II. L'ADAPTATION DU BLOC COMMUNAL AU VIEILLISSEMENT, QUI INTÉRESSE TOUTES LES DIMENSIONS DU QUOTIDIEN, DOIT PROCÉDER D'UNE APPROCHE TRANSVERSALE

L'adaptation au vieillissement n'implique « plus seulement de prendre en charge, mais de prévoir et d'éviter des phénomènes d'exclusion, d'isolement et d'imaginer un fonctionnement harmonieux dans lequel l'ensemble de la population se retrouve »70(*). L'adaptation du bloc communal au vieillissement suppose une approche politique globale. Les initiatives, qui foisonnent sur les territoires, méritent une médiatisation et des moyens renforcés pour maximiser leur impact.

A. L'ENJEU DU VIEILLISSEMENT IMPLIQUE UNE APPROCHE TRANSVERSALE, À L'IMAGE DU RÉFÉRENTIEL PORTÉ PAR LE RÉSEAU DES « VILLES AMIES DES AÎNÉS »

1. L'adaptation du bloc communal à la transition démographique doit procéder d'une « politique à 360° »
a) L'adaptation au vieillissement est un enjeu éminemment transversal

L'adaptation au vieillissement - qui touche à tous les aspects de la vie quotidienne - nécessite de dépasser les approches cloisonnées (dites « en silos ») pour mettre en oeuvre une « politique à 360° »71(*). Créer un environnement favorable pour les seniors implique d'adapter des politiques aussi variées que celles de l'habitat, des mobilités, de l'urbanisme, ou encore l'offre culturelle72(*).

Le délégué général de l'association Petits frères des pauvres, auditionné dans le cadre de cette mission, souligne que « nombre de solutions nécessitent avant tout un changement de regard dans la structuration des politiques municipales existantes [ou] des réorganisations de dispositifs, voire de services »73(*). C'est dans cet esprit que la commune de Clamart, dont les représentants ont été auditionnés par vos rapporteurs, a impulsé une dynamique résolument transversale, tournée vers « l'aller vers », et a institué un conseil des aînés afin de mettre l'accent sur la dimension participative des politiques d'adaptation au vieillissement.

Cependant, contrairement à d'autres domaines municipaux clairement identifiés tels que la petite enfance, le sport ou la culture, les bases de données de la direction générale des collectivités locales (DGCL) ne proposent pas de « recension nationale en bonne et due forme, et encore moins une dénomination harmonisée »74(*) des élus référents dans le domaine du grand âge.

Si bon nombre de communes restent dépourvues d'élu dédié aux personnes âgées, ce rôle apparaît pourtant nécessaire pour « donner à [cette] délégation un caractère global » et affirmer sa nature transversale en posant un « oeil âgé »75(*) sur chaque programme d'aménagement ou d'équipement public. Sur la forme, pour plus de lisibilité, une suggestion serait de privilégier la dénomination « maire adjoint en charge des seniors » 76(*).

Recommandation n° 7 : Privilégier une approche participative et transversale de l'adaptation au vieillissement, par exemple au travers de la désignation d'un « maire adjoint en charge des seniors ».

Les initiatives visant à adapter les communes et intercommunalités au vieillissement, bien que disparates selon les territoires, couvrent des domaines variés. Pour n'en citer que quelques exemples :

- pour adapter les mobilités et les transports, les transports à la demande (TAD) se sont développés sous l'impulsion des collectivités territoriales, prenant des formes variées telles que des bus réservables ou des covoiturages solidaires. À l'échelle intercommunale, les points d'information médiation multiservices (PIMMS77(*)) offrent souvent des solutions de mobilité, notamment via le dispositif « Senior Mobile » permettant aux personnes âgées ou non véhiculées de réserver gratuitement un véhicule avec chauffeur, afin de pouvoir effectuer des achats ou encore effectuer des démarches administratives ;

- l'effort d'adaptation de l'aménagement urbain consiste à rendre les espaces piétons et la voirie plus accessibles en prévoyant « la présence de points d'arrêt rassurants que sont les bancs ou les toilettes publiques »78(*) ;

- en matière d'offre culturelle, l'association France urbaine a présenté à vos rapporteurs l'exemple de la ville du Havre, qui expérimente un dispositif d'accompagnement des publics isolés vers les lieux culturels. Dans les communes de plus petite dimension, il peut être envisagé de « coupler le portage des repas avec celui de livres ou de revues, ou bien de films et de musique »79(*), sur la base d'une offre construite, le cas échéant, par la bibliothèque communale ou intercommunale80(*).

b) La lutte contre l'isolement des personnes âgées isolées, un enjeu de fraternité à l'échelle de la commune

Alors que l'on estime à 530 000 le nombre de personnes en situation de « mort sociale »81(*), la lutte contre l'isolement des aînés est essentielle pour traduire concrètement les valeurs de fraternité.

Les communes peuvent, par exemple, participer au dispositif Monalisa. On pourra citer l'exemple de Bellegarde (Gard) qui, au travers de son CCAS, prend part à cette initiative depuis 2019, en mobilisant des équipes de citoyens bénévoles formés82(*) pour accompagner les personnes âgées isolées et recréer du lien social. Ce service d'accompagnement, gratuit et accessible sur simple inscription, permet de mobiliser l'ensemble des acteurs d'un quartier, tels que les « associations, les bailleurs sociaux, les commerçants de proximité » 83(*), contribuant in fine à l'inclusion des aînés isolés.

Pour prévenir le drame des « morts solitaires », les agents et délégataires de la commune ou de l'intercommunalité - en particulier ceux chargés de la collecte des ordures ménagères - peuvent être sensibilisés au repérage des anomalies (boîtes aux lettres non vidées, poubelles non sorties ou vides, etc.)84(*).

Recommandation n° 8 : Lutter contre l'isolement des personnes âgées et contre les phénomènes de « mort solitaire » :

- en sensibilisant les agents ou délégataires des communes et intercommunalités au repérage d'anomalies (poubelles non sorties, boîtes aux lettres pleines) ;

- en couplant - lorsque cela est possible - le portage des repas avec celui de livres ou de revues.

c) L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) prévoit désormais des volets spécifiques consacrés à l'adaptation au vieillissement

Dans la lignée des recommandations de Luc Broussy dans son rapport précité85(*), l'ANCT a fait de la transition démographique l'une de ses priorités, aux côtés de la transition écologique et économique, en particulier dans le cadre de ses programmes « Petites villes de demain » et « Action coeur de ville ».

L'enjeu de l'adaptation au vieillissement est d'autant plus prégnant que les communes membres du programme « Petites villes de demain » sont, au regard de leurs caractéristiques, concernées au premier chef par la transition démographique. La part des personnes âgées de plus de 75 ans y est nettement supérieure à la moyenne nationale86(*) :

 

Petites villes de demain

Moyenne nationale

Part des personnes de 75 ans et plus

12,6 %

9,3 %

Part des personnes de 65 ans et plus

24,5 %

19,8 %

Source : données INSEE

Vos rapporteurs recommandent ainsi de continuer à veiller à l'inclusion systématique, dans les programmes structurants de l'ANCT, d'un volet consacré à l'adaptation au vieillissement des communes et groupements de communes.

Les représentants de l'ANCT ont présenté à vos rapporteurs la démarche « Bien vieillir dans les Petites villes de demain » initiée en décembre 2021. Dans ce cadre, un appel à manifestation d'intérêts a été initié en partenariat avec la CNSA et la Banque des territoires, pour soutenir le développement de projets d'habitats inclusifs dans les communes du programme « Petites villes de demain ». Selon l'ANCT, en octobre 2023, quelque 116 projets d'habitat inclusif avaient été accompagnés87(*) dans le cadre de l'opération Petites villes de demain. Les porteurs de projets, publics ou privés, bénéficient d'un accompagnement en ingénierie dès l'entrée dans le dispositif, d'une « mise en visibilité nationale », d'un accompagnement local sur mesure, ainsi que d'une mise en réseau avec les autres lauréats.

Le projet d'habitat social, écologique et intergénérationnel porté par la commune de Créon (Gironde) a été retenu parmi les lauréats de l'appel à manifestation d'intérêt « Bien vieillir dans les Petites villes de demain ». Ce projet participatif et coopératif, porté par des résidents désireux de vivre en colocation intergénérationnelle, a bénéficié d'un soutien financier
de 15 000 euros de la CNSA, permettant au collectif d'être accompagné par une architecte et de réaliser une étude des sols.

2. Le réseau des « Villes amies des aînés » reste méconnu malgré sa pertinence

Le RFVAA88(*), créé en 2012 et affilié au réseau mondial des villes et communautés amies des aînés de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), comptait 333 collectivités adhérentes en octobre 2024.

La démarche portée par ce réseau a été largement saluée lors des auditions menées par vos rapporteurs. La participation au RFVAA implique de répondre à des critères définis dans un référentiel « extrêmement pertinent », bien que « trop méconnu » selon Jean-Marc Blanc, directeur de l'institut méditerranéen des métiers de la longévité (I2ML), auditionné dans le cadre de cette mission. Les principaux objectifs de la démarche
consistent à :

- mieux anticiper les changements sociétaux liés à l'augmentation de l'espérance de vie ;

- lutter contre l'âgisme, c'est-à-dire les discriminations fondées sur l'âge, en revalorisant la place et le rôle des aînés ;

- adapter les territoires au vieillissement à travers une prise en compte du quotidien des seniors ;

- permettre à chaque individu, quel que soit son âge, de trouver sa place dans la société et de se sentir pleinement acteur de son territoire.

Ce cadre est décliné autour de huit principaux axes thématiques, dont trois concernent l'environnement bâti (bâtiment et espaces
extérieurs ; transport et mobilité ; habitat) et cinq relèvent de l'environnement social (culture et loisirs ; autonomie, services et soins ; participation citoyenne et emploi ; lien social et solidarité ; information et communication). Ces objectifs sont regroupés dans un plan d'action « applicable à tout territoire souhaitant améliorer la qualité de vie de ses habitants âgés, quels qu'en soient la taille, le cadre de vie, ou les ressources »89(*).

Depuis janvier 2021, la ville de Caen est engagée dans la démarche « Ville Amie des Aînés », et vise l'obtention du label en 2025. À cette fin, la municipalité a déployé un plan d'action, autour des huit axes évoqués supra, reposant sur des actions concrètes et réalisables à moyen terme, pour apporter des améliorations tangibles dans le quotidien des aînés. Comme le souligne la ville de Caen dans sa contribution écrite à la mission, cette « démarche se veut participative et transversale. Participative puisqu'elle repose en grande partie sur la parole des personnes âgées qui sont partenaires à part entière de la démarche, et transversale tant elle a vocation à fédérer l'ensemble des délégations municipales et partenaires de la société civile. ».

L'engagement de la commune de Caen dans la démarche « Ville amie des aînés »

Source : contribution écrite de la commune de Caen à la mission

Forte de 924 habitants, la commune de Trévières (Calvados) - par ailleurs bénéficiaire du programme « Petites villes de demain » - s'est également engagée dans la démarche. En mars 2023, un diagnostic des besoins, mené en partenariat avec le gérontopôle de Normandie, a été restitué pour définir un plan d'action, en suivant le référentiel du RFVAA. L'étude révélait que
38,4 % de la population était âgée de plus de 60 ans, et qu'un tiers des seniors était dans une situation de « fragilité sociale ». Parmi les principales recommandations du diagnostic, on trouve la nécessité de prévoir des espaces extérieurs récréatifs, de développer des solutions de mobilité et d'adapter le parc de logements au vieillissement90(*). L'étude montre aussi que, grâce aux actions et ateliers déployés depuis 2017 pour lutter contre l'isolement des personnes âgées, Trévières a su « développer le lien intergénérationnel », qui pourrait être conforté au travers de l'institution d'un conseil des seniors.

La commune de Clamart figure parmi les 38 territoires labellisés « Ami des aînés »91(*). Les principes ayant présidé à cette démarche ont été présentés à vos rapporteurs par Jessica Vanborre, directrice de l'action sociale de la commune, et Gauthier Afchain, directeur général adjoint en charge des services à la population.

Le label « Ami des aînés » à Clamart : une démarche participative et transversale

L'entrée dans la démarche Ville Amie des Aînés en février 2022 a permis de « structurer » la politique de l'âge en conduisant « l'ensemble des services de la ville investis à changer leur angle d'approche dans la conduite des projets ».

Le principe du « faire avec » plutôt que du « faire pour » a permis de « remettre systématiquement les aînés au coeur des décisions pour eux-mêmes ». Ainsi, un conseil consultatif des aînés a été créé en décembre 2023, pour participer au déploiement du plan d'action « Ville amie des aînés » au travers de commissions thématiques. Des « aînés ambassadeurs » participent en outre à la commission communale d'accessibilité.

La commune de Clamart a obtenu, en 2024, le label « Ami des aînés ». Un comité de pilotage de la démarche se réunit deux fois par an, et « rassemble des acteurs clés au sein de la ville : cabinet du maire, service communication, élus du territoire, élue du CCAS, agents du CCAS, aînés ambassadeurs, partenaires » afin de permettre une « prise en compte globale des enjeux liés au vieillissement, une mise en lien entre les différents acteurs et une expression facilitée des aînés ».

Si la démarche du RFVAA s'adresse essentiellement aux communes, les représentants d'Intercommunalités de France ont précisé, dans le cadre de leur audition, que l'objectif était aussi de déployer la méthode de RFVAA à l'échelle de l'intercommunalité92(*). En décembre 2023, l'agglomération de Cholet est devenue la première intercommunalité de France à être labellisée
« Amie des aînés ».

Recommandation n° 9 : Renforcer la visibilité du réseau « Villes amies des aînés » au travers d'un soutien symbolique (reconnaissance juridique, actions de communication), voire matériel (subventions93(*)), du ministère de la cohésion des territoires.

*


* 70 Martine Long, « Intercommunalités, communes et population âgée : la prise en compte du vieillissement par les territoires », RDSS, 2011 n° 4, p. 605-614.

* 71 Pour reprendre la formule de Luc Broussy dans son rapport interministériel sur l'adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population (mai 2021), p.96.

* 72 Marianne Bléhaut, Pauline Jauneau, «  Les trajectoires résidentielles après la
pandémie - Stabilité, aspiration habitat et enjeux liés aux seniors 
», mai 2023, p. 7.

* 73 Yann Lasnier et Boris Venon, « Bien vieillir : 50 solutions pour les territoires », octobre 2024,
p. 120.

* 74 Yann Lasnier et Boris Venon, op.cit., p. 35.

* 75 Ibid., p. 66.

* 76 Ibid., p. 36.

* 77 Les PIMMS, structures citées en exemple par Josiane Corneloup, présidente de l'ANPP, lors de son audition par vos rapporteurs, regroupent divers acteurs des services publics et accueillent
plus de 10 000 personnes chaque année, dont 70 % sont âgées de plus de 65 ans.

* 78 Yann Lasnier et Boris Venon, op.cit., p. 68.

* 79 Yann Lasnier et Boris Venon, op.cit., p. 60.

* 80 On pourra également se référer, sur ces points, aux récentes conclusions de la mission relative à « l'ingénierie culturelle dans les communes et les intercommunalités rurales », conduite par la députée Virginie Duby-Muller et la sénatrice Frédérique Espagnac, qui formule plusieurs recommandations pour permettre aux communes de monter leurs projets (renforcement des informations fournies par les DRAC, structuration du soutien apporté par les Conseils d'architectures, etc.).

* 81 Baromètre « Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans en France en 2021 »,
30 septembre 2021,
Petits frères des pauvres.

* 82 À Bellegarde, ainsi, 8 bénévoles se sont proposés pour participer au dispositif, et ont bénéficié d'une formation permettant d'assurer des visites conviviales aux personnes âgées isolées inscrites.

* 83 Réponses écrites de France urbaine au questionnaire des rapporteurs.

* 84 Yann Lasnier et Boris Venon, op.cit., p. 30.

* 85 Luc Broussy, Rapport interministériel sur l'adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population, mai 2021.

* 86 Cette problématique étant tout particulièrement marquée dans les 35 communes du programme situées dans les territoires d'Outre-mer, notamment aux Antilles. Par ailleurs, on notera que l'association des Petites villes de France a récemment publié un guide à destination des élus des petites communes pour « bien vieillir dans les petites villes ».

* 87 Les financements pouvant atteindre jusqu'à 1,5 million d'euros.

* 88 Le réseau RFVAA a progressivement supplanté l'initiative « Bien vieillir - Vivre ensemble » lancée en juillet 2009 par la ministre de la santé Roselyne Bachelot et la secrétaire d'État chargée des aînés Nora Berra.

* 89 V. Rapport d'information n° 453 (2020-2021), op. cit., p. 118.

* 90 Journal La Renaissance - Le Bessin, « Trévières : la commune en réflexion pour sa politique de l'âge », 30 mars 2023.

* 91 La liste des communes labellisées ou « en route vers le label » est consultable en suivant le lien :

https://www.villesamiesdesaines-rf.fr/files/ressources/500/523-les-territoires-labellises-ami-des-aines-et-en-route-vers-le-label.pdf

* 92 En 2022, Intercommunalités de France s'est associée au réseau francophone des « Villes amies des aînés » pour signer la tribune « Réaffirmons ensemble l'engagement des territoires pour répondre au défi de la longévité ! ».

* 93 La subvention annuelle au réseau n'étant, en 2021, que de 35.000 euros, versés par le ministère des Affaires sociales.

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