II. DANS UN CONTEXTE DE HAUSSE DES COÛTS DE MAINTENANCE, LA RÉCENTE AUGMENTATION DES CRÉDITS DE MCO NE S'EST PAS ACCOMPAGNÉE D'UNE AMÉLIORATION DE LA DISPONIBILITÉ OPÉRATIONNELLE DES MATÉRIELS

A. LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DÉDIÉS AU MCO, INSUFFISAMMENT TRAÇABLES, ONT CONNU RÉCEMMENT UNE NETTE HAUSSE, HORS DÉPENSES DE PERSONNEL

1. Des crédits et dépenses de MCO insuffisamment traçables

Les dépenses relatives au MCO des matériels peuvent être regroupés en quatre types :

- les dépenses dites, dans la terminologie du ministère des armées, d'« entretien programmé des matériels » (EPM), correspondant aux prestations d'entretien facturées par les industriels privés ou étatiques, ainsi qu'aux achats de pièces de rechanges ;

- les rémunérations et charges sociales du personnel affecté au MCO au sein du ministère ;

- les dépenses de fonctionnement des prestataires étatiques du MCO, en particulier les industriels étatiques (entretien des infrastructures, dépenses d'énergies et fluides, outillages, dépenses de mises aux normes, contrôles anti-pollution, etc.) ;

- les dépenses de soutien initial intégrées aux programmes d'armement (maintenance confiée au fabricant pour quelques années) portées par le programme 146 « Équipement des forces »30(*).

Or, l'ensemble de ces dépenses ne peut pas être retracé précisément d'un point de vue budgétaire. Les crédits dédiés au MCO sont ventilés budgétairement de deux manières puisqu'outre la nomenclature issue de la LOLF, qui s'appuie sur la destination des crédits (par programmes et actions budgétaires), le ministère des armées a également développé une nomenclature propre pour assurer le pilotage de ses crédits, en les regroupant par opérations stratégiques (OS), qui sont transversales aux différents programmes. Aucune des deux nomenclatures ne permet toutefois d'appréhender globalement les crédits prévus et consommés pour le MCO.

En premier lieu, sur la base de la nomenclature « LOLF », les crédits de MCO relèvent de trois des quatre programmes qui composent la mission « Défense » :

- le programme 146 « Équipement des forces » pour le soutien « initial »31(*) ;

- le programme 178 « Préparation et emploi des forces » pour le soutien « en service »32(*) ;

- le programme 212 « Soutien de la politique de défense » pour les dépenses de personnel33(*).

Dans la version de la maquette du projet de loi de finances pour 2024, le programme 178 est composé de trois sous-actions regroupant explicitement les crédits de MCO, une par milieu, correspondant aux actions 2 « Préparation des forces terrestres », 3 « Préparation des forces navales » et 4 « Préparation des forces aériennes »34(*). Cette nomenclature ne permet toutefois pas de mesurer de façon complète la part des crédits relevant du MCO porté par le programme 178, puisqu'une partie des dépenses de maintenance relevant du programme ne sont pas couvertes (à l'image de la maintenance d'une partie des systèmes d'information35(*) et de communication et du démantèlement des munitions36(*)). Surtout, la nomenclature des programmes 146 et 212 ne comprend pas d'action ou sous-action dédiée au MCO. La nomenclature budgétaire classique résultant de la maquette budgétaire ne permet ainsi pas de connaître le coût du soutien initial pris en charge par le fabricant (programme 146) ni le coût des dépenses de personnel associées aux missions de MCO (programme 212), ni même une partie de la maintenance relevant du soutien en service porté par le programme 178.

En second lieu, les crédits budgétaires relatifs au MCO sont regroupés au sein de l'OS « Entretien programmé des matériels » (EPM). Cette nomenclature présente l'avantage de permettre de mesurer les crédits globaux affectés à la maintenance pour chaque armée et pour chaque milieu. En outre, l'OS EPM intègre des crédits qui ne sont pas couverts par les 3 sous-actions relatives au MCO du programme 178, telle que la maintenance d'une partie des systèmes d'information et de communication et du démantèlement des munitions37(*). En revanche, l'OS EPM couvre seulement le programme 178, à l'exclusion donc des dépenses de personnel (programme 212) et de soutien initial (programme 146). En outre, elle n'intègre pas les crédits dédiés à la maintenance des matériels liés à la dissuasion nucléaire, dans ses composantes maritime et aérienne, qui relèvent de l'OS « Dissuasion ».

Au final, il apparaît que les informations budgétaires ne permettent pas de procéder à une analyse complète des crédits affectés au MCO. De plus, les travaux du rapporteur spécial à l'occasion du présent contrôle ont été l'occasion de confirmer la pluralité de périmètres utilisés - et donc de chiffrages - par le ministère pour analyser les crédits de MCO hors dépenses de personnel, rendant leur analyse difficile. S'agissant des dépenses de personnel, il a été précisé au rapporteur spécial que « les données relatives à la masse salariale sur le périmètre MCO, tant en prévision qu'en exécution, ne sont pas disponibles car non suivis dans nos référentiels budgétaires »38(*). Il n'existe par ailleurs pas, au sein du ministère des armées, d'autorité de synthèse analysant le coût consolidé du MCO des matériels militaires.

Une telle absence de vision globale des crédits dédiés au MCO est dommageable. D'une part, elle est de nature à priver les responsables du ministère des armées d'une grille d'analyse lisible du coût et du fonctionnement du MCO, indispensable à la prise de décision quant à son organisation et à son exécution (externalisation des prestations ou non par exemple). D'autre part, elle fait obstacle à un contrôle suffisamment précis de la dépense publique.

Néanmoins, il est apparu au rapporteur spécial qu'une analyse révélatrice - bien qu'incomplète - peut être articulée sur l'identification des crédits d'entretien programmé du matériel relevant tant de l'OS « EPM » que de l'OS « Dissuasion ». Un tel périmètre couvre en effet le soutien en service, qui constitue le coeur du MCO ; il n'intègre pas les dépenses de personnel et les dépenses de soutien initial.

2. Les crédits budgétaires dédiés au MCO ont fait l'objet d'une nette hausse ces dernières années

Face à la crise de disponibilité des matériels militaires au début des années 2000, elle-même liée à une baisse des crédits de MCO à la fin des années 199039(*), une tendance à l'augmentation moyenne des crédits dédiés est apparue.

Surtout, à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202540(*) et du début de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203041(*), l'effort budgétaire a été très fortement accentué. Depuis 2020, les crédits de paiement dédiés à l'EPM des matériels militaires, qu'ils relèvent de l'OS EPM ou de l'OS Dissuasion, ont augmenté de plus de 39 % en euros courants (valeur) et de 23,5 % en euros constants (volume), soit près d'un quart. En un an, de 2023 à 2024, la hausse est de 14 %42(*) (+ 775 millions d'euros), pour atteindre 6,31 milliards d'euros de crédits au total, dont plus de 560 millions d'euros au titre de l'EPM dédié aux matériels liés à la dissuasion nucléaire (OS Dissuasion, dont la majorité au profit des forces navale) et environ 5,7 milliards d'euros au titre des autres matériels (OS EPM), y compris des munitions.

L'analyse de la hausse des crédits peut être effectuée via une ventilation par armées et par milieu. S'agissant du périmètre des armées, en premier lieu, la hausse des crédits sur les quatre dernières années les concerne toutes trois. Si l'enveloppe progresse particulièrement pour l'armée de l'air et de l'espace (+ 737 millions d'euros), l'augmentation des moyens est également significative pour l'armée de terre (+ 549 millions d'euros) et la marine (+ 499 millions d'euros).

Évolution des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels par armées
(OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

En 2024, la part des crédits d'EPM est désormais identique pour la marine et l'armée de l'air et l'espace (environ 38,5 % chacun), devant l'armée de terre (23 %). Cet état de fait résulte de différents facteurs, dont l'absence d'une composante terrestre en matière de dissuasion nucléaire (particulièrement gourmande en EPM) et une sophistication et une complexité plus poussée pour certains équipements stratégiques de la marine (sous-marins, porte-avions, avions de chasse) et de l'armée de l'air et de l'espace (aéronefs nombreux dont des avions de chasse, matériels techniques associés, etc.) par rapport à ceux de l'armée de terre. Il convient toutefois de noter qu'en quatre ans, la part des crédits d'EPM de l'armée de terre a progressé de 3 points (passant de 20,1 % à 23,1 %), quand ceux de la marine baissaient de 4 points (passant de 42,6 % à 38,4 %).

Répartition par armées des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels
en 2024 (OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le périmètre des milieux (air, terre et mer), en second lieu, permet de coller encore plus fortement à la structuration du MCO militaire. En effet, comme cela a été dit supra, si l'organisation actuelle du MCO s'appuie sur une responsabilité finale des états-majors des trois armées (et, in fine, de l'état-major des armées) dans l'exécution du MCO, il est structuré autour de maitrises d'ouvrage délégués (les structures de soutien) spécialisées par milieu, afin de favoriser une gestion « interarmées » des équipements.

Le milieu aéronautique renvoie ainsi aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices. Ainsi, les avions relèvent par principe du MCO aéronautique, qu'ils soient utilisés par l'armée de l'air et de l'espace, la marine ou l'armée de terre.

L'évolution des crédits sur les quatre dernières années sur ce périmètre montre une hausse très forte des crédits pour le milieu aérien, qui représente une composante forte pour l'ensemble des trois armées, à hauteur de 1,046 milliard d'euros. Les milieux terrestre et naval, dont le caractère inter-armée est beaucoup moins prononcé, connaissent quant à eux une augmentation notable, respectivement de 413 millions d'euros et 325 millions d'euros.

Évolution des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels par milieux
(OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial. Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices

En 2024, la part des crédits d'EPM dédié au milieu aéronautique, caractérisé par ses aéronefs par nature complexes et onéreux, est très largement majoritaire (58,5 %), devant le milieu naval (26,3 %) et le milieu terrestre (15,2 %). Il convient toutefois de noter qu'en quatre ans, la part des crédits d'EPM du milieu terrestre a progressé de 3 points (passant de 12,1 % à 15,2 %), quand ceux du milieu maritime baissaient de 3 points (passant de 29,4 % à 26,3 %).

Répartition par milieux des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels
en 2024 (OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial43(*)

La nette hausse des crédits d'EPM devrait se poursuivre à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203044(*).


* 30 Voir supra. Sauf exceptions, notamment dans le domaine naval.

* 31 Voir supra.

* 32 Idem.

* 33 La mission « Défense » comporte en effet la particularité de regrouper l'ensemble des dépenses de personnel, sans les ventiler par programme et donc par destination, dans un programme concentrant les dépenses de soutien au sens large.

* 34 Sous-action 02.07 - Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces terrestres au sein de l'action 02 - Préparation des forces terrestres ; 03.07 - Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales au sein de l'action 03 - Préparation des forces navales ; enfin, 04.06 - Entretien et équipements des forces aériennes au sein de l'action 04 - Préparation des forces aériennes.

* 35 Relevant de l'action 1 « Planification des moyens et conduite des opérations ».

* 36 Relevant de l'action 5 « Logistique et soutien interarmées ».

* 37 Voir supra.

* 38 Réponses du ministère au questionnaire du rapporteur spécial.

* 39 Voir supra.

* 40 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 41 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 42 En valeur.

* 43 Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices.

* 44 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Voir infra.

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