TROISIÈME PARTIE
DÉPASSER LA PRATIQUE DES PROTOCOLES POUR ENVISAGER DES RÉFORMES BEAUCOUP PLUS STRUCTURELLES DU CONTRÔLE AÉRIEN

Le rapporteur reconnait que le nouveau protocole signé en mai dernier se distingue de ses prédécesseurs en ce sens qu'il comporte, pour une ampleur inédite, des dispositifs qui sont de nature à améliorer la performance du contrôle de la navigation aérienne. Compte-tenu de la culture, des représentations et de l'histoire de l'institution, à court-terme, faute de pouvoir faire mieux et différemment, la conclusion d'un nouveau protocole de cette nature était indispensable pour permettre au virage stratégique nécessaire amorcé par la DSNA de prospérer. Le plus mauvais des scénarios aurait été d'enrayer ce plan de réforme sans lequel le contrôle aérien français serait condamné à rester « l'homme malade » du ciel européen. Sur le plan de la performance de la DSNA, y compris environnementale, la procrastination n'est plus de mise et des réformes urgentes sont indispensables pour accompagner la progression et les évolutions du trafic.

Pour autant, le rapporteur souligne que ce n'est que par pragmatisme et non par adhésion à la pratique des protocoles qu'il soutient la conclusion de cet accord. Le protocole 2023-2027 lui semble être « la moins mauvaise des solutions » dans le système actuel pour progresser sur le chemin de la remise à niveau de la DSNA en matière de performance. En effet, d'après-lui, la pratique des protocoles, du fait de multiples défauts qui lui sont inhérents, a montré ses limites. Il a ainsi acquis la conviction qu'à elle seule, elle ne suffirait pas à replacer la DSNA dans les standards des prestataires de service de la navigation aérienne (PSNA) les plus performants, également sur le plan environnemental. Une telle remise à niveau, indispensable pour assurer la vitalité du secteur aérien en France, ne pourra d'après-lui être atteinte qu'à condition de mettre en oeuvre des réformes structurelles et de gouvernance beaucoup plus ambitieuses. Ces réformes supposent notamment que la DSNA dispose d'une autonomie bien supérieure à celle dont elle jouit aujourd'hui et que sa régulation économique soit assurée par un organisme qui soit à son endroit véritablement et structurellement indépendant.

I. LA PRATIQUE DES PROTOCOLES SE CARACTÉRISE PAR UNE SÉRIE DE DÉFAUTS RÉDHIBITOIRES

Comme il a pu le décrire dans les développements qui précèdent, le rapporteur considère que la pratique protocolaire à la DGAC présente de trop nombreux défauts pour qu'elle puisse véritablement résoudre la problématique du défaut de performance des services du contrôle de la navigation aérienne en France.

Jusqu'à aujourd'hui, la pratique des protocoles à la DGAC s'est essentiellement traduite par l'octroi d'une multitude de mesures catégorielles destinées à augmenter les rémunérations de ses personnels générant ainsi une inflation structurelle et très substantielle des charges de personnel.

Cette situation est amplifiée par le caractère unifié de la DGAC et le fait qu'historiquement, pour ne pas fragiliser sa cohésion interne, les mesures catégorielles prévues par les protocoles sont précautionneusement réparties entre l'ensemble de ses personnels. Ce phénomène que le rapporteur qualifie de « coût de l'unité de la DGAC » se traduit par un « saupoudrage » des mesures catégorielles qui conduit d'une part à en augmenter la facture totale et d'autre part à en réduire considérablement l'efficience du fait de l'impossibilité de pouvoir les concentrer sur des domaines où le potentiel de gains de performance est le plus significatif et le plus déterminant, au premier rang desquels les activités de contrôle de la navigation aérienne.

Cette situation génère aussi un phénomène que l'on pourrait qualifier « d'effet d'aubaine » qui conduit à ce que des personnels de la DGAC, pour des tâches, des missions et des responsabilités équivalentes, se trouvent être nettement mieux rémunérées que leurs homologues affectés au sein d'autres administrations. Le rapporteur note que cette situation pose également question en matière d'égalité et de justice sociale au sein de la fonction publique. Il souligne par ailleurs qu'alors que l'état des finances publiques est plus que jamais préoccupant, elle interroge aussi en termes de bon usage et d'efficience de la dépense publique.

En outre, le rapporteur a également pu constater que malgré ce traitement plus favorable que dans le reste de la fonction publique, cette pratique ne garantissait par la cohésion au sein de l'institution. En effet des catégories de personnel s'estimant moins bien traitées que d'autres au sein de la DGAC nourrissent des sentiments d'injustice et de frustration quand bien même pour des postes similaires leur situation s'avère être plus avantageuse qu'ailleurs dans l'administration. Aussi, le rapporteur constate-t-il que, sur ce plan, la DGAC semble dans une certaine mesure perdante sur les deux tableaux.

La multiplication des mesures catégorielles portées par les protocoles a également tendance à accroître la complexité du maquis des primes en vigueur à la DGAC. Par ailleurs, la Cour des comptes a aussi signalé dans ses rapports qu'elle a pu occasionner une forme de dévoiement de la vocation de certains régimes indemnitaires.

Dans son rapport de 2021 sur la politique des ressources humaines de la DGAC, la Cour des comptes considérait ainsi que l'extension continue, au fil des protocoles, du périmètre des bénéficiaires de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) avait été trop loin et que « cette faible sélectivité » justifiait « un réexamen de ses conditions d'attribution ». La Cour des comptes démontrait alors que l'utilisation aléatoire du levier de la NBI dans les différents protocoles à des fins d'augmentation des rémunérations des personnels de la DGAC n'était pas compatible avec la vocation de ce régime indemnitaire spécifique : « les objectifs assignés à la NBI par la DGAC semblent fluctuants. Le principe d'une NBI liée non seulement aux fonctions mais aussi à l'expérience remonterait selon la DGAC au protocole de 1994 (...). De plus, il semble que l'âge (au-delà de 35 ans) soit le principal indicateur pour juger de l'expérience acquise. Enfin, un objectif de maintien de rémunération a pu aussi être ponctuellement poursuivi. Une telle mise en oeuvre de la NBI apparaît contraire aux objectifs de ce régime ».

Dans ce même rapport, la Cour des comptes épinglait aussi la régularité de la prime d'intéressement à la performance collective de services qui avait été mise en oeuvre dans le cadre des protocoles sociaux 2013-2015 et 2016-2019. Cette prime devait s'inscrire dans le cadre d'un décret du 29 août 201163(*) étendu à l'ensemble de la fonction publique d'État. La Cour des comptes sous-entendait que la DGAC s'était alors servie de cet outil dans le cadre de ses protocoles sociaux pour augmenter la rémunération de ses personnels sans que l'attribution de la prime soit véritablement conditionnée à l'atteinte d'objectifs. Cette pratique s'apparenterait à une forme de dévoiement de l'objet de ce nouveau régime indemnitaire. Elle écrivait ainsi que « la connexion entre cette prime et un réel effort (de la DGAC comme des agents) paraît de fait limitée, quasi inconditionnelle, ce qui pourrait être en contradiction avec l'esprit du décret ».

Si la pratique des protocoles sociaux, fermement ancrée dans les coutumes de l'institution, laisse à penser qu'elle fait l'unanimité en sa faveur, cette affirmation doit être nuancée tant les visions qu'en ont les uns et les autres sont différentes, voire opposées. En effet, s'ils sont considérés par la direction comme un moyen d'accompagner la mise en oeuvre de réformes, les protocoles sont avant tout perçus par les organisations syndicales comme un vecteur de maintien ou d'augmentation du pouvoir d'achat des personnels. Le rapporteur ne peut que regretter qu'au regard de leur déséquilibre, force est de constater que s'agissant des protocoles passés, la seconde vision s'est révélée beaucoup plus proche de la réalité que la première.

En effet, les mesures censées améliorer la performance de la DGAC se sont révélées beaucoup trop rares et bien trop modestes dans les protocoles précédents. Par ailleurs, ces protocoles n'ont jamais fait l'objet d'évaluation sérieuse et les éventuels gains de performance qu'ils auraient générés restent en conséquence inconnus et hypothétiques. Ainsi, la direction du budget semble n'avoir jamais rien reçu de probant en la matière de la part de la DGAC, y compris pour le dernier protocole.

De plus, le rapporteur note que l'effet d'apaisement social associé aux protocoles mérite également d'être relativisé, notamment car il ne conduit pas à limiter les conflits sociaux nationaux dits de solidarité dont les revendications portent sur un périmètre plus large ou extérieur aux activités propres à la DGAC. L'effet des protocoles est également limité sur certains conflits internes à la DGAC de nature et avec des revendications purement locales. Certaines mesures propres aux protocoles de nature optionnelle ont même pu paradoxalement être génératrices de nouvelles sources de conflictualité liées notamment au contexte syndical local. Les expérimentations d'assouplissement de l'organisation du travail prévues par le protocole 2016-2019 ont ainsi pu être créateurs de conflits au sein de certains centres de la DSNA. Dans son rapport de 2021 précité consacré à la politique des ressources humaines de la DGAC, la Cour des comptes soulignait ainsi que « s'agissant du maintien de la paix sociale, le protocole social 2016-2019 a été efficace pour les mouvements nationaux spécifiques à la DGAC, mais n'a pas empêché un conflit local très perturbateur en 2018, et reste sans effet sur les grèves dites de solidarité ».

En outre, la façon dont sont effectivement conduites les négociations pour aboutir à la signature d'un protocole semblent bien plus souvent relever de la tactique opportuniste que d'une véritable vision stratégique. En effet, la direction est amenée à élaborer différents scénarios, en intégrant telle ou telle mesure, visant telle ou telle catégorie de personnel, uniquement aux fins de réunir les signatures de syndicats représentants au moins 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles. Le rapporteur note que ce mode de fonctionnement conduit à fortement nuancer la capacité pour un protocole social à réellement porter une ambition stratégique et structurelle de long terme.

Par ailleurs, paradoxalement, comme le revendiquent d'ailleurs certaines organisations syndicales, la signature d'un protocole ne vaut pas nécessairement adhésion ni même validation de l'ensemble des mesures qu'il porte. Parfois certains syndicats justifient leur signature d'un protocole par le fait qu'ainsi ils pourront participer aux groupes de travail destinés à mettre en oeuvre certaines des mesures prévues par l'accord, le cas échéant pour infléchir ces dernières.

Les ultimes négociations devant aboutir à la finalisation des protocoles sont également souvent caractérisées par des psychodrames budgétaires interministériels sur fond de menaces de grève dure des contrôleurs aériens. Certains interlocuteurs interministériels regrettent que la DGAC arrive alors en réunion interministérielle avec une copie, dont le coût a souvent été majoré par rapport aux estimations initiales, qui est « à prendre ou à laisser », la pression étant parfois accentuée par un préavis de grève menaçant. Cette forme de « jeu d'acteurs » fait par ailleurs peser des risques financiers significatifs et bien réels sur l'économie du transport aérien qui se trouve alors malgré elle suspendue à ce dernier acte théâtral d'une pièce qui n'a souvent déjà que trop duré.

Un autre des défauts majeurs de la pratique protocolaire est que quand bien même elle affecte potentiellement très sensiblement l'ensemble de l'écosystème du transport aérien, principalement en raison de ses conséquences sur la performance du contrôle de la navigation aérienne, elle est cantonnée entre les quatre murs de la DGAC. Aucune concertation réelle n'est réalisée dans ce cadre avec les autres acteurs du secteur, notamment les compagnies ou les aéroports. Lors de son audition, le président de la FNAM a ainsi pu regretter cette « absence de transparence ». Il a alors signalé au rapporteur que son organisation n'était « ni informée, ni consultée » et que le processus était caractérisé par une « omerta complète ».

Enfin, la DGAC rencontre souvent des difficultés à faire coïncider la signature d'un protocole avec le processus européen de négociation des périodes de régulation de la performance des prestataires de services de la navigation aérienne, les périodes dites « RP ». Cette situation peut notamment conduire à affaiblir la position de la France dans ce processus et à affecter sa crédibilité auprès des instances européennes et de ses partenaires.


* 63 Le décret n° 2011-1038 instituant une prime d'intéressement à la performance collective des services dans les administrations de l'État.

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