B. LE DÉFI DE LA HAUSSE CONSTANTE DES COÛTS MOYENS DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DES MATÉRIELS MILITAIRES, QUI SONT DE PLUS EN PLUS SOPHISTIQUÉS

Un des défis les plus importants en matière de MCO pour les armées est l'élévation constante de son coût moyen en volume (en euros constants, hors inflation). Comme Josselin Droff, chercheur au sein de la chaire Économie de Défense de l'IHEDN, l'a souligné45(*) auprès du rapporteur spécial, la hausse des coûts entre les générations de matériels est en quelque sorte le pendant « soutien » de la « loi d'Augustine » (du nom de Norman Augustine, l'ancien directeur de Lockheed Martin et ancien secrétaire à l'armée américaine dans les années 1970), qui désigne l'augmentation plus rapide du coût d'acquisition des systèmes d'armes que celle des budgets de défense (en euros constants).

Cette tendance à la hausse des coûts du MCO se reflète dans les ratios de coûts de la fonction MCO par milieu publiés dans les documents budgétaires chaque année46(*).

Ratios de coûts du MCO par milieu depuis 2014

(en euros ou en milliers d'euros, selon les cas)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires47(*)

Entre 2014 et 2023, si le coût moyen du MCO terrestre est stable (- 1,6 %), il augmente de près de 30 % pour le MCO naval (29,8 %) et de près d'un quart pour le MCO aéronautique (24,2 %). En outre, ce coût moyen devrait continuer à nettement augmenter selon les cibles prévues en 2024, 2025 et 2026 : entre 2023 et 2026, le coût du MCO terrestre augmenterait de 16,7 %, celui du MCO naval de 23 % et celui du MCO aéronautique de 11,2 %.

La part du MCO dans le coût complet d'un matériel sur l'ensemble de son cycle de vie, à savoir son « coût global de possession » (de son acquisition à son démantèlement, en passant par sa maintenance) est d'ailleurs très significative. Si les coûts en cycle de vie de chaque matériel présentent des caractéristiques propres compliquant les comparaisons (dimension du parc et des séries de production, achat sur étagère ou non, conditions d'emploi, niveau d'activité, degré d'évolutions et niveau des ruptures technologiques par rapport aux génération antérieures, etc.), il est possible d'estimer qu'en moyenne les coûts de MCO représentent entre 45 % et 60 % du coût de possession global, selon les informations transmises au rapporteur.

Cette tendance à la hausse des coûts moyens de MCO a plusieurs types de cause, outre la forte activité des forces armées.

Premièrement, l'évolution des technologies entre générations de matériels conduit à leur sophistication croissante. Celle-ci génère une hausse importante des coûts non seulement lors de leur acquisition, mais également pour leur entretien. À titre d'illustration, en 2018, un F-16 (mis en service en 1978) coûtait près de 8 000 dollars à l'heure de vol, un F-18 (1983) près de 10 000 dollars et un F-35 (2015) plus de 40 000 dollars48(*). Les hausses de coûts de la maintenance liées à la sophistication des matériels s'expliquent notamment par la nécessité de recourir à des personnels très qualifiés aux compétences pointues (électronique, matériaux composites, etc.), l'utilisation de matériels de maintenance plus perfectionnés (bancs de tests numériques, matériels avancés, etc.) et l'obsolescence rapide de certaines technologies.

Il convient néanmoins de prendre en compte le fait qu'au fil des générations de matériels, ces derniers voient leurs performances augmenter et leur périmètre d'intervention s'étendre. Par exemple, l'avion polyvalent multi-missions Rafale, dont le coût à l'heure de vol est estimé à 25 000 euros contre 17 000 euros pour un Mirage 2000, représente une capacité d'activité qui n'aurait pu être réalisée dans le passé que par plusieurs types d'avions de chasse différents, et avec une moindre performance. De même, si l'on considère qu'il existe un ordre de grandeur multiplicatif de 2,4 entre le MCO d'un véhicule de l'avant blindé (VAB) et le MCO d'un véhicule VBMR Griffon, les capacités opérationnelles de ce dernier sont très supérieures à celles du VAB ; cela a notamment été souligné dans le retour d'expérience à l'issue de son engagement au Sahel (kilométrage bien supérieur en zone aride, apport de la climatisation, discrétion acoustique, etc.).

Le coût croissant du MCO par matériel doit ainsi être nuancé par le fait que les capacités maintenues sont plus performantes et profondes que par le passé.

Deuxièmement, les caractéristiques du parc de matériels influent directement sur les coûts du MCO.

La maintenance des matériels de nouvelle génération (pour lesquels les personnels doivent approfondir leurs connaissances, identifier et régler les défauts de jeunesse) ou vieillissants (pour lesquels les obsolescences sont nombreuses, les pièces détachées difficiles à se procurer et les problèmes de structure parfois très sérieux) est ainsi plus onéreuse que pour les matériels en milieu de vie49(*), comme l'illustre la courbe en U ou « en baignoire ».

Évolution schématique des coûts de maintenance d'un matériel selon son âge :
courbe en « U » ou « en baignoire »

Source : commission des finances du Sénat

Dans ce cadre, une proportion importante de matériels de nouvelle génération ou vieillissant au sein des parcs des armées aboutit à un niveau élevé des coûts de MCO, la configuration la plus difficile à gérer étant les périodes de transition caractérisées par le maintien en service actif de matériels vieillissants alors que des équipements de nouvelle génération sont en cours de déploiement. C'est toutefois une situation très fréquente, en particulier lorsque les matériels de nouvelle génération entrent dans le parc de façon très échelonnée, nécessitant la prolongation de vie de matériels en fin de vie. Cela a notamment été le cas ces dernières années pour la marine, dans le cadre du renouvellement des bâtiments de premier rang.

En outre, le parc des armées françaises connaît encore une certaine hétérogénéité, en dépit d'importants efforts pour homogénéiser les flottes de matériels afin notamment de limiter l'impact sur les coûts du MCO. Cette situation résulte de plusieurs facteurs, en particulier :

la coexistence d'équipements de générations différentes : avions Rafale et Mirage, VBMR et VAB, hélicoptères Tigre et Puma, etc. ;

l'hétérogénéité des missions réalisées nécessitant des matériels différents ;

des environnements d'utilisation différents, le NH90 dans sa version marine devant par exemple pouvoir faire face à la corrosion saline, ce qui n'est pas le cas de sa version terrestre ;

des opérations de « rétrofit » étalées dans le temps, se traduisant par la cohabitation de standards différents pendant plusieurs années.

Si une certaine hétérogénéité peut donc se justifier, voire être inévitable, elle constitue cependant un facteur de complexité et d'inefficience du MCO, chaque flotte ou micro-flotte ayant ses problématiques propres et nécessitant l'intervention de personnels disposant de qualifications spécifiques.

Troisièmement, la « verticalisation » ou « globalisation » des contrats de maintenance a également conduit à une hausse des coûts de MCO, au moins à court terme, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la verticalisation des contrats s'est accompagnée d'une extension de la partie externalisée de la maintenance depuis les services industriels étatiques vers les industriels privés, capables d'une maintenance plus sophistiquée mais également plus chère que les services étatiques. Ensuite, plus récemment, les contrats verticalisés ont intégré pour certains la reconstitution de stocks significatifs dans le cadre d'évolutions géostratégiques50(*), en décalage avec la politique de flux tendus mise en place dans les deux dernières décennies. Il en a mécaniquement résulté une hausse notable des coûts apparents du MCO, qualifiée par les personnes entendues par le rapporteur spécial de « ticket d'entrée ». Par ailleurs, certains écueils associés aux contrats verticalisés, tels que la superposition des marges et la difficulté à négocier un contrat global au bon prix, ont également contribué à la hausse des coûts.

Quatrièmement, la hausse des coûts des facteurs a fait augmenter le coût moyen du MCO. Outre les poussées inflationnistes générales ponctuelles, la concurrence militaire internationale et la forte hausse du budget des armées dans le monde a conduit à une hausse importante de la demande des intrants spécifiques ou très recherchés dans l'industrie de la défense, sans hausse équivalente de l'offre, générant une hausse des prix. Cette situation a été aggravée récemment par l'apparition de nouveaux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient.


* 45 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 46 Selon une méthodologie qui s'appuie sur un périmètre qui n'intègre néanmoins pas tous les coûts. Source : projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances et rapports annuels de performance annexés au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année.

* 47 Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices.

* 48 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial de Josselin Droff, chercheur, chaire Économie de défense - Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

* 49 Voir également infra pour les coûts associés.

* 50 Voir infra.

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