AVANT-PROPOS

À l'heure où la transition démographique s'accélère, l'adaptation au vieillissement de la population est devenue un véritable « enjeu territorial »7(*). Ainsi que le prédisait Luc Broussy dans un rapport interministériel remis en 20218(*), les « maires sont en passe de devenir sur leur territoire les grands architectes de la transition démographique ». La reconnaissance du rôle stratégique des communes et des intercommunalités reste pourtant limitée.

Les données démographiques sont sans équivoque : la décennie 2020 est marquée par une « explosion du nombre de 75-84 ans »9(*), qui seront 6,1 millions en 2030 (contre 4,1 millions en 2020, soit une augmentation de 49 %). À l'horizon 2050, la France devrait compter 7,2 millions d'habitants âgés de 75 à 84 ans.

Pourtant, les politiques nationales trahissent toujours « le manque de conscience et le niveau d'impréparation de la puissance publique dans son ensemble à accueillir cette vague de vieillissement »10(*). Dans ce contexte, compte tenu de la nature éminemment locale de certains enjeux, « l'adaptation de la société au vieillissement ne pourra se faire sans les collectivités, et plus spécifiquement sans les communes et intercommunalités »11(*). Les initiatives qui foisonnent
à l'échelle locale - et dont un échantillon sera présenté dans ce
rapport - mériteraient d'être mieux soutenues et d'essaimer sur d'autres territoires.

Ce travail vise aussi à mettre en valeur certains axes d'une stratégie du « bien vieillir » à l'échelle du bloc communal. Au-delà des aspects médico-sociaux12(*), l'adaptation au vieillissement concerne l'ensemble des dimensions de la vie quotidienne des « seniors » 13(*), que l'on pense à l'adaptation du mobilier urbain et des logements, à l'accès aux services publics, ou encore à la participation citoyenne.

Au terme d'un important travail d'auditions d'élus, d'associations d'élus locaux, d'acteurs associatifs, de chercheurs et de représentants de caisses de sécurité sociale, vos rapporteurs sont convaincus de la place incontournable que doit jouer le bloc communal pour permettre à nos concitoyens de vieillir sereinement, et ne peuvent que souscrire aux appels à faire du bien vieillir « une grande cause nationale ».

I. LES COMMUNES ET LES INTERCOMMUNALITÉS SONT, PLUS QUE JAMAIS, DES ACTEURS ESSENTIELS POUR RÉPONDRE AUX BESOINS CROISSANTS DES SENIORS

Dans le contexte de transition démographique, les élus locaux - et plus particulièrement les maires - sont en première ligne pour répondre aux besoins croissants des aînés. Alors que le bloc communal s'est affirmé comme un acteur incontournable du soutien et de l'accompagnement des personnes âgées, ce rôle mériterait d'être conforté.

A. LE BLOC COMMUNAL, QUI S'INVESTIT DE LONGUE DATE AU SERVICE DES AÎNÉS, EST CONFRONTÉ À DES DÉFIS INÉDITS

1. Les communes sont directement - quoiqu'inégalement - concernées par le vieillissement de la population
a) Le vieillissement de la population se poursuit à un rythme toujours plus soutenu

Au 1er janvier 2024, en France, les personnes âgées de plus de 65 ans représentaient 21,5 % de la population. La « gérontocroissance », amorcée depuis plus de trois décennies, « s'accélère depuis le milieu des années 2010 », notamment sous l'effet du vieillissement des « générations nombreuses du
baby-boom
 »14(*). C'est ainsi que les personnes de plus de 65 ans devraient constituer un quart de la population en 204015(*).

Selon le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), le nombre de personnes âgées souffrant d'incapacités modérées à sévères augmentera considérablement à partir de 2030. Le nombre de personnes dépendantes pourrait ainsi atteindre 2,3 millions d'ici 206016(*).

Les territoires ruraux et littoraux sont particulièrement marqués par cette dynamique démographique, elle-même confortée par les soldes migratoires17(*).

En France métropolitaine, la population est en moyenne plus âgée
sur la façade atlantique, dans le Sud et le Sud-Est ainsi que -- plus
globalement - dans les bourgs ruraux. Dans la Creuse et le Lot, la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans dépasse ainsi les 30 % (comparée à une moyenne nationale de 20,2 %).

Dans les Outre-mer, la situation est particulièrement contrastée. Si la Martinique abrite ainsi 33 % de personnes de 60 ans et plus, le département de Mayotte n'en comptait à l'inverse que 4 % en 2019.

Les enjeux du vieillissement de la population en Martinique

Le rapport d'information n° 658 (2022-2023) de la commission des affaires sociales18(*), publié en conclusion d'un déplacement d'une délégation sénatoriale en Martinique, revient sur les effets du vieillissement rapide de la population martiniquaise. D'ici 2050, la Martinique deviendra
« la collectivité territoriale la plus âgée de France »
 : les personnes âgées de 65 ans et plus représenteront 42,3 % de la population, contre 16,9 % en 2013.

Parmi les pratiques innovantes observées lors du déplacement, le rapport met en lumière le travail de l'association « Les Ailes des Anges », qui propose des moments de répit aux aidants en leur permettant de s'absenter en toute sérénité du domicile de la personne âgée dépendante, pendant plusieurs jours, grâce à un remplacement par un tiers. Cette initiative, connue sous le nom de « baluchonnage » (une formule inspirée du modèle québécois), repose cependant sur un modèle économique coûteux, nécessitant des moyens financiers significatifs19(*).

b) Les communes sont inégalement concernées par la « gérontocroissance »

À l'inverse des grands centres urbains, qui enregistrent en moyenne un solde migratoire négatif de populations seniors, les communes les plus rurales, dites « hors attraction des villes », connaissent un solde migratoire des seniors près de trois fois supérieur à leur solde migratoire global20(*). En raison, notamment, de leur attractivité auprès des retraités, les bourgs ruraux constituent la « catégorie de peuplement avec la part de personnes âgées la plus élevée en France »21(*).

Le référent grand âge de l'AMF, auditionné par vos rapporteurs, appelle ainsi à « se préparer à l'augmentation du nombre de personnes âgées, notamment en planifiant la réponse aux besoins des personnes souhaitant vieillir à domicile ainsi qu'en définissant une politique globale, s'appuyant sur des financements dédiés et répondant à la diversité des attentes »22(*). Les territoires concernés par ces évolutions démographiques doivent s'adapter au vieillissement tout en restant attractifs pour les autres générations23(*). L'enjeu est, en effet, d'offrir des services pour la population active qui participe à la « silver economy », tels que des infrastructures de mobilités adaptées ou des services de garde d'enfants pour les salariés.

L'adaptation au vieillissement, qui concerne particulièrement les communes rurales, est évidemment loin de s'y limiter. Ainsi, une problématique trop souvent oubliée est celle de l'adaptation des quartiers prioritaires de la ville (QPV), ceux-ci étant souvent mal préparés, au risque d'accentuer les inégalités territoriales. C'est dans ce contexte que la ville de Nîmes s'est engagée dans la démarche « Quartiers résilients », initiée par l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), et dont l'objectif est de repenser l'inclusion des personnes âgées dans le quartier de Pissevin-Valdegour. De même, la ville de Caen, à la suite d'un diagnostic révélant un besoin d'information sur les services et dispositifs disponibles pour les seniors, a organisé en mai 2023 le 1er Forum « Bien vieillir à Caen » dans le quartier du Chemin vert. Ce forum visait à informer les seniors des offres locales, couvrant tous les domaines, afin de favoriser leur inclusion et leur autonomie au sein du territoire24(*).

2. Les actions de soutien aux seniors : entre tradition communale et nouveauté intercommunale

Comme le rappelait le référent grand âge de l'AMF dans le cadre des travaux de cette mission, les « maires et présidents d'intercommunalité jouent indéniablement un rôle majeur dans l'inclusion sociale des personnes âgées, l'accès aux droits, la coordination des acteurs, le développement d'une offre de mobilité adaptée, de logements inclusifs ».

a) Le soutien aux personnes âgées est le « domaine de l'action sociale dans lequel les communes s'investissent le plus » 25(*)

Si les compétences obligatoires des communes en matière de dépendance sont rares26(*), elles peuvent néanmoins s'appuyer sur la clause de compétence générale pour innover et apporter un soutien aux seniors. Niveau de collectivité le plus proche des citoyens27(*), les communes se sont traditionnellement affirmées comme des maillons essentiels dans la prise en charge des personnes âgées, notamment grâce à leurs centres communaux d'action sociale (CCAS) 28(*), obligatoires dans les communes de plus de 1 500 habitants29(*).

Les CCAS « comblent souvent des interstices, là où le privé et l'associatif n'interviennent pas en raison de l'absence de rentabilité »30(*). Ainsi que le relevait l'Unccas dans ses réponses écrites aux rapporteurs, 96 % des CCAS et centres intercommunaux d'action sociale (CIAS) fournissent des aides facultatives aux personnes âgées, et 89 % d'entre eux contribuent à l'accompagnement des personnes âgées vulnérables.

Ainsi, les communes et leurs CCAS mettent en place une offre culturelle et sportive dédiée aux seniors, gèrent des services d'aide à domicile, de transport adapté ou de portage de repas et encouragent plus globalement la participation des personnes âgées dans la vie de la commune. En outre, au travers de leur CCAS, les maires peuvent être gestionnaires de divers établissements et services dédiés aux personnes âgées (voir encadré ci-dessous).

Dans sa contribution remise aux rapporteurs, l'AMF a souhaité alerter les rapporteurs sur la situation « intenable » des communes contraintes de « voter des subventions à leur CCAS pour maintenir les Ehpad », dont 85 % sont aujourd'hui en déficit. Toujours selon l'AMF, la situation des résidences autonomie est comparable à celle des Ehpad, les maires n'ayant d'autre choix que de verser une subvention pour éviter leur fermeture. La situation financière des Ehpad a fait l'objet d'un récent rapport de la commission des affaires sociales31(*), auquel on pourra se référer. Les rapporteurs y soulignent la diversité des modalités d'intervention d'urgence des EPCI au soutien d'Ehpad en situation déficitaire : octroi d'une subvention d'équilibre ou d'une aide financière, règlement du loyer de l'Ehpad ou baisse des loyers en compensation d'un investissement dans un pôle d'activité de soins adaptés (Pasa), bail emphytéotique, financement des travaux d'entretien de bâtiments, financement d'aides techniques pour améliorer les conditions de travail, soutien en moyens matériels.

Les missions des CCAS :

Extraits du rapport d'information de l'Assemblée nationale sur « la commune dans la nouvelle organisation territoriale »

Le CCAS (ou le CIAS), avant même de participer à l'instruction des demandes d'aide sociale, a notamment pour obligation de produire une analyse des besoins sociaux de l'ensemble de la population du territoire de son ressort. Il lui appartient de réaliser cette photographie pour les différentes politiques sociales, et notamment pour le grand âge, ce qui permet ensuite de réaliser les investissements là où ils sont nécessaires. Muni de cette connaissance fine de la population et de ses besoins, le CCAS dispose ensuite de différents moyens pour accompagner le vieillissement.

Le CCAS peut tout d'abord intervenir sous forme de prestations financières (remboursables ou non) ou en nature à destination des personnes âgées.

Il lui est possible aussi d'organiser des services à la personne et de proposer aux personnes âgées, par exemple, divers services d'aide ou d'accompagnement, tels que des services de portage ou de livraison à domicile (repas, médicaments, etc.).

Le CCAS peut par ailleurs créer ou gérer les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) mentionnés à l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles dont « les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l'insertion sociale ». Les CCAS représentent 10 % de l'offre d'Ehpad en France, 60 % des résidences autonomie (les anciens « foyers logements ») et 30 000 personnes employées comme aides à domicile. Il convient de rappeler à ce sujet que, entre le maintien à domicile (avec par exemple un service de soins infirmiers) et la prise en charge en Ehpad, il existe en effet des lieux intermédiaires : petites unités de vie, résidences autonomie, maisons d'accueil rural pour les personnes âgées (MARPA), etc. Contrairement à une idée reçue, ces lieux de taille modeste ne sont pas nécessairement plus chers ou moins compétitifs. Ces lieux intermédiaires présentent surtout l'avantage de prendre en compte le désir de la population vieillissante de conserver le plus longtemps possible un « chez soi »32(*).

Source :  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_lois/l15b2191_rapport-information.pdf, p. 55

À titre d'illustration, on pourra citer l'action du CCAS de la
ville de Caen
, qui déploie une mission spécifique dédiée au « bien vieillir ». Considérant que « près d'un Caennais sur quatre a aujourd'hui plus de 60 ans [et que] cette tendance va s'accélérer dans les années à venir »33(*), le CCAS de la ville assure la gestion de résidences seniors, d'un établissement d'accueil pour personnes âgées dépendantes, de services de soutien à domicile, sans oublier un service de portage de repas. Parallèlement, la ville de Caen contribue activement au fonctionnement du centre local d'information et de coordination (CLIC) gérontologique de Caen et Couronne, afin d'offrir aux Caennais un guichet unique pour l'information, le conseil, et l'orientation, et faciliter in fine l'accès aux droits et pour développer des actions de prévention améliorant la qualité de vie des seniors.

b) L'action de l'échelon intercommunal est plus récente en la matière

L'affirmation de l'échelon intercommunal en tant qu'acteur des politiques du grand âge est relativement récente, puisque la création des CIAS n'est possible que depuis 198634(*). Un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre peut créer un CIAS35(*) lorsqu'il est compétent en matière d'action sociale d'intérêt communautaire, ou lorsqu'il exerce une compétence en matière d'action sociale en application de l'article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales (CGCT).

Dans le cadre de leur audition par vos rapporteurs, les représentants de l'association Intercommunalités de France ont souligné que l'échelon du bassin de vie constituait une échelle pertinente pour la définition et la mutualisation de certaines actions de soutien aux personnes âgées. Les domaines de compétence de l'intercommunalité, qu'il s'agisse de mobilités, d'habitat, d'aménagement ou encore d'action sociale, offrent en effet des possibilités pour « organiser à l'échelle infra-départementale l'adaptation de la société au bien-vieillir »36(*). L'action des intercommunalités au soutien des personnes âgées peut également s'incarner au travers de guichets France Service, dont certains sont directement hébergés au sein des locaux de l'intercommunalité, permettant bien souvent de renseigner des citoyens éloignés du numérique, en particulier des personnes âgées.

Les EPCI assurent parfois directement des missions dites « d'aller vers » : en matière de lutte contre l'isolement, ainsi, les représentants d'Intercommunalités de France ont cité l'exemple de l'intercommunalité du grand Autunois Morvan qui, par l'intermédiaire de son CIAS, organise des visites de convivialité pour les personnes âgées isolées. Un agent de l'EPCI, chargé de coordonner les actions avec les différents partenaires, effectue des visites au domicile ou en établissement, toutes les deux semaines, pour échanger pendant environ une heure et demie avec chaque personne âgée isolée. L'agent a également un rôle de veille sociale et peut orienter les personnes vers les services compétents ou vers des activités collectives proposées par l'intercommunalité.

Pour garantir une articulation harmonieuse entre les interventions des communes et de l'intercommunalité, il convient d'associer pleinement les acteurs communaux aux instances de gouvernance (par exemple, au sein des commissions « cohésion » ou « grand âge » de l'intercommunalité) et d'assurer la diffusion « stratégique » des informations, notamment via la conférence des maires ou, plus généralement, au travers d'échanges réguliers entre le président de l'intercommunalité et les maires. Si les CIAS permettent effectivement aux EPCI de coordonner les actions sociales à l'échelle de plusieurs communes, la coopération intercommunale reste encore trop souvent limitée à la gestion de services ou d'équipements, plutôt qu'à la définition d'une véritable politique commune structurée37(*). Vos rapporteurs ne peuvent que souscrire à la vision du référent grand âge de l'AMF qui, dans ses réponses écrites à la mission, appelle à « défend[re] une approche pragmatique » de l'articulation des interventions des communes et des intercommunalités consistant, « dans le respect du principe de subsidiarité et de libre administration des communes », à laisser aux élus locaux le soin de définir les modalités de cette coopération.

3. En première ligne face au vieillissement de la population, le bloc communal subit les lacunes des politiques nationales

Les communes et les intercommunalités se trouvent confrontées aux lacunes des politiques nationales, qui ne leur donnent pas les moyens pour répondre pleinement aux enjeux croissants liés au vieillissement de la population.

La problématique de l'adaptation du logement en est un exemple édifiant, à l'heure où 85 % des Français souhaitent vieillir à domicile alors que la proportion de logements du parc privé adaptée aux besoins des personnes âgées n'est estimée qu'à 6 %. Dans un rapport publié en octobre 2023, la Cour des comptes déplorait ainsi que les politiques publiques de l'habitat « ne prennent en compte le vieillissement à domicile que de manière embryonnaire »38(*).

Comme l'ont souligné devant vos rapporteurs les représentants de la CNSA, certains progrès méritent certes d'être relevés, notamment dans le cadre du plan d'action interministériel pour l'habitat inclusif39(*) et de la stratégie interministérielle sur le bien vieillir lancée en novembre 2023. Les représentants de l'Unccas, auditionnés par vos rapporteurs, saluaient par exemple la mise en place de l'aide à la vie partagée (AVP) et de l'aide à l'investissement pour l'habitat inclusif, qui participent d'une dynamique prometteuse pour promouvoir des formes d'habitat alternatives adaptées aux personnes âgées. Ces habitats, qui incluent des structures comme les résidences autonomie ou les petites unités de vie, répondent à une demande croissante de la population, soucieuse de conserver un « chez-soi ». La loi dite « Elan » du 23 novembre 2018 est venue définir officiellement l'habitat inclusif, compris comme étant « destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d'un mode d'habitation regroupé, entre elles ou avec d'autres personnes [...], et assorti d'un projet de vie sociale et partagée défini par un cahier des charges national » -- ce qui recouvre donc un large spectre.

Ces plans d'action ont toutefois leurs limites. L'association France urbaine note ainsi que les initiatives en faveur du virage domiciliaire « s'appuie[nt] insuffisamment sur la construction d'une stratégie mettant l'accent sur le partenariat entre les départements, les EPCI et les communes »40(*) . Une réflexion à l'échelle du bassin de vie apparaît souvent nécessaire pour identifier le foncier disponible et construire in fine des locaux adaptés pour accompagner le vieillissement à domicile. Dans ses réponses écrites à la mission, par ailleurs, le président de la commission grand âge des Départements de France a souligné que le plan interministériel pour l'habitat inclusif avait pu être perçu comme une « injonction à la massification » par certains acteurs sur le terrain.

Surtout, comme le relevait le chercheur Laurent Nowik lors de son audition, l'évaluation des différents dispositifs d'habitat intermédiaire reste insuffisante. Or, le secteur de l'habitat inclusif se caractérise par une diversité de projets, tant en termes de publics (personnes âgées, personnes en situation de handicap), que de types de porteurs de projets ou encore de territoires. Alors que ces projets connaissent des fortunes diverses, la connaissance
des « spécificités du territoire en matière de foncier et des besoins des
personnes
 » constitue un facteur clef
de leur pérennité41(*).

Le déficit d'évaluation empêche de tirer les enseignements des expériences mises en oeuvre sur les territoires42(*). Pour combler ces lacunes, vos rapporteurs recommandent de faire du nouveau « Centre de ressources et de preuves dédié à la prévention de la perte d'autonomie », créé en 202343(*) et placé sous l'égide de la CNSA, une instance accessible aux professionnels de terrain, en facilitant la diffusion de ses travaux auprès des élus locaux et des acteurs communaux et intercommunaux.

Recommandation n° 1 : Faire du nouveau « centre de ressources et de preuves dédié à la prévention de la perte d'autonomie » une instance à l'usage des professionnels « de terrain », en systématisant la diffusion de ses travaux auprès des associations représentant les élus communaux et intercommunaux.

Le dispositif « MaPrimeAdapt' », lancé au 1er janvier 2024 et dont le budget prévu est de 400 millions d'euros par an sur dix ans, ne pourra couvrir qu'une fraction des besoins d'adaptation des logements pour les personnes âgées. Celui-ci n'est en effet dimensionné que pour adapter environ 680 000 logements au total, bien en deçà des besoins réels (près de 2 millions de ménages étant identifiés comme prioritaires)44(*).

Eu égard au caractère stratégique de ce dispositif - par exemple pour prévenir les chutes à domicile et réduire le risque d'accidents
domestiques - une revendication, portée par plusieurs associations d'élus à l'instar de France urbaine, consisterait à étudier la possibilité de transformer le dispositif « MaPrimeAdapt' » en un dispositif universel ou, à tout le moins, de revoir ses ambitions à la hausse.

Recommandation n° 2 : Étudier la possibilité de faire de « MaPrimeAdapt' » un dispositif universel, ou réduire sensiblement les restes à charge.


* 7 Martine Long, « Intercommunalités, communes et population âgée : la prise en compte du vieillissement par les territoires », RDSS, 2011 n° 4, p. 605-614.

* 8 Luc Broussy, rapport interministériel sur l'adaptation des logements, des villes, des mobilités et des territoires au vieillissement de la population, mai 2021.

* 9 « Quand les baby-boomers auront 85 ans. Projections pour une offre d'habitat adapté à l'horizon 2030-2050 », Haut-Commissariat au Plan, 2023.

* 10 Yann Lasnier et Boris Venon, « Bien vieillir : 50 solutions pour les territoires », octobre 2024.

* 11 Association des Petites villes de France, Guide à destination des petites communes pour « bien vieillir dans les petites villes », p. 4.

* 12 Ce rapport n'a toutefois pas vocation à revenir sur les constats formulés par la commission des affaires sociales du Sénat dans la mission d'information sur la situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), dont les conclusions ont été présentées le 25 septembre 2024.

* 13 La notion de « seniors » renvoie elle-même à des réalités diverses, et désignera ici essentiellement la génération dite « silencieuse » (personnes nées entre 1928 et 1945), ainsi que celle dite des
« 
baby-boomers » (personnes nées entre 1946 et 1964).

* 14 Insee Première, n° 1978, Bilan démographique 2023, paru le 16 janvier 2024.

* 15 Ined, 2020, « Enjeux et perspectives démographiques en France. 2020-2050 ».

* 16 Selon les projections de la Haute autorité de santé. En 2012, en France, le nombre de personnes dépendantes était de 1,2 million.

* 17 Marianne Bléhaut, Pauline Jauneau, «  Les trajectoires résidentielles après la
pandémie - Stabilité, aspiration habitat et enjeux liés aux seniors
 », mai 2023.

* 18 Rapport d'information n° 658 (2022-2023), «  Le vieillissement de la population en Martinique », de Catherine DEROCHE, Corinne FÉRET, Jocelyne GUIDEZ, Colette MÉLOT et Philippe MOUILLER, déposé le 31 mai 2023. 

* 19 Rapport d'information n° 658 (2022-2023), op. cit., p. 12.

* 20 Soit un solde migratoire des seniors de 180 pour 10 000 habitants, et un solde migratoire global de 52 pour 10 000 habitants.

* 21 Anton Paumelle. « L'Espace géographique », Tome 51, 2022/1 : «  Vieillissement et attractivité migratoire des bourgs ruraux en France », juin 2023. pp. 22-39.

* 22 Contribution écrite de l'AMF à cette mission.

* 23 Marianne Bléhaut, Pauline Jauneau, «  Les trajectoires résidentielles après la
pandémie - Stabilité, aspiration habitat et enjeux liés aux seniors 
», mai 2023.

* 24 Contribution écrite de la ville de Caen à cette mission.

* 25 Rapport d'information n° 453 (2020-2021), « La prévention de la perte d'autonomie », de Bernard BONNE et Michelle MEUNIER, déposé le 17 mars 2021, p. 46.

* 26 L'AMF, dans les réponses écrites aux questions de cette mission, relevait que : « les communes et les EPCI ont peu de compétences obligatoires concernant la dépendance, hormis la tenue d'un registre nominatif des personnes âgées et handicapées vivant à domicile, prévu par le ``plan national canicule'' ».

* 27 Rapport d'information (Assemblée nationale), «  La commune dans la nouvelle organisation territoriale », de Rémy Rebeyrotte et Arnaud Vial, déposé le 24 juillet 2019.

* 28 Le rapport d'information n° 453 (2020-2021), précité, relève ainsi (p. 46) que les interventions des communes en matière d'action sociale sont exercées à près de 70 % par les CCAS, le restant relevant des services communaux.

* 29 Les communes de plus de 1 500 habitants sont tenues de créer un CCAS, selon l'article L. 123-4 du code de l'action sociale et des familles. En revanche, pour les communes de moins de 1 500 habitants, la création d'un CCAS est facultative.

* 30 Rapport d'information (Assemblée nationale), «  La commune dans la nouvelle organisation territoriale », op. cit.

* 31 Rapport d'information n° 778 (2023-2024), «  Situation des Ehpad », de Chantal Deseyne, Solanges Nadille et Anne Souyris, déposé le 25 septembre 2024, p. 94.

* 32 Selon Dominique Libault (Rapport sur la concertation grand âge et autonomie, remis à la ministre des Solidarités et de la Santé, mars 2019, p. 24), la notion d'« être chez soi » recoupe trois dimensions fondamentales :

- le logement, qui sécurise des activités fondamentales que sont par exemple manger, dormir, se sentir en sécurité ;

- l'intimité, entendue comme la faculté d'arranger son temps comme on veut, de décider de l'agencement de ses temps de vie, de disposer de moments pour soi ;

- le fait d'être dans un lieu dont on se sent habitant, au coeur d'un voisinage et d'un environnement de vie (commerçants, services, relations avec le monde social, etc.).

* 33 Contribution écrite de la ville de Caen à cette mission.

* 34 Les communautés urbaines et les métropoles ne peuvent pour leur part créer des CIAS que depuis la loi dite « 3DS » de 2022, sous réserve qu'elles aient pris la compétence « action sociale d'intérêt communautaire ».

* 35 Les conditions de création d'un CIAS sont précisées par l'article L. 123-4-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 36 Réponses écrites d'Intercommunalités de France au questionnaire des rapporteurs.

* 37 Martine Long, « Intercommunalités, communes et population âgée : la prise en compte du vieillissement par les territoires », RDSS, 2011 n° 4, p. 605-614.

* 38 Cour des comptes, « Le soutien aux logements face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population, rapport aux parlementaires du CEC », octobre 2023.

* 39 Plan d'action initié à la suite du rapport de Denis Piveteau et Jacques Wolfrom : « Demain, je pourrai choisir d'habiter avec vous ! » (juin 2020), faisant de l'habitat « Accompagné, Partagé et Inséré dans la vie locale » (habitat « API » ou « inclusif ») une solution « pour sortir du dilemme, lorsque la vie chez soi comme avant n'est plus possible et que la vie collective en établissement n'est ni souhaitée ni nécessaire ».

* 40 Réponses écrites de France urbaine au questionnaire des rapporteurs.

* 41 Réponses écrites de l'Unccas au questionnaire des rapporteurs.

* 42 Face à ce déficit de données, un projet de recherche « Habitats
Intermédiaires - Logements - Autonomie - Seniors (HILAUSENIORS) », coordonné par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre du Programme prioritaire de recherche (PPR) sur l'autonomie, a été lancé. Les principes en ont été présentés à vos rapporteurs par son responsable, Laurent Nowik. L'objet est « d'examiner si - et comment - les habitats intermédiaires, par les services qu'ils proposent, par leur localisation et la dimension collective qu'ils offrent, représentent une alternative à l'habitat classique pour prévenir et retarder la perte d'autonomie étudiée à travers plusieurs de ses dimensions ».

* 43 Dans le cadre de sa convention d'objectifs et de gestion (COG) pour 2022-2026, la CNSA s'est vu confier la responsabilité de préfigurer et mettre en place le « centre de ressources et de preuves dédié à la prévention de la perte d'autonomie », prévu par la stratégie nationale « Vieillir en bonne santé 2020-2022 ».

* 44 On notera que le déploiement de « MaPrimeAdapt' » peut s'appuyer, entre autres, sur les EPCI bénéficiant de la délégation des aides à la pierre.

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