous les aviateurs ayant annoncé leur départ de l'institution. Ces données sont exploitées annuellement.

Dans l'armée de terre, le sondage réalisé par le système d'information DEDALE, en vigueur depuis une quinzaine d'années, est en cours de rénovation. Ce dispositif s'appuie sur deux sondages qui concerneront tous les militaires quittant l'armée de terre de façon volontaire, hors limite de durée de service et limite d'âge. Le sondage MODEP 1 devra être rempli par tout militaire à sa sortie de l'institution, et le sondage MODEP 2 pourra être réalisé, sous forte incitation, par les militaires ayant quitté l'armée de terre 4 mois après leur départ.

Un ultime entretien de carrière pour les officiers atteints par la limite d'âge ou bien souhaitant un départ anticipé a été mis en place en mars 2024. Cet entretien permet un dernier point de situation professionnelle et d'échanges sur les perspectives en matière de reconversion, le souhait ou non de poursuivre le service en qualité d'officier général en 2e section ou en tant que colonel de réserve. Ce dispositif complète une succession d'entretiens égrenés sur l'ensemble de la carrière de l'officier et constitue en réalité le septième entretien pour les colonels, et le huitième ou neuvième pour les officiers généraux, en fonction de leur grade terminal.

La DRH-MD indique aux rapporteures qu'à compter de 2024, de nouvelles données relatives à la famille professionnelle ou au département de la dernière affectation apporteront des éclairages complémentaires, et qu'un recueil ministériel harmonisé des motivations de départ complètera l'analyse. Il ne livrera ses premières analyses qu'en fin d'année 2024.

b) Dans l'armée de terre, un recrutement de militaires du rang et de sous-officiers devenu plus difficile

L'armée de terre enregistre, donc, le principal écart à la cible de recrutement fixée en loi de finances initiale pour l'exercice 2023, avec un écart à la cible de près de 2 500 ETP.

Exécution du schéma d'emplois de l'armée de terre en 2023

Catégories de personnel

Plafond

Écart avec le plafond à fin 2023

Effectifs au
01/01/2023

Effectifs au 31/12/2023

Évolution annuelle

Officiers

14 871

-79

14 715

14 792

77

Sous-officiers

38 907

-586

38 871

38 321

-550

Militaires du rang

60 334

-1724

60 605

58 610

-1 995

Volontaires

499

-109

483

390

-93

Total

114 611

-2498

114 674

112 113

-2 561

Source : DRHAT.

Le taux des départs pendant la période probatoire a évolué à la hausse de façon continue entre 2015 et 2019, passant de 26,8 % à 32,3 %. Cette hausse s'explique notamment par la forte augmentation des recrutements au cours de ces quatre années et la faible sélectivité. En 2022 toutefois, ce taux était redescendu pour atteindre 29 %.

L'attractivité du recrutement des officiers n'est pas particulièrement inquiétant. Le nombre de candidats à l'entrée à l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan et, plus précisément, le taux de sélectivité à l'entrée de l'école, fluctue peu. À 12,1, il reste globalement stable sur les sept dernières années.

Sélectivité du concours en école spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan par la voie CPGE :

Source : commission des affaires sociales, d'après la DRHAT.

Hors voie CPGE, les concours de recrutement d'officiers sur titre et d'élève-officier en formation initiale en Allemagne ont en moyenne permis de recruter un futur élève-officier pour 5,3 candidats. C'est le taux le plus bas depuis 2016, puisqu'il fluctuait auparavant entre 5,8 et 7,6, mais la courbe du nombre de candidats n'affiche pas de baisse particulièrement inquiétante.

Le recrutement des officiers sous contrat pilote affiche un taux de sélectivité de 7,6. Les taux de sélectivité sont en revanche moins élevés pour le recrutement des officiers sous contrat, avec, pour la filière « spécialiste » un taux de 2,1 et pour la filière « encadrement » un taux de 1,4. Cette moindre sélectivité est toutefois à mettre en relation avec la forte augmentation des besoins en recrutement dans ces filières.

Les difficultés concernent donc surtout les sous-officiers et les militaires du rang. Le plan de recrutement 2023 des sous-officiers a été atteint à 87 %, manifestant une plus grande difficulté à capter les viviers. La tension semblait persister en 2024 puisque, au mois d'avril de cette année, seuls 206 candidats avaient déjà été recrutés pour 346 places offertes de la promotion de juillet. Le nombre de dossiers de candidatures déposé dans les écoles de milieu en mai 2024 était cependant satisfaisant pour l'École militaire de haute montagne, à 151 pour 36 places, et juste suffisant pour les nouvelles écoles : à 58 dossiers pour 30 places à la 11e brigade parachutiste et à 31 dossiers pour 12 places à la 9e brigade d'infanterie de marine.

Le recrutement de l'École militaire préparatoire technique bénéficie d'un nombre théorique de candidatures très satisfaisant, de l'ordre de 431 dossiers pour 185 places, mais le traitement des dossiers souffre de délais rallongés liés à la phase d'évaluation, notamment médicale.

Pour les militaires du rang, la réalisation du plan de recrutement constituera un réel défi pour l'année 2024, compte tenu d'objectifs maintenus à un niveau très élevé. Le plan de recrutement du premier quadrimestre a toutefois été réalisé à 97%, avec 3 121 engagés volontaires, ce qui s'approche des niveaux de 2002.

Toutes catégories confondues enfin, les difficultés d'attractivité se concentrent sur les fonctions du soutien à dominante technique : maintenance, informatique, restauration, administration, RH, finance... Ces domaines restent moins prisés des jeunes volontaires pour s'engager dans l'armée, et sont par ailleurs plus durement concurrencés sur le marché de l'emploi.

c) Dans l'armée de l'air et de l'espace, une croissance des départs spontanés ralentie mais persistante

L'effectif de l'armée de l'air et de l'espace s'élevait à 38 886 au 31 décembre 2023 sur le périmètre du plafond ministériel des emplois autorisés, pour un effectif réalisé prévisionnel de 39 631 ETP, soit une sous-réalisation de 745 ETP, ou 2 % du schéma d'emplois.

En 2023, l'armée de l'air et de l'espace constate une hausse modérée, de l'ordre de 3 % par rapport à 2022, de ses sorties définitives. La tendance à la hausse des départs non aidés se confirme : ceux des officiers augmentent de 12 %, ceux des sous-officiers de 10 %, et ceux des militaires du rang de 3 %. Les départs à l'initiative des militaires sont en croissance continue depuis la baisse observée, en raison de la crise sanitaire, en 2020.

Les départs statutaires, quant à eux, ont atteint un plateau haut en 2022-2023 en raison de l'arrivée à l'âge de la retraite à jouissance immédiate ou différée ou à la limite d'âge des importantes cohortes recrutées au début des années 2000, mais la tendance est à la baisse.

Ces flux sortants non souhaités sont compensés par une réduction des départs provoqués ou incités. La politique RH de l'air est en effet davantage axée sur la fidélisation par une distribution des leviers d'aide au départ au juste besoin et une diminution considérable des non-renouvellements de contrat du fait de l'institution. Les effets de l'article 32 de la dernière loi de programmation militaire, relatif au maintien en service des militaires atteints par la limite d'âge ou la limite de durée de service, qui étaient par hypothèse nuls en 2023, sont observables sur les premiers mois de 2024.

L'attractivité mesurée par le volume d'inscrits aux concours externes ou par le nombre de prospects constatés par catégorie d'emploi pour les contractuels, reste satisfaisante. Le nombre de candidats inscrits aux concours a progressé de 25 % sur la période 2017- 2023, en passant de 2 413 à 3 017 candidats. Le nombre de candidatures sur titre a progressé, lui, de 50 %, passant de 70 à 114, pour les licences et les masters. Pour les contractuels, le nombre de prospects, c'est-à-dire de contacts réalisés par la chaîne de recrutement, qu'il s'agisse de démarches d'inscription en ligne ou lors des forums de recrutement, se maintient sur la période 2020-2023, mais augmente significativement, de l'ordre de 47 %, pour les sous-officiers, et de 50 % pour les militaires du rang.

L'attractivité des dispositifs d'enseignement technique est également à noter : le nombre de candidats pour une intégration en classe de première à l'école d'enseignement technique de l'armée de l'air de Saintes connait une hausse de 55 %, et cette hausse est de 61 % pour les classes préparatoires de l'école des pupilles de l'air et de l'espace.

d) Dans la Marine nationale

L'exécution du schéma d'emplois 2023 s'analyse différemment selon que l'on considère la marine au sens fonctionnel ou au sens statutaire.

Exécution du schéma d'emplois 2023 au sein du domaine fonctionnel mer (personnel sous l'autorité du CEMM)

 

Référentiel d'emploi 2023

Réalisé 2023

Écart

Officiers

3 931

3 994

63

Sous-officiers

19 771

19 101

- 670

Militaires du rang

6 672

6 808

136

Volontaires

105

288

183

Total

30 479

30 191

- 288

Périmètre : DF MER - données REO 2023 issues du cadrage complémentaire GE CEMA du 17/10/2022

Exécution du schéma d'emplois 2023 du personnel appartenant à un corps de la Marine nationale, employé en et hors Marine

 

Référentiel d'emploi 2023

Réalisé 2023

Écart

Officiers

5 359

5 305

-54

Sous-officiers

25 911

24 584

-1 327

Militaires du rang

8 076

8 126

50

Volontaires

105

295

190

Total

39 451

38 310

-1141

Les dénonciations de contrat en période probatoire, les refus de renouvellement de contrat du fait de l'intéressé et les volumes de départs en retraite après 17 ans de service sont les principaux motifs de départ et donc les indicateurs les plus scrutés par la direction du personnel de la Marine. Ces derniers s'observent généralement au sein de filières subissant une forte aspiration vers le monde civil : nucléaire, numérique, maintenance aéronautique.

Quant aux départs précoces, une étude interne a permis de mettre en évidence que les plus gros volumes sont générés au cours des trois premières semaines d'intégration au sein de la marine. Le personnel originaire du quart nord-est de la France, lieu le plus éloigné de tous les arsenaux et écoles de formation, ou en provenance de Guadeloupe et de Guyane, génère les plus forts taux de dénonciation. Pour le personnel métropolitain, l'éloignement géographique avec les implantations de la marine nationale semble être un facteur prépondérant.

La Marine nationale ne semble pas rencontrer de problème d'attractivité auprès des jeunes : le nombre de dossiers de candidature ouverts a ainsi augmenté de 30 % en deux ans. Le recrutement et la fidélisation des officiers n'est pas non plus un motif d'inquiétude. Les chiffres de recrutement en école n'affichent pas de tendance particulièrement inquiétante.

Les difficultés de recrutement sont essentiellement portées par la population des militaires du rang et, dans une moindre mesure, par l'école de maistrance. Celle-ci souffre d'un décalage entre la sociologie des candidats et la pyramide de l'offre dans la marine : alors que l'offre de quartier-maître de la flotte est la plus importante, les cursus officiers ou école de maistrance attirent davantage les jeunes Français. Le défi majeur du service de recrutement de la Marine consiste donc à réorienter vers ces offres les nombreux candidats qui postulent pour des spécialités déjà saturées.

La Marine est la seule des trois armées à songer à l'assouplissement de ses critères de recrutement, qui pourrait prendre la forme d'un décalage de deux ans pour les filières militaires du rang et de sous-officiers, afin d'augmenter de 15 % de la taille de la cible de recrutement. Une refonte de l'arrêté d'aptitudes est par ailleurs en cours avec des critères d'interprétation plus souples et mieux adaptés à l'environnement d'emploi. Enfin, une expérimentation est en cours sur de nouvelles normes d'aptitudes pour le personnel réserviste, dont les conclusions orienteront le travail pour l'ensemble de la réserve et le personnel d'active.

3. L'analyse des causes structurelles de l'attractivité des armées rend toute prévision difficile
a) La situation macroéconomique 

Le premier motif avancé par les armées pour justifier les récentes difficultés d'attractivité est la situation du marché de l'emploi. Celui-ci serait devenu plus concurrentiel avec un taux de chômage tombé à 7,5 % au premier trimestre 2024 en France, hors Mayotte. L'amélioration du marché de l'emploi a notamment pour effet d'accroître le pouvoir de négociation des chercheurs d'emploi. De la même manière que pour les entreprises, lorsque la courbe du taux de chômage baisse, le recrutement devient plus contraint au sein du ministère des armées par la baisse du taux de sélectivité du recrutement par voie externe pour les trois catégories d'emploi, notamment les sous-officiers, et par la difficulté accrue à armer les postes dans certaines familles professionnelles en tension.

Évolution du taux de chômage selon l'âge

Source : Insee, tableau de bord de l'économie française.

Ces évolutions démographiques se conjuguent avec une entrée plus tardive sur le marché du travail de la jeunesse, du fait de la massification des études supérieures, une baisse du taux de chômage, et une augmentation salariale dans certains secteurs économiques dynamiques.

Le ministère ne dispose toutefois pas de données concernant les situations professionnelles des nouveaux engagés avant signature de leur contrat et l'analyse de son évolution dans le temps, ce qui ne permet pas d'affiner la connaissance du poids exact qu'aurait le chômage sur la décision d'engagement.

b) Une variable démographique point trop défavorable à court terme

Les évolutions démographiques dessinent des perspectives différentes selon l'horizon temporel retenu. Le simulateur en ligne de pyramide des âges prospective de l'Insee14(*) fait apparaître, d'après les hypothèses centrales, que la population des 17-30 ans a atteint un creux en 2020, à 10,8 millions de personnes, soit 16 % de la population, alors qu'elles représentaient 12,5 millions de personnes en 1991, soit 21 % du total.

Le mini-baby-boom du début des années 2000 portera toutefois à l'âge de l'engagement potentiel une nouvelle vague de jeunes gens : la tranche des 17-30 ans devrait, en retenant l'hypothèse de solde migratoire la plus basse, grossir à partir de 2025, pour représenter un vivier allant jusqu'à 11,1 millions de personnes entre 2031 et 2036, avant de commencer à diminuer de nouveau. Une étude de l'Insee comparant en 2018 la situation des Hauts-de-France au reste du pays le faisait clairement apparaître dans le graphique ci-dessous15(*).

Un pic de jeunes anticipé en 2030

Source : étude Insee précitée.

Ce bénéfice bientôt tiré d'une natalité alors relativement dynamique singularise la France en Europe. Selon les calculs d'Eurostat, grâce à ce léger afflux de jeunes nés après le tournant du millénaire, la France serait en 2030 le deuxième pays le plus jeune de l'Union européenne, après l'Irlande16(*).

Les pistes explorées par certains États voisins pour pallier leur déficit d'attractivité dans les forces armées invitent à faire à ce propos une observation : une hypothèse de solde migratoire intermédiaire ajouterait environ 300 000 personnes au vivier aux environs de 2030. Le code de la défense dispose pour l'heure que « nul ne peut être militaire s'il ne possède la nationalité française »17(*), sous réserve des dispositions sur la base desquelles a été établi le statut de certaines unités spécifiques, telle la Légion étrangère18(*). Les gouvernements allemands successifs considèrent pour leur part depuis quinze ans une évolution de la législation du pays permettant d'incorporer dans leurs forces des militaires disposant d'une autre nationalité que l'allemande.

La piste du recrutement de soldats étrangers dans l'armée allemande

En Allemagne, la question de l'ouverture de l'armée allemande à des ressortissants étrangers se pose depuis au moins 2011. Le rapport rendu cette année-là par le ministre de la défense Karl Theodor zu Guttenberg propose alors, afin de calmer les inquiétudes relatives à l'incapacité de la Bundeswehr à remplir ses obligations au sein de l'Otan faute de personnel, d'accepter les candidatures de ressortissants européens ou suisses.

En 2016, le Livre blanc sur la défense du ministère allemand de la défense fait à nouveau cette proposition, en lui donnant cette fois aussi l'objectif d'« envoyer un signal fort pour une approche européenne ».

En 2018, Eberhard Zorn, le chef d'état-major de la Bundeswehr, se disait encore favorable à une telle hypothèse pour pallier le déficit de professions spécialisées, par exemple de médecins ou d'ingénieurs. D'après la presse allemande, l'armée songeait alors à puiser dans le vivier des 255 000 Polonais, 185 000 Italiens ou des 155 000 Roumains âgés de 18 à 40 ans vivant déjà sur le sol allemand.

En 2020, l'idée refaisait surface dans un nouveau rapport du ministère de la défense, et était relayée par le commissaire parlementaires aux forces armées Hans-Peter Bartels.

En janvier 2024, constatant que le nombre de candidats à un engagement avait chuté de 7% entre janvier et mai 2023 par rapport à l'année précédente, et anticipant une chute de 12 % du nombre de jeunes de 15 à 24 ans à l'horizon 2050, le ministre de la défense Boris Pistorius proposait le rétablissement du service militaire et l'ouverture du recrutement à des ressortissants étrangers pour remplir les objectifs de ressources humaines établis dans le cadre du Zeitenwende.

c) L'état de santé et le niveau éducatif des plus jeunes : des variables moins inquiétantes qu'ailleurs, mais à surveiller

L'état de santé et le niveau éducatif sont qualifiés par les états-majors de « facteurs limitants » sur le recrutement.

· L'état de santé des jeunes. S'il reste loin du niveau déploré par l'armée des Etats-Unis, dont une note de juillet 2022 estimait à 23 % seulement la part des 17-24 ans en état de servir19(*), l'état de santé des jeunes Français se dégrade. Qu'il soit permis, pour l'illustrer, de renvoyer à ce propos aux précédents travaux de la commission des affaires sociales du Sénat20(*). Plusieurs travaux internationaux récents s'alarment encore de la baisse constatée de la capacité musculaire des jeunes générations. Selon Santé publique France, seuls 41,8 % des enfants de 6-17 ans - 50,7 % des garçons et 33,3 % des filles - font au moins soixante minutes par jour d'activité d'intensité modérée à soutenue, comme le recommande l'Organisation mondiale de la santé21(*) et, selon certains chercheurs, la force musculaire des quadriceps des 10-16 ans pourrait avoir baissé de 25 % depuis 199022(*).

· Le niveau éducatif, tel que mesuré dans les enquêtes internationales, soit la capacité à lire, écrire, et compter, semble en recul en France. Les résultats de la dernière édition de l'enquête Pisa, mesurés en 2022 et publiés en décembre 2023, sont parmi les plus bas jamais mesurés, d'après l'OCDE elle-même. Ceux de la France en particulier, accusent une baisse plus marquée que dans les autres pays audités. En mathématiques, le niveau des élèves recule de 21 points, et de 19 points en compréhension de l'écrit par rapport à 2018. La France se maintient toutefois dans la moyenne des pays de l'OCDE. Quoi qu'il en soit, ce constat de baisse de niveau scolaire est partagé par les armées depuis quelques années, y compris dans les écoles de formation initiale.

d) Des changements dans les attitudes des jeunes générations à l'égard du monde professionnel

Les attentes des plus jeunes générations, en particulier leur rapport au travail, présentent encore quelques caractères nouveaux, et le décalage d'avec ce qu'exige la condition militaire semble s'accroître.

D'après l'étude portée par l'institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, et réalisée par le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie sur 4 500 jeunes au printemps 2023 :

· le critère majeur est le niveau de rémunération des emplois pour près de 68% des 15-30 ans. Les jeunes actifs se montrent cependant plus satisfaits de leur rémunération que leurs aînés, puisque 63 % des actifs âgés de 15 à 30 ans s'estiment « très bien payés » ou « plutôt bien payés » par rapport à leur investissement et à leur niveau de compétence, contre 47 % des actifs plus âgés, ce qui est paradoxal dans la mesure où les jeunes sont moins bien rémunérés en moyenne que leurs aînés. Les jeunes s'estiment légèrement plus préservés du déclassement que leurs aînés, quoique l'ampleur de ce sentiment dépende de la catégorie socioprofessionnelle.

· près de 74 % souhaiteraient idéalement télétravailler, dont 21 % « tout le temps » et 53 % « de temps en temps », soit un niveau légèrement plus élevé que chez les plus âgés (69 %).

· l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est, derrière la rémunération, la deuxième priorité des jeunes, devant l'intérêt du travail, les perspectives d'évolution et la sécurité de l'emploi, en réduisant, par exemple, le temps passé dans les trajets domicile-travail et en réallouant ce temps à la vie privée. La sécurité de l'emploi est moins citée que chez les aînés

L'enquête de l'APEC et Terra Nova de 2024 présente des résultats légèrement différents. À rebours de certains stéréotypes décrivant les actifs des jeunes générations comme moins fidèles, moins respectueux de l'autorité, moins investis que les jeunes actifs, elle les décrit comme tout autant investis dans leur travail et dans leur organisation que leurs aînés, accordant autant d'importance à leur travail, acceptant l'autorité hiérarchique. L'ordre des priorités des 18-30 ans fait apparaître l'intérêt du travail avant la conciliation de la vie professionnelle et familiale. Si l'équilibre de vie figure parmi les principales attentes des jeunes actifs, sa recherche ne surpasse toutefois pas le souhait de trouver un travail plaisant et rémunérateur.

Cette étude met en outre en relief le fait que les moins de 30 ans se projettent moins longtemps que leurs aînés dans leur situation professionnelle présente. Un tiers d'entre eux (34%) ne s'imaginent pas rester dans leur métier actuel plus de 3 ans, soit 15 points de plus que les 30-44 ans et 19 de plus que les 45-65 ans. Et deux jeunes sur cinq (41%) ne s'imaginent pas rester dans leur poste actuel plus de trois ans, contre seulement un quart des 30-44 ans et 20% des 45-65 ans.

Selon la seconde édition du baromètre ISC Paris / BVA Xsight du bonheur au travail23(*), près de 53 % voient la flexibilité des horaires comme le principal levier à activer par les entreprises pour favoriser l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, en hausse de deux points par rapport à l'édition antérieure. Pour les jeunes de 18 à 24 ans, le métier de rêve doit donc d'abord offrir du temps libre. Alors que 80 % se disent satisfaits de leur travail actuel, 53 % envisagent un changement dans leur carrière après une première expérience.

La dernière édition de l'observatoire national du premier emploi réalisée par MyJobGlasses24(*) avec l'institut Ipsos étaie à son tour la représentation d'une jeunesse un peu plus volatile dans ses aspirations. Elle relève qu'un tiers des jeunes de 18-30 ans reconnaissent ne pas avoir d'idée précise du métier qu'ils souhaitent exercer, et que la moitié des jeunes actifs a choisi son premier emploi par hasard (27%) ou par nécessité (22%). Conséquence partielle de cet état de fait, 42% quittent leur premier emploi dans l'année de leur embauche. S'il leur était offert de choisir de nouveau, 30 % opteraient pour un autre emploi que celui choisi initialement, et 28% ne postuleraient pas à nouveau dans l'entreprise de leur premier emploi.

B. DES ENJEUX DE GESTION RELATIVEMENT BIEN IDENTIFIÉS, TRÈS DÉPENDANTS DE CONTRAINTES BUDGÉTAIRES ET DE MISE EN oeUVRE

Les armées sont l'un des principaux recruteurs de l'État, qui doivent chaque année attirer, grosso modo, 25 000 nouvelles recrues - environ 16 000 dans l'armée de terre, et environ 4 000 dans la marine nationale et l'armée de l'air et de l'espace, respectivement. Les trois armées sont, outre cela, pleinement engagées dans un certain nombre de chantiers de modernisation, désormais bien circonscrits. Les difficultés, en la matière, ressortissent davantage au franchissement des obstacles matériels et financiers à leur mise en oeuvre.

1. Les conditions matérielles d'exercice des militaires
a) Des conditions matérielles d'exercice des missions encore perfectibles

Le baromètre de mesure du moral des militaires, actualisé annuellement, fait ressortir de nombreux points de très forte satisfaction. Les relations avec les subordonnés sont jugées satisfaisantes à plus de 90 %, quelle que soit la catégorie. Les relations avec les autres armées, directions et services, l'adhésion aux valeurs, la fierté d'appartenance arrivent en deuxième et troisième position des plus forts éléments de soutien au moral.

Pour les officiers, le seuil de 85 % de satisfaction est encore franchi par les responsabilités, l'intérêt du travail, la notation, l'affectation géographique, les possibilités d'expression, la cohésion et les conditions de travail. Pour les sous-officiers, la liste des sources de satisfaction à un tel niveau est plus courte, et la satisfaction sur ces éléments est légèrement plus faible. Parmi les militaires du rang, la notation vient compléter les trois dimensions les plus satisfaisantes, communes à toutes les catégories.

Les plus gros irritants sont, somme toute, peu nombreux et désormais bien identifiés. Au second semestre 2023, il s'agit du logement, de la rémunération et des moyens humains, qui procurent moins de 60 % de satisfaction : 52 % pour le logement, 55 % pour la rémunération et 57 % pour les moyens humains.

Parmi les officiers, le logement se démarque par son niveau d'insatisfaction (5 % de satisfaits). Parmi les sous-officiers, le logement et les moyens humains représentent les dimensions les plus insatisfaisantes devant la rémunération (même si à 1 an, la satisfaction associée à la rémunération s'est améliorée). Parmi les militaires du rang, le logement et la rémunération apparaissent comme les plus gros points d'insatisfaction.

INDICATEUR DE MESURE DU MORAL (2nd semestre 2023)

PERSONNEL MILITAIRE

Dimension

% de satisfaits

Importance pour le moral

Relations avec vos subordonnés

93 %

81,2 %

Adhésion aux valeurs et fierté d'appartenance

87 %

76,8 %

Relations avec les autres ADS

87 %

49,8 %

Responsabilités

86 %

80,4 %

Intérêt du travail

85 %

84 %

Relations avec vos supérieurs

85 %

82,4 %

Utilité du travail

84 %

84,6 %

Notation

84 %

73,8 %

Affectation géographique

82 %

85,8 %

Possibilités d'expression

81 %

69 %

Cohésion

80 %

83 %

Conditions de travail

80 %

70,2 %

Formation

79 %

73,4 %

Dispositif de concertation

79 %

49,8 %

Loisirs

77 %

55,2 %

Alimentation

75 %

69,6 %

Mobilité géographique

74 %

86 %

Charge de travail

74 %

80,6 %

Disponibilité

73 %

74,2 %

Communication externe

73 %

44 %

Progression professionnelle

73 %

79,6 %

L'image des armées dans la société

73 %

59,8 %

Reconnaissance

69 %

77,2 %

Conciliation vie privée/vie professionnelle

69 %

87 %

Possibilité de reconversion

68 %

75,2 %

Moyens matériels

67 %

73,2 %

Soutien social

67 %

59,8 %

Communication interne

66 %

59,6 %

Hébergement

66 %

77,2 %

Évolutions actuelles de l'armée ou service

64 %

67,6 %

Moyens humains

57 %

80,8 %

Rémunération

55 %

86 %

Logement

52 %

75,6 %

Source : DRH-MD.

Le premier plan Famille, courant sur la période 2018-2022, d'un montant de 300 millions d'euros environ, consommés à hauteur de 94 %, a consacré environ 57 % de son montant aux mesures relatives à l'hébergement et au logement familial.

Le HCECM25(*), et la commission des finances de l'Assemblée nationale26(*), ou encore la Cour des comptes27(*), ont dressé quelques éléments de bilan : la cible triennale de 660 logements neufs a été atteinte en août 2021, et le plan a permis la réservation de 765 logements neufs entre 2018 et 2021 ; l'élargissement du parc de logements en outre-mer, notamment à Mayotte et en Guyane, afin de disposer de 50 % du parc en domanial, n'est pas achevé ; l'amélioration de l'état technique du parc de logement domanial a fait l'objet de nombreux travaux et sa maintenance en métropole est assurée par Nové ; la colocation a été normalisée par une instruction ministérielle de décembre 2021 relative aux conditions d'attribution et d'occupation des logements relevant du ministère des armées en métropole.

Malgré ces avancées, des problèmes restants sont bien identifiés : les besoins sont tels que les programmes de construction ou d'acquisition demeurent insuffisants, a fortiori dans les zones en forte tension immobilière ; le parc vieillit et une part significative de celui-ci est dégradée ; la coordination des acteurs dans l'organisation de la fonction hébergement, et l'harmonisation des règles, des procédures et de l'offre sont encore en chantier. Sur ces aspects, la commission aura l'occasion de revenir dans le cadre de l'examen du PLF pour 2025.

Des auditions des rapporteures de la présente mission est surtout ressortie l'insuffisant accompagnement des familles, rejoignant les travaux du Haut comité d'évaluation de la condition militaire. Ce dernier a déjà eu l'occasion de plaider pour la constitution d'un véritable service de conciergerie, afin d'aider les militaires dans leurs démarches d'installation. Une forme embryonnaire d'un tel service existe sous l'appellation ATLAS (Accès en tout Temps, tout Lieu Au Soutien), dispositif déployé depuis 2018.

L'espace ATLAS est un point unique pour entreprendre les démarches administratives et de soutien, grâce à un accès rapide à l'information grâce à des bornes numériques, et la prise en charge des dossiers complexes. Interlocuteur unique en matière d'administration générale, d'habillement et d'équipement, de déplacements, de carrière et rémunération, il s'est progressivement élargi au soutien au déménagement, au logement et aux services de proximité. Un partenariat signé en 2019 avec l'Igesa, l'opérateur social du ministère, lui permet de proposer ses offres de services, de loisirs et de culture. Depuis février 2023, un partenariat avec la Direction générale des finances publiques permet aux espaces ATLAS d'accompagner le personnel du ministère des armées et leurs familles dans les démarches relatives à la fiscalité des particuliers.

Selon les compétences disponibles et compte tenu du besoin exprimé localement, l'offre de service élargie intègre le périmètre des acteurs internes au ministère des armées (ONaC-VG, CNMSS, etc.), du réseau France Services, des caisses de sécurité sociale du régime général, de France Travail, de la Poste et de la MSA, des collectivités territoriales pour les divers segments de la politique sociale, et du secteur privé et associatif. Une expérimentation est en cours en vue de réduire les déplacements et de simplifier les démarches spécifiques au personnel militaire blessé et sa famille.

Il existe à ce jour 205 espaces ATLAS en métropole, 7 en outre-mer, sur une cible initiale du plan Famille entre 200 et 250 espaces en 2024. Interrogé à ce sujet, les membres du conseil supérieur de la fonction militaire ont estimé que le principal obstacle à la satisfaction des besoins des usagers par les espaces ATLAS résidait dans l'insuffisance de leurs moyens pour accompagner efficacement les agents du ministère.

b) Des contraintes de mobilité sans doute excessives

Les contraintes de mobilité sont l'un, sinon le facteur pesant le plus négativement sur la capacité des armées à fidéliser leur personnel. Sur ce chapitre, le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a dit l'essentiel dans son rapport annuel paru en 202228(*), le second sur le sujet en quatorze ans.

Principe cardinal de l'organisation des forces armées, qui découle du principe constitutionnel de « nécessaire libre disposition de la force armée »29(*), la mobilité géographique « implique que soit assurée la disponibilité, en tout temps et en tout lieu, des forces armées »30(*).

Le HCECM reconnaît qu'il s'agit là de « l'une des sujétions de l'état militaire qui affecte le plus directement la vie quotidienne du militaire et de sa famille, dans des aspects parmi les plus importants : activité professionnelle du conjoint, donc niveau de vie, logement, et par là aussi propriété immobilière, éducation des enfants, prise en charge médicale, cadre de vie, vie sociale, insertion dans le territoire. Cette mobilité est de ce fait au coeur de tensions et, aujourd'hui plus qu'hier, de l'arbitrage que le militaire fait entre ses attentes en termes de vie familiale et personnelle et sa vie professionnelle, arbitrage déterminant pour la poursuite ou l'arrêt de son engagement militaire »31(*).

Une étude récente coréalisée par la mutuelle des militaires Unéo32(*) estime que, dans la population sondée où 85 % des conjoints des militaires sont des femmes, plus de 76 % déclarent rencontrer des difficultés dans leurs recherches notamment dues au bassin d'affectation de leur conjoint militaire, peu propice à l'emploi. Dans près de 80 % des cas, les conjointes ont des enfants et recherchent avant tout la stabilité de l'emploi, avec un contrat en CDI, avec des horaires en journée, sans déplacement long ou en week-end. Les métiers les plus représentés sont ceux de la santé, du social ou du monde associatif, le service public d'État, l'enseignement et la formation, la banque ou l'assurance et les services à la personne.

Plus intéressant, les personnes concernées sont près de la moitié à être diplômés d'un bac+2, bac+3 ou bac+4 et 22 % d'un bac+5 et plus, mais 63 % ont un statut d'ouvrier éventuellement spécialisé, d'employé(e) ou de technicien(ne), et seulement 23% sont cadres ou ingénieur(e)s. La difficulté à trouver un emploi correspondant à ses qualifications ne saurait aller sans tensions, et donc sans menacer les équilibres familiaux des militaires.

Or l'intensité de cette sujétion ne s'est pas réduite ces dernières années. La fréquence des mutations s'illustre par le taux de mobilité géographique, égal au rapport entre le nombre de militaires mutés avec changement de résidence pendant l'année et l'effectif total. De 2009 à 2012, la fréquence des mutations avec changement de résidence en cours de carrière a augmenté en raison des restructurations consécutives au Livre blanc de 2008 et à la révision générale des politiques publiques, après quoi les valeurs de 2013 sont revenues à celles observées au milieu des années 2000. Mais entre 2013 et 2022, le taux de mobilité augmente de nouveau pour atteindre 12,8 %, en hausse d'un point.

Les écarts sont grands entre catégories hiérarchiques. En 2022, 19,8 % des officiers ont été mutés avec changement de résidence, et 14,6 % des sous-officiers, et 5,3 % des militaires du rang. Parmi les militaires de l'armée de terre mutés en 2022, 34 % des officiers, 38 % des sous-officiers et 40 % des militaires du rang avaient entre 3 et 5 ans de présence dans leur affectation. Les colonels en service au 31 décembre 2022 ont connu, en moyenne, entre 8 et 10 mutations avec changement de résidence en moins de 30 ans de carrière. Par comparaison, en 2021, seuls 4 % des agents de la fonction publique de l'État ont changé de département.

Il en résulte l'installation durable du célibat géographique dans le mode de vie des militaires. Ce phénomène est pour l'heure mal mesuré, regrette le Haut conseil, qui s'appuie sur des enquêtes internes annuelles. Celles-ci font apparaître que, pour des raisons tenant à l'activité professionnelle du conjoint, à la propriété du logement principal ou à l'intérêt des enfants, 15 % des militaires de l'armée de terre et de la marine, et 3,8 % des militaires de l'armée de l'air sont célibataires géographiques. Plus d'un cinquième des commandants de bases aériennes sont dans ce cas.

Le HCECM regrette ainsi en 2022 que ses préconisations de 2008 n'aient pas été suivies d'effets, mais observe que des mesures ont été prises pour l'accompagnement de cette mobilité : individualisation du dialogue de gestion, des durées prévisionnelles de présence dans une garnison, application des dispositions du code de la défense liant les décisions de mutation à la situation de famille, utilisation des opportunités offertes par les systèmes d'information des ressources humaines, etc. Les contraintes liées aux mobilités ont également été mieux compensées grâce au Plan Famille, présenté en octobre 2017.

L'accompagnement de la mobilité géographique du militaire et de sa famille

Source : HCECM, rapport thématique 2022.

De nombreux progrès ont ainsi été faits, notamment pour allonger les durées de préavis avant mutation, même si certaines évolutions semblent non consolidées. L'objectif de 80 % d'ordres de mutation respectant un préavis d'au moins cinq mois, fixé par le plan Famille, avait été atteint en 2020 avec un taux de 85 %, avant que le taux ne retombe à 76 % en 2022.

Des ajustements à la pratique des mobilités restent encore possibles : l'âge n'est pas assez pris en compte dans la décision de mobilité, laquelle est d'autant mieux acceptée qu'elle intervient tôt dans la carrière ; l'adaptation au statut d'emploi en limitant de facto la mobilité au militaires sous statut ; l'adaptation de la mobilité des sous-officiers et des officiers en fonction de leur ancienneté dans leur corps ; la réduction aux stricts besoins opérationnels et organisationnels et la limitation des mobilités « non essentielles » ; l'affectation privilégiée, enfin, au plus près de la zone géographique souhaitée suivie d'une mobilité recherchée par le gestionnaire, sauf besoin opérationnel, au sein de cette zone.

Considérant que la part de mobilité induite par les besoins opérationnels n'est nécessaire que pour une population réduite de militaires, et que la mobilité géographique est de plus en plus difficile à accepter par le militaire au fil de la carrière en entrant en contradiction avec les aspirations professionnelles, personnelles et familiales, le Haut comité estime que « pour aller plus loin, la seule alternative possible serait de réduire encore davantage la mobilité géographique », à la condition d'évaluer rigoureusement les transformations que cela exigerait dans le modèle de ressources humaines des armées.

Les rapporteures sont conscientes que la réduction de la mobilité, qui garantit la progression des carrières et la bonne distribution de l'exercice du commandement, supposerait d'interroger, voire de remettre en cause certains principes d'organisation des armées. Elles rejoignent néanmoins le Haut comité dans l'importance qu'il accorde, au départ de la réflexion, au creusement de l'écart entre les aspirations des jeunes gens et les sujétions de la vie militaire, et estiment que la réduction de la mobilité au strict nécessaire opérationnel, sous réserve d'en documenter les conséquences, doit être sérieusement considérée.

Observons encore que le télétravail ou la télé-activité pourrait participer à réduire le recours à la mobilité géographique des militaires. Il constitue une aspiration du personnel militaire, dont les conjoints, familles, et amis pratiquent déjà ce mode de travail dans les secteurs privé ou public. Dans les états-majors, certains organismes de soutien ou dans le domaine de la formation, les obstacles à la pratique plus étendue du télétravail ne semblent pas dirimants.

c) Des contraintes à mieux compenser

Déployée en trois ans entre 2021 et 2023, la nouvelle politique de rémunération des militaires, ou NPRM, a redéfini précisément l'objet de chaque indemnité, dans une perspective visant à mieux reconnaître et mieux compenser les sujétions des militaires, mieux prendre en compte les compétences et à simplifier l'ensemble du dispositif.

Évolution du régime indemnitaire opérée par la NPRM

Source : HCECM, 16e rapport.

Première des primes NPRM mise en place au 1er janvier 2021, l'indemnité de mobilité géographique des militaires (IMGM)33(*), remplaçant les suppléments et compléments à l'indemnité pour charges militaires, a occasionné une dépense budgétaire supplémentaire de 40,5 millions d'euros par rapport aux indemnités remplacées. Elle est perçue par environ 25 000 militaires chaque année.

Au 1er janvier 2022, le déploiement de la NPRM s'est poursuivi avec la mise en place de trois nouvelles primes. D'abord, l'indemnité de sujétions d'absence opérationnelle (ISAO)34(*) remplace toutes les primes et indemnités qui étaient attribuées dans le cadre des activités opérationnelles, à l'exception de l'indemnité de sujétions pour service à l'étranger (ISSE), qui continue à être servie pour les opérations extérieures et les renforts temporaires à l'étranger. Sa mise en oeuvre a entrainé une dépense budgétaire supplémentaire de 46 millions d'euros par rapport aux indemnités remplacées.

Ensuite, la prime de commandement et de responsabilité militaire (PCRM)35(*) remplace la nouvelle bonification indiciaire (NBI) et concerne environ 24 000 postes occupés tant par des officiers que par des non-officiers. Sa mise en oeuvre a entrainé une dépense budgétaire supplémentaire de 20,5 millions d'euros en coût année pleine par rapport aux dépenses de NBI remplacées.

Enfin, la prime de performance (PERF)36(*) vise à garantir l'attractivité et la fidélisation des officiers appartenant à des corps chargés de fonctions de conception, de direction et de contrôle dans des domaines techniques concourant aux opérations militaires. Sa mise en oeuvre a entrainé une dépense budgétaire supplémentaire de 16 millions d'euros en année pleine par rapport aux primes et indemnités remplacées.

Le dernier volet de la réforme, contenu dans une série de décrets du printemps entrés en vigueur le 1er octobre 2023, porte création de :

- l'indemnité d'état militaire (IEM) et de l'indemnité de garnison des militaires (IGAR)37(*), qui remplacent l'indemnité pour charge militaire afin de compenser, de manière plus lisible et plus juste, diverses sujétions inhérentes au statut des militaires. La première est universelle et défiscalisée. La seconde compense la contrainte de logement résultant de l'incertitude du lieu et de la durée d'affectation et peut être versée aux propriétaires comme aux lcataires. Une indemnité compensatrice transitoire est versée aux perdants que ferait le nouveau dispositif ;

- la prime de parcours professionnels des militaires38(*), qui fusionne toutes les primes liées à la qualification professionnelle, valorise la qualification et la progression des sous-officiers et officiers en étant versée « en fonction du niveau de qualification professionnelle qu'ils détiennent ». Elle est également versée aux « militaires du rang titulaires d'un titre de guerre ». Elle peut toutefois être soumise à contingentement.

- la prime de compétences spécifiques des militaires39(*) a pour objet de valoriser les compétences opérationnelles rares, difficiles à générer et essentielles pour assurer la supériorité dans les opérations militaires. Elle remplace 19 primes et indemnités « de milieu ». Quatorze compétences spécifiques sont identifiées dont deux nouvellement créées - combattant terrestre et électronicien de sécurité aérienne. Forfaitaire, le montant de la PCSMIL dépend des compétences stratégiques détenues et du niveau de qualification.

La dépense budgétaire supplémentaire pour l'année 2023 de ce troisième volet de la réforme est de 76,6 millions d'euros, et 304,2 millions en année pleine. La NPRM dans son ensemble représente une dépense supplémentaire de 427,2 millions d'euros en année pleine par rapport aux primes et indemnités remplacées.

Ses effets sont assez segmentés en fonction de l'emploi occupé, de la spécialité détenue et de l'affectation reçue. La hausse de la rémunération brute a été évaluée en moyenne à 6 %. Les militaires de la force opérationnelle terrestre ont vu par exemple leur solde augmenter en 2023 entre 105 euros brut par mois pour les militaires du rang et 160 euros brut par mois pour les cadres. Les jeunes sous-officiers ont bénéficié de la deuxième balise de qualification professionnelle, de l'ordre de 130 euros par mois.

La commission restera attentive, d'une part, aux effets de la forfaitisation des primes, qui laisse craindre leur dépréciation à long terme en raison du niveau de l'inflation ; d'autre part, aux conséquences de leur fiscalisation, qui pourrait avoir des effets indirects négatifs sur le niveau de rémunération des militaires. Aussi appelle-t-elle le ministère à évaluer sans tarder les effets de la réforme, le cas échéant avant la remise du rapport prévue par l'article 7 de la loi de programmation militaire avant la fin de l'année 2026 - un tel engagement fait d'ailleurs l'objet de la dernière mesure du plan Fidélisation 360.

Notons enfin que l'une des mesures les plus attendues de ce plan, présenté en mars 2024 consiste à intégrer une part de l'indemnitaire liée au statut militaire dans l'assiette de la pension, avec un mécanisme progressif adossé à la durée de service. Le calendrier du plan indiquait alors que la base légale d'une telle mesure serait intégrée au PLF pour 2025, avec une mise en oeuvre par décret en cours d'année, afin que soient concernés les pensions versées en 2026. La traduction juridique de la mesure semble devoir être repoussée au PLF pour 2026.

2. Des rémunérations de base à remettre à niveau

Le lien entre le niveau de rémunération brute et l'attractivité de la carrière est complexe, et difficile à mesurer. Dans sa note d'exécution budgétaire de 2023 sur la mission « sécurité », la Cour des comptes relevait, à propos des forces de sécurité intérieure, donc, que le « déficit d'attractivité et de fidélisation tend à démontrer que les revalorisations indemnitaires importantes dont ont bénéficié les forces de l'ordre depuis 2016 (+730 M€ de 2016 à 2022 ; +1 473 M€ de 2023 à 2027) n'atteignent pas leurs objectifs. Il apparaît nécessaire de déployer une politique de fidélisation différente, axée sur l'amélioration des conditions de travail et la gestion dynamique des ressources humaines »40(*).

Les métiers de service public, et à plus forte raison sans doute, quoique non exclusivement, ceux de la sphère régalienne, supposent en effet un engagement qui transcende les considérations matérielles... Du moins jusqu'à un certain point : on ne saurait prétendre renforcer l'attractivité des armées sans gratifier les militaires d'une juste reconnaissance de cet engagement.

La commission a déjà eu l'occasion de regretter, à la suite du CSFM ou du HCECM, le relatif décrochage de la rémunération des militaires, par rapport aux autres fonctionnaires41(*). La revalorisation des bas salaires de la fonction publique et les mesures catégorielles afférentes ont conduit à diviser par deux en 25 ans l'écart entre l'entrée de grille salariale d'un militaire du rang et d'un colonel. Le HCECM avait calculé en 2023 que « l'échelonnement indiciaire entre l'indice plancher du soldat et l'indice sommital du général de division a perdu 52 points entre 2011 et 2023. La grille indiciaire des officiers a subi un tassement de 25 points (4 points pour les militaires du rang) ». Ce tassement des grilles indiciaires, qui se traduit par exemple par le chevauchement partiel des échelles de rémunération de base du caporal-chef et de l'adjudant, du major et du capitaine ou encore du commandant et du lieutenant-colonel, a pour conséquence une moindre incitation à la formation et à la progression dans la carrière, donc à la fidélisation.

Les études disponibles documentent en outre l'écart des officiers et officiers supérieurs par rapport aux autres cadres supérieurs de l'État. La création, en 2021, de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l'État a en effet accentué significativement le décalage entre les parcours respectifs, alors qu'à plusieurs moments de leur carrière ils peuvent exercer des fonctions comparables.

La faiblesse des rémunérations des militaires s'observe aussi par comparaison avec les autres pays européens. Les comparaisons internationales sont en la matière délicates, et irrégulièrement actualisées. Une étude de 2019, réalisée par l'organisation européenne des associations militaires (Euromil), fournit toutefois une première approche de la question42(*). Elle fait apparaître que la rémunération des militaires français se situe plutôt en-deçà de la moyenne des pays européens considérés, sauf dans le cas des militaires du rang en début de carrière, où la France se trouve alors juste au-dessus de la moyenne des pays classés.

Classement des pays européens selon le niveau de rémunération, en parité de pouvoir d'achat, des officiers en début de carrière (gauche), et en moyenne (droite)

Source : Euromil

Classement des pays européens selon le niveau de rémunération, en parité de pouvoir d'achat, des militaires du rang en début de carrière (gauche), et des adjudants en début de carrière (droite)

Source : Euromil.

Classement des pays européens par niveau de rémunération, en parité de pouvoir d'achat, des militaires du rang et des sous-officiers en moyenne

Source : Euromil.

La loi de programmation militaire prévoyait de réviser les grilles indiciaires des militaires du rang avant la fin de l'année 2023, celles des sous-officiers et des militaires assimilés avant la fin de l'année 2024, et celles des officiers avant la fin de l'année 2025.

Les premiers ont fait l'objet du décret du 30 octobre 202343(*), à effet au 1er novembre 2023. Les changements opérés, d'après une note de conjoncture de l'observatoire économique de la défense, « font que, sur l'ensemble des caporaux ou quartiers-maîtres de 2e classe et des caporaux-chefs ou quartiers-maîtres de 1re classe, 35 % de cette population gagnent un point d'indice majoré, 17 % en gagnent 2 alors que 48 % ne gagnent aucun point d'indice, ce qui a un faible impact sur le calcul de l'ITB-GI-M des militaires du rang »44(*).

Les sous-officiers subalternes ont fait l'objet d'un second décret du 30 octobre 202345(*), applicable aux rémunérations versées à compter du mois d'octobre 2023. Il concerne les grades de sergent ou second-maître et sergent-chef ou maître, représentant 43 % des sous-officiers, dont les indices majorés ont été augmentés de 1 à 4 points pour la plupart des échelons.

Le projet de nouvelle grille des sous-officiers supérieurs a vocation à rendre le changement de catégorie plus attrayant pour les militaires du rang. Le gain mensuel qui en est escompté, représentatif à partir de l'échelon de solde n° 4 des adjudants, serait de l'ordre de 156 euros, et atteindrait 290 euros pour l'échelon exceptionnel des majors, le tout pour un coût en année pleine de l'ordre de 46,2 millions d'euros. Attendue initialement pour octobre 2024, la mise en oeuvre de la nouvelle grille serait décalée au 1er décembre 2024.

Le projet de refonte de la grille des officiers repose sur la mise en oeuvre de trois échelles de solde à la progression indiciaire différenciée : la première, pour tous les officiers non brevetés du grade de lieutenant à celui de colonel ; la deuxième pour les officiers brevetés du grade de commandant à celui de colonel ; et la troisième pour les officiers généraux et les colonels issus du CHEM ou occupant des postes très exposés. Son coût est évalué à 75 millions d'euros en année pleine. Les rapporteures n'ont pas obtenu d'information sur le calendrier précis de mise en oeuvre de cette mesure.

Il convient d'attirer l'attention sur la conséquence qu'aurait, même en raison du contexte budgétaire très délicat, le report ou la perte d'ambition de cette réforme. Point d'attention majeur de l'ensemble du personnel du ministère, la remise à niveau des rémunérations des militaires est une condition fondamentale de l'attractivité du métier et doit être réalisée, selon le calendrier et le niveau d'ambition annoncés, sous peine de fragiliser les motivations à poursuivre une carrière.

La politique de recrutement polonaise

La Pologne semble plus proche que ses voisins d'atteindre ses objectifs de recrutement. Le changement de contexte stratégique a conduit le gouvernement polonais à adopter une nouvelle stratégie de sécurité nationale - la précédente datant de 2020 -, un nouveau plan de développement des forces armées pour remplacer celui formulé par le PiS en 2019, et une nouvelle loi sur la protection et la défense civile. Le ministre de la Défense a également annoncé en juin 2024 la création d'un nouveau cadre juridique adapté à la guerre hybride, « entre la guerre et la paix », permettant la participation des forces armées à des opérations menées sur le territoire polonais et précisant les règles d'emploi de la force dans ce cadre d'engagement spécifique.

Ces projets vont de pair avec une hausse continue du budget de la défense. En 2024, Varsovie consacre 4 % du PIB dans la défense et il est prévu qu'en 2025, ce chiffre soit porté à 4,2 % voire 4,5 %, ce qui équivaut à environ 33 milliards de dollars46(*). Ces moyens supplémentaires devraient permettre de faire passer l'armée polonaise, qui comptait 90 000 hommes en 2014, de 216 000 aujourd'hui à 300 000 hommes en quelques années, dont 250 000 professionnels et 50 000 membres de forces de défense territoriales.

Les projets du Gouvernement s'inscrivent dans une tendance à la forte augmentation des rémunérations des militaires. Entre 2015 et 2023, la rémunération de début de carrière du militaire du rang a doublé, passant de 2 500 à 4 960 zlotys, soit environ 1150 euros. De nouvelles primes ont en outre été créées ou revalorisées, telles celles liées au service dans les unités de combat, dans des divisions opérationnelles, de reconnaissance et d'enquête de la police militaire ; les soldats de l'Agence de l'armement, ainsi que les militaires formateurs ont également bénéficié de nouvelles indemnités. Les militaires dépassant 15 ans de service se voient en outre verser un montant équivalent à 5% de leur revenu mensuel de base, augmenté de 1 % chaque année dans la limite de 15 % après 25 ans de service47(*).

Le général Wiesaw Kukua, chef d'état-major général de l'armée polonaise, indiquait dans une conférence de presse du 11 juillet 2024 que les objectifs de recrutement de l'armée polonaise pour l'année étaient atteints dès le mois de juillet. Il semble toutefois que les flux de sorties soient restés importants en 2023, de l'ordre de 9 000 soldats48(*), ce qui permet difficilement de conclure à ce stade sur le respect de la trajectoire de recrutement fixée par le législateur polonais.

Notons enfin que les dernières annonces ministérielles, regroupées dans la dénomination du plan « Fidélisation 360 » présenté en mars 2024, en dépit de leur niveau de précision variable et de leur inclusion de mesures relevant déjà de la LPM et de la deuxième édition du Plan famille, font un bon tour des difficultés matérielles rencontrées par les forces. Les échanges menés avec les représentants du conseil supérieur de la fonction militaire font état d'une très grande impatience du personnel dans leur mise en oeuvre effective.

Principales mesures du plan « Fidélisation 360 » de mars 2024

Objectif

Domaine d'action

Mesure

Calendrier

Mieux compenser les sujétions face
aux nouvelles conflictualités et aux évolutions sociétales

Rémunération

Intégrer une part de l'indemnitaire liée au statut militaire dans l'assiette de la pension avec un mécanisme progressif adossé à la durée de service

PLF 2026

Habitat

Faciliter l'accès à la propriété pour les militaires soumis aux sujétions de casernement, d'hébergement et de mobilité (cautionnement, prêts à taux préférentiel).

1er semestre 2025

Plan Famille

Garde d'enfants : rendre effectif l'accompagnement en cas d'horaires atypiques, en priorisant ce public

PAM 2024

Action Sociale

Rendre le site Igesa plus accessible, avec un accès spécifique pour les militaires en mobilité ou en opération

PAM 2024

Plan Famille

Instaurer pour l'accès aux prestations Igesa un mécanisme de points valorisant les contraintes OPS et missionnelles

PAM 2024

Plan Famille

Mieux mobiliser les correspondants défense des mairies

S1 2024

Plan Famille

Proposer un panier de soins spécifique aux militaires

Janvier 2025

Habitat

Élargir la palette d'actions logement (dispense de frais d'agence, de dépôt de garantie, cautionnement)

PAM 2025

Accompagner la mobilité

Habitat

Optimiser l'offre domaniale et de réservation : traquer les indus et assurer une plus grande rotation du parc

S1 et S2 2024

Habitat

Développer une relation client et une offre de service

PAM 2025

Plan Famille

Assurer à tous les militaires du PAM un moyen de garde adapté (partenariats avec les collectivités et les CAF)

PAM 2025

Organisation

Garantir un déménagement sans reste à charge et simplifié dès lors qu'il est fait appel aux plateformes.

PAM 2024, 2025 et 2026

Plan Famille

Mandater la CNMSS pour conclure des conventions et référencer des médecins acceptant la patientèle militaire en mobilité dans chaque département

S1 2025

Organisation

Responsabiliser la chaîne de soutien en déléguant au plus près du terrain une enveloppe petit entretien

S1 2024

Organisation

Prioriser, en lien avec le commandement, les remises à niveau des infrastructures en enceinte militaire

S1 2024 à S2 2025

Améliorer les conditions de travail et de vie en emprise militaire

Organisation

Poursuivre la sensibilisation et la formation du commandement au traitement du harcèlement

S2 2024

Organisation

Mieux prendre en compte la mixité

S1 2025

Organisation

Promouvoir la télé-activité lorsque c'est possible

S1 2025

Capacitaire

Augmenter la disponibilité du matériel, par la rénovation et la livraison d'équipements et de matériel

2025 et continu

Assurer une juste rémunération

RH

Poursuivre le chantier des grilles des militaires en respectant le calendrier de la LPM : sous-officiers 2024 et officiers (toutes les grilles) en 2025

S2 2024
S1 2025

RH

Réforme du corps des ingénieurs de l'armement et des administrateurs de la DGSE

2024

RH

Mieux cibler l'indemnitaire dans les filières tendues

2024

RH

Dynamiser les parcours et donner des perspectives en poursuivant l'individualisation des parcours (création d'un vivier de sous-officiers (voire MDR) à haut potentiel

S2 2024

Source : DRH-MD.

3. La gestion des ressources humaines
a) La fonction de recrutement : des délais sans doute compressibles

· Le parcours de recrutement, dans les trois armées, peut être scandé en six phases. Passée la prise de connaissance de l'institution, qui peut se faire par téléphone, sur internet, lors de journées portes ouvertes des régiments ou encore à l'occasion d'un salon, le candidat prend un premier contact avec les armées avec un conseiller en recrutement en centre de recrutement (CIRFA). Le dépôt de dossier permet ensuite de poursuivre le processus, sans que s'interrompent les échanges avec les conseillers en recrutement. L'évaluation du candidat a ensuite lieu dans l'un des cinq groupements régionaux de recrutement et de sélection (GRS). Cette étape consiste en une visite médicale d'aptitude, un ensemble de tests sportifs et de personnalité et un entretien avec un évaluateur. L'obtention des résultats donne lieu à un nouvel entretien en Cirfa pour aider le candidat à affiner ses souhaits d'affectation, en cohérence avec ses compétences et les besoins de l'institution. La signature du contrat et le début de la formation initiale marquent la dernière étape du recrutement.

L'organisation précise de chaque étape varie légèrement selon les armées. Dans l'armée de terre, les moyens du premier contact ont été diversifiés : des ambassadeurs du recrutement, c'est-à-dire de jeunes militaires disposés à partager leur expérience, et que la DRHAT voudrait porter à 200 à la fin 2024, peuvent être joints par les éventuels candidats sur le site sengager.fr. Dans la Marine nationale, le premier contact avec un conseiller en recrutement se fait généralement dans un CIRFA. Dans l'armée de l'air et de l'espace, la principale différence avec l'armée de Terre réside dans la signature du contrat du candidat qui s'effectue non au CIRFA mais sur une base aérienne.

Ce parcours dure au total de quatre à six mois, avec quelques variations selon les armées. Dans la marine, le délai moyen est de 3 mois entre l'ouverture du dossier et l'arrivée en école. La durée moyenne observée produit un effet de découragement sur les candidats, dans des proportions toutefois difficiles à évaluer. Ces abandons s'ajoutent à la déperdition incompressible de candidats liée à des facteurs objectifs ou exogènes tels que l'inaptitude constatée - entre 7 % et 10 % -, l'erreur manifeste d'orientation ou la concurrence d'autres types d'emplois préférés par le candidat.

Une partie de ce délai semble compressible, car dépendant de l'organisation du recrutement. La convocation aux évaluations en groupement de recrutement et de sélection peut ainsi prendre de six à huit semaines en fonction de la disponibilité des médecins d'aptitude, et la procédure d'habilitation dépasser les 3 ou 4 semaines, ou prendre plusieurs mois dans certains cas, selon les personnes et la sensibilité des postes.

C'est dire à quel point le premier chantier du plan « Ambition stratégique SSA 2030 » devient impératif, alors que le volume de recrutement a vocation à croître. L'idée qui prévaut, d'après la Cour des comptes49(*), consiste à réorganiser le séquençage de la visite de sélection lors du recrutement, puis de la visite d'incorporation qui est organisée à l'arrivée dans l'unité d'affectation, afin de d'économiser du temps de soignant.

Renforcer les moyens du SSA, dont la commission a déjà dénoncé la fragilité, ainsi que ceux de sa réserve opérationnelle et, pourquoi pas, une plus large mise à contribution de sa réserve citoyenne par l'élargissement de ses missions, pourrait être de nature à raccourcir les délais de recrutement.

· Le recrutement est encore très dépendant de la capacité à toucher largement les candidats, donc de la fonction de communication des armées.

Les trois armées ont la main sur la communication relative à leur recrutement. Le service du recrutement de la marine fait travailler à cette fin une équipe de 12 officiers et apprentis, et 6 officiers réservistes, chargés d'assurer la mise en oeuvre de la communication choisie sur les différents supports et d'animer la présence de la marine dans les salons des métiers. La marine consacre à cette fonction 10 millions d'euros, dont 6 millions destinés à l'achat d'espaces publicitaires. L'armée de l'air et de l'espace y consacre une équipe de 11 personnes et 12 millions d'euros. Dans l'armée de terre, le bureau marketing est composé de 20 militaires et civils et gère un budget d'environ 24 millions d'euros.

La conception des campagnes et la fonction d'achat d'espaces dans les médias est externalisée. Les cahiers des charges sont rédigés soit par l'armée elle-même soit, au sein du secrétariat général pour l'administration, par la sous-direction chargée de la préfiguration de l'agence ministérielle de gestion.

Seule l'organisation des campagnes de recrutement est encadrée par le service information du gouvernement et la DICOD et s'applique aux trois armées. L'espace médiatique est partagé par eux selon un système de temps forts selon la saisonnalité des recrutements et les cycles scolaires qui, à partir du 1er septembre 2024, ne concernera plus que l'affichage urbain et les médias écrits et audiovisuels, à l'exclusion de la sphère numérique, sur laquelle les armées auront toute liberté pour viser leurs cibles respectives. En 2024, la Marine nationale bénéficiera ainsi de 12 semaines de campagnes publicitaires, contre 15 semaines pour l'armée de terre, et 13 pour l'armée de l'air et de l'espace - en février, avril, août et octobre.

Les thèmes de campagne exploitent fréquemment les thèmes de la réalisation de soi. En 2024, après le slogan « faire de sa vie une aventure », la campagne de recrutement de l'armée de Terre pose ainsi au public la question « Peux-tu le faire ? ». La campagne 2024 de la Marine, elle, repose sur le slogan « Embarquez pour une vie d'aventures », et joue sur des visuels illustrés rappelant d'anciennes affiches. Le slogan de l'armée de l'air et de l'espace, enfin, est « Et si c'était pour vous ? », et la campagne attirent l'attention sur la diversité des métiers qui y sont offerts - maître-chien, informaticien, électrotechnicien, etc.

L'impact des campagnes de communication est mesuré par les résultats obtenus, indiqués le plus souvent par les critères de fréquentation des sites d'information, de dépôts de candidature, et de prises de rendez-vous. L'affluence des candidats post-campagne est évaluée chaque semaine par les Cirfa. Dans la marine, la fréquentation du site Lamarinerecrute.fr a progressé de 66 % entre 2022 et 2023, passant de 1,68 millions de visites en 2022 à 2,84 millions en 2023. Les dépôts de candidatures sur le site ont aussi connu une augmentation, de 23% en 2023, ainsi que les prises de rendez-vous en Cirfa, qui ont progressé de 40%.

Les rapporteures s'interrogent sur deux aspects enfin de la communication des armées aux fins du recrutement. D'abord, sur la nature de l'expérience utilisateur. La navigation en ligne sur les différents sites des armées fait apparaître une extraordinaire impression de foisonnement, à laquelle pourrait sans doute remédier la constitution d'un portail d'information et de suivi de dossiers de candidature centralisé et à l'arborescence plus claire.

Ensuite, sur le parti que les armées parviennent à tirer d'événements mobilisateurs à grande échelle, à l'instar de ce que fait l'armée allemande. Chaque année, une « journée de Bundeswehr » en direct sur dix sites est animée comme un événement sportif et retransmise sur différents canaux.

Les armées s'associent certes à différentes manifestations culturelles ou sportives pour monter des stands d'information, mais ces initiatives semblent récentes et insuffisamment connues. La Marine est, ainsi, partenaire de l'Armada de Rouen. Le premier grand événement de recrutement de la Marine s'est déroulé à Paris en mars 2024. Deux manifestations annuelles dans des métropoles françaises éloignées de la mer sont envisagées : en 2025, à Lyon et à Toulouse. Les jeux olympiques de 2024 ont conduit l'armée de terre à expérimenter le recrutement volontaire découverte pour une durée de quatre mois : le dispositif, qui a conduit à retenir 120 dossiers sur les 400 reçus, a donné satisfaction à la DRHAT, mais la spécificité du contexte de cet engagement ne permet pas encore d'en tirer des conclusions très assurées.

b) Dynamiser la gestion des carrières et des parcours

· La différenciation des statuts et une diversification plus importante des corps spécialisés, sans préjudice porté à la cohérence d'ensemble apportée par le statut général des militaires et le cadre apporté par les RH de milieu, est une autre piste visant à renforcer la souplesse et l'individualisation de la gestion des carrières, elles-mêmes facteurs d'attractivité. Un tel chantier est précisément à l'étude au sein d'un groupe de travail piloté par l'état-major des armées.

Les positions des DRH des trois armées présentent toutefois quelques nuances, qui reflètent les contraintes et les besoins des modèles de ressources humaines de chacune. L'armée de terre, compte tenu de ses volumes et de sa structuration hiérarchique, insiste sur la difficulté à mettre en oeuvre un tel principe de diversification à grande échelle, sur la nécessité de préserver la « militarité » du ministère et sa capacité à remplir sa mission opérationnelle, laquelle plaide selon lui en outre pour une intégration mesurée de ressource externe.

L'armée de l'air et de l'espace insiste sur le besoin de réactivité des gestionnaires vis-à-vis des nouveaux métiers, souvent en tension du fait de leur caractère dual, civil et militaire, lequel impose de recourir à l'emploi de ressources déjà formées. La DRHAAE considère qu'il faut tirer un meilleur parti des parcours circulaires en permettant notamment aux militaires qui quittent les armées à mi-parcours de les réintégrer ultérieurement à un échelon voire à un grade supérieur.

La marine semble avoir poussé plus loin la réflexion sur le bouleversement de son modèle RH par les évolutions technologiques, lesquelles accroissent un besoin en compétences souvent duales, sanctionnées par des qualifications reconnues à l'extérieur de l'armée, et qui y sont mieux rétribuées. Afin de faciliter la progression entre les grades des sous-officiers et ceux des officiers subalternes, voire supérieurs jusqu'au grade de lieutenant-colonel pour la filière dite d'expertise, la marine s'est engagée depuis deux ans dans le développement des mobilités adaptées et l'individualisation des parcours. En témoigne la réforme du brevet de maîtrise pour les officiers mariniers supérieurs, le plus large accès donné au brevet d'aptitude technique, de la poursuite de l'expérience du « brevet supérieur mobilité », la création envisagée pour début 2025 d'une agence de la réorientation, la déconcentration et l'individualisation des processus de gestion des carrières, ou encore le développement de la formation continue modulaire.

· Lutte contre le débauchage par le secteur privé

Le débauchage de compétences par le secteur privé est un phénomène difficile à objectiver, notamment car les militaires ne formalisent pas nécessairement un dossier de reconversion auprès de Défense Mobilité, l'agence de reconversion du ministère des armées. Les réseaux sociaux servent en outre désormais à établir un lien rapide et direct entre les employeurs et leurs recrues.

Pour s'en prémunir, les trois armées ont entrepris de signer des conventions avec les entreprises du domaine de la défense, du nucléaire ou de l'aéronautique, afin de réguler les flux de départs dans une approche gagnant-gagnant et stimuler l'activité réserve. La marine a ainsi conventionné avec NG, Technicatome, EDF, Air cargo CMA-CGM, et Air France et l'armée de l'air et de l'espace avec Air France, Dassault aviation, et le groupe DAHER, et envisage d'en passer de nouvelles avec Thales et Sabena.

La fuite des compétences s'observe aussi du côté des employeurs publics. Le statut d'ingénieur du contrôle de la navigation aérienne au sein de la DGAC est ainsi très prisé des contrôleurs aériens militaires, et les tentatives de régulation sont rendues inefficaces par l'impossibilité réglementaire de filtrer les candidatures au détachement au titre de l'article L. 4139-1 du code de la défense. Des conventions avec le secteur des douanes et celui de la sécurité civile et de la gestion des crises devaient être signées au milieu de l'année 2024. L'armée de terre a pour sa part signé un accord-cadre avec le service industriel de l'aéronautique pour définir les principes de concertation et d'échanges d'informations entre ces deux organismes, préalables à tout recrutement d'ancien militaire.

Les résultats à attendre de telles initiatives restent discutables. Ces conventions s'apparentent à des « gentlemen agreements » peu contraignants. Elles n'ont d'ailleurs pas a prétention de le devenir, car de trop fortes barrières à la sortie contraindraient les candidats au départ à privilégier des entreprises plus éloignées encore des intérêts français. Les conventions peuvent par ailleurs être contournées par un recrutement direct par un sous-traitant.

De manière plus globale, pour tenter de se prémunir contre les départs subis, les rapporteures estiment que les leviers de fidélisation reposant sur la rémunération et l'attractivité des carrières doivent être privilégiés.

c) Féminisation et lutte contre les violences de genre

En 2024, les femmes représentent 51,6 % de la population française, soit 2,1 millions d'individus de plus que les hommes. La proportion de femmes ayant fait des études supérieures est en outre de 51 % contre 44 % chez les hommes. C'est assez dire l'importance de l'enjeu de la mixité du recrutement pour les forces armées dans un contexte où les gestionnaires peinent à atteindre les objectifs de recrutement fixés.

L'armée française est certes déjà l'une des armées les plus féminisées au monde. En 2022, le ministère comptait 58 296 femmes dans ses effectifs dont 34 206 militaires, soit 16,8 % du personnel militaire. En 2023, le flux des nouvelles entrées était féminin à 18,9 %, soit deux points de plus que l'année précédente, avec 2 860 nouvelles femmes militaires parmi les 15 145 nouvelles entrées externes.

L'enjeu de la féminisation des forces armées est désormais bien appréhendé par le ministère, lequel se félicite que depuis le lancement, en 2019, du plan Mixité, le taux de féminisation des armées a progressé de 8,39 %.

Le plan Mixité

Afin d'accélérer la dynamique de féminisation du ministère, un plan Mixité a été initié en mars 2019 et devait être renouvelé en septembre 2024. Les mesures qu'il contient visent à diversifier les profils recrutés notamment dans les corps d'officiers, à assouplir la gestion pour l'accès aux grades et aux responsabilités, notamment en comptabilisant les congés parentaux et les disponibilités prises pour élever un enfant, à développer le mentorat pour accompagner la construction des parcours professionnels, à assouplir les conditions d'accès aux examens et concours en élargissant les créneaux d'inscription, à généraliser la mise en place de « référents mixité » afin de mieux prévenir, conseiller et appuyer le commandement en matière d'équité hommes femmes, et à renforcer la féminisation du haut commandement en fixant des objectifs ambitieux, tel celui d'atteindre 10 % de femmes chaque année parmi les lauréats du concours de l'École de guerre ou le doublement de la part des femmes parmi les officiers généraux d'ici 2025.

D'autres mesures visent également à aider le personnel féminin à se sentir parfaitement à sa place au sein des armées : augmentation de la présence de femmes dans les Cirfa, création des ambassadeurs et ambassadrices du recrutement, développement de la mixité des cadres au sein des écoles de formation initiale, mise en avant des femmes dans les différentes campagnes de recrutement des armées.

Enfin, le ministère s'est engagé durablement sur l'ensemble du spectre des politiques publiques en matière d'égalité. Cela concerne, outre la promotion de l'égalité professionnelle, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, avec la création de la cellule Thémis en 2014, la mixité des métiers, avec la levée progressive des limitations d'accès à certaines fonctions - la dernière ayant été supprimée en 2021 avec l'accès des femmes aux derniers sous-marins -, la diffusion de la culture de l'égalité dès le plus jeune âge, avec des actions dédiées dans les journées défense et citoyenneté (JDC) et le Service national universel (SNU), la santé des femmes et la santé sexuelle et reproductive, avec une réflexion en cours sur le lancement d'un chantier concernant la santé des femmes militaires, aux spécificités très marquées, l'égalité femmes hommes dans la culture, les médias et le sport.

Le pilotage de ces mesures est réalisé au niveau ministériel par la conseillère sociale du ministre, avec l'aide de la directrice de projet Mixité et en liaison avec les armées, directions et services, porteuses des actions. La plupart de ces mesures bénéficient du pilotage des plans Famille et Mixité.

Le rapport social unique du ministère comprend depuis 2017 un rapport de situation comparé des femmes et des femmes dans les volets civil et militaire du personnel.

Le phénomène des violences sexistes et sexuelles au sein des armées, replacé dans l'actualité par la dénonciation publique de faits graves au printemps 2024, peut hélas rester une puissante contre-incitation à rejoindre ou à rester dans les forces.

D'après le rapport remis en juin dernier au ministre par le collège des inspecteurs généraux des armées50(*), ces violences restent sous-estimées : 226 cas ont été recensés par la cellule Thémis à l'échelle d'un ministère qui compte environ 270 000 personnes, mais les enquêtes anonymes réalisées au sein du ministère et les comparaisons avec les données recueillies en population générale laissent à penser que la grande majorité des faits n'arrivent pas à la connaissance de l'institution. Parmi les victimes, les jeunes et les militaires du rang sont surreprésentés : 45 % des victimes sont des femmes militaires du rang alors qu'elles ne représentent que 4,5 % des effectifs ; 48 % des auteurs sont des hommes militaires du rang, alors qu'ils représentent 28 % des effectifs.

Le rapport fait encore un tableau persuasif des lacunes dans le traitement de ces violences. L'accompagnement des victimes, d'abord, est parfois défaillant. La rencontre de la victime par son commandement n'est pas systématique et son accompagnement n'est pas toujours assuré dans la durée. Les propositions du rapport visent à mieux accueillir les victimes, à simplifier ses démarches et à faciliter le dépôt de plainte.

Ensuite, la politique de sanction des auteurs reste perfectible, en raison des difficultés à caractériser les faits sur le plan pénal et disciplinaire, et d'une certaine clémence générale. En 2023, on ne dénombrait au ministère des armées que 184 signalements de violences sexuelles ou sexistes, 48 protections fonctionnelles et 63 sanctions disciplinaires. Les inspecteurs proposent notamment de modifier le code de justice militaire afin que toute condamnation définitive à une peine d'emprisonnement pour viol, agression ou harcèlement sexuel entraîne la perte de grade et la radiation des cadres.

Le dernier aspect du rapport, qui produit en annexe une intéressante note d'étude complémentaire sur les écoles, est relatif à la prévention des violences sexistes et sexuelles. Ses auteurs suggèrent de mieux organiser les référents mixité, de mieux les former, de sensibiliser plus largement le personnel du ministère et en particulier le commandement dans le cadre de sa formation, et enfin de revoir profondément l'acculturation à ces questions au sein des écoles de formation initiale.

L'une des propositions centrales du rapport consiste à « passer à la vitesse supérieure en réorganisant en profondeur le dispositif actuel pour renforcer et prolonger l'action de Thémis ». La création d'un « programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes » est ainsi défendue, qui serait placé sous la direction d'un comité exécutif. Ce programme mettrait en oeuvre la stratégie d'ensemble du ministère, en s'appuyant sur : la chaîne de commandement responsable de la prévention et de la discipline, la cellule Thémis, une cellule d'observation des violences sexuelles et sexistes destinataire de tous les évènements de ce type et dotée des moyens de les cartographier, un responsable ministériel de la prévention des violences sexuelles et sexistes en charge de la cohérence et de la planification des formations dispensées ou externalisées, une plate-forme d'écoutants dédiée aux violences sexuelles et sexistes, et une association de protection des victimes agréée par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains dans le cadre d'une convention à établir par le ministère des armées.

Les rapporteures partagent l'essentiel des analyses et des recommandations du rapport mais s'interrogent sur son montage institutionnel. Les inspecteurs plaident à juste raison pour la professionnalisation de Thémis. Repositionner la cellule sur une fonction de tour de contrôle et de garante de la qualité des contrôles internes, dissocier le premier écoutant de la personne chargée du suivi d'une affaire, renforcer Thémis en compétences relatives au contentieux administratif et judiciaire, va dans le bon sens pour remédier notamment aux dysfonctionnements constatés par le Défenseur des droits dans la conduite des enquêtes administratives - curieusement non cité dans le rapport d'inspection51(*).

Les rapporteures s'interrogent toutefois sur le degré d'indépendance suffisante à l'égard du ministère que conserverait une cellule Thémis maintenue à sa place actuelle. S'il s'avère, comme l'écrivent les inspecteurs, qu'« un signalement « Thémis » est devenu stigmatisant dans les unités et que le rapport de force Thémis/chaîne hiérarchique en cas de divergence tourne rarement à l'avantage de la première », alors peut-être faut-il considérer de la doter d'une plus grande autonomie.

En Allemagne, le Wehrbeauftragte, ou commissaire parlementaire aux forces armées, cumule une fonction d'évaluation de la condition militaire et de destinataire des pétitions et saisines des militaires en cas de manquement aux respects de leurs droits fondamentaux. Sous ce double rapport - et hors considération de son statut constitutionnel et de la place qu'il occupe dans le débat public allemand, qui peut être regardée comme excessive -, il s'apparente ainsi à notre HCECM et à notre Défenseur des droits.

Si le rapport sur la révision du statut général des militaires de 2003, qui avait proposé la création du HCECM, avait alors refusé une telle inspiration, c'était au motif qu' « il existe déjà plusieurs procédures qui permettent à chaque militaire de défendre ses intérêts individuels s'il les estime lésés : recours hiérarchique, saisine de l'inspecteur général de son armée et du contrôle général des armées, saisine de la commission des recours militaires récemment créée et enfin recours contentieux devant la juridiction administrative. Il n'est donc pas nécessaire d'instaurer une nouvelle voie de recours »52(*). Ce constat reste exact, mais ces objections tombent en partie dans le cas des violences sexistes et sexuelles, peut-être plus difficiles à caractériser et à signaler dans le milieu militaire qu'ailleurs.

Pour l'heure, le rapport a donné lieu à l'actualisation de l'instruction ministérielle du 26 mars 202453(*). Celle-ci précise la conduite à tenir en cas de signalements d'actes de violence, de discrimination, de harcèlement, à caractère sexuel, et d'agissements sexistes au sein du ministère des armées, en matière de protection des victimes comme à l'égard des auteurs. Elle a été suivie d'un courrier du 16 avril 2024 du chef d'état-major des armées rappelant les obligations du commandement et la répartition des responsabilités entre les autorités militaires des différents niveaux hiérarchiques, de la mise en place d'un conseil consultatif sur les sujets impliquant le personnel féminin, de la diffusion de supports pédagogiques de formation des cadres et de la mise en place d'un suivi plus détaillé des faits de violences sexuelles et sexistes.

4. L'enjeu de la formation initiale interne, facteur de fidélisation

Les militaires du rang, dans l'armée de Terre, reçoivent une formation d'une durée de douze semaines, dispensée dans l'un des centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM), des brigades interarmes (BIA) et/ou des commandements spécifiques. La formation technique élémentaire est réalisée directement au sein des régiments selon la logique d'arme d'appartenance. Les militaires techniciens de l'air et volontaires militaires du rang de l'armée de l'Air et de l'Espace reçoivent, eux, une formation de huit semaines au centre de préparation opérationnelle du combattant, situé à Orange. Cette population atteint 1 200 militaires, en hausse de 30 % depuis 2019. Dans la Marine nationale, l'École des matelots forme les équipages sur quatre sites : Saint Mandrier, Cherbourg, Lanester et Hyères. Il s'agit de la porte d'entrée dans la Marine nationale pour les militaires du rang d'active : quartiers-maîtres de la flotte et volontaires. Cet ensemble forme 2 000 marins par année scolaire, ainsi que des apprentis marins.

Les 4 500 sous-officiers, recrutés sous contrat au niveau bac, suivent une formation initiale dispensée par une école propre à leur armée d'appartenance : l'École nationale des sous-officiers d'active, à Saint-Maixent, forme les sous-officiers de l'armée de Terre ; l'École de maistrance, à Brest et à Saint Mandrier, forme 1200 officiers mariniers par an ; enfin l'École de formation des sous-officiers de l'armée de l'Air et de l'Espace, à Rochefort, forme les sous-officiers de cette arme. Sa charge a doublé en 6 ans.

Les 1 500 officiers recrutés à bac+2 ou bac+5 sous contrat ou sur concours, suivent un cursus de plusieurs mois à plusieurs années dans des établissements d'enseignement supérieur propres à chacune des armées : les écoles de Saint Cyr-Coëtquidan pour l'armée de Terre, l'École navale et le groupement des écoles du Poulmic pour la Marine nationale et l'École de l'Air et de l'Espace à Salon de Provence pour l'armée de l'Air et de l'Espace.

Le ministère des Armées propose encore des formations professionnelles qualifiantes à des jeunes mineurs, en échange d'un engagement sous statut militaire par le biais de trois structures de l'enseignement technique et préparatoire militaire : l'école des mousses à Brest, l'école militaire préparatoire technique de l'armée de Terre à Bourges et l'École d'enseignement technique de l'armée de l'Air et de l'Espace, à Saintes. Ces trois écoles représentent actuellement 730 postes d'élèves. Les effectifs formés devraient atteindre 1 400 élèves à l'horizon 2030. Les élèves y sont préparés à occuper un emploi de militaire du rang ou de sous-officier et sont sélectionnés sur dossier mais sans condition de diplôme, depuis les classes de troisième ou encore après le BAC :

- L'École militaire préparatoire technique (EMPT) propose à plus de 150 élèves, à partir de la classe de première, quatre BAC professionnels dans les domaines de la maintenance aéronautique-système, la maintenance aéronautique-avionique, la maintenance des véhicules de transport routier, et la maintenance de systèmes numériques et réseaux informatiques. L'élève signe à la rentrée un contrat d'élève de l'enseignement technique de l'armée de Terre de deux ans avec une période probatoire de 6 mois puis, à l'issue de la formation, un contrat de sous-officier de l'armée de Terre de 9 ans permettant de rejoindre l'École de Saint-Maixent pendant 4 mois peut lui être proposé ;

- L'École des mousses forme chaque année gratuitement plus de 200 jeunes sans diplôme de 16 à 17 ans. Pendant l'année scolaire 2022-2023, 254 jeunes de 16 à 17 ans ont suivi cette formation. Signe de ce succès, un nouvel internat a été inauguré en décembre 2021 à Brest ;

- L'École d'enseignement technique de l'armée de l'Air et de l'Espace forme environ 300 élèves par an et environ 75 % d'entre eux intègrent l'armée de l'air et de l'espace en qualité de sous-officiers.

Le ministère des Armées a également étoffé son offre de BTS, construite en lien avec l'Éducation nationale pour apporter aux armées les compétences dont elles ont besoin dans des secteurs concurrentiels. un BTS atomicien a ainsi ouvert à Cherbourg en 2023, la montée en puissance d'un BTS cyberdéfense, informatique et réseaux, électronique à Brest en 2026 (cible 96 élèves), et d'un BTS mécatronique (mécanique et électronique) à Saint-Mandrier (cible 30 à 150 élèves), pour ce qui concerne les écoles d'enseignement technique de la Marine nationale.

Les BTS et bac pro sous la responsabilité du ministère des armées

Armée

BTS

Bac Pro

Terre

BTS Cyber (lycée militaire de Saint Cyr l'École)

70 à 80 par niveau, 140-150 élèves au total à la rentrée 2024.

Taux de sélectivité : 900 dossiers pour 70 places.

EMPT Bourges

- Bac-pro Aéronautique ;

- Bac-pro Maintenance des véhicules transports routiers ;

- Bac-pro Cyber, informatique, et réseaux électriques.

280 élèves en (2023), cible 500-600 à l'horizon 2028-2029.

Sélectivité : un peu moins de 2 pour 1.

Marine nationale

Aucun BTS ni bac pro géré directement, mais des partenariats avec des lycées :

- BTS Atomicien (lycée Tocqueville de Cherbourg en lien avec l'École des applications militaires de l'énergie atomique), ouvert en 2023, 30 élèves/an

- BTS Cybersécurité, Informatique et réseaux, Électronique au lycée Vauban en lien avec le CIN Brest, ouverture prévue en 2025. Flux : 48 élèves/an

Pas de bac pro au sein des écoles de la Marine nationale mais des partenariats avec 51 lycées de l'éducation nationale

Air et Espace

- BTS Aéro : 48 places maximum par an.

Option vecteur : 24 élèves

Option Avionique : 24 élèves

En 2023, il n'y a pas eu d'élèves pour l'option avionique car il y une refonte du contenu de l'enseignement mais la scolarité devrait reprendre en 2024.

École des arpètes (Saintes) : uniquement des BAC PRO, pas de BTS ni de CAP.

- Bac-pro Système Numérique : 24 élèves (qui deviendra Bac Pro Cybersécurité, Informatique et réseaux, Électronique (CIEL).

- Bac-pro AÉRO

Option Avionique : 48 élèves ;

Option Système : 72 élèves.

TOTAL : 144 élèves.

Source : DRH-MD.

Un dispositif de bourse au recrutement, sans condition de ressources familiales, a été développé depuis 2018. Une allocation financière spécifique de formation (AFSF) peut être versée à tout élève ou étudiant qui s'engage à souscrire un contrat à l'issue de sa formation académique. Le spectre des scolarités ainsi financées va du certificat d'aptitude professionnelle au diplôme d'études spécialisées. En 2023, l'enveloppe allouée était de 2 millions d'euros pour 416 allocations. L'enveloppe 2024 est fixée à 2,2 millions d'euros. Ce dispositif est en voie d'extension aux apprentis.

Les étudiants sont recrutés dès l'obtention de leurs diplômes et en fonction des plans de recrutement. Le recrutement du personnel sous-officier est la cible principale du dispositif. Les formations relatives aux systèmes d'information, à la maintenance et au renseignement sont prioritaires, mais toutes sont éligibles. Le dispositif peut également être utilisé pour recruter des officiers sous contrat.

Allocation financière spécifique de formation

FORMATION

 

Montant NET en

alloué par an

Durée du lien au service (nombre d'années

CAP ou titre RNCP de niveau 3

MDR

2 500 €

3 ANS

BAC PRO / TECHNO ou titre RNCP de niveau 4

SOFF ou MDR

3 000 €

BTS internalisé (SN/EC)

SOFF

1 500 €

BTS / DUT ou titre RNCP de niveau 5

SOFF

4 000 €

LICENCE PRO / BUT ou titre RNCP de niveau 6

SOFF ou OFF

4 000 €

LICENCE / BACHELOR ou titre RNCP de niveau 6

OFF

7 000 €

5 ANS

LICENCE / BACHELOR SIC, CYBER

de niveau 6

OFF

9 000 €

MASTER / DIPLOME OU TIRE D'INGENIEUR ou titre RNCP de niveau 7

MASTER SIC, CYBER de niveau 7

OFF

10 000 €

MASTER SIC, CYBER de niveau 7

OFF

15 000 €

Source : DRH-MD.

Le recul manque encore dans l'armée de terre pour mesurer l'impact sur la fidélisation de ces investissements en formation initiale, puisque la première cohorte sortie de l'EMPT n'intégrera l'École nationale des sous-officiers d'active en qualité d'engagé volontaire sous-officier qu'à partir de septembre 2024. Dans l'armée de l'air et de l'espace, la fidélisation plus longue du personnel formé précocement est très manifeste. Le temps de service des diplômés de l'École d'enseignement technique de Saintes s'établissait ainsi, ces quatre dernières années, à 24 ans scolarité incluse, alors que le temps de service est de 16 ans pour les sous-officiers entrés après le bac. En y ajoutant les élèves reclassés en militaires du rang en raison de l'insuffisance de leur niveau, environ 80 % des élèves restent dans l'armée de l'air. En 2022, le taux de départ de cette population s'est établi sous les 8 %.

Compte tenu de leur fonction, des investissements qu'ils exigent et de leurs coûts de fonctionnement, les dispositifs de formation sont parmi les derniers à s'adapter aux changements de direction impulsés à la politique de recrutement des armées. Si des efforts très remarquables ont été faits ces dernières années pour créer ou recréer les formations dont les forces ont besoin, les années de réduction des effectifs ont pesé d'un poids certain sur la stratégie en la matière.

Pour l'heure, les contraintes d'infrastructure conduisent trop souvent à privilégier les partenariats avec des écoles de l'Éducation nationale et le recours aux allocations financières spécifiques de formation et aux primes de lien au service. Quant à la création d'établissements nouveaux, il s'agit souvent de recréations. L'école des mousses, inaugurée en 2009, est ainsi la recréation d'une école créée en 1834, qui avait fermé en 1988, après 154 ans d'existence. L'EMPT, créée en 2022, est quant à elle l'héritière des anciennes écoles militaires préparatoires techniques de Montreuil-sur-Mer, active entre 1886 et 1924, de Tulle, active entre 1924 et 1967, de celle du Mans, qui a formé des jeunes gens entre 1947 et 1985, ainsi que des écoles d'Issoire : l'école d'enseignement technique de l'armée de Terre, puis l'école nationale technique des sous-officiers d'active, active entre 1963 et 1998.

Les rapporteurs estiment que le nouveau contexte géopolitique et la nécessaire remontée en puissance de nos armées impose de redonner un horizon ambitieux aux efforts de formation en interne des compétences utiles aux armées, et donc de formaliser une stratégie en la matière. Leurs échanges avec les armées ne leur ont pour l'heure pas permis de visualiser ce qui pourrait être la programmation des effectifs utiles et des investissements nécessaires, dans une optique éventuellement interarmées. Une telle politique devrait en outre poursuivre l'objectif d'une couverture géographique en établissements ou en formation conventionnées qui serait susceptible de minimiser le déracinement précoce d'élèves qui, somme toute, commencent leur formation professionnelle très jeunes, afin d'en attirer davantage.

Les observations faites récemment par la Cour des comptes sur l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan sont une bonne illustration de cette carence de réflexion stratégique. Les inspecteurs relèvent en effet que ni l'organisation des soutiens, ni les infrastructures, ni la gestion des ressources humaines ni la restauration ne sont dimensionnées pour absorber les conséquences du projet stratégique de l'école, qui prévoit une nouvelle hausse du nombre d'élèves de 14,5 % entre 2019 et 2025, et du projet de loi de programmation militaire, qui anticipe une hausse des besoins de formation de 10 % dès 2024 pour l'armée de Terre54(*). Les directions des ressources humaines des trois armées font aussi valoir que l'étroitesse de leurs infrastructures restera le premier frein à une politique de recrutement plus ambitieuse à court terme.

Cette question rejoint rapidement celle du format donné aux armées. Le caractère inabouti de la réponse apportée par la dernière loi de programmation militaire à cette question conduit à raisonner à un horizon temporel insatisfaisant. Les rapporteurs ne peuvent appeler qu'à reprendre la réflexion sur ce chapitre.

5. Un pilotage de la stratégie RH perfectible

Les rôles respectifs de l'état-major des armées (EMA), des DRH des trois armées et de la DRH du ministère (DRH-MD) ont été précisés par une instruction ministérielle à l'été 201955(*).

La DRH-MD est responsable de la conception de la politique RH que le secrétaire général pour l'administration du ministère soumet à l'approbation du ministre. Elle est en outre chargée de la gestion prévisionnelle des ressources humaines, du pilotage des emplois et compétences, du cadrage des référentiels en organisation et des systèmes d'information RH, de la programmation des flux d'effectifs, de la programmation et du pilotage des effectifs et de la masse salariale, de la coordination de la satisfaction par les gestionnaires des besoins en compétences et en emplois exprimés par les employeurs.

Les chefs d'état-major disposent d'une relative autonomie pour la gestion de leur personnel, notamment pour recruter, former, définir les parcours professionnels, gérer et administrer leurs effectifs de manière à entretenir un modèle répondant à leurs besoins sur les plans qualitatif et quantitatif.

Le rôle de l'état-major des armées (EMA), qui donne un avis sur la stratégie présentée au ministre, consiste à porter une position interarmées soucieuse de la satisfaction des besoins des employeurs qui le composent. Il est en outre responsable de la politique relative à l'encadrement supérieur militaire des armées, de la formation, de la condition militaire et du moral des armées, et participe à la concertation et au dialogue social.

La révision de la gouvernance de la fonction RH a fait l'objet d'échanges dans le cadre d'un cycle de travaux conduit par l'EMA et les armées fin 2023-début 2024. Ceux-ci semblent avoir mis en évidence le relatif sous-équipement de l'état-major des armées pour faire valoir les besoins des armées en termes de personnel. La stratégie RH étant difficilement détachable de la stratégie militaire elle-même, laquelle est élaborée par l'EMA, il est apparu nécessaire de remettre l'EMA au centre du dispositif, par la création en son sein d'une fonction d'officier général en charge de la stratégie RH. Au sein de l'EMA, le major général n'est en effet assisté aujourd'hui que de trois sous-chefs d'état-major et d'un officier général :

- le sous-chef opérations, qui a sous ses ordres le centre de planification et de conduite des opérations, la division emploi, la division forces nucléaires et le bureau géographie, hydrographie, océanographie et météorologie ;

- le sous-chef plans, qui assiste le major général des armées dans la définition du format des armées, leur cohérence capacitaire et les travaux de planification et de programmation ;

- le sous-chef performance, qui assiste le major général des armées en matière de pilotage, de transformation, et d'appui métiers ;

- un officier général chargé des relations internationales militaires est enfin chargé des relations militaires avec les armées étrangères et avec les structures militaires des organisations internationales, notamment de l'Union européenne et de l'Otan.

Les rapporteures rejoignent l'idée de replacer l'EMA au centre de la stratégie RH des armées, à la condition d'y loger suffisamment de moyens d'évaluation et de suivi. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) a déjà eu l'occasion de regretter l'absence d'instruments permettant de mieux observer les évolutions à l'oeuvre dans la société de nature à influer directement sur le recrutement des militaires, leur gestion et leur fidélisation, d'évaluer les politiques de ressources humaines mises en oeuvre, et de les corriger en fonction des résultats obtenus56(*).

Pour l'heure, les compétences consacrées à ces fonctions sont minces, et dispersées. Au sein de la DRHAT, la section moral-études sociologiques, intégrée au bureau chargé de la condition du personnel et de l'environnement humain, est constituée d'un sociologue, officier supérieur, et d'une équipe chargée de la préparation, de la mise en oeuvre et de la production des sondages et des résultats statistiques, elle-même composée d'un officier subalterne et d'un civil de catégorie B. La DRHAAE réalise pour sa part une étude en flux continu auprès de l'ensemble des jeunes recrutés ab initio, dont elle transmet les résultats au bureau du recrutement, mais aucune projection démographique n'est réalisée. Au sein de la marine, les études prospectives s'appuient sur des éléments fournis par les enquêtes internes menées par les services de la direction du personnel et des autres directions du ministère des armées, ainsi que sur les données disponibles en source ouverte.

II. UN PROBLÈME DE SOCIÉTÉ : (RE)CRÉER LES CONDITIONS D'UN RAPPROCHEMENT DE L'ARMÉE ET DU RESTE DE LA SOCIÉTÉ

L'attractivité des armées n'est pas qu'affaire d'efficacité administrative à cadre juridique constant. Rendrait-on le processus de recrutement parfaitement fluide et comblerait-on le personnel en poste que l'on n'aurait pas encore abordé le problème du moteur de l'engagement individuel au service de la Nation. Celui-ci procède d'une forme de prise de conscience dont les déterminants sont nombreux, et ressortissent en dernière instance à une certaine conception de la vie collective, qui ne se décrète certes pas, mais qui peut être infléchie, orientée ou inspirée.

A. AUGMENTER LA SURFACE DE CONTACT ENTRE LE MONDE MILITAIRE ET LE MONDE CIVIL

1. L'engagement dans l'armée, une vocation très spécifique
a) Une crise de l'État plus générale, que manifeste la réduction du vivier des candidats au fonctionnariat

Au sein du rapport entre la demande et l'offre d'emploi, sans doute faut-il considérer plus précisément l'appétence pour les emplois publics, et les métiers de la sphère régalienne en particulier.

La direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) observait dans son avant-dernier rapport annuel que « depuis le milieu des années 1990, le nombre de candidats participant à ces concours est en baisse, le nombre moyen de candidats pour un poste offert étant passé de 16 en 1997 à six aujourd'hui »57(*).

Évolution de la sélectivité des recrutements externes dans la fonction publique d'État, par catégorie hiérarchique

Source : DGAFP.

La DGAFP encore : « en 2022, alors que le nombre de postes ouverts a augmenté, le nombre de recrutements externes dans les corps de fonctionnaires de l'État s'est, lui, réduit de 7 % »58(*), en raison du fait que certains concours n'attirent pas suffisamment de candidats pour le nombre de postes offerts, que certains candidats se désistent après avoir été admis, ou encore que le niveau des candidats présents est jugé insuffisant par rapport aux exigences du concours. L'essentiel de ce déficit provient des concours de recrutement des enseignants du premier et du second degré, mais les autres ministères sont également concernés.

Évolution du nombre de postes offerts et de recrutés aux recrutements externes dans la fonction publique d'État

Source : DGAFP59(*).

Le dernier rapport en date de la DGAFP souligne que les sorties de la fonction publique sont en hausse de 13 % en 2021 par rapport à l'année passée, moyenne qui dissimule une hausse de 5 % pour les fonctionnaires et de 21 % pour les contractuels, et qui atteint le niveau le plus élevé depuis 201660(*). Ce niveau de sorties crée des vacances de postes et contribuent à la saturation de l'offre de formation.

Nombre de fonctionnaires et de contractuels de la fonction publique entrants et sortants depuis 2016 (en milliers)

Source : DGAFP, rapport précité.

Comparons plutôt avec les autres professions comparables sur le plan fonctionnel, à savoir les forces de sécurité intérieure. Ces dernières sont également confrontées à des tensions fortes sur les effectifs, alimentées par des flux de départs élevés, compensées par une politique de recrutement qui n'est que péniblement couronnée de succès.

La Cour des comptes notait ainsi en 2023 : « Depuis la crise sanitaire, les forces de sécurité intérieure rencontrent des difficultés croissantes à recruter et fidéliser leurs effectifs. Les départs au sein de la police et de la gendarmerie nationales sont en nette augmentation : les départs de policiers actifs (hors policiers adjoints et départs à la retraite) sont passés de 2 358 en 2019 à 3 823 en 2022. Les démissions en école ont également tendance à croître, au sein de la police nationale comme de la gendarmerie nationale. Pour cette dernière, elles sont passés de 1 822 démissions en 2019 à 2 283 en 2022. Bien que modérés au regard du volume total des personnels - près de 250 000 - ces départs sont une tendance durable mettant en lumière une difficulté croissante à fidéliser les personnels »61(*).

Cette situation rend de plus en plus difficile la réalisation des schémas d'emploi positifs. Sur la période 2023-2027, le ministère de l'intérieur prévoit le recrutement de 8 500 policiers et gendarmes supplémentaires, dont près de 5 000 recrutements sur les seules années 2023 et 2024. Le schéma d'emplois pour 2023 était donc le plus ambitieux depuis 2016. Dans le cas de la police comme dans celui de la gendarmerie, les objectifs ont été atteints, puis légèrement dépassés.

La Cour des comptes observe cependant que « Pour répondre à l'objectif politique d'un « recrutement massif de policiers et de gendarmes », les responsables de programme sont contraints de dégrader la qualité des recrutements et des formations, d'autant que les viviers de recrutement s'assèchent peu à peu », en observant que « les forces de l'ordre entrent en concurrence avec d'autres recruteurs comme les polices municipales, les sapeurs-pompiers, la sécurité privée et les forces armées, tous amenés à croître dans les prochaines années »62(*).

b) La condition politique contemporaine ne laisse de toute façon à l'engagement militaire qu'une place résiduelle

Notre conception de la vie collective puise à deux traditions philosophiques qui sont, sous le rapport de l'engagement dans l'armée, antinomiques. Pour la tradition républicaine, d'inspiration antique ou rousseauiste, le sacrifice pour la cité est le prolongement logique de la citoyenneté. Dans la tradition libérale, la défiance à l'égard du pouvoir et la résistance à l'autorité maintiennent l'obligation militaire dans un angle mort de la pensée politique. « D'un côté l'éthos guerrier et la mort pour la patrie comme devoir du citoyen, de l'autre la conservation de sa vie comme droit absolu de l'individu » 63(*).

Sans doute n'est-il pas besoin de longs développements pour illustrer la progression, depuis deux siècles, de la tentation d'un chacun de se replier sur la jouissance de son quant-à-soi, dynamique que la suspension du service militaire, en 1996, n'a fait que parachever : « l'individu moderne, puis contemporain, préférera toujours acheter sa sécurité - se faire représenter dans la fonction militaire - avec toutes les incertitudes liées à cette solution, plutôt que de se sacrifier pour la communauté politique, geste auquel il ne trouvera par ailleurs ni utilité ni panache, et qu'il préférera, sincèrement, déconsidérer »64(*).

La question, pourtant politique par excellence, du pro patria mori n'a ainsi subsisté qu'à l'état de traces, que la persistance du phénomène guerrier empêche d'effacer totalement. Celle-ci « peut parfois porter la société individualiste-libérale à réinjecter l'idéologie patriote - ou un substitut - en son sein. On exhumera alors pour l'occasion - et, il faut bien l'avouer, souvent sans conviction - la tradition de l'humanisme civique. [...] C'est seulement ainsi que peut persister, en marge du libéralisme moderne et de sa conception dominante d'une liberté individualiste et négative, la tradition républicaine rendant concevable un discours sur le sacrifice patriotique, quand les circonstances l'imposent »65(*).

La chose est peut-être d'autant plus marginale dans des sociétés en proie au doute. Bénédicte Chéron, historienne et spécialiste du fait militaire, résumait clairement la situation dans un article récent : « Dire que la société française traverse une crise de cohésion est devenue une banalité. L'Archipel français de Jérôme Fourquet, publié au Seuil en 2019, a connu un tel succès que son titre et son dérivé (l'« archipellisation ») sont devenus des expressions ordinaires du débat public. Tout récemment encore, analysant le baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (cevipof), Luc Rouban a quant à lui évoqué une « république désintégrée » et un scénario « pire » que celui de l'archipellisation : « [...] Ce que nous décelons est plus grave : c'est l'anomie, l'absence de normes ou de valeurs communes. [...] Près de la moitié des Français enquêtés (45 %) ne se sentent pas appartenir à la communauté nationale, ni à aucune autre communauté de langue, de religion, de valeurs... La France n'est plus un archipel, c'est un pays de naufragés »66(*).

Quoi qu'on pense au juste de la pertinence de ces grilles d'analyse sociologiques, le doute sur l'avenir concerne surtout les plus jeunes, qui appartiennent à des générations qu'il n'est plus rare, surtout depuis la sortie de la crise sanitaire liée à la covid-19, de qualifier de sacrifiées67(*). Ces hypothèses invitent à des conclusions spéculatives variées et possiblement contradictoires. L'engagement militaire peut être perçu comme moyen de s'arracher à la tentation du nihilisme dans une société en déclin. En sens inverse, qu'attendre de la jeunesse en termes d'engagement dans les armes « si cette jeunesse conserve le sentiment d'être sacrifiée ou précarisée ? Pourquoi se sentirait-elle tenue de défendre, le cas échéant, des lois établies dont elle ne percevrait pas le caractère égalitaire et les bienfaits ? »68(*).

L'équité oblige à constater que les plus jeunes ne sont pas les seuls à faire des choix de vie guidés par l'utilitarisme et que l'érosion de la tentation de l'engagement désintéressé peut être observée en haut de la pyramide hiérarchique. La commission d'enquête sénatoriale sur les cabinets de conseil s'était ainsi penchée sur le pantouflage des officiers généraux entre 2018 et 2021, dont la réorientation était soumise à un avis de la commission de déontologie des militaires. Elle a ainsi relevé que six officiers généraux ont rejoint un cabinet de conseil sur cette période, quand 54 créaient leur propre structure de conseil, dynamique que la commission ne voyait alors pas se tarir69(*).

Quoi qu'il en soit au juste, l'engouement pour le métier des armes se décrète difficilement dans la conscience politique collective. Certains registres d'évocation de l'institution militaire peuvent avoir des effets ambigus, tel celui d'un conservatoire de valeurs en voie d'extinction dans le corps social. Comme le note finement Bénédicte Chéron, « par une sorte d'écrasement de la hiérarchie entre les fins recherchées et les moyens mis en oeuvre pour les atteindre, s'est en effet installée l'idée que des « valeurs militaires » pouvaient permettre de réparer ce qui, dans la société, apparaîtrait comme cassé ou dysfonctionnant. [...] L'effacement de la finalité combattante, qui a longtemps présidé aux destinées de cette communication, a pu laisser penser aux Français que les armées étaient devenues une sorte de conservatoire de valeurs »70(*).

Un deuxième registre fréquent est celui de l'efficacité et de la fiabilité, que reflète la bonne image des armées dans l'opinion. Or la confiance qu'on lui accorde peut n'être que l'expression d'une forme de satisfaction de n'avoir plus à y participer depuis le passage à l'armée de métier. Comme l'observe la sociologue Barbara Jankowski, « Cela fait vingt ans que les armées sont composées uniquement de militaires professionnels et ce changement a très largement contribué à la bonne image des armées. Dans les sondages, l'amélioration de l'image des armées s'est nettement accentuée à compter de l'annonce de la professionnalisation et n'est depuis plus jamais redescendue sous le seuil des 80 % d'avis positifs »71(*).

Les enquêtes ultérieures n'ont pas démenti ce constat. D'après le rapport de la Délégation de l'information et de la communication de la défense (DICoD) publié en 201772(*), la France est le pays européen où la confiance en l'armée a le plus progressé au cours de la dernière décennie, avec une augmentation de 20 points depuis 2006. Parmi les grandes institutions françaises, l'armée figurait en tête aux côtés des hôpitaux en termes de confiance du public : 82 % des Français déclarent avoir confiance en l'armée, dont 23 % affirment avoir une confiance « très élevée ». Les militaires sont par ailleurs perçus comme les principaux porteurs des valeurs de la République, 33 % des Français les identifiant comme tels, loin devant les maires (18 %), les enseignants (17 %), et les policiers (15 %).

L'image des armées a, si l'on peut dire, bénéficié des attentats de 2015, qui ont entraîné une hausse tendancielle de la confiance : en 2017, l'opinion favorable envers les armées atteignait son niveau le plus haut jamais enregistré, avec 88 % des sondés ayant une bonne opinion de l'institution. Ce phénomène s'observe également chez les jeunes : parmi les moins de 30 ans, 72 % jugent les armées françaises « rassurantes », 75 % les trouvent « efficaces », et 84 % les considèrent « professionnelles ».

Un autre rapport, celui d'OpinionWay pour le Centre d'étude et de perspective stratégique (CEPS) publié en 202173(*), confirme cette tendance. Selon cette étude, 86 % des Français ont une bonne image de l'armée française, un chiffre qui atteint 93 % chez les plus de 65 ans et 81 % chez les moins de 35 ans. De plus, 81 % des répondants estiment qu'il est avantageux pour la France de disposer de l'arme nucléaire, tandis que 68 % considèrent que l'attention accordée à l'industrie de défense est suffisante.

Les données récentes de l'observatoire économique de la défense, confirment que l'armée française reste l'une des institutions les plus fiables aux yeux des citoyens74(*). L'armée arrive en deuxième position des institutions suscitant le plus de confiance, avec 81 % des sondés français lui faisant confiance, derrière le personnel médical et de santé (86 %) et devant la police (71 %). Ce niveau de confiance est supérieur à la moyenne des États membres de l'Union européenne, qui s'établit à 74 %. La France est ainsi le troisième pays européen où la confiance en l'armée est la plus forte, derrière la Finlande et la Suède.

Les conséquences du regain de conflictualité en Europe depuis 2022 ne semblent pas encore précisément mesurables. D'un côté, il met en lumière la politique de défense et le rôle essentiel des armées pour une jeunesse en quête de sens mais, en sens inverse, il génère de l'incertitude. Une étude commandée par la DGRIS et réalisée par le centre d'études sociologiques de Sciences Po75(*), présentée le 12 avril 2024, s'est efforcée de mesurer la perception par les jeunes des enjeux du conflit en cours. Elle conclut à l'existence de quatre profils-types de jeunes gens :

- le premier groupe, le plus important, représente 35 % des jeunes. Ceux-ci se caractérisent par une « perception aiguë du risque de guerre dans les années qui viennent et par une disposition affirmée à l'engagement dans les armées, impliquant une plus grande acceptabilité des conséquences physiques et psychologiques pouvant en découler ». Ils sont nettement plus enclins que les autres à envisager la possibilité d'être blessés ou de mourir au combat. Ce groupe rassemble en plus grand nombre des jeunes hommes, issus en majorité des catégories populaires, et témoignant d'une orientation idéologique « plutôt à droite » ou « ni à gauche ni à droite » ;

- Le deuxième groupe réunit un quart des jeunes de l'enquête. Plus diplômés et actifs que la moyenne, ils sont prêts à un engagement en cas de guerre dans leur pays et prêts à se battre en tant que civils, mais nettement moins disposés à en subir les conséquences pour eux-mêmes sur le plan physique comme sur le plan psychologique. Leur intérêt pour les questions militaires est moindre, mais la majorité d'entre eux pense que ce serait une bonne chose d'instaurer un service militaire obligatoire ;

- Le troisième groupe, qui représente 19 % de l'ensemble, est celui que les auteurs appellent « humanitaires pacifistes ». Il est enclin à l'engagement citoyen et humanitaire, mais pas militaire. Il s'intéresse peu aux questions militaires, davantage au risque climatique, aux catastrophes environnementales, ou aux inégalités sociales. C'est un groupe majoritairement féminin, sensiblement plus diplômé, et plus à gauche que l'ensemble considéré ;

- Le dernier groupe rassemble 21 % d'« indifférents non concernés », qui ne sont prêts à aucun engagement, ni militaire, ni civil, ni citoyen, ni humanitaire. Peu préoccupés par la guerre, ces jeunes sont davantage que les autres préoccupés par le pouvoir d'achat. Il rassemble un peu plus de jeunes femmes, en plus grand nombre des jeunes un peu moins diplômés que la moyenne et des jeunes actifs en emploi. Leur positionnement politique à la fois moins déterminé et moins affirmé.

Ces considérations trop générales peuvent fonder diverses formes de circonspection autant que satisfaction devant les perspectives de recrutement dans l'armée. Elles pointent en toute hypothèse vers la conclusion provisoire que le gain d'épaisseur que l'on souhaite donner à nos armées imposera d'insuffler suffisamment d'esprit civique pour rendre les mondes civil et militaire plus perméables l'un à l'autre, voire abaisser les barrières qui les séparent.

2. Rendre les militaires visibles 

Lors de son audition devant la commission de la défense de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2023, le chef d'état-major des armées reconnaissait un « réel problème de visibilité » des militaires : « je crois qu'entre 50 % et 75 % des Français peuvent passer la totalité de leur vie sans n'avoir finalement jamais été au contact d'un militaire »76(*). Si le général Burkhard n'en tirait alors argument que pour évoquer le rôle de l'éducation nationale, des parlementaires, et des exercices d'envergure tel qu'Orion, son propos mérite d'être étendu à la visibilité des militaires, au sens le plus large du terme, par l'ensemble des citoyens.

La première dimension de la chose est relative à la présence géographique de l'armée sur le territoire. La réforme de la carte militaire annoncée en 2008, dictée par l'objectif de mieux répondre aux besoins opérationnels des armées et insoucieuse d'aménagement du territoire, s'est traduite, entre 2008 et 2015, par la fermeture de 82 unités, dont 15 régiments, 10 bases aériennes, une base aéronavale et le retrait du service actif de 14 bâtiments de la Marine nationale. Le transfert de 47 unités dans le cadre des densifications a certes eu des effets positifs en termes d'emplois pour une soixantaine de communes, mais la libération de 262 emprises et le départ de 26 communes a profondément déséquilibré la carte de la présence militaire dans l'hexagone.

L'armée de terre est aujourd'hui absente de 30 départements français, soit près d'un tiers du territoire, où les jeunes Français, qui sont déjà la première génération dont les parents n'ont pas fait leur service militaire, peuvent grandir sans jamais croiser un soldat. C'est ainsi le cas dans une grande partie de la Normandie, dans l'Orne et le Calvados, mais aussi en Mayenne, en Vendée ou dans les Côtes d'Armor.

Mais il y a plus : la carte des implantations militaires, dont les déterminants ont été stratégiques et budgétaires, reste très décorrélée des variables de l'attractivité des territoires. Une récente étude du service économique du ministère a bien montré que l'armée de terre reste présente dans les zones d'emploi où elle était très implantée historiquement, à savoir, prioritairement, dans les villes moyennes et petites, dans ce que l'Insee appelle la « diagonale des faibles densités », ainsi que dans des villes qui sont accompagnées par des politiques publiques de revitalisation des territoires77(*).

Un tiers des effectifs de l'armée de terre, soit 33 500 personnes, est situé dans la diagonale d'orientation Nord-Est - Sud-Ouest, où la majorité des zones d'emploi présente une évolution de l'emploi sur la période 1975-2018 inférieure à la moyenne nationale. « La part des effectifs de l'armée de Terre situés dans les zones d'emploi à économie diversifiée, c'est-à-dire les zones d'emploi qui ont perdu au fil des décennies leurs spécialisations industrielle ou agricole, est 2,4 fois plus élevée que la part de l'ensemble des employés publics et privés (tous les secteurs d'activité confondus) ; elle y est également 1,17 fois plus élevée que la part des employés publics (ensemble des administrations publiques, dont les emplois de la Défense). À l'inverse, l'armée de Terre est nettement sous-représentée dans les métropoles ».

Répartition des effectifs du domaine fonctionnel « Terre » et évolution de l'emploi total dans les zones d'emploi correspondantes

Source : étude Ecodef précitée.

Cet état de fait ajoute une difficulté supplémentaire au problème de l'attractivité des armées. La forte hausse de la part des conjoints de militaires ayant un emploi, la transformation des menaces contre lesquelles les armées nous prémunissent - le caractère diffus du risque terroriste, par exemple -, la plus grande dépendance des armées aux compétences techniques spécifiques, tous ces facteurs accroissent la tension entre l'implantation géographique héritée de l'histoire et les besoins actuels des forces. Aussi le rapporteures s'interrogent-elles sur l'opportunité de doter les plans de transformation opérationnels des armées d'un objectif de couverture minimale de l'ensemble du territoire en implantations militaires de toutes natures.

La question de la visibilité des militaires peut s'appréhender de manière plus terre à terre. Comme le relevait le Haut comité d'évaluation de la condition militaire en 2017, « la fonction militaire se caractérise pour la population par des signes extérieurs qui revêtent aux yeux des militaires une réelle importance »78(*). « Lors des auditions, de nombreux officiers ont exprimé clairement leur regret d'être mal connus et reconnus par leurs concitoyens. Ainsi, ceux qui ont eu l'occasion de travailler ou étudier à l'étranger au sein de forces armées de pays alliés se sont émus de ce que, alors qu'aux États-Unis, des enfants croisant des militaires dans la rue viennent les saluer et leur exprimer une forme de gratitude, rien de tel ne se passe en France où, au demeurant, le port de l'uniforme dans la vie civile est extrêmement restreint »79(*).

Ces propos rejoint les préoccupations exprimées en audition par un grand nombre de militaires, désireux que leur engagement au service de la collectivité soit vu et, si possible, reconnu à sa juste valeur. En France, les récents attentats ont conduit à systématiser les interdictions du port de la tenue militaire dans l'espace public, par exemple sur le trajet travail-domicile. Celles-ci ont depuis été en grande partie levées, mais certaines habitudes de discrétion subsistent, ce qui conduit les rapporteures à préconiser d'encourager, outre la mise en oeuvre des diverses mesures de reconnaissance symbolique poussées par le HCECM à longueur de rapports, celle de toute mesure favorisant l'identification du statut militaire dans la vie de la cité, afin de ne jamais déshabituer totalement nos concitoyens de la vue de ceux qui les protègent.

3. Rendre les militaires plus audibles : (re)faire de l'armée un acteur important de la vie collective
a) Parler à tous 

Les militaires sont tenus au respect d'une version relativement stricte de devoir de réserve, pour des raisons aisément compréhensibles tenant à l'obligation de neutralité et à la préservation du secret entourant la défense nationale. La loi de 2005 a fait un progrès en supprimant l'autorisation préalable du ministre pour l'évocation de questions politiques ou mettant en cause une puissance étrangère ou une organisation internationale. Son article 4, codifiée dans le code de la défense80(*), dispose que les militaires ne peuvent exprimer d'opinions qu'« en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire », notion que la jurisprudence apprécie en tant que de besoin.

L'idée selon laquelle les militaires sont trop peu audibles dans l'espace public, toutefois, semble désormais relativement répandue.

Elle l'est bien sûr par les officiers qui enseignent et qui écrivent. Se réclamant du général Beaufre selon qui, puisque la stratégie est un processus d'innovation permanente, « la discipline doit être stricte, mais la pensée militaire libre », le général Vincent Desportes considère que les militaires ont, au-delà du devoir de réserve, un « devoir d'expression spécifique »81(*). L'expression critique n'est pas qu'un moyen, selon lui, de lutter contre l'engourdissement intellectuel qui précède la défaite stratégique, c'est aussi le devoir de chaque composante de la Nation à l'égard de celle-ci.

Le HCECM estimait pour sa part en 2017 que « pour conforter la place de la fonction militaire dans l'espace public, la question de l'expression des militaires se pose », et que si un point d'équilibre entre le devoir de réserve et la liberté d'expression est certainement difficile à trouver, « le déséquilibre actuel est nettement en faveur du silence. Il serait paradoxal et en réalité dangereux que les professionnels soient de facto interdits de parole »82(*).

La directrice des affaires juridiques du ministère83(*) relève que le silence imposé par le devoir de réserve peut conduire à une « autocensure suspecte » et aller de pair avec un « sentiment d'extranéité croissant ». Or la participation des militaires au débat national se présente aujourd'hui sous un jour nouveau, car le contexte historique n'est plus à la méfiance, car l'image des armées n'a, de fait, jamais été aussi bonne depuis des décennies et, enfin, car des évolutions notables ont eu lieu avec la création d'associations professionnelles nationales ou encore la possibilité pour les militaires d'exercer un mandat électoral.

On lit encore dans la doctrine la plus spécialisée sur ces questions, sous la plume du professeur Jean-Christophe Videlin, que « les analyses publiques de certains militaires sont riches, mais elles manquent d'une approche suffisamment critique. Pourtant, ceux qui pratiquent les cercles militaires savent que l'armée compte dans ses rangs nombre d'esprits brillants et acérés, qui n'hésitent pas à faire un état des lieux éclairant de la politique de défense de la France sans aucunement remettre en cause l'autorité civile ni militaire. Cette liberté est donc utile en termes de retour d'expérience et d'analyse prospective »84(*).

Il est incontestable que la liberté d'expression des militaires ne doit à aucun prix dériver vers critiquer l'autorité politique, ni former le prétexte à celle des opérations militaires en cours, et que sa restriction doit être accrue pour les officiers généraux nommés en conseil des ministres. Cela étant, puisque « la science militaire est une partie essentielle du système du savoir humain »85(*), il est regrettable que les savants dans cette discipline ne se voient pas reconnaître une certaine liberté d'exprimer leurs vues dans une perspective scientifique et, d'une certaine manière, que soit refusé à ceux qui s'y consacrent - et sous réserve peut-être de les identifier par un statut spécifique - le bénéfice du principe constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs.

Favoriser cette expression nécessitera sans doute davantage d'efforts de structuration du champ intellectuel et académique.

L'IHEDN est le principal acteur institutionnel chargé de réunir des responsables de haut niveau des différents secteurs d'activité de la Nation « en vue d'approfondir leur connaissance des questions de défense », de préparer à l'exercice de responsabilités « de cadres supérieurs militaires et civils, français ou étrangers, exerçant leur activité dans le domaine de la défense », et de promouvoir et diffuser « toutes connaissances utiles en matière de défense, de relations internationales, d'armement et d'économie de défense »86(*).

Son volet national s'articule autour d'une session nationale unique comprenant depuis 2021 un socle commun et cinq majeures, auquel s'ajoutent des sessions annuelles en région - six à partir de 2022, dont une en outre-mer -, des cycles jeunes en région - huit depuis 2024, dont un en outre-mer -, et des sessions spécialisées, en intelligence économique et internationales.

Cette diversification des modules de formation est remarquable, et ils attirent un public croissant - les 545 candidatures reçues pour la session 2023-2024 sont en augmentation de 15% par rapport à la session précédente, et de 37% par rapport à la session nationale 2021-22. Les volumes de personnes ainsi formés continuent toutefois de conférer une forme d'élitisme : les sessions en région ont formé 15 000 auditeurs depuis 1954, les cycles jeunes 9 000 jeunes depuis 1996, les cycles spécialisés 8 100 cadres depuis 1995. La faible diversité sociale du recrutement est en outre parfois soulevée.

Dans sa mission de diffusion des connaissances et de soutien à la recherche, l'IHEDN publie des veilles stratégiques mensuelles, des notes d'analyse stratégique diffusée plusieurs fois par an. Elle déploie en outre une ambitieuse politique éditoriale, avec la publication hebdomadaire d'articles de décryptage des questions de défense au sens large. Ces contenus plus grand public connaissent un certain succès, dont attestent les bons chiffres de la fréquentation du site et les statistiques de diffusion.

Depuis 2014, l'IHEDN s'est investi dans le soutien à la recherche au travers de prix scientifiques. En dix ans, plus de 50 étudiants ont été ainsi mis à l'honneur. Les relais avec le monde universitaire et académique progressent mais restent trop largement tributaires de liens interpersonnels.

Le monde universitaire s'est toutefois largement ouvert à ces problématiques. Il comprend aujourd'hui sans doute plus de 80 masters qui touchent, sous un angle ou un autre, aux affaires de relations internationales et de défense nationale. Le lancement, en 2023, de l'Académie de défense de l'École militaire (Academ), qui rassemble 23 organismes du domaine de la recherche ou de la formation de dirigeants, vise à renforcer les synergies entre les univers de la défense et de l'université. Ensemble unique en Europe et peut-être dans le monde, l'Academ témoigne du rôle que peut jouer l'IHEDN dans le soutien à ces domaines disciplinaires, lequel ne doit pas être relâché. Aussi le financement de la recherche en général, et de l'IHEDN en particulier, doit-il être renforcé.

b) Parler aux jeunes en particulier

L'enseignement de défense a été rendu obligatoire par le législateur en 1997, à la suite de la suspension du service national87(*). Le code de l'éducation dispose désormais que « les principes et l'organisation de la défense nationale et de la défense européenne ainsi que l'organisation générale de la réserve font l'objet d'un enseignement obligatoire dans le cadre de l'enseignement de l'esprit de défense et des programmes de tous les établissements d'enseignement du second degré. Cet enseignement a pour objet de renforcer le lien armée-Nation tout en sensibilisant la jeunesse à son devoir de défense »88(*). Les modalités de son enseignement sont laissées à l'initiative des professeurs, à partir d'un programme qui concerne plus particulièrement l'histoire-géographie et l'éducation morale et civique.

Une circulaire de 201689(*), dans le contexte spécifique postérieur aux attentats de 2015, a précisé le protocole signé la même année entre les deux ministères. Elle se place dès son introduction dans la continuité du premier protocole signé entre l'éducation nationale et la défense, par l'intermédiaire de leurs ministres respectifs Alain Savary et Charles Hernu, le 26 septembre 1982. La « symbiose avec l'éducation nationale » que défendait alors Charles Hernu90(*) s'entendait dans le cadre d'une réforme du service national visant à englober la défense civile et des missions d'intérêt général.

Le contenu de cet enseignement prévu par les textes est, d'abord, assez intimidant, puisqu'il est prévu que cet enseignement « s'articule avec la Grande Mobilisation de l'École pour les valeurs de la République, le parcours citoyen [...] et l'enseignement moral et civique », mais aussi, dans une « logique interdisciplinaire », avec « l'éducation au développement durable », ce qui permet d'inclure « les risques majeurs techniques, industriels, environnementaux, comme les thèmes de prolifération s'agissant des risques nucléaires, biologiques et chimiques ». De même, sont jugées « indispensables aux futurs acteurs » la sensibilisation « à la défense économique, à la protection du potentiel scientifique et technique de la Nation, à la protection du patrimoine culturel et de la propriété intellectuelle ».

L'enseignement de défense n'étant pas une discipline en soi, la forme qu'il prend en effet est variable. Les enseignements d'histoire, géographie et l'enseignement moral et civique en est le principal support en classe de 5e-3e. Le volume horaire de l'enseignement moral et civique est cependant limité, et les questions de défense souvent réduites à la portion congrue.

Le dispositif le plus prometteur est celui des « classes de défense et de sécurité globale » ou CDSG. Créées en 2005 et mentionnées par le protocole de 2016, elles procèdent d'une initiative d'une équipe pédagogique et consistent en un projet interdisciplinaire en partenariat avec une unité relevant des forces de défense et de sécurité, « marraine » de la classe. Un protocole a été signé le 16 décembre 2021 entre le ministère des armées et celui de l'éducation nationale, visant à développer les partenariats dans ce cadre. D'après le site du ministère des armées, il existe actuellement plus de 475 classes de défense réparties sur l'ensemble du territoire, impliquant plus de 11 875 élèves et plus de 200 entités des armées, directions et services91(*). Selon le projet pédagogique et l'unité marraine, la classe peut revêtir l'option « cyber », « Croix-Rouge », « service de santé des armées », ou « enjeux maritimes », ce qui contribue grandement à l'intérêt du dispositif.

D'une manière générale, ces classes remportent une large approbation, mais leur nombre reste beaucoup trop faible pour en escompter un résultat général rapide sur le lien armée-Nation. Les obstacles à leur développement tiennent essentiellement à la sanctuarisation des heures qui leur sont consacrées, aux moyens financiers nécessaires à de menus déplacements, et à l'inégale distribution géographique de ces classes en raison de l'empreinte territoriale des armées.

Le deuxième pilier de la circulaire de 2016 est relatif à la « promotion de l'esprit de défense et de l'engagement ». Il met l'accent sur l'effort de formation initiale et continue des enseignants, avec l'appui des armées, et rappelle le volet social du protocole. Enfin, la circulaire détaille la mise en réseau des acteurs concernés par cette politique. Les principaux, au niveau régional et académique, sont les trinômes académiques placés sous l'autorité du recteur et comprenant des représentants du ministère des armées, de l'éducation nationale et de l'association régionale des auditeurs de l'IHEDN. Localement, les trinômes travaillent avec les relais défense des établissements, lorsqu'ils existent. Le millefeuille schématisé par le rapport d'une récente mission d'information de l'Assemblée nationale donne une idée saisissante de la complexité de l'écosystème92(*).

Les rapporteurs députés concluent à la nécessité de renforcer l'interdisciplinarité de l'enseignement de défense - en le croisant avec l'éducation aux médias, à l'information, à l'éducation artistique, au développement durable encore -, de muscler la formation des enseignants sur les enjeux de défense, d'introduire un cours spécifique sur cette question, ou encore de développer le sport comme levier de sensibilisation. Ils estiment enfin qu'« il est impératif de rappeler que les politiques d'éducation à la défense nationale que soutiennent les armées ne s'inscrivent pas dans un objectif de recrutement ».

Toutes les initiatives visant à renforcer l'enseignement de défense à l'école sont bien sûr à encourager, mais cet enjeu semble d'importance relative lorsqu'il est rapporté à l'ensemble des défis que doit relever l'éducation nationale et son corps enseignant dans la mise en oeuvre des programmes, d'application de directives transversales, ou de formation. Il est en outre exact que l'enseignement de défense ne saurait avoir pour objectif de recruter.

Le recrutement de mineurs au sein des armées britanniques et allemandes

Aucun membre de l'Union européenne ni aucun autre membre de l'Otan ne recrute aussi précocement que l'armée britannique : les jeunes peuvent rejoindre l'armée à partir de leur seizième anniversaire et peuvent déposer une candidature cinq mois plus tôt.

Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a fait part de ses préoccupations à ce sujet en 2023, observant qu'en 2021, les forces armées britanniques avaient recruté 2800 enfants âgés de 16 à 17 ans, portant leur part à 23% des effectifs, soit la proportion la plus élevé depuis 201193(*). Selon certaines études, l'armée britannique concentre en outre son recrutement dans les zones socio-économiques défavorisées : la représentation des 16-18 ans de ces quartiers seraient d'environ 60 % supérieure à celle des jeunes des autres quartiers94(*).

La question n'a pas été sans susciter des vives critiques relatives à ce qui est parfois perçu comme une tentative d'embrigadement de la jeunesse. En janvier 2024, le ministère de la défense britannique a été contraint d'annuler un événement promotionnel, pourtant réservé aux adultes, autour du jeu vidéo Fortnite, pour ne pas alimenter l'accusation de cibler les enfants95(*).

En Allemagne, où il est possible de s'engager dans l'armée dès 17 ans, avec l'accord du responsable parental, la Bundeswehr a recruté au total 7 681 mineurs au cours des cinq dernières années. C'est ce qui ressort d'une réponse du ministère fédéral de la Défense au groupe de gauche du Bundestag. Un record a été enregistré en 2023 avec 1 996 recrues de moins de 18 ans, après 1 773 l'année précédente. Ces chiffres ont suscité quelques critiques parmi les groupes de la moitié gauche du Bundestag96(*).

Les rapporteures croient davantage au potentiel des dispositifs hors temps scolaires.

Les cadets de la défense sont un dispositif partenarial entre l'éducation nationale et les Armées. Centre implanté dans une unité militaire, il organise, hors temps scolaire, des activités éducatives, citoyennes, sportives et ludiques à destination des jeunes de 14 à 16 ans, scolarisés dans les collèges ou lycées partenaires environnants et encadrés par des militaires d'active ou de réserve et des enseignants volontaires. Il existe 33 centres cadets, en partenariat avec 229 établissements scolaires, impliquant 1000 élèves dont 23 % en éducation prioritaire. Sur les 33 centres cadets, 17 sont rattachés à l'armée de Terre, 4 à la Marine nationale, 5 à l'armée de l'Air et de l'Espace et 7 aux directions et services du ministère des Armées. Le dispositif des cadets repose sur les seules initiatives locales et son cadre juridique ne semble pas stabilisé.

Dans l'armée de l'air et de l'espace, les Escadrilles Air Jeunesse réunissent 1200 jeunes de 14 à 16 ans de moyenne d'âge au sein de 34 escadrilles sur le territoire métropolitain et en outre-mer. Ce parcours aéronautique et sportif mêle culture aéronautique, histoire, tradition, sport, cohésion et prise de responsabilités, les mercredis et/ou samedis et pendant les vacances scolaires, sous encadrement de réservistes opérationnels de l'armée de l'air et de l'espace, des aviateurs et aviatrices bénévoles et des partenaires civils. À la rentrée 2024, il y aura 3 nouvelles EAJ à Brest, Bordeaux-Mérignac et Mont-de-Marsan, et l'armée de l'air et de l'espace ambitionne d'en créer sept nouvelles d'ici 2025, en visant notamment des « déserts aéronautiques ».

La Marine a pour sa part déployé 91 centres de préparation militaire Marine (PMM) sur tout le territoire national, dont 4 outre-mer. Un nouveau type de préparation militaire de courte durée destiné aux territoires ultramarins isolés - Marquises, Wallis & Futuna, Saint-Pierre et Miquelon, Guadeloupe, Saint-Martin - sera expérimenté en 2025. La PMM est un stage de découverte et d'initiation à la Marine nationale et à ses métiers, réparti pendant les week-ends de l'année scolaire, accessible à tout jeune de 16 à 21 ans sans exigence de niveau scolaire.

Ces dispositifs sont remarquables mais concernent encore un nombre limité d'élèves : quelques milliers, alors que le dispositif britannique dont s'inspire celui des EAJ représente chaque année à lui seul un flux compris entre 30 000 et 50 000 jeunes. Aussi les efforts de soutien à ces initiatives doivent-ils impérativement être encouragés.

B. ABAISSER LES BARRIÈRES ENTRE LE MONDE MILITAIRE ET LA SOCIÉTÉ

1. Hybrider davantage le modèle d'armée
a) Un nouveau modèle d'engagement citoyen

Le code du service national dispose en ouverture que « Les citoyens concourent à la défense et à la cohésion de la Nation. Ce devoir s'exerce notamment par l'accomplissement du service national universel »97(*), lequel « comprend des obligations : le recensement, la journée défense et citoyenneté et l'appel sous les drapeaux »98(*).

L'article L. 114-3 du même code, modifié une dizaine de fois depuis 1997, liste les enseignements reçus à l'occasion de la journée défense et citoyenneté (JDC) : présentation des enjeux et des objectifs généraux de la défense nationale, des moyens civils et militaires de la défense et leur organisation, du service civique et des autres formes de volontariat ainsi que des périodes militaires d'initiation ou de perfectionnement à la défense nationale et des possibilités d'engagement dans les forces armées et les forces de réserve, sensibilisation aux droits et devoirs liés à la citoyenneté et aux enjeux du renforcement de la cohésion nationale et de la mixité sociale, sensibilisation à la sécurité routière, tests d'évaluation des apprentissages fondamentaux de la langue française, information générale sur le don de sang, de plaquettes, de moelle osseuse, de gamètes et sur le don d'organes à fins de greffe, information sur la prévention des conduites à risque pour la santé, sur l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que la lutte contre les préjugés sexistes.

Des doutes ont déjà été exprimés sur le « risque de délivrer des messages superficiels et peu audibles »99(*). Les auditions des rapporteures confirment que le sentiment est assez largement partagé d'une journée de défense et de citoyenneté dont les objectifs ne sont pas toujours compris des participants, en dépit du taux de satisfaction élevé, de l'ordre de 85 %, rapporté dans les documents budgétaires.

Aussi une refonte de la JDC semble-t-elle souhaitable, dans le sens d'un renforcement de sa contribution à l'esprit de défense, à l'attractivité des métiers militaires et au recrutement. Celle-ci pourrait fournir le prétexte à une expérience plus immersive et plus dynamique de la fonction militaire dans la société, par la visite de sites militaires, la participation à certaines activités pratiques ou l'utilisation de matériels donnant une première idée de ce en quoi consiste la défense nationale. Le ministère doit en outre se doter des moyens de réquisitionner et de mobiliser les talents et les compétences des utiles à la défense nationale, que la JDC peut servir à recenser. Le directeur du service national et de la jeunesse travaille à une telle refonte du dispositif.

Or le chantier d'une éventuelle modernisation de la JDC semble avoir été en partie retardé par la création de ce qui s'appelle aussi le « service national universel » (SNU) - dans une autre acception que celle du code du service national précitée.

D'abord conçu comme devant permettre aux jeunes de « faire l'expérience de la vie militaire et d'être des acteurs à part entière de l'esprit de défense », le SNU a finalement pris la forme d'un dispositif en trois phases : un « séjour de cohésion » en hébergement collectif d'une durée de deux semaines hors du département de résidence ; une mission d'intérêt général obligatoire pour tout participant au séjour de cohésion, et la phase dite d'« engagement », facultative, réalisée entre 16 et 25 ans, auprès d'une association ou d'une institution publique.

Dans son rapport de septembre 2024100(*), la Cour des comptes rappelle que le dispositif a été expérimenté puis étendu à tout le territoire essentiellement par voie réglementaire, alors que le groupe de travail de 2018 recommandait de lancer des consultations approfondies.

Les objectifs du SNU « sont nombreux et variés : renforcer la cohésion nationale, faire vivre les valeurs républicaines, participer à la mixité sociale et territoriale, développer une culture de l'engagement, accompagner l'orientation et l'insertion des jeunes, développer la résilience et l'esprit de défense, etc. ». Ils se sont multipliés au fil de sa mise en oeuvre [...] Certains objectifs restent d'ailleurs difficiles à saisir concrètement : ainsi en est-il de la « cohésion nationale ». Cette incertitude « pose aussi la question de l'articulation du dispositif avec l'enseignement moral et civique (EMC) et le parcours citoyen à l'école ainsi que celle de la priorité à donner à certains jeunes (issus des territoires ruraux, des quartiers prioritaires de la politique de la ville, « décrocheurs », etc.) »101(*)

L'atteinte par le SNU des objectifs qu'il se fixe reste difficile. Ainsi en va-t-il de la mixité sociale, mais aussi de l'engagement. Le taux de désistement a bondi d'une dizaine de points en 2023, pour atteindre 28 % des inscrits, dans un contexte de difficultés logistiques importantes. Les magistrats concluent ainsi que l'« expérimentation » du SNU, menée par les équipes dans l'urgence et sans outils adéquats, n'a pas permis de préparer le changement d'échelle que constituerait une généralisation à l'ensemble d'une classe d'âge », et pointe le risque d'une dérive des coûts : « en tenant compte des coûts à venir des phases 2 et 3 du dispositif, un coût de fonctionnement annuel compris au minimum entre 3,5 et 5 milliards d'euros est probable »102(*).

Les conclusions de la Cour des comptes ne sont ainsi guère éloignées de celles de la commission des finances du Sénat, qui appelait en mars 2023 à surseoir à la génération du séjour de cohésion, à supprimer la phase 2 du service universel au profit de la phase d'engagement, à valoriser l'accomplissement de cette dernière sur Parcoursup et à permettre au Parlement de se prononcer sur l'ensemble du dispositif103(*).

Sous le rapport de l'attractivité du métier des armes, il importe prioritairement de concevoir, dans la continuité de l'enseignement de défense dispensé dans le secondaire, un mécanisme présentant de présenter la fonction de défense nationale telle qu'elle s'exerce réellement, rappelant la finalité politique - relative à la vie de la cité - de la fonction militaire, et assumant dès lors de servir d'outil de recrutement potentiel afin d'exercer cette fonction au mieux, lorsque les circonstances l'imposeront. À défaut de recruter directement dans l'armée d'active, la JDC doit servir à alimenter le recrutement dans la réserve, opérationnelle ou citoyenne.

Chez nos voisins européens, les réflexions sur la mobilisation des différentes composantes de la société à des fins de défense semblent, souvent pour des raisons historiques et géographiques évidentes, nettement plus avancées. Le modèle le plus souvent pris en exemple est le suédois pour son caractère complet. Les autres pays environnants ont la caractéristique de n'avoir pas abandonné, ou d'avoir réinstauré ou de songer à le faire, une forme de service militaire.

La récente compilation de données réalisée par le Carnegie Endowment for international peace dessine trois modèles d'engagement citoyen104(*) :

· Le service militaire obligatoire (Finlande, Estonie) : tous les hommes éligibles d'un certain âge, et parfois les femmes, doivent servir leur pays, civilement ou militairement, pour une durée minimale. S'agissant du service militaire, deux cycles de conscription ont lieu chaque année. Le service dure six à douze mois, selon le niveau hiérarchique d'incorporation. Après le service, les hommes rejoignent la réserve opérationnelle jusqu'à leur cinquantième anniversaire, soixantième pour les officiers. Le service civil dure 347 jours et consiste en une période d'entraînement de quatre semaines, suivi d'un stage en hôpital, une administration ou une institution religieuse. Environ 70 % des Finlandais éligibles réalisent la version militaire du service, ce qui permet à ce pays d'avoir l'une des plus vastes forces de réserve en Europe, qui lui permet de mobiliser 285 000 hommes en temps de guerre.

L'Estonie exige de même de ses hommes âgés de 17 à 27 ans. Les ressources disponibles ne permettent toutefois au pays que d'offrir un entraînement qu'à 3 500 conscrits chaque année. En 2023, l'Estonie a une force active de 7 100 soldats et une réserve opérationnelle de 41 200, et prévoit d'accroître le nombre de ses conscrits de 4 000 par an d'ici 2026. Son service est passé en outre de 8 à 11 mois pour la plupart des engagés. Les personnes refusant le service militaire pour des raisons morales ou religieuses peuvent effectuer un service civique.

Un tel dispositif requiert des ressources importantes. L'inspection des armées allemande a calculé qu'un tiers de son personnel serait mobiliser par l'instruction des recrues en cas de réintroduction du service militaire.

· Le service sélectif (Danemark, Lettonie, Lituanie). Depuis 2015, la Lituanie mobilise ainsi chaque année, par tirage au sort réalisé par un programme informatique, entre 3 500 et 4 000 hommes de 18 à 23 ans pour un service militaire d'une durée de 6 à 9 mois. Les conscrits sont ensuite versés dans la réserve opérationnelle de l'armée lituanienne. Celle-ci indique que la majorité des hommes éligibles se sont engagés volontairement.

La Lettonie a réintroduit le service militaire en 2023. Les hommes de 18 à 27 ans, et les femmes volontaires, peuvent choisir d'effectuer 11 mois de service militaire dans les armées ou la gare nationale, ou bien 5 ans dans la réserve de la garde nationale. Les deux premières promotions étaient entièrement composées de volontaires, mais celle de l'été 2024 devait être la première composée de jeunes gens tirés au sort. Les jeunes Lettons peuvent également effectuer un service civil dans une institution dépendant du ministère de la défense. Ceux qui ne sont pas tirés au sort sont versés dans la réserve opérationnelle des armées.

Au Danemark, tous les hommes de 18 ans sont éligibles au service militaire et doivent se soumettre à un examen médical et à un test d'aptitude écrit, mais un tirage au sort détermine ceux qui l'effectuent réellement. En pratique, la plupart des postes de conscrits sont réservés à des volontaires, lesquels forment la quasi-totalité de ceux qui font leur service. Le gouvernement a indiqué en 2024 que les femmes seraient éligibles au dispositif.

· Le service obligatoire sélectif (Norvège, Suède). Ces deux États choisissent les appelés au service militaire selon les qualifications et les motivations des candidats. En Norvège, environ 9 000 jeunes gens, hommes et femmes, sont choisis au sein de la cohorte annuelle d'environ 60 000 personnes, pour rejoindre les forces armées. Le caractère sélectif de la procédure en fait, dans une certaine mesure, une ligne désirée sur le CV. Après une année de service, les Norvégiens peuvent être appelés pour sept mois supplémentaires au cours de leur vie, jusqu'à 44 ans, ou bien 55 pour ceux qui ont prolongé leur service obligatoire. Tous rejoignent ensuite la réserve opérationnelle, laquelle se partage entre l'armée et la garde nationale. Le ministre norvégien de la défense Bjørn Arild Gram a annoncé en avril 2024 qu'il prévoyait d'accroître le nombre de conscrits de 9 000 à 13 500 d'ici 2036.

L'exemple suédois de défense totale

Le système suédois de « défense totale », en vigueur pendant la guerre froide, a été démantelé à la fin de la décennie 1990. La LPM 2016-2020, puis deux rapports de 2017 et 2023, ont appelé à la reconstruire pour faire face à la menace - russe, surtout. La LPM 2026-2030, attendue pour fin 2024, devrait fixer les modalités de sa mise en oeuvre.

Le concept de Défense totale (Totalförsvar) en Suède repose sur deux piliers : la défense militaire, assurée par les forces armées, et la défense civile, représentée par l'Agence de Protection civile et de Gestion de crises (Myndigheten för samhällsskydd och beredskap - MSB) et par l'ensemble des pouvoirs publics et de la population civile. Il s'agit de protéger la population en cas de crise ou de guerre, d'assurer les fonctions critiques de la société, de fournir des biens et services, de soutenir la défense militaire, de susciter la « volonté de se défendre » et d'assurer la résilience face aux opérations d'influence.

1/ Organisation

- acteurs publics et privés. Doivent ainsi pouvoir adapter leur organisation en tant que de besoin : les services municipaux d'incendie et de secours, les garde-côtes, la police nationale et le service de sécurité intérieure, des associations et organisations de volontaires de défense et de protection civile, des entreprises, notamment dans les secteurs « critiques » ;

- Au sein de l'état-major des armées, un département « Défense totale » est chargée de planifier les opérations et les exercices conjoints avec les autres agences publiques de la défense totale, notamment MSB ;

- En octobre 2022, le gouvernement nouvellement élu a créé la fonction de Ministre pour la Défense civile auprès du Ministère de la Défense ;

- Une agence de défense psychologique, créée en 1954 puis démantelée en 2008, a été recréée en 2022 pour analyser les ingérences dirigées contre les intérêts suédois ; une agence de l'analyse de la Défense totale a été créée le 1er janvier 2023 afin d'évaluer le niveau de résilience et de préparation aux crises, et de renforcer la coopération entre public et privé ;

- l'industrie est un autre acteur important de la Défense totale. Le dialogue entre les autorités publiques et les entreprises est principalement organisé par MSB. Les employés de certaines entreprises, par exemple dans le secteur énergétique ou le port de Göteborg, peuvent également être enregistrés dans le registre de guerre. Un Conseil de l'industrie, présidé par le ministre de la défense civile et regroupant organisations patronales, représentants du secteur public, état-major des armées et ministres chargés de l'énergie, de l'industrie et de l'agriculture, sert de forum de dialogue.

2/ Obligations pesant sur les citoyens

Tous les individus âgés de 16 à 70 ans ont le devoir de contribuer à la défense du territoire national en cas d'agression armée ou de guerre.

- Le service militaire (Värnplikt) a été rétabli en Suède en 2017. Il concerne un nombre de conscrits fixé par le gouvernement dans la LPM, qui s'établit à hauteur de 8 000 appelés par an en 2024-25. A 18 ans, tous les Suédois et Suédoises sont soumis à un questionnaire obligatoire en ligne, comprenant des questions sur la motivation pour un service militaire. Sur une classe d'âge d'environ 100 000 individus, 10 000 profils sont retenus pour être appelés aux tests préliminaires au service militaire. A ces profils s'ajoutent des individus postulant sur la base du volontariat. Le Service militaire dure de 6 à 15 mois, selon l'unité, le poste, et le niveau de responsabilité. À l'issue de leur service, les conscrits sont automatiquement « placés dans un registre de guerre » : en cas d'agression armée, ils peuvent être rappelés dans leurs régiments d'origine afin de servir sous les armes.

- le Service civil (Civilplikt) a été réactivé en janvier 2024. Il implique que des citoyens et citoyennes suédoises sont appelés à effectuer un service dans l'une des institutions de la défense civile suédoise. À compter de janvier 2024, ce service cible les personnes ayant une expertise au sein des services municipaux d'incendie et de secours, mais pourrait être étendu à d'autres fonctions, comme les superviseurs des abris anti-bombardements, responsables des évacuations de la population. Dès septembre 2024, 300 personnes devraient être appelées pour des exercices de répétition sur des scénarios de secours. Dans un rapport de mars 2023, MSB suggère de dimensionner les services de secours et d'augmenter ses effectifs via le service civil, afin d'être capable de remplir en 2033 les objectifs suivants : désarmer des munitions ou explosifs, mener des opérations en zone de combat, désinfecter ou protéger contres des menaces NRBC, agir en autonome à tous niveaux de commandement.

- le Service civique ou d'intérêt général (Allmäntjänsteplikt) implique que tous les habitants non engagés dans les forces armées ou la Défense civile doivent servir la défense nationale en travaillant dans un domaine relevant des fonctions critiques de la société : transport, énergie, télécoms, garde d'enfants. Ce service n'a pas encore été activé.

3/ Priorités de la prochaine LPM en matière de défense totale

La remise en place de la Défense totale est fixée à l'horizon 2025. En voici les priorités :

- la mobilisation des citoyens. Selon un sondage, 55% des Suédois ne savent pas quel serait leur rôle en cas de guerre. Les autorités suédoises prennent au sérieux la « préparation du domicile » (Hemberedskap) : en 2018, MSB a produit et distribué à tous les foyers une brochure intitulée « En cas de crise ou de guerre », qui sera actualisée en 2025. Elle contient divers éléments de sensibilisation, notamment aux fausses informations. On y lit notamment :  Si la Suède est attaquée par un autre pays, nous ne nous rendrons jamais. Toute information signalant de cesser la résistance est fausse ». Une « caisse de survie » permet en outre à chaque citoyen de survivre au moins une semaine en autonomie et d'être en cas de coupure de courant, d'inondation, ou d'indisponibilité immédiate des secours.

- la sécurisation des approvisionnements. Des études récentes recommandent la création d'une fonction de coordination nationale de la sécurité d'approvisionnement et de la distribution de matières de première nécessité, qui reviendrait à MSB.

- la modernisation des abris et des infrastructures.

- la formation. Des cours de défense totale sont prévus au collège-lycée à l'automne 2025, de même que la formation cyber des agences, et la formation et l'augmentation des effectifs aptes au service civil. Des cybersoldats sont formés dans le cadre du service militaire depuis 2020, en coopération entre les forces armées et l'Institut royal de technologie, lequel abrite aussi un centre de cyberdéfense et de sécurité de l'information qui aide les agences à se protéger des opérations cybernétiques. l'Agence de Défense psychologique contribue à ces actions.

- la défense économique sans interruption. Le label « Entreprises vitales » identifie les entreprises capables de mener à bien leurs activités en période de guerre. La Banque centrale de Suède travaille à rétablir, le cas échéant, la continuité des activités économiques en dépit de la forte dématérialisation des paiements dans le pays.

- la santé : un guide publié par le Conseil national de la santé et du bien-être en 2022 invite municipalités et régions à mieux définir les responsabilités pour faire face à un hypothétique afflux massif de blessés de guerre, alors que les 20 dernières années ont été marquées par une forte chute du nombre de places en soins intensifs.

Des incertitudes subsistent au niveau de la planification budgétaire de la Défense civile. En 2025, le budget de la Défense civile atteindra 8,5 milliards de couronnes pour augmenter à 15 milliards par an à partir de 2028, soit environ 1,3 milliards d'euros, notamment au profit des infrastructures énergétiques et de transports. Pour mémoire, le budget de Défense a doublé, au cours de la LPM en cours, passant de 60 à 120 milliards de couronnes, soit près de 11 milliards d'euros, presque 10% du budget total de l'État.

Source : commission des affaires étrangères, d'après la mission de défense de l'ambassade de France en Suède.

Systèmes de conscription dans six pays étrangers

 

Estonie

Finlande

Lituanie

Norvège

Suède

Suisse

Population

1,33 M

5,5 M

2,8 M

5,4 M

10,4 M

8,7 M

Conscription depuis

1920-1939/1991

1878-1905/1919

1918-1940/1990-2008/2015

1814

1901-2010/2017

1848

Recrutement des hommes

Obligatoire

Obligatoire + volontariat

Obligatoire + volontariat

Sélectif

Sélectif + volontariat

Obligatoire

Durée du service militaire de base

8-11 mois

5,5, 8,5, ou 11,5 mois

9 mois

6-18 mois

6-15 mois

5 mois

Nombre de conscrits pour le service militaire de base (2020)

3 100

21 000

3 700

8 000

5 000

17 000

Proportion dans la population 18-25

18%

33%

10%

11%

5%

15%

Nombre de conscrits pour 100 000 habitants

236

379

135

148

48

196

Femmes

Volontariat depuis 2013

Volontariat depuis 1995

Volontariat depuis 2011

Obligatoire depuis 2016

Obligatoire depuis 2018 + volontariat

Volontariat

Participation des femmes

1%

4%

4%

25%

20%

1%

Source : Jonsson, E., Salo, M., Lillemäe, E., Steder, F. B., Ferst, T., Kasearu, K., Novagrockiene, J., Österberg, J., Sederholm, T., Svensén, S., Szvircsev Tresch, T., & Truusa, T.-T. (2024). Multifaceted Conscription: A Comparative Study of Six European Countries. Scandinavian Journal of Military Studies, 7(1), pp. 19-33.

Les modèles scandinaves ont suscité l'intérêt des secrétaires à la défense du Royaume-Uni105(*), des Pays-Bas106(*), et de l'Allemagne107(*). Boris Pistorius a ainsi déclaré le 12 juin qu'un « premier pas » soit franchi en soumettant les jeunes hommes de 18 ans à un questionnaire : des 400 000 documents attendus chaque année, un dixième serait soumis à un examen médical, dans l'espoir de former militairement 10 000 d'entre eux108(*).

Ces dispositifs sont souvent accompagnés d'incitations financières : en Norvège, les conscrits recevaient en 2016 environ 540 euros par mois, ainsi qu'un bonus final d'environ 3270 euros. En Lettonie, les volontaires ont davantage de choix dans leur affectation, et reçoivent une indemnité supérieure à celle des appelés. Il en va grosso modo de même en Lituanie.

Au Danemark et en Lituanie, les armées fournissent un soutien en matière d'éducation et d'insertion professionnelle. En Suède ou en Estonie, les conscrits peuvent quitter le service avec un certificat de formation.

Afin de parer à la critique de ce qui peut sembler un devoir austère imposé aux individus, les dispositifs de volontariat sont souvent conçus de manière à faire appel au désir d'accomplissement personnel.

Ces modèles forment des réservoirs de bonnes pratiques que la commission aura ultérieurement l'occasion d'examiner plus en profondeur.

b) Croiser les formations supérieures civiles et militaires

Si la réflexion sur l'attractivité ramène sans cesse aux moyens de resserrer le lien entre l'armée et la société, alors sans doute faut-il aussi s'interroger plus largement sur le modèle de formation initiale des cadres. D'une manière générale, si la science militaire est bien une partie du système du savoir humain, rien ne justifie qu'elle soit maintenue cloisonnée au sein des activités de l'esprit. Jaurès plaidait en conclusion pour former les cadres militaires à l'université. L'idée mérite qu'on s'y arrête.

Aux Etats-Unis, le système du Reserve Officer Training Corps (ROTC) est l'autre voie d'accès, avec l'école militaire de West Point, au corps des officiers : il fournit même jusqu'à 70 % des élèves-officiers. Le programme est offert aux étudiants de plusieurs dizaines d'universités à travers le pays, sélectionnés pour suivre, outre ceux de leur programme à caractère civil, des cours à caractère militaire et leur permettant, leur diplôme obtenu, de signer un contrat avec toutes les composantes de l'armée. Accessoirement, mais peut-être l'importance de cet argument dépasse-t-elle celle du symbole, la visibilité en uniforme des étudiants de ces programmes sur les campus contribue fortement à la banalisation de l'armée dans la population générale.

La circulation existe certes, en France, entre les élèves-officiers et le reste de la population étudiante. Un dispositif de double diplôme relie Saint-Cyr à l'ESSEC depuis 2009, qui a été élargi ensuite à l'IEP de Paris, à CentraleSupélec et l'ESCP Europe. Il bénéficie à une dizaine d'élèves-officiers en moyenne par an et une douzaine d'étudiants civils. Un système d'externalisation permet par ailleurs à des élèves-officiers de Saint-Cyr de suivre le troisième semestre de leur scolarité à HEC Paris, à l'École Polytechnique, à l'Université Panthéon-Assas Paris II, à l'ENSTA Bretagne, à l'ISAE-SUPAERO et à l'IEP de Paris - la réciproque n'étant pas vraie pour les étudiants civils. Depuis 2011, en moyenne, une dizaine d'élèves-officiers bénéficient de ce dispositif. L'armée de Terre mène également depuis 2019 une politique volontariste de recrutement dans l'enseignement supérieur au moyen d'une cellule spécifique, et signe des partenariats - à l'IEP de Paris, en 2023 -, visant à accroître les opportunités de recrutement et à contribuer à la diffusion de l'esprit de défense.

Mais ces volumes d'échange sont beaucoup trop faibles. Alors que 60 % d'une classe d'âge s'inscrit dans l'enseignement supérieur, que les compétences sont plus souvent duales, que les vies professionnelles ont gagné en discontinuité - l'armée pouvant être une expérience parmi d'autres - et que le modèle d'armée doit gagner en hybridité par une plus grande pénétration par la réserve, le décloisonnement des formations initiales militaires et civiles semble un accompagnement logique de ces évolutions. Il s'agit moins d'assurer la présence de l'armée aux journées portes ouvertes des établissements que de concevoir de véritables formations communes.

c) Redoubler d'efforts pour atteindre les objectifs de la LPM en matière de réserves

L'article 7 de la dernière loi de programmation militaire a fixé un objectif ambitieux d'augmentation des effectifs de volontaires de la réserve opérationnelle militaire : il s'agit de les porter « à 80 000 en 2030 puis à 105 000 au plus tard en 2035 pour atteindre l'objectif, y compris en outre-mer, d'un pour deux militaires d'active ».

Calendrier d'augmentation des effectifs de la réserve opérationnelle fixé en LPM

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total

Cibles d'augmentation nette des effectifs

3 800

3 800

4 400

5 500

6 500

7 500

8 500

40 000

Source : Article 7 de la LPM 2024-2030.

À la fin 2023, les armées, directions et services comptaient 40 940 réservistes sous engagement à servir. La croissance du nombre de réservistes est ainsi appelée à atteindre 100 % entre 2023 et 2030, alors que ce rythme n'était que de 27 % environ entre 2016 et 2023.

Nombre de réservistes opérationnels actuel et objectifs fixés en LPM

Source : commission des affaires étrangères, d'après les données de la délégation interarmées aux réserves.

Le HCECM, qui a consacré son rapport thématique de l'année 2024 aux réserves109(*), voit dans l'article 7 de la LPM un « triple défi » : d'abord celui d'atteindre cet objectif chiffré sur la seule base du seul volontariat. L'objectif est sans doute crédible dans un premier temps, sous réserve de déployer des efforts d'incitation à s'engager dans la réserve allant croissant, et sous réserve que les flux de départs ne s'accroissent pas. Actuellement, les volumes annuels de sortie sont de l'ordre de 7 000 à 8 000 réservistes par an, soit 17,5 à 20% de l'effectif des réservistes sous engagement à servir - le flux de sortie a toutefois été moindre en 2023, à 16 %, avec 6584 sorties.

Le deuxième objectif est celui de pouvoir compter sur les réservistes le moment venu. Or le nombre moyen de jours d'activité réalisés, de l'ordre de 35,5 jours, cache une grande disparité de situations. Quelques centaines de réservistes effectuent plus de 150 jours par an, et 7 000 n'effectuent aucune activité, ce qui fait peser un risque sur la disponibilité réelle de la réserve. La connaissance du vivier est pour l'heure trop parcellaire pour dessiner les moyens d'y remédier. Le Haut comité en conclut qu'une fois celle-ci améliorée, « il pourrait s'avérer nécessaire de modifier le statut du réserviste, par exemple pour encadrer la durée annuelle d'emploi dans un engagement assorti de sanctions en cas de non-respect, à l'instar de ce que prévoit le système de réserves au Royaume-Uni ».

Le troisième défi est celui des moyens budgétaires. Jusqu'en 2023 en effet, les réserves ont régulièrement constitué une des variables d'ajustement en gestion, subissant des gels de crédits préjudiciables aux recrutements ou à l'activité des réservistes. Le Haut comité a en outre constaté que les crédits notifiés à certaines unités pour la rémunération des réservistes en 2024 permettent tout juste de payer le nombre de jours de réservistes accomplis en 2023, et que les moyens consacrés aux locaux ou aux instructeurs pour former certains candidats qui seront employés sur des missions opérationnelles n'ont pas été augmentés. Or contrairement au militaire d'active, rien ne retient un réserviste déçu de quitter le régiment pour n'y plus jamais revenir.

Le Haut comité préconise encore de mieux prendre en compte l'employeur civil du réserviste. Les étudiants représentent 15 % des réservistes des armées et sont ainsi surreprésentés, mais la majorité des réservistes sont des actifs - à près de 40 %. Eux aussi s'efforcent de concilier les sujétions militaires avec leur vie privée. Dans cet équilibre, l'employeur joue un rôle crucial, alors qu'il n'est pas même partie à l'engagement à servir que signe son salarié. De nombreux employeurs ignorent même l'engagement de leur salarié : les enquêtes réalisées estiment ces réservistes clandestins à près de 9 %, mais les chiffres indiqués aux rapporteures en audition sont supérieurs.

Dans le cadre des conventions de partenariats que la Garde nationale s'efforce de faire signer aux employeurs - 1155 depuis 2017 -, ceux-ci s'engagent sur quatre points : un volume annuel de jours accordés aux réservistes pour réaliser leurs activités opérationnelles, 12,7 jours en moyenne en 2023 ; les modalités de maintien de la rémunération pendant les absences - 68 % la maintient intégralement et 88 % partiellement ; la durée du préavis afférent, qui était en 2023 de 21,1 jours en moyenne ; et la clause de réactivité, qui permet de rappeler le réserviste sous 15 jours par arrêté.

Recommandations du 18e rapport du HCECM

1/ Améliorer la connaissance des réservistes, et systématiser les entretiens lors des départs pour identifier les causes d'insatisfaction

2/ Garantir, dans la durée, dans une logique pluriannuelle, les moyens alloués à la réserve opérationnelle tels que prévus par la loi de programmation militaire

3/ Rechercher les pistes de fluidification du parcours de recrutement, par exemple passer les visites médicales d'aptitude en dehors du SSA, ou utiliser des médecins réservistes

4/ Éditer un memento du réserviste pour améliorer l'information relative aux modalités du soutien

5/ Garantir la bonne représentativité de tous les réservistes au sein du système de concertation

6/ Revoir les modalités de pilotage budgétaire de la masse salariale « réserves » en responsabilisant davantage les employeurs

7/ Poursuivre la formalisation du parcours de carrière des réservistes dans une politique RH de long terme, qui devra prendre en compte les spécificités des réservistes ; proposer des passerelles vers l'active ; exiger davantage pour garantir un engagement minimal annuel

8/ Garantir le bénéfice des droits financiers aux réservistes, rénover le régime de défraiement, résoudre le problème des délais excessifs de versement de la solde

9/ Confirmer l'exonération fiscale appliquée à la solde des réservistes

10/ Faire évoluer les droits à indemnités spécifiques pour les réservistes (avance de solde avant déploiement en opération, mesure de valorisation de l'engagement des cadres de la réserve, mise à jour de la participation au financement du permis de conduire)

11/ Encourager l'emploi de tous les leviers relatifs à la reconnaissance des réservistes (activités de tradition et cohésion, accès à l'honorariat de grade...)

12/ Mieux identifier les compétences acquises dans la carrière civile, mieux formaliser l'acquisition de compétences dans la réserve

13/ Améliorer l'information des employeurs civils des réservistes, développer une stratégie partenariale, au niveau central via les conventions de branches professionnelles, et au niveau local via les officiers généraux des zones de défense et de sécurité.

14/Améliorer le niveau de protection sociale des réservistes 

· La procédure de recrutement dans la réserve est encore très perfectible. La première étape est la création d'un compte sur le site www.reservistes.defense.gouv.fr. Une prise de contact par téléphone doit avoir lieu ensuite, l'objectif étant de la réaliser dans les 10 jours, mais le délégué interarmées aux réserves reconnaît que les délais sont variables et que certaines inscriptions restent sans effet. La constitution du dossier nécessaire à la signature du contrat d'engagement à servir dans la réserve peut ensuite être fastidieuse : elle prend une dizaine de semaines, sans compter les actions liées au contrôle élémentaire. Enfin, l'expertise médicale initiale est identifiée comme une difficulté majeure, qui intervient dans un délai rarement inférieur à 10 autres semaines après la constitution du dossier. Certains réservistes voient s'écouler 9 mois entre la création d'un compte et la signature d'un engagement à servir dans la réserve.

Le bouche à oreilles, qui suffisait jusqu'à présent, ne permettra sans doute pas d'atteindre les objectifs fixés en LPM. Pourtant, 82 % des Français connaissent la réserve, et 42 % envisagerait de s'y engager, ce qui représente, selon le délégué interarmées aux réserves, un vivier de près de 10 millions d'hommes et femmes. Dans le cadre du plan réserves 2035, la Dicod a pour mandat d'élargir les cibles de recrutement. L'objectif n'est pas que quantitatif, car la sociologie des réservistes montre une assez forte endogamie. Presque 50 % des réservistes ont connu la réserve parce qu'un proche en faisait partie, et seuls 2 % des réservistes ont intégré l'institution après une rencontre dans un événement tel qu'un salon étudiant. Le sondage réalisé en 2023 par la DRH-MD auprès des réservistes du ministère confirme que l'entourage proche est la principale source d'information, devant les médias, la JDC ou les salons professionnels ou étudiants. C'est assez dire le peu d'incitation à rejoindre la réserve dans les zones où l'armée est peu présente, et que la communication sur le recrutement n'atteint pas.

· La gouvernance des réserves est en outre sans doute à simplifier. La Garde nationale, créée après les attentats de 2015, réunit les huit composantes de la réserve opérationnelle de premier niveau du ministère des armées et les deux composantes de la réserve opérationnelle de premier niveau du ministère de l'intérieur. Dépourvue de consistance organique, son existence est en elle-même source de complexité, voire de confusion, comme le reconnaît le Haut comité.

Le secrétaire général de la Garde nationale est membre de son comité directeur, présidé par les ministres de l'intérieur et des armées, qui contribue à définir les politiques de la Garde nationale. Il préside aussi son conseil consultatif, chargé d'émettre des avis et des recommandations sur les politiques conduites au titre de la Garde nationale. L'objet du conseil consultatif se rapproche de celui du conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM), structure interarmées et interministérielle créée en 1999 pour « contribuer à l'évolution du rôle des réserves militaires au service de la défense, de la sécurité et de la cohésion nationale », qui établit un rapport annuel au Parlement. Le secrétariat général de la Garde nationale n'a pas évoqué de réunion de l'assemblée plénière du CSRM depuis novembre 2021, alors que le code de la défense dispose qu'il se réunit au moins une fois par an110(*). Il est probable qu'il y ait là « deux structures pour un objet »111(*).

· La fidélisation des réservistes emprunte en outre des canaux dont l'usage ne semble guère assumé. Plusieurs dispositifs visent à améliorer la fidélisation dans la réserve : la prime de fidélité (Fideres) de 250 euros, versée aux réservistes opérationnels qui renouvellent leur premier contrat après avoir réalisé 37 jours d'activités annuelles, l'allocation d'études spécifique (Allocres), qui apporte un soutien financier mensuel de 100 euros aux réservistes opérationnels étudiants de moins de 25 ans, et une aide au financement du permis de conduire (Permres) de 1000 euros. Le compte engagement citoyen permet en outre aux réservistes ayant réalisé au moins 90 jours d'activité de bénéficier d'un abondement de 240 euros sur leur compte personnel de formation. Enfin, la médaille de la réserve de défense et de sécurité intérieure récompense la fidélité de l'engagement des réservistes opérationnels et citoyens, répartie en trois échelons : bronze, argent, et or.

Ces dispositifs sont peu connus, peu sollicités, et peu de publicité leur est faite, ce qui pose la question de leur ciblage, de leur conception, voire de leur utilité.

Versement des incitations financières proposées aux réservistes

 

ALLOCRES

FIDERES

PERMRES

2018

936

1319

94

2019

4300

2938

183

2020

6835

2463

187

2021

7548

2260

140

2022

6301

2194

106

2023

5655

2293

45

Source : secrétariat général de la Garde nationale.

· La politique partenariale

Depuis 2016, 120 conventions de partenariat ont été signées chaque année en moyenne par la Garde nationale avec des employeurs publics et privés, pour atteindre un total de 1 155 : 70 % avec des entreprises, 25 % avec des collectivités territoriales, et 5 % avec des établissements d'enseignement supérieur. Des pistes de progrès sont déjà identifiées, parmi lesquelles le développement de partenariats avec des établissements d'enseignement supérieur, les collectivités territoriales et les grandes entreprises.

À cette fin, la garde nationale travaille à la structuration de son réseau de 105 correspondants employeurs à l'échelon des régions, et anime le réseau de ses 750 référents, interlocuteurs privilégiés du SGGN au sein des organisations ayant signé une convention de partenariat avec la Garde nationale.

La seconde version du système d'information e-Partenariat est sur le point d'être finalisée. Cet outil permettra d'extraire tous les marqueurs d'activité indispensables à un pilotage plus fin de la stratégie partenariale. L'évolution du nombre de réservistes au sein des organisations signataires d'une convention pourra ainsi être suivi.

· La réserve citoyenne

Il semble enfin aux rapporteures que la réserve citoyenne est le grand absent des politiques visant à resserrer le lien Armée-nation et rendre les métiers de la défense plus attractifs. La mobilisation des réseaux de réservistes citoyens apparaît très variable sur le territoire national. Il appartient aux forces armées de faire davantage pour y remédier en ciblant davantage les compétences utiles.

Contribuerait à une plus grande attractivité de la réserve citoyenne toutes les initiatives visant à reconnaître et valoriser leur engagement, le port d'une tenue lors de cérémonies de commémorations, la remise de médailles, et la promotion d'une culture de la réserve. Les Journées nationales des réservistes connaissent un certain succès - les journées 2022 ont attiré plus de 104 000 participants lors de 530 événements, et les journées 2023 près de 134 000 participants sur 830 événements -, mais elles sont trop souvent réalisées, de l'aveu même de la Garde nationale, dans des entités acquises d'avance. Une journée nationale de grande ampleur, durant laquelle les réservistes opérationnels et citoyens se rendraient dans les locaux de leur employeur, serait de nature à diffuser plus largement un esprit de résilience et, peut-être, à susciter des vocations.

2. Démocratiser la décision d'emploi de l'outil militaire

Les finalités servies par les armées, telles que définies par le pouvoir politique, ont revêtu au cours des auditions de la mission un caractère paradoxal : à la fois omniprésentes et, pourtant, jamais clairement évoquées.

Les missions confiées aux armées se sont multipliées avec la fin de la guerre froide, sous forme d'opérations d'interpositions, de rétablissement ou de maintien de la paix, puis des guerres en ex-Yougoslavie, en Afghanistan, sans oublier les nombreuses implications sur le territoire africain. La moindre visibilité de l'armée sur le territoire nationale du fait de la réduction des effectifs et de la réforme de la carte militaire était alors compensée par la couverture médiatique de ses missions à l'extérieur, et nourrissait sa très large approbation dans l'opinion.

Cette adhésion est toutefois conditionnelle, et un revirement de l'opinion peut se produire « notamment si les justifications ne paraissent plus convaincantes ». Le HCECM le disait autrement dans son rapport thématique de 2015 : « l'image de l'armée est déterminante pour le recrutement et le moral des militaires » et « l'excellence de l'action des forces engagées en opérations garantit cette image »112(*). Comme l'a montré la sociologue Barbara Jankowski, alors qu'ils étaient majoritairement favorables à l'intervention en Afghanistan, les Français lui ont progressivement retiré leur approbation à la suite de l'embuscade d'Uzbin, en août 2008 : 55 % des sondés se sont alors prononcés pour « un retrait des troupes, car la France s'enlise dans un conflit sur lequel elle n'a pas prise », proportion qui passe rapidement à 64 % en août 2009, puis 70 % en juillet 2010 et 76 % en août 2011113(*).

À l'heure où le contexte international devient plus dangereux que jamais il ne l'a été depuis la seconde guerre mondiale, il importe d'assurer aux armées une continuité dans le soutien populaire à l'exercice de ses missions, autrement dit, de conforter l'assise démocratique de la décision d'emploi de la force. Si beaucoup d'interlocuteurs de la mission ont avancé que la plupart des militaires du rang s'engageaient pour « l'aventure », aucun ne s'est pourtant risqué à ajouter : « quelle qu'elle soit ». Non pas que l'armée puisse être soupçonnée de déloyauté au politique, tout au contraire114(*), mais car il importe de maintenir l'attractivité du métier des armes dans la durée, par l'assurance de la légitimité de ses missions.

Or la faible légitimation démocratique des procédures d'engagement des forces à l'extérieur contraste avec le besoin de cohésion nationale que les nouvelles menaces font naître. L'article 35 de la Constitution dispose, depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, que « la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l'étranger, au plus tard trois jours après le début de l'intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n'est suivi d'aucun vote. Lorsque la durée de l'intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l'autorisation du Parlement ».

Comme l'observe la sociologue Barbara Jankowski, « cette dimension caractérise la France et la distingue de nombre de ses alliés. Ainsi, les Allemands sont réticents à l'envoi de leurs troupes à l'étranger et celles-ci ont en général un mandat très strict avec des règles d'engagement en deçà de celles des autres contingents »115(*).

Le rôle du Bundestag dans l'engagement des forces armées en Allemagne116(*)

La loi du 18 mars 2005 relative à la participation parlementaire à la prise de décision d'emploi de forces armées allemandes en dehors des frontières allemandes (Parlamentsbeteiligungsgesetz) apporte des précisions sur les modalités de contrôle parlementaire sur les déploiements de la Bundeswehr : son article 1, § 2, précise ainsi clairement que « l'emploi de forces armées allemandes en dehors du territoire d'application de la Loi fondamentale nécessite une approbation du Bundestag ». C'est ainsi bien un contrôle ex ante qui est défini en Allemagne. De même, la loi du 18 mars 2005 donne une définition claire des déploiements militaires qui doivent être approuvés par le Bundestag : « Un déploiement de forces armées consiste en l'emploi de soldats de la Bundeswehr dans des circonstances militarisées ou dans un cadre dans lequel l'usage de la force armée est prévisible » (article 2, § 1). Le Bundestag vote en détail le mandat donné au ministre de la Défense pour envoyer la Bundeswehr en opérations extérieures, y compris les lieux précis et les coûts engendrés par l'opération en question (article 3). Il n'y a donc aucun « chèque en blanc » mais au contraire un examen parlementaire scrupuleux des circonstances et des conditions du déploiement militaire extérieur. La loi de 2005 définit également les rares exceptions permettant une procédure de contrôle accélérée et une approbation parlementaire ex post : c'est le cas des déploiements de très faible intensité, de même que les déploiements militaires rendus nécessaires par un péril imminent ou par l'existence d'une catastrophe naturelle par exemple (article 4). Ainsi, si l'initiative de l'usage de la force armée revient bien au gouvernement allemand, la responsabilité repose néanmoins conjointement sur le gouvernement et sur le Parlement à travers la nécessité d'approbation parlementaire préalable : certains auteurs évoquent un système de « double clef ». Le Bundestag a ainsi approuvé entre 80 et 100 déploiements extérieurs de la Bundeswehr depuis 1994.

En pratique toutefois, une fois le vote acquis, « le Gouvernement bénéficie d'un blanc-seing dans la poursuite de l'opération extérieure »117(*). Un précédent rapport de la commission des affaires étrangères du Sénat a déjà eu l'occasion de le regretter : « C'est ainsi que le gouvernement a pu se dispenser de soumettre l'opération Barkhane à une autorisation parlementaire, celle-ci étant considérée comme une prolongation des opérations Epervier (autorisée en 2009) et Serval (autorisée en 2014), sans susciter une protestation des députés et des sénateurs, alors qu'il s'agit d'une opération inscrite dans la durée et particulièrement importante par son étendue géographique, son importance géostratégique, le volume des forces engagées et son coût »118(*).

Le 9 février 2021, le président de la commission Christian Cambon parvenait à obtenir, au titre de l'article 29 bis alinéa 7 du règlement du Sénat, un échange avec le Gouvernement sur le bilan et les perspectives de l'opération Barkhane en séance publique. Il regrettait toutefois le 23 juin d'avoir appris par la presse la fin de l'opération, jamais évoquée par le Gouvernement quatre mois plus tôt, et précipitée par le putsch du 24 mai.

Sur ce constat, le Sénat a déjà eu l'occasion, en 2018119(*) puis à nouveau en 2024120(*), de plaider pour la soumission des opérations extérieurs à une approbation parlementaire qui soit mieux formalisée, en demandant que nos armées « puissent bénéficier régulièrement du soutien explicite de la souveraineté nationale par l'intermédiaire de ses représentants. Ce qui vaut pour la prolongation d'une intervention quelques mois après son engagement, vaut tout autant lorsque ces interventions perdurent. Au-delà du contrôle, c'est aussi un soutien pour le Président de la République et pour nos forces armées elles-mêmes »121(*). L'information du Parlement, en outre, peut sans doute être améliorée, notamment en revenant sur la distinction issue des débats de 1991 sur l'intervention en Irak entre les opérations extérieures et les interventions de sécurité collective.

Le rôle du Parlement devrait encore s'étendre à la contribution à l'élaboration des priorités stratégiques. La revue nationale stratégique 2022 s'était ainsi dispensée de son avis. Or ce document présentait la particularité d'insister sur la « concrétisation de la souveraineté européenne »122(*), nouveauté apparue dans la mise à jour, en 2021, de la revue stratégique de 2017, et suivie de quelques initiatives visant notamment à promouvoir, au niveau européen, le passage au vote à la majorité qualifiée dans les domaines où l'unanimité est encore requise123(*). Une question aussi sensible, et touchant d'aussi près à la condition politique que celle-ci, poserait à nouveaux frais le problème de l'attractivité du métier des armes et ne peut donc être longtemps laissée à l'écart de la délibération collective.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

1. Améliorer la lisibilité des documents budgétaires sur le suivi de la trajectoire d'effectifs et le respect de la LPM.

2. Donner à l'état-major les moyens d'un pilotage stratégique de la fonction RH : donner au nouveau « sous-chef chargé de la stratégie RH » des moyens d'analyse sociologique, d'évaluation, de prospective et de conduite du changement, au plus près de la stratégie militaire.

3. Respecter le calendrier de la refonte des grilles indiciaires des militaires et évaluer rapidement les effets de la NPRM.

4. Rendre le processus de recrutement plus efficace : renforcer les moyens du service de santé des armées, créer un portail unique d'information et de candidature.

5. Faire de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles une priorité. Appliquer les recommandations du rapport des inspecteurs de juin 2024 ; décentrer la cellule Thémis du ministère, voire la fondre dans un organe à statut ad hoc.

6. Réduire au strict nécessaire opérationnel les obligations de mobilité géographique, et offrir aux familles un service complet de conciergerie et d'aide aux démarches en faisant rapidement monter en gamme les services ATLAS.

7. Se doter d'une stratégie et investir davantage dans la formation initiale en interne. Étudier l'opportunité de la création de nouvelles classes ou écoles militaires, éventuellement interarmées, en les répartissant mieux sur le territoire.

8. Se donner les moyens de rendre l'armée visible partout sur le territoire national, dans le cadre des redéploiements ou de la politique de formation initiale.

9. Banaliser la présence militaire dans la société en normalisant le port de l'uniforme dans l'espace public, en encourageant l'expression publique des officiers sur les questions stratégiques, en soutenant la recherche sur ces questions.

10. Réinventer le parcours de citoyenneté et réinterroger les modalités du SNU. Rénover profondément la journée défense citoyenneté, sans s'interdire de la faire contribuer au recrutement.

11. Soutenir le développement des réserves opérationnelle et citoyenne. En sanctuarisant les moyens budgétaires de la réserve opérationnelle, et en développant la réserve citoyenne.

12. Démocratiser la décision d'emploi de l'outil militaire, afin de conserver aux armées un soutien populaire à leur action. Renforcer le rôle du Parlement dans la définition des priorités stratégiques, et son contrôle sur l'envoi de troupes à l'étranger.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 octobre 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de Mmes Vivette Lopez et Marie-Arlette Carlotti, rapporteurs sur le recrutement et la fidélisation dans les armées.

M. Pascal Allizard, président. - Nous examinons maintenant le rapport de nos collègues Vivette Lopez et Marie-Arlette Carlotti sur l'attractivité des forces armées.

Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Compte tenu des effectifs dévoilés à l'automne dernier, le bureau de la commission a décidé en début d'année de creuser la question de l'attractivité des forces armées. Nous avons fait le choix d'aborder cette question complexe en nous focalisant sur les métiers militaires, et en abordant le problème le plus largement possible, tout en acceptant à l'avance de ne pouvoir examiner avec la même profondeur tous ses déterminants.

La question de l'attractivité des armées soulève d'abord un problème de trajectoire budgétaire et de gestion administrative.

Le problème de trajectoire provient de ce que, depuis trois ans, les armées ne parviennent pas à respecter le schéma d'emplois fixé en loi de finances. L'année 2023 a été particulièrement difficile, avec un écart de plus de 8 000 équivalents temps plein (ETP) par rapport à l'objectif de recrutement. Il semblerait que la tendance en 2024 se soit redressée, mais rappelez-vous que le schéma d'emplois prévu en loi de finances était déjà moins ambitieux que ce que prévoyait la loi de programmation militaire (LPM) pour sa première année d'exécution.

En conséquence, la trajectoire fixée par la LPM se révèle déjà difficile à respecter. Et pour cause : les effectifs du ministère baissent au lieu d'augmenter, comme nous le déplorions déjà à l'automne dernier.

Il en découle une première difficulté d'ordre budgétaire. L'article 7 de la LPM disposait, vous vous en souvenez, que les crédits non consommés pour le recrutement peuvent l'être pour renforcer la fidélisation des agents. En 2023, ils l'ont été. La Cour des comptes s'inquiète à présent de la capacité future du ministère à rattraper la trajectoire des effectifs, car ils deviennent plus onéreux. Or le respect de la trajectoire conditionne à son tour le respect, par les armées, de leurs contrats opérationnels.

Nous touchons là aux limites de l'exercice d'une loi de programmation, par temps calme, en période de ressources limitées. Il se pourrait que l'enveloppe qui finance concurremment la hausse d'effectifs et l'amélioration de leurs conditions matérielles soit trop étroite. En dépit de l'état catastrophique des finances publiques, cette situation pourrait appeler un réexamen des priorités dans un contexte géopolitique tendu. Plus accessoirement, l'information du Parlement n'est pas toujours très claire sur cet aspect de l'exécution de la LPM et nous appelons à progresser dans ce domaine.

D'une manière générale, les flux sortants excèdent les flux entrants. Le volume des départs spontanés a atteint le plus haut niveau depuis 2017. Le taux d'attrition, c'est-à-dire le taux de départ en cours de période probatoire, est orienté à la hausse depuis 2020. Les non-renouvellements de contrat à l'initiative du militaire ont également augmenté de 70 % depuis 2018. Les causes ne sont pas totalement élucidées, et les efforts de la direction des ressources humaines du ministère pour systématiser les recueils de motivation et harmoniser les remontées statistiques sont toujours en cours.

En conséquence, l'ancienneté moyenne des militaires au moment de leur départ de l'institution n'a cessé de baisser depuis dix ans pour atteindre, en 2023, 25,3 ans pour les officiers, 18,4 ans pour les sous-officiers, et 4,3 ans pour les militaires du rang.

Plus anecdotique peut-être, le nombre de désertions, c'est-à-dire l'infraction consistant à se soustraire à ses obligations, se maintient sur une espèce de plateau depuis 2017, à environ 1 500 cas par an. C'est un indicateur, sans doute imparfait, mais non négligeable, d'une certaine inadéquation de l'offre des armées et de l'attente des jeunes recrues.

C'est l'armée de terre qui contribue le plus au déficit. Le taux de départ y a progressivement augmenté depuis 2015, et le recrutement est devenu plus difficile en 2023. Pas tellement au niveau des officiers, car la sélectivité reste forte à l'entrée en école, mais davantage en ce qui concerne les sous-officiers et, surtout, les militaires du rang, qui ont contribué au déficit à hauteur de 2 000 ETP en 2023.

Dans l'armée de l'air et de l'espace et la marine, le problème réside moins dans le recrutement que dans la difficulté à retenir les départs. Le caractère plus spécialisé de nombreux profils les rend plus facilement employables, et dans de meilleures conditions, dans le secteur privé.

Soit dit en passant, la situation de l'armée française n'est pas isolée. L'armée britannique a poursuivi sa rétraction engagée volontairement il y a plusieurs années, en dépit de la volonté d'inverser la tendance, surtout depuis la guerre en Ukraine. L'armée allemande a également fondu de 1 500 personnes en 2023, malgré les efforts en sens contraire. Les États-Unis disposent à présent de leur plus petite armée depuis 80 ans.

Alors, pourquoi ? Il faut d'abord reconnaître que la gestion du personnel militaire est un exercice d'une grande complexité. Balard recrute près de 30 000 personnes chaque année. La concurrence du secteur privé, et donc la situation du marché du travail, pèse lourd dans le rapport de forces entre candidats et employeurs. La taille des cohortes annuelles peut faire varier les viviers de recrutement ; la population des 17-30 ans a atteint un creux en 2020, mais le mini-babyboom du début des années 2000 produira des effets inverses à compter de l'an prochain.

L'image des armées ne semble pas en cause. La France est le pays européen où elle a le plus progressé ces quinze dernières années : plus de 80 % des Français la regardent positivement, et les attentats de 2015 ont consolidé cette perception partagée.

L'état de santé et le niveau éducatif des jeunes Français ne sont pas encore des variables déterminantes, mais elles restent à surveiller car la sédentarité, l'addiction aux écrans, le surpoids et l'obésité progressent, et les tests PISA n'invitent pas à l'optimisme.

La variable sociologique la plus fondamentale semble être l'écart entre la vie militaire et la vie professionnelle du monde civil. Le fossé semble se creuser assez vite, surtout depuis la pandémie de covid. Alors que les employeurs privés se soucient d'accorder plus de flexibilité, des facilités de travail à distance et des coins détente dans les open-space, les armées semblent, ne serait-ce que par effet de contraste, ne pouvoir proposer qu'une vie de contraintes.

La contrainte est bien sûr inhérente à la vie militaire mais ce qui les rend plus exorbitantes, c'est d'abord que les aspirations individuelles changent. Les études empiriques montrent que les jeunes accordent une importance croissante à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Ensuite, les conjoints sont beaucoup plus nombreux qu'avant à travailler - plus des trois quarts, contre la moitié il y a 30 ans -, ce qui rend les sujétions moins supportables.

Enfin car les compensations de ces sujétions n'ont sans doute pas été assez rapidement modernisées pour tenir compte de ces transformations.

Commençons par le plus évident : la rémunération. Même si ce n'est pas le moteur principal de l'engagement dans l'armée, c'est bien sûr un facteur déterminant de recrutement et de fidélisation. Or, nous l'avons déjà évoqué à l'automne dernier, les grilles indiciaires se sont tassées, ce qui désincite à la progression, et l'écart avec le reste de la fonction publique n'est pas à l'avantage de l'armée. Ajoutons que les comparaisons internationales ne sont pas favorables à l'armée française, ce qui n'est pas digne de la place que la France revendique en Europe et dans l'Otan.

Sur le plan indemnitaire, la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) a été déployée, avec satisfaction semble-t-il, sans que tous ses effets aient pu être encore précisément mesurés. Le plan « Fidélisation 360 », présenté par le ministre en mars dernier, promet en outre la prise en compte d'une part de l'indemnitaire dans le calcul de la pension. C'est peu dire que la disposition promise par le Gouvernement, initialement par voie d'amendement dans le projet de loi de finances (PLF) 2025, sera attendue...

Sur le plan indiciaire, le Gouvernement a tenu les promesses de la LPM en mettant à jour les grilles des militaires du rang et des sous-officiers subalternes en 2023. Celle des sous-officiers supérieurs doit l'être avant la fin de l'année. D'après nos informations, la publication du décret, envisagée au 1er octobre, a été repoussé au mois de décembre, pour une mise en paiement l'an prochain... Quant au projet de grille des officiers, attendu avant fin 2025, il n'a, semble-t-il, pas encore été présenté comme il se doit au guichet unique Bercy-Fonction publique.

Nous voulons attirer l'attention sur ces aspects : il ne faudrait pas que les difficultés budgétaires du moment conduisent le Gouvernement à prendre des libertés avec le calendrier de la LPM. L'ensemble du personnel attend cette juste remise à niveau avec impatience, et un ajournement des nouvelles grilles, ou une refonte a minima, aurait de très lourdes conséquences sur le moral des militaires, donc sur leur fidélisation.

À titre de comparaison, observons que les objectifs de recrutement dans l'armée polonaise, très ambitieux, sont servis par un effort qui, outre la multiplication des primes, consiste à rien moins qu'à doubler la rémunération de base des militaires en début de carrière... Mais il est vrai que la Pologne consacre près de 4,5 % de son PIB à sa défense.

Outre la rémunération, il est quelques questions matérielles qui concentrent l'irritation des militaires - dont le moral est bon par ailleurs : l'hébergement et la gestion des mobilités.

Les questions d'hébergement et de logement ont fait l'objet de plusieurs rapports d'évaluation récents. En dépit du plan famille, les programmes de construction restent insuffisants par rapport aux besoins, surtout en zone tendue, et l'état du parc est parfois très dégradé. Des solutions d'externalisation pourraient être explorées pour remettre tout cela à niveau, à l'instar de ce que prévoyait le plan « ambition logement » de 2022.

L'accompagnement des familles est par ailleurs perfectible. Les espaces ATLAS réunissent aujourd'hui en un lieu unique tous les interlocuteurs utiles de la défense, et des partenariats noués avec les autres administrations permettent d'y adjoindre de nombreux autres services. C'est l'interlocuteur idéal, mais leurs moyens, d'après nos échanges avec les représentants des militaires, sont encore beaucoup trop faibles.

La mobilité est peut-être le facteur le plus important, puisqu'il surdétermine les contraintes d'hébergement. C'est un sujet complexe, car la mobilité découle de ce que les armées doivent être disponibles partout, tout le temps ; et elle présente par ailleurs des avantages : la rotation des postes garantit la progression des carrières.

Mais c'est aussi l'une des sujétions qui affecte le plus directement la vie quotidienne du militaire et de sa famille, l'accès à la propriété, l'éducation des enfants, la prise en charge médicale, les aspirations du conjoint. Une étude récente d'une mutuelle de militaires a relevé que les conjoints de la population sondée, majoritairement des femmes, et bien que pour moitié diplômées d'un bac+2 à bac+5, déclarait à 63 % un statut d'ouvrière, employée ou technicienne. L'acceptation d'une forme de déqualification imposée par la mobilité du conjoint ne peut aller sans tensions.

Or la fréquence des mutations ne s'est pas réduite ces dernières années. Les colonels en service au 31 décembre 2022 ont connu, en moyenne, entre huit et dix mutations avec changement de résidence en moins de trente ans de carrière. Le Haut comité d'évaluation de la condition militaire (HCECM) estimait en 2022 que des ajustements à la pratique restaient possibles : l'âge n'est pas assez pris en compte, non plus que l'ancienneté ; l'affectation privilégiée au plus près de la zone géographique souhaitée n'est pas encore la règle... Nous le suivons ainsi lorsqu'il préconise de recourir davantage au télétravail dans les fonctions qui s'y prêtent, et de réduire la mobilité géographique au strict nécessaire opérationnel. C'est également ce que préconisent les associations des femmes de militaires, comme Women Forces.

Avant de passer la parole à notre collègue Marie-Arlette Carlotti, je voudrais rappeler que le ministre, M. Sébastien Lecornu, nous a quelque peu rassurées sur certains points hier soir. Attendons de voir...

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Le recrutement pourrait sans doute gagner en efficacité. La procédure est trop longue. Elle dure en tout de quatre à six mois. Le principal goulot d'étranglement se situe au niveau de l'aptitude médicale et la réforme prévue du service de santé des armées (SSA) n'empêche pas d'imaginer un système plus ambitieux de réserve citoyenne pour absorber les flux.

La promotion de la mixité est un autre chantier d'importance pour les armées. Beaucoup a été fait en la matière, mais les discriminations et les violences peuvent rester un frein à l'engagement, et notamment à celui des femmes. Le rapport remis au ministre en juin dernier par le collège des inspecteurs généraux des armées évoque la cellule Thémis, mise en place pour recevoir les plaintes. Nous estimons qu'elle serait beaucoup plus efficace si elle était externalisée. Il s'agirait de s'inspirer du modèle allemand, dans lequel la parole nous semble plus libérée de ce point de vue.

Les armées ont, encore, fait des efforts en matière de formation pour organiser des cursus précoces, grâce auxquels les militaires restent en moyenne sept ans de plus que les autres dans l'armée. Cette politique suit, forcément avec retard, le rythme de déflation ou de reflation des effectifs, ce qui repose la question du modèle d'armée que la France veut se donner. L'école des mousses ou l'école militaire préparatoire technique sont, à cet égard, des recréations d'établissements qui ont fermé dans les années 1980.

Enfin, la stratégie RH des armées pourrait être plus précisément pilotée. Comme elle est dépendante de la stratégie militaire elle-même, le rattachement très récent à l'état-major des armées d'un sous-chef chargé de la stratégie RH est opportun. Nous préconisons toutefois de lui donner suffisamment de compétences administratives, statistiques, d'études sociologiques, pour affiner la connaissance des viviers, des tendances des jeunes générations, d'évaluations des politiques menées et de conduite du changement.

En fait, le recrutement dans les armées suit une tendance commune à un grand nombre de métiers de la sphère publique. Le nombre de candidats pour un poste offert est passé de seize à six ces trente dernières années, et les flux de sorties grossissent depuis dix ans. C'est particulièrement le cas dans les métiers de la sphère régalienne, notamment la police et la gendarmerie qui, en outre, concurrencent directement l'armée pour le recrutement. Partout, les viviers s'assèchent et la sélectivité se dégrade, ce qui témoigne d'une forme de crise de l'État d'une certaine ampleur.

Il nous faut refaire de l'armée un acteur moteur de la vie collective et augmenter la surface de contact entre le monde militaire et le monde civil suppose de rendre les militaires à la fois plus audibles et plus visibles. Plus visibles car trente départements sont dépourvus d'implantations de l'armée de terre, ce qui fait que les jeunes Français peuvent ne jamais croiser de militaires de leur vie.

Le HCECM a déjà fait d'autres propositions visant à réintroduire le soldat dans la vie collective. Y contribuerait par exemple la banalisation du port de l'uniforme dans l'espace public, sur les trajets domicile-travail par exemple - il avait été interdit par le commandement depuis l'émergence du risque terroriste.

Dans le même ordre d'idées, il est sans doute regrettable que l'espace public compte si peu de figures militaires qui puissent être sources d'inspiration.

L'expression publique des officiers sur des questions stratégiques pourrait également être encouragée.

L'enseignement supérieur, quant à lui, est le grand absent des politiques de lien armée-Nation. À l'heure où 60 % d'une classe d'âge est inscrit dans l'enseignement supérieur, où l'on change de métier plus souvent et où l'armée peut être une expérience parmi d'autres, les formations initiales militaires et civiles devraient être davantage décloisonnées et facilitées qu'elles ne le sont aujourd'hui.

Pour abaisser les barrières entre le monde militaire et le monde civil, nous appelons à rénover le parcours d'engagement citoyen en consolidant l'enseignement de défense à l'école, en transformant la journée défense et citoyenneté, qui devrait servir à nourrir une connaissance plus fine de la population et des compétences utiles en cas de risque pour la défense du territoire sans s'interdire d'assumer plus franchement une perspective de recrutement, soit dans la réserve, soit dans l'armée d'active elle-même.

Redonner une forme de centralité à cette journée défense et citoyenneté impliquerait de sceller le sort du service national universel (SNU). Dans un rapport récent, la Cour des comptes a pointé son échec à atteindre les nombreux objectifs qu'il s'était fixé, et accessoirement son coût exorbitant, estimé à terme entre 3,5 et 5 milliards d'euros si la généralisation devait avoir lieu.

Pour compenser un peu les difficultés de recrutement, et pour resserrer les liens entre l'armée et la Nation, il faut rendre plus efficaces les dispositifs de mobilisation de la société. Notre rapport examine en détail les différentes options existantes en Europe, et notamment le modèle de « défense totale » de type suédois.

Pour l'heure, nos dispositifs de réserve doivent relever l'ambitieux défi du recrutement dans les proportions prévues par la LPM, c'est-à-dire un doublement d'ici 2030. Les objectifs sont en train d'être atteints, mais les dernières marches seront plus hautes. Il faudra alors se doter de moyens budgétaires à la hauteur des besoins et faire preuve de volonté politique.

Ces dernières années, les réservistes ont souvent été traités comme des variables d'ajustement, avec des conséquences très regrettables sur le recrutement ou l'activité. Il faudra par conséquent simplifier les parcours de recrutement et préciser le régime d'emploi des réservistes, la nature de leurs sujétions et leurs compensations, afin que les armées puissent réellement compter sur eux le jour venu. La réserve citoyenne doit être considérée comme un maillon essentiel d'un système de défense plus global.

Enfin, il faut démocratiser la décision militaire. La participation du Parlement à la détermination des priorités stratégiques est un point fondamental. Je rappelle que la revue nationale stratégique 2022 avait été établie sans que notre avis soit sollicité, de même que la décision d'engagement des troupes à l'extérieur. Ces considérations sont bien moins éloignées que l'on pourrait le penser de la question de l'attractivité des armées. Comme vous le savez, notre commission avait déjà proposé d'accroître le contrôle parlementaire en la matière, tandis que le Président Larcher a mis en place, en début d'année, un groupe de travail sur le sujet, sur lequel, je crois, il faudra revenir.

Je vous remercie.

M. Mickaël Vallet. - Au sein de la question de l'attractivité, on retrouve évidemment celle des conditions d'exercice.

Sauf erreur de ma part, une dette dite « grise » d'environ quatre milliards d'euros sur les bâtiments à rénover avait été évaluée au moment de l'examen de la LPM. Dans les endroits où les bases sont anciennes et n'ont jamais bénéficié d'une rénovation correcte - je pense, pour ce qui concerne mon département, à l'École de formation des sous-officiers de l'armée de l'air et de l'espace (EFSOAAE) à Rochefort-sur-Mer -, quand on met en parallèle l'état des bâtiments et celui des finances publiques, on ne voit pas de quelle façon il sera possible de préserver ces équipements absolument indispensables et qui participent de la présence de l'armée sur l'ensemble du territoire national. Les travaux représenteraient plusieurs centaines de millions d'euros.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Cette question a fait l'objet d'un rapport pour avis de notre part sur le programme 212 il y a trois ans. Nous avions entendu à cette occasion des choses très précises de la part de la gendarmerie, qui se trouve elle aussi dans la situation que vous venez de décrire, et de façon plus grave encore.

Nous n'avons pas travaillé spécifiquement sur la question du bâti dans le cadre du rapport que nous vous présentons aujourd'hui, mais il serait effectivement utile de refaire un point sur ce sujet. De véritables avancées ont été accomplies ces dernières années, tant en matière d'hébergement en caserne que de logement.

M. Pascal Allizard, président. - Nous avons tout de même eu des échos d'une cessation de paiement par l'État des loyers de la gendarmerie aux collectivités territoriales...

M. Philippe Paul. - J'ai fait mon service militaire à la base de Rochefort-sur-Mer. Quand j'y suis retourné trente ans après, j'ai été effrayé de voir l'état de la base, qui était la plus belle de France. Sa rénovation coûterait en effet plusieurs centaines de millions d'euros.

Pour ce qui est de la gendarmerie, nous nous retrouvons quasiment dans la même situation qu'au temps du général Lizurey, qui ne pouvait pas payer les loyers à la fin de l'année. On parle de 200 millions d'euros de crédits à trouver, mais le montant réel doit être plus proche des 300 millions. Ces sommes ne seront pas forcément prises sur l'exercice en cours, mais sur le suivant.

On évalue à 300 millions d'euros le montant nécessaire chaque année à la rénovation des bâtiments, qu'il s'agisse de l'entretien de l'existant ou de la construction de bâtiments neufs, et au renouvellement de 3 750 véhicules légers.

Or, l'an dernier, alors que le contexte budgétaire n'était pas si contraint qu'il l'est aujourd'hui, seuls 100 millions d'euros ont été investis dans l'immobilier et seulement 500 véhicules renouvelés - il semble d'ailleurs que les livraisons soient bien inférieures à cette quantité.

Certains départements ont pris le relais pour le paiement des loyers des casernes de gendarmerie et n'ont pas été remboursés. Pour le Finistère, le « trou » s'élèverait à 42 millions d'euros. Il y a donc en effet de quoi s'inquiéter.

M. Jérôme Darras. - L'une des solutions est effectivement de faire construire des bâtiments par les collectivités territoriales ou par les organismes HLM et, ensuite, de facturer un loyer.

Or l'interruption du paiement des loyers au mois d'octobre, compte tenu des difficultés financières de la gendarmerie, est un très mauvais signal envoyé aux collectivités et aux bailleurs sociaux, qui y regarderont désormais à deux fois avant de se lancer dans ce type d'opération.

M. Philippe Paul. - À ce propos, bien que 239 nouvelles brigades aient été créées l'an dernier, les seules brigades « en dur » - hors brigades mobiles - sont celles qui ont été installées dans des locaux fournis par les collectivités territoriales. Si ces dernières n'investissent pas, toutes les opérations sont mises en sommeil du côté de la gendarmerie.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - Comme je vous l'ai indiqué, nous n'avons pas spécifiquement approfondi la question cette année, bien qu'il s'agisse d'un élément très important pour l'attractivité des armées. Nous avons cependant établi un état des lieux en novembre 2021.

Avec mon co-rapporteur pour avis du programme 212, nous ferons cette année un nouveau point sur cette question dans le cadre de l'examen du budget 2025.

M. Roger Karoutchi. - Je dois vous avouer être quelque peu sceptique. Il y a deux ans, j'avais réalisé, pour la commission des finances, un rapport sur les ambassades et les consulats français à l'étranger et je m'étais aperçu, à cette occasion, que la situation était la même : tous les bâtiments étaient à refaire et nous n'avions pas de moyens budgétaires à y consacrer. On nous avait promis un plan de rétablissement sur cinq ou dix ans, et la situation n'a pas bougé d'un iota depuis - je dirais même qu'elle a empiré.

Dans ce pays surendetté, on ne veut pas se demander ce que sont les priorités, ni ce qu'est la place de la France au niveau international ou au niveau de sa défense. D'année en année, on repousse les choix et, in fine, on n'en fait pas. Dans mon département, certaines casernes de gendarmerie sont hors d'état, mais chacun se renvoie la balle.

Des priorités doivent donc être définies et il revient peut-être au Parlement de le faire, car les gouvernements ne le font pas et ne le feront pas.

D'autre part, je n'ai pas tout à fait compris la proposition formulée par nos rapporteurs sur le SNU. C'est un dispositif que j'ai suivi avec attention et je suis d'accord pour dire qu'il est coûteux et ne fonctionne pas bien. Pour autant, je ne suis pas favorable à sa suppression, car l'idée originelle en est bonne. Beaucoup de jeunes n'ont pas forcément acquis, par la famille ou l'éducation, les valeurs citoyennes. Le projet de les faire participer à un système leur permettant de s'intégrer davantage à la République ne me paraît pas devoir être écarté d'un revers de la main.

Mme Vivette Lopez, rapporteur. - Nous proposons surtout de réinventer le parcours de citoyenneté, ce qui impliquera de rénover profondément la journée défense et citoyenneté et donc d'interroger le SNU, qui coûte de plus en plus cher. Souvent, au terme de la JDC, les jeunes qui y ont participé ne savent même pas à quoi cela leur a servi. Il paraît donc nécessaire de la consolider, sans s'interdire de la faire contribuer au recrutement.

M. Alain Cazabonne. - Je partage tout à fait ce que vient de dire Roger Karoutchi sur le SNU. J'ai eu l'occasion de suivre plusieurs stages en Gironde et de constater que le système fonctionnait bien. S'il est trop coûteux, il faut bien entendu trouver une autre formule pour maintenir le même esprit.

Concernant les casernes de gendarmerie, dix communes étaient candidates pour en accueillir une en Gironde et, à l'heure du choix, les villes qui avaient assuré pouvoir prendre en charge la construction des bâtiments ont été préférées.

Mme Hélène Conway-Mouret. - C'est le rôle de l'Éducation nationale que d'assurer la mixité sociale. S'il faut créer un instrument pour que les jeunes se rencontrent et passent du temps ensemble, c'est qu'il y a un problème fondamental.

Il me paraît donc nécessaire de remonter à l'origine de ce manque de mixité plutôt que d'empiler les instruments. Certains dispositifs existants pourraient être améliorés si l'argent qui est aujourd'hui dévolu au SNU était redistribué, par exemple sur la réserve ou la journée défense et citoyenneté.

À l'étranger, beaucoup d'ambassades refusent d'ailleurs d'organiser les journées défense et citoyenneté en raison notamment du coût que cela représente.

Par ailleurs, pour répondre à Roger Karoutchi, nous vendons depuis des années nos bâtiments à l'étranger pour pouvoir réinvestir le bénéfice réalisé dans la rénovation de ceux que nous conservons. Au passage, Bercy réalise une ponction sur le produit des ventes, si bien que nous n'avons jamais eu assez d'argent pour renouveler l'ensemble du parc immobilier.

D'ailleurs, ces opérations ont un coût exorbitant, puisque, quand nous vendons, nous louons plutôt que d'être logés chez nous. En cas de boom immobilier, on se retrouve avec des coûts de location bien supérieurs à ce qu'aurait représenté une rénovation des bâtiments.

M. Rachid Temal. - Il est inacceptable de tomber dans un système dans lequel il revient aux collectivités de construire des casernes de gendarmerie pour qu'ensuite le Gouvernement leur reproche de trop dépenser. La sécurité ne saurait être garantie que là où il y a de l'argent. Nous devons sortir de cette schizophrénie : on ne peut pas entendre dire constamment, au sein même de notre commission, qu'il faut réduire l'État et, en même temps, qu'il faut dégager des moyens supplémentaires.

M. Roger Karoutchi. - Personne ici ne souhaite réduire les moyens consacrés au régalien !

M. Rachid Temal. - Dans ce cas, il faut dire où vous voulez trouver des économies. Que ce ne soit pas sur le régalien, je suis d'accord ; mais ça ne peut pas être non plus sur les dépenses sociales. Être une grande puissance - si nous le sommes encore - implique de consacrer des moyens à la défense et à la diplomatie. Il faut donc assumer que tout cela a un coût ou cesser de se gargariser sur la présence de la France dans le monde.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure. - J'aimerais certes que nous économisions cinq milliards d'euros sur le SNU, mais je souhaite que ce rapport fasse consensus, car il s'agit d'abord, ici, de la défense nationale et de nos troupes.

Nous avons écrit que « redonner une forme de centralité à la journée de défense et citoyenneté impliquerait certainement de sceller le sort du SNU ». Je constate que nous ne sommes pas tous d'accord avec cette formulation. Je vous propose donc de remplacer les mots : « sceller le sort » par les mots : « réinterroger le dispositif ».

Les recommandations sont adoptées.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 27 mars 2024

- Table ronde de chercheurs : M. Elyamine Settoul, sociologue, directeur du domaine « Défense et société » à l'IRSEM et Mme Bénédicte Chéron, historienne (ICP).

Mardi 2 avril 2024

GCA Pierre-Joseph Givre, directeur du service national de la jeunesse et président de la commission armée-jeunesse.

Jeudi 4 avril 2024

Général de corps d'armée Benoît Durieux, directeur de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), directeur de l'enseignement militaire supérieur.

Lundi 8 avril 2024

Général de division Benoît Brulon, Commandant le service militaire volontaire et Colonel Arnaud Riche, chef d'État-major ;

Contrôleur général Thibaut de Vanssay, directeur des ressources humaines du ministère de la défense et Mme Caroline Ducret, chargée de mission auprès du Directeur.

Mercredi 10 avril 2024

Haut Comité d'évaluation de la condition militaire (HECM) : Mme Catherine de Salins, présidente et M. Vincent Berthelé, Contrôleur des armées.

Mardi 14 mai 2024

Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) : Adjudant Thomas Legris, armée de l'air et de l'espace, Ingénieur Arnold Thomas, service d'infrastructure de la défense, Lieutenant-Colonel Alexis Dupré, armée de terre, Adjudant Grégory Rivière, gendarmerie nationale, Lieutenant de vaisseau Thibault Basset, Marine nationale, Caporal-chef de 1ère classe Madi Laza, armée de terre, Major Stéphane Sorlin, gendarmerie nationale et M. Christophe Jacquot, secrétaire général ;

Garde nationale et conseil supérieur de la réserve militaire : Général Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général de la Garde nationale et du conseil supérieur de la réserve militaire, Lieutenant Astrid Morin, chef de cabinet du général Gaspari et M. Valentin Bordeaux, rédacteur.

Mercredi 15 mai 2024

État-major des armées : Général de brigade Frédéric Barbry, chef de la division « cohésion nationale » de l'État-major des armées et délégué interarmées aux réserves et le Colonel Marc Galan, chargé des relations avec le Parlement.

Mardi 21 mai 2024

Délégation à l'information et à la communication de la défense (Dicod) : Mme Olivia Penichou, déléguée à l'information et à la communication de la défense ;

Direction des ressources humaines de l'armée de l'air et de l'espace : Général de corps aérien Manuel Alvarez, directeur des ressources humaines de l'armée de l'air et de l'espace et Lieutenant-Colonel Lionel Scardigli, assistant militaire du DRHAAE.

Mercredi 29 mai 2024

Direction des ressources humaines de l'armée de terre : GCA Marc Conruyt, directeur des ressources humaines de l'armée de terre.

Mercredi 9 octobre 2024

Cabinet du chef d'État-major de la Marine : Vice-amiral d'escadre Éric Janicot, directeur du personnel de la Marine, capitaine de corvette Edouard Menage, chef de cabinet et le capitaine de vaisseau Guillaume Coube, officier en charge des liaisons parlementaires.

CONTRIBUTION ECRITE :

Colonel Sylvain Lautier, attaché de défense de l'ambassade de France en Suède.


* 1 Pierre Schill, entretien dans Combats futurs n° 0, 1er trimestre 2024.

* 2 Barbara Jankowski, « L'opinion des Français sur leurs armées ». Guerre, armées et communication, édité par Éric Letonturier, CNRS Éditions, 2017.

* 3 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission Défense pour l'exercice 2022.

* 4 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission Défense pour l'exercice 2023.

* 5 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 6 Cour des comptes, note d'exécution budgétaire de la mission défense pour l'exercice 2023, avril 2024, p. 61.

* 7 Voir par exemple « Morality and reality: the key problems facing UK military recruiters » dans le Guardian, le 26 janvier 2024.

* 8 Voir « Defence review: British army to be cut to 72,500 troops by 2025 », sur le site de la BBC, le 22 mars 2021.

* 9 Unterrichtung durch die Wehrbeauftragte, Jahresbericht 2023 (65. Bericht), publié le 12 mars 2024.

* 10 Voir par exemple « U.S. enters 2024 with its smallest military in over 80 years as active-duty troop numbers sink to less than 1.3 million and all branches except Space Force MISS recruiting goals and Pentagon issue 'national call of service' to Gen Z », dans le Daily Mail, le 16 décembre 2023 ; « Why has America's army plummeted ? », dans The Economist, le 29 novembre 2022 ; ou encore « America isn't ready for another war -- because it doesn't have the troops » dans Vox.com, le 1er septembre 2024.

* 11 Départs aidés : départ volontaire avec pécule, nomination à un emploi public, ou cessation de l'état militaire après congés de reconversion. Départs spontanés : cessation de l'état de militaire de carrière et résiliation du contrat, départ volontaire des non officiers entre 9 et 11 ans de service avec indemnité de départ, nomination à un emploi public, non renouvellement de contrat par l'intéressé, dénonciation de contrat pendant la période probatoire (attrition). Départs imposés : radiation des cadres ou résiliation pour raison disciplinaire dont désertion, départ imposé de non officiers entre 9 et 11 ans de service avec indemnité de départ, non renouvellement de contrat par le commandement, ou dénonciation de contrat pendant la période probatoire.

* 12 Article 698-1 du code de procédure pénale.

* 13 « Le temps des déserteurs », dans Le Monde du 17 avril 2018.

* 14 https://www.insee.fr/fr/outil-interactif/5896897/pyramide.htm#!l=fr

* 15 Marie Michelle Legrand, Hugues Lermechin, Insee Hauts-de-France, « Un pic de jeunes en 2030, une diminution à plus long terme », Insee analyses Hauts-de-France, décembre 2018.

* 16 Voir Insee, « La France dans l'Union européenne », édition 2019.

* 17 Article L. 4132-1 du code de la défense.

* 18 Voir l'article L. 4132-7 du code de la défense.

* 19 Mémorandum du 20 juillet 2022 cité par L'Express dans « Obésité, niveau scolaire en baisse... La crise de recrutement de l'armée américaine », publié le 1er août 2022.

* 20 Voir notamment « Après le choc de la crise sanitaire, réinvestir la santé mentale », rapport d'information n° 304 (2021-2022) de M. Jean Sol et Mme Victoire Jasmin, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 15 décembre 2021 ; et « Surpoids et obésité, l'autre pandémie », rapport d'information n° 744 (2021-2022) de Mmes Chantal Deseyne, Brigitte Devésa et Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 29 juin 2022.

* 21 Voir Santé publique France, « Activité physique et sédentarité dans la population en France. Synthèse des données disponibles en 2024 », septembre 2024.

* 22 Voir « Pourquoi les enfants et adolescents ont aussi besoin de renforcement musculaire » dans Le Monde du 12 octobre 2024.

* 23 Baromètre BVA Xsight / Groupe ISC Paris du bonheur au travail vu par les jeunes, 29 février 2024.

* 24 Myjobglasses et Ipsos, « Observatoire national du premier emploi 2022 », avril 2022.

* 25 HCECM, Revue annuelle de la condition militaire 2023.

* 26 Rapport d'information n°1328 sur le Plan famille fait par M. Emeric Salmon au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, déposé le 7 juin 2023.

* 27 Cour des comptes, Les conditions d'hébergement dans les bases de défense, 7 juin 2023.

* 28 HCECM, 16e rapport thématique, 2022.

* 29 Décision n° 2014-450 QPC du 27 février 2015.

* 30 Conseil d'État, Ass., décision n° 437125 « Bouillon » du 17 décembre 2021.

* 31 HCECM, rapport précité, p. 101.

* 32 Voir « Conjoint(e)s de militaires : le double défi de leur carrière professionnelle et de la stabilité familiale », dans Le Figaro Emploi, le 23 avril 2024.

* 33 Décret n° 2020-1654 du 22 décembre 2020 relatif à l'indemnité de mobilité géographique des militaires.

* 34 Décret n° 2021-1701 du 17 décembre 2021 relatif à l'indemnité de sujétions d'absence opérationnelle.

* 35 Décret n° 2021-1702 du 17 décembre 2021 relatif à la prime de commandement et de responsabilité militaire.

* 36 Décret n° 2021 -1703 du 17 décembre 2021 relatif à la prime de performance, et arrêté du même jour pris pour son application.

* 37 Décret n° 2023-397 du 24 mai 2023 relatif à l'indemnité d'état militaire et modifiant ou abrogeant diverses dispositions indemnitaires relatives aux militaires et arrêté du 24 mai 2023 modifiant et abrogeant divers arrêtés relatifs à la solde et aux accessoires de solde des militaires.

* 38 Décret n° 2023-395 du 24 mai 2023 relatif à la prime de parcours professionnels, et arrêté pris le même jour pour son application.

* 39 Décret n° 2023-396 du 24 mai 2023 relatif à la prime de compétences spécifiques des militaires, et arrêtés du même jour et du 2 août 2023 pris pour son application.

* 40 Cour des comptes, analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Sécurités », avril 2023.

* 41 Voir notamment l'avis n° 130 (2023-2024) sur le programme 212 de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2024, déposé par M. Jean-Pierre Grand et Mme Marie-Arlette Carlotti au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le 23 novembre 2023.

* 42 Voir par exemple « Comparison of the salary of European armed forces », SWP Working paper, septembre 2019.

* 43 Décret n° 2023-1002 du 30 octobre 2023 modifiant l'échelonnement indiciaire applicable à certains militaires non officiers.

* 44 « L'indice de traitement brut - grille indiciaire des militaires des armées augmente de 0,3 % au 4e trimestre 2023 », note de conjoncture Ecodef n° 241, juin 2024.

* 45 Décret n° 2023-1003 du 30 octobre 2023 modifiant l'échelonnement indiciaire applicable à certains militaires non officiers.

* 46 Voir Amélie Zima, « Fortifier la Pologne ? Le projet de bouclier Est », briefing de l'Ifri, juin 2024.

* 47 Voir notamment « New face of the military » dans Polska Zbrojna, le 17 mai 2023.

* 48 Voir « Polish army copes with recruitment targets », sur PolskieRadio.pl, le 11 août 2024.

* 49 Voir Cour des comptes, Le service de santé des armées, une capacité à consolider, juin 2023.

* 50 Mission d'enquête du collège des inspecteurs généraux des armées sur les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des Armées, 10 juin 2024.

* 51 Voir par exemples la décision n° 2022-230 du 21 février 2023.

* 52 Rapport de la commission de révision du statut général des militaires, présidée par Renaud Denoix de Saint Marc, 29 octobre 2003, p. 31.

* 53 Instruction ARM/CAB du 28 juin 2024 sur la mise en oeuvre d'un programme de lutte contre les violences sexuelles et sexistes au sein du ministère des armées, actualisée par l'instruction ARM/CAB du 26 mars 2024 sur la conduite à tenir en cas de signalement d'actes de violence, de discrimination, de harcèlement à caractère sexuel, et d'agissements sexistes au sein du ministère des armées.

* 54 Cour des comptes, L'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan, Exercices 2014-2022, 2024.

* 55 Instruction n° 210214/ARM/SGA/DRH-MD relative à l'organisation, à la gouvernance et aux processus de la fonction ressources humaines au sein du ministère des armées.

* 56 Voir notamment son rapport thématique 2022.

* 57 DGAFP, Rapport annuel sur l'état de la fonction publique, édition 2022, publié en décembre 2022, p. 39.

* 58 Thomas Fargeas et Dimitri Lemaire, « Les recrutements externes de fonctionnaires de l'État en 2022 », note de la DGAFP, mai 2024.

* 59 Thomas Fargeas et Dimitri Lemaire, « Les recrutements externes de fonctionnaires de l'État en 2022 », note de la DGAFP, mai 2024.

* 60 DGAFP, Rapport annuel sur l'état de la fonction publique, édition 2023, publié en décembre 2023.

* 61 Cour des comptes, Les forces de sécurité intérieure : des moyens accrus, une efficience à renforcer, note thématique, juillet 2023.

* 62 Cour des comptes, analyse de l'exécution budgétaire 2022, Mission « Sécurités », avril 2023.

* 63 Eric Desmons, Mourir pour la patrie ?, Paris, PUF, coll. « Béhémoth », 2001.

* 64 Eric Desmons, op. cit.

* 65 Eric Desmons, op. cit.

* 66 Bénédicte Chéron, « Les français, les valeurs et les vertus militaires : le grand malentendu », Inflexions, 2021/3 (N° 48), p. 53-60.

* 67 Voir, parmi de nombreux exemples : « Plan jeunes : « Il n'y aura pas de génération sacrifiée », promet Gabriel Attal », dans Le Parisien du 4 juin 2020 ; « Pour les trois quarts des Français, la jeunesse d'aujourd'hui est une génération sacrifiée », dans Le Figaro du 19 novembre 2020 ; « Notre jeunesse va mal : aider la génération sacrifiée ? » dans Challenges, le 17 octobre 2021 ; « « La jeunesse est face à une marée montante de la précarité », dans Le Monde du 2 mars 2022.

* 68 Jean-François Chanet, « L'Armée nouvelle : défense nationale et « mêlée sociale » », Cahiers Jaurès, 2013/1-2 (N° 207-208), p. 63-76.

* 69 « Un phénomène tentaculaire : l'influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques », rapport n° 578 (2021-2022), de la commission d'enquête sénatoriale déposé le 16 mars 2022.

* 70 Bénédicte Chéron, « Les français, les valeurs et les vertus militaires : le grand malentendu », Inflexions, 2021/3 (N° 48), p. 53-60.

* 71 Barbara Jankowski, « Opinion publique et armée à l'épreuve de la guerre en Afghanistan », études de l'Irsem, 2014.

* 72 Dicod, « La défense dans l'opinion des Français », 2017.

* 73 Opinion Way, « Les Français et leur perception de l'armée française », 2 juillet 2021.

* 74EcoDef Conjoncture n °248 "Opinion des Européens sur la défense au printemps 2024", juillet 2024 | Ministère des Armées (defense.gouv.fr)

* 75 « Les jeunes et la guerre, représentations et dispositions à l'engagement », étude Irsem-DGRIS n° 116 dirigée par Anne Muxel, avril 2024.

* 76 Compte-rendu de l'audition, par la commission de la défense de l'Assemblée nationale, du général d'armée Thierry Burkhardt, chef d'état-major des Armées, sur le projet de loi de finances 2024, le 4 octobre 2023.

* 77 « Zones d'emploi et implantation de l'armée de terre en métropole », étude Ecodef, janvier 2023.s

* 78 HCECM, rapport thématique 2017.

* 79 HCECM, rapport thématique 2023.

* 80 Article L. 4121-2.

* 81 Vincent Desportes, Devoir d'expression et efficacité militaire : un lien consubstantiel. Inflexions, 2018/3 N° 39, pp. 121-125. Voir aussi, du même : La dernière bataille de France, Paris, Gallimard, 2015.

* 82 HCECM, rapport thématique 2017.

* 83 Claire Legras, « Du devoir de réserve des militaires », dans Inflexions, 2018/3 N° 39, pp. 13-22.

* 84 Jean-Christophe Videlin, « Le devoir de réserve s'applique aux militaires de réserve », sur Leclubdesjuristes, le 28 avril 2021.

* 85 Jean Jaurès, L'armée nouvelle, Paris, Éditions sociales, 1977, p. 229.

* 86 Voir les articles R. 1132-12 et suivants du code de la défense dans la rédaction issue du décret n° 2009-752 du 23 juin 2009 relatif à l'Institut des hautes études de défense nationale.

* 87 Loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du service national.

* 88 Article L. 312-12.

* 89 Circulaire n° 2016-176 « Application du protocole interministériel du 20 mai 2016 » du 22 novembre 2016.

* 90 Dans une interview au Monde, le 11 juillet 1981.

* 91 Chiffre toutefois difficile à vérifier : le rapport de l'Assemblée nationale de juin 2024 sur l'éducation à la défense donne celui de 780 ; un document du SGA au titre de l'année 2021-2022 donne celui de 570.

* 92 Rapport d'information n° 2693 de M. Christophe Blanchet et Martine Etienne sur le rôle de l'éducation et la culture dans la défense nationale, 29 mai 2024.

* 93 Voir : Examen du Royaume-Uni au Comité des droits de l'enfant : des experts font part de préoccupations s'agissant du projet de loi sur l'immigration, du recrutement d'enfants dans l'armée et de la discrimination envers certains enfants, sur le site de l'OHCHR, le 19 mai 2023.

* 94 Voir Child Rights International Network, « Conscription by poverty? Deprivation and army recruitment in the UK », août 2019.

* 95 Voir exemple « Morality and reality: the key problems facing UK military recruiters » dans le Guardian, le 26 janvier 2024.

* 96 Voir par exemple « Bundeswehr rekrutiert Tausende Teenager » dans le Spiegel, le 25 juillet 2024.

* 97 Article L. 111-1.

* 98 Article L. 111-2.

* 99 Cour des comptes, La formation à la citoyenneté, Communication au comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, octobre 2021.

* 100 Cour des comptes, « Le service national universel (SNU), un premier bilan, cinq années après son lancement », septembre 2024.

* 101 Ibid., p. 25.

* 102 Ibid., p. 59.

* 103 « Le service national universel : la généralisation introuvable », rapport d'information n° 406 (2022-2023) de M. Éric Jeansannetas, fait au nom de la commission des finances, déposé le 8 mars 2023.

* 104 Voir Sophia Besch and Katrine Westgaard, « Europe's Conscription Challenge: Lessons From Nordic and Baltic States », Carnegie endowment for international peace paper, juillet 2024.

* 105 Ben Wallace, le 30 mars 2023.

* 106 Christophe van der Maat, le 24 janvier 2024.

* 107 Boris Pistorius, le 12 mars 2024.

* 108 Voir « Europe eyes Sweden's conscription model to solve troop shortage », dans Politico, le 16 juillet 2024.

* 109 HCECM, « Les réserves », rapport thématique 2024, juillet 2024.

* 110 Article D4261-10 du code de la défense.

* 111 Cour des comptes, Les réserves opérationnelles dans la police et la gendarmerie nationales, avril 2019.

* 112 HCECM, rapport thématique 2015.

* 113 Barbara Jankowski, « Opinion publique et armées : à l'épreuve de la guerre en Afghanistan », étude de l'Irsem n°32, février 2014.

* 114 Voir notamment Raoul Girardet, La société militaire de 1815 à nos jours, Paris, Perrin, 1998.

* 115 Barbara Jankowski, article précité.

* 116 Delphine Deschaux-Dutard, « Usage de la force militaire et contrôle démocratique : le rôle des arènes parlementaires en France et en Allemagne », dans Revue internationale de politique comparée 2017/3 (Vol. 24)2017/3 (Vol. 24), pp. 201-231.

* 117 Thibaud Mulier, « Misère parlementaire en matière de défense », dans Jus Politicum, le 27 septembre 2021.

* 118 « Interventions extérieures de la France : renforcer l'efficacité militaire par une approche globale coordonnée », rapport d'information n° 794 (2015-2016) de Jacques Gautier, Daniel Reiner, Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux, Cédric Perrin et Gilbert Roger fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, déposé le 13 juillet 2016.

* 119 « 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France », groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle présidé par M. Gérard Larcher, président du Sénat, janvier 2018.

* 120 « 20 propositions d'évolution institutionnelle », groupe de travail du Sénat sur les institutions, mai 2024.

* 121 Gautier, Reiner, Bockel, Lorgeoux, Perrin et Roger, rapport précité.

* 122 Le livre blanc sur la défense de 2013 prenait soin d'indiquer que la souveraineté « repose sur l'autonomie de décision et d'action de l'État », qu'elle est un « attribut essentiel de la Nation », et celui de 2017 que la souveraineté « relève d'une approche nationale, non partageable ». Voir encore l'étude annuelle 2024 du Conseil d'Etat sur « La souveraineté », notamment les pages 193 à 200.

* 123 Voir la Résolution du Parlement européen du 9 juin 2022 sur la convocation d'une convention pour la révision des traités, la résolution européenne relative aux suites de la conférence sur l'avenir de l'Europe, adoptée le 29 novembre 2023, « Naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l'UE au XXIe siècle », rapport du groupe de travail franco-allemand sur les réformes institutionnelles de l'UE, 18 septembre 2023, ou encore le soutien apporté à la création d'un portefeuille de commissaire à la défense dans la nouvelle Commission européenne issue des élections du 9 juin 2024.

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