Jeudi 28 mars 2024
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Audition de M. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines
et de l'architecture au ministère de la culture

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous accueillons M. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture.

Il s'agit de la toute première audition de la mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France (ABF), dont la réunion constitutive s'est tenue hier.

Monsieur le directeur général, nous avons besoin de votre éclairage, mais également de votre expérience dans le domaine de la culture, puisque vous avez exercé, entre autres fonctions, celles de directeur de cabinet de la ministre de la culture, Mme Christine Albanel, et de président de l'établissement public du château de Fontainebleau.

Notre coeur d'élu local balance toujours entre, d'un côté, l'attention que nous accordons à nos concitoyens, qui souhaitent bénéficier du meilleur cadre de vie possible, et à la préservation de notre patrimoine, qu'il soit rural ou pas - l'histoire de nos territoires est matérialisée par les milliers de monuments qui parsèment notre pays -, et, de l'autre, les véritables défis que constituent l'aménagement des espaces, la transition écologique ou le développement économique de nos territoires, lesquels nous projettent vers le futur.

Cette mission d'information vise à appréhender les incompréhensions, voire les frustrations, qui peuvent exister entre les ABF et les élus, incompréhensions préjudiciables à tous - mais je ne vous l'apprends pas. La mission établira un bilan de l'action des ABF, en étudiant les aspects qui posent problème, mais en mettant également en lumière les bonnes pratiques rencontrées.

À mon sens, lorsqu'un dialogue équilibré s'engage et s'installe, bien des problèmes sont résolus, mais cela est-il partout possible ? Les ABF y sont-ils formés ? Ne sont-ils pas victimes de la masse de travail qui leur a été confiée au fil du temps ? Ont-ils seulement les moyens de mener à bien leur mission ? Telles sont, monsieur le directeur général, les premières questions que nous nous posons tous.

M. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture. - Je suis très honoré de dessiner le cadre des missions des ABF et de présenter leur statut. Nous avons reçu un questionnaire très nourri ; nos services travaillent sur les réponses que nous vous adresserons, en temps et en heure, avant le 22 avril prochain.

Le ministère de la culture se félicite de la mise en place de cette mission d'information du Sénat. En effet, le Sénat a toujours soutenu les ABF, notamment à l'occasion des débats très nourris sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables ; l'a priori est donc favorable. La profession des ABF, qui est au coeur de la politique patrimoniale de l'État, rencontre des difficultés dans l'exercice de ses missions. C'est une source de préoccupations pour le directeur général que je suis et, plus largement, pour le ministère. Dans mon intervention, j'évoquerai le statut des ABF ainsi que les missions et les moyens des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), puis le projet Patronum qui mobilise les Udap, avant de terminer par les pistes d'amélioration explorées par le ministère.

Pour exercer la fonction d'ABF, il faut appartenir au corps interministériel des architectes et urbanistes de l'État (AUE), auquel on accède après avoir passé un concours difficile, coorganisé par le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au sein desquels les AUE ont vocation à servir, en choisissant soit l'option « patrimoine architectural, urbain et paysager » soit l'option « urbanisme, aménagement ». Les candidats admis sont ensuite formés, pendant un an, à l'École de Chaillot et à l'École des Ponts ParisTech, en liaison avec l'Institut national du patrimoine. Chaque année, nous ouvrons une vingtaine de postes pour ce concours, mais les postes dédiés à l'option « patrimoine architectural, urbain et paysager » ne sont pas tous pourvus, ce qui est un peu alarmant et souligne le déficit d'attractivité des AUE et, parmi eux, encore davantage de ceux destinés à devenir des ABF dans le domaine de la culture.

Les Udap sont dirigées par des AUE, en tant que chef de service ou chef de service adjoint, qui exercent la fonction d'ABF. En décembre 2023, on comptait 189 ABF dont 91 hommes et 98 femmes. Les Udap sont des services déconcentrés du ministère de la culture, héritières des agences des bâtiments de France devenues services départementaux de l'architecture en 1979, puis services départementaux de l'architecture et du patrimoine en 1996, et services territoriaux de l'architecture et du patrimoine (Stap) en 2010. Lors de la revue générale des politiques publiques, que j'ai suivie en tant que directeur de cabinet de la ministre, Mme Christine Albanel a pu sauver, si je puis dire, les directions régionales des affaires culturelles (Drac), qui sont très importantes pour entretenir le dialogue avec les élus. Les Stap leur ont été rattachés en 2010, avant de devenir ensuite les Udap. L'année 2010 est donc un moment important, avant le dernier ajout en 2015. Outre des ABF, les Udap sont composés d'agents administratifs des catégories B et C, de techniciens des services culturels et d'ingénieurs. Leurs effectifs varient selon les départements. Si les Udap ont été marquées par des sous-effectifs, ceux-ci sont en cours de résorption. Toutefois, il convient de distinguer le problème des emplois vacants, quand ils existent, du manque d'emplois nécessaires à la bonne réalisation de leurs missions.

Les missions des Udap sont définies par le décret du 2 juin 2004 portant statut du corps des architectes et urbanistes de l'État. Ce décret s'appuie principalement sur le code du patrimoine, mais aussi sur le code de l'urbanisme et sur le code de l'environnement. Ainsi, les compétences des Udap ne sont pas énumérées au sein d'un seul texte. Toutefois, d'une manière générale - les élus le savent très bien -, les Udap relaient, dans chaque département, les politiques relatives au patrimoine et à la protection de la qualité architecturale, urbaine et paysagère du ministère de la culture. Disposer des Drac et de leurs prolongements départementaux, les Udap, ainsi que d'agents situés au plus près des territoires, est une très grande force pour le ministère de la culture, d'autant que cela n'est pas vrai pour tous les ministères.

Les Udap exercent leur activité au sein d'espaces protégés qui couvrent environ 8 % du territoire, selon les dernières données disponibles. Ces espaces protégés sont constitués des abords des 45 000 monuments historiques - situés dans un rayon de 500 mètres ou dans un périmètre délimité des abords (PDA) -, du millier de sites patrimoniaux remarquables, fruits de la volonté de certaines communes de délimiter un périmètre particulièrement protégé au sein de leur territoire, des sites du patrimoine mondial qui sont un apport de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (loi LCAP), ainsi que des sites inscrits ou classés au titre du code de l'environnement. Les Udap sont des acteurs des politiques d'aménagement du territoire avec les collectivités territoriales, les professionnels de l'urbanisme et du bâtiment, ainsi que les services de l'État chargés des politiques urbaines et de l'environnement.

Les missions des Udap s'organisent autour de trois axes. Le premier est de contrôler et d'expertiser les projets menés dans les espaces protégés, au titre du code du patrimoine ou du code de l'environnement. Le deuxième est de conseiller et de promouvoir un urbanisme et une architecture de qualité, ce que l'on oublie quelquefois. Le troisième est d'assurer la conservation des monuments historiques, qui appartiennent à l'État et qui sont affectés au ministère de la culture ou à ses établissements publics, ainsi que le contrôle scientifique et technique des monuments historiques du département.

Pour ce faire, les ABF disposent de pouvoirs propres qui leur sont dévolus par la loi. Ces pouvoirs appartiennent au fonctionnaire qui les détient : son supérieur hiérarchique - ici le préfet - ne peut donc pas modifier ce qu'il a fait, mais un recours peut avoir lieu. Pour cette raison, les ABF sont identifiés à leurs avis conformes, mais leurs compétences sont bien plus larges en matière de mise en oeuvre des politiques de l'architecture et du patrimoine, en liaison avec les collectivités territoriales. Leurs partenaires relèvent de l'univers patrimonial et sont les villes et pays d'art et d'histoire, les maisons de l'architecture, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), la Fondation du patrimoine, ou encore les petites cités de caractère.

Chaque Udap compte en moyenne six personnes, ABF compris, mais cela peut varier de quatre, pour les plus petits départements, à seize personnes, comme à Paris me semble-t-il. La moitié des Udap ne dispose que d'un ABF, ce qui est un sujet de préoccupation pour le ministère. Cela implique que les Drac, qui ont un rôle de coordination, rassemblent les ABF afin qu'ils puissent échanger et définir une véritable politique régionale. Nous voudrions renforcer cette piste de travail qui a déjà été mise en oeuvre. Sur le plan matériel, les Udap sont soutenues par le secrétariat général du ministère - et non pas par ma direction générale -, qui les gèrent également avec le service des ressources humaines (SRH), en liaison avec nous. En 2023, 741 agents étaient affectés dans les Udap, dont les 189 AUE précédemment évoqués.

Depuis quelques années, nous encourageons nos collègues du SRH à organiser les concours d'ingénieurs et de techniciens qui manquaient, ce qui a été fait à l'automne 2023. Ainsi, 44 postes d'ingénieur des services culturels et du patrimoine (ISCP) et 30 postes de techniciens ont été ouverts. Ces postes ont tous été pourvus et sont en cours d'affectation dans les Udap. Nous sommes en voie de résorber les emplois vacants, à savoir ceux qui sont inclus dans le plafond d'emplois, qu'il faut distinguer du niveau idéal des effectifs nécessaires à l'accomplissement des missions. Or, dans certains endroits, on manque d'effectifs. Certains préfets aident les Udap en utilisant leur réserve de 3 %, mais, le plus souvent, il s'agit de petits bouts de contrats et non pas d'un véritable équivalent temps plein (ETP). Ce n'est donc pas suffisant. Tous les ans, nous encourageons nos collègues du secrétariat général à demander des emplois supplémentaires en faveur des Udap à la direction du budget, avec un succès modeste. Toutefois, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, une demande forte est adressée en la matière. Les groupes de travail devraient nous aider en ce sens.

Les crédits dont disposent les Udap sont à la main des Drac et visent à financer les études nécessaires, notamment à la délimitation des abords des monuments historiques ou des sites patrimoniaux remarquables. Une enveloppe de la direction générale des patrimoines et de l'architecture (DGPA), issue du programme 175, est dédiée à ces crédits, qui sont passés de 5 millions d'euros en 2016 à 9 millions d'euros en 2024.

J'en viens au projet Patronum, qui ne figurait pas dans votre questionnaire mais qu'il me semble nécessaire d'évoquer. En effet, les personnels des Udap diront tous avoir vécu des moments affreux lors de sa mise en place. Le projet Patronum dépend du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. C'est un projet de dématérialisation des autorisations d'urbanisme, depuis l'envoi des demandes par les communes jusqu'aux réponses qui leur sont données et à l'archivage des dossiers, en passant par le traitement des demandes par les Udap. Lorsque j'ai pris mes fonctions voilà trois ans, le projet débutait. Nous avons traversé des phases extrêmement lourdes : il a fallu équiper toutes les Udap en matériel dernier cri pendant les années de confinement, former les équipes à une nouvelle technique et aux nouveaux outils et gérer les anciennes applications en même temps. Des équipes dédiées ont été fournies par le ministère et l'outil a été amélioré. Début mars 2024, 91 % des Udap utilisent Patronum et 70 % d'entre elles utilisent uniquement Patronum ; nous avons donc basculé dans un nouveau système. Les difficultés rencontrées relevaient non pas tant de notre ministère que des éditeurs de logiciels qui devaient fournir les collectivités territoriales. Nous avons mis deux à trois ans à remonter la pente et à rendre la chaîne cohérente. Désormais, les difficultés sont résolues et cela fonctionne.

Cela signifie que nous gagnons énormément de temps : le papier ralentissait, en effet, le processus. Toutefois, la charge des ABF n'a concrètement pas diminué, mais la pyramide des postes au sein des Udap a été modifiée : nous avons moins besoin d'agents administratifs des catégories B et C, ce qui permet de créer des postes de techniciens. La qualification des agents des Udap s'en trouve améliorée et les agents peuvent remplir des tâches plus intéressantes. Désormais, nous passons aux conservations régionales des monuments historiques (CRMH) et aux services d'archéologie, car Patronum est un système d'information patrimonial appelé à se développer et à s'enrichir.

À propos des activités des Udap, les demandes d'autorisations d'urbanisme ont explosé, et le lancement de Patronum a été délicat à gérer dans ce contexte. En effet, nos concitoyens confinés ont réaménagé leur propriété et ont donc déposé des demandes. Ainsi sommes-nous passés de 300 000 dossiers en 2010 à 489 000 en 2023 ; nous restons d'ailleurs à un niveau très élevé. Néanmoins, le délai moyen de traitement des dossiers demeure de 22 jours, ce qui souligne l'augmentation de la productivité. Dans le même temps, les Udap ont fourni 200 000 conseils aux demandeurs ; leur nombre n'a pas fléchi.

J'en viens au point « urticant » : en 2023, sur ces quelque 500 000 dossiers de demandes d'autorisation, on compte 34 230 avis défavorables ou refus d'accord, soit 7 % de l'ensemble des demandes - ce taux est stable depuis 2010 -, motivés par l'absence de qualité architecturale ou par la non-prise en compte des effets du projet considéré, notamment sur les monuments du territoire concerné.

Les Udap doivent concilier la conservation et la mise en valeur du patrimoine avec les projets qui leur sont soumis. Des voies de recours existent pour contester les avis défavorables. Celles-ci ont été améliorées au fil du temps et une circulaire prise par Françoise Nyssen en 2018 incitait les services du ministère de la culture à se montrer attentifs à l'égard des préoccupations de nos concitoyens.

En 2022, on comptait 930 recours contre les avis défavorables des ABF - soit 0,2 % des avis rendus -, dont 110 ont fait l'objet d'un examen par un médiateur. En effet, le requérant peut choisir de s'adresser à un médiateur et non pas seulement confier son recours au préfet. Ces recours au médiateur ont doublé, ce qui traduit le développement de cette procédure récente, et, dans 80 % des cas, l'avis de l'ABF a été confirmé.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Qui sont les médiateurs ?

M. Jean-François Hébert. - Ce sont des élus issus de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. Nous avons choisi de faire appel à des personnalités indépendantes, mais qui connaissent les questions du patrimoine.

Les ABF sont fortement exposés aux critiques. Ces avis défavorables, qui représentent une part très limitée de leur activité, nourrissent le ressentiment des élus ou des particuliers, qui voient leurs projets contrariés. À l'inverse, personne ne les remercie pour les milliers d'avis favorables rendus, soit 90 % des avis, ou pour les avis rendus afin d'éviter la mise en oeuvre de projets qui dégraderaient notre patrimoine. Pour le directeur général que je suis, il me semble que nous devrions féliciter les ABF pour cela.

Toutefois, comme dans toutes les professions, certaines personnes vont trop loin et font trop de zèle ; des décisions contradictoires sont aussi facilement montées en épingle. Nous en sommes conscients, cela fait du mal à la fonction. Il serait intéressant de travailler ensemble sur ces cas, car les opinions pourraient en être modifiées. Des difficultés peuvent exister, d'autant que les ABF se prononcent sur des cas d'espèce. Leurs avis ne sont pas rendus selon une règle mathématique ou sur le fondement d'une directive nationale.

Toutefois, il est dommage que toute une profession soit mise en cause pour quelques cas critiquables ; certaines personnes soutiennent d'ailleurs qu'il faut supprimer les ABF, alors qu'ils occupent une fonction cruciale en matière de protection du patrimoine. Notre préoccupation est donc de rendre cette profession plus attractive - la ministre s'est emparée du sujet - et de répondre aux critiques qui lui sont adressées, même si cela n'est pas toujours possible face à des personnes dont le projet a été contrarié.

C'est pourquoi nous avons créé, à l'été 2023, un groupe de travail piloté par Pascal Mignerey, responsable de la délégation à l'inspection, à la recherche et à l'innovation (Diri) qui rassemble l'ensemble des inspections du patrimoine du ministère. Ce groupe de travail réunit tous les services du ministère impliqués : le service du patrimoine, la Diri, le service de l'architecture - je salue la présence à mes côtés de sa directrice, Hélène Fernandez -, les services du secrétariat général, le SRH, le département chargé de l'action territoriale, nos collègues des Udap et des Drac, ainsi que l'Association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF). Ce groupe de travail est à l'image de celui sur la sécurité des cathédrales, qui avait été mis en place avec grand profit. Il compte une quarantaine de personnes qui auditionnent tous azimuts pour tenter de répondre aux critiques adressées à l'encontre des ABF.

Nous avons présenté en décembre dernier une soixantaine de mesures à la précédente ministre de la culture Rima Abdul-Malak. Sans entrer dans le détail, je vous donnerai quelques-unes de nos pistes de réflexion.

Pour favoriser l'accès au corps des AUE, nous souhaitons renforcer le lien entre les écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa) - il en existe une vingtaine - et les Udap. Les premières doivent envoyer leurs élèves en stage chez les secondes pour leur donner envie de passer le concours d'AUE.

Par ailleurs, nous souhaitons réviser l'organisation du concours d'accès, qui est trop compliqué. Nous envisageons de créer un concours sur titre, qui permettrait à des professionnels aguerris d'accéder au corps par une autre voie.

Nous souhaitons également que la formation délivrée à l'École de Chaillot et à l'École des Ponts ParisTech soit mieux adaptée au métier et que la formation continue des AUE soit renforcée.

En ce qui concerne le statut des ABF, nous comptons proposer au secrétariat général du Gouvernement un décret relatif aux missions de ces derniers. Ce travail est engagé et comblera un manque sur les conditions de délivrance du titre d'ABF. Par ailleurs, un arrêté de septembre 2023 a permis aux AUE d'accéder au généralat. En parallèle, nous avons augmenté le régime indemnitaire des AUE option patrimoine, pour combler le décalage qui existait avec ceux qui étaient affectés au ministère de la transition écologique.

Pour ce qui est des moyens alloués aux Udap, nous demanderons bien sûr à nos collègues du ministère des comptes publics qu'ils soient renforcés. À cet égard, votre soutien serait précieux. Lorsqu'il manque un titulaire, nous avons autorisé les Udap à recruter des contractuels non pas pour un an, mais pour trois ans. En effet, cela ne rimait à rien de former une personne pour un an. Le fait de disposer d'un architecte pour trois ans offre une bouffée d'oxygène à de nombreuses Udap.

En outre, nous réfléchissons à offrir aux contractuels la possibilité d'être titularisés, selon des conditions qui ne poseraient pas de problème vis-à-vis des AUE qui passent le concours. Nous travaillons à un équilibre pour soulager les ABF, qui pourront partager la charge de travail et, surtout, la charge mentale qui pèsent sur eux.

J'ajoute que, dans le cadre du plan « sécurité cathédrales », nous avons mis en place une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) de deux jours et demi par mois par cathédrale pour soutenir les ABF, ce qui a un effet remarquable. À ce jour, nous avons recruté cinq assistants à maîtrise d'ouvrage qui couvrent 25 de nos 87 cathédrales.

Un énorme travail de revue des missions des ABF doit être réalisé. Cela a été remarquablement fait en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie, où chaque Drac a réuni les ABF pour hiérarchiser leurs missions, après avoir écarté la possibilité d'en supprimer certaines. Je note à cet égard que la Cour des comptes appelle plutôt à ajouter de nouvelles missions aux ABF que d'en supprimer - malheureusement, elle n'est pas en mesure d'apporter des effectifs supplémentaires à cet effet.

Notre objectif est donc plutôt de hiérarchiser les missions pour rationaliser les conditions de leur exercice. Pour ce faire, nous souhaitons définir au plan national un cadre d'action des Udap qui serait décliné au plan régional. Ce n'est pas à Paris qu'on peut décider de la couleur des volets à Bordeaux ou à Perpignan. Ce travail est engagé et il s'agit de la démarche idoine. Les ABF le disent : ils ont besoin de directives nationales pour pouvoir les adapter à la situation locale.

Par ailleurs, nous envisageons une massification des PDA des monuments historiques, créés par la loi LCAP. En tant qu'élus de terrain, vous connaissez les contraintes du rayon de protection de 500 mètres autour d'un monument historique, qui est quelque peu arbitraire. Les PDA permettent un dialogue nourri entre l'ABF et les collectivités pour délimiter des périmètres de manière très fine. C'est un travail de dentelle, qui nécessite des crédits d'études, mais c'est l'avenir !

Cette concertation permet de mieux faire accepter les décisions des ABF. J'ai en tête un PDA dans les Alpes-Maritimes qui a apaisé les tensions locales. Isabelle Chave, qui est sous-directrice des monuments historiques et des sites patrimoniaux, et moi-même souhaitons nous engager résolument dans cette voie.

De même, les sites patrimoniaux remarquables (SPR) sont un outil de dialogue utile.

Alors qu'il existait il y a cinq ans 1 000 PDA, il en existe actuellement 3 000. Nous sentons une forte mobilisation autour de ces outils.

Permettez-moi de citer Rachida Dati lors de son audition par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale le 19 mars : « Quant aux ABF, il n'y a pas un élu local qui n'y a pas été confronté - même moi dans le 7e arrondissement. C'est grâce à eux si la France est ce qu'elle est, celle que nous aimons. Ils contribuent à la préservation du patrimoine [...], qui fait partie de notre identité. Bien sûr, j'ai moi aussi été mécontente de certaines décisions des ABF. Mais je tiens à leur apporter mon soutien, pas seulement en tant que ministre de la culture, mais aussi en tant qu'élue locale. Certes, des divergences peuvent exister, mais il est possible que les réserves émises dans certaines décisions soient levées après avoir échangé avec eux. La discussion reste toujours possible. »

Et de conclure : « Les ABF, c'est comme les inspecteurs des impôts : on est content quand ils aident à lutter contre la fraude fiscale, mais on l'est moins quand ils contrôlent. » - j'ai une part de culpabilité, car je lui avais dit de les comparer à des professions contestées (Sourires.) - « Ils sont dans une position ingrate et ils font leur travail. Je ne nie pas la possibilité de difficultés avec un architecte en particulier, mais les ABF sont les gardiens du patrimoine français et de notre identité, il faut le rappeler. »

À titre personnel, j'estime que la fonction d'ABF est véritablement au coeur de la protection du patrimoine et ne mérite pas toutes les critiques qui lui sont adressées. Il nous faut comprendre ce qui ne va pas et trouver les moyens d'y remédier. Nous nous y attachons au travers de notre groupe de travail.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Je vous remercie de cette introduction précise. Vous êtes en quelque sorte le patron des ABF. Comment évaluez-vous leur fonctionnement ? Quels indicateurs vous permettent de comprendre si une Udap fonctionne bien ou mal ?

Des instructions particulières ont été données aux ABF par le ministère de la transition écologique, notamment sur l'isolation ou la production d'énergie. Comment contrôlez-vous leur bonne application ?

Par ailleurs, sans contester vos chiffres, je me demande comment ils sont calculés. En 2020, 94 % des dossiers étaient acceptés. Dès lors, comment 0,1 % seulement de ces dossiers pourraient-ils être refusés ? Cela représente quatre cents dossiers en France, soit quatre par département et par an...

Enfin, plaçons-nous dans la peau d'un maire d'une commune de 300 habitants entièrement couverte par le périmètre de 500 mètres autour de son monument classé, qui est exposé et ne dispose pas de service instructeur. Comment lui faciliter la tâche ? Vous avez évoqué le PDA, mais comment le rendre applicable dans une telle commune ? Ce maire sait-il seulement qu'il existe ?

M. Jean-François Hébert. - Les ABF sont hiérarchiquement soumis aux Drac, qui les évaluent. La Drac d'une grande région supervise une quinzaine d'ABF.

En cas de crise, nous sommes en mesure de réaliser une évaluation dans une Udap qui fonctionne mal. Dans ce cas, la délégation à l'inspection envoie un inspecteur sur place.

Le groupe de travail sur les Udap étudie une mesure très importante, au croisement de nos préoccupations et des attentes du terrain : celle de réactiver une mission de suivi, ou d'appui, portée par la délégation à l'inspection, à la recherche et à l'innovation. Les Udap recevraient régulièrement la visite d'inspecteurs dépendant de la direction générale des patrimoines pour les écouter et détecter ce qui va mal avant que ne subvienne une crise.

Par ailleurs, nous sommes en contact avec les ABF, notamment dans la mise en place des SPR. Nous sommes donc en mesure d'apprécier la manière dont ils travaillent. Nous avons également des discussions avec le SRH en interne. Nous devons avoir voix au chapitre et j'y veille personnellement chaque année.

Votre deuxième question me permet d'aborder un point que j'ai omis. Une demande émane du terrain pour l'établissement de directives nationales, tout en sachant que leur application sera locale.

Vous avez évoqué l'instruction conjointe entre les ministères de la culture, de la transition écologique et de la transition énergétique sur les panneaux photovoltaïques, qui était la condition sine qua non pour que les ABF puissent poursuivre leur mission dans le cadre de l'accélération de la transition énergétique.

Nous avons réussi le tour de force de nous mettre d'accord avec trois ministres pour que les ABF sachent ce qu'ils doivent faire dans les grandes lignes. Charge à eux d'adapter les directives à leur situation locale. Nous continuons sur ce terrain et travaillerons sur l'isolation par l'extérieur, ou encore sur les menuiseries. De nombreux chantiers sont ouverts, notamment sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) cher à Sabine Drexler. La ministre s'est engagée à avancer sur ce sujet. Nous travaillons également sur la formation des diagnostiqueurs et sur les guides qui leur sont fournis et nous allons revoir le financement de la rénovation énergétique.

Nous avançons résolument sur ces chantiers, car les ABF sont au coeur de l'équilibre à trouver entre protection du patrimoine et transition écologique.

En ce qui concerne les chiffres, il y a tout de même 7 % d'avis défavorables, qu'il ne faut pas confondre avec les recours. Au reste, heureusement qu'il y a des refus. Peut-être que certains sont indus, mais il convient de protéger notre patrimoine et nos paysages contre des projets qui les auraient défigurés.

Enfin, il convient d'inciter nos ABF à se montrer plus disponibles pour les élus des petites communes. Cela s'insère très bien dans le chantier sur la ruralité ouvert par la ministre, qui nous a demandé d'y travailler.

Des outils tels que les SPR ou les PDA, même s'ils sont lourds et prennent du temps, créent un cadre durable et une référence. Il est impossible de définir des critères définitifs, mais des directives peuvent être déclinées localement, de manière forcément quelque peu subjective.

Mme Sonia de La Provôté. - Je vous remercie de ces éléments rassurants.

Les paysages font partie du patrimoine. Cette dimension est quelque peu omise lorsqu'on évoque le rôle de l'ABF, alors qu'elle n'est pas à négliger, notamment dans le cadre d'installation d'énergies renouvelables. Il convient de le souligner dans la lettre de mission.

L'assistance à maîtrise d'ouvrage est demandée de longue date - nous y revenons à chaque examen budgétaire. Au-delà d'émettre un avis, l'ABF devrait être en mesure d'apporter son aide pour faire progresser le projet in situ.

Par ailleurs, l'entretien du patrimoine demande beaucoup de temps et de maîtrise, mais il permet de réaliser des économies et d'éviter des drames absolus. Quel rôle peuvent jouer les ABF sur ce sujet ?

Enfin, nos politiques publiques exigent de plus en plus de travail de la part des ABF, notamment pour accompagner la rénovation d'églises qui ne sont pas classées. Quels sont vos besoins en effectifs pour mener une politique nationale cohérente en matière de patrimoine ?

Mme Anne-Marie Nédélec. - Je suis nouvellement élue et ai donc bien en tête les doléances des maires que j'ai rencontrés durant ma campagne, dans un département très rural, la Haute-Marne. Ceux-ci déplorent le fait qu'il existe autant d'injonctions que d'ABF. Une forme d'incompréhension grandit et conduit un grand nombre de personnes à ne pas déclarer leurs travaux, ce qui peut être mal vécu par leurs voisins qui essuient un avis défavorable pour le même type de travaux.

De plus, les élus des petites communes ont l'impression que les avis ne tiennent pas compte des moyens à leur disposition pour rénover, par exemple, une église. Il y a un problème de dialogue sur l'attribution des subventions selon le choix des matériaux.

Le problème du périmètre de 500 mètres et de la covisibilité revient beaucoup, mais les PDA pourraient y remédier.

Personne ne veut la peau des ABF, mais il existe un sentiment que ces derniers font preuve d'une forme de toute-puissance, faute d'une hiérarchie claire. Cela fait partie des problèmes « urticants » que vous avez évoqués.

Par ailleurs, les ABF ne pourraient-ils pas aider les maires à rénover des propriétés qui menacent ruine et dont les propriétaires ne veulent rien faire ?

M. Jean-François Hébert. - L'incompréhension est la clé. Nous devons oeuvrer pour y remédier. Je ne me prononcerai pas sur des cas d'espèce relatifs à la couleur des volets ou au type de matériaux, mais le fait que certains ne demandent pas d'autorisation de travaux conduit à des incohérences urbanistiques. L'ABF a un rôle d'appréciation locale : il peut être amené à faire des compromis.

Je me dois de contester l'expression de toute-puissance que vous avez employée. Il existe des voies de recours. De plus, le dialogue doit se poursuivre malgré l'émission d'un avis défavorable, qui ne revient pas à mettre un point final à un projet. Les plus engagés des ABF souhaitent trouver des compromis en amodiant, en modifiant le projet initial pour qu'il respecte le patrimoine.

M. Vincent Éblé. - Les contentieux sont en nombre bien inférieur aux refus, car il existe un dialogue.

M. Jean-François Hébert. - Exactement. Malheureusement je n'ai pas de chiffres à vous fournir à cet égard, mais nous en aurons bientôt grâce à la plateforme Patronum. Cette phase de dialogue est très fructueuse et nous devons la muscler.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - En réalité, elle n'existe pas toujours pour des questions de temps et de nombre.

M. Jean-François Hébert. - Tout à fait.

Madame de La Provôté, les ABF ont en effet un rôle important à jouer dans la protection des sites classés et des sites inscrits pour le compte du ministère de la transition écologique. C'est crucial pour nos paysages.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises l'assistance que les ABF pourraient apporter aux maires ruraux. Nous travaillons sur cette question et un parlementaire a été chargé par la ministre d'élaborer un rapport sur l'assistance à maîtrise d'ouvrage, qui peut recouvrir différentes choses. Lorsqu'il s'agit d'une assistance lourde, une piste consisterait à émettre un chèque pour que les élus puissent payer des cabinets en mesure de les accompagner. L'ABF n'a pas à recommander une entreprise, mais la Drac peut fournir une liste de cabinets de conseil agréés.

Vous avez signalé l'importance de l'entretien du patrimoine, qui relève des ABF, mais aussi de la conservation régionale des monuments historiques. Nous demandons aux Drac de conserver 15 % des crédits que nous leur allouons à cet effet.

Pour ce qui est des effectifs, si nous obtenions quinze emplois l'année prochaine et quinze l'année suivante, ainsi qu'un plan pluriannuel de renforcement des Udap, je serais le plus heureux des hommes ! Toutefois, la réalité de l'emploi public n'est pas favorable. L'une de nos priorités est de réaliser les embauches nécessaires à la réouverture de Notre-Dame de Paris, mais nous avons également émis des demandes de postes à destination des Udap.

M. Adel Ziane. - Je suis également un sénateur récemment élu, à Saint-Ouen, où je suis adjoint au maire et vice-président de Plaine Commune chargé de l'aménagement et de l'urbanisme.

Tout d'abord, Patronum, après une période d'adaptation, a nettement fait diminuer la pile de dossiers sur mon bureau. Encore faut-il que les pétitionnaires soient en mesure de s'approprier cet outil, mais il s'agit d'une avancée à laquelle ont largement contribué les ABF.

On ne dit jamais assez merci aux ABF - à nous non plus d'ailleurs ! (Sourires.)

M. Vincent Éblé. - C'est pareil pour les élus !

M. Adel Ziane. - Les Français sont de plus en plus attachés à la préservation de leur patrimoine. Il existe même un compte « La France moche » très suivi sur le réseau social X (ex-Twitter). Cela induit une pression supplémentaire sur les ABF.

Il convient de mettre en avant la diversité du champ de l'action des ABF en France.

La Seine-Saint-Denis traverse un processus de patrimonialisation, des friches étant en cours de reconversion dans le cadre de la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques. Le patrimoine est un élément d'appui à l'aménagement du territoire.

Dans le cadre de la révision du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi), nous avons lancé un travail inédit d'harmonisation des fiches patrimoniales de notre territoire en lien avec les ABF et les habitants pour objectiver ce qui relève ou non du patrimoine.

J'en viens à mes questions.

Des pétitionnaires sont venus me voir pour déplorer le fait qu'ils avaient reçu un avis défavorable sur un projet, alors que des projets similaires avaient reçu des avis favorables dans d'autres départements. N'y a-t-il pas un problème de cohérence sur la délivrance des avis ?

Par ailleurs, comment travaillez-vous sur la rénovation thermique de bâtiments anciens, par exemple nos écoles, dans le cadre des PDA ? Comment faire appliquer les normes écologiques, qui ont énormément progressé, dans de tels périmètres, malgré les défis financiers et techniques que cela emporte ?

Je vous épargne la question des alignements d'arbres que nous aurons l'occasion d'évoquer à une autre occasion.

Mme Sabine Drexler. - Ma question rejoint celle de M. Ziane sur la rénovation énergétique des bâtiments. Le DPE, qui est opposable, et le « zéro artificialisation nette » (ZAN) mettent une pression accrue sur les maires dans le traitement des biens délaissés. Dans les petites communes, des maires ont du mal à faire appliquer les décisions des ABF.

La nouvelle donne engendrée par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « Climat et résilience », ne justifie-t-elle pas que l'on vous accorde davantage de moyens humains pour faire respecter les avis des ABF ?

Mme Monique de Marco. - Je suis sénatrice de la Gironde.

Nous aimerions tous prendre connaissance des 60 mesures que vous avez proposées à la ministre de la culture. Parmi elles, vous avez évoqué une réforme du concours d'AUE : en quoi consiste-t-elle ?

En ce qui concerne la formation initiale et la formation continue des AUE, comment se passent-elles actuellement et quelles sont vos préconisations pour les faire évoluer ?

M. Jean-François Hébert. - Madame Drexler, je connais votre préoccupation légitime et acharnée sur le DPE. Nous travaillons depuis plusieurs mois de manière constructive avec le ministère de la transition écologique pour concilier la protection du patrimoine et la transition écologique. Cela figure dans la feuille de route du ministère de la culture et j'espère que nous obtiendrons vite des avancées en la matière.

Pour ce qui est des emplois, votre remarque me semble logique : étant donné qu'on nous donne des missions nouvelles, les moyens devraient suivre, mais le réalisme me conduit à penser que ce ne sera pas le cas. Nous demandons malgré tout un plan pluriannuel pour une remontée en puissance des Udap avec détermination.

Monsieur Ziane, je vous remercie de votre retour d'expérience, qui nous rassure.

Les cas sont tous différents pour les pétitionnaires. Il y a en général une raison pour justifier deux avis différents sur un projet similaire dans deux régions différentes.

Nous sommes très mobilisés sur la rénovation thermique et les Drac produisent des choses très intéressantes à cet égard. La Drac de Bourgogne-Franche-Comté a élaboré un programme intitulé « Adapter le bâti ancien aux enjeux climatiques », que nous considérons comme un modèle à diffuser partout ailleurs.

Par ailleurs, les sites internet des Udap sont très riches. Elles éditent des vade-mecum qui diffèrent d'une région à l'autre en raison des réalités locales et permettent de mieux comprendre le rôle des ABF. Ces fiches sont souvent produites à l'échelle nationale, puis adaptées à l'échelle locale.

Je cède la parole à Hélène Fernandez pour répondre aux questions de Mme de Marco.

Mme Hélène Fernandez, directrice, adjointe au directeur général des patrimoines et de l'architecture, chargée de l'architecture. - La formation des architectes s'effectue au sein des vingt Ensa et dure cinq ans, à l'issue desquels on ne peut pas encore devenir ABF. En effet, il convient d'obtenir une habilitation à la maîtrise d'oeuvre en son nom propre pour passer le concours.

La place de l'intervention sur le bâti existant et de la réhabilitation a largement augmenté au sein de la formation initiale au cours des cinq dernières années et nous souhaitons encore la renforcer. La réhabilitation est le nouvel espace de la création architecturale.

Les ABF ont souvent obtenu au préalable un diplôme de spécialisation et d'approfondissement (DSA), dont celui de Chaillot est le plus réputé.

Par ailleurs, une forte demande de préparation à un rôle managérial émane de la part des étudiants. Cela rejoint vos préoccupations sur le développement du dialogue et de nouvelles postures en tant qu'architectes. Nous nous attachons à y répondre au sein des écoles.

Enfin, le concours n'est pas assez connu au sein des Ensa et fait parfois l'objet de fantasmes. Ses épreuves et ses modalités méritent peut-être d'être renouvelées. Nous envisageons la création d'un concours sur titre.

Mme Monique de Marco. - Quels freins empêchent des élèves de passer le concours ? Comment comptez-vous en réformer le contenu ? Quelles modifications souhaitez-vous apporter à la formation initiale ?

M. Pascal Mignerey, chef de la délégation à l'inspection, à la recherche et à l'innovation. - Actuellement, on s'inscrit au concours avec des options - patrimoine ou aménagement. Nous souhaitons que ce ne soit plus le cas et que les lauréats ne choisissent leur option qu'au bout d'un an pour disposer d'un socle commun de connaissances. Cela permettrait de mieux les former en vue d'intégrer ce corps interministériel et de pouvoir effectuer des passerelles d'un ministère à l'autre.

De plus, nous souhaitons allonger la durée de la formation d'un an à dix-huit mois, un stage de six mois devant être réalisé, une fois l'option choisie, au sein d'une Udap ou d'une direction départementale des territoires (DDT).

M. Jean-Claude Anglars. - Je viens de l'Aveyron et je voudrais témoigner de l'excellent rapport qui existe entre les collectivités du département et l'Udap locale.

La question soulevée par Monique de Marco sur la formation continue des ABF, mais aussi de tous les agents, est importante.

Les élus ont l'obligation de définir sur des cartes les zones de développement des énergies renouvelables. Comment l'ABF sera-t-il consulté sur ces zones ? Je pense en particulier aux enjeux paysagers liés non seulement à l'éolien, mais aussi aux panneaux photovoltaïques qui peuvent être posés sur les toits de villages classés.

De même, comment traitez-vous la question des pompes à chaleur, qui sont une catastrophe dans les villages ? Il s'agit d'une forte préoccupation dans des villages classés de l'Aveyron tels que Conques ou Estaing.

Par ailleurs, nous avons du mal à comprendre à qui il faut s'adresser pour réaliser des travaux sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, qui est classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Entre l'Udap, la Drac et les préfets, les rôles semblent se superposer, ce qui empêche les dossiers d'avancer.

M. Jean-François Hébert. - Nous étudierons le cas du chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle et reviendrons vers vous.

En ce qui concerne la formation continue, vous avez raison, elle doit concerner tous les agents, et non se limiter aux ABF. De nombreux séminaires et ateliers sont organisés chaque année à cet effet.

S'agissant des panneaux photovoltaïques et des pompes à chaleur, je vous renvoie à l'instruction interministérielle que nous avons publiée sur les panneaux photovoltaïques. Le succès de cette directive nationale, qui est déclinée au plan local, nous incite à adopter la même démarche pour d'autres secteurs.

Je ne sais pas si quelque chose est prévu pour les pompes à chaleur, mais Isabelle Chave peut peut-être vous éclairer.

Mme Isabelle Chave, sous-directrice des monuments historiques et des sites patrimoniaux. - Pour harmoniser l'avis des ABF, il est important de disposer de productions méthodologiques nationales, afin qu'elles soient adaptées à l'échelle locale. À cet effet, nous avons produit plusieurs guides successifs, dont un sur l'insertion architecturale et paysagère des panneaux solaires, coécrit avec le ministère de la transition énergétique et celui de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Compte tenu de la façon dont les ABF se sont approprié avec succès cette matière, nous envisageons la publication de deux guides complémentaires.

Le premier est destiné aux diagnostiqueurs et aux auditeurs et a été confié au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) par le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et doit être publié au printemps 2024.

La direction générale des patrimoines et de l'architecture a été associée pour élaborer un chapitre très concret sur le cas des bâtiments anciens. Il convient selon nous d'associer au DPE un diagnostic architectural préalable afin de produire une solution technique conciliant les exigences de préservation de la substance du bâti ancien et d'adaptation au confort thermique.

Dans la même optique, nous allons compiler le guide élaboré par la Drac de Bourgogne-Franche-Comté et d'autres excellentes contributions produites notamment pour la ville d'Angers et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Un guide national intitulé Rénovation énergétique du bâti ancien doit ainsi être publié en décembre 2024. Il sera accompagné de la création d'un portail en ligne pour rendre disponible à chacun l'ensemble des ressources - propriétaires, locataires, élus, ABF, porteurs de projets...

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Selon vous, monsieur le directeur général, l'avis conforme des ABF est-il toujours réellement pertinent ?

M. Jean-François Hébert. - C'est une question piège, madame la présidente. (Sourires.) La réponse est : oui, bien sûr !

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Notre collègue Guylène Pantel, qui ne peut malheureusement pas être parmi nous ce matin, se demande s'il y a des modules dédiés à la concertation dans le parcours de formation des ABF.

M. Jean-François Hébert. - À ma connaissance, ce n'est pas le cas, mais c'est une dimension dont nous tenons compte, ne serait-ce que parce que l'un des principaux défis que les ABF ont à relever est de parvenir à dissiper les malentendus et les incompréhensions. Ils doivent donc impérativement détenir cette capacité accrue de dialogue. Cette préoccupation est aujourd'hui très forte.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Autre question de notre collègue Guylène Pantel : l'échelle régionale, dans le cadre des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture, est-elle adéquate pour le traitement des contentieux ? Ne serait-il pas plus pertinent, par souci de proximité et de différenciation territoriale, d'arbitrer ces sujets fondamentaux à l'échelon départemental ?

M. Jean-François Hébert. - Il s'agit d'un vrai débat. Je ne sais pas comment le Sénat se déterminera, mais il nous semble que le niveau régional est pertinent, parce que c'est l'échelon où la concertation est la plus efficace et qu'il permet de réunir tous les ABF d'une même région autour de vastes sujets. Je crains que le niveau départemental conduise à une vision un peu étriquée des choses.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Monsieur le directeur général, je vous remercie de votre disponibilité et de la précision de vos réponses. J'ai bien noté que certaines d'entre elles nous parviendront ultérieurement par écrit.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 3 avril 2024
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Audition de M. Albéric de Montgolfier, Sénateur, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA)

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des Architectes des bâtiments de France avec l'audition de notre collègue Albéric de Montgolfier, que nous recevons en sa qualité de président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture.

Monsieur le président et cher collègue, au nom de l'ensemble des membres de la mission d'information, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Vous avez vécu de nombreuses vies professionnelles et politiques, puisque vous avez été, successivement ou simultanément, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, élu local, sénateur ou encore rapporteur général de la commission des finances. Plusieurs des fonctions que vous avez occupées ou que vous occupez toujours témoignent d'un intérêt fort pour les enjeux liés au patrimoine : en 2019, vous avez été rapporteur pour avis sur le projet de loi pour la conservation et la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ; vous êtes aujourd'hui, en plus de vos fonctions de vice-président de la commission des finances, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture. Je n'y vois là aucun hasard pour le fils d'un conservateur en chef honoraire du patrimoine et ancien directeur du Musée Carnavalet.

Cette commission, dite « CNPA », s'est substituée en 2017 à la Commission nationale des monuments historiques, à la Commission nationale des secteurs sauvegardés et au Conseil national des parcs et jardins. Elle est obligatoirement consultée sur un certain nombre de projets de classement ou de modification d'édifices protégés - les projets de classement de sites patrimoniaux remarquables, par exemple, ou encore les projets d'aliénation d'immeubles protégés au titre des monuments historiques.

Votre expérience en matière de conservation du patrimoine ainsi que votre expertise pour ce qui concerne les saisines de la CNPA nous ont donc paru tout à fait précieuses pour éclairer les travaux de notre mission d'information. À l'initiative de notre rapporteur Pierre-Jean Verzelen, nous nous sommes fixés pour objectif d'établir une forme de bilan de l'action des ABF dans nos territoires, en mettant en lumière non seulement les inévitables difficultés rencontrées par les différents acteurs concernés, mais aussi les bonnes pratiques qui existent sur le terrain.

Il nous serait donc particulièrement utile que vous partagiez avec nous, au-delà d'une présentation des missions de la CNPA, votre expérience concrète de l'intervention des ABF. En tant que président de la CNPA, élu local et parlementaire engagé sur le sujet, partagez-vous le constat fait par la Cour des comptes en 2022 d'une inadéquation entre leurs missions et leurs moyens ? Comment leurs relations avec les élus locaux pourraient-elles, s'il en est besoin, être améliorées ? Telles sont les premières questions que nous nous posons au lancement de nos travaux.

Je vous laisse donc sans plus attendre la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes. Je passerai ensuite la parole au rapporteur pour une première série de questions, avant de laisser l'ensemble des membres de la mission s'exprimer à leur tour. Monsieur le président et cher collègue, vous avez la parole.

M. Albéric de Montgolfier, président de la CNPA. - Madame la présidente, monsieur le rapporteur, chers collègues, je vous remercie pour votre invitation sur un sujet qui suscite beaucoup d'intérêt, parfois de polémique. Je me réjouis qu'une mission d'information aborde le sujet, et j'imagine, étant donnée toute la diversité de mes collègues ici présents, qu'ils sont porteurs d'expériences parfois douloureuses. C'est aussi mon cas en tant qu'élu local et parlementaire.

La CNPA se réunit tous les jeudis pour des classements, avec une vision à l'échelle nationale du patrimoine en France, en incluant l'outre-mer. Elle est composée de sept sections, qui s'occupent de sujets allant des instruments de musique aux grottes ornées en passant par le mobilier. Trois sections, composées chacune de 26 membres et présidées par un parlementaire (comme moi-même) sont plus particulièrement concernées par le patrimoine monumental et ont des rapports avec les Architectes des bâtiments de France (ABF) : la section des SPR (sites patrimoniaux remarquables), la section en charge des classements (après avis de la Commission régionale du patrimoine et de l'architecture, CRPA) et enfin la section des travaux qui examine les projets de travaux majeurs ou posant des questions doctrinales, à l'image du chantier de Notre-Dame qui a déjà fait l'objet de 10 réunions de la CNPA pour chacune de ses grandes étapes (choix d'une charpente en bois, modèle de charpente, abords, protection incendie, aménagements liturgiques).

Les projets étant présentés par un porteur du projet qui développe souvent une vision politique plus ou moins fondée - il peut s'agir d'un maire dans le cas d'un classement SPR, les ABF sont auditionnés en tant qu'experts par la CNPA, parallèlement à la DRAC, pour apporter avant tout leur expérience de terrain, à savoir la connaissance des immeubles et de leurs intérieurs. Les projets de classement, une quarantaine chaque année, peuvent concerner Montmartre ou la tour Eiffel, mais aussi des églises rurales, des lavoirs ou des bâtiments pénitentiaires en outre-mer. Comme le périmètre des DRAC est désormais étendu sur de grandes régions, il est difficile pour le conservateur régional des monuments historiques d'avoir une vision de terrain à l'échelle par exemple de la Nouvelle-Aquitaine, qui s'étend du sud de la région Centre à la frontière des Pyrénées, de sorte que la connaissance fine du patrimoine appartient à l'ABF.

La CNPA est donc un collège d'experts, où s'exprime l'administration, ainsi qu'un collège des associations du patrimoine. On y vote comme dans toutes les commissions, parfois à bulletins secrets. Les avis de la CNPA sont des avis simples, et non conformes, mais ils ont toujours été suivis à ce jour par le ministre. Lorsqu'ils portent sur les monuments classés de l'État, ce n'est pas l'ABF qui est sollicité, puisqu'ils relèvent du monopole des architectes en chef des monuments historiques selon le code du patrimoine. En revanche, l'ABF est le conservateur au quotidien des monuments, dont il assure l'entretien et la sécurité.

Je serai direct : selon moi, la mission de l'ABF est presque une mission impossible. Cela tient tout d'abord à la question du périmètre. Quand on cumule le périmètre de 500 mètres autour d'un monument classé ou inscrit relevant d'une autorisation pour travaux, les surfaces couvertes par les SPR et les sites naturels classés ou inscrits, 8 % du territoire français sont potentiellement concernés par un avis de l'un des 189 ABF, souvent en zone rurale avec des déplacements. La mission des ABF est rendue encore plus impossible parce que le législateur et le pouvoir réglementaire leur ont ajouté de nouvelles missions concernant les projets d'énergies renouvelables, dont le nombre croît exponentiellement, le conseil sur l'entretien du patrimoine ou la sécurité des cathédrales. Les ABF sont ainsi en charge des avis d'urbanisme, conservateurs des monuments de l'État et conseil sur des périmètres très variés géographiquement et cette accumulation de mission est à mon sens à la source des incompréhensions, voire des conflits qui existent et qui ont sans doute motivé la constitution de la présente mission d'information. En effet, il arrive que des ABF surchargés soient amenés, par sécurité et par précaution, à émettre un avis négatif sur tel ou tel projet de fenêtres de toit, faute de temps ou de capacité d'aller sur le terrain.

J'ai des propositions très concrètes à faire pour remédier à cette situation, mais demandons-nous auparavant si les critiques formulées à l'égard des ABF sont justifiées. À mon sens, si l'idée de l'ABF tout puissant marque encore les esprits, l'instauration d'une voie de recours, avec la possibilité de faire intervenir un médiateur, a constitué une avancée considérable. Bien que l'on compte moins de 1 000 recours par an, soit 0,2 % des avis rendus, on n'est plus totalement démuni, lorsque l'on est élu ou pétitionnaire, face à un ABF.

Une critique fréquente porte sur le fait que les avis des ABF peuvent être amenés à changer selon les personnes. Pourquoi mon voisin a-t-il eu le droit de peindre ses volets en jaunes, alors que le précédent ABF voulait des volets verts ? Pourquoi ma voisine a-t-elle pu installer une fenêtre de toit et pas moi ? À cela on peut répondre que la matière que travaillent les ABF ne relève pas d'une science exacte, et qu'ils ne sont confrontés qu'à des cas d'espèce. De fait, la France présentant une grande diversité d'urbanisme, qui va de la cité antique à la ville nouvelle, avec un enchevêtrement d'époques et de styles, on ne peut y appliquer la même doctrine partout.

De plus, la réglementation est compliquée, ne serait-ce que parce que s'applique dans le périmètre de 500 mètres autour des monuments protégés, la règle de la covisibilité, qui a donné lieu à une doctrine du Conseil d'État illustrée de photos. Il ne suffit donc pas de tracer un cercle au compas autour du monument protégé, puisqu'il peut s'avérer qu'une maison située à 30 mètres ne sera absolument pas visible depuis une église protégée (ce dont on ne peut se rendre compte qu'en allant sur le terrain). Je pense que les ABF sont très démunis en l'absence de doctrines nationales et de guides méthodologiques et que cela tend à accroître la part de subjectivité inhérente au traitement de tout dossier.

Afin que cette commission soit vraiment utile, je souhaite proposer quelques pistes visant à alléger certaines des tâches des ABF, afin que ceux-ci puissent se recentrer sur d'autres tâches et se déplacer davantage sur le terrain. En premier lieu, ce pourrait être le cas en ce qui concerne les sites naturels classés ou inscrits, qui donnent lieu à des dossiers très considérables, avec des interactions avec le ministère de l'environnement.

En deuxième lieu, le périmètre des 500 mètres mérite d'être reconsidéré, sans doute par la création de périmètres délimités des abords (PDA) tenant compte, afin de ne pas obliger les ABF à ne pas émettre des avis totalement inutiles en l'absence de toute covisibilité et de concentrer les moyens là où il y a de vrais enjeux.

En troisième lieu, la mission de gestionnaire de patrimoine de l'État, qui a considérablement été alourdie depuis que le ministère de la culture a pris conscience de la situation catastrophique des cathédrales du point de vue de la sécurité, ce qui a généré de nombreux audits, pourrait être mutualisée avec d'autres services de l'État comme le CMN (Centre des monuments nationaux), les services de l'État ou des collectivités. Il faudrait que l'ABF soit un peu moins seul dans ce domaine.

Outre ces allègements de mission, il apparaît souhaitable de doter les ABF d'une doctrine et de guides méthodologiques. On me citait récemment l'exemple d'un ABF qui refusait systématiquement les doubles vitrages, malgré l'interdiction de louer des passoires thermiques et l'existence de menuiseries isolantes de qualité, mais validait les projets de toit en tuiles mécaniques rouges hideuses. Ce type d'exemple montre la nécessité pour le ministère d'établir, en lien avec les architectes, l'École de Chaillot, la direction du patrimoine et la Fédération du Bâtiment, un corpus méthodologique validant les procédés de travaux compatibles avec la préservation du patrimoine. À cet égard, les guides d'action existants sont singulièrement pauvres. Il n'est pas normal que l'ABF de l'Aveyron s'oppose aux doubles vitrages alors que celui du Tarn les autorise.

La question de la formation continue doit aussi être traitée, car les techniques et les normes du bâtiment applicables par les architectes, les artisans et les constructeurs évoluent. On pourra s'appuyer à cette fin sur des associations comme l'association Maisons paysannes de France qui transmet des savoir-faire traditionnels, comme celui de l'enduit à la chaux. Il existe à cet égard une vraie inégalité de traitement entre les départements où le Conseil architecture urbanisme environnement (CAUE) est efficace et où les pétitionnaires peuvent aller recueillir des conseils en amont et d'autres départements qui en sont démunis où les pétitionnaires se voient proposer par leurs artisans des procédés que ne validera pas leur ABF.

Enfin, un effort doit être fait dans le sens de la dématérialisation des documents et des procédures, compte tenu de la masse considérable de paperasse que génère chaque dossier, ce qui est une des sources importantes d'incompréhension et de retard entre les pétitionnaires et l'ABF. Le projet PATRONUM du ministère de la culture, que vous a sans doute présenté le Directeur des patrimoines et de l'architecture, pourra amener des progrès dans ce sens.

En revanche, la mission des ABF devrait être renforcée en matière de conseil et d'assistance à maîtrise d'ouvrage, comme cela a été suggéré dans le rapport d'information sur le patrimoine religieux d'Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias. En effet, le maître d'ouvrage, souvent un maire de commune rurale, est parfois très démuni et a besoin d'un premier conseil avant même de solliciter un architecte. Ce conseil pourrait lui être donné avec davantage d'efficacité par l'ABF si celui-ci n'était pas accaparé par d'innombrables avis inutiles à rendre sur des périmètres mal calibrés. Cette expertise de terrain est plus nécessaire que jamais si l'on veut éviter que la France voie son patrimoine défiguré.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci, monsieur le président, pour ces premiers éclairages et ces pistes tout à fait passionnants. Monsieur le rapporteur, vous avez à présent la parole pour une première série de questions.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci beaucoup cher collègue. La façon dont vous posez le rôle des ABF, les contraintes auxquelles ils sont confrontés et la façon dont leurs interventions sont ressenties, notamment dans les territoires ruraux, me donne à penser que, s'il vous restait un peu de temps, c'est vous qui auriez dû porter la mission d'information. Quant aux pistes d'amélioration que vous proposez, j'y souscris tout à fait.

S'agissant des recours, qui sont peu nombreux (environ un millier), sans doute parce que certains maîtres d'oeuvre choisissent de passe outre, j'aimerais savoir quelle proportion des avis des ABF sont confortés et infirmés par la CNPA après saisine du préfet. Par ailleurs, combien compte-t-on de médiateurs, dont la fonction a été créée en 2016 et dont j'avoue avoir peu entendu parler sur le terrain.

On constate que les PDA se développent très peu depuis leur création. Cela est dû au fait que ce dispositif non seulement est peu connu des maires, faute de pédagogie, mais aussi au fait que la création d'un PDA s'avère extrêmement complexe, avec notamment le lancement d'une enquête publique. Sans doute pourrait-on alléger cette procédure, en s'appuyant sur les CAUE.

Enfin, y aurait-il selon vous opportunité à redonner du pouvoir au préfet en matière sur ces sujets ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - J'aimerais comprendre comment fonctionne l'intervention du médiateur.

M. Albéric de Montgolfier. - Vous devriez poser cette question à la Direction du patrimoine, car la CNPA n'est pas l'instance d'appel des CRPA, de sorte que les zones de recours restent à leur niveau.

Je vous confirme que la création des PDA est un processus assez lourd, qui mobilise beaucoup les communes.

Comme nous parlons de problèmes très techniques, je considère qu'il est souhaitable que l'ABF conserve une certaine indépendance, à l'abri de certaines pressions que pourraient subir les préfets. Je ne souhaite en tout cas pas que les ABF soient soumis hiérarchiquement au préfet, mais qu'ils continuent de dépendre du ministère de la culture, étant entendu qu'il existe un médiateur et une procédure de recours auprès des CRPA. Compte tenu du périmètre très vaste que couvrent les DRAC, les ABF sont ceux qui ont la vision la plus fine et la plus indépendante du terrain.

M. Vincent Éblé. - Nous nous connaissons bien avec Albéric de Montgolfier, puisqu'il était rapporteur général du budget quand je présidais la commission des finances et que nous avons présidé un département. Notre sensibilité patrimoniale nous rapproche et confine à une forme de complicité, au point que je boive ses paroles à chaque fois qu'il intervient sur le sujet. Il nous est d'ailleurs arrivé de procéder comme un rasoir à double lame pour circonvenir un ministre du budget sur des questions de fiscalité incitative sur travaux pour les détenteurs de monuments historiques, avec d'autant plus d'efficacité que nos origines politiques différentes.

Je confirme que les ABF sont surchargés de travail et qu'il serait très bienvenu d'alléger certaines de leurs missions afin qu'ils puissent se recentrer sur le coeur de leur fonction, à savoir la prescription pour intervention sur un monument protégé ou sur un bâtiment situé à proximité d'un monument protégé, avec autant de pédagogie que possible. Pour l'heure, lorsque vous sollicitez un ABF en tant que pétitionnaire putatif pour expertiser un sujet et vous accompagner dans la préparation d'un dossier que vous allez leur présenter pour avis dans les mois suivants, ils ne vous reçoivent pas, faute de temps, quitte à ce que ce manque de concertation préalable conduise ensuite au conflit.

La question cruciale est de savoir à qui seraient transférés les allègements de tâches dont bénéficieraient les ABF. Par exemple, je ne suis pas sûr que les services de l'État, dont les DRAC, aient des disponibilités pour hériter du « mistigri » de l'entretien courant des cathédrales et des monuments de l'État. J'y suis néanmoins favorable, car cela permettrait de spécialiser les ABF sur leur travail de territoire et d'accompagnement pédagogique de nos concitoyens, étant entendu que nous ne nous pouvons qu'exprimer une recommandation dans ce sens au pouvoir exécutif.

Pour ce qui est des PDA, qui permettent de limiter la contrainte du périmètre de 500 mètres, s'il est vrai que la gestion de la covisibilité est complexe, il faut souligner qu'elle est aussi très peu évolutive, puisque des portions du périmètre seront toujours en visibilité, alors que d'autres ne le seront jamais parce que masquées par certains éléments.

Cette discrimination devrait permettre d'exclure rapidement de larges portions desdits périmètres, comme, par exemple, à Noisiel, une commune du canton où je suis élu, qui est connue pour la présence d'anciennes usines du chocolat Meunier, avec une cité ouvrière associée dont la préservation a du sens, mais qui accueille aussi des lotissements qui ont anticipé le développement de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et qui tournent le dos à la cité ouvrière. Bien que ces lotissements des années 60 avec terrasse soient en béton et ne constituent a priori pas un enjeu pour l'ABF, ils relèvent du périmètre de 500 mètres protégé, de sorte que le moindre permis arrive sur son bureau.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je crois que nous partageons tous cette observation de bon sens.

Mme Sabine Drexler. - Je partage complètement l'avis du rapporteur. En matière de rénovation énergétique du bâti patrimonial non protégé, il devrait être possible de poser des fenêtres à double vitrage si celles-ci permettent une bonne intégration visuelle. Je suis particulièrement inquiète pour l'isolation des façades, car dans ma région d'Alsace, notre ABF est extrêmement mobilisé pour empêcher que des personnes isolent leurs bâtiments en secteur protégé. Étant seul, il n'arrive pas à endiguer le phénomène, qui a des conséquences catastrophiques. La commission de la culture du Sénat vient d'ailleurs de demander une révision du diagnostic de performance énergétique (DPE) pour tenir compte des spécificités du bâti ancien et proposer la création d'un DPE patrimonial. Pensez-vous qu'il faille inventorier et identifier tout le petit patrimoine en France, y compris celui qui n'est pas protégé, mais qui contribue à l'attractivité de nos villages et de nos régions, pour lui appliquer un DPE spécifique et le préserver ?

M. Albéric de Montgolfier. - La question de l'isolation des bâtiments est une des plus sensibles, non seulement pour ne pas tuer le caractère ancien des immeubles, mais aussi parce qu'une isolation par l'extérieur mal faite, qui enferme de l'humidité, peut conduire à des conséquences dramatiques et irréversibles, notamment pour les maisons avec des pans de bois, dont le développement de mérule, faute de laisser respirer le bâtiment. C'est d'autant plus dommage que l'inertie thermique des bâtiments anciens est souvent très élevée, ce qui explique que les églises restent fraîches l'été, alors qu'une maison construite en parpaing, le matériau dominant de la construction dans notre pays (l'Allemagne a opté pour le béton cellulaire), préserve très mal des fortes chaleurs.

Il se trouve que, le secteur du BTP drainant beaucoup d'argent, grâce notamment à Ma Prime Rénov', il attire beaucoup d'intervenants plus ou moins sérieux, voire des escrocs proposant une isolation à 1 euro. Le risque est le même que lorsque l'on a décidé après-guerre de recouvrir de ciment de nombreuses églises, ce qui a généré de l'humidité et du salpêtre. D'où l'importance d'une doctrine et de la formation continue non seulement des ABF, mais de tous les corps de métier. À cet égard, je vous encourage à l'élaboration d'un DPE assorti de mesures spécifiques pour le patrimoine.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Que pensez-vous de l'idée de procéder à un inventaire du bâti ancien non classé ?

M. Albéric de Montgolfier. - Il est vrai qu'il n'existe que quelques labels pour protéger le patrimoine ancien non classé et non inscrit (label Patrimoine remarquable, label Patrimoine d'intérêt régional, Label Patrimoine du XXe siècle) et qu'en outre l'attribution ne se fait qu'à la demande du propriétaire, de sorte que cette approche n'a rien de systématique. Il reste donc à faire un énorme travail d'identification des bâtis présentant un intérêt patrimonial indéniable, étant entendu toutefois que l'on ne peut pas tout classer. Cela relèverait en zone rurale d'une démarche similaire à celle des sites SPR en zone urbaine.

Mme Guylène Pantel. - Je vous remercie, cher collègue, pour les propos introductifs que vous avez tenus. Vous m'avez en partie réconciliée avec les ABF. Il faut dire que dans mon département de la Lozère, qui ne compte que 77 000 habitants, nous n'avons qu'un seul ABF, et qu'il est très débordé.

M. Vincent Éblé. - Vous avez de la chance, madame : mon département ne dispose que de deux ABF pour 1,5 million d'habitants !

Mme Guylène Pantel. - J'ai découvert l'existence du médiateur. À mon sens, le périmètre protégé de 500 mètres me semble excessif, puisqu'il couvre la totalité de nombreux villages du fait de la présence d'une église en leur centre. Et je ne vous cache pas que l'avis de l'ABF est souvent mal compris quand il intervient après l'avis favorable du maire pour changer des volets. Certains avis ne pourraient-ils pas faire l'objet d'une décision collégiale ?

M. Albéric de Montgolfier- La Lozère est certes peu peuplée, mais elle est vaste et dispose d'un patrimoine important, et l'on comprend que son unique ABF ne puisse en avoir une vision aussi précise et quotidienne que celle du maire. Il faut aussi reconnaître que certains maires sont très heureux de pouvoir s'abriter derrière les avis négatifs des ABF et leur faire porter le mauvais rôle.

À mon avis le périmètre de 500 mètres devrait à terme ne s'appliquer que par défaut, en l'absence de PDA. Il reste que l'établissement d'un PDA requiert un investissement de la commune, et l'on comprend que la réalisation d'une enquête publique implique un coût administratif lourd pour les petites communes.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Je m'associe à tout ce qui a été dit. Pour mémoire, nous n'avons dans mon département de la Haute-Marne qu'un ABF pour 170 000 habitants... Je tiens à souligner que des petites communes ou des particuliers qui souhaitent s'installer se heurtent au coût de la réalisation des travaux selon les prescriptions de l'ABF. Faute de savoir comment contacter le médiateur ou d'oser former un recours, ils se retrouvent confrontés soit à l'abandon pur et simple d'un projet pourtant porté par le souci de la sauvegarde d'un patrimoine, avec la renonciation d'une famille à s'installer soit, dans le cas de particuliers, par la réalisation de travaux en toute anarchie. Beaucoup de maires se trouvent assez démunis face aux avis « couperets » de l'ABF...

M. Albéric de Montgolfier. - Je ne sais pas plus que vous comment solliciter le médiateur. Sans doute le ministère n'en fait-il pas suffisamment la promotion. Je suis convaincu que l'on pourrait trouver d'anciens professionnels du bâtiment ou architectes qui pourraient s'investir dans cette mission bénévolement, pour sauvegarder le patrimoine. Comme c'est un sujet qui suscite l'intérêt des Français, il doit exister un vivier de personnes prêtes à s'impliquer dans cette fonction. Le fait est que l'on peut trouver des solutions pour la réalisation de travaux qui permettent de réduire très sensiblement la facture, pourvu que l'on soit bien conseillé : pour ce faire, il existe des CAUE qui fonctionnent, des architectes DPLG sensibilisés au patrimoine et des artisans qui connaissent les bons procédés, sans parler de l'apport d'associations comme Les Maisons paysannes de France. Autant la construction neuve est normée, autant la rénovation ne connaît que des cas d'espèce. D'où l'importance, et j'y reviens toujours, de la formation continue des intervenants et des conseils susceptibles d'accompagner les pétitionnaires en amont du rendu d'avis des ABF. Les ABF pourraient aussi organiser des permanences pour donner des conseils aux pétitionnaires.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cette construction des dossiers en amont a fait ses preuves dans le domaine de l'urbanisme.

Mme Anne-Marie Nédélec. - On pourrait aussi alléger la procédure pour les avis simples...

M. Pierre Barros. - Étant maire et ayant exercé le métier d'architecte en agence pendant 20 ans, il m'est arrivé de me sentir en forte empathie avec des maîtres d'ouvrage chargés de projets de rénovations de bâtiments publics dans l'Oise qui été confrontés à un ABF foncièrement obtus, avant qu'il finisse par être sommé de quitter le département en raison de problématiques assez lourdes. Nous intervenions alors pour de très petites collectivités qui n'avaient pratiquement pas de services et se trouvaient très démunies pour mener des projets comme une extension d'école.

D'après mon expérience, j'estime que les projets passés par les mains des ABF sont de meilleure qualité. D'où la nécessité de leur donner le temps pour qu'ils puissent participer à la phase de conception amont. Il faut lui donner le temps de « faire les choses avec », afin qu'ils se positionnent comme un partenaire de l'acte de rénovation, afin que leur avis ne soit plus une sanction, mais l'aboutissement d'un acte de produire et de réfléchir ensemble. Force est de constater que ce processus n'est pas celui qui prévaut généralement et que l'on se trouve dès lors contraint de refaire et re-refaire certains projets, au prix d'allers-retours fastidieux.

Le fait que 90 % de la production de logements ne passe pas par des architectes, mais seulement par les ABF, auxquels il est demandé de se poser en garants d'une unité architecturale face à une réalité vernaculaire dans les secteurs protégés, explique qu'ils soient surchargés. Ils sont les seuls recours pour éviter des catastrophes architecturales, sans disposer du temps nécessaire pour le faire sereinement.

À mon sens, il n'est pas possible d'établir un catalogue qui permettrait de déterminer ce qui est acceptable ou non dans tous les cas. Cela relève d'un travail collectif, auquel participent les CAUE, des collectifs, des associations, voire des parcs naturels, en établissant des plans de paysages et des carnets de recommandations. Les architectes DPLG doivent y être associés et être aussi responsables de ce qui se rénove. Sans pour autant leur confier des missions « fenêtres et volets », un glissement de tâches pourrait s'opérer des ABF vers eux. Cela permettrait d'initier un dialogue entre les architectes, les maîtres d'ouvrage et les services de l'État, en abaissant le niveau de conflictualité et en évitant des situations où chacun considère l'autre comme un empêcheur de tourner en rond.

M. Albéric de Montgolfier. - Certes, il faudrait passer de « l'ABF censeur » à « l'ABF accompagnateur », mais on se heurte toujours au facteur temps.

M. Hervé Reynaud- Je vous remercie, cher collègue, pour la clarté de votre propos, qui nous permet d'avoir une vision lucide de ces sujets, ainsi que pour vos propositions. Pour ma part, je doute de la capacité de l'ABF de rendre des avis compréhensibles par les pétitionnaires, en particulier lorsqu'il est question de renouvellement urbain et de quartiers en mutation, avec des friches industrielles. Pour avoir été élu local et président d'établissement public foncier d'État, j'ai souvent été confronté à des avis des ABF qui étaient en totale contradiction avec ceux de leurs collègues de la direction départementale des territoires (DDT) ou de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Il faudrait accroître leurs moyens pour leur permettre de gagner en hauteur de vue et être en mesure de travailler de façon collective et mutualisée en amont pour converger vers les meilleures solutions.

M. Albéric de Montgolfier. - Les projets complexes impliquant des friches industrielles et des équipements collectifs ne font pas l'objet du même traitement par l'ABF que le rendu d'un avis sur une fenêtre de toit : ils doivent être l'occasion d'un travail collectif avec des architectes, des urbanistes et les autres services de l'État, dont les établissements publics fonciers. L'ABF ne peut ignorer que sa mission s'inscrit dans un paysage et un environnement qui sont concernés par d'autres considérations et d'autres enjeux que les siens. Fort heureusement, certains ABF s'impliquent beaucoup dans les projets de renouvellement urbain de certaines grandes villes. Il reste qu'il ne s'agit que de cas d'espèce et que la France dispose d'un patrimoine extrêmement diversifié, qui est le fruit de multiples strates historiques, et qui ne peut faire l'objet d'un traitement uniformisé. C'est là toute la richesse de cette mission d'information... À titre d'illustration de cette complexité, nous avons dû prendre en compte, lors de la procédure récente de classement d'un pont-grue maritime, le fait que la grue est un objet selon la réglementation française, qui relève donc du classement des objets, alors que ses rails et le sol sont considérés comme relevant du bâti. Et d'aucuns s'appliquent à déterminer si la clé de voûte d'une église tombée au sol doit être considérée comme un meuble ou la partie d'un immeuble, en fonction notamment de la façon dont elle était scellée (au plâtre ou à la chaux) ...

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci encore, monsieur le président, pour la qualité et la pertinence de votre intervention.

Mercredi 10 avril 2024
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Audition de représentants d'associations d'élus locaux : M. David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont Saint Michel Normandie, et M. Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF)

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des Architectes des bâtiments de France (ABF) avec une table ronde fort attendue rassemblant les associations d'élus locaux. Je salue la présence en visioconférence :

- de M. David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie ;

- de M. Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF), en remplacement de Mme Nadine Kersaudy.

Notre mission résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen.

Le Sénat, vous le savez, est la maison des élus locaux. L'ABF est une figure parfois controversée dans notre assemblée. Ayant pour mission principale la protection du patrimoine et de la qualité architecturale dans les zones protégées, il dispose de pouvoirs de contrôle propres dont l'exercice peut occasionner des frictions avec les élus et les porteurs de projets. En tant qu'élue locale d'un village de la Drôme, je travaille régulièrement avec l'ABF, dont je salue l'implication, qui permet notamment de préserver un potentiel touristique qui n'existe que par la beauté des sites.

Nous en sommes au début de nos travaux. Nos premières auditions nous permettent de mieux comprendre la complexité et la diversité des tâches qui incombent aux ABF dans les territoires. De nombreuses tâches leur sont demandées - peut-être trop. Il en résulte sans doute une forme de saturation administrative qui ne leur laisse pas toujours le temps d'effectuer leurs missions avec la concertation et la pédagogie nécessaires, notamment dans les territoires ruraux. Notre collègue Guylène Pantel expliquait qu'un seul ABF avait la charge de tout le département de la Lozère, qui n'abrite que 77 000 habitants, mais avec un territoire vaste et un patrimoine très varié.

Je vous propose d'ouvrir les échanges par un propos liminaire d'une dizaine de minutes chacun pour nous présenter votre retour d'expérience. Je donnerai ensuite la parole à notre rapporteur puis à mes collègues.

M. David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie. - Je suis effectivement référent Patrimoine pour l'AMF et maire d'une ville dont le site patrimonial remarquable (SPR) est en cours de validation. Mon agglomération porte par ailleurs un projet de reconnaissance « Ville et Pays d'art et d'histoire ». Je suis également président de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) de Normandie. La thématique patrimoniale me colle donc à la peau. Je connais bien les ABF. Je comprends parfaitement les difficultés que peuvent avoir certains collègues élus, dans leurs échanges avec eux ou dans les situations qu'ils rencontrent.

Je vais donner mon point de vue personnel, en tant que maire et témoin de la relation entre maires et ABF, puis en tant que référent Patrimoine de l'AMF - les deux convergent fortement.

Vous évoquiez la pédagogie. Cela me semble être un mot-clé à valoriser. Lorsqu'un contact régulier se fait entre l'ABF et les élus locaux, les choses se passent bien. L'ABF retrouve alors pleinement le coeur de sa mission : celle de conseil, et non de censeur. L'Architecte des bâtiments de France ne doit pas être le contradicteur systématique des bonnes volontés.

Les pétitionnaires qui souhaitent rénover leur maison se trouvent confrontés à une double injonction : d'une part, la réalisation d'économies énergétiques - via l'isolation ou l'installation de panneaux photovoltaïques, par exemple - et d'autre part, la réglementation ayant trait au patrimoine et dont l'ABF est le gardien. Nous arrivons parfois à des contradictions, voire des incohérences, dont la règle du rayon de 500 mètres est un exemple.

Les contradictions entre les problématiques environnementales, énergétiques et patrimoniales, génèrent beaucoup de difficultés. La pédagogie, le dialogue et la médiation me paraissent être une voie de passage intéressante pour faire de l'ABF un vrai conseiller, un vrai accompagnateur de projets susceptibles de ménager les patrimoines et les besoins de nos contemporains en matière de rénovation de l'habitat.

Je m'arrêterai là pour mon propos liminaire.

M. Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Je vous remercie de votre invitation. Je suis maire d'une petite commune rurale du sud de Bordeaux qui dispose depuis 2009 d'une ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural urbain et paysager). Je suis par ailleurs médiateur pour traiter les recours effectués contre les Architectes des bâtiments de France, mais aussi chercheur à l'université Bordeaux Montaigne, où j'enseigne le patrimoine.

Je constate un déficit dans le dialogue avec les ABF. Il faut du temps pour bâtir la confiance, comprendre la doctrine des uns et des autres. Je ne reviendrais pas sur les propos que je partage de M. Nicolas.

Il existe des différences d'appréciation entre les Architectes des bâtiments de France. Certains se contredisent. Or, l'État doit parler d'une seule et même voix. Lorsqu'un nouvel ABF m'explique que son prédécesseur a accepté un projet qui n'aurait pas dû l'être au regard du règlement, cela me pose un souci, d'autant que l'avis de l'ABF peut donner lieu à jurisprudence.

La capacité des règlements à intégrer les nouveaux besoins de construction pose également une difficulté - je ne parle pas uniquement de photovoltaïque -, même si le décret du 2 décembre 2022 a permis des évolutions positives sur le sujet des alentours et du rayon de 500 mètres.

Je m'interroge sur la capacité de dialogue entre les élus et l'ABF. Souvent, l'ABF se cantonne au règlement en vigueur, au motif que celui-ci a été imposé par le maire. Pour ne prendre que l'exemple de ma commune, le règlement date de 2009. La société a fortement évolué depuis. Or, la modification de la ZPPAUP représenterait une dépense de 100 000 euros pour ma commune. Nous ne pouvons donc pas la faire évoluer tous les trois ans. Comment dépasser le règlement ? Comment l'actualiser plus régulièrement tout en préservant la qualité paysagère de notre territoire ? Je ne connais aucun maire qui souhaite altérer la qualité paysagère de sa commune, mais nous avons besoin d'outils pour répondre à des situations auxquelles nous ne pensions pas lorsque le règlement a été construit.

Il existe par ailleurs une différence entre l'urbain et le rural en matière d'ingénierie. Dans nos communes, nous ne disposons pas de service à même de suivre l'évolution d'un immeuble ou de conseiller les pétitionnaires. En tant que médiateur, je constate que les petites communes peinent à accompagner les pétitionnaires, car elles ne disposent pas de cette compétence technique qu'ont les services du patrimoine des communes de plus grande taille.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je vous remercie. Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci. Je pense qu'un certain nombre d'élus partagent vos constats.

La CRPA a parmi ses missions la gestion des recours. Pourriez-vous nous en dire plus sur son fonctionnement ? Je perçois beaucoup de frustration de la part des pétitionnaires et des maires quant à ces procédures. Comment ces commissions travaillent-elles ?

Pourriez-vous également nous expliquer le rôle du médiateur, qui a été évoqué la semaine dernière lors de nos auditions, mais que beaucoup d'entre nous ne connaissent pas ?

Le périmètre des abords (PDA) est aussi venu dans le débat. Les communes peuvent conduire un travail en amont avec l'ABF pour restreindre ce périmètre des 500 mètres. Cette démarche semble complexe et peu connue. Quel est votre avis sur le sujet ?

Enfin, quelles sont les préconisations de l'AMF et de l'AMRF pour fluidifier les relations avec l'ABF ?

M. Vincent Joineau. - La mission de médiateur m'a été confiée il y a deux ans environ par la DRAC et, plus particulièrement, par la conseillère Architecture de la CRPA, sur proposition du préfet. Cette fonction m'a été proposée en vertu de ma formation et de mes fonctions de maire.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez donc été désigné par la DRAC sur proposition du préfet ?

M. Vincent Joineau. - Absolument.

La CRPA tente de trouver un accord avant que le décisionnaire engage un recours auprès du juge. Un délai d'un mois s'écoule entre la saisie du préfet et la production de sa décision. Ce délai est très court.

Le travail de médiation ne concerne pas uniquement le médiateur ; un premier traitement est réalisé en interne à la DRAC pour orienter le pétitionnaire et, parfois, le dissuader d'aller au bout de la procédure. Sans ce travail de dissuasion, le nombre de dossiers arrivant sur mon bureau serait bien plus important. En deux ans, j'ai enregistré environ deux médiations par mois. Il semblerait qu'un deuxième médiateur ait été nommé pour la région Nouvelle-Aquitaine.

Concrètement, les services de la DRAC m'envoient les documents de la procédure - chacun étant plus ou moins lisible et exploitable. J'étudie le dossier. Un rendez-vous est ensuite pris avec le pétitionnaire et l'ABF ayant instruit la demande. J'écoute les deux parties. Sur cette base, j'émets un avis que j'envoie à la DRAC, qui le transmet au préfet pour décision finale.

Environ deux tiers des médiations portent sur l'installation de panneaux photovoltaïques. Les autres dossiers ont trait aux enseignes, aux extensions et aux projets architecturaux dont l'ABF conteste la qualité.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Puisque vous êtes désigné par le préfet, je suppose que vous intervenez à l'échelle du département.

M. Vincent Joineau. - Non, à l'échelle de la région.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le médiateur est-il nommé par le préfet de région ou de département ?

M. Vincent Joineau. - Par le préfet de région.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Tout se fait sur dossier ? Vous ne vous rendez pas sur place ?

M. Vincent Joineau. - Non. Lorsque je demande au pétitionnaire et à l'ABF de m'expliquer la procédure telle qu'ils l'ont vécu, je constate le plus souvent qu'aucun échange écrit ou oral n'a eu lieu en amont entre les deux parties. Généralement, je propose que le dossier soit entièrement repris et que des rencontres s'organisent sur le terrain pour trouver un accord. J'ai mis en place des permanences patrimoniales dans cette optique lors de ma prise de fonction en 2020 : l'ABF vient sur le territoire tous les mois pour échanger.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Si je comprends bien, il n'y a pas de rencontre entre le pétitionnaire et l'ABF avant que le dossier vous parvienne ?

M. Vincent Joineau. - En effet, dans la majorité des cas.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Lorsque vous évoquiez la nomination d'un deuxième médiateur, est-ce à l'échelle de la région ?

M. Vincent Joineau. - Cette nomination reste au conditionnel, car elle ne m'a pas été confirmée par la conseillère en architecture. Consciente du travail à produire, cette dernière m'avait fait savoir qu'une procédure était en cours pour que le préfet nomme un second médiateur.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Traitiez-vous deux dossiers par mois avant cette nomination ou depuis ?

M. Vincent Joineau. - Avant. Le rythme a changé il y a six ou sept mois. Je reçois désormais une demande tous les mois et demi environ.

Mme Guylène Pantel. - Qui peut être nommé médiateur ?

M. Vincent Joineau. - J'ai été choisi en raison de mes compétences en histoire et en archéologie. Je suis aussi connu des services de la DRAC.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - La deuxième question du rapporteur portait sur les recours et le PDA.

M. David Nicolas. - J'aimerais tout d'abord apporter un éclairage sur le rôle du médiateur et de la CRPA, étant précisé que je suis président de la CRPA de Normandie.

Le médiateur est désigné parmi les membres de la Commission. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) prévoit que les CRPA soient présidées par des élus, mais elle préconise également que le médiateur soit un élu. Le médiateur intervient aux côtés de l'ABF et des services du préfet pour « déminer » les contentieux pouvant apparaître. En Normandie, les recours semblaient plus importants lors du précédent mandat. La loi LCAP a amélioré le travail d'accompagnement, ce qui permet d'arriver plus facilement à un compromis et évite les recours devant le juge. Cela reste à vérifier auprès des DRAC, mais je crois aussi que la consigne édictée en central est d'éviter les situations de blocage - au moins en Normandie. Le président de la CRPA peut demander l'organisation d'une commission pour étudier spécifiquement un dossier. Le plus souvent, le contentieux se règle en réunissant le pétitionnaire, l'ABF et l'administration compétente.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les parties ne se rencontrent jamais avant que la demande soit portée en CRPA ?

M. David Nicolas. - Je pense que si. Nous devrions étudier des situations concrètes de blocage pour en identifier la cause. Dans les cas que j'ai en tête, le blocage émane des deux parties. Un ABF peut adopter une posture un peu bloquante sur un sujet donné. Parfois, le pétitionnaire ne suit pas les préconisations et s'entête, quitte à aller au point de rupture. C'est la raison pour laquelle la pédagogie et la concertation amont sont, pour moi, la clé de la réussite.

Parfois, le nombre d'ABF disponibles est insuffisant pour assurer cette mission de conseil. Les pétitionnaires, publics comme privés, ont souvent besoin de cet accompagnement pour poursuivre sereinement le projet. Avec le dialogue, nous parvenons toujours à trouver une solution, que cela soit sur des aspects esthétiques dans le cadre d'un SPR ou des abords d'un monument historique ou qu'il s'agisse d'un projet de rénovation énergétique.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Est-il obligatoire de désigner un médiateur dans chaque région ?

M. David Nicolas. - Oui, cette nomination fait partie des obligations réglementaires. Elle est soumise à la validation du CRPA.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - S'il n'y a pas d'autres questions sur le rôle du médiateur, je vous propose de passer à la question des abords et des préconisations.

M. Vincent Joineau. - Préconiser un dialogue amont interroge quant à la manière dont l'agent en charge de l'urbanisme réceptionne les dossiers en mairie : est-il en capacité d'identifier ceux devant faire l'objet d'un dialogue avec l'ABF ? Il y a un problème d'ingénierie dans les petites communes où ni l'élu ni l'agent n'ont nécessairement de compétence en la matière.

Les commissions locales des SPR restent peu utilisées. Elles sont pourtant pertinentes. Les CLSPR ont un rôle dans la médiation en cas de problème d'interprétation entre les services de l'État et l'agent des villes. L'instance est composée de représentants de l'État, de la mairie et de personnes qualifiées. Elle étudie le dossier et rédige un avis, qui se doit d'être un compromis. Cet avis doit être retenu. Pour les dossiers qui concernent des périmètres protégés dans les petites communes, pourquoi ne pas prévoir une concertation globale ? Pourquoi ne pas étudier les dossiers les uns après les autres, quitte à déroger au règlement - ce qui est le cas dans les CLSPR si un accord est trouvé ?

Se pose ensuite la question du règlement, très lourd à produire et à faire évoluer. Une souplesse ne pourrait-elle pas être trouvée pour le modifier sans passer par des processus complexes ? Les maires et les ABF utilisent le règlement pour justifier de ne rien faire. Nous devons y apporter de la plasticité.

Nous devons aussi rendre la qualité architecturale plus tangible et moins soumise à l'avis de l'ABF. Comme nous, chaque Architecte des bâtiments de France a sa propre culture. Or, cette culture ne doit pas s'imposer de manière implacable à la commune. Le dialogue est indispensable. Plus largement, nous devons clarifier la notion de qualité architecturale.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - À quel « règlement » faites-vous référence ?

M. Vincent Joineau. - Le règlement patrimonial, qui est souvent adossé au PLU - le PLU reprend in extenso des pans entiers du règlement patrimonial.

M. David Nicolas. - Je rejoins ce qui a été dit. D'un ABF à l'autre, la messe n'est pas chantée de la même manière. Ce constat est d'autant plus vrai sur les territoires qui comptent des monuments historiques protégés de longue date. Il serait d'ailleurs souhaitable que la valeur patrimoniale des monuments inscrits soit réinterrogée. Nous en discutons en CRPA Normandie lorsque l'objet MH protégé fait plus ou moins patrimoine au sens actuel du terme. Il y a un vrai sujet.

Quoi qu'il en soit, le droit commun s'applique aux servitudes liées aux abords des monuments historiques. Or, selon l'ABF, l'appréciation du droit commun varie. Encore une fois, le dialogue est impératif sous peine de faire naître des tensions, des incompréhensions, des blocages, voire des contentieux.

Le périmètre délimité des abords devant supporter une servitude du fait de la proximité d'un monument historique doit être modifié. Selon moi - et selon l'AMF -, la meilleure manière pour ce faire est de constituer un site patrimonial remarquable. Tous les SPR étudiés en CRPA de Normandie sont d'anciennes aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) révisées. Les SPR validés sans AVAP préalables ont été initiés à l'époque où ces aires existaient, mais ils ont mis huit ou dix ans pour être finalisés. Plus d'un mandat municipal est donc nécessaire pour sortir du droit commun les servitudes liées aux abords d'un monument historique. Une volonté politique considérable est nécessaire, en termes budgétaires comme de suivi.

Pour la plupart des monuments historiques en France, la servitude créée par le rayon de 500 mètres occasionne une immobilité qui ne permet pas d'avancer vers une meilleure définition des périmètres et des limites des abords du monument.

L'ingénierie d'élaboration des SPR et de délimitation des limites et des abords des monuments historiques est coûteuse. Une ingénierie supplémentaire est ensuite nécessaire pour suivre au long cours le règlement produit localement, le faire vivre et accompagner les pétitionnaires. La disparition du droit commun laisse la place à un règlement spécifique qui doit être mis en oeuvre et suivi localement. Il revient souvent aux services municipaux d'orienter les pétitionnaires, de leur expliquer ce qu'il est possible de faire et ce qui ne l'est pas.

J'insiste sur un point : un bon règlement de SPR doit permettre, non pas d'assouplir, mais d'adapter les préconisations aux réalités de terrain. Il s'affranchit des règles de droit commun, très sèches et qui, appliquées trop mécaniquement par les ABF, aboutissent à des interdictions. Un bon SPR doit permettre d'utiliser certains matériaux ou de poser des panneaux photovoltaïques sur un bâtiment ancien.

Le SPR est la clé, mais sa mise en oeuvre nécessite une volonté politique très forte.

M. Vincent Éblé. - Cela fait tomber la logique des abords au compas. La zone est cartographiée sur les documents d'urbanisme.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Absolument. C'est le périmètre intelligent souhaité par la loi LCAP.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Le SPR est-il un préalable au périmètre délimité des abords ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Non, ce sont deux choses différentes. Le PDA est spécifique à un monument tandis que le SPR concerne une commune. La loi permet désormais d'affiner les périmètres en fonction des particularités.

Mme Anne-Marie Nédélec. - Des moyens et de l'ingénierie sont nécessaires pour effectuer ces adaptations, ce qui exclut d'office un ensemble de communes.

M. Vincent Éblé. - Oui, cela revient à une révision de PLU. Une enquête publique est même nécessaire.

Légitimement, votre vision est territoriale, voire micro-territoriale : l'approche parlementaire est en revanche nationale. De même, vous observez les différences et l'évolution des positionnements des ABF dans le temps : nous les observons d'un territoire à l'autre.

Le caractère solitaire de la décision de l'ABF est perturbant. Beaucoup d'élus perçoivent ces décisions comme arbitraires. Des décisions plus collégiales, prises au sein d'une commission d'appel, seraient opportunes. L'ABF dispose toutefois d'une culture et d'une expertise. Nous ne pouvons pas passer outre cette expertise lorsqu'elle ne nous convient pas et confier la décision à un préfet qui n'a pas suivi d'études d'architecture ou d'histoire de l'art. C'est la raison pour laquelle un délibéré collectif me paraît plus adapté. Il apporterait des garanties, une sorte de jurisprudence pouvant être reprise d'une période à l'autre, d'un dossier à l'autre. Une telle orientation renvoie à la question des moyens dont disposent les services de l'État pour instruire les dossiers.

La charge de travail des ABF est conséquente. Des missions complémentaires leur sont adjointes. De fait, ils instruisent très rapidement les dossiers, avec une forme d'automaticité, sans étudier les circonstances particulières.

M. David Nicolas. - Je ne retire rien de vos propos. Les ABF peuvent être des conseils formidables s'ils ont du temps à consacrer au terrain. J'essaie toujours de casser cette image d'empêcheur de tourner en rond. Un ABF présent et à l'écoute passe de méchant censeur à conseiller pertinent, particulièrement si la démarche n'implique pas un élu, mais un agent chargé d'urbanisme qui connaît les sujets patrimoniaux et qui vient mettre de l'huile dans les rouages. Il y a toujours - ou presque - une voie de passage pour que chacun s'y retrouve.

J'insiste sur le SPR. Le règlement est difficile à construire, mais, au même titre qu'un plan local d'urbanisme, c'est un bel objet. L'approche est très locale. Le règlement prend en compte toutes les composantes du patrimoine, quasiment à l'échelle de la parcelle. Une fois le diagnostic posé, le règlement emporte le consensus, car il est questionné auprès de la population. Des ateliers participatifs s'organisent pour associer les habitants. Un document approfondi apporte une réelle souplesse, bien plus que le droit commun applicable aux monuments historiques. Ce dernier ne fonctionne plus. Ajouté au manque de temps des ABF, nous arrivons à des situations de blocage.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous n'avons pas interrogé M. le directeur général des patrimoines et de l'architecture sur le sujet, mais j'aimerais connaître la montée en puissance des SPR.

Mme Nadine Bellurot. - Nous sommes plusieurs ici à avoir été maires et à avoir échangé avec des ABF. En fonction de la personne, les avis divergent. Pour un même site et une même demande, j'ai connu des positionnements complètement contraires. La décision ne dépend pas de données objectives, mais de la personne.

Comme vous, je regrette que nous soyons soumis à une décision couperet. Les élus sont responsables et connaissent leurs territoires. Certes, ils ont leur idée subjective du beau, mais ils restent en capacité de savoir ce qui peut être fait dans leur collectivité. Prenons l'exemple d'un bâtiment sans intérêt et non-entretenu de ma commune, dont la destruction a été refusée par l'ABF. Il avait échangé avec le propriétaire, qui n'avait pas les moyens de restaurer la toiture. Depuis, un trafic de drogue s'est mis en place dans ce bâtiment laissé à l'abandon.

Cet exemple est effrayant. Il résulte de l'obstination d'un ABF. Il ne me semble pas opportun de laisser à une seule personne une décision qui pourrait donner lieu à beaucoup plus de concertation. Nous avons trop d'exemples qui montrent qu'il serait préférable de prendre une décision collégiale, peut-être préfectorale. Le conseil des ABF est très intéressant pour éclairer les travaux, préciser l'aménagement que l'élu a en tête. Pour autant, il ne peut plus s'agir d'une décision unique.

Comment concevez-vous cette collégialité ? La décision pourrait-elle in fine être du ressort du préfet ?

M. David Nicolas. - Il revient précisément à la CRPA d'arbitrer les avis des ABF qui apparaîtraient comme trop brutaux. L'exemple que vous présentez devrait être arbitré en commission. Les CRPA associent des élus, des spécialistes du patrimoine ainsi que des historiens et des chercheurs à même de rendre un avis sur la qualité intrinsèque du bâti. Pour moi, cette instance est le lieu de débat idéal, sous réserve que le président de la CRPA accepte de la réunir pour échanger.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - L'avis final revient-il au préfet de région ?

M. David Nicolas. - Oui.

M. Vincent Joineau. - Les instances de dialogue existent. La CLSPR est à la main de la communauté de communes, qui dispose de la compétence d'urbanisme. Elle étudie et suit le dossier. Si une médiation est nécessaire, le dossier passe en CLSPR.

De mon expérience, la CLSPR reste peu plébiscitée, car la procédure est lourde. En outre, la communauté de communes se sent moins concernée par ces problématiques communales. Fort de ces constats, cette commission locale doit-elle rester à la main de la communauté de communes ? Pour que l'instance soit plus opérationnelle, il me semble préférable que la commission soit à la main de la commune, qui invitera la communauté de communes au titre de sa compétence d'urbanisme.

M. David Nicolas. - Je suis d'accord, d'autant que le SPR va se développer au niveau communal. Il est évident que la commission qui statue sur des situations complexes à l'échelle d'une communauté ou d'un EPCI, sur un SPR communal, doit rester aux mains de la commune. Pour avoir du sens, la commission doit aussi être majoritairement composée d'élus issus de la commune.

Mme Sabine Drexler. - En cas de création d'un SPR ou d'un PDA, à qui revient-il d'effectuer un inventaire des bâtis bénéficiant d'une protection particulière ? Qui sont les membres de la CRPA ?

M. David Nicolas. - Pour mettre en place un SPR, un chargé d'études doit être désigné. Il peut d'agir d'un cabinet d'urbanisme avec une forte composante patrimoniale ou d'un architecte du patrimoine. Le diagnostic est objectif ; il s'appuie sur la compétence patrimoniale du chargé d'études. Une cartographie de la commune ou du territoire est réalisée pour révéler le caractère patrimonial des lieux. Certains SPR contiennent une étude à l'échelle de la parcelle, c'est-à-dire du bâtiment. D'autres identifient même plusieurs composantes patrimoniales sur une même parcelle en distinguant un jardin, une fontaine ou un puits détaché du bâti, qui ferait patrimoine.

Il revient ensuite aux membres de la CLSPR de définir le patrimoine à mettre en avant. La commune a la main. Le règlement ainsi établi à l'échelle locale permet de s'affranchir d'une lecture très dogmatique et brutale du droit commun.

Les CRPA sont composées de fonctionnaires de l'État, des DRAC, des conservateurs des monuments historiques et des conservateurs des services d'antiquité départementaux, éventuellement du directeur du service régional de l'archéologie. Les commissions comptent aussi des Architectes des bâtiments de France, des associations du patrimoine - y compris parfois des associations régionales ou locales et des sociétés d'histoire locales. Bien sûr, des élus communaux, départements et régionaux désignés par le préfet siègent en CRPA. Enfin, les commissions comptent un collège de scientifiques. En CRPA de Normandie, nous invitons des chercheurs du CNRS, dont le regard contredit souvent les assertions des professionnels du patrimoine. Ce dialogue amène beaucoup de richesses.

En tant que président de CRPA, j'estime avoir la chance de siéger dans une commission dont les membres acceptent et nourrissent l'échange. Les débats permettent de sortir de lignes préétablies par les chargés d'études de la DRAC. À l'issue du débat, le pressentiment initial du service instructeur n'est pas toujours suivi.

Mme Guylène Pantel. - Toutes les communes ne peuvent pas financer l'ensemble des documents d'urbanisme nécessaires.

La présidente le disait dans son introduction : la Lozère compte un seul ABF. Dans le département, 72 % des communes ne disposent pas de document d'urbanisme. De fait, le rayon de 500 mètres s'applique automatiquement. Tous les villages sont couverts. Nous sommes bloqués.

Bien avant que cette mission soit mise en place, j'ai déposé dans la niche RDSE une PPL visant à supprimer les décisions descendantes émanant d'un seul ABF pour instaurer des décisions collégiales avec le maire, la préfecture.

M. Hervé Reynaud. - Ce qui est décrit par M. Nicolas est vrai. Souvent, soit les élus n'ont pas la formation nécessaire, soit ils renoncent. Les démarches sont extrêmement lourdes et dépassent l'échéance d'un mandat. Beaucoup d'élus renoncent à s'engager dans les procédures de SPR. En outre, les SPR génèrent des contraintes nouvelles.

Si nous appelons à davantage de pédagogie, de dialogue et de médiation, c'est bien qu'il en manque. Les ABF sont relativement isolés, les élus locaux sont démunis. Certaines communes ou communautés de communes ne disposent pas d'ingénierie. Des départements et des élus locaux ne connaissent pas les médiateurs.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous partageons tous deux constats. Tout d'abord, il est préférable de rencontrer l'ABF en amont. Ensuite, les Architectes des bâtiments de France ont trop de travail. Il ne semble pourtant pas dans l'air du temps d'accroître leur nombre. Dans ces conditions, comment alléger leur quotidien ?

Quel est votre point de vue sur l'avis conforme dans le périmètre des 500 mètres ?

M. Vincent Joineau. - Fort de l'expérience de mes fonctions de médiateur, je constate un problème de cadre méthodologique. Les pétitionnaires peinent à savoir les documents qu'ils doivent fournir.

L'AMRF 33 a rédigé des propositions concrètes à la DRAC en vue d'établir une charte de bonnes pratiques et un document d'appui à destination des maires pour qu'ils accompagnent correctement les pétitionnaires. Nous les avons formulées en réunion, devant le préfet, notamment. Tout le monde y était favorable. Pourtant, rien n'a été fait. Il apparaît que la DRAC Nouvelle-Aquitaine a adressé un document au ministère pour validation, sans avoir associé les élus locaux à la réflexion. Nous sommes très mécontents. Nous étions prêts à nous impliquer dans l'élaboration de ce document-cadre.

Sur ma commune, il n'est pas possible d'installer plus de quatre mètres carrés de panneaux photovoltaïques. Un pétitionnaire souhaitait en installer 600 mètres carrés. Je lui ai dit que je soutiendrais son dossier s'il apportait une preuve de l'absence de co-visibilité. L'ABF a refusé le projet. Je l'ai pour ma part autorisé. J'ai écrit au préfet pour lui faire connaître ma position, en lui joignant le dossier et en soulignant l'absence de co-visibilité. J'ai accompagné le pétitionnaire, mais ce n'est pas toujours possible.

Nous devons a minima disposer d'un cadre travaillé par la DRAC avec les élus.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Dans cet exemple, êtes-vous parvenu à faire accepter à l'ABF un dossier qui n'entrait pas dans le cadre de votre règlement ?

M. Vincent Joineau. - Non, l'ABF a refusé le projet, considérant que le règlement de la commune devait s'appliquer. Elle avait toutefois fait savoir qu'elle n'engagerait pas de recours.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le projet a-t-il finalement pu se mettre en oeuvre ?

M. Vincent Joineau. - Oui.

M. David Nicolas. - L'AMF avait émis des doutes sur la suppression des prérogatives de l'ABF en matière d'avis conforme. Dans certains territoires, les élus locaux sont soumis à des pressions de promoteurs et de divers acteurs qui profitent du vide laissé par l'ABF pour faire n'importe quoi. Il est difficile de trouver la ligne de crête.

Il pourrait être opportun de mieux représenter les élus dans les CRPA, en nombre et dans la qualité de la sélection. Les associations départementales pourraient cibler les élus locaux à même d'être réellement actifs dans ces commissions et d'intervenir en tant que relais. L'AMF demandait une meilleure représentativité des élus locaux dans les CRPA qui, je le rappelle, sont désormais présidées par des élus.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - La région est-elle la bonne échelle ? Une commission départementale ne serait-elle pas plus efficace ?

M. David Nicolas. - C'est une bonne question. La Normandie a la chance d'être une région historique. Je suppose que dans des régions telles que l'Occitanie, le découpage est moins pertinent.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Avant le lancement de cette mission d'information, je connaissais peu les CRPA. J'ignore même qui est le médiateur de ma région. À titre personnel, je pense que l'échelle régionale n'est pas la bonne.

M. David Nicolas. - Les CRPA ont été calés sur les DRAC.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - S'il n'y a pas d'autres questions, je vous propose de conclure. Si vous avez des documents complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous pouvez également nous communiquer des positions ou des propositions écrites émanant de vos associations respectives que nous pourrions reprendre dans notre rapport.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je vous remercie pour votre temps et pour la qualité des échanges.

Audition de MM. Patrick Brie, adjoint à la sous-direction de la qualité du cadre de vie, Benoît Bergegère, chef du bureau des sites protégés, et Yannick Pache, chef du bureau de la réhabilitation du parc et des évaluations économiques, direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN), du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Mes chers collègues, nous reprenons nos travaux avec l'audition de M. Patrick Brie, adjoint à la sous-direction de la qualité du cadre de vie au sein de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, qui représente devant notre mission d'information le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Monsieur Brie, je vous remercie de vous être rendu disponible pour éclairer les travaux de notre mission d'information, qui, je vous le rappelle, portent sur le périmètre d'intervention et les compétences des architectes des bâtiments de France (ABF). Nous nous penchons sur le sujet à l'initiative du groupe Les Indépendants - République et territoire du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen.

Au cours de nos premières auditions, nous avons essentiellement envisagé le rôle des ABF dans leur mission de préservation de l'unité architecturale des sites protégés. Face à l'urgence climatique, cette mission s'enrichit - ou s'alourdit - de plus en plus souvent d'un rôle de contrôle, et idéalement de conseil et d'accompagnement, en matière de rénovation énergétique du bâti patrimonial. Cette démarche suppose des travaux qui peuvent toucher à l'aspect extérieur des bâtiments : je pense bien entendu au remplacement des fenêtres ou à l'isolation par l'extérieur pour renforcer les performances techniques des habitations, mais également à l'implantation en plein essor de panneaux photovoltaïques. On comprend donc aisément que dans certains cas, la préservation du cadre de vie patrimonial et l'ambition écologique entrent en conflit - ce que nombre des membres de la mission d'information ont pu constater dans leurs territoires.

Ce débat est d'ailleurs loin d'être nouveau dans notre assemblée. Lors de la discussion sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables en novembre 2022, le Sénat avait tout d'abord adopté un amendement supprimant l'avis conforme de l'ABF pour l'installation de ces panneaux destinés à produire de l'électricité dite « verte », avant de finalement revenir, dans sa grande sagesse, sur ce point. Le gouvernement s'était alors engagé à établir une instruction à l'attention des ABF pour « concilier les principes de la transition écologique et de la préservation du patrimoine ». Cette instruction a été conjointement élaborée par le ministère de la culture et votre ministère de rattachement, M. Brie, et a effectivement été publiée le 9 décembre 2022.

Nous sommes donc impatients de vous entendre pour comprendre comment votre administration mène au quotidien ce travail de conciliation. Je vous cède donc sans plus attendre la parole pour un propos introductif d'une dizaine de minutes, avant de laisser notre rapporteur s'exprimer à son tour.

M. Patrick Brie, adjoint à la sous-direction de la qualité du cadre de vie, Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN). - Merci de nous avoir invités à participer à la réflexion que vous conduisez sur l'équilibre entre différentes politiques, en particulier pour conjuguer la préservation du patrimoine et la politique de développement économique, à commencer par son volet consacré aux énergies renouvelables. Pour illustrer la collaboration entre la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages et le ministère de la culture, je suis, tout d'abord, accompagné de M. Yannick Pache, chef du bureau de la réhabilitation du parc et des évaluations économiques rattaché à la sous-direction en charge de la qualité et du développement durable dans la construction : c'est à ce niveau que s'articulent en grande partie les deux politiques précitées. S'agissant de l'autre dimension de notre travail avec le ministère de la culture, je suis accompagné de M. Benoît Bergegère, responsable du bureau des sites protégés, ce bureau faisant partie de la sous-direction à laquelle j'appartiens.

J'en viens aux principales caractéristiques de cette collaboration relative à la protection des espaces protégés que sont les sites classés et les sites inscrits. Ces derniers doivent être distingués des abords des monuments historiques ou des zones que l'on appelle maintenant les sites patrimoniaux remarquables qui relèvent du code du patrimoine. Quant à eux, les sites classés et les sites inscrits sont des outils prévus par le code de l'environnement. Ils visent à protéger des espaces naturels - qui peuvent néanmoins être occupés par l'homme et parfois même construits - en application de la loi du 2 mai 1930 qui a elle-même succédé à une loi de 1906 et instauré une protection des espaces répondant à l'un des cinq critères de classement fondés sur leur valeur pittoresque, scientifique, légendaire, artistique ou historique. Répondent, par exemple, à ce dernier critère des lieux de bataille qui ont une dimension mémorielle. Ces catégories recouvrent des territoires qui, autrefois, ont pu apparaitre comme relativement modestes et certains ont même été classés « pittoresques » car ils abritaient des arbres remarquables. Cependant, la doctrine a évolué au fil des années et on a ensuite parfois classé des sites très importants comme les paysages structurés par le canal du Midi ou le massif du Mont-Blanc. Ce dernier comporte un grand nombre d'installations et de bâtis avec notamment les remontées mécaniques qui peuvent emmener les personnes jusqu'à la mer de glace. Pour sa part, le paysage du canal du Midi incorpore un espace agricole dans lequel les agriculteurs ont besoin de faire évoluer leurs installations. Nous coopérons dans ce domaine avec le ministère de la culture car, historiquement, ces protections ont été gérées par celui-ci avant d'être transférées au ministère de l'équipement devenu ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. À l'époque, l'accord interministériel qui est intervenu avait consisté à ne pas transférer vers notre ministère les architectes des bâtiments de France (ABF) qui s'occupaient de ces sites classés mais à leur demander de continuer à travailler dans ce secteur avec les agents que nous avons embauchés pour assurer la protection des sites. Il s'agit des inspecteurs des sites dont le titre n'est pas reconnu par les textes comme celui des ABF. Ils sont chargés de veiller à la préservation de la dimension patrimoniale de ces sites naturels. Habilités à fournir des avis, notamment aux préfets de département, ils sont rapporteurs d'avis en commission départementale des sites et des paysages. Les ABF ont le même rôle pour ces sites car ils ont une formation d'architecte, ce qui n'est pas nécessairement le cas de nos agents ; or la complémentarité dans la gestion d'un site à caractère naturel exige de pouvoir intervenir sur la relation entre le paysage et le bâti de façon fine avec une connaissance d'architecte. Cela permet, dans les commissions départementales des sites, de construire des avis de façon collégiale en évitant de verser dans une dimension trop personnelle et en prévenant le risque qu'une seule personne puisse éventuellement, au bout d'un certain nombre d'années d'exercice dans un département, imposer son style et ses préférences. Dans le système actuel, les avis sont plutôt collégiaux et obéissent à un mécanisme de double instruction : après l'instruction locale, un certain nombre d'autorisations relèvent en effet du niveau ministériel.

Tel est l'historique de notre collaboration avec le ministère de la culture. Notre partenariat me semble assez fluide à tel point que, par exemple, nous avons mis au point un outil de dématérialisation des autorisations d'urbanisme avec la composante urbanisme de notre sous-direction. Comme vous le savez, lorsqu'on intervient sur un site protégé relevant du ministère de la culture, l'ABF doit être consulté et nos outils sont connectés à ceux du ministère de la culture, comme PATRONUM. 

M. Vincent Éblé. - S'agit-il du même outil ou d'un dialogue entre vos deux systèmes ?

M. Patrick Brie. - Ce sont deux outils construits pour dialoguer ensemble, de sorte que quand les collectivités instruisent un dossier numérisé, elles le font passer dans notre outil qui leur permet d'organiser les consultations des différents services, en charge de l'eau ou de l'électricité par exemple, mais aussi de consulter les ABF qui reçoivent les données via la plateforme PATRONUM et peuvent répondre en utilisant ce même vecteur. Nous sommes également en train de développer un outil pour la gestion des sites classés qui donnent lieu à des autorisations de travaux d'une nature un peu particulière. Nous allons travailler sur le même logiciel que celui du ministère de la culture car il a démontré son efficacité.

La collaboration est donc, sur ce premier volet, assez fluide entre les deux ministères.

M. Yannick Pache, chef du bureau de la réhabilitation du parc et des évaluations économiques. - De notre côté, nous avons - certes un peu plus tardivement dans l'histoire administrative - initié une collaboration avec le ministère de la culture à la suite notamment des mesures introduites dans la loi Climat et résilience sur les niveaux de performance énergétique minimaux pour la location des logements du parc locatif privé. Je rappelle que ce texte prévoit l'interdiction de la location des logements classés G pour les nouvelles mises en location ou les reconductions tacites à partir de 2025, des logements étiquetés F à partir de 2028 et des logements classés E à partir de 2034. Nous avons dû élaborer les décrets d'application de cette loi adoptée à l'été 2021. Dès 2022, nous avons commencé à dialoguer avec nos collègues de la culture, en particulier à propos de l'opposabilité du diagnostic de performance énergétique (DPE) qui est devenue effective pendant l'été 2021, avec un nouveau moteur de calcul entré en vigueur depuis le 1er juillet 2021. En 2022, nous avons commencé à lister un certain nombre de domaines de collaboration nécessaires entre nos deux ministères et à installer des structures de dialogue ainsi que des groupes de travail avec nos collègues. S'agissant du DPE, on ne peut pas nier que nos échanges ont duré un certain temps mais nous avons beaucoup avancé depuis, surtout pendant l'année 2023, en procédant à des relectures croisées de documents, en particulier d'un guide de recommandations de travaux destiné aux professionnels réalisant les diagnostics immobiliers et les audits énergétiques. Ce guide, soumis à de nombreuses relectures, devait être publié dans le courant du mois d'avril et ne l'est pas encore parce que le Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement (Cerema) est en train de construire son maquettage. Le Cerema dispose de ressources spécifiques en matière de bâti ancien et anime le centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba). Nous avons fait appel à ces professionnels pour nous aider dans la rédaction du guide que nous avons également fait relire par nos collègues de la direction générale des patrimoines et de l'architecture, par des représentants de l'ABF ainsi que par l'Association des architectes des monuments historiques, de façon à avoir une vision assez globale. Ce guide, que nous vous transmettrons, comporte une partie dédiée à la prise en compte des bâtis patrimoniaux et des bâtis anciens qui ne sont pas nécessairement les mêmes.

Dans ce domaine, du côté du ministère de la transition écologique, notre vision est que le DPE est un outil d'analyse de la performance énergétique du bâti et que le véritable levier d'action se situe dans les recommandations de travaux qu'il faut adapter aux spécificités du bâti : c'est cette logique qui inspire notre travail sur le guide que je viens de mentionner. Cette action va être poursuivie par l'élaboration d'un autre guide consacré aux bonnes pratiques sur la rénovation du bâti ancien, pour lequel nous venons d'obtenir la validation des crédits permettant au Cerema d'y travailler, et nos collègues du ministère de la culture seront associés à sa réalisation. Ce second guide a vocation à accompagner la réflexion des maîtres d'ouvrages mais aussi - c'est notre idée - des ABF pour que les meilleures pratiques puissent être utilisées afin de satisfaire l'objectif d'amélioration de la performance énergétique des logements tout en respectant la qualité du patrimoine existant. Je rappelle que selon les calculs du Service des données et études statistiques (SDES) 38 % des logements sont situés dans les périmètres de protection patrimoniale : l'enjeu est donc très important et nous sommes conscients qu'il faudra certes améliorer la performance énergétique de ces logements, mais de façon responsable et concertée.

Je mentionne également la construction partagée d'une banque de questions pour les examens initiaux portant sur les compétences des diagnostiqueurs immobiliers et des auditeurs énergétiques. En effet, nous avons pu nous interroger, au moment du lancement du nouveau DPE opposable, sur la qualification de ces acteurs. Nous avons donc lancé une démarche de fiabilisation de leurs compétences qui a donné lieu à plusieurs textes réglementaires - un arrêté de juillet 2023 et un décret de décembre 2023 - pour renforcer celles-ci et prévoir la mise en place d'un examen. Nos collègues ont contribué à sa définition pour vérifier les capacités des professionnels qui seront amenés à analyser les performances du bâti ancien et à proposer des solutions de rénovation.

Nous travaillons également à l'adaptation des aides à la rénovation énergétique dans un contexte budgétaire incertain mais qui nous a tout de même permis d'obtenir des crédits intéressants en 2024 pour MaPrimeRénov'. Nous sommes en discussion pour faire évoluer les choses et obtenir des barèmes d'aide qui tiennent compte, à partir de 2025, du bâti ancien en réfléchissant à la coordination entre les dispositifs existants, y compris, par exemple, en incluant le bâti patrimonial relevant de la loi Malraux. Il faut évidemment accomplir des gestes de rénovation adaptés et je souligne que ceux-ci ont d'ores et déjà été définis, comme en témoigne l'expérimentation menée par Effinergie avec le label « Effinergie et patrimoine ». De plus, nous avons mis en place, sur ces sujets, des groupes de travail dédié avec nos collègues de la culture.

J'ajoute que notre travail sur la cartographie du patrimoine bâti - dont j'ai présenté le premier document qui a été publié - va se poursuivre. Nous voulons tenir compte, dans nos travaux prospectifs, non seulement de la trajectoire bas carbone mais aussi des capacités différenciées des bâtiments et des rénovations dont ils pourront faire l'objet - ce qui n'était pas, il faut bien le reconnaitre, suffisamment pris en compte auparavant. S'y ajoute un soutien aux actions de capitalisation des connaissances sur le bâti ancien avec des allocations renforcées au Creba qui viennent également d'être validées pour 2024. Je mentionne enfin l'adaptation du parcours des aides à la rénovation avec l'Agence nationale de l'habitat (Anah). Celle-ci a déjà diffusé l'année dernière auprès des Espaces Conseil France Rénov' une brochure pour que les 3 000 conseillers France Rénov' présents sur les territoires puissent disposer d'éléments de langage destinés aux ménages propriétaires de bâti ancien et leur proposer des solutions adéquates.

Mme Sabine Drexler. - Vous avez évoqué une cartographie du Patrimoine bâti : pouvez-vous préciser de quoi il s'agit ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - En complément, je souhaiterais que vous fassiez la distinction entre le patrimoine inscrit ou classé et d'autres constructions qui, à l'instar d'un certain nombre de bâtisses, participent à notre patrimoine sans pour autant être repérées du point de vue juridique. J'habite, par exemple, un petit village en Provence où on trouve de nombreuses maisons en pierre qui sont dans ce cas, et si un diagnostiqueur ne tient pas compte des spécificités de ce bâti, cela va soulever des difficultés.

M. Yannick Pache. - J'ai parlé du bâti ancien et du bâti patrimonial mais il faut également citer le bâti dans les secteurs protégés. Ces trois niveaux de particularités doivent être pris en compte et notre guide de recommandations leur consacre toute une partie pour que les diagnostiqueurs immobiliers ainsi que les auditeurs énergétiques soient attentifs aux mesures de protection existantes ainsi qu'aux travaux qu'ils pourraient préconiser. La problématique que vous signalez s'apparente à une demande que nous avons eu à traiter dans le cadre de l'exercice du pouvoir réglementaire. Ainsi, quand nous avons présenté au Conseil d'État le décret d'août 2023 qui définit les contraintes architecturales patrimoniales pouvant faire obstacle à la réalisation de travaux de rénovation énergétique - et qui interdisent donc au juge de prononcer des sanctions ou des mesures particulières en cas de non-respect des critères énergétiques - le Conseil d'État nous a indiqué qu'il appartenait au pouvoir réglementaire de faciliter l'accès à l'information. Nous nous conformons tout à fait à cette invitation et, de plus, avec nos collègues de la culture, nous souhaitons travailler sur la constitution de binômes entre DREAL (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) et DRAC (Directions régionales des affaires culturelles) pour encourager les collectivités - même si c'est déjà largement le cas - à délimiter plus précisément les périmètres des abords dans lesquels des mesures particulières doivent s'appliquer. Il s'agit de permettre aux professionnels de savoir quelles mesures sont préconisées dans ce cadre et de disposer d'un repérage dans les documents d'urbanisme. Notre dialogue avec le Conseil d'État a permis de souligner l'importance de la protection patrimoniale des façades ou des toitures classées et visibles de l'extérieur ; il convient, en revanche, d'autoriser le propriétaire à réaliser des travaux d'isolation sur le bâti donnant sur la cour qui n'est pas visible afin de permettre d'économiser de précieux kWh en consommation énergétique. Le guide que nous vous transmettrons précise ces différents points.

M. Patrick Brie. - S'agissant de la cartographie, j'évoquerai le Géoportail de l'Urbanisme : cet outil, mis en place par la DHUP (Direction de l'Habitat, de l'Urbanisme et des Paysages) dans les années 2013-2014, est, depuis 2022, installé dans le cadre réglementaire du code de l'urbanisme. En effet, pour que le document d'urbanisme d'une commune puisse être rendu exécutoire, on a remplacé les formalités de publication et de transmission au contrôle de légalité par le versement des documents dans le Géoportail de l'Urbanisme. Il n'est donc plus besoin, comme autrefois, qu'un vaguemestre transmette en urgence les documents à la préfecture ; aujourd'hui les données numériques sont automatiquement transmises à la préfecture via ce Géoportail. Ce dernier contient également toutes les servitudes en vigueur ; par conséquent, tous les périmètres de sites protégés sont identifiables par les particuliers qui souhaitent réfléchir à la rénovation de leurs bâtiments et s'informer du niveau de protection auquel ils sont soumis. De la même façon, les PLU (Plan local d'urbanisme) étant versés dans cette base de données, les particuliers peuvent vérifier si leur bien fait partie de la liste des bâtiments remarquables identifiés comme tels par la commune dans leur PLU en raison de leur intérêt patrimonial - même s'ils ne sont pas protégés par le ministère de la culture. Cette cartographie est accessible à tous.

Mme Sabine Drexler. - Je ne connaissais pas toutes les caractéristiques de cette cartographie. Je signale, par exemple, qu'en Alsace, nous sommes en train réfléchir à l'élaboration d'un inventaire de tout le bâti, y compris celui qui n'est pas protégé. Si une communauté de communes ou une commune s'engage à réaliser cet inventaire, la collectivité européenne d'Alsace majorera les subventions accordées en cas de rénovation du patrimoine. Nous nous efforçons donc de convaincre les acteurs locaux de faire ce travail car nous sommes très inquiets, au regard de de la loi climat et résilience, du sort qui pourrait être réservé à ce bâti non protégé parce qu'aujourd'hui tout semble possible pour les biens non soumis à l'avis de l'ABF.

M. Patrick Brie. - Tel n'est pas tout à fait le cas : si la collectivité reconnaît la valeur architecturale d'un bâtiment dans son document d'urbanisme et souhaite organiser sa préservation, elle peut utiliser les dispositions du code de l'urbanisme qui se situent, de mémoire, dans deux des trois articles R.111-19, R.111-23 et/ou R.111-27. Ces dispositions permettent de réaliser un inventaire du patrimoine communal ayant vocation à bénéficier d'une protection non pas nationale mais locale et d'instaurer d'éventuelles règles particulières pour les déclarations de travaux pour le bâti concerné.

Mme Sabine Drexler. - Je rappelle que la commission de la culture du Sénat demande une révision du DPE et l'éventuelle création d'un DPE patrimonial. Il s'agit, dans cette hypothèse, de définir le type de bâti auquel s'appliquerait un regard différent ainsi que des travaux et un DPE spécifique. L'intérêt de l'inventaire que j'ai évoqué est de permettre à un maire de se référer à un document précis identifiant le bâti ayant une valeur patrimoniale particulière quand il doit statuer sur une déclaration de travaux.

M. Patrick Brie. - Les deux outils du code de l'urbanisme que j'ai mentionnés ont pour vocation d'offrir une protection complémentaire à celle que prévoit le code du patrimoine. Celui-ci protège des biens ayant une valeur reconnue par la nation tandis que les deux premiers concernent des objets dont l'intérêt patrimonial est reconnu par les autorités locales en charge de l'urbanisme, avec un niveau de protection bien entendu un peu moindre qu'au niveau national.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Ma principale interrogation porte bien entendu sur le travail que vous conduisez avec les ABF ainsi que sur la réalité du partenariat avec ces acteurs, notamment en ce qui concerne les énergies renouvelables et le photovoltaïque. Ce thème nous remonte assez régulièrement avec des communes qui, conformément aux incitations à investir dans ce domaine, lancent des projets d'autoconsommation et d'installation de panneaux photovoltaïques sur des toits plats, par exemple sur des salles des fêtes ; il en va de même pour les particuliers et on constate qu'un certain nombre de ces initiatives se heurtent, parfois pour de très bonnes raisons, au refus de l'ABF...

Vous avez mentionné la réalisation d'un guide pratique et je souhaite savoir s'il s'accompagne de la communication aux ABF d'une sorte de référentiel sur les matériaux nouveaux utilisés pour installer des énergies renouvelables. Le mot « instruction » est sans doute un peu fort mais avez-vous, à tout le moins, des échanges réguliers avec les ABF sur ces nouveaux matériaux disponibles afin de permettre une certaine uniformité nationale des décisions qui sont prises.

M. Patrick Brie. - Comme je l'ai indiqué, nos inspecteurs des sites réalisent avec les ABF un travail assez collégial d'élaboration d'un avis relatif à un projet qui, sur un territoire, mixe nature et culture avec un double regard vraiment très intéressant. L'ABF apporte sa compétence sur les matériaux de construction : ce domaine relève de sa formation et il est, par nature, plus à l'aise que notre collègue inspecteur des sites mais il faut également tenir compte des trajectoires personnelles et de l'expérience de chacun. Bien entendu, les matériaux disponibles pour installer les énergies renouvelables soulèvent des difficultés, à la fois pour les ABF le long des abords des monuments historiques qui relèvent de leur compétence propre, et pour nos personnels sur les sites que j'ai qualifiés tout à l'heure de naturels. Je marque sur ce dernier point une petite hésitation car, historiquement, on a également classé des zones urbaines : par exemple, une grande partie de Paris est catégorisée comme site inscrit, ce qui nous amène à y travailler avec les ABF. Par conséquent, dans le travail collectif que nous menons en matière de nouvelles énergies renouvelables, nos services, tout comme - je pense - les ABF, ont une mission préventive et de conseil. Cela les amène à dialoguer beaucoup avec les porteurs de projets et, dans un certain nombre de cas, à faire évoluer préventivement les projets en faisant comprendre à leurs auteurs le sens de la protection.

J'ai, par exemple, des voisins qui ont eu des difficultés pour mettre en place des panneaux solaires. Après le refus qui leur a été opposé par la mairie, suite à l'avis de l'ABF, je leur ai conseillé d'aller voir celui-ci. Ils ont alors retravaillé avec succès leur projet et sont aujourd'hui extrêmement contents de pouvoir produire de l'énergie sur leur toiture avec une installation remarquablement bien inscrite dans un site protégé.

Du côté de notre administration centrale, l'enjeu, au moment de la discussion de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a été de se demander comment réussir à capitaliser le savoir-faire de terrain d'un certain nombre d'architectes et d'inspecteurs des sites. D'où l'idée qui nous est venue, pendant le débat parlementaire, de produire à la fois une instruction et un guide pour réussir à propager les bonnes pratiques en envoyant, du même coup, un signal à l'égard des projets inadaptés et disgracieux qui pourraient subir une procédure d'instruction décevante pour les porteurs de projet. Je précise que pour garantir l'efficacité du fonctionnement des outils de protection à titre préventif, il est utile et parfois inéluctable qu'un certain nombre de refus soient opposés pour dissuader les mauvais projets.

Nous avons également considéré que la capitalisation des savoir-faire au niveau national est sans doute intéressante, comme point d'orgue, mais qu'elle est surtout opérationnelle quand elle s'organise au niveau des services départementaux. À cet égard, depuis très longtemps, et avant même la loi d'accélération des énergies renouvelables, les DDT (Direction Départementale des Territoires), sous l'égide des préfets, ont eu la mission d'organiser dans la plupart des départements une sorte de guichet unique permettant de fédérer l'ensemble des services, y compris l'ABF, pour la mise au point d'une forme de doctrine permettant de décliner le croisement des politiques. Tel a été le cas pour l'éolien ; c'est également vrai pour le photovoltaïque et cette méthode va prendre encore plus d'ampleur avec la récente publication du décret sur l'agrivoltaïsme qui va s'appliquer non pas au bâti mais aux espaces agricoles et ruraux. Ainsi, les services ont réfléchi ensemble et de façon collégiale à la façon dont les énergies renouvelables pouvaient s'installer dans les territoires. Ces guichets uniques ont surtout été l'interlocuteur des collectivités locales - qui avaient des messages à faire passer -, des énergéticiens et des porteurs de projets significatifs. Cela a permis d'apporter des mises au point et d'apporter des solutions à une partie des difficultés. Je crois cependant qu'il en subsiste dans un certain nombre de territoires, notamment sur les abords des monuments historiques.

S'agissant des sites dont nous avons la charge, nous effectuons une analyse au cas par cas qui se fonde en même temps sur ces doctrines locales et cette méthode concerne environ 1 000 autorisations ministérielles sur l'ensemble du territoire français. Nous avons autorisé un certain nombre de projets prévoyant l'installation de panneaux photovoltaïque sur des toitures et même au sol dans quelques cas. Il nous arrive aussi de refuser certains projets et je mentionne ici l'exemple de hangars de conchyliculture où nous avons traité, à deux ou trois mois d'écart, deux projets différents. Nous avons accepté le premier parce que le hangar proposé par le conchyliculteur avait un volume assez proche de celui des autres bâtiments de son exploitation. De plus le traitement de la façade de ce hangar, son orientation et son insertion dans l'ensemble de l'exploitation étaient bien adaptés. Trois mois après, un autre conchyliculteur, situé sur la même île, a présenté un projet prévoyant un hangar d'une volumétrie exceptionnelle dans lequel il prétendait faire passer ses camions. La taille de ce hangar dépassait largement celle des autres bâtiments et sa forme architecturale, qui optimisait la production d'énergie, était en dissonance avec l'ensemble du bâti : nous avons donc refusé ce second projet. Notre logique du travail au cas par cas est très importante dans le domaine patrimonial, même si elle obéit à un certain nombre de règles de base que j'ai implicitement évoquées à travers la notion de volumétrie. Il est vraisemblable que le second projet de hangar que j'ai cité ait pu être entièrement financé par l'énergéticien, compte tenu de la faiblesse de sa structure architecturale et de son insertion peu harmonieuse. Je pense que ces deux exemples sont assez représentatifs des raisons pour lesquelles, en général, nous refusons un projet et nous devons d'ailleurs justifier notre refus par un considérant spécifique. Je souligne également le rôle préventif et correctif que peuvent jouer ces refus puisque, dans un certain nombre de cas, on voit les projets évoluer et être acceptés.

Cette mécanique de protection de notre patrimoine n'handicape donc pas, à mon avis, la trajectoire énergétique de la France à laquelle nous sommes très attentifs. D'ailleurs, parce que les règles d'urbanisme sont importantes, la DHUP vient de passer beaucoup de temps à travailler sur le décret relatif au développement de l'agrivoltaïsme. Nous travaillons également sur les décrets de l'article 40 de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables du 10 mars 2023 qui vont permettre d'équiper en panneaux photovoltaïques le stock de parkings de plus de 1 500 m² existant au 1er juillet 2023, de façon à ne pas anthropiser trop de surfaces naturelles ou agricoles. Sur la même thématique, vous avez pu constater, à la fin de l'année dernière, la publication du décret d'application de l'article 101 de la loi Cimat et résilience qui prévoyait l'équipement des parkings et des toitures des bâtiments neufs. Ces obligations devront être assorties d'un certain nombre de dérogations pour concilier les enjeux énergétiques et les enjeux de protection patrimoniale.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Travaillez-vous avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ?

M. Patrick Brie. - Notre sous-direction comporte un bureau en charge de la politique nationale des paysages et les CAUE sont, pour nous, de très importants interlocuteurs. Nous avons engagé l'année dernière un programme de formation des élus à la dimension du paysage qui permet de comprendre la façon d'analyser celui-ci et de croiser les politiques d'aménagement pour construire un paysage. Nous avons testé ce programme de formation dans trois départements avec la Fédération nationale des CAUE. L'AMF a également soutenu la convention financière que nous avons mise en place et, cette année, nous devrions déployer cette formation dans 40 départements, avec l'aide de chacun des CAUE départementaux qui assureront ces formations dans lesquelles le thème des énergies renouvelables est assez prégnant.

M. Yannick Pache. - Nous partageons pleinement ces propos. De notre côté, s'agissant de la rénovation du bâti ancien, nous avons demandé au Cerema de mettre en place, en complément des actions locales de partage, une animation nationale pour répondre au besoin de faire connaître les bons exemples de rénovation. L'intervention de la Sénatrice Sabine Drexler m'amène à souligner que la question essentielle pour nous est celle de l'habitabilité des bâtiments. En réponse à la demande de mise en place d'un DPE spécifique pour le bâti ancien, nous avons tendance à rappeler que l'outil thermique calcule la performance énergétique d'un bâtiment ; or il n'est, par définition, pas possible de changer les résultats d'un calcul effectué, conformément à la volonté du législateur, de façon impartiale, indépendante et dans un cadre bien précis. C'est donc vraiment du côté des travaux de rénovation qu'il faut agir. Nous continuons ainsi à affirmer que ce n'est pas le thermomètre qu'il faut casser parce qu'on ne souhaite pas qu'il affiche une mauvaise température ; on doit plutôt rechercher les solutions adaptées pour garantir un confort suffisant dans ces bâtiments. Je rappelle en effet que nous nous situons dans un contexte où l'un des scénarios du Plan national d'adaptation au changement climatique prévoit une augmentation de 4 degrés dans les années à venir à laquelle il va falloir se préparer. On ne peut donc pas traiter 38 % des bâtiments en instituant un DPE patrimonial qui attribuerait très largement la note A ; il faut, au contraire, dire la vérité en attribuant une note exacte mais, en revanche, apporter les bonnes solutions et veiller à les partager. En effet, dans les quelques groupes de travail que l'on a organisé, on a pu constater qu'un certain nombre d'ABF se sont, mieux que d'autres, emparés de ce sujet. La diffusion des bonnes pratiques est d'autant plus importante que les directives européennes vont aller au-delà des exigences de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. En particulier, la directive sur la performance énergétique des bâtiments, validée en trilogue par le Conseil et le Parlement européen, va prévoir que, d'ici 2029, tous les bâtiments tertiaires existants devront être équipés de panneaux photovoltaïques. Il va donc falloir encadrer cette avancée de façon harmonieuse et accompagner ce qui ne correspond pas à une lubie mais à la nécessité objective d'assurer notre indépendance énergétique. J'ajoute qu'il faudra traiter la question du confort thermique et de la rénovation énergétique des bâtiments tertiaires, puisque le projet de directive que je viens de mentionner va contraindre d'ici 2030 les 16 % des bâtiments tertiaires les moins performants à diminuer leur consommation. Leur rénovation doit également être bien conduite, ce qui passe par la diffusion des bonnes pratiques. Elles sont nécessaires pour que les bâtiments restent habitables car si la température extérieure grimpe à 40 ou 50 degrés, on manquera d'énergie pour faire fonctionner la climatisation et nous savons tous qu'on a besoin d'eau pour rafraîchir les centrales nucléaires. Il va donc falloir effectivement s'orienter vers la sobriété et il y a un vrai besoin de réfléchir à l'adaptation du bâti.

Mme Sabine Drexler. - Je rejoins vos propos sur la nécessité absolue de diffuser les bonnes pratiques. Par exemple, en Alsace, les personnes ont tendance à favoriser l'utilisation du polystyrène, tout simplement faute d'information sur les matériaux alternatifs disponibles. Il y a donc là un véritable enjeu et je me félicite du travail indispensable que vous menez dans ce domaine. Par ailleurs, s'agissant du DPE, les associations patrimoniales indiquent que cet outil ne prend pas assez bien en compte certains matériaux spécifiques utilisés pour le bâti ancien. Faute de reconnaissance de ces matériaux, on applique des paramètres par défaut, ce qui conduit à classer très facilement le bâti ancien en étiquette F ou G en négligeant également leur inertie thermique. Telles sont les raisons qui motivent la demande de mise au point d'un DPE qui prendrait davantage en compte ces caractéristiques spécifiques.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les propos de Sabine Drexler illustrent parfaitement ma remarque précédente. Vous nous avez indiqué qu'on ne peut pas « casser le thermomètre » mais celui-ci effectue des mesures sans tenir compte de tous les paramètres de construction du bâti ancien. Comme je l'ai indiqué au cours d'une précédente audition consacrée à ce sujet, j'habite une vieille maison dont les murs sont très épais. Je n'ai pas de climatisation, ce qui étonne certains, mais il me suffit de fermer mes volets, mes rideaux ainsi que mes portes et la chaleur ne rentre pas. Si un DPE est réalisé sur cette maison, je ne sais pas à quel résultat il conduira et nous souhaitons que le calcul dont vous avez parlé tienne compte de ces spécificités.

Vous avez également évoqué les formations qui sont mises en place : en quoi consistent-elles ?

M. Yannick Pache. - Les matériaux utilisés dans le bâti ancien ont des propriétés inertielles dont le DPE tient compte : sa méthode de calcul retrace cet effet qui se matérialise surtout au printemps et à l'automne avec la conservation de la chaleur acquise durant la journée qui est ensuite restituée au logement. En revanche, effectivement, il faudrait mieux prendre en compte la conductivité thermique des matériaux. La pierre a cependant une conductivité thermique importante et si une forte chaleur se répète pendant plusieurs journées, l'effet inertiel ne joue plus : le DPE en tient compte, ce qui dégrade la notation du bâti considéré.

Nous avons demandé à nos collègues de la culture - qui sont sans doute en train d'y travailler - de nous lister les matériaux qu'il faudrait prendre en compte de façon plus précise dans le cadre du DPE en préfixant des valeurs par défaut différentes. Cela étant dit, il est d'ores et déjà demandé aux diagnostiqueurs immobiliers de justifier toutes les valeurs qu'ils entrent. Il est vrai que le bâti ancien soulève parfois des incertitudes, par exemple en présence de parois très épaisses, et c'est ici que nous voulons lutter pour que les diagnostiqueurs recherchent les vrais chiffres plutôt que de s'en tenir aux plus mauvais par défaut et sans justification. Je signale que deux fiches - « bien préparer mon DPE » et « comprendre mon DPE » - sont diffusées sur le site du ministère de la transition écologique. La première invite les particuliers à produire tous les documents justificatifs de la composition de la paroi. Je reconnais qu'il est difficile de se procurer la facture des pierres posées il y a 400 ans mais nous sommes en tous cas ouverts à l'idée d'aller au-delà de la bibliothèque des matériaux qui date de 1977. Nous sommes tout à fait preneurs de propositions pour améliorer encore cet outil de qualité ainsi que les valeurs par défaut attribuées à certains matériaux spécifiques mais j'avoue que nous nous baserons essentiellement sur les analyses de nos collègues de la culture pour statuer dans ce domaine.

M. Patrick Brie. - En complément, je ferai le lien entre la qualité des matériaux utilisables pour l'isolation et le rôle des CAUE. Depuis quelques années, sans qu'on ait pu encore vraiment mettre ce travail sur le chantier, nous avons constaté avec nos collègues de la culture que les statuts-types des CAUE issus de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture ont été écrits à une époque où la demande sociale et technique était un peu différente. Ces statuts attribuent aux CAUE un rôle de conseil de l'ensemble des particuliers et nous estimons qu'il pourrait être intéressant de réactualiser les missions dévolues à ces organismes par les textes réglementaires pour leur donner un rôle plus explicite en réponse à la nouvelle demande d'accompagnement de la rénovation et de la trajectoire énergétique de la France. Par la même occasion, peut-être pourrions-nous également régler les petites difficultés qui subsistent entre la Fédération nationale des CAUE et l'Assemblée des départements de France (ADF). En effet, le financement de base des CAUE provient de la taxe d'aménagement. Or ces dernières années, la répartition de cette taxe a pu soulever quelques tensions entre certains CAUE et certains départements. En tous cas, refonder les statuts des CAUE pour leur donner un rôle plus explicite dans l'accompagnement de la transition énergétique pourrait être un enjeu intéressant dans les années à venir.

M. Vincent Éblé. - De façon générale, les dispositifs de servitude ont tendance à générer des situations de conflit entre les administrations chargées de faire appliquer les normes et les propriétaires qui pensent parfois avoir toute latitude pour gérer leur bien comme ils l'entendent. Dans ce contexte, le débat sur les ABF revient de façon récurrente, presque comme un « marronnier », car il y a, par nature, des tensions. La question est de savoir comment on arrive à réguler ces dernières au mieux des intérêts des uns et des autres. La problématique de la gestion des recours est à ce titre importante et, pendant longtemps, surtout en matière culturelle, beaucoup se sont plaints que l'avis de l'ABF ne soit susceptible d'aucun recours. C'est désormais possible mais les recours peuvent difficilement être de nature administrative car l'ABF dispose d'une compétence technique qu'il détient en raison de sa formation et de sa culture particulière - même s'il lui arrive de la gérer de façon, j'en conviens, parfois abrupte. Sa hiérarchie, et en particulier le préfet, ne dispose pas de compétences analogues et on ne peut guère demander au préfet de remettre en cause ce qu'a édicté un ABF. Il s'agit là d'un problème complexe.

M. Patrick Brie. - Je rejoins vos propos tout en soulignant que je préfère, comme vous, parler de tensions plutôt que de conflits. La plupart du temps, il y a effectivement une tension entre deux enjeux, sauf dans les cas où le propriétaire nous présente un projet bien pensé par rapport aux exigences de protection. Il voit alors son autorisation traverser toute la paroi administrative extrêmement rapidement et il l'obtient très vite. Ce sont les projets « borderline » qui soulèvent des difficultés et des débats tandis que les projets qui franchissent allègrement la ligne blanche se heurtent, malgré d'éventuelles actions de lobbying, à un refus certain. Pour résoudre les cas difficiles, je précise que nous essayons d'animer la collégialité dont j'ai parlé entre les inspecteurs des sites et les ABF. Par exemple, au mois de juin 2023, nous avons réuni dans un local prêté par le Museum national d'Histoire naturelle tous les inspecteurs des sites ainsi que les ABF pour discuter du croisement de nos politiques avec les autres, et en particulier avec la politique énergétique et nous avons consacré une journée entière à travailler sur la façon de traiter les projets « borderline ». Ce travail d'animation correspond un peu à l'esprit du rapport d'avril 2015 de Jean-Pierre Duport (Accélérer les projets de construction - Simplifier les procédures environnementales - Moderniser la participation du public) qui, s'agissant de la problématique des autorisations d'urbanisme, indique que la collégialité est une des pistes de solutions pour diminuer les tensions et légitimer les refus qui méritent de l'être.

Je prendrai un autre exemple, en rappelant au préalable que l'avis conforme de l'ABF pour l'installation d'antennes relais a été largement supprimé par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Les antennes relais continuent à poser des problèmes importants qu'il nous appartient de gérer dans les sites classés - pour lesquels l'avis conforme de l'ABF a été maintenu - car ces équipements sont légitimes pour permettre un déploiement sécurisé des réseaux de communication. Je cite le cas, dans le département de l'Hérault, d'un préfet qui soutenait très vigoureusement l'installation d'une antenne relais dans des conditions qui nous paraissaient inacceptables du point de vue du site classé. Nous avons été conduits à opposer un refus, malgré nos échanges avec le préfet qui a finalement accepté que l'on retravaille avec l'opérateur de télécommunications. Ce dernier a bien voulu - ce qui se produit rarement - embaucher un paysagiste concepteur, à savoir une personne diplômée ayant suivi cinq ans d'études dans une des cinq écoles du paysage habilitées à délivrer ce titre. Nous l'avons fait dialoguer avec notre équipe d'inspecteurs des sites, l'ABF ainsi qu'un Paysagiste-Conseil de l'État ayant pour mission d'être proactif à l'égard des projets qui lui sont présentés. Ensemble, ces personnes ont travaillé et injecté une ingénierie complémentaire dans ce projet. La solution technique qu'ils ont trouvée a été de masquer l'antenne relais en l'installant dans une fausse cheminée sur un bâtiment historique, en imitant le style de la cheminée existante. Cette solution, bien préférable à la pose d'une antenne relais sur une falaise qui aurait porté atteinte au paysage, a été autorisée alors qu'elle n'avait pas été imaginée initialement par l'opérateur. Les tensions ont ainsi disparu.

Dès lors que les opérateurs ne sont plus confrontés à l'avis conforme de l'ABF, nous constatons que des antennes relais s'installent dans de mauvaises conditions sur l'ensemble du territoire français, même si nous parvenons à éviter de telles opérations dans les sites classés. Ce sont des dossiers récurrents qui suscitent de très fortes tensions.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous semblez trouver dommage d'avoir supprimé l'avis conforme de l'ABF.

M. Patrick Brie. - Tel n'est pas le mot que j'emploierai car le Parlement a voté cette disposition. Je constate simplement l'effet induit : il nous est extrêmement difficile d'imposer à un opérateur téléphonique de s'adjuger, à côté de ses techniciens parfaitement compétents en matière de radiotéléphonie, les compétences complémentaires d'un paysagiste concepteur qui lui permettrait, dès le départ, de concilier les deux objectifs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je vous remercie de votre disponibilité et de la précision de vos interventions.

Mardi 7 mai 2024
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Rapport de la Cour des comptes de juin 2022 consacré à « La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental » - Audition de la Cour des comptes : MM. Emmanuel Roux, président de la Chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, conseiller maître, Michel Bouvard, conseiller maître, et Mme Anne Le Lagadec, conseillère référendaire en service extraordinaire

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France (ABF), à l'initiative du groupe Les Indépendants-République et territoires, avec l'audition de la Cour des comptes.

Nous avons le plaisir d'accueillir en téléconférence M. Emmanuel Roux, président de la Chambre régionale des comptes (CRC) Bourgogne-Franche-Comté, et conseiller maître. Sont présents parmi nous M. Michel Bouvard, ancien sénateur et conseiller maître, et Mme Anne Le Lagadec, conseillère référendaire en service extraordinaire.

La Cour des comptes a publié en juin 2022 un rapport public thématique sur la politique de l'État en faveur du patrimoine monumental. Elle y dresse de nombreux bilans, notamment sur l'état préoccupant d'un quart des monuments historiques ; sur les réformes de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre, qualifiées de « décevantes » ; sur la lenteur du déploiement des nouveaux dispositifs de protection ; sur la fragilisation des ressources humaines ; et sur le besoin de stratégies globales et transversales de la politique du patrimoine.

Dans ce cadre exhaustif, vous avez abordé en particulier différentes problématiques liées aux ABF et fait des préconisations, sur lesquelles notre rapporteur vous interrogera.

Les auditions menées jusqu'à présent - nous n'en sommes qu'au début de nos travaux - nous ont déjà permis de mieux comprendre la complexité et la diversité des tâches qui incombent aux ABF dans les territoires.

Il en résulte une forme de saturation administrative, qui ne leur laisse pas toujours le temps d'effectuer leurs missions avec toute la concertation et la pédagogie nécessaires, notamment dans les territoires ruraux. Ils tiennent un rôle de conseil dont ont besoin les élus locaux. Notre collègue Guylène Pantel nous expliquait qu'un seul ABF avait la charge de tout son département de la Lozère, qui abrite 77 000 habitants, mais dispose d'un patrimoine très varié.

M. Emmanuel Roux, président de la Chambre régionale des comptes (CRC) Bourgogne-Franche-Comté, conseiller maitre (en téléconférence). - Je me centrerai sur les éléments du rapport concernant les ABF.

Nous avons analysé, à travers la politique de l'État en faveur du patrimoine, la répartition de l'ensemble des compétences scientifiques et techniques intervenant sur la chaîne des opérations patrimoniales, notamment en maîtrise d'ouvrage, en maîtrise d'oeuvre et en contrôle scientifique et technique, afin de comprendre leur rôle, leur articulation mutuelle, les difficultés de fonctionnement de cette chaîne ainsi que les difficultés inhérentes aux différentes fonctions qui seraient liées à un statut ou un corps, comme les architectes et urbanistes de l'État (AUE) et les ABF.

Il nous est apparu que dans cette chaîne patrimoniale existaient certains maillons faibles, à cause de raisons conjoncturelles comme l'irrégularité des concours, mais aussi de raisons structurelles - déficit d'attractivité de certains métiers, surcharges manifestes dans un contexte de vacance important. En conséquence, certaines professions comme les ABF sont fragilisées du fait du nombre et de l'ampleur de leurs missions, et de leur très grande exposition dans leur relation avec les élus locaux.

L'ABF est un maillon en voie de fragilisation, ce qui, de fait, fragilise toute la chaîne patrimoniale, que ce soit la gestion administrative des autorisations de travaux, l'expertise de terrain pour les élus locaux, l'entretien du patrimoine de l'État, la sécurité incendie des cathédrales... Ces fonctionnaires sont « au four et au moulin » ; ils travaillent à flux tendu voire « roulent sur la jante », et ne sont parfois pas très bien considérés. Ils sont un maillon faible, y compris en matière d'attractivité et de couverture territoriale.

Depuis quelques années, les ABF prennent plus de distance avec une culture patrimoniale et architecturale importante. Ils sont moins nombreux qu'avant à suivre l'École de Chaillot, et sont davantage relégués à des tâches administratives alors qu'ils devraient être sur le terrain. Nous tirons le signal d'alarme auprès du ministère de la culture, des parlementaires et de la société civile : notre politique du patrimoine se veut ambitieuse et a acquis une certaine surface médiatique avec les Journées Européennes du Patrimoine et le loto du patrimoine. Nous avons pris conscience de l'état sanitaire mitigé de notre patrimoine, notamment pour les collectivités territoriales qui ont eu du mal à gérer les conséquences du transfert de la maîtrise d'ouvrage et de la montée en compétences de la maîtrise d'oeuvre : désormais, il faut faire appel à un architecte du patrimoine pour un bâtiment classé... Il n'est pas toujours simple pour une collectivité de le trouver.

Au-delà de l'image assez flatteuse d'une politique du patrimoine à la française reposant sur des compétences scientifiques et techniques, on voit l'attrition de celles-ci et que les ABF ont du mal à faire face à leurs fonctions, ou les exercent dans des conditions de fragilisation croissante.

Nous voulions dire au ministère de la culture qu'on ne peut pas avoir de politique du patrimoine ambitieuse si la gestion des ressources humaines et ces ressources humaines sur le terrain sont en crise. Les ABF mais aussi les ingénieurs du patrimoine et les architectes en chef des monuments historiques sont en difficulté. Les ABF sont les interlocuteurs privilégiés des élus locaux et jouent un rôle très important. Nous mettons en lumière un réel problème.

Au-delà du problème quantitatif de vacance se pose le problème qualitatif du contenu de leurs missions et de la surcharge administrative. En matière de management, de conduite du changement, de communication institutionnelle, de capacité à dialoguer dans des contextes difficiles avec des élus de tous niveaux, obédiences politiques et sensibilités patrimoniales, on observe un déficit de savoir-faire, voire de savoir-être. Cette exposition doit être prise en compte dans leur formation et leur accompagnement.

Voilà la tonalité de ce rapport mettant l'accent sur ces métiers difficiles, en tension, qui sont moins attractifs, ce qui fragilise la chaîne patrimoniale.

M. Michel Bouvard, conseiller maître. - Je n'étais que le contre-rapporteur du rapport, mais je souhaiterais apporter trois éléments complémentaires.

Ce rapport a fait l'objet d'un travail approfondi, à fines mailles, et pas seulement de Paris : nous nous sommes déplacés dans les directions régionales des affaires culturelles (Drac) et avons rencontré les associations d'élus. Notre constat en profondeur, remonté par les rapporteurs et délibéré par la 3e chambre, correspond à une réalité non « échantillonnesque ». Il a été corroboré par des constats réalisés à l'occasion de contrôles organiques de la Cour des comptes sur des établissements publics comme Chambord, sur la gestion de la chaîne patrimoniale.

Ensuite, ce rapport a mis en évidence des dysfonctionnements qui sont la conséquence de réformes législatives ou réglementaires n'ayant pas été jusqu'au bout, ou dont on n'a pas tiré toutes les conséquences. Au-delà des ABF, se pose la question de la mise en place des réformes, une fois votées.

Enfin, parmi l'inflation de la délivrance d'avis que subissent les ABF, sont montés en puissance les avis sur les sites classés et inscrits relevant de compétences du ministère de l'écologie, avec un besoin de clarification et de coopération renforcée entre les deux ministères. Cette inflation n'est pas terminée : nous devrons gérer les conséquences de la mise en oeuvre des programmes Action coeur de ville et Petites Villes de demain - dont le volet patrimonial est souvent mis en avant - sur les avis des ABF et leur formalisme.

Mme Anne Le Lagadec, conseillère référendaire en service extraordinaire. - L'ABF, homme lige du patrimoine, remplit un éventail de missions particulièrement large. Il intervient tant sur la maîtrise d'ouvrage, par exemple d'une cathédrale, que sur la maîtrise d'oeuvre pour l'entretien courant des bâtiments de l'État, affectés en direction régionale des affaires culturelles (Drac). Il intervient parfois dans certaines régions pour l'assistance à maîtrise d'ouvrage, notamment en Bretagne, mais également dans d'autres régions auprès de petites communes.

Le volet réglementaire lié à la politique de protection provoque une saturation : le nombre d'avis des ABF a augmenté de 20 à 30 % depuis les années 2010, et encore plus depuis les années quatre-vingt-dix, en raison de l'inflation du nombre de sites inscrits ou classés.

Enfin, le volet de conseil auprès des élus est très important et ne doit pas être sacrifié. C'est la garantie d'un renforcement harmonieux de la politique du patrimoine.

L'ABF est au croisement de trois codes : environnement, patrimoine et urbanisme. Le coût d'entrée de cette enquête était donc élevé... Nous avons essayé de cerner le volet conservation, en vraie difficulté notamment en zone rurale, en raison de la remise de la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires non étatiques : les collectivités territoriales ou les propriétaires privés pour le patrimoine classé.

Seconde difficulté, les ABF manquent de temps pour la mise en valeur patrimoniale, urbaine, paysagère. Ils sont proches de la saturation, avec une approche « pointilliste » et quantitative, très réglementaire, centrée sur la protection au détriment des deux autres volets de conservation et de mise en valeur.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - La présidente citait la Lozère, mais le département de l'Aisne compte 800 communes, 500 000 habitants et un seul ABF...

M. Vincent Éblé. - En Seine-et-Marne, nous avons 500 communes et 1,5 million d'habitants, mais seulement deux ABF !

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Il y a un effet ciseau : d'un côté on affiche une ambition et des missions élargies, une inflation des demandes, mais, de l'autre, il n'y a pas assez de personnes. Quelles sont vos préconisations ? On pourrait recruter, mais ce n'est plus trop dans l'air du temps...

Quelles missions des ABF pourraient-elles être revues ? Vous évoquiez l'engorgement des avis. Est-ce vraiment le rôle de l'ABF de toujours rendre un avis conforme lorsqu'on change des fenêtres à 500 mètres d'un bâtiment classé ? Les ABF pourraient se concentrer sur le patrimoine classé, la mise en valeur et la conservation.

Observez-vous de grandes différences de fonctionnement entre les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), notamment dans les méthodes de travail ?

Les périmètres délimités des abords (PDA) semblent rencontrer un beau succès, mais ne sont mis en place que dans peu d'endroits. Selon vous, il faudrait plusieurs décennies pour couvrir les périmètres concernés, au rythme actuel. À mon avis, ce serait plutôt des siècles... Cette procédure peut-elle être simplifiée ou assouplie, pour que chacun puisse rentrer dans ce dispositif ?

M. Emmanuel Roux. - Je préside une CRC. En Bourgogne-Franche-Comté, nous avons lancé une enquête pour objectiver les difficultés structurelles des collectivités dans l'entretien, la conservation et la valorisation de leur patrimoine.

Le rapport de 2022 est centré sur cette politique vue depuis l'État. Nous avons traité des collectivités territoriales au travers de la réforme de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre, grâce aux Drac. Nous avons rencontré toutes les Drac et toutes les conservations régionales des monuments historiques (CRMH) de France. Nous avons échangé avec des élus locaux, mais de façon un peu indirecte.

Notre enquête vise à appréhender ce problème du point de vue des collectivités territoriales. Les élus ont des expériences extraordinairement hétérogènes de leurs relations avec les ABF. C'est un dysfonctionnement. Sans mettre en cause les ABF, il y a un problème dans la manière dont leur fonction est pilotée au niveau central. Il y a presque une rupture d'égalité devant le service public si, en fonction de la personnalité de tel ou tel ABF, la réponse varie. Il faut plus d'homogénéité, une sorte de doctrine. Cela rejoint le problème fondamental d'animation du réseau. Ces métiers ne sont pas animés. On peut remettre de la ressource, instaurer plus régulièrement des concours et davantage recruter, améliorer la rémunération pour attirer dans des Drac ou des Udap - actuellement moins avantageuses qu'un conseil départemental... Cette politique publique repose sur l'expertise scientifique et technique des personnes qui la portent. Si cette expertise est fragilisée, c'est toute la politique patrimoniale qui se fragilise.

Au-delà, nous devons traiter de l'animation : l'ABF est très seul pour des sujets structurants comme des prescriptions, des autorisations de travaux ou le contrôle scientifique et technique. Les ABF ont besoin de stabilité, d'opposabilité, de clarté, pas seulement sur le fond, mais aussi dans la manière de faire. Nous devons apprendre aux ABF à manager dans des environnements complexes, notamment politiquement. Ils sont livrés à eux-mêmes. C'est frappant : selon que je parle à un élu de grande ville ou de village, l'ABF est formidable ou il a tout interdit... Cette variabilité, inexplicable, est sujette à caution.

Les avis conformes doivent rester ce qu'ils sont aujourd'hui, pour un Velux ou autre... Nous avons une politique du patrimoine fondée sur des règles contraignantes que nous devons assumer. Il faut aussi un garant territorial de ces règles. Certes, il faut parfois plus de souplesse et de pédagogie, il faut normer et créer de la jurisprudence. Le problème de la politique du patrimoine ne réside pas dans ses règles, mais dans la manière dont on les fait vivre. C'est donc un sujet d'incarnation et de ressources humaines.

Nous n'avons pas parangonné ou étalonné les Udap les unes par rapport aux autres. Le rapport parle de lui-même sur les PDA.

Mme Anne Le Lagadec. - En matière de défaut d'animation, nous avons l'impression que les Udap sont loin de l'État central. Des initiatives régionales ont été prises par le conservateur régional des monuments historiques pour organiser le travail entre la CRMH et l'Udap.

Il y a aussi une question hiérarchique : l'ABF est vraiment indépendant, sans lien hiérarchique avec le CRMH. Il ne rend des comptes qu'aux Drac.

Il peut y avoir une dynamique de projet et une animation régulière, à l'échelle régionale. Mais le périmètre de l'ABF est départemental, il ne peut se déployer sur un périmètre plus important.

Il nous semble très important de conserver l'avis conforme : la politique du patrimoine doit être défendue et fondée sur une base juridique solide.

Nous proposons de réformer les PDA pour en accélérer le déploiement. Le ministère de la culture a réalisé une étude juridique : il restera toujours la dimension d'enquête publique pour les PDA, mais on pourrait imaginer des enquêtes publiques groupées de plusieurs PDA, comme le suggère Fabien Sénéchal, président de l'Association nationale des architectes des bâtiments de France (Anabf). Il propose d'assortir le PDA d'un règlement, pour simplifier l'avis conforme.

Les Udap fonctionnent bien quand il existe une véritable hiérarchisation et qu'on arrive à résoudre le problème quantitatif. Un ABF ne peut examiner 2 000 avis par an. Certains sont importants, d'autres assez répétitifs... Il faut arriver à déléguer. Soit on inscrit des éléments de protection dans des règlements d'urbanisme ou on inscrit la petite règle assortie à un PDA, soit on délègue à des personnels de moindre niveau la tâche de dire quelles sont les couleurs ou huisseries autorisées, par exemple... Le tout-venant peut être géré par du personnel non-ABF.

M. Michel Bouvard. - Nous proposons une procédure exceptionnelle pour gérer la vague de PDA. Actuellement, le problème réside dans le lien avec la révision des documents d'urbanisme.

L'ABF de Savoie m'expliquait qu'à proximité des métropoles, et donc des préfectures de région, la demande d'enquête publique était gérée rapidement par la préfecture. Dans les préfectures départementales, il semble que cela ne soit pas toujours le cas : souvent, le préfet considère qu'il revient au ministère de la culture de demander une enquête publique. C'est un problème de relation entre le ministère de l'intérieur et celui de la culture.

Une grande partie des Udap savent où sont les priorités en matière de PDA ; elles diffèrent selon les monuments. Ainsi, les Udap des deux départements de Savoie ont une liste des dix secteurs prioritaires au regard des enjeux patrimoniaux et de sécurité juridique - dans certains secteurs, les recours sont beaucoup plus nombreux. Le passage au PDA permettrait d'améliorer la sécurité juridique et de traiter prioritairement les secteurs aux plus forts enjeux patrimoniaux. Cela justifierait, temporairement, une procédure déconnectée du lien avec la révision ordinaire des documents d'urbanisme. Lors de la publication du rapport, sur 45 000 monuments historiques, il n'y avait que 1 500 PDA actifs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez évoqué l'assistance à maîtrise d'ouvrage en Bretagne. Le lien avec les élus et le rôle de conseil de l'ABF sont essentiels, car les élus ont peu de personnel à disposition. Avez-vous connaissance d'autres départements où il y a de bonnes relations entre les élus et l'ABF ?

Mme Anne Le Lagadec. - En dehors de la Bretagne, il y a les Hauts-de-France et les Pays-de-Loire. De mémoire, il y a aussi la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Monsieur Bouvard, vous évoquiez les dysfonctionnements liés au fait que certaines lois ne sont pas « allées jusqu'au bout »...

M. Michel Bouvard. - Par exemple, les PDA ont été créés par la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), sans qu'on en tire les conséquences pour qu'ils s'appliquent dans un délai raisonnable. Il y a d'autres exemples de dysfonctionnements dans la chaîne patrimoniale, et pas seulement concernant les ABF. Certains décrets d'application ne sont pas rédigés, d'autres le sont, sans être jamais publiés par le ministère de la culture !

Si la CRC Bourgogne-Franche-Comté est suivie par des enquêtes sur le volet collectivités territoriales de la politique du patrimoine, on pourrait avoir une documentation plus complète - notamment si d'aventure le Sénat voulait demander une enquête au titre de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf)...

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il y a matière !

M. Emmanuel Roux. - Je prends la balle au bond : nous avons un projet d'enquête avec six autres CRC qui travaillent actuellement sur ce sujet. Nous nous regrouperons sur le deuxième semestre 2024 et le premier semestre 2025. Si le Parlement nous saisit sur ces sujets, cela nous confortera et permettra une prise de conscience.

L'assistance à maîtrise d'ouvrage existe dans très peu d'endroits, mais il existe de la maîtrise d'ouvrage informelle, par exemple l'accompagnement par les ingénieurs du patrimoine de maires de petites communes pour aider à formaliser une autorisation de travaux, à passer un marché, pour expliquer les financements auxquels une commune a droit...

Lors du « plan cathédrales », le ministère de la culture a géré des financements considérables pour la conservation des cathédrales. Les ingénieurs du patrimoine ont dû mettre fin à certaines de ces collaborations informelles avec des petites communes pour réaliser cette mission pour l'État. Or il n'y a pas d'offre d'assistance à maîtrise d'ouvrage privée - sinon résiduelle - ni de coopération intercommunale. En Bourgogne-Franche-Comté, de nombreuses communes de 500 ou 1 000 habitants ont un patrimoine monumental classé ou inscrit considérable. Souvent, elles affrontent seules le problème, sans mutualisation.

M. Vincent Éblé. - En grande partie, ce sont des églises...

M. Emmanuel Roux. - Le transfert de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre, ainsi que la fin du monopole des architectes en chef des monuments historiques sont une réforme louable sur le papier. Mais les collectivités territoriales détiennent la moitié des 13 000 monuments historiques classés et des 33 000 inscrits. Cette réforme se fait dans l'improvisation. Si l'état sanitaire du patrimoine des collectivités locales s'est dégradé, c'est sans doute à cause de cela. La fragilisation du rôle de l'ABF s'explique aussi par la difficulté à faire face à toutes les demandes des collectivités.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Il n'y a pas de structure privée pour aider les petites communes. Or celles-ci font déjà face à des coûts énormes pour rénover leurs bâtiments. Mieux vaudrait que ce soit l'État qui finance l'assistance à maîtrise d'ouvrage.

La charge de travail des ABF est alourdie par leur fonction de « responsable unique de sécurité » (RUS) contre le risque incendie et de panique dans les monuments dont ils sont les conservateurs - notamment les cathédrales, dont on connaît les enjeux. Comment leur permettre de mener à bien leur mission alors que leur charge est déjà lourde ?

Vous relevez que « la compétence sur les sujets de sécurité, alarme, circuits électriques, incendie, ne fait pas toujours l'objet de formations appropriées ». Voyez-vous d'autres sujets de renforcement de la formation des ABF ?

M. Michel Bouvard. - Je ne suis pas sûr que les ABF aient la compétence totale pour être responsables uniques de sécurité sur une cathédrale ni la capacité d'exécution. J'ai conduit les deux premiers contrôles de Notre-Dame de Paris. Si le responsable unique de sécurité qu'était l'ABF en charge de Notre-Dame avait eu connaissance du fait qu'on avait baissé le niveau de qualification des intervenants venant assurer la surveillance en l'absence des personnels mis à disposition par le clergé ou par le Centre des monuments nationaux (CNM), les choses auraient peut-être été différentes.

Pour certains grands monuments, comme le château de Chambord, établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) que j'ai contrôlé avec Emmanuel Roux, ce n'est pas l'ABF qui est responsable unique de sécurité. C'est pourtant l'un des monuments majeurs du pays.

Transférer la compétence de responsable unique de sécurité aux hommes de l'art - même si l'ABF aurait son mot à dire - ne serait pas une aberration...

Mme Anne Le Lagadec. - Cette mission est ancienne, et date de 2005. Elle a été réactivée après les incendies spectaculaires de Notre-Dame de Paris et de Nantes.

M. Michel Bouvard. - Le deuxième incendie à Nantes...

Mme Anne Le Lagadec. - La mission de la sécurité, de la sûreté et de l'audit (Missa) du ministère de la culture a réaffirmé le rôle de responsable unique de sécurité des ABF, et a demandé à chaque Drac de mettre en place un plan de sécurité cathédrales, avec un diagnostic-état des lieux et des propositions. Les ABF sont très démunis, car cela relève de fonctions d'ingénieurs ou de sécurité. Ils ne sont pas formés sur le sujet et ne savent pas trop comment l'aborder.

La Drac Occitanie a lancé une initiative pour rationaliser le plan de sécurité des cathédrales avec un cahier des charges commun, en externalisant les études préalables. Ce cahier des charges a été repris par d'autres Drac et par la ville de Toulouse.

Souvent, les ABF habitent assez loin des cathédrales : comment est-il possible d'assumer ce rôle ? Cette fonction de « sacristain » tend à disparaître alors que la responsabilité reste entière. Il faudrait plutôt faire assumer cela à des ingénieurs...

Mme Anne-Catherine Loisier. - Durant votre étude, avez-vous été confrontés au problème de l'installation de panneaux solaires en toiture ? Ce sujet participe de la surcharge des ABF, car le nombre de dossiers explose, avec des situations compliquées dans de nombreuses communes et des injonctions publiques contradictoires : développer des énergies renouvelables et l'autoconsommation, et en regard, dans mon département de Côte-d'Or, des positions de l'ABF presque systématiquement négatives.

M. Emmanuel Roux. - À ma connaissance, nous n'avons pas rencontré ce problème des panneaux solaires, mais celui surtout des éoliennes...

Mme Anne Le Lagadec. - Nous avons davantage entendu parler des éoliennes. Les ABF se sentent bien seuls sur le sujet, du fait de l'ampleur du ministère de la transition écologique. Les inspecteurs des sites laissaient l'ABF juger de l'insertion paysagère. Certaines zones n'étaient pas respectées, avec des impasses juridiques.

Nous avons formulé une recommandation pour construire une doctrine commune sur des questions très âpres et disputées, comme la continuité écologique des rivières avec les moulins, car des droits d'eau sont très anciens. Rétablir la continuité écologique dure parfois une décennie.

Il faut perfectionner la doctrine. Le ministère s'est emparé de ces questions. Une directive de 2023 précise, à la faveur de la loi relative à l'accélération de la production des énergies renouvelables, les problèmes des panneaux photovoltaïques et des éoliennes.

Mme Anne-Catherine Loisier. - C'est étonnant que vous n'ayez pas été sollicités. En Côte-d'Or, si les éoliennes sont en pleine nature, les panneaux photovoltaïques sont dans tous les villages, où il y a souvent un monument historique... Nous sommes systématiquement confrontés à ce sujet. C'est un phénomène majeur sur nos territoires, avec des réponses différentes.

M. Emmanuel Roux. - C'est un sujet que nous aborderons de près dans le cadre de notre enquête de la CRC Bourgogne-Franche-Comté. Il y a des injonctions parfois contradictoires entre la volonté de préserver un patrimoine monumental, élément-clef d'attractivité, et des enjeux soit de développement économique, soit de transition énergétique.

L'année dernière, nous avions déjà publié un audit flash sur les dépenses énergétiques des collectivités territoriales, dans le contexte de renchérissement des prix de l'électricité et du gaz. Nous avions salué les efforts d'accélération des politiques d'adaptation de nombreuses collectivités territoriales. Mais il y avait des problèmes dès que le monument historique était classé ou inscrit... Nous examinerons ce sujet plus en détail dans notre enquête, et je suis à votre disposition pour échanger, même si nous avons déjà constitué notre échantillon.

M. Michel Bouvard. - Sur les problèmes esthétiques des panneaux solaires quant à la visibilité des monuments, il faudrait des règles pouvant être déclinées sur l'ensemble du territoire, et travailler sur le type de panneaux à installer. Ce serait un moyen intelligent de sélectionner des panneaux fabriqués sur le territoire national, répondant à des normes. Nous avons ce genre de prescriptions sur différents types de couverture, comme en lauze. L'ABF ou la CRMH peut prescrire tel ou tel type de couverture pour une meilleure intégration dans le paysage. La réflexion peut intégrer la règle pour dire où installer des panneaux et dans quelles conditions, mais elle peut aussi s'intéresser à la typologie de l'équipement, pour favoriser une toiture mieux intégrée, mais aussi une filière de production destinée aux monuments historiques.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - C'est la doctrine dont vous parliez : ce serait une aide pour les ABF. En fonction des types de toitures, l'ABF pourrait prescrire des choix.

M. Michel Bouvard. - Oui, de même que parfois il n'est pas possible de recourir à des tuiles mécaniques par exemple.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cela ne concerne pas la décision de poser ou non des panneaux sur la maison : vous vous positionnez surtout sur le type de matériaux à utiliser...

M. Michel Bouvard. - Cela fait partie des sujets devant être examinés dans le cadre des PDA.

Mme Sabine Drexler. - Avez-vous pu faire des constats en matière de rénovation énergétique, notamment pour les travaux d'isolation extérieure, les remplacements de menuiseries, d'huisserie ? Je pense, par exemple, à la pose de polystyrène sur des maisons patrimoniales.

M. Michel Bouvard. - Cela ne figure pas dans le champ du rapport, qui est déjà très large.

Mme Sabine Drexler. - Mon ABF, en Alsace, me parle d'une vague d'isolation par l'extérieur qu'il n'arrive plus à endiguer, même en secteur protégé. C'est un vrai problème.

M. Michel Bouvard. - C'est en lien avec une difficulté mise en évidence par votre commission, à savoir que les diagnostics thermiques ne prennent pas en compte l'inertie naturelle de certains bâtiments anciens. L'isolation par l'extérieur n'est effectivement pas fondée.

Mme Sabine Drexler. - C'est une problématique récente que l'on découvre seulement depuis la loi Climat et résilience.

Mme Colombe Brossel. - J'ai été assez frappée par les propos de M. Roux, qui a parlé de rupture d'égalité en matière de rénovation énergétique. C'est un terme assez fort, mais tout à fait juste. Sur le territoire parisien, certaines personnes ont des doctrines non écrites différentes d'un secteur à l'autre : les accompagnements sont donc différents selon les arrondissements. L'absence de doctrine écrite renforce, de fait, cette rupture d'égalité qu'il faut combattre.

Mme Anne Le Lagadec. - L'enquête a essentiellement été réalisée pendant la période du covid. Les équipes ont donc mis en valeur les travaux de concertation, de partage d'expériences, d'élaboration d'une doctrine commune. Nous avons eu l'impression qu'il n'y avait pas tellement de variabilité entre les avis. En Côte-d'Or, la CRMH et les Udap fonctionnent très bien, elles se réunissent souvent et elles s'efforcent de perfectionner leur doctrine, qu'il s'agisse des éoliennes ou photovoltaïques. Idem en Bretagne. De nombreuses régions essaient donc de réduire ces éléments de variabilité. Mais il existe peut-être un biais...

M. Emmanuel Roux. - Le rapport a beaucoup documenté la rupture d'égalité que vous évoquez, en particulier en ce qui concerne les allocations de ressources. Les critères sont loin d'être homogènes d'une CRMH à l'autre pour l'attribution des financements, sachant que les financements de conservation sont plus importants pour les monuments classés que pour les monuments inscrits. On observe des variations très fortes d'une Drac à l'autre sans que les critères soient objectivés. Les collectivités publiques comme les propriétaires privés ne sont pas accompagnés de la même manière selon qu'ils se trouvent dans tel ou tel département, et ce dans des proportions parfois très variables d'un territoire à l'autre. La doctrine n'est donc pas homogène. Il faut évidemment permettre aux CRMH et aux Drac de s'adapter à la diversité des patrimoines et des travaux à mener.

Nous avons également été frappés par le caractère parfois inégalitaire des collectivités face à la conservation alors que certaines petites communes disposent d'un patrimoine absolument majeur. La région Bourgogne-Franche-Comté offre beaucoup d'exemples de ce type, avec parfois un patrimoine qui se fragilise. Dans certaines petites villes, les églises sont fermées et ne servent plus au culte parce qu'elles s'écroulent. Cela devrait figurer davantage dans le débat public, car cette dégradation structurelle de l'état du patrimoine matérialise également une forme de rupture d'égalité. L'expression est certes forte, mais elle correspond à un phénomène que nous observons sur le terrain.

M. Michel Bouvard. - La rupture d'égalité est liée à la sédimentation des moyens. Nous n'avons procédé à aucun rebasage depuis des décennies. On n'a pas toujours tiré les enseignements d'une politique de classement qui s'est accentuée et qui a été plus dynamique dans certains endroits que dans d'autres. Les moyens n'ont pas été réajustés et prennent en compte des situations souvent très anciennes.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous parlez de rupture d'égalité. Je peux comprendre la différence de traitement en ce qui concerne les bâtiments classés : aucun bâtiment n'est absolument identique à un autre, tous n'ont pas la même histoire, etc. Mais il y a aussi la rupture d'égalité entre les citoyens : j'en reviens à mon exemple de changements de fenêtres à 500 mètres d'un bâtiment classé. C'est plutôt ce cas de figure qui pose problème : les maires ne savent pas quoi répondre à leurs administrés. Voilà où sont les vrais « irritants ». Quelles sont vos préconisations pour faire « baisser la température » ? Loin de moi l'idée de supprimer l'avis conforme dans le périmètre, mais comment faire si l'on n'a plus les moyens d'appliquer les ambitions que l'on se donne, au grand dam des municipalités et des citoyens ? Dans les villes où de nombreux monuments sont classés, les services de l'urbanisme sont rodés. Mais quid des autres ? Comment font-elles pour apporter des réponses à la population, d'autant que les avis rendus sur les matières ou les couleurs peuvent être très différents au fil des ans ? In fine, plus personne ne demande d'ailleurs plus rien et chacun tranche soi-même !

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il existe des situations encore plus catastrophiques : les dossiers sont déposés, l'administration ne répond pas dans les délais et les choses se construisent quand même. C'est le comble ! Le maire ne sait plus quoi dire aux habitants...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Certains ABF sont engorgés de demandes qui ne relèvent pas réellement de la conservation patrimoniale, notamment pour des bâtiments qui ne se situent pas directement aux abords d'un bâtiment classé.

M. Emmanuel Roux. - Il faudrait établir un ratio acceptable du nombre d'actes par ABF. Il existe un déséquilibre flagrant entre les moyens et les missions. Il ne s'agit pas de dire qu'il faut recruter, mais il s'agit d'établir des ratios pour que les Udap fonctionnent normalement et remplissent le service public attendu par les usagers. Voyons où sont les problèmes en termes d'attractivité et prenons les mesures permettant de rétablir la situation. Nous nous sommes attachés à examiner la question du point de vue des ressources humaines, c'est le coeur du sujet. Notre approche a été de savoir comment mener cette politique dans des conditions normales.

M. Michel Bouvard. - Sur la gestion des ressources humaines, il convient peut-être de partir de quelques constats. Il ne s'agit pas uniquement d'une question de moyens, mais aussi de compétences. Si l'adjoint d'un ABF est architecte, on ne peut lui déléguer la signature des avis. De tels ajustements ne nécessitent pas d'effectifs supplémentaires, mais uniquement que l'on nomme la bonne personne pour que le travail soit équilibré. L'ensemble des autorisations évoquées - fenêtres, velux, huisseries, etc. - nous ramène à la question des PDA. Comme l'a souligné Anne Le Lagadec, et comme le met en avant le rapport, on pourrait prévoir un document d'accompagnement, comme cela se fait déjà pour les secteurs sauvegardés. Le maire serait alors automatiquement en mesure de se prononcer sur la conformité ou non de certains projets. Les PDA facilitent donc l'instruction des dossiers et réduisent les délais. Car l'instruction est chronophage, ce qui aboutit au risque de sinistre évoqué tout à l'heure en cas d'absence de réponse : les travaux sont tout de même réalisés, ce qui crée de l'incompréhension dans la population.

Mme Anne Le Lagadec. - Parmi les différentes solutions pour rationaliser et diminuer la charge, on peut citer la désinscription des sites inscrits qui sont définitivement saccagés et abîmés. En 2019, 567 des sites inscrits, soit 12 %, étaient considérés comme devant être désinscrits.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Une liste existe-t-elle ?

Mme Anne Le Lagadec. - Tout à fait, un projet de texte a abouti dans des proportions plus limitées au printemps 2022 puisque seulement une quarantaine de sites ont été désinscrits, mais c'est un vrai sujet : dans les Landes ou dans le golfe du Morbihan, beaucoup de sites inscrits au titre du paysage sont très abîmés par des zones pavillonnaires.

Sur les avis simples, les PDA seraient la solution, mais il y a l'obstacle de l'enquête publique. En 2020, 463 000 avis simples ont été rendus. On a donc pensé qu'il serait intéressant de confier une partie de cette charge aux communes, moyennant l'acquisition de certaines compétences. Les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) pourraient, par exemple, figurer dans les documents d'urbanisme. Mais nous nous sommes montrés extrêmement prudents dans notre rédaction, car le ministère n'est pas prêt à décentraliser les avis simples - lesquels concernent les monuments quand il n'y a pas de covisibilité et les sites inscrits au titre du paysage. Les maires ont également parfois une position ambiguë, car l'avis simple de l'ABF leur est utile.

Il serait également important de faire aboutir la réforme des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui est l'un des éléments de la loi LCAP. Tous les sites relevant des anciens dispositifs de protection et de valorisation des espaces urbains et paysagers devraient être transformés en SPR, mais comme il faut repasser par la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA) pour redélimiter les périmètres, cela se fait à un rythme d'escargot. Dans beaucoup de secteurs, le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) est très long à aboutir. Celui de Tréguier a été mis en chantier en 1964 et n'est toujours pas adopté, à ma connaissance. C'est donc l'ABF qui se substitue puisqu'il n'y a pas de PSMV. Ce n'était déjà pas simple avant, mais la réforme a complexifié la procédure en prévoyant un passage systématique par la CNPA.

M. Vincent Éblé. - Si c'est bloqué depuis 1964, le problème ne vient pas du PSMV...

Mme Anne Le Lagadec. - Quoi qu'il en soit, de nombreux secteurs sauvegardés n'ont pas de règlement et l'ABF est systématiquement mobilisé.

M. Michel Bouvard. - S'agissant des avis simples, qui représentent tout de même un volume important, il y a sans doute un travail d'approfondissement à faire, notamment pour les petites communes qui ne disposent pas forcément des compétences nécessaires. Les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) sont évoqués. Les architectes-conseils sont tout à fait à même d'accompagner la production de l'avis dans le cadre de conventions. Il y a aussi les parcs naturels régionaux, qu'Anne Le Lagadec connaît bien.

Mme Sabine Drexler. - On parle du patrimoine protégé d'une manière ou d'une autre. Mais je suis aussi très inquiète pour le patrimoine qui ne bénéficie d'aucune forme de protection. Vous évoquiez les AOP. Il conviendrait de procéder à une identification systématique de l'ensemble du patrimoine français, y compris celui qui n'est pas protégé, car c'est lui qui est en péril. Je suis contente qu'il existe des avis contraignants. Heureusement que les ABF sont là !

M. Michel Bouvard. - Il y a effectivement un sujet à propos du recensement. Les lois Raffarin ont transféré l'inventaire sur les régions, mais aucun bilan n'a été fait.

Mme Anne-Catherine Loisier. - La question n'est pas de savoir si nous sommes pour ou contre les ABF, mais de savoir comment accompagner les acteurs qui gèrent les conséquences et les surcoûts de leurs avis. Dans le parc du Morvan, chacun essaie de faire de son mieux, mais on est complètement dépassé par les événements. Tout le monde croule sous la masse des sollicitations. Il faut arrêter d'en donner toujours plus aux maires, d'autant que les petites communes ne sont confrontées à ce genre de dossiers qu'une fois de temps en temps. C'est donc surtout elles qu'il faudrait accompagner, car elles n'ont pas d'antériorité. Mais dans un territoire comme la Côte-d'Or, qui compte 700 communes, les acteurs intermédiaires qui pourraient les aider - les intercommunalités ou les pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) - n'y arrivent pas.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci beaucoup de vos contributions sur ce sujet passionnant.

Mardi 14 mai 2024
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Audition de M. Fabien Sénéchal, président, Association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF), Mme Emmanuelle Didier et M. Benjamin Aba-Perea, architectes des bâtiments de France et membres du conseil d'administration de l'ANABF

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Notre mission d'information est consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France. Nous enchaînerons aujourd'hui quatre auditions, en commençant par la vôtre, celle de l'association nationale des architectes des bâtiments de France (ANABF). Notre mission résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen. Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir M. Fabien Sénéchal, président de l'association, accompagné de Mme Emmanuelle Didier et de M. Benjamin Aba-Perea, architectes des bâtiments de France (ABF) et membres du conseil d'administration de l'ANABF. Je vous remercie de vous être rendus disponibles, vous êtes au coeur de notre travail du moment. Cette audition est très attendue et le président de la commission des affaires culturelles nous fait l'honneur et l'amitié d'être présent aujourd'hui.

Vous exercez une mission très complexe et je ne doute pas que votre témoignage nous aidera à en approcher encore mieux la difficulté. Votre mission est parfois difficile auprès de certains élus locaux qui ne comprennent pas toujours le sens de vos décisions. Les premières auditions que nous avons menées et les réponses au questionnaire que nous avons dressé avec le rapporteur nous ont déjà appris beaucoup sur les conditions d'exercice de votre profession, mais aujourd'hui, il s'agit du moment fort pour nous dire réellement comment cela se passe. Depuis que nous avons mené un certain nombre d'auditions, nous avons le sentiment que vous êtes victimes d'une forme de saturation administrative. Votre intervention est en effet prévue par 71 dispositions législatives et réglementaires réparties dans 6 codes différents. Selon les données disponibles à ce jour, vous êtes environ 180 ABF et le nombre de dossiers que vous avez à traiter par an serait de l'ordre de 500 000, soit un peu moins de 3 000 dossiers par ABF par an, une moyenne de 13 dossiers travaillés par jour. Comment faites-vous ? Hiérarchisez-vous vos missions ? Ce sujet a également constitué l'un des axes du groupe de travail de la mission des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) de février 2024, longuement évoqué lors de l'audition de Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture.

Je vous propose d'ouvrir nos échanges avec un propos liminaire d'une vingtaine de minutes, sachant que vous pourrez nous envoyer par écrit ultérieurement tout ce à quoi vous ne pensez pas aujourd'hui.

M. Fabien Sénéchal, président de l'ANABF. - Merci beaucoup pour cette invitation que nous attendions avec impatience, car même s'il m'arrive fréquemment de venir m'exprimer auprès des sénateurs ou des députés, cela se fait souvent dans le cadre de l'élaboration de projets de loi et assez rarement dans le cadre d'une mission qui vise à étudier le sujet et poser le cadre de nos missions et de notre travail. Vous avez parlé de saturation administrative et, si vous le permettez, je vais en rajouter un peu. Nous devons effectivement rendre environ 500 000 avis par an, mais cela ne concerne que les dossiers d'instruction de permis de construire au titre du code de l'urbanisme. Or, nos missions ne comprennent pas uniquement l'instruction administrative des dossiers, mais également l'accompagnement, l'assistance à l'élaboration des projets, la promotion de la qualité architecturale et de la qualité paysagère, ainsi que toutes les missions relatives aux monuments historiques et au patrimoine de manière générale.

Les ABF sont des architectes. Au nombre de 189 sur le territoire national, nous ne sommes cependant pas tous seuls, car nous disposons de petits services administratifs au sein des départements : les UDAP comprennent environ 800 personnes en France. Les ABF ne sont donc pas seuls et, quand ils le sont, il s'agit plutôt d'une situation défavorable que le ministère de la culture tend à essayer de contrer de différentes manières. 800 personnes, cela reste cependant très peu pour les missions qui nous sont données par les textes et les lois en vigueur et qui concernent tous les champs de la qualité (architecturale, urbaine, paysagère). Au gré des crises récemment traversées, à savoir la crise sanitaire, mais également la crise sociale avec les gilets jaunes, nous avons pu voir combien la qualité ou la non-qualité de certains quartiers de nos villes et du logement cristallise un certain nombre de crises. Ces éléments ne sont pas quantifiés ni quantifiables.

La France est en retard par rapport aux autres pays européens, car le recours à l'architecte n'est pas obligatoire dans tous les cas, contrairement à la Suisse, la Belgique, en Espagne ou encore à l'Italie où le recours à l'architecte est obligatoire. Cela n'est pas le cas en France, où l'ABF est bien souvent le seul architecte que les gens vont rencontrer dans le cadre de l'élaboration de leur projet. Notre objectif consiste à faire en sorte que nous puissions faire notre métier de conseil le plus en amont possible des projets. Nous sommes persuadés que le fait que le ministère de la culture mette à disposition des élus et des citoyens des architectes professionnels pour les aider dans l'élaboration des projets et pour donner des avis sur les projets constitue une chance.

En ce qui concerne le cumul sur l'exercice de la maîtrise d'oeuvre, comme tous les fonctionnaires de l'État, les ABF peuvent cumuler des missions d'enseignement avec leur fonction, mais le droit d'exercer une activité de maîtrise d'oeuvre privée à titre personnel n'existe plus depuis la loi SRU de 2000. En 2000, cette possibilité avait été resserrée et il avait été demandé aux ABF de faire des déclarations et d'exercer en dehors de leur département. Puis, en 2004, ce droit a disparu. Je suis personnellement entré en 2008 au ministère de la culture et je n'ai jamais connu cette situation. Aujourd'hui, les ABF ne peuvent plus exercer le métier d'architecte à titre privé en plus de leurs fonctions.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Quel accompagnement faites-vous auprès des élus dans le cadre de votre mission ? Le point d'achoppement dans certains cas porte sur cette relation d'accompagnement avec les élus. Trouvez-vous le temps de réellement les accompagner, en particulier dans les petites communes ?

M. Fabien Sénéchal. - Il s'agit d'un sujet dont nous parlons régulièrement. Les ABF ont pour rôle d'être auprès des élus. Vous avez parlé d'embolie administrative et, effectivement, un certain nombre d'entre nous est débordé et ne parvient pas à être suffisamment auprès des élus, mais nous sommes tous convaincus que notre métier n'a de sens que si nous sommes auprès d'eux, et en particulier auprès de ceux des petites communes. L'ANABF défend âprement ce rôle, de manière réaliste cependant. Quand, dans un service de cinq personnes, l'une est en congé et une autre en arrêt maladie, il devient en effet très rapidement compliqué de répondre aux sollicitations administratives dans les temps tout en étant également sur le terrain. Néanmoins, selon les statistiques du ministère sur la France entière, les ABF instruisent leurs dossiers en 22 jours en moyenne, c'est-à-dire en moins de temps que celui qui nous est donné. Certes, nous sommes en situation de saturation administrative, mais les services parviennent néanmoins à répondre aux obligations qui sont les nôtres.

Mme Emmanuelle Didier, architecte des bâtiments de France (ABF) et membre du conseil d'administration de l'ANABF. - Le nombre d'autorisations d'urbanisme a augmenté de 108 % depuis 25 ans alors que les effectifs de nos services ont augmenté de moins de 10 %. Pour éviter d'émettre des avis défavorables au moment de l'exercice régalien qu'est la rédaction de l'avis, nous avons intérêt à traiter l'avant-projet pour fluidifier l'instruction et nous assurer d'avoir un dossier ayant intégré les différentes indications et les contraintes à prendre en compte.

Cet exercice régalien ne peut donc s'affranchir de la mission de conseil dans laquelle nous sommes particulièrement investis et qui nous occupe considérablement. Nous ne pouvons pas exercer le contrôle sans exercer le conseil. C'est par la solidarité et la mutualisation de nos forces que nous pouvons être pertinents pour accompagner les responsables de territoires, les élus, les services instructeurs, les responsables de service d'urbanisme, en travaillant en collégialité, en préparant les dossiers et en recevant les administrés. Accompagner un élu ne signifie pas uniquement accompagner son projet de demande d'autorisation d'urbanisme. Il s'agit également d'accompagner son projet de territoire, avec l'appui d'un document d'urbanisme et en prenant mieux en compte les enjeux du territoire concerné, non seulement au sein du périmètre qui nous intéresse, mais également en ce qui concerne les autres secteurs. Un élu dispose d'un expert architecte à ses côtés et il peut y recourir au-delà des discussions autour d'un projet pour lequel un avis défavorable pourrait être émis par l'ABF.

M. Fabien Sénéchal. - Parmi les questions abordées au cours de vos différentes auditions figure la question majeure de la prévisibilité des avis. L'une des clés, pour nous, concerne le travail en amont. Plus nous serons capables de recevoir les demandeurs et de discuter avec les élus en amont, mieux nous réussirons à donner de la visibilité et de la prévisibilité aux avis. Nous sommes tous des architectes, ce qui signifie que nous avons tous dans notre ADN la capacité à mener des projets et à les sortir. Émettre un avis défavorable sur un projet reflète un constat d'échec collectif, cela signifie que la discussion n'a pas eu lieu, que nous n'avons pas trouvé de terrain d'entente et que nous n'avons pas réussi à trouver le chemin permettant de faire le projet. En centre-ville comme en milieu rural, nous avons besoin d'habitants, d'activités, des commerces, des médecins, etc. Cela nécessite donc des projets de réhabilitation, des projets urbains, des projets de territoire et les ABF ont intérêt à ce que ces projets se mettent en oeuvre. À chaque fois qu'un avis défavorable est émis sur un projet individuel, voire structurant, nous savons que cela est dû à une marche ratée à un moment ou à un autre. Notre ministère de tutelle, le ministère de la culture, nous a transmis les différentes propositions et mesures sur lesquelles nous sommes en train de travailler collectivement, parmi lesquelles les questions de la prévisibilité et du travail en amont figurent en très bonne place, ainsi que le travail de coconstruction des avis.

Je voyais dans les questions que vous nous avez transmises celle d'un élu qui ne comprenait pas qu'un ABF ait donné un « avis contraire au règlement ». Or, s'il est possible qu'un ABF fasse une erreur, il n'est normalement pas possible qu'il donne un avis contraire à un règlement et ça l'est d'autant moins que la règle pour les sites patrimoniaux remarquables (SPR) est coconstruite et que la responsabilité d'appliquer cette règle est partagée entre l'ABF et les élus. Dès lors qu'une règle est fixée dans un SPR, il relève de la responsabilité partagée de l'ABF et du maire et de ses services de bien la faire appliquer. Dans ces cas, l'ABF doit essayer de gérer les questions d'architecture et d'urbanisme qui ne peuvent pas être prévues dans le règlement. En effet, la qualité architecturale se réglemente très difficilement, ce qui explique toute la modernité de l'administration de la Culture qui a placé auprès des opérateurs, des élus et des architectes, non pas une règle, mais une personne qui est capable d'analyser finement, en fonction du territoire et selon son expertise, l'adaptation à donner à la règle générale pour permettre le projet.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cette construction du SPR se fait donc conjointement avec les élus et le plan local d'urbanisme (PLU) fait référence au SPR, n'est-ce pas ?

M. Fabien Sénéchal. - Il s'agit d'une servitude.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Toute personne qui souhaite faire des travaux sur une commune où il existe un SPR devra donc consulter le PLU. Est-ce clairement écrit ?

Mme Emmanuelle Didier. - Il s'agit d'une servitude d'utilité publique qui s'exerce de façon distincte sans rapport de compatibilité. Lors des échanges avec les élus, ces derniers n'ont pas conscience que l'ABF est autant responsable qu'eux de l'application de ce document de SPR. En ce moment, un élu a même déposé un recours contre l'avis que j'ai émis, dans lequel j'exprime simplement l'opposition de la règle. Il a été très difficile de faire comprendre que si la commune a été à l'initiative du document, nous l'avons néanmoins travaillé et étudié ensemble et nous sommes autant l'un que l'autre responsable de son application.

M. Fabien Sénéchal. - Les SPR représentent 1 000 documents sur le territoire national. Cependant, la prévisibilité ne règle pas tous les problèmes. Le conseil en amont constitue un sujet majeur, de même que la construction de la règle. Du point de vue du ministère de la culture, la règle du SPR constitue le meilleur vecteur, mais nous pouvons aussi travailler avec les orientations d'aménagement et de programmation (OAP) dans le cadre d'un PLU. Il faut cependant rester conscient que le temps du PLU n'est pas le temps du patrimoine. Le PLU constitue un projet urbain qui doit pouvoir bouger, être adaptable et évoluer en fonction des nécessités et des projets. La préservation du patrimoine a, quant à elle, pour objet de transmettre aux générations futures un héritage qui fait sens. Il ne s'agit donc pas de la même temporalité. Par expérience, nous savons qu'il est possible de travailler avec les collectivités pour élaborer des règles dans le cadre du PLU, mais cela est très chronophage et très facilement « détricotable ». Je l'ai vécu à l'occasion des dernières élections municipales : nous avons réalisé tout un travail avec une municipalité, puis la municipalité suivante est arrivée, avec des élus ayant un peu moins d'expérience que leurs prédécesseurs et qui ont pris le contre-pied de l'équipe précédente. En fin de mandature seulement, cette nouvelle équipe s'est pourtant rendu compte qu'il fallait refaire ce qui avait été défait. Il faudrait dès lors réfléchir à la manière d'amener un peu de pérennité dans ces règlements qui peuvent accompagner ces questions de patrimoine. La règle doit en outre être lisible et accessible. Nous nous rendons compte que les règlements ne sont pas toujours lus et qu'un certain nombre de difficultés interviennent parce que le projet se fait en méconnaissance de la règle. Je pense que nous avons beaucoup à faire ensemble avec les collectivités, notamment avec les services d'instruction des autorisations droit du sol (ADS).

Toujours dans le champ de la prévisibilité, vous avez posé une question concernant les périmètres délimités des abords (PDA). Certes, la modification du périmètre délimité des abords (500 mètres autour des monuments historiques) constitue probablement une réponse intelligente au sujet qui nous concerne, à savoir la difficulté de lecture et de compréhension du cadre d'intervention des ABF. En propos liminaire sur ce sujet, je voudrais dire que ce n'était pas mon avis quand je suis entré dans la fonction, mais que j'ai compris depuis lors. Le législateur, en établissant un périmètre arbitraire de 500 mètres autour des monuments historiques, a très subtilement et très finement ciblé la servitude par rapport à l'objectif de protection des abords des monuments historiques. Or, la société a aujourd'hui changé, avec davantage de monuments historiques. Nos citoyens et nos élus ont besoin de mieux comprendre cette règle du périmètre délimité des abords dont ils ont l'impression qu'elle est arbitraire. La covisibilité répond pourtant à des éléments très tangibles et est très cadrée par la jurisprudence. Néanmoins, nous pensons que développer le périmètre délimité des abords constituerait une bonne solution permettant de nous soulager et permettant à la population de mieux comprendre le sens de notre action sur le territoire.

S'agissant de la complexité de l'élaboration des PDA, le problème ne vient pas tant de la complexité de concevoir un PDA, car sauf à quelques exceptions près, créer un PDA demande une analyse historique et patrimoniale abordable par nos services ou par n'importe quel bureau d'étude. La difficulté porte plutôt sur la procédure administrative. Par exemple, en 2012, en Bretagne, nous avions commandé une étude pour concevoir 70 périmètres de protection modifiée (PPM, procédure antérieure aux PDA), que nous avons en réalité réalisés à 10 % en raison d'un achoppement sur les procédures administratives. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur les préfectures ou sur les directions départementales des territoires (DDT), car elles nous renvoient à nos propres responsabilités.

Mme Emmanuelle Didier. - Le suivi procédural en préfecture dépend de la nature du territoire sur lequel le PDA se trouve. Dans un territoire à forte pression foncière comme celui que je peux connaître en métropole de Lyon, je peux réaliser des PDA en masse à l'occasion des modifications du document d'urbanisme. Nous écrivons avec les élus les enjeux qui se trouvent autour du monument, les enjeux qui caractérisent le tissu, sa sensibilité. Il s'agit aussi d'un moyen de qualifier le « porter atteinte » aux monuments, au même titre que la covisibilité. La loi LCAP a permis de mieux protéger ce qui constituait le tissu et les abords environnant le monument. Si le nombre de dossiers de PDA augmente, cela résulte du fait que les monuments historiques continuent à être protégés. Nous avons besoin de davantage d'aide sur les territoires ruraux, peut-être avec des préfectures ayant plus de moyens pour réaliser ce suivi procédural. Les ABF doivent se rendre disponibles au-delà des avis qu'ils émettent afin de pouvoir intervenir sur les documents d'urbanisme en cours d'élaboration.

M. Benjamin Aba-Perea, architecte des bâtiments de France (ABF) et membre du conseil d'administration de l'ANABF. - Le PDA constitue une servitude d'utilité publique qui n'est pas imposée, mais construite avec les élus. Certes, la zone de protection est validée par les ABF, mais elle est également votée en conseil municipal, ce qui implique un réel échange entre les collectivités et les services de l'État. Ces PDA permettent par ailleurs de s'affranchir de ce seuil de 500 mètres qui est parfois vécu comme injuste par certains et d'aller au-delà de la question de la covisibilité, bien qu'elle soit intégrée, en prenant en compte la cohérence même du tissu bâti.

M. Fabien Sénéchal. - Le ministère de la culture a questionné la mission juridique du Conseil d'État pour voir comment simplifier la procédure administrative. En effet, nous avons compris qu'il n'était pas possible de supprimer l'enquête publique, mais le ministère de la culture se questionne sur la possibilité de massifier ces enquêtes publiques, en réalisant des PDA conjoints à l'échelle d'un territoire plus large que celui des communes (département, région, etc.). Le deuxième point de simplification que nous avons en tête concerne l'interrogation des propriétaires de monuments historiques. La procédure administrative de PDA demande que le propriétaire du monument historique soit consulté, indépendamment de l'enquête publique dans le cadre de laquelle il peut s'exprimer. La plupart du temps, cela ne pose pas de problème, mais des difficultés apparaissent en cas de copropriété, ce qui conduit à de réelles fragilités juridiques.

Tout le temps que nous passons sur le terrain au service des élus et des administrés est un temps gagné pour la suite. En Bretagne, sous l'impulsion de nos élus qui ont souhaité que nous restions à leurs côtés pour les assister dans l'entretien de leurs monuments historiques, en particulier de leurs églises, nous organisons territorialement avec nos collègues de la conservation régionale des monuments historiques (CRMH) des missions d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour les aider à faire des diagnostics et les accompagner sur les petits travaux de réparation sur leurs églises. Il s'agit certes du coeur de métier des architectes, mais cela permet de discuter autrement avec les élus, d'avoir un autre contact et un autre dialogue avec eux que sur les sujets d'urbanisme, ou d'avis défavorables qui pourraient fâcher. Cela permet d'apprendre à se connaître.

Mme Emmanuelle Didier. - Il est possible d'avoir accès à une consultation préalable de multiples façons, avec par exemple l'envoi par un usager de son avant-projet par e-mail et le fait de recevoir les usagers. Auprès des élus, la situation est différente. La collégialité consiste à mettre en place au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) des commissions d'examen préalable des dossiers d'urbanisme. Le meilleur avis qu'un ABF peut donner est un avis favorable sans prescription, car il n'est pas sujet à recours.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez compris l'idée de la mission, il ne s'agit pas d'une remise en cause des ABF, mais il nous revient de la part d'élus plutôt ruraux et de la part de citoyens plutôt en ruralité et dans les communes n'ayant pas les moyens d'avoir des services d'urbanisme développés un certain nombre d'incompréhensions et de mécontentements. Depuis quelques auditions, nous comprenons que vous êtes pris les uns et les autres dans un effet ciseau très complexe : vos missions se sont étendues, le nombre de bâtiments classés s'est développé, le nombre de demandes s'est multiplié, alors que les effectifs n'ont pas progressé, voire ont baissé.

En ce qui concerne les bâtiments classés pour lesquels les mairies portent des projets, vous avez décrit une volonté d'être près des élus et j'en suis convaincu, même si cela dépend des moyens. Ce qui grippe le fonctionnement, et peut-être l'image des ABF, a plutôt trait aux demandes des concitoyens qui veulent changer leurs fenêtres, leurs ardoises, etc., et dont l'habitation n'est pas directement collée au bâtiment classé. Sur l'ensemble des missions qui vous sont confiées, en identifiez-vous quelques-unes qui, si elles vous étaient retirées, vous permettraient de vous concentrer un peu plus sur la conservation du patrimoine classé ? S'agissant du PDA, vos propos sont précis et permettent d'ouvrir des pistes de réflexion et de travail.

Par ailleurs, existe-t-il une animation du réseau des ABF au niveau national pour essayer de travailler une certaine cohérence, même si les décisions relatives au patrimoine relèvent en partie de l'arbitraire ?

M. Fabien Sénéchal. - Qu'abandonner ou déléguer ? Nos missions nous sont données par les textes, lois et règlements en vigueur. Les ABF ont pour rôle de parler de la qualité architecturale, paysagère et patrimoniale sur les territoires. L'État français a émis une position forte et il existe des raisons objectives d'être fiers de notre patrimoine et de nos paysages et d'être la première destination touristique dans le monde. Notre réponse administrative est à la hauteur de l'enjeu et de l'ambition portée, ainsi qu'à la hauteur du regard que les autres pays du monde portent sur nous. En tant que président de l'ANABF, je peux en témoigner, mais vous aussi certainement, car nous sommes régulièrement sollicités pour des interventions et des auditions par des pays européens et extraeuropéens qui souhaitent comprendre comment nous travaillons et qui souhaitent s'enrichir du dialogue et de la compréhension du système français qui fait référence. Néanmoins, quelques questions se posent. Nous avons parlé des cathédrales, monuments historiques classés appartenant à l'État dont nous sommes conservateurs et responsables uniques de sécurité (RUS). Autant la conservation des monuments historiques relève de notre métier, autant le fait d'être RUS constitue la limite du métier. Je suis conservateur d'un château en Bretagne, mais je n'en suis pas le RUS, car ce château est donné en gestion au département qui possède un certain nombre d'autres monuments qui sont en gestion avec un RUS unique, un fonctionnaire du conseil départemental. En tant que conservateur du château de Kerjean, j'ai une certaine assurance, car j'ai à mes côtés un RUS professionnel qui a une connaissance parfaite de toutes les règles, de tous les règlements incendie et qui suit toutes les procédures complexes. Il s'agit d'un réel sujet.

La question de la gestion de sites constitue un autre sujet. Les ABF exercent des missions de contrôle et d'avis sur les sites inscrits au titre du code de l'environnement et sur les sites classés. En 2016, l'étude d'impact de la loi biodiversité a établi de manière scientifique que l'avis simple donné par les ABF ne permettait pas d'assurer la permanence de l'objet pour lesquels nous avions protégé et inscrit ces sites naturels. L'avis simple ne permet donc pas d'assurer, sur les zones à tension urbaine et à pression foncière, la permanence de la qualité pour laquelle nous avons protégé les sites. Nous pourrions en revanche questionner le ministère en charge des sites pour savoir s'il faut toujours gérer ces sites de cette manière. Il faudrait par ailleurs commencer à appliquer les conclusions de la loi biodiversité de 2016 qui avaient établi qu'un quart des sites inscrits était irrémédiablement dégradé et méritait de recevoir une procédure de désinscription.

Mme Emmanuelle Didier. - Des vagues de désinscriptions, certes timides, ont déjà eu lieu. Si nous cherchons à déléguer, pourquoi ne pas utiliser des ETP du ministère de l'écologie pour instruire des dossiers qui concernent le code de l'environnement ? Certains sites classés urbains sont cependant aussi couverts en double par des abords de monuments historiques. Nous avons peu de pistes.

M. Fabien Sénéchal. - Parmi les différentes propositions ou pistes de travail que le ministère de la culture a en cours, la question de la co-instruction et de la coconstruction constitue une piste intéressante. Nous pouvons essayer de faire mieux ensemble. Nous pouvons essayer d'imaginer la mise en place de plateformes de co-instruction pour la généraliser, d'autant que nous pouvons témoigner qu'elle fonctionne. Quand j'étais à Brest, un architecte-conseil préinstruisait les dossiers, ce qui permettait d'avoir des échanges sur l'essentiel et d'aller plus rapidement et plus en profondeur sur les dossiers.

Mme Emmanuelle Didier. - Il s'agit également d'une question de compétences. Tout dépend de la nature de ces sites. Les ABF n'ont pas nécessairement de formation de paysagiste et certaines communes sont très démunies pour traiter de la valorisation de leurs paysages, notamment en territoire rural. Les DDT ont également en leur sein la possibilité de faire appel à des paysagistes-conseils de l'État ou à des architectes-conseils de l'État et ces vacations, lorsqu'elles existent, sont très efficaces et mériteraient d'être davantage abondées.

Au sein des préfectures, il existe des sous-préfets aux énergies renouvelables, lesquels entrent en contact avec les ABF lorsque des dossiers sont signalés. Nous sommes spécialistes du patrimoine, mais nous sommes également architectes-urbanistes de l'État et généralistes. La question des énergies renouvelables peut être considérée comme un prétexte pour parler d'aménagement du territoire d'une façon plus collégiale. C'est par le biais du conseil que nous pouvons vous apporter des plus-values.

M. Benjamin Aba-Perea. - Le guide ne prescrit pas et ne comprend donc pas de règles, car il n'existe pas de doctrine ABF sur le territoire national. En revanche, il existe une animation du réseau et les ABF se rencontrent. Nous militons d'ailleurs pour une augmentation du nombre des ABF, car pouvoir être plusieurs ABF au sein d'un service permet non seulement de supporter une charge plus importante de dossiers, mais également de discuter. Des instances régionales nous permettent de nous rencontrer pour échanger. En Île-de-France par exemple, nous avons eu une dizaine de réunions sur le sujet du photovoltaïque en 2023.

M. Fabien Sénéchal. - Il y a dix ans, nous demandions que les panneaux photovoltaïques soient intégrés dans le plan de la couverture, car cela permettait de mieux les faire disparaître. Or, nous nous sommes rendu compte que cela détruisait les charpentes et supprimait les ardoises et les tuiles. En outre, ces dispositifs ayant une durée de vie d'une dizaine d'années, cela conduisait à des trous dans les toits avec éventuellement la perte d'une charpente ancienne et de matériaux durables. Nous avons donc modifié notre appréhension du sujet et nous demandons aujourd'hui que les panneaux photovoltaïques soient plaqués sur la couverture et non pas encastrés dans la couverture.

Mme Emmanuelle Didier. - Les ABF s'adaptent aux réformes qui sont apparues depuis une vingtaine d'années.

Mme Sabine Drexler. - Pensez-vous que les ABF devraient pouvoir exercer encore davantage une activité de conseil même en secteur non protégé au regard de l'accélération des atteintes portées au patrimoine, notamment depuis la loi climat et résilience en 2021 avec les prescriptions d'isolation de façade ou de remplacement de menuiseries extérieures ? Comment y arriver le cas échéant ?

Pensez-vous qu'il faut systématiser l'identification de l'ensemble du patrimoine en France, y compris en secteur non protégé, afin de mieux pouvoir le protéger ?

M. Fabien Sénéchal. - Ce qu'il se passe en secteur protégé est sous un contrôle partagé entre nous. À quelques exceptions près, peu d'importants dégâts sont réalisés et nous sommes capables de valoriser les espaces protégés. En revanche, les élus sont seuls en ce qui concerne les espaces non protégés et l'effet de seuil est majeur. Le maintien de la qualité du territoire « ordinaire » constitue un vrai sujet qui se règle au travers des PLU et de documents d'urbanisme, mais il faut être en mesure de les utiliser et de les mettre en oeuvre, ce qui pose la question de la compétence. Dès lors que nous aurons organisé des manières de coconstruire les territoires avec les services des collectivités et les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), peut-être cela permettra-t-il de faire émerger une compétence pour intervenir et conseiller sur l'ensemble du territoire.

Mme Emmanuelle Didier. - L'objectif ne consiste pas à créer un territoire à deux vitesses, mais l'existence des CAUE doit être défendue. Dans un rapport, le sénateur Yves Dauge plaide par ailleurs pour la création d'un corps comme celui des architectes urbanistes de l'État, mais à l'échelle des intercommunalités, qui ne serait pas soumis aux pressions locales et aux groupes d'influence.

M. Fabien Sénéchal. - L'ANABF milite depuis très longtemps pour l'identification et pour une meilleure visibilité des architectes au sein de la fonction publique territoriale. Nous militons pour l'élargissement de notre corps aux collectivités territoriales afin que les élus puissent utiliser ces fonctions, ces métiers et ces compétences qui sont les nôtres.

Mme Monique de Marco. - Au-delà du photovoltaïque, avez-vous une approche par rapport à l'éolien et en ce qui concerne les lignes à haute tension ? En effet, elle diffère selon les interlocuteurs quant à l'intégration du photovoltaïque. En cas de difficulté ou de conflit d'approche, existe-t-il un recours ?

Mme Sonia de La Provôté. - Ne pensez-vous pas que les ABF devraient systématiquement être consultés dans le cadre de l'élaboration des PLU afin que la question patrimoniale et paysagère soit envisagée au sein du projet d'aménagement et de développement durables (PADD) ?

Par ailleurs, de nombreux élus demandent une assistance à maîtrise d'ouvrage de la part des ABF, car il s'agit d'un réel besoin, notamment parce que les questions patrimoniales entrainent des complexités financières et techniques en matière de travaux. Combien de personnes supplémentaires vous faudrait-il dans vos services pour pouvoir retrouver cette fonction ?

M. Laurent Lafon. - Merci pour vos réponses précises et éclairantes. Pourriez-vous nous dire combien vous étiez il y a vingt ans par rapport à aujourd'hui ? S'agissant de l'attractivité de vos métiers, nous entendons qu'il existe des difficultés de recrutement et que les candidats au concours sont moins nombreux. Le confirmez-vous et que faudrait-il faire pour rendre vos métiers plus attractifs ?

M. Fabien Sénéchal. - Sur la question des énergies renouvelables, le recours existe. L'ABF émet un avis après discussion dans le respect d'un certain cadre : un guide sur le photovoltaïque, un prochain guide sur le DPE, un guide sur la prise en compte du patrimoine par les conseillers de MaPrimeRénov', un guide pour l'élargissement des critères de prise en compte de l'Agence nationale de l'habitat et un guide sur l'amélioration des performances énergétiques sur le bâti ancien. Il s'agit surtout de faire comprendre que lorsque l'ABF émet un avis, il le fait dans un cadre global construit, même s'il n'est pas exprimé par une règle. Il existe en outre un recours, avec la possibilité pour un demandeur ou un maire d'écrire un e-mail ou un courrier simple au préfet de la région afin de lancer une procédure. Il est par ailleurs possible de faire appel au médiateur. Ces systèmes fonctionnent, mais ils sont chronophages. Il est donc préférable de ne pas rater la première marche de la concertation et de la conciliation.

Mme Emmanuelle Didier. - En ce qui concerne l'éolien et les lignes à haute tension, il s'agit souvent de dossiers d'infrastructures très importants que nous ne pouvons pas rater en amont. Ces dossiers sont généralement abordés en consultation préalable entre les différents services de l'État et nécessitent souvent la consultation de la commission départementale de la nature, des sites et des paysages sous l'égide des préfets, au sein de laquelle l'avis des ABF est consultatif.

M. Fabien Sénéchal. - En ce qui concerne le PLU et le PADD, le « porter à connaissance » auprès des collectivités est exercé par le préfet qui intègre dans l'avis des services de l'État les contributions proposées par les ABF. Les PLU sont des documents très difficiles à construire et les bureaux d'étude qui construisent ces documents ont de nombreuses compétences, mais généralement pas les nôtres.

Mme Emmanuelle Didier. - Ce travail doit être élaboré avec les DDT qui sont en prise avec les communes pour les accompagner dans l'élaboration de leur document d'urbanisme.

M. Fabien Sénéchal. - La question de l'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) constitue un sujet expérimental en Bretagne depuis 2009-2010. Il serait intéressant d'en tirer les conclusions, mais je pense qu'aucun élu breton n'abandonnerait les missions que nous faisons pour eux. Nous nous apercevons que le temps que nous « perdons » à exercer ces missions, nous le regagnons ensuite de manière informelle.

Les problèmes d'attractivité et de recrutement sont réels, mais cela n'est pas très étonnant au vu du contexte et des conditions dans lesquels les ABF exercent leurs missions. Il faudrait améliorer les conditions de travail dans les services et s'intéresser aux questions de rémunération qui ne sont pas neutres. Nous devons par ailleurs de notre côté travailler avec les écoles d'architecture.

Quant au personnel qu'il faudrait en supplément, l'ANABF a sondé ses adhérents et il est apparu que le besoin était estimé à 1 ou 1,5 ETP supplémentaire par UDAP.

M. Vincent Éblé. - J'ai cru comprendre qu'il existait une concurrence entre certains ingénieurs de l'État ou architectes qui étaient mieux payés dans certains ministères et que cette concurrence n'était pas au bénéfice du ministère de la culture.

M. Fabien Sénéchal. - Exactement et ce qui vaut pour les architectes urbanistes de l'État vaut également pour les techniciens, les ingénieurs et tous les corps techniques.

Mme Emmanuelle Didier. - L'attractivité du métier d'ABF a trait à ces questions de rémunération, au fait que les concours de la fonction publique sont en déshérence et à l'image délétère de l'ABF et de ses services. L'une des premières actions qui seront déclinées par le ministère dans le cadre de son plan d'action consistera justement à valoriser l'action des ABF à travers les illustrations que nous avons tenté d'expliquer aujourd'hui.

M. Fabien Sénéchal. - Nous avons vraiment besoin des élus sur cette question de l'image des ABF.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous avons un oeil globalement bienveillant sur les ABF de manière transpartisane. Je vous remercie infiniment.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. François de Mazières, maire de Versailles

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Notre mission d'information est consacrée aux architectes des bâtiments de France. Elle résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen. Nous sommes très honorés de vous accueillir, monsieur le maire de Versailles. Quand nous parlons de patrimoine, la première chose à laquelle nous pensons en France, c'est Versailles. Votre commune constitue l'un des fleurons de la beauté de notre paysage et votre témoignage sera donc vraiment important. Certes, Versailles n'est pas qu'un musée à ciel ouvert et vous avez 85 000 habitants qui ont besoin de services publics et qui peuvent vouloir mener des travaux sur les façades de leurs biens immobiliers. Plusieurs membres de la mission ont ainsi souhaité vous entendre en qualité en quelque sorte de « grand témoin », car nous imaginons bien que vos relations avec les ABF doivent être très nombreuses, tant je vois peu de perspectives qui, dans Versailles, ne sont pas en prise directe avec un monument historique. Je vous propose de prendre la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes pour évoquer vos expériences et vos difficultés éventuelles. Je passerai ensuite la parole au rapporteur et à mes collègues.

M. François de Mazières, maire de Versailles. - Merci pour votre accueil. Effectivement, la ville de Versailles constitue un cadre très particulier, car elle bénéficie d'une protection unique, dénommée la protection du « trou de serrure », instituée par un décret de 1964. J'étais député au moment où la loi LCAP était examinée, loi qui faisait disparaître cette protection. J'avais alors présenté un amendement pour que cette protection demeure. Ce faisant, nous constituons un cas unique en France, car nous bénéficions d'une protection extrêmement forte de 5 000 mètres et non pas de 500 mètres, autour du château de Versailles, et même de 6 000 mètres dans le prolongement du grand canal. Nous constituons un cas spécifique, également car l'avis conforme ABF doit être donné sur quasiment l'ensemble des actes qui nous sont soumis au titre de l'urbanisme.

Ce cas d'école m'amène à faire des parallèles avec ce que j'ai pu connaître dans différentes fonctions antérieures, que ce soit lorsque j'ai dirigé la Fondation du patrimoine ou lorsque j'ai présidé la Cité de l'architecture et du patrimoine. La Cité de l'architecture et du patrimoine est d'ailleurs la seule institution que je connaisse qui est aussi intéressée par l'architecture contemporaine que par le patrimoine. Or, il s'agit au fond du grand enjeu : comment préserver une beauté patrimoniale tout en permettant la création architecturale de qualité. J'ai toujours défendu les ABF dans diverses tribunes que j'ai faites. Je l'ai également fait en tant que député avec Patrick Bloche, même si nous n'étions pas du même bord politique. Nous nous sommes en effet très bien entendus pour défendre les ABF, car si ces derniers n'existaient pas, ce serait pire. Nous en connaissons les limites, certains ABF posant difficulté ou étant parfois excessifs, car il s'agit de jugements humains, mais s'ils n'existaient pas, ce serait catastrophique. La ville de Versailles est préservée aujourd'hui grâce aux ABF. En tant qu'élus, lorsque nous sommes en outre parlementaires, nous sommes très sollicités sur le thème des ABF, en ce qu'ils seraient catastrophiques et empêcheraient de vivre et d'agir. Or, si les ABF n'existaient pas, la France serait plus laide que ce qu'elle est aujourd'hui.

J'ai lu les premières auditions de votre mission que j'ai trouvées extrêmement intéressantes. Je reprendrais la logique développée par Albéric de Montgolfier que je trouve très juste. Il commence par dire qu'il est impossible pour les ABF de bien faire leur travail. Je pense que nous sommes à peu près tous d'accord sur le fait que 189 ABF, ce n'est pas suffisant. Les ABF sont absolument débordés aujourd'hui. Ils ne mènent en outre pas uniquement des missions de contrôle, mais il leur est demandé d'être auprès du préfet pour le conseiller. Dans le département des Yvelines, le préfet s'appuie considérablement sur l'ABF, ce qui lui prend beaucoup de temps. Pour ma part, je suis maire depuis seize ans et j'ai la chance d'avoir deux ABF avec lesquels j'ai toujours très bien travaillé. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais nous avons un dialogue. Au fond, il faudrait cette capacité de dialogue entre les maires, les élus et les ABF dans tous les départements de France, ce qui permettrait d'avoir un système efficace. En effet, de nombreux maires n'ont aucune formation, voire aucune sensibilité en la matière. Il est donc facile de condamner les ABF, mais il faudrait aussi regarder quelle est la sensibilité des maires. Les villes préservées sont le fait d'équipes municipales et de maires qui ont été sensibles à la question. Les ABF ont joué un rôle majeur dans l'Histoire, notamment dans les années 1950 et 1960, quand des quartiers de centre-ville, qui seraient aujourd'hui des lieux touristiques comme le quartier du Marais à Paris, ont été détruits. À côté du château de Versailles se trouvait la Petite Place, qui a été détruite, mais quelques années plus tard, les ABF, appuyés par des associations, ont pu préserver les Carrés Saint-Louis, un autre endroit qui allait être rasé. La logique définie par Albéric de Montgolfier dans sa réponse me paraît ainsi très juste. Quoi qu'il puisse être reproché aux ABF, heureusement qu'ils existent et qu'il est possible d'avoir un dialogue constructif avec eux. J'ai personnellement un dialogue nourri avec l'ABF actuel, tout comme avec son précédent. Certes, je suis le maire d'une ville historique à laquelle les ABF font particulièrement confiance, mais cela provient également peut-être du fait qu'ils voient que je leur fais confiance et que je suis ouvert au dialogue. Il faut faire en sorte de préserver ce dialogue dans le maximum de départements de France.

À la question du nombre insuffisant d'ABF, la première réponse devrait être de chercher à augmenter le nombre d'ABF. Or, la réponse apportée vise plutôt à les alléger. Certes, il faut les alléger, mais à qui transmettre la charge ? Il faut une formation. Au sein de la Cité de l'architecture et du patrimoine dont j'ai été président, il existe trois départements, dont l'École de Chaillot, qui ne forme pas suffisamment de personnes. La façon de penser l'urbanisme et la ville a radicalement changé et la préoccupation première porte désormais sur l'environnement et le réchauffement climatique. Il s'agit en effet de préserver l'existant avant de le détruire et de le reconstruire. Avec cette logique, le « logiciel » devient plus favorable aux ABF : il s'agit de préserver l'existant pour le transformer. Tous les architectes de France s'inscrivent aujourd'hui dans cette logique, ce qui n'était pas le cas il y a quinze ans. Votre réflexion doit donc aussi intégrer ce changement de vision de l'urbanisme. Il faut commencer par réfléchir sur l'existant avant de vouloir le raser et le détruire. Pour cela, il faut des spécialistes de l'ancien, du patrimoine. L'École de Chaillot est aujourd'hui une petite école avec peu de recrues, tandis que dans les écoles d'architecture, la sensibilisation au patrimoine est extrêmement faible. Il existe donc un vrai sujet de formation et de nombre, avant de réfléchir à la manière d'alléger le travail des ABF, d'autant que, comme le dit Albéric de Montgolfier, il faut de plus en plus utiliser leur capacité de conseil de maîtrise d'ouvrage. La maîtrise d'ouvrage en France est en effet totalement insuffisante. En ce qui concerne l'allègement de la charge de travail des ABF, il est proposé la création de périmètres délimités des abords (PDA). Cette solution serait effectivement intéressante, bien que complexe à mettre en oeuvre. Il n'existe pas de règle générale possible en matière de patrimoine, car chaque territoire est différent. Il faut pouvoir favoriser les échanges entre le maire et l'ABF afin de déterminer les endroits de la ville sur lesquels il faut concentrer les efforts. Il faut garder un cadre qui crée des contraintes pour éviter les dérives, mais qui soit susceptible d'être adapté pour ne pas être trop lourd en termes de fonctionnement.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez une expérience professionnelle et d'élu qui est à la fois très particulière et formidable dans une ville qui ne ressemble à aucune autre et avec un patrimoine qui ne ressemble à aucun autre. Notre expérience de l'ABF est liée au territoire dont nous venons et au mandat que nous avons exercé. Vous avez une relation plus fluide avec l'ABF que ne l'aurait un maire d'une commune de 200 habitants qui n'a jamais vu un ABF de sa vie. Néanmoins, je ne doute pas que vous avez été confronté à un certain nombre de difficultés, non pas en ce qui concerne le patrimoine classé, mais plutôt concernant des projets portés par des foyers qui n'ont pas nécessairement les moyens, dans des endroits où il n'existe pas de lien direct avec le bâtiment. Avez-vous été confronté à ce genre de situations et, vous qui avez des relations fluides avec les ABF, avez-vous réussi à trouver des solutions avec les foyers et les ABF ?

Par ailleurs, je voulais vous poser la question du « zéro artificialisation nette » (ZAN) par rapport à l'extension des villes. Il nous est en effet expliqué que nous manquons de logements et qu'il va falloir en construire, sachant que la doctrine, pendant longtemps, a consisté à arrêter de faire « monter » les villes et à plutôt les étendre. Or, tout cela sera remis en question avec le ZAN. Pour construire ces habitations, il faudra peut-être assumer le fait de revenir aux principes de « ville haute ».

M. François de Mazières. - J'ai bien entendu été confronté à ces situations. Il m'est arrivé d'être en opposition avec l'ABF, parce que la ville de Versailles, malgré sa protection très particulière, est comme toutes les villes, avec quatre quartiers totalement sociaux, des quartiers pavillonnaires, etc. La plus forte confrontation avec l'ABF se trouve dans les quartiers pavillonnaires, notamment en ce qui concerne les fenêtres en PVC, les couleurs des fenêtres, les panneaux photovoltaïques, etc. Je me dis parfois que les ABF permettent de limiter le « massacre » esthétique, mais d'autre fois, cela va un peu trop loin. Il faudrait un peu plus de règles nationales, mais qui ne soient pas trop impératives, car l'architecture est nécessairement un peu locale. Il ne faut jamais oublier cette question de l'esthétique urbaine, car je trouve que l'esthétique est actuellement beaucoup dégradée, alors que l'architecture constitue la première sensibilisation artistique et culturelle offerte à tous gratuitement. Être moins strict en ce qui concerne ce qui ne se voit pas de la rue, cela peut tout à fait s'entendre, mais parfois, les ABF l'entendent difficilement. Être un peu plus exigeant par rapport à ce qui peut être vu depuis la rue est en revanche une bonne chose. Cela se retrouve dans les principes de la Fondation du patrimoine qui permet de bénéficier d'un avantage fiscal pour les travaux qui se voient.

En présence d'un ABF un peu excessif, une procédure de recours existe et permet de faire appel à un médiateur. À Versailles, quand je ne suis pas d'accord avec l'ABF, nous discutons et nous trouvons des compromis. Quand un projet architectural a été étudié avec un ABF, il est d'ailleurs généralement meilleur.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Merci, monsieur le maire, pour votre témoignage éclairé. Nous partageons le rôle essentiel des ABF dans la préservation de la qualité et de la beauté de nos patrimoines et nous sommes nombreux à avoir eu des périodes durant lesquelles nous avons pu travailler avec un ABF compréhensif et d'autres périodes durant lesquelles l'ABF était beaucoup moins ouvert à la discussion. Nous ne pouvons pas non plus nous satisfaire de cette situation et mettre tout un territoire et des projets de collectivités ou d'entreprises à la seule merci de la bonne volonté d'un acteur. Je pense que le recours qui existe est très lourd et n'apporte pas les solutions, le conseil et la compréhension. Envisageriez-vous une autre procédure ? Certains maires avaient suggéré que le préfet puisse intervenir, afin de ne pas se retrouver dans une situation de blocage, surtout en ce moment, avec tous les dispositifs existants (ZAN, reconstruire la ville sur la ville, etc.) et les enjeux actuels (DPE, isolation, panneaux photovoltaïques, etc.) qui nécessitent des échanges. Comment appréhendez-vous ces sujets pratiques ?

M. François de Mazières. - Cela pose la question du fonctionnement de la politique patrimoniale du ministère de la culture. Il faudrait avoir des possibilités de commissions de recours, car je ne suis pas certain que faire uniquement appel au préfet constitue la bonne solution. L'idéal serait d'avoir un système de commission d'appel avec un fonctionnement institutionnalisé et comprenant des acteurs qualifiés ayant une certaine sensibilité. Il s'agit en effet d'un sujet touchant aux questions de sensibilité et de formation, y compris des élus. Quand j'étais à la Cité de l'architecture et du patrimoine, j'avais essayé de créer des formations auprès des élus, car les personnes qui s'occupent de l'urbanisme sont pour certaines totalement démunies. Cette solution de commission serait plus visible que la solution actuelle de médiation et permettrait de rassurer beaucoup de monde.

La loi instituant les DPE a semé un vent de panique dans le patrimoine. Pour appliquer cette loi correctement, il faudrait des experts sur le patrimoine, car il présente un intérêt par rapport au réchauffement climatique. Les maisons anciennes sont naturellement plus adaptées à maintenir de la fraîcheur durant l'été. Or, il est appliqué à ces maisons des normes applicables aux bâtiments contemporains, ce qui n'a aucun sens. Cela conduit à interdire aujourd'hui la location de certains logements classés G ou F parce qu'ils sont anciens, alors qu'ils sont parfaits en été. Certes, ils ne sont pas idéaux en hiver, mais en tenant compte des inconvénients et des avantages été comme hiver, ces logements ne sont pas mieux ni moins bien qu'un bâtiment construit très récemment avec des murs très fins dans lequel il fait très chaud l'été, ce qui nécessite d'activer la climatisation. Il faut donc avoir une logique de finesse par rapport à ces DPE. De même pour le ZAN, il faut certes éviter l'étalement urbain, sans pour autant être doctrinaire en bloquant des projets de manière systématique. Le ZAN permet cependant de réfléchir différemment, notamment sur les friches. Je crois que nous avons maintenant dans toutes nos villes et dans tous nos villages des friches en quantité et la priorité doit porter sur la revalorisation des friches. Il faut également s'interroger sur la « bonne hauteur » des constructions. Une construction trop haute n'est pas idéale en termes environnementaux, car il faut généralement doubler les matériaux pour des raisons de sécurité. La hauteur de l'arbre constitue un critère intéressant et il faudrait pousser ce genre de réflexion pour arriver à un juste propos à ce sujet.

Mme Sabine Drexler. - Notre commission travaille sur la question du DPE. Nous avons rencontré les deux dernières ministres de la culture et le ministre de la transition énergétique et fait un certain nombre de préconisations que nous suivons régulièrement. Les choses avancent petit à petit et les ministères travaillent ensemble sur ces sujets, mais nous ne sommes pas certains que nous parviendrons à trouver des avancées sur le DPE. Il faut absolument continuer à travailler ensemble sur ce sujet afin de créer un DPE patrimonial.

Pensez-vous que l'État accompagne suffisamment les particuliers qui veulent réaliser des travaux vertueux de rénovation énergétique (aides financières, dispositions fiscales), sachant que nous réfléchissons à l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux d'isolation intérieure ? J'aimerais également avoir votre avis sur la question des normes pour tous les matériaux biosourcés et géosourcés qui devraient davantage pouvoir être utilisés, mais qui ne sont pas reconnus comme ils le devraient.

M. François de Mazières. - Merci pour le travail que vous faites. J'ai bien conscience que la réflexion des ministres progresse. Je copréside avec mon collègue de Clermont-Ferrand la commission culture l'Association des maires de grandes villes de France et, à l'occasion d'une rencontre avec la ministre actuelle, nous avons senti une certaine sensibilité sur le sujet. Le DPE patrimonial n'existe cependant pas encore. Nous revenons à la question de la formation professionnelle (il existe peu d'ABF et d'architectes du patrimoine) et à celle de la transformation de la pensée urbaine avec le souci de l'existant qui n'existait pas chez les architectes auparavant.

En ce qui concerne les matériaux biosourcés, vous avez tout à fait raison, d'autant que les architectes sont très intéressés eux-mêmes par cela, y compris les architectes contemporains. Ce qui me frappe, dans l'architecture contemporaine, c'est qu'un bâtiment va bénéficier d'une perception positive en fonction des matériaux avec lesquels il a été construit. Je crois beaucoup à cette importance des matériaux extérieurs. Cette révolution que nous sommes en train de vivre a un côté très positif, car elle revalorise la pierre et les matériaux naturels, contrairement au béton. La brique est un matériau extraordinaire, car il est à la fois ancestral et très moderne. Cependant, la brique n'est pas très bien notée dans les critères d'appréciation.

Sur la question des normes, les coûts de construction des logements explosent pour des normes parfois un peu excessives. J'ai notamment vécu l'obligation de construire des salles de bain accessibles aux personnes à mobilité réduite (PMR) dans tous les logements étudiants d'une résidence, ce qui n'avait pas de sens et coûtait très cher, laissant moins de budget pour la qualité du bâtiment. Il faut donc être prudent avec les normes, car à force de les accumuler, le risque est de bloquer la construction.

M. Laurent Lafon. - Comment faire pour introduire dans la définition des politiques nationales (notamment celles qui touchent au logement ou à l'environnement) la politique patrimoniale, plutôt que de laisser au niveau local les arbitrages, souvent par l'ABF, de problèmes qui n'ont pas été abordés en amont ? L'exemple du DPE patrimonial est très illustratif de ce sujet, car nous nous nous sommes aperçus que nous n'avions pas intégré le patrimoine dans la question de la transition énergétique et de la mise en place du DPE. Comment faire pour intégrer une dimension patrimoniale plus marquée au niveau des politiques publiques, notamment dans le domaine du logement et de l'environnement ?

M. François de Mazières. - Ces domaines sont de la responsabilité des ministères qui préparent les textes et ensuite de celle des parlementaires qui vont être amenés à discuter les textes présentés par les ministères. Le ministère qui protège le patrimoine est celui de la Culture et il faut qu'il soit suffisamment staffé pour que la question patrimoniale soit intégrée. Il existe aujourd'hui trois grandes directions au sein du ministère de la culture, alors que pendant plusieurs décennies, il existait plusieurs directions plus spécialisées. Or, la direction du patrimoine est peut-être aujourd'hui tellement vaste qu'elle a perdu une capacité d'expertise pour aller jusqu'au fond de certains sujets, même si elle reste une référence par rapport à d'autres pays. Au-delà de cette capacité d'expertise approfondie, l'arbitrage interministériel est également important. Or, je pense qu'une pression vers l'environnement a dû s'exercer. Un rôle majeur de direction doit être exercé dans ce domaine au niveau national, sans quoi la politique patrimoniale ne pourra pas être conduite.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Lorsque des administrés souhaitent rénover thermiquement leur maison et qu'ils doivent suivre l'avis de l'ABF, les accompagnez-vous ? Leur apportez-vous des conseils ? Faites-vous l'intermédiaire ?

M. François de Mazières. - Je passe effectivement beaucoup de temps sur ces sujets. J'organise une réunion par semaine avec mes services d'urbanisme et ils me montrent tous les projets qui ont une certaine forme d'importance. Je crois qu'il est important d'y passer du temps quand le maire le peut. Je décroche souvent mon téléphone et je vois les gens si nécessaire, avec mon adjointe avec laquelle nous nous répartissons les sujets selon leur importance. Quand les maires s'investissent, ils bénéficient d'une arme massive qu'est le PLU.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez insisté sur la qualité des matériaux. Existe-t-il de plus en plus d'entreprises et d'entrepreneurs capables d'apporter cette qualité architecturale tout en respectant le bâti ancien ?

M. François de Mazières. - Oui, il existe des associations très impliquées dans la défense du patrimoine. Quand je dirigeais la Fondation du patrimoine, j'avais proposé la création d'un lien entre toutes les associations et j'ai compris que la richesse de toutes ces associations qui maillent le territoire et qui peuvent conseiller sur les matériaux selon les identités des territoires.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de représentants de la Fédération française du bâtiment (FFB) : M. Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), Mme Marion Rogar, secrétaire générale du GMH, M. Stéphane Chenuet, chef du service urbanisme de la FFB, M. Benoît Vanstavel, directeur des relations parlementaires et institutionnelles, et Mme Léa Lignières, chargée d'études, et de représentants de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) : MM. Éric Le Devéhat, artisan tailleur de pierre en Ille-et-Vilaine, en charge du dossier du patrimoine et administrateur national Capeb, Alain Chouguiat, directeur des affaires économiques, Thibaut Bousquet, responsable des relations institutionnelles et Mme Florence Cannesson, chargée de mission à la direction économique

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France avec une table ronde de représentants de la Fédération française du bâtiment (FFB) et de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb). Acteur majeur de la filière du BTP, la FFB représente plus de 50 000 entreprises du bâtiment, dont 35 000 de taille artisanale. Toutes ces entreprises réalisent les deux tiers de la production annuelle du secteur et emploient les deux tiers des salariés travaillant dans le bâtiment. Quant à la Capeb, il s'agit d'un syndicat patronal de l'artisanat du bâtiment proposant aux entreprises artisanales du bâtiment de l'information, des conseils, des services ainsi que des outils de gestion. Elle assure également la promotion des métiers du bâtiment.

Nous avons le plaisir d'accueillir, pour la FFB, M. Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), Mme Marion Rogar, secrétaire générale du GMH, M. Stéphane Chenuet, chef du service urbanisme de la FFB et Mme Léa Lignières, chargée d'études, et pour la Capeb, M. Éric Le Devéhat, artisan tailleur de pierre en Ille-et-Vilaine, en charge du dossier du patrimoine et administrateur national Capeb, M. Thibaut Bousquet, responsable des relations institutionnelles et Mme Florence Cannesson, chargée de mission à la direction économique. Je vous remercie d'avoir pu vous rendre disponibles pour cette audition qui nous fournira à n'en pas douter des observations et des remarques, ainsi que des éléments techniques essentiels à une meilleure compréhension des contraintes pesant sur les ABF dans le cadre de leurs missions de conservation et de contrôle.

Pour rappel, l'ABF s'assure du respect des normes imposées aux travaux pour éviter toute atteinte aux monuments historiques dans le périmètre des abords des monuments historiques ou dans les sites patrimoniaux remarquables, du respect de l'intérêt public attaché au patrimoine, à l'architecture, au paysage naturel ou urbain, à la qualité des constructions et à leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant et du respect des règles du plan de sauvegarde et de mise en valeur ou du plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine. Nous avons eu plusieurs auditions sur le sujet et elles ont souligné la complexité des missions des ABF. Leurs interventions sont régies par au moins 71 dispositions législatives et règlementaires réparties dans 6 codes différents. Vos témoignages nous permettront de mieux cerner les difficultés ainsi que ce qui peut se poser comme controverses issues de certains de leurs avis qui ne sont pas toujours compris par les élus de terrain.

Je propose d'ouvrir nos échanges. Vous allez commencer par un propos liminaire d'une dizaine de minutes par organisation, puis le rapporteur interviendra.

M. Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH). - Le GMH est le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques et regroupe au sein de la FFB toutes les entreprises ayant une qualification particulière pour travailler sur les monuments historiques. Le GMH représente 250 entreprises, soit environ 10 000 salariés et 1 000 apprentis.

Le rôle de l'ABF est prépondérant pour nous. Généralement, les entreprises interviennent sur des projets déjà montés par des collectivités locales ou par des porteurs de projets et une consultation est faite sur la base d'un programme qui a normalement déjà été validé par un ABF. Nous n'avons donc pas nécessairement de lien direct avec les ABF dans la majorité des cas, à l'exception de certains cas de construction qui regroupent architectes et entreprises dans le cadre d'un programme de restauration immobilière ou de construction neuve, où l'entreprise fait équipe avec les architectes pour monter le projet et échanger avec les ABF afin d'obtenir les autorisations. Les petites entreprises qui travaillent sur le patrimoine ne sont pas en lien direct avec les ABF, sauf dans le cadre de contrôles scientifiques et techniques qui peuvent être réalisés par les ABF sur des travaux de restauration d'églises ou d'édifices classés.

M. Stéphane Chenuet, chef du service urbanisme de la FFB. - Le spectre de la FFB est très large avec notamment des petits promoteurs et constructeurs de maisons individuelles qui montent des opérations et déposent des demandes de permis de construire et sont donc en lien avec les ABF, mais également des entreprises de rénovation énergétique qui sont contraintes par les prescriptions que peuvent émettre les ABF sur la possibilité ou non d'intégrer des panneaux photovoltaïques par exemple. Les règlementations des dernières années font de la performance énergétique un objectif majeur qui peut cependant se heurter à d'autres objectifs dans la pratique tels que la protection du patrimoine. Cela peut engendrer des difficultés en termes de coûts et de faisabilité technique et je pense que la rencontre de ce jour a pour objectif de discuter avec vous pour voir comment concilier la question de la protection du patrimoine et ces travaux obligatoires visant à améliorer la performance énergétique des bâtiments.

M. Thomas George. - Au sein même de la FFB, au-delà des entreprises qui sont plutôt orientées sur des programmes de construction neuve, il existe des entreprises spécialisées dans les monuments historiques avec des visions différentes et des sensibilités différentes. Ce volet spécifique patrimoine de la FFB permet d'avoir des avis différents avec des personnalités n'ayant pas nécessairement les mêmes critères, besoins et perspectives, afin de trouver des compromis sur l'évolution des normes et des lois. Il s'agit à la fois d'intégrer les nouvelles normes (thermiques, etc.) tout en trouvant des solutions permettant de respecter l'authenticité des monuments sans les dénaturer.

M. Éric Le Devéhat, artisan tailleur de pierre en Ille-et-Vilaine, en charge du dossier du patrimoine et administrateur national Capeb. - Merci de nous avoir invités à vos travaux. La Capeb, différemment de la FFB, rassemble des petites entreprises employant en moyenne trois salariés. Notre structuration et notre rayonnement correspondent assez bien aux UDAP, car nous travaillons sur notre département ou sur deux à trois départements. Nous avons donc une forte proximité avec les ABF, pour cette raison géographique et parce que nous travaillons souvent en direct avec les maîtres d'ouvrage, les propriétaires de maison qui sont soumis à l'avis conforme des ABF ou qui se trouvent dans du bâti ancien. La Capeb rassemble 62 000 entreprises qui représentent les 620 000 entreprises artisanales du bâtiment (97 % du secteur). Cela représente 25 % du marché et nous sommes fortement orientés sur le marché plus global de la rénovation (pas uniquement les sites protégés). 32 % des entreprises de petite taille réalisent 25 % de leur chiffre d'affaires sur les chantiers du patrimoine. Les entreprises réalisent environ six chantiers à caractère patrimonial par an et les sondages disent que l'activité est stable à 43 %. Il s'agit donc d'une part de marché qui nous intéresse.

Nous avons deux profils d'artisans intéressés par le patrimoine, à savoir ceux qui sont spécialisés, qui ont une connaissance et qui travaillent dans le réseau des travaux du patrimoine d'une part et des entreprises plus généralistes d'autre part. Lorsque l'artisan est confronté à des travaux spécifiques, la Capeb a pour rôle de l'aider et met en oeuvre une démarche pour acculturer ces entreprises. Même quand ces entreprises ne sont pas totalement acculturées au patrimoine, elles ont au moins une connaissance de leur territoire, de leur bâti, des matériaux existants, voire des modes constructifs auxquels elles sont confrontées. La Capeb présente par ailleurs la particularité d'avoir une définition du patrimoine non attachée à la date fatidique de 1948, ce qui nous permet de rencontrer les ABF sur d'autres types de projets. Comme nous les connaissons bien, nous estimons que la préservation du patrimoine n'appartient pas aux ABF, mais qu'elle est partagée par tous dans le cadre des projets de travaux ou du simple fait d'être propriétaire.

S'agissant du périmètre des 500 mètres, des solutions sont aujourd'hui proposées sur les PDA ou les SPR. Il est plus facile de faire passer les messages sur les zones directement concernées par le patrimoine qu'en englobant tout un secteur géographique par un diamètre qui peut recouvrir de l'habitat ne se sentant pas concerné par le bâtiment classé, voire étant en non-visibilité. J'ai entendu dans vos premiers échanges que des pistes sont explorées à cet égard et cela nous intéresse.

M. Stéphane Chenuet. - Nous partageons totalement cette idée que nous avions défendue dans le cadre de la loi architecture et patrimoine en 2016. Il s'agissait de mettre en place des périmètres adaptés plutôt que d'imposer des périmètres rigides de 500 mètres qui n'ont pas toujours du sens. À l'inverse, la possibilité d'avoir des périmètres adaptés qui sont à la main des acteurs locaux et des ABF a beaucoup de sens et il nous semble que l'idée de prescrire aux préfets d'engager ces procédures d'adaptation serait pertinente.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quel type de qualifications faut-il obtenir pour être référencé et pour pouvoir travailler sur les monuments historiques et comment les obtient-on ? Suffit-il de déposer un dossier ou de faire valider une expérience ?

Parvenez-vous à compiler les remontées de différentes communes ou de particuliers sur les projets qui ne sont pas réalisés en raison de trop fortes contraintes ?

Observez-vous à l'échelle nationale, par département et par territoire, des positions de l'ABF ou des UDAP qui sont divergentes, voire fortement divergentes ? Le cas échéant, pourriez-vous les décrire ?

M. Thomas George. - En ce qui concerne le système de qualification des entreprises, cela dépend des corps des métiers. La majorité des corps de métier oeuvrant sur les monuments historiques ont une qualification portée par Qualibat, un organisme de certification pour les normes RGE notamment. Pour obtenir la qualification « monuments historiques », qui constitue le plus haut niveau de qualification, les entreprises doivent déposer un dossier et démontrer qu'elles maîtrisent les différentes techniques qui sont requises par des exemples qu'elles réalisent sur des chantiers. Les entreprises sont analysées par une commission nationale ayant lieu à Paris, avec un jury composé de trois collèges (un collège entreprises, un collège architectes maîtres d'oeuvres et un collège maîtres d'ouvrage). L'analyse des entreprises est très détaillée et porte non seulement sur la maîtrise des techniques, mais également sur les assurances, la sinistralité, les équipements, le plan de formation, etc. Quand une entreprise obtient cette certification, qui est quadriennale, elle peut répondre aux appels d'offres sans devoir démontrer ses capacités systématiquement. Malheureusement, tous les métiers ne sont pas représentés au sein de la commission Qualibat et certains métiers doivent donc, pour chaque appel d'offres, démontrer leurs capacités, leurs compétences, leur personnel, etc. La qualification est recommandée, mais elle n'est pas obligatoire. Lors d'un appel d'offres, une entreprise n'ayant pas cette qualification peut justifier qu'elle possède les références équivalentes et être quand même sélectionnée.

M. Éric Le Devéhat. - Sur les importants projets de restauration de monuments historiques, nous sommes peu en contact avec les ABF, car les architectes en chef des monuments historiques en assurent la maîtrise d'oeuvre. Ce n'est pas tellement dans le cadre des monuments protégés que nous sommes confrontés aux ABF, mais dans un champ plus large dans lequel la qualification de monument historique est moins nécessaire. Nous n'avons pas le même dialogue avec les ABF dans ces deux types de marchés.

M. Stéphane Chenuet. - De par mes fonctions à la FFB, les problèmes me remontent souvent. Je sais que cela n'est pas nécessairement représentatif de ce qui se passe parfois très bien sur les territoires. Les remontées viennent surtout de promoteurs constructeurs et d'installateurs de panneaux photovoltaïques. J'étais récemment en mission en PACA et plusieurs promoteurs m'ont remonté le fait que dans certains territoires, les prescriptions des ABF ne concernaient pas uniquement des aspects esthétiques ou relatifs aux types de matériaux à utiliser, mais également des gabarits de bâtiments à respecter, ce qui revenait à minimiser les potentiels constructibles prévus par les PLU applicables, rendant l'opération économiquement non viable pour les opérateurs. Sur ce sujet, nous souhaitons une prévisibilité pour les entreprises. Il faut que lorsqu'un porteur de projet regarde la faisabilité d'une opération sur un territoire, il puisse d'ores et déjà anticiper les éventuelles prescriptions qui s'appliquent sur le territoire. Il faut que les ABF soient impliqués le plus en amont possible dans les travaux avec les élus locaux dans la rédaction des PLU, quitte à inclure leurs prescriptions dans les PLU, afin que les promoteurs en aient connaissance dès le lancement de la conception de son projet. Aujourd'hui dans la loi, le dialogue entre le porteur de projet et l'ABF n'est prévu qu'en cas de contentieux, lorsque le porteur de projet veut attaquer un refus émis par un ABF. Or, il n'est pas satisfaisant de constater que la loi n'encadre le dialogue qu'en cas de contentieux.

M. Thomas George. - Je rejoins mon collègue sur le problème de prévisibilité pour les porteurs de projet et sur le fait qu'ils se retrouvent devant le fait accompli quand ils lancent les consultations d'entreprise. Les porteurs de projet montent en effet un projet avec une enveloppe budgétaire définie, mais lorsqu'ils lancent les consultations d'entreprises, ils s'aperçoivent que les entreprises proposent des tarifs bien supérieurs à ce qu'ils ont prévu dans leur budget, en raison des contraintes imposées par l'ABF dans l'utilisation de tel ou tel matériau. Lorsqu'un dialogue s'installe, les porteurs de projet comprennent, mais cette situation intervient souvent au lancement du projet avec les entreprises. Ils ont donc le choix entre faire appel à des entreprises qui vont entrer dans leur enveloppe budgétaire, mais qui ne feront pas les travaux conformément aux demandes de l'ABF, ce qui présente le risque de devoir faire arrêter le chantier, ou faire appel à un architecte du patrimoine pour accompagner le projet et anticiper les problématiques. Il faudrait que les recommandations ABF soient publiques, ce qui représente cependant un travail colossal, car cela dépend de l'époque constructive que l'on veut conserver au sein du quartier en fonction du monument qui est concerné. Sinon, j'incite systématiquement les porteurs de projet à se faire entourer par des sachants comme des architectes du patrimoine, des architectes en chef des monuments historiques (ACMH) ou des bureaux d'étude spécialisés sur les monuments historiques qui connaissent les méthodes et des ABF et anticiperont les exigences d'un ABF lors du dépôt du permis de construire ou de la demande d'autorisation de travaux. Le problème principal a trait aux coûts qu'il faut anticiper en ce qui concerne les projets dans les zones concernées par un bâtiment historique. Sans parler au nom de toutes les entreprises du GMH, je n'ai pas entendu parler de chantier qui se serait annulé faute d'un accord ABF. Ces chantiers peuvent cependant être retardés.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les porteurs de projet qui interviennent sur un secteur protégé doivent bien se douter qu'il existe des contraintes spécifiques.

M. Thomas George. - Nombreux sont ceux qui font la politique de l'autruche en pensant que cela passera.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cela suppose un manque de pédagogie et d'information.

M. Éric Le Devéhat. - Je suis confronté à des situations allant bien au-delà de ce constat. Certains acquéreurs se méprennent parfois sur l'achat d'une maison et l'ajout d'une zone protégée peut constituer une « double peine ». Cela relève aussi de la responsabilité du maître d'ouvrage.

La notion de normes ne me semble pas souhaitable et même contradictoire avec la notion de patrimoine, car un bâti existant peut recouvrir plusieurs époques. Il faut un peu d'agilité, même si l'agilité d'un maître d'oeuvre est souvent liée à son économie. Il faut parler d'approche préalable, mais également de partenariat sur les projets. Nous apportons des solutions techniques qui peuvent rentrer dans une économie acceptable par le maître d'ouvrage tout en étant compatibles avec les contraintes du code du patrimoine et les exigences des ABF. Ces situations existent, avec notamment l'usage de matériaux biosourcés ou géosourcés ou le réemploi. Au sein de la Capeb, nous formons nos artisans par le biais du label CIP Patrimoine afin d'apporter cette approche différente.

En ce qui concerne la divergence de positionnement des ABF, il existe tellement de données pour un seul bâtiment qu'il est compréhensible que les ABF n'aient pas nécessairement une réponse unique. Il serait en outre compliqué d'imaginer qu'il n'existe pas de spécificités territoriales. Il est cependant possible de trouver des solutions adaptées par le biais d'un dialogue, toute la difficulté restant que le maître d'ouvrage puisse trouver un sens à son projet de base.

M. Thomas George. - La conciliation est en effet possible par le biais du dialogue, mais malheureusement, il manque en raison d'un déficit de moyens. La direction des patrimoines est consciente que le rôle de l'ABF est très important et que les sollicitations ont augmenté, mais que les moyens sont restés les mêmes, ce qui explique que les ABF ne peuvent pas faire face. Cela entraîne un manque de dialogue et un manque de sachants dans le domaine du patrimoine. Sans échange, il n'est pas possible d'aboutir à une conciliation.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - C'est bien tout le sujet. Sur le patrimoine classé appartenant à la commune, il est possible de dialoguer et de trouver les interlocuteurs, mais pour les particuliers, la seule relation avec l'ABF se limite souvent à un courrier de refus. Or, dans les communes dans lesquelles il n'existe pas de service instructeur et qui ne savent pas comment expliquer ce refus de l'ABF, cela entraîne une réelle incompréhension. Certes, il n'est pas possible d'envisager un système unifié au niveau national, mais il faudrait mettre en place des cahiers des charges à l'échelle des départements, des territoires et des intercommunalités afin qu'il soit au moins possible de sensibiliser la personne qui vient en mairie déposer son dossier.

M. Vincent Éblé. - Pour que cette pédagogie fonctionne, notamment à l'égard des maîtres d'ouvrage privés ou publics, le travail d'explication préalable est nécessaire, mais il se fait assez mal ou retombe sur les entreprises qui interviennent dans un second temps. D'autres modalités de circulation de cette pédagogie pourraient être imaginées, pas nécessairement dans le lien individuel, mais dans le cadre de notices ou de cahiers de prescriptions qui donneraient déjà une masse d'informations et dans lesquels les demandeurs pourraient trouver une part d'éclairage.

M. Thomas George. - Il est vrai qu'en ce qui concerne les collectivités et les pouvoirs publics, les maîtres d'ouvrage finissent par obtenir les réponses à leurs interrogations. À l'inverse, la situation des particuliers est plus problématique. Il n'est pas possible de demander à chaque commune d'avoir un sachant pour expliquer aux particuliers les exigences des ABF, mais peut-être serait-il plus pertinent de s'adresser aux intercommunalités qui peuvent disposer de ce type de sachants. Certains départements ont par ailleurs pris l'initiative de mettre en place des matériauthèques afin d'expliquer quels matériaux doivent être utilisés. Souvent, le souci au niveau des particuliers porte sur la faisabilité du projet en termes économiques, par exemple quand ils se voient contraints de faire des économies d'électricité, mais que l'installation de panneaux solaires leur est interdite.

M. Éric Le Devéhat. - Sans nier les difficultés, les choses ont évolué depuis quarante ans que je fais ce métier et il existe aujourd'hui une multiplicité d'acteurs et de ressources. Pourtant, nous nous retrouvons parfois confrontés à des difficultés liées au refus de l'ABF, lequel aurait pu être évité au vu des outils pédagogiques existants.

Mme Sabine Drexler. - Je vous rejoins et j'allais vous demander si le public était suffisamment informé des pratiques vertueuses qui existent. Si tant est que l'on s'y intéresse, on peut s'apercevoir qu'il existe de nombreuses initiatives et innovations. Pourtant, depuis la loi climat et résilience autour de la rénovation énergétique, des abominations en termes de travaux, notamment en termes d'isolation des façades, sont constatées.

Pensez-vous que le public, les particuliers notamment, est suffisamment accompagné par l'État pour prendre en charge les surcoûts liés à des matériaux ou à des pratiques plus vertueuses et respectueuses du bâti ? Pensez-vous que l'État joue son rôle à cet égard ? N'existe-t-il pas par ailleurs un sujet concernant la labellisation des matériaux ?

L'enjeu de transmission des gestes du patrimoine constitue-t-il un sujet ? Vos métiers sont-ils suffisamment valorisés ou une question se pose-t-elle quant au renouvellement des artisans ? Si nous parvenons à convaincre les particuliers de davantage restaurer leur patrimoine, existera-t-il suffisamment d'artisans pour faire les travaux ?

M. Éric Le Devéhat. - Nous pouvons toujours espérer de meilleures aides de l'État. En ce qui concerne les matériaux géosourcés ou biosourcés, nous parvenons à obtenir des produits suffisamment caractérisés pour être utilisés de façon pérenne par tout le monde. En revanche, le DPE n'est pas du tout adapté au bâti ancien. Il semblerait que des travaux soient en cours pour l'adapter au bâti ancien, mais nous ne savons pas où ils en sont.

S'agissant de la transmission du geste, la question s'est posée de savoir si, lorsque la cathédrale Notre-Dame a brûlé, les ressources et compétences existaient. Je pense que la réponse est aujourd'hui évidente, mais certaines personnes étaient plus alarmistes au départ. Le modèle économique des artisans est basé sur le geste et les gens entrent dans le métier par le geste. Nous sommes donc sensibles à tout ce qui peut préserver ce savoir-faire. Ces connaissances pourraient cependant disparaître et cela constituerait une perte pour tous.

M. Thomas George. - En ce qui concerne l'accompagnement des personnes, les problématiques sont tellement différentes d'un territoire à l'autre qu'il faudrait que la population trouve les informations au plus près de son territoire, pas nécessairement au niveau de la commune, mais par exemple au sein de l'intercommunalité. À Saint-Omer par exemple, le maire a décidé de lancer une campagne pour aider les riverains à restaurer leurs façades en centre-ville. Le centre-ville a été classé en tant que périmètre sauvegardé, ce qui offre des avantages fiscaux, et une importante campagne de communication a été portée par le maire et l'intercommunalité à ce sujet. Cette initiative ne peut cependant pas être généralisée, car elle dépend d'une commune, d'un département ou d'une région. Or, en expliquant clairement les coûts que de tels travaux représentent et les avantages fiscaux qu'il est possible d'en retirer, cela pourrait inciter les particuliers à mener ces travaux.

Sur la problématique du réemploi des matériaux, nous avons initié le sujet avec les réassureurs principaux des entreprises de monuments historiques (SMABTP et AXA). Il faut savoir que les entreprises qui ont la qualification pour travailler sur les monuments historiques ont une assurance particulière proposée par AXA et SMABTP et couvrant les travaux de technicité non courante. Il est donc important pour les maîtres d'ouvrage d'en avoir connaissance.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Avez-vous des interventions complémentaires ou des faits que vous souhaitez porter à notre connaissance, sachant que vous pourrez nous envoyer des contributions écrites ?

M. Thomas George. - En ce qui concerne l'attractivité des métiers, tout le monde s'est posé la question de savoir si les savoir-faire existaient encore en France pour reconstruire Notre-Dame, ce qui est heureusement le cas. Nous nous battons au quotidien pour maintenir ce savoir-faire. Nous menons notamment des actions sur tous les territoires et nous sommes partenaires de tous les campus universitaires d'excellence qui ont ouvert ces dernières années pour attirer les jeunes vers nos métiers. Nous proposons des démonstrations de métiers, des visites de chantiers, des visites d'ateliers, des villages métiers permettant aux jeunes de tester le geste et, peut-être, d'y prendre goût.

M. Stéphane Chenuet. - Il existe 35 000 entreprises artisanales sur les 50 000 entreprises adhérentes à la FFB.

M. Éric Le Devéhat. - Nous avons réalisé un travail sur la « génération Z » et nous avons constaté un réel intérêt de cette génération que nous avons quand même parfois du mal à comprendre au sein de nos entreprises. Il existe un réel intérêt pour ces sujets et le patrimoine est plutôt porteur sur ces sujets en termes de matériaux et de techniques employées.

Par ailleurs, la mesure des appels d'offres à moins de 100 000 euros, qui constitue une facilité pour les maîtres d'ouvrage publics, n'est pas suffisamment utilisée dans le domaine du patrimoine. Pour les petites communes, il est plus léger de porter un appel d'offres simplifié à moins de 100 000 euros et cela constitue l'occasion de réaliser des travaux d'entretien qui permettraient d'éviter à moyen terme de devoir réaliser des travaux plus lourds et plus coûteux. Or, cette mesure est peu connue.

M. Thomas George. - La plupart des maires qui réalisent des travaux sur leurs bâtiments cherchent des subventions, mais les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) ont plutôt tendance à financer d'importants projets. Le Fonds incitatif et participatif (FIP) prévoit des enveloppes budgétaires pour les communes de moins de 10 000 habitants, mais ce dispositif reste peu connu des maires qui ont plutôt tendance à directement contacter les entreprises.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Avez-vous eu à gérer des projets qui sont passés devant la commission de recours après l'avis négatif d'un ABF ?

M. Thomas George. - Non, mais nous avons dernièrement répondu à un projet de conception-réalisation pour la restauration d'une banque de France à Lille. Nous avions constitué un groupement avec un gros oeuvre, une entreprise MH sur l'enveloppe (façade et couverture), un architecte du patrimoine et un architecte d'intérieur. Nous avons soumis un projet à l'ABF qui nous a expliqué son refus, ce qui a permis d'engager un dialogue pour modifier le projet. Du fait de ces échanges pour obtenir un accord officiel, les travaux ont finalement démarré six mois plus tard.

M. Éric Le Devéhat. - Je ne sais pas s'il existe une réelle commission de recours. Il me semble que le recours est adressé à l'ABF directement et que l'ABF reste souverain dans sa décision.

M. Stéphane Chenuet. - Il existe différentes possibilités de recours. Si l'ABF émet un refus dans le cadre d'un avis conforme qui lie le maire, ce dernier n'a pas d'autre choix que de refuser l'autorisation d'urbanisme. Deux recours sont dès lors possibles. Dans une première option, le maire lui-même peut engager un recours en sollicitant le préfet de région qui va saisir la commission régionale d'architecture et du patrimoine (CRPA), laquelle examinera si l'avis de l'ABF était pertinent ou s'il faut revenir sur cet avis. Cette commission rend un avis pour le préfet de région qui peut soit décider de valider l'avis que l'ABF avait émis, soit décider de revenir sur cet avis et émettre un avis qui remplace celui de l'ABF. Le cas échéant, le maire peut de nouveau instruire la demande de permis sans que la demande n'ait à être redéposée. Il est cependant très rare que les maires engagent des recours contre les ABF. Dans une seconde option, le pétitionnaire ayant fait l'objet d'un refus de permis se trouve dans l'obligation, s'il veut faire un recours, de saisir le préfet de région par le biais d'un recours administratif préalable obligatoire, afin de lui demander cette même procédure devant la CRPA. Si le préfet de région valide l'avis de l'ABF, le seul autre recours possible pour le pétitionnaire consiste à saisir le tribunal administratif pour un fait de refus de permis engendré par un avis négatif d'ABF. Les délais des tribunaux administratifs sont cependant très longs et difficilement conciliables avec le temps des opérationnels, raison pour laquelle cette procédure est rare. Quant à la procédure de médiation qui est prévue par la loi ELAN, elle n'est possible que dans le cas extrême d'un pétitionnaire qui n'a pas obtenu gain de cause auprès du préfet de région et qui saisit le tribunal administratif, pour demander au président du tribunal administratif de nommer un médiateur. Elle intervient donc lorsque le contentieux est déjà bien avancé. Or, nous souhaiterions pouvoir engager des médiations beaucoup plus rapidement, en amont même des refus de permis.

M. Thomas George. - Parfois, certaines entreprises ont du mal à accepter que leur projet soit refusé, mais cela résulte du fait que ce projet ne correspond pas au code du patrimoine qui est imposé. Apparemment cependant, seuls 7 % des dossiers se voient attribuer un refus catégorique d'ABF et il n'existerait que 0,2 % de recours. Pour les entreprises qui se plaignent de recevoir systématiquement des refus, il faudrait pouvoir leur en expliquer les raisons pour qu'elles changent de méthode.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Sur 100 dossiers négatifs, 7 dossiers reçoivent un avis négatif et, après négociation et discussions, seul 0,1 dossier enclenche une procédure de contestation.

M. Stéphane Chenuet. - En ce qui concerne le photovoltaïque, une instruction de 2020 vise à trouver une concordance entre le développement du photovoltaïque et la protection du patrimoine. Les entreprises du groupement photovoltaïque au sein de la FFB constatent cependant que les prescriptions faites par les ABF pour implanter du photovoltaïque quand ils l'autorisent, demandent une intégration au bâti, ce qui signifie que le panneau photovoltaïque doit remplacer la couverture, sachant que cela engendre des risques très forts de sinistralité que les assureurs ne veulent plus couvrir. Les ABF peuvent également imposer des contraintes de couleur, ce qui peut réduire le rendement des panneaux photovoltaïques, ou l'utilisation de matériau dont les coûts explosent. Il existe donc des possibilités, mais à des coûts qui ne seront parfois pas en cohérence avec ce qu'il est possible de faire pour certains maîtres d'ouvrage.

M. Thomas George. - Des projets de photovoltaïque sur les églises commencent à émerger, mais il faudrait prendre en compte la notion de visibilité de l'extérieur et de réversibilité. Les zones sauvegardées représentent par ailleurs 8 % du territoire français. Quand les 92 % restants du territoire auront été équipés en panneaux photovoltaïques, il sera toujours temps de s'occuper de ces 8 % plus tard. La plupart des populations vivent cependant dans des zones sauvegardées et il serait souhaitable de trouver des conciliations permettant d'éviter une visibilité directe de l'extérieur. En Belgique, des panneaux photovoltaïques ont été installés partout et ce n'est esthétiquement pas idéal. Il faudrait éviter cela, mais trouver un bon compromis entre les deux.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je voudrais revenir sur les recours contre les décisions négatives des ABF. Le maire a sept jours pour contester auprès du préfet de région un avis négatif de l'ABF. Le préfet de région statue après avis de la CRPA et en cas de silence du préfet, le projet est réputé approuvé. En cas de contestation de la décision négative du maire par le demandeur, le recours est adressé par le demandeur au préfet de région et le demandeur a la possibilité à ce moment de faire appel à un médiateur désigné par le président de la CRPA parmi les membres de cette commission titulaires d'un mandat électif. Le préfet saisit la CRPA qui émet un avis. Le médiateur intervient donc pour le pétitionnaire et non pas pour les collectivités.

M. Thomas George. - Il est dommage d'arriver à une procédure de recours avant même d'engager un dialogue qui pourrait apaiser tout le monde et permettre de trouver des solutions.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le manque de dialogue est un sujet fréquemment évoqué au cours des auditions que nous avons menées. Merci infiniment.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de MM. Laurent Roturier, président de l'association nationale des DRAC, directeur régional des affaires culturelles (DRAC) d'Île-de-France, et Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France, membre du bureau de l'association des DRAC

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous terminons aujourd'hui nos auditions par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), service déconcentré du ministère de la culture à l'échelon régional, dont dépendent les UDAP au sein desquelles exerce une grande partie des ABF. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Laurent Roturier, président de l'association nationale des DRAC et directeur régional des affaires culturelles d'Île-de-France et M. Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France et membre du bureau de l'association des DRAC. Cette mission est une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à Pierre-Jean Verzelen. Nous avons déjà mené plusieurs auditions et nous avons même ouvert notre cycle en recevant la Direction générale des patrimoines et de l'architecture, c'est-à-dire votre autorité hiérarchique, qui nous a fourni une analyse technique très approfondie. Nous avons également entendu plusieurs représentants d'élus locaux ainsi que des représentants de la profession d'ABF. L'éclairage central que vous pourrez nous apporter en tant que relais de la politique patrimoniale de l'État dans les territoires nous est maintenant indispensable pour compléter et éclairer ces points de vue parfois divergents qui se sont exprimés devant nous. Je vous propose de tenir un propos liminaire d'une vingtaine de minutes, après quoi je donnerai la parole au rapporteur et aux collègues présents à nos côtés.

M. Laurent Roturier, président de l'association nationale des DRAC et directeur régional des affaires culturelles d'Île-de-France. - Je voudrais vous remercier d'avoir souhaité auditionner l'association nationale des DRAC de France dans le cadre de votre mission dans un sujet d'importance que nous connaissons bien dans la mesure où les ABF sont sous notre autorité. Nous avons sollicité d'autres collègues des DRAC pour vous donner la photographie la plus précise possible, qui sera celle de témoignages d'acteurs de terrain mettant en oeuvre les orientations décidées par la ministre de la culture et les différentes administrations centrales dans l'ensemble des thématiques qui nous concernent, notamment celle du patrimoine. Merci également pour le questionnaire que vous avez bien voulu nous transmettre et qui nous a permis de préparer au mieux notre audition.

Les missions des DRAC ont été confirmées par le décret de 2010 dans l'ensemble des domaines que le ministère de la culture a à sa charge, que ce soit dans celui de la création, dans le soutien à l'action culturelle, ou dans le champ patrimonial. Nos missions dans le champ du patrimoine sont nombreuses, que ce soit en termes de monuments historiques, d'archéologie, de musées, mais d'abord en termes de protection. Dans le vocable des ABF, nous mettons beaucoup de choses et l'ABF est souvent devenu une figure symbolique qui cristallise un certain nombre de mécontentements, d'irritations et d'insatisfactions. Nous mettons en oeuvre nos métiers du ministère de la culture dans le champ du patrimoine à la fois dans nos équipes des conservations des monuments historiques, avec des conservateurs des monuments historiques qui vont agir sur les 44 000 édifices protégés au niveau national, mais également avec les architectes en chef des monuments historiques (ACMH) qui ont en charge la maîtrise d'oeuvre d'un certain nombre d'opérations, notamment pour les monuments appartenant à l'État, et avec les ABF qui ont un rôle bien défini, à la fois sur les abords des monuments historiques et dans le cadre de leurs missions de conservation d'un certain nombre de sites (dont les 86 cathédrales propriétés de l'État).

Nous disposons de 189 ABF à l'échelle nationale et environ 500 000 avis sont rendus chaque année (490 000), avec une forte augmentation sur la décennie écoulée, car les avis des ABF accompagnent la montée en puissance et le développement des territoires et dans les périodes d'expansion économique comme en sortie de crise sanitaire, le nombre des avis rendus par les ABF a sensiblement augmenté. Les principales missions des ABF consistent à sauvegarder, conserver et mettre en valeur les sites protégés qui relèvent du code du patrimoine (SPR, expertise sur les abords, PDA). Ils agissent également en interministériel, notamment dans le cadre départemental, en termes de sauvegarde des sites naturels protégés au titre du code de l'environnement. Ils rendent donc des avis pour le compte du ministère de la transition écologique au titre du code de l'environnement sur les sites classés et sur les sites inscrits. Ils participent aux commissions départementales de la nature, du paysage et des sites qui sont placées sous l'autorité de chaque préfet de département. Ils ont également une fonction de lien avec les services patrimoniaux de la DRAC pour agir dans la fonction de contrôle scientifique et technique avec des travaux sur les immeubles classés ou inscrits. Les UDAP sont notamment chargés d'établir les dossiers et de les transmettre. Ils peuvent aussi être conservateurs d'un certain nombre d'édifices, comme les cathédrales appartenant à l'État. Enfin, la quatrième grande mission des ABF est une mission de conseil au titre de la qualité paysagère. Environ 200 000 sont délivrés chaque année par les ABF dans le cadre de cette mission importante, bien que moins connue.

J'évoquais la hausse de l'activité qui a été constatée dans toutes les UDAP, à la fois en France métropolitaine, mais également dans les territoires ultramarins. Dans les territoires ultramarins d'ailleurs, les DRAC ont une fonction un peu plus élargie pour englober une fonction de conservateur régional des monuments historiques (CRMH) avec une compétence métier patrimoine importante. La présence des ABF dans les territoires ultramarins constitue un sujet d'importance pour accompagner la qualité paysagère et patrimoniale sur ces sujets. 490 000 avis ont été rendus en 2023 contre 300 000 en 2010 avec une très forte hausse en sortie de crise sanitaire. À l'aune des avis rendus par les différentes UDAP, nous avons pu voir comment nos concitoyens s'étaient emparés du sujet, notamment en Île-de-France : les autorisations pour le département des Yvelines ont dépassé celles données sur Paris en 2022. Le délai moyen d'instruction reste stable autour de 22 jours et le nombre de refus s'élève autour de 6 % à 7 % au niveau national, variable d'un territoire à un autre. Un peu moins d'un millier de recours sont déposés chaque année, à mettre en parallèle avec les 490 000 avis rendus. Depuis la circulaire mise en place par la ministre de la culture après la loi Élan, la médiation et les dispositifs de recours sont fortement montés en puissance. Les recours sont gérés par la CRPA présidée par un élu et deux maires sont en charge de la médiation dans la région Île-de-France. Ce dispositif de médiation aboutit dans la plupart du temps à un accord (80 % à 90 % d'accords en processus de médiation).

En ce qui concerne l'évolution des métiers en lien avec l'évolution des technologies, il faut noter le déploiement du logiciel Patronum qui consiste à dématérialiser l'ensemble des autorisations d'urbanisme sur toute la chaîne, depuis le départ en collectivité jusqu'à l'arrivée au sein de l'UDAP. Cela n'allège pas le temps de travail de l'ABF, mais celui de ses équipes.

Ces dernières années, nous avons rencontré des difficultés en termes de ressources humaines et de recrutement. L'attrait de la profession s'est étiolé et cela se constate par la baisse des inscriptions au concours. Il faut prendre en compte le fait que, de manière générale, le concours est considéré par les nouvelles générations comme un repoussoir plutôt que comme un attrait comme cela a pu être le cas pour nos générations. Cela s'est traduit par une réduction drastique des inscriptions au concours de l'École de Chaillot (quatre et trois élèves retenus pour douze postes ouverts pendant deux années). Cette attractivité est questionnée et sans la compétence et sans experts métiers, il sera difficile d'assurer les missions. Le ministère de la culture a été très proactif en permettant le recours à des architectes contractuels, mais ces derniers n'ont pas la possibilité de signer les actes. Il faut donc encore faire des efforts pour rendre ce métier attractif, d'autant qu'il est important que la France conserve la qualité de ses paysages et de son patrimoine. Par ailleurs, les réformes successives de l'État ont contribué au fait que les ABF constituent désormais les derniers services bénéficiant d'une expertise en termes de droit du sol. Dès lors que les Directions départementales des territoires (DDT) n'ont plus le rôle de l'instruction des permis de construire, les élus, notamment en zone rurale, se retournent vers les ABF pour leur demander une expertise métier droit du sol. Les ABF accompagnent par ailleurs les collectivités, notamment les collectivités les plus petites et les collectivités rurales sur la question de la maîtrise d'ouvrage.

Les DRAC sont d'ardents promoteurs du travail accompli par les ABF, de l'action qui est la leur, de l'ampleur des tâches qui leur incombe et de leur qualité d'expertise - même si nous sommes conscients des difficultés que nous essayons de résoudre. Nous sommes à l'aube de transitions et de transformations très importantes, notamment sur la transition écologique, avec par exemple la question de l'isolation thermique des bâtiments par l'extérieur, dont on peut craindre une forme d'uniformisation et une perte de la qualité de nos travaux. Cela nous incite à travailler en interministériel. En Île-de-France, nous avons pris l'initiative de travailler avec nos collègues de la direction régionale et interdépartementale de l'environnement, de l'aménagement et des transports (DRIEAT) d'Île-de-France.

M. Hilaire Multon, directeur régional des affaires culturelles des Hauts-de-France et membre du bureau de l'association des DRAC. - Le président de l'association a une vue large et je vais pour ma part donner des exemples concrets. Les UDAP constituent des services très importants pour un ministère qui n'a pas de niveau départemental et sont des interlocuteurs réguliers des élus, notamment dans les départements très éloignés des villes centres. J'ai la chance d'être à la tête d'une DRAC dans une région de cinq départements, ce qui permet d'aider dans le rapport au préfet. L'État doit fonctionner avec une logique très interministérielle et nous nous y appliquons, mais cela n'est pas transposable à l'ensemble des régions. Il s'agit de relations d'autorité : le directeur ou la directrice régional(e) constitue l'autorité hiérarchique des UDAP. Nous les évaluons et leur donnons un cap et ils sont régulièrement présents dans les réunions départementales qui se tiennent sous l'autorité des préfets et des préfètes de département le lundi matin en cas de sujets sensibles. Ils ont une relation fonctionnelle de travail, constante et régulière, à laquelle nous les incitons. Nous animons par ailleurs notre réseau des ABF : chaque DRAC comprend un collège des ABF auquel nous associons l'ensemble des acteurs de la chaîne patrimoniale, de l'archéologue jusqu'au conservateur. Avec les politiques des abords, cette relation de travail entre les conservations régionales des monuments historiques et les UDAP est essentielle, avec une notion de collégialité quand il s'agit d'instruire un projet de restauration. Nous nous employons à entretenir cette relation de travail à travers les collèges ABF qui donnent de grandes orientations. Nous travaillons à l'élaboration de guides d'intervention, d'autant plus que dans certaines régions, l'État a une politique prioritaire, avec une attention, des moyens et des leviers d'investissement particuliers. Nous rappelons aux agents qui sont sous notre autorité qu'il existe des engagements interministériels en termes de développement, d'attentions de populations, de spécificités.

Sur la question des crédits, il existe des crédits d'entretien courant des monuments historiques placés sous la responsabilité de l'État comme les cathédrales ou d'autres propriétés dont on doit assurer la conservation. Des lignes de crédits sont dédiées chaque année pour cette conservation et nous nous adaptons par rapport aux besoins. Le chef de l'UDAP ou l'un de ses adjoints est responsable unique de sécurité et conservateur des monuments de l'État.

En ce qui concerne les recours, nous sommes passés dans les Hauts-de-France de 38 000 avis à 40 000 avis de 2022 à 2023 et tous les départements sont concernés. Le nombre de recours est stable autour de 90. Ils sont instruits en CRPA et nous avons désigné une médiatrice élue pour assurer ces médiations qui ont effectivement doublé, ce qui illustre le caractère vertueux de cette logique.

Les PDA sont particulièrement lourds, car ils nécessitent une enquête publique et la sollicitation des élus à travers les assemblées délibérantes, ce qui se fait sur un temps long. Des propositions pourraient être faites, lorsque nous protégeons un site historique, de mettre en place un PDA, dans ce même mouvement de protection qui est au coeur des politiques du ministère de la culture qui sont suivies et qui sont donc placées sous la signature des préfets. Dans les Hauts-de-France, il existe très peu de PDA, sauf dans le département de la Somme qui en cumule 140 (sur les 3 000 PDA au niveau national). Cela suppose une souplesse législative, une capacité à accompagner les collectivités dans cette procédure.

En ce qui concerne enfin les obstacles, et notamment celui des effectifs, la mission d'accompagnement de l'urbanisation, des projets de développement économique et des projets d'aménagement en abord des monuments historiques, avec les politiques portées par le programme Action Coeur de ville, est très importante. Cependant, les effectifs sont constants en matière de plafond d'emploi. Pour avoir davantage d'effectifs au sein des UDAP, il faut donc les prendre ailleurs, ce que j'ai fait et ce que les syndicats m'ont d'ailleurs reproché. Je voulais qu'il soit possible de remplacer un ABF en cas d'absence. Les carrières des ABF sont aujourd'hui peu attractives et construire des liens pérennes avec les écoles d'architecture suppose de mieux se connaître et d'organiser des journées dédiées à l'architecture du patrimoine, ce que nous avons pu faire et ce que certains collègues ont fait avec le soutien du ministère auprès du réseau des écoles nationales d'architecture.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous comprenons bien l'explosion des missions et l'inflation des demandes en face d'effectifs constants ou en diminution qui rendent l'équation compliquée. Nous entendons par ailleurs les difficultés de recrutement qui sont vraies dans ces métiers, mais également dans toute la fonction publique et même dans tous les métiers. De nombreux collègues remontent le fait qu'ils travaillent très bien avec les ABF et les UDAP, mais sur certains territoires et à certaines périodes, des ABF ont pu cristalliser énormément de difficultés. Comment peut-on gérer ce type de situations qui peuvent mettre en difficulté les maires et les citoyens dans un territoire ?

Souvent est revenue l'idée d'une forme de cahier des charges ou de guide à l'échelle des territoires à destination des maires. Est-ce souhaitable et cela vous paraît-il réalisable ?

Sur le sujet des recours, le médiateur semble très connu pour tous ceux qui sont dans le métier, mais je ne suis pas certain que cela le soit pour la population ni même pour les élus. Il faudrait donc mieux faire connaître leur rôle et ce qu'ils font. Quant aux commissions de recours, ne serait-il pas préférable de les départementaliser ? Peut-être pour améliorer les délais de traitement, mais surtout pour que les élus locaux sachent qui y siège.

M. Laurent Roturier. - Sur la question des ressources humaines, les UDAP sont de toutes petites équipes de 4 agents jusqu'à 16 pour les plus importantes. Dès qu'il manque une personne, cela met les équipes en difficultés et en tension, ce qui peut crisper la relation avec ceux qui sollicitent les UDAP. Un dossier qui n'a pas pu être traité dans les délais équivaut à un accord tacite. S'agissant des situations difficiles, je pense qu'il existe une question de génération et il faut tenir compte du fait que les métiers ont évolué. Pour l'avoir vécu dans plusieurs DRAC maintenant, les nouvelles générations sont extrêmement bien formées, compétentes et imprégnées de la question de la négociation. Les chefs de service ont par ailleurs un rôle à jouer dans ces situations. Quant à la médiation, elle est issue d'une circulaire de 2019 mettant en place ce dispositif, dont nous pouvons témoigner qu'il est extrêmement précieux, apprécié et utile, puisque dans l'immense majorité des cas, nous parvenons à trouver un accord avec le pétitionnaire. Ce dispositif mériterait d'être mieux connu. En Île-de-France, il s'est traduit par un doublement avec deux maires qui assurent ce travail. Lorsqu'il n'est pas possible de trouver des solutions, il existe toujours la possibilité de faire des recours auprès de la CRPA qui se réunit tous les mois. L'ABF a le pouvoir de prescription, ainsi que le rôle de veiller à l'application de règles définies par la commune ou l'intercommunalité.

En ce qui concerne la départementalisation des commissions de recours, nous n'y sommes pas favorables, car nous sommes de petits services peu nombreux et qu'il faut trouver la bonne distance en prenant du recul. La commission de recours est présidée par un élu. Le niveau régional semble constituer un bon échelon, sachant que le la commission de recours envoie seulement un avis au préfet de région qui prend la décision.

S'agissant du travail en direction des territoires, je crois beaucoup au guide avec les CAUE et je pense qu'il faut renforcer les passerelles entre les CAUE et les missions des ABF, notamment sur toute la partie relative aux conseils, car les CAUE comprennent des compétences métiers relativement similaires.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez dit que le nombre de médiations a doublé, sachant que la médiation n'intervient que lorsqu'un pétitionnaire n'est pas d'accord avec l'avis de l'ABF transmis par le maire. La médiation se déroule-t-elle toujours avec succès ?

Nous avons conscience de la large étendue des missions des ABF, et vous avez notamment cité la mission de RUS. Si nous souhaitions leur retirer cette mission, quels seraient les services départementaux les plus adaptés pour reprendre cette mission ?

Vous avez parlé de l'attractivité du métier et des effectifs et nous constatons que le nombre d'ABF est peu élevé. Au sein des UDAP, seuls les ABF ont-ils la possibilité de signer les avis ?

L'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) est exercée par les ABF à titre expérimental en Bretagne. Si nous généralisions cette mission à tous les départements, combien d'ABF supplémentaires cela nécessiterait-il ?

En ce qui concerne le guide d'intervention, vous avez dit que vous étiez en cours d'élaboration d'un tel guide dans les Hauts-de-France. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Laurent Roturier. - Nous menons environ 25 médiations par an et le succès de cette procédure est réel, car la moitié de ces médiations conduit à un retrait du recours. Les recours ont été acceptés dans 5 cas et rejetés dans 5 autres cas. Ce dispositif aboutit donc à 75 % ou 80 % à des accords et mériterait d'être plus connu, car il est efficace.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Ne pensez-vous pas qu'en insistant sur l'accompagnement, les recours seraient encore moins nombreux ?

M. Laurent Roturier. - Les recours sont très peu nombreux (0,1 % ou 0,2 %).

M. Vincent Éblé. - Il serait intéressant de connaître la part du contentieux parmi ces recours, au-delà de ceux qui sont retirés et de ceux qui donnent lieu à un accord.

M. Laurent Roturier. - En Île-de-France, 8 recours ont été portés au tribunal administratif en 2023, contre 6 en 2019, sur un total de 67 709 avis rendus par les ABF. Le nombre de recours est donc très faible, mais symboliquement, un refus a un poids important.

En ce qui concerne les missions de RUS pour les cathédrales, il s'agit d'un sujet traité dans le cadre du plan cathédrales et il est remonté la nécessité de renforcer la capacité des ABF à exercer cette mission, notamment en mettant à leurs côtés toute une série d'assistance à maitrise d'ouvrage (AMO) spécialisées (sécurité incendie, sûreté, etc.) afin qu'ils puissent mobiliser des compétences qui les dépassent. Il faut savoir que jusqu'à l'incendie de Notre-Dame, les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et les pompiers considéraient qu'il n'existait pas de problème de sécurité incendie au sein des cathédrales du fait de la hauteur des édifices notamment. Cette notion n'est cependant plus la même aujourd'hui, mais il est ressorti des ateliers la nécessité de disposer de compétences qui ne sont pas aujourd'hui celles des ABF afin d'assurer la mission de RUS. À la question de savoir qui assurerait ce rôle si ce n'est les ABF, les cathédrales sont des propriétés de l'État et les mêmes problématiques se retrouveraient si ce rôle était assuré par la DDT par exemple.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le SDIS intervient sur des bâtiments appartenant à la commune. Il pourrait dès lors être envisagé que le SDIS assume cette mission.

M. Laurent Roturier. - Un certain nombre de SDIS ont accepté que des alarmes soient reliées à leur centre d'intervention.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Où prendriez-vous l'AMO que vous suggérez ?

M. Laurent Roturier. - Il s'agirait de faire appel à des prestataires privés externes spécialisés dans le champ de la sûreté. Sur la question de la généralisation de l'AMO comme en Bretagne, il nous faudrait deux, voire trois ABF par département, sachant que la moitié des départements a actuellement un seul ABF.

Sur la question du guide, le directeur régional des affaires culturelles de la région Auvergne-Rhône-Alpes explique qu'il a consacré dans son document stratégique toute une partie relative à l'architecture, avec comme point d'entrée principal l'urbanisme. Il cite notamment le site de l'Hôtel-Dieu à Clermont-Ferrand dont le bâtiment va se transformer en bibliothèque. Je vous ferai parvenir ce document.

M. Hilaire Multon. - Les guides s'adaptent à la structure du bâti et aux typologies régionales. Les ABF travaillent donc déjà avec les collectivités, les départements, les CAUE, les EPCI parfois, pour définir des cadres d'intervention. Dans l'Oise par exemple, une charte d'intervention sur les commerces a été définie entre la ville de Beauvais et l'ABF de l'Oise. Cette coordination passe aussi par la promotion de l'architecture et donc par un travail de réseau et d'animation.

Sur les RUS et les moyens supplémentaires via l'AMO, cela est déjà en oeuvre avec les SDIS et des prestataires afin d'assurer une chaîne de sécurité. Le rôle de RUS soulève des enjeux importants, dont celui des astreintes, sachant que les ABF sont présents au niveau local en proximité. Sa compétence doit être assortie de moyens complémentaires et la plupart des SDIS procèdent aujourd'hui à des exercices en grandeur réelle.

Les guides d'intervention supposent un travail interministériel. Nos services sont souvent pris dans des injonctions contradictoires avec les différentes politiques de l'État. Aux côtés des ABF au sein des UDAP, il existe des ingénieurs, des techniciens et des agents administratifs qui commencent l'instruction et qui sont d'ailleurs très bien identifiés par les élus. Dans le cadre des projets de service que nous portons dans chaque DRAC, j'ai demandé à chaque chef d'UDAP de faire une cartographie de son territoire, ce qui suppose d'avoir un bon niveau de dialogue avec les élus et leurs représentants. Il est ainsi souhaitable d'avoir un temps d'échange lors des assemblées d'élus. Se pose la question des points de blocage et s'il est possible de faire évoluer un certain nombre d'interlocuteurs au sein d'un service, cela reste parfois très contraint.

Mme Monique de Marco. - En ce qui concerne le problème d'attractivité et d'inscription au concours, le président de l'ANABF a évoqué plusieurs pistes comme le fait de revoir le concours d'accès et la formation à l'École de Chaillot. Que fausdrait-il faire pour rendre cette profession attractive ?

Mme Sabine Drexler. - Quelle est l'école pour former un ABF ? Est-ce seulement l'École de Chaillot ou est-ce possible de suivre une formation dans une autre école ?

Vous disiez que les métiers étaient peu attractifs, mais tous les postes d'étudiants sont-ils occupés actuellement ? Existe-t-il suffisamment de candidats à ces écoles ?

Quel est votre avis sur le DPE actuel ? Est-il adapté au bâti patrimonial ?

Vous avez dit que la ministre s'était saisie du sujet de l'isolation extérieure. Pourriez-vous nous en dire davantage ?

M. Adel Ziane. - Merci pour cette présentation détaillée et pour avoir remis en perspective la diversité des activités et des missions des ABF ainsi que la lourdeur de leur tâche, d'autant qu'avec 189 ABF et 500 000 dossiers par an, cela fait 2 500 dossiers par ABF par an, d'où le travail de médiation qui est proposé. Nous avons également pris en considération les problématiques RH avec l'explosion du nombre de dossiers à traiter, mais des effectifs stables. Je souligne, en tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, le travail que nous menons avec la DRAC Île-de-France dont je remercie le président et les équipes.

Je voudrais insister sur le trio entre l'ABF, les services d'urbanisme et d'aménagement et l'élu en amont des médiations avec les pétitionnaires afin d'essayer de trouver des solutions. Je distingue en cela les territoires très urbanisés et le rural où les difficultés sont supérieures, car les services n'y sont pas toujours bien dotés.

J'insiste aussi sur le travail réalisé par les ABF, en particulier en Seine-Saint-Denis, sur un territoire en profonde mutation, où le regard et l'oeil des ABF sont essentiels sur le patrimoine industriel en pleine transformation et que nous voulons préserver.

Comment par ailleurs corréler ou adapter ce patrimoine industriel en mutation avec les normes écologiques comme le DPE qui parfois entrent en contradiction avec ce qu'il est possible de faire (l'isolation thermique par l'extérieur n'est pas toujours possible sur les bâtiments anciens) ? Comment travaillez-vous sur ce sujet et que faites-vous pour harmoniser autant que faire se peut les pratiques ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - S'agissant des recours, la DGPA nous a indiqué en réponse à notre questionnaire que les procédures de conciliation, à distinguer de la médiation, étaient abondamment utilisées par certaines DRAC, ce qui permettait d'éviter de nombreux recours dans certains départements. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. Laurent Roturier. - En ce qui concerne l'attractivité du métier et la formation, le ministère de la culture doit engager un travail de pédagogie et d'explication de ces métiers. Nous avons notamment pris l'initiative en Île-de-France d'intervenir systématiquement devant les étudiants des écoles d'architecture pour expliquer ce qu'est le métier d'ABF et les inciter à préparer les concours. Le concours peut certes poser question, mais comment assurer l'égalité de tous pour l'accès aux charges publiques sans concours ? Ce travail de pédagogie en direction des étudiants doit être amplifié et systématisé et il faudrait même intégrer dans les cursus des écoles d'architecture un module de formation aux métiers du patrimoine. Nous devons par ailleurs mieux communiquer, peut-être par le biais de campagnes nationales de communication du ministère de la culture. Quant à savoir si seule l'École de Chaillot forme les ABF, cette école présente un gage de qualité, mais nous ne pouvons pas en tant que DRAC anticiper et dire si seule l'École de Chaillot formera les ABF à l'avenir. Le nombre d'inscrits au concours reste cependant faible et je partage vos préoccupations à ce sujet.

En ce qui concerne le DPE, un groupe de travail piloté par la direction des patrimoines a été constitué pour étudier le sujet et je suppose que la représentation nationale sera la première informée des travaux de ce groupe de travail.

Merci pour l'appréciation portée sur le travail avec les collègues de la DRAC en Seine-Saint-Denis. Le sujet du patrimoine industriel est évidemment concerné. À titre d'exemples réussis, nous avons participé au travail de la société de livraison des ouvrages olympiques (SOLIDEO). Tout est question de conciliation afin de trouver les bonnes solutions pour conserver ce bâti remarquable.

Nous croyons fortement que les PDA constituent une très bonne solution pour supprimer les différents conflits survenant autour de la notion de périmètre de 500 mètres. Nous avons d'ailleurs une proposition très simple à mettre en oeuvre et qui aura immédiatement un effet, à savoir la suppression de l'obligation d'enquête publique lorsque le PDA est inférieur au périmètre des 500 mètres.

En ce qui concerne les procédures de conciliation, elles sont utilisées dans le cadre du travail d'information en amont afin de limiter le nombre de recours.

M. Hilaire Multon. - Je voudrais illustrer par quelques exemples concrets. Le PDA permet à certains grands projets d'avancer, mais il peut constituer un point de blocage. Nous travaillons notamment sur les projets de patrimoine industriel délaissé (les friches) et la problématique est souvent liée à un projet de reprise et de développement économique. S'agissant par exemple d'une sucrerie dans la Somme, le projet de développement permet à l'ABF de proposer un PDA adapté au seul périmètre du bâtiment. Or, la démarche d'enquête publique nécessite un certain temps d'écoute entre le pétitionnaire, l'élu et l'ABF et la réponse qui est apportée porte en réalité sur les futures protections.

En ce qui concerne la rénovation par isolation par l'extérieur, vous parliez des diagnostics obligatoires dans le cadre législatif de la transition énergétique. Un groupe de travail de la sous-direction des monuments historiques et de la direction du logement travaille sur le patrimoine ancien pour construire une législation spécifique sur le patrimoine ancien.

Quant à savoir quelle école forme les ABF, il existe deux voies, à savoir celle des architectes urbanistes de l'État qui travaillent au sein du ministère de la transition écologique et celle des ABF. L'adaptation aux territoires passe cependant aussi par une école qui a des exigences, l'historique et des savoir-faire et qui travaille avec le réseau des écoles nationales d'architecture. Nous sommes attachés à créer des passerelles afin que les ABF et les architectes du patrimoine présentent leurs activités aux jeunes architectes.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci infiniment de vous être déplacés et pour la qualité de nos échanges.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 15 mai 2024
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Audition de Mme Françoise Gatel, sénateur, Présidente de l'association « Petites cités de caractère » de France, MM. Martin Malvy, président, et Jonathan Fedy, directeur-adjoint, de Sites & Cités remarquables de France

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous recevons aujourd'hui les représentants des communes concernées au premier chef par la politique publique sur laquelle nous nous penchons, c'est-à-dire les communes ayant la chance de disposer d'un patrimoine architectural, mais également du devoir d'en assurer la protection et la valorisation.

Nous avons le plaisir d'accueillir notre collègue Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et également présidente de l'association Petites cités de caractère, et Martin Malvy, président de l'association Sites & Cités remarquables de France.

Je vous remercie de vous être rendus disponibles afin d'éclairer les travaux de notre mission consacrée aux architectes bâtiments de France (ABF). Je rappelle que l'initiative de cette mission revient au groupe Les Indépendants - République et Territoires. Le rapporteur est Pierre-Jean Verzelen.

Nous sommes convaincus que vous pourrez nous apporter un témoignage de première main sur la manière dont vos adhérents travaillent avec les ABF pour relever le défi immense de la protection et de la valorisation de leur héritage architectural avec, parfois, des moyens humains, juridiques et financiers un peu limités.

Je ne vous apprends rien en indiquant que l'ABF est parfois une figure controversée dans notre assemblée d'élus locaux, l'exercice de ses pouvoirs de contrôle dans les zones protégées pouvant occasionner des frictions avec les élus et les porteurs de projets. En tant qu'élue locale du département de la Drôme, je salue leur implication qui permet de préserver la beauté de nos sites et leur potentiel touristique (qui représente, selon les propos tenus au cours d'une précédente audition, 8 % du PIB, ce qui n'est pas négligeable).

Je vous passe la parole, puis laisserai notre rapporteur poser une première série de questions.

Mme Françoise Gatel, présidente de l'association Petites cités de caractère. - Je suis accompagnée de Laurent Mazurier, directeur de l'association Petites cités de caractère.

Je suis très heureuse d'intervenir aujourd'hui et de partager cette audition avec Martin Malvy, président de nombreuses associations patrimoniales, dont certaines ont pu s'afficher sur les grilles du Jardin du Luxembourg à l'occasion d'une exposition valorisant nos territoires.

Vous l'avez dit : le terme « ABF » génère beaucoup de passions, qui relèvent davantage de l'agacement que de l'enthousiasme spontané. Tous les ans, j'interviens à l'École de Chaillot, qui forme les futurs ABF. Je débute toujours mes propos en leur indiquant que les élus locaux les considèrent comme des « contrariants », au même titre que la DREAL et l'Inrap. C'est une réalité. Actuellement, des méthodes de travail sont élaborées afin de servir la cause portée par les ABF et les élus locaux. Le patrimoine bâti doit être un objet vivant et ouvert au public. Il fait partie de l'identité d'une société et se base sur des savoir-faire et des modes de vie qui méritent tout notre intérêt, car je crois qu'il s'agit de leviers d'avenir.

Laissez-moi vous raconter comment est née l'association Petites cités de caractère. Il y a bientôt cinquante ans, six maires de petites communes de Bretagne ont décidé de valoriser le patrimoine de leur commune respective, jugeant qu'il relevait de l'histoire de la Bretagne ou de la France. Les six maires ont donc eu l'idée de rencontrer le président du Conseil régional de Bretagne et l'ont convaincu que ce patrimoine représentait un réel levier de développement touristique pour les territoires ruraux, qui permettrait à terme de créer de nouveaux emplois et de remettre en lumière certaines petites communes. Le président de la région a jugé l'idée fort intéressante. Un compagnonnage a été initié et se poursuit encore aujourd'hui. Ces communes se sont ainsi regroupées dans une association qu'elles ont décidé d'appeler Petites cités de caractère. Aujourd'hui, elles sont 239 à travers toute la France. Je souligne la vitalité de ces communes et la fierté des habitants. Ce patrimoine est un levier extraordinaire et nous défendons cette idée. Naturellement, nous réalisons cette démarche avec l'aide des ABF.

Quelle relation entretenons-nous avec les AFB ? Les communes de cinq cents habitants n'ont pas les moyens financiers permettant de rénover leur patrimoine. Au-delà du manque de moyens, elles doivent conduire un projet qui n'a de sens que s'il implique un écosystème, une harmonie de l'environnement du bâtiment, comprenant la rénovation de domaines privés. C'est là que nous rentrons souvent en conflit avec l'ABF.

S'agissant de la proposition d'une loi de simplification de l'urbanisme émise précédemment par le Sénat, supprimer l'ABF reviendrait à supprimer à terme le patrimoine et à perdre la valeur ajoutée d'un territoire. Plutôt que de provoquer des conflits, parce que l'ABF n'a pas le temps de se déplacer, parce que l'acquéreur du bâtiment n'a volontairement pas été informé ni par le notaire ni par l'agent immobilier des contraintes liées à la maison, parce qu'il existe des incompréhensions, je pense que le patrimoine doit être un projet partagé par une commune et ses habitants. Hier, au ministère de la culture, nous avons donc proposé, dans le cadre du Printemps de la ruralité, de mettre en place une expérimentation afin d'assainir les relations entre les ABF, les maires et les habitants et de préserver ce qui est parfois l'unique levier de développement dans des territoires ruraux. Il convient de travailler différemment. Sur la base du volontariat des communes, nous proposons que soit annexé au plan local d'urbanisme (PLU) un document « d'urbanisme patrimonial ». Ce document serait élaboré en amont avec les habitants, les ABF et les artisans afin de déterminer, au sein de la commune, le périmètre et les actions à engager sur le patrimoine, rue par rue. Il s'agirait donc d'un projet partagé, engageant l'ensemble des acteurs et permettant aux ABF se succédant de s'y référer. Face à cette proposition, certains ont indiqué qu'elle risquait de prendre du temps. Malgré tout, les consultations d'ABF prennent actuellement beaucoup de temps, sont agaçantes et ne produisent aucun résultat. Au sein de Petites cités de caractère, la plupart des communes dénombrent cinq cents habitants ou moins ; leurs élus sont les premiers à porter le patrimoine, parce qu'ils sont convaincus qu'il s'agit de leur avenir et qu'ils veulent donner un usage au patrimoine restauré. À titre d'exemple, j'ai été longtemps maire d'une Petite Cité de Caractère. Nous avons restauré une chapelle romane lui avons donné un usage : nous l'avons ainsi réhabilitée en centre d'art contemporain, accueillant des résidences d'artistes, des enfants et des enseignants.

Par ailleurs, je pense que les ABF sont très en souffrance et qu'ils n'osent plus venir dans les communes, compte tenu des conflits qui s'engagent.

Enfin, pour faire le lien avec la mission portant sur la rénovation thermique des bâtiments, il me semble que le plus grand ennemi actuel de notre patrimoine est le diagnostic de performance énergétique (DPE). En effet, ce DPE correspond à des bâtiments du vingtième siècle. Or, comme vous le savez tous, le bâti ancien présente une cohérence, une logique. Il existe depuis mille ans. S'il est décrété que le bâti ancien ne peut pas être loué dans les villes parce qu'il ne répondra jamais à un DPE du vingtième siècle, alors tout le centre-ville sera condamné, au moment même où le patrimoine contribue à ramener de la vie et de l'activité. Je me répète, mais je plaide pour mettre en place un DPE spécifique bâti. La ministre de la culture tente de convaincre en ce sens le ministère de l'environnement.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous sommes tous d'accord avec vous.

M. Martin Malvy, président de Sites & Cités remarquables de France. - Je suis accompagné par Jonathan Fedy, directeur adjoint de l'association Sites & Cités remarquables de France, association ayant pris cette appellation après la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016. Auparavant, elle s'appelait l'association Villes et Pays d'art et d'histoire.

Notre association, créée il y a vingt ans, dénombre trois cents villes ou territoires au sein desquels nous discutons du patrimoine. Je dis « villes ou territoires », car de nombreuses intercommunalités, intégrant chacune cinquante ou soixante communes, adhèrent. Ces chiffres sont un peu faussés par la présence de Paris. Notre objectif est d'abord la protection du patrimoine, puis sa mise en valeur, ses usages et, en bout de piste, l'économie touristique (qui, dans certains cas, tient grâce à la présence du patrimoine). Les 8 % du PIB que vous évoquiez plus haut ne concernent pas uniquement le tourisme patrimonial, mais bien le tourisme dans sa globalité. Malgré tout, l'importance du patrimoine est évidente, à la fois sur le plan de l'Histoire, des traditions, des métiers et du développement économique.

L'association a été créée avec l'aide du sénateur Michel Bouvard, d'Yves Dauge, député-maire de Chinon, Jean Rouger, député-maire de Saintes, et moi-même.

La question du jour est celle des ABF. Je tiens à rappeler le discours d'André Malraux, en 1962, au cours duquel il alerte les députés, leur demandant d'imaginer ce qu'il adviendrait des quais de Seine, des abords de la cathédrale de Notre-Dame de Paris ou du château de Versailles sans protection du patrimoine. Il ne faut pas oublier cette période-là, qui était l'époque d'une France totalement défigurée. Des progrès considérables ont été réalisés dans la protection du patrimoine et je regrette que ceux-ci soient passés sous silence. Pourtant, la France d'aujourd'hui ne ressemble pas à la France défigurée d'il y a cinquante ans. C'était pourtant il y a peu. Je suis très inquiet par cet oubli et cet effacement de la mémoire.

J'ai récemment échangé avec un ami médecin qui venait d'être opéré. Il m'a expliqué qu'il était tombé sur un mauvais chirurgien : il me semble qu'il est plus problématique de tomber sur un mauvais chirurgien que sur un ABF un peu têtu. Si ce travail de restauration de la France a été initié, c'est en grande partie grâce aux ABF. Attention à la ruée vers les ABF, mais attention également à la mise en cause des élus locaux, et notamment des maires, en cas de suppression de l'avis conforme de l'ABF. C'est bien le maire qui se retrouve en première ligne et qui rencontre les mêmes problèmes que les ABF aujourd'hui. J'ai moi-même été élu très longtemps et je connais de nombreux maires : ils n'ont pas tous la fibre patrimoniale.

Par ailleurs, dans nos congrès, je n'ai jamais été confronté à des protestations contre les ABF. J'ai parfois entendu certains traiter un ABF « d'enquiquineur », mais personne n'a jamais remis en cause la fonction même d'ABF. J'aimerais également attirer votre attention sur un point : les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) dénombrent, entre les ABF et les techniciens, sept cents personnes. Elles traitent annuellement quatre cent mille dossiers d'après le ministère de la culture, et cinq cent mille d'après l'association des Architectes de France, soit plus de sept cents dossiers par individu. Le problème majeur est qu'il n'y ait pas deux ou trois cents ABF et collaborateurs des UDAP sur le terrain. Les ABF en sont incapables.

J'ai été maire pendant trente ans de Figeac, une ville de dix mille habitants. À l'époque, deux ABF, accompagnés de quatre ou cinq collaborateurs, nous rendaient visite tous les dix jours environ. Dorénavant, il n'y a plus qu'un ABF, alors que le nombre de dossiers à traiter a été multiplié par dix ou vingt ; ce nombre continue d'ailleurs à augmenter, compte tenu notamment des problèmes liés au changement climatique.

Oui, il faut préserver les ABF, l'avis conforme et le maire dans sa démarche patrimoniale, mais il convient pour cela d'améliorer les équipes. Je ne parle pas de milliers d'emplois : deux ou trois cents postes supplémentaires devraient suffire.

Je suis très inquiet quant à cette chasse aux ABF, qui finira par se retourner contre le patrimoine. Pour autant, et j'insiste sur ce point, cela ne signifie pas qu'il ne faut pas faire évoluer leur approche. La fonction même de l'ABF est nécessaire et la France d'aujourd'hui ne serait pas ce qu'elle est si son patrimoine n'avait pas été protégé au fil du temps.

En trente ans de vie municipale, je n'ai jamais rencontré de conflits réels avec les ABF. Pourquoi ? Parce qu'à l'époque, ils avaient le temps de nous rendre visite, de discuter avec nous et nos concitoyens, ce qui est aujourd'hui totalement exclu. À présent, soit nous nous contentons de la situation actuelle, et le système sera alors voué à disparaître d'ici quelques années, soit nous faisons évoluer l'approche afin d'améliorer le contexte dans lequel s'inscrivent les ABF.

Françoise Gatel a évoqué l'exposition mise en place sur les grilles du Jardin du Luxembourg. Cet événement a été organisé par l'association que nous avons créée ensemble, à savoir « France, Patrimoines et Territoires d'exception », qui est une association dont je suis pour l'instant le président, regroupant la Fédération des parcs naturels régionaux de France, les Plus Beaux Détours de France, les Plus Beaux Villages de France, les Petites cités de caractère, le Réseau des Grands Sites de France et les Villes et Métiers d'Art. Le but de ces associations n'est pas de se substituer aux autres, chacune répondant à un objectif différent. Elles ne sont pas en compétition. Toutes, d'une manière ou d'une autre, sont l'émanation d'une collectivité locale.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour vos propos respectifs. Vous le savez, nous sommes pour beaucoup membres de la commission de la Culture et sommes très attachés au patrimoine et à sa protection. C'est une idée pertinente que d'avoir mis sur la table le choix de cette mission d'information portant sur les ABF. Nous sommes nombreux à régulièrement, et parfois de manière transpartisane, à souligner le manque de personnel. Vous relevez chacun un point qui a été remonté dès le début de cette mission, à savoir le besoin de concertation en amont, ce qui simplifierait la mise en place d'un projet. Malgré tout, cette concertation requiert des moyens.

Monsieur Malvy, vos propos, notamment ceux relatifs à la nécessité d'octroyer davantage de moyens, me touchent particulièrement, car il me semble que vous avez occupé la fonction de ministre du budget. Françoise Gatel l'a bien souligné : les grandes villes mettent à disposition du personnel pour accompagner les élus, au contraire des petites communes, qui ne bénéficient ni des mêmes compétences à disposition ni des finances.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Nous ne pouvons que partager vos remarques. Nous sommes tous ici très attachés au patrimoine et sommes conscients de ce qu'il représente en termes d'identité et de potentiel de développement d'une commune. Par ailleurs, personne ne remet en cause tout le bien qu'apportent les ABF. Malgré tout, nous ne pouvons pas ignorer les sollicitations de certains maires et concitoyens, qui nous font part de leur incompréhension (que nous partageons parfois). Nous sommes conscients que cette situation est perfectible. Ainsi, la finalité de cette mission d'information est de réfléchir à de nouveaux fonctionnements et périmètres.

Je rebondis sur les propos de Françoise Gatel, s'agissant du périmètre délimité des abords : il existe déjà, mais ne fonctionne pas correctement. La procédure est longue et très complexe. L'idée est de redéfinir ce périmètre en le raccourcissant afin qu'il concerne le bâtiment classé et les quelques rues à proximité. Hier, nous avons auditionné certaines directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Celle d'Île-de-France portait cette idée-là, suggérant de supprimer l'enquête publique qui rallonge énormément les délais. À titre personnel, je suis très séduit par cette suggestion relative à la définition du périmètre. Le maire participerait aux travaux, accompagné de l'ABF. L'objectif reste de simplifier la procédure au maximum. Par ailleurs, lorsque la décision est prise d'imposer une couleur ou un matériau sur une même rue, il convient de se rappeler que certains habitants ne disposent pas des moyens suffisants pour engager les travaux demandés.

Françoise Gatel, et j'interroge ici davantage la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation : nous sommes tous confrontés, et cela me semble assez transpartisan, à une diversité de profils des ABF ; certaines relations sont plus tendues que d'autres. Nous sommes conscients que certains ABF travaillant dans les UDAP ont des caractères particuliers et de très lourdes exigences, ce qui peut mettre tout un territoire sous tension. La question se pose donc de savoir comment gérer ces profils. Les réflexions pourraient porter sur l'architecture administrative. Réviser les liens hiérarchiques permettrait-il de pallier ces difficultés ?

Dans un second temps, concernant les recours, il existe aujourd'hui un médiateur ainsi qu'une commission régionale. Cette commission paraît assez éloignée du terrain. Au cours des discussions, il a été proposé que cette commission devienne départementale. Ce point a fait débat. Des dizaines, voire des centaines de commissions départementales existent déjà et beaucoup sont peu utiles, soyons honnêtes. D'après vous, cette échelle départementale pourrait-elle favoriser la réactivité et la proximité avec le terrain ? Permettrait-elle de faire en sorte que les maires et pétitionnaires acceptent davantage les décisions ?

Enfin, suite aux travaux que nous avons réalisés, nous avons eu l'idée d'élaborer des sortes de cahiers des charges ou guides par territoire. Cette suggestion est séduisante en théorie, mais il convient de réfléchir à la pratique. J'aimerais connaître votre avis sur cette idée et son articulation. Quelle pourrait être la place des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ? Une échelle intercommunale pour bâtir ce type de projet serait-elle pertinente ?

Mme Françoise Gatel. - Je suis ravie que vous évoquiez ma fonction à la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je pense que c'est grâce au patrimoine que des leviers de développement économique sont créés dans les territoires ruraux et les petites communes. Ces endroits n'accueilleront jamais de grandes entreprises ou de start-ups : il faut donc activer d'autres leviers afin de faire la lumière sur ces territoires.

Je partage les propos tenus par Martin Malvy : il convient de faire attention à protéger les maires. J'ai moi-même assumé cette fonction et, lorsque l'avis de l'ABF était négatif, je me déchargeais de cette responsabilité.

En outre, au Sénat, nous pensons que la norme doit être proportionnée. Les règles édictées pour la ville de Paris ne peuvent pas être similaires à celle d'une commune de quatre cents habitants, au risque d'engendrer des problématiques. Il convient d'accompagner les élus sur ces sujets, d'où la mise à disposition d'une sorte d'expertise technique, qui pourrait être intercommunale, départementale par le biais des CAUE, ou celle de l'État. Je partage une nouvelle fois un exemple personnel : en 2008, j'étais maire de ma commune. Une magnifique chapelle romane menaçait de s'effondrer. La crise des subprimes était en cours et nous recherchions des plans de relance. La DRAC, après nous avoir demandé si nous souhaitions rénover la chapelle, a mis à notre disposition un conseiller assistant à maîtrise d'ouvrage afin que nous puissions organiser un concours d'architecture. C'est assez remarquable.

Je pense ainsi que les communes doivent être aidées selon leur taille. Comment ? L'intercommunalité peut être une piste. Dans notre réseau, une commune de cinq cents habitants, village préféré des Français, accueille huit cent mille touristes et se retrouve au sein d'une intercommunalité industrielle qui ne se soucie pas du patrimoine. L'intercommunalité qui porte en supplément la compétence relative au tourisme n'est pas aidante partout ; cela dépend de la dimension patrimoniale du territoire. Encore une fois, il faudrait mettre à disposition des compétences techniques qui peuvent venir dans certains départements de la DRAC. Au sein de la commune, et dans un dialogue avec l'ABF, les élus devraient pouvoir librement définir le périmètre.

Par ailleurs, la dernière loi patrimoniale fait état des sites patrimoniaux remarquables (SPR). En soi, le concept est formidable. Malgré tout, il est demandé à des communes de notre réseau d'élaborer un plan d'aménagement patrimonial, faute de quoi la région ne leur octroiera pas de moyens. Les ABF, pour les raisons évoquées plus haut, rechignent à mettre en place des SPR dans ces petites communes, arguant qu'elles n'ont personne, et privilégient les grandes villes. Pourtant, les SPR font office de vitalisation de la ruralité. Ces petites communes doivent être aidées. Nous avons rencontré cette problématique, à savoir le fait que de nombreuses communes étaient bloquées dans des départements. La situation tend à s'améliorer, car les SPR des grandes villes sont à présent mis en place. Là aussi, le SPR doit être dimensionné pour toutes les communes. En outre, compte tenu de la longueur de la procédure, les maires des petites communes privilégient d'autres activités et abandonnent le projet. Ils n'ont donc pas les moyens d'utiliser ce levier de développement du territoire.

Je reviens à ce que je disais : d'après moi, il convient de travailler autrement. Si, en amont, une commune indique que son levier de développement est le patrimoine, alors l'ABF pourrait travailler avec les élus de plusieurs communes à l'élaboration d'un document patrimonial. Qu'est-ce que cela signifie dans des petites communes comme les nôtres, où trois ou quatre rues pourraient faire l'objet d'un projet de rénovation ? Que, même si l'ABF est remplacé, le projet patrimonial se poursuit, car il aura été voté en conseil municipal, même en cas de commission de recours qui est alors obligée de prendre le document en compte.

Je suis d'accord avec les propos de Marie-Pierre Monier : parfois, on distribue aux artisans des tâches qu'ils ne parviennent pas à exécuter. Je rappelle que le patrimoine implique des emplois non délocalisables dans des territoires ruraux.

Quant à la commission de recours, je ne sais pas s'il vaut mieux qu'elle soit départementale ou régionale. Nous concernant, nous apprécions qu'elle soit régionale. Par exemple, au sein de notre réseau breton, si la commission approuve le projet d'une commune du Morbihan mais refuse celui d'une commune située juste à côté, la situation pourrait engendrer des tensions. À mon sens, il faudrait limiter les recours. La méthode que nous proposons permettrait d'élaborer un document que les élus et les habitants porteront, ce qui limitera les recours, évitera les indisponibilités des ABF et empêchera que le projet ne soit remis en cause en cas de changement de maire.

En résumé, je conseille de doser et proportionnaliser les obligations, sans mettre de côté les petites communes, qui sont celles qui ont le plus besoin de ces dispositifs, non seulement parce qu'elles ne disposent pas de compétences techniques, mais aussi pour ramener de la vie dans ces territoires. À titre d'exemple, en Loire et Haute-Loire, certaines Petites cités de caractère peinent à attirer des habitants. Elles rénovent actuellement tous leurs centres-bourgs, car elles conjuguent leur tourisme patrimonial avec un tourisme fluvial : les passants s'arrêtent dans ces jolies cités, visitent les boutiques, etc. Le gouvernement devrait financièrement investir dans le programme Petites Villes de Demain ; la compétence consiste parfois à accompagner en matière de tourisme. De plus, nous nous sommes battus pour que la moitié des Petites cités de caractère intègrent les programmes Petites Villes de Demain et Villages d'Avenir, dans lesquels il n'est d'ailleurs fait mention ni du tourisme ni du patrimoine. Enfin, pourquoi les Petites Villes de Demain ne bénéficient pas des mêmes aides que les coeurs de ville en matière d'aide à la rénovation des logements ?

M. Martin Malvy. - Je partage assez largement les remarques de Françoise Gatel, s'agissant notamment de la situation des petites villes. D'ailleurs, qu'entend-on par « petites villes » ? Car des communes de cinq mille ou dix mille habitants sont encore considérées comme des petites villes au regard d'autres.

Vous dites que personne ne remet en cause le travail des ABF : cela n'est pas le cas partout. Certains endroits souhaiteraient au contraire les supprimer, ou tout du moins leur retirer l'avis conforme.

S'il est envisagé de généraliser le périmètre délimité des abords (PDA), alors l'enquête publique me paraît incontournable. En France, à partir du moment où il existe une servitude d'utilité publique, l'enquête publique est la règle. Le PDA me semble être une formule relativement risquée dans sa conception actuelle. En effet, aucun règlement ne lui est pour l'instant rattaché, au contraire du SPR, ce qui fait sa force. Un règlement permet un arbitrage, dont l'absence peut être une occasion supplémentaire de conflit, d'opposition ou d'incompréhension. Je suis donc très réservé quant au développement du PDA. Je comprends aussi pourquoi certains services de l'État y sont favorables : à terme, il allège leurs contraintes.

En réalité, nous tournons toujours autour des mêmes problèmes : la contrainte est terrible et les équipes sont insuffisantes. Nous nous targuons de disposer d'un patrimoine exceptionnel, d'en tirer des bénéfices et d'avoir évolué. Nous avons d'ailleurs beaucoup évolué sur l'usage du patrimoine à des fins économiques. Nous penchons donc vers ces solutions : soit un assouplissement de la réglementation, mais j'estime qu'elle sera source de conflits supplémentaires, soit des transferts vers la commune, le maire, le CAUE... Incontestablement, le CAUE est une bonne porte d'entrée. Attention cependant, car il n'existe pas partout et ceux mis en place sont déjà surchargés de travail. Les mettre à contribution sur de nouvelles fonctions, indépendamment du fait que ces tâches ne correspondent pas forcément à leur formation, pose ainsi question.

Par ailleurs, le SPR est un bon outil. Les Plans de Sauvegarde et de mise en valeur (PNSV) sont moins nombreux qu'avant - il en existe une centaine. Entre huit et neuf cents SPR sont actuellement dénombrés, mais ce nombre est encore insuffisant. Nous plaidons pour qu'il y en ait un nouveau par département et par an ou tous les deux ans. Malheureusement, les services n'ont ni la capacité ni le temps.

En France, le patrimoine est relativement bien préservé. Le problème soulevé par Françoise Gatel, à savoir la capacité des petites communes à répondre, est un vrai sujet. Dans ma commune, je l'ai résolu grâce à l'intercommunalité, qui gère le service de l'urbanisme. Cette intercommunalité est composée de 92 communes. Encore faut-il s'assurer que les collaborateurs du service de l'urbanisme sont sensibilisés au patrimoine.

Il n'existe pas de système idéal. Notre système dérape, car il est insuffisamment nourri. Il n'y a pas d'autres difficultés que celles qui peuvent être résolues en faisant évoluer les approches de certains. C'est vrai qu'il existe des ABF un peu « rugueux » ; mais ils doivent traiter plusieurs centaines de milliers de dossiers par an, ce qui devient complètement incohérent.

Mme Françoise Gatel. - Pour compléter ces propos, que je partage totalement, je rappelle l'esprit des Petites cités de caractère : le réseau accompagne les communes en matière de stratégies et nous travaillons tous ensemble. À titre d'exemple, le réseau des Petites cités de caractère de la Sarthe a réalisé une charte de qualité de la restauration, incluant des exemples concrets et des suggestions. Ce document est mis gratuitement à disposition de l'ensemble des communes du réseau.

S'agissant du financement de ce réseau, tous les élus sont bénévoles et nous parvenons à mutualiser du personnel. En outre, des spécialistes de régions spécifiques fournissent leurs contributions à l'ensemble du réseau. Nous sommes financés par la cotisation des élus et faisons l'objet d'une reconnaissance nationale. Nous apportons une sécurité aux petites communes ; le réseau, qui est contributif, les soutient. Nous sécurisons par exemple les conseils régionaux, qui sont souvent des partenaires de nos collectivités et apportent des financements en faveur de l'aménagement et la restauration de l'espace public, mais aussi des maisons privées. Les conseils régionaux ont conscience que l'association est la garante de la solidité et de l'engagement des communes. Nos actions dépendent de nos moyens, peu élevés. Les réseaux s'échangent les compétences, organisent des journées nationales.

L'idée de se regrouper en réseau est pertinente. Il faut que l'État soit présent (c'est votre volonté et je vous en remercie), parce que le patrimoine n'est pas un caprice. C'est une fierté pour les habitants des campagnes. Fournir du beau aux habitants permet de changer la société. Il me semble que cela vaut bien quelques créations de postes. Il s'agit d'une contribution à un équilibre territorial et à la ruralité vivante, forte et pleine d'avenir et qui offre aux citadins un tourisme durable et de proximité.

Mme Sabine Drexler. - Pensez-vous que les ABF devraient pouvoir exercer davantage de missions de conseils, notamment en zones qui ne bénéficient d'aucune forme de protection, au regard de la situation actuelle en termes d'atteinte liée à la loi Climat et Résilience ? Je pense notamment au DPE ou aux prescriptions d'isolation de façade ou de remplacement de menuiserie extérieure. En outre, pensez-vous qu'il faille a minima systématiser une forme d'inventaire de l'ensemble du bâti d'un territoire afin d'en favoriser la protection ? Ainsi, nous pourrions savoir sur quel bâti appliquer un DPE spécifique. Enfin, pensez-vous que l'État accompagne suffisamment les particuliers dans la réalisation de travaux vertueux, qui engendrent un surcoût par rapport à des travaux classiques ?

M. Adel Ziane. - Merci à tous deux pour vos propos. Vous êtes parvenus à exprimer cette réémergence de l'attachement des Français pour leur patrimoine et sa préservation. Depuis quelques années, une réappropriation du patrimoine par les Français apparaît dans les villes et les territoires, tant sur la dimension du bâti que paysagère.

Je suis élu de Seine-Saint-Denis et de Saint-Ouen et l'un de nos conseillers municipaux est membre de Sites & Cités remarquables de France. Nous avons donc conscience de l'apport de votre association sur des territoires, notamment en pleine mutation, de friches industrielles à territoires sur lesquels les promoteurs immobiliers arrivent avec une grande force de frappe. C'est là où les ABF jouent un rôle essentiel : comment préserver ce patrimoine industriel du XIXe siècle, notamment sur les dimensions bourg, faubourgs et aménagement des quartiers qui tendent parfois à disparaître ?

À Saint-Ouen, nous disposons d'une intercommunalité, de services auprès de la ville et des élus qui s'impliquent et qui jouent un rôle d'intermédiaires avec les habitants sur certaines demandes. Madame Gatel, vous avez évoqué un dispositif similaire, mais nous avons lancé une expérimentation relevant de l'élaboration de fiches patrimoniales, ville par ville, en concertation avec les habitants. Voilà une piste à explorer : ce dispositif devrait-il être systématisé ? Je pense qu'il s'agit d'un point à prendre en considération.

Par ailleurs, au cours de son audition, le DRAC d'Île-de-France nous a indiqué que le nombre de dossiers traités était passé de 300 000 en 2010 à 500 000 aujourd'hui, pour les mêmes effectifs. Cette augmentation entraîne des difficultés de déplacement auprès des mairies. Il convient de traiter ce point.

Enfin, vous avez donné l'exemple de la rénovation d'une chapelle romane en centre contemporain. Se pose alors la question en termes écologiques. Ce lien est destiné à accueillir du public et consommera de l'énergie. Ainsi, comment concilier sur le long terme ce besoin d'économie d'énergie avec la rénovation du patrimoine dans sa dimension esthétique ?

M. Jean-Claude Anglars. - Je partage les propos tenus par nos deux intervenants. Je viens de l'Aveyron, qui dénombre cinq Petites cités de caractère et un certain nombre de sites classés au Patrimoine mondial de l'Unesco. Mme Gatel a rappelé les politiques publiques lancées. L'Aveyron dénombre 19 Petites Villes de Demain. Dans le contexte de l'obligation pour les communautés de communes d'élaborer un PLUI avant 2026, quelles pourraient être les propositions afin d'obliger les territoires à se pencher sur cette question du patrimoine avec l'appui de l'ABF ?

Mme Françoise Gatel. - Il me semble qu'il existe un sujet de charge des ABF. J'aurais tendance à les centrer sur les communes où la loi les oblige à donner un avis. Par ailleurs, et certains ont mis en lumière l'inadéquation d'un DPE du XXe siècle sur un patrimoine ancien, il existe une volonté au sein du ministère de la culture d'aboutir à un DPE adapté au patrimoine. Il conviendrait que les sénateurs continuent de soutenir cette idée.

En outre, j'invite les communes à réaliser l'inventaire du bâti de leur territoire. Certaines l'ont déjà fait spontanément et élaborent des fiches patrimoniales et de restauration. De plus, quand un document annexe, type fiche maison par maison, est élaboré, sa sécurité juridique peut représenter une difficulté : il faut l'inscrire dans la loi. Malgré tout, combien de fois allez-vous faire face à des recours de propriétaires ? Inscrire l'élaboration de ce document dans la loi en vaut-il la peine ? Je serais assez favorable à ce que la loi stipule que les villes patrimoniales doivent disposer d'un document annexe au PLU. Pour cela, il conviendrait de réaliser une étude d'impacts.

Vous évoquez également le patrimoine industriel ; il est remarquable, car octroyant une identité à des territoires que l'on ne considère pas comme des lieux patrimoniaux. Il faut donc protéger les sites industriels, gages pour les habitants d'identité et de fierté.

Enfin, il convient de structurer les recours. S'agissant des intercommunalités, une majorité d'élus pense que si un territoire dispose d'un patrimoine, il est déjà riche et doit s'en contenter. Ces élus n'ont pas compris que les Villes d'art et d'histoire ou les Petites cités de caractère rayonnaient sur toute l'intercommunalité.

M. Martin Malvy. - Je ne pense pas non plus qu'il faille envisager d'élargir le champ de responsabilités des ABF. Il convient de réfléchir à la manière de bien accomplir celles d'aujourd'hui.

Très certainement, il y a lieu de réviser les plus anciens SPR : ils sont très incomplets, leur réglementation est insuffisante, parfois mal adaptée, et ils sont source de contentieux entre les ABF et les élus ou les particuliers.

Quant au budget consacré par le ministère de la culture au SPR, il est totalement ridicule : quatre millions d'euros à répartir sur 101 départements. Il existe donc une défaillance à ce niveau-là. Cette situation est alarmante. À titre d'exemple, le DPE a été élaboré par le ministère de l'environnement sans que le ministère de la culture n'y soit associé : c'est invraisemblable. En outre, l'argument stipulant que la solution pour le DPE serait de dispenser une meilleure formation pour les diagnostiqueurs ne tient pas la route. Un diagnostic coûte 80 euros, soit un temps très court. Sollicitez l'intervention d'un technicien chez vous et constatez son tarif horaire ! J'ai fait le test chez moi : le technicien est resté vingt minutes, a conclu qu'il fallait installer une pompe à chaleur, ce qui est impossible dans l'appartement que j'occupe. Nous marchons sur la tête. Si un DPE spécifique au bâti ancien n'est pas élaboré, la situation n'évoluera pas. Il existe par ailleurs une lourde responsabilité de la part de l'État sur le DPE. En effet, d'après certains experts, les travaux recommandés dans les DPE pourraient, à terme, porter atteinte à l'habitat et son fonctionnement. Cela pourrait conduire d'ici quelques années à une batterie de procès d'habitants qui, expertise à l'appui, se plaindront que le DPE les a conduits à réaliser des travaux incompatibles avec leur bâti.

Enfin, il appartient également à nos associations de fournir des conseils. Nous avons développé un certain nombre d'outils (tels que des fiches pratiques) souvent en collaboration avec le ministère de la culture, et les avons largement diffusés. Nous avons travaillé sur le bâti et la manière de réaliser des travaux sur le bâti ancien. Avec le Cerema, nous avons créé le portail CREBA, à destination du public et des professionnels, apportant une assistance aux travaux.

M. Pierre Barros. - Merci pour vos propos. Je sais que le PLUi d'Est Ensemble a réalisé un travail important sur le recensement du patrimoine sur son secteur ; ce travail est très intéressant et introduit une dimension patrimoniale, même sur les petits territoires ou les industriels. Les intercommunalités ont réalisé un travail exemplaire et se sont fait accompagner par des professionnels. Parfois, même les maires ou élus locaux ne connaissent pas bien leur patrimoine et ne le regardent pas du bon angle. C'est pourquoi se faire accompagner par des professionnels qui savent lire les choses et les retransmettre de manière lisible me paraît pertinent.

Par ailleurs, les maires introduisent, dans les règles qu'ils imposent aux autres, la capacité de déroger eux-mêmes à ces règlements. S'autoriser à ne pas appliquer une règle imposée aux autres est un concept qui pose une problématique de pouvoir et qu'il est difficile de partager avec les ABF.

Positionner l'ABF en amont, dans le cadre de la production d'un travail favorisant la synergie des acteurs du territoire, permettrait au ABF de s'extraire de cette image de « sanctionneur ». Je suis ravi d'entendre que les ABF sont nécessaires et sont gardiens de notre patrimoine. Les élus locaux sont dépositaires, et non propriétaires, de leur patrimoine.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci à tous pour votre temps et disponibilité.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA), et architecte conseil de l'État auprès de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous auditionnons Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, et architecte conseil de l'État auprès de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France. Chargé de missions de service public et placé sous la tutelle du ministre de la culture, l'Ordre des architectes a pour objectif de préserver et de promouvoir la qualité architecturale. Il encadre la profession et veille au respect des bonnes pratiques. Il joue également un rôle de conciliateur en cas de litige entre l'architecte et le maître d'ouvrage.

Madame, je vous remercie d'avoir pu vous rendre disponible pour cette audition qui nous fournira certainement des éléments d'appréciation essentiels à une meilleure compréhension des relations qu'entretiennent les architectes avec les ABF, que ce soit dans le cadre des missions de conservation, de conseil ou de contrôle, de ces derniers.

Certains élus déplorent un dialogue lacunaire, voire absent en cas de conseil ou des avis parfois arbitraires dans le cadre des missions de contrôle. Vous pourrez nous faire part de votre retour d'expérience.

Les premières auditions que nous avons menées ont déjà mis en exergue l'inachèvement de la rationalisation du périmètre d'intervention des ABF, les lacunes du dialogue entre ABF et élus ou particuliers, les difficultés matérielles des ABF à exercer leurs missions, le nombre important de postes vacants, et, enfin, l'immensité du défi consistant à concilier la protection du patrimoine et la transition écologique.

Votre témoignage nous permettra de mieux cerner ces difficultés ainsi que les problèmes qui sont à la base des controverses liées aux ABF.

Mme Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes, et architecte conseil de l'État auprès de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) des Hauts-de-France. - Merci pour cette invitation à parler de nos confrères ABF, qui sont avant tout des alliés sur les territoires : ce n'est pas toujours perçu, en raison généralement de chicaneries, mais il y a accord, dans le fond, sur l'utilité de la fonction.

Quelques mots sur l'Ordre des architectes. Il a une délégation de service public pour la tenue des tableaux des architectes - qui sont au nombre d'environ 30 000 répartis sur tout le territoire, dont 25 000 entreprises. L'Ordre des architectes est organisé en 17 conseils régionaux et un conseil national, dont je suis la vice-présidence. L'Ordre a pour missions de veiller à la bonne formation des architectes, à leur assurance et au respect de la déontologie, laquelle prévoit en particulier d'énoncer tout lien économique avec la maîtrise d'ouvrage - ces missions visent à garantir la qualité du travail de l'architecte pour le client, qu'il soit public ou privé. À la différence d'un syndicat qui défend les intérêts d'une profession, nous défendons donc l'intérêt général. Au sein de l'Ordre des architectes, nous sommes tous des professionnels, élus, et nous entendons valoriser le travail des architectes au-delà de la maitrise d'oeuvre, le valoriser dans la maitrise d'ouvrage - et nous sommes tout à fait dans l'esprit d'un dialogue plus nourri et enrichissant avec nos consoeurs et confrères ABF.

Je suis également architecte conseil de l'État (ACE), auprès de la DRAC des Hauts-de-France. C'est une fonction méconnue, alors qu'elle répond à bien des questions que vous vous posez au sein de cette mission d'information. Les ACE sont recrutés sur dossier et audition interministérielle - par le ministère de la transition écologique et le ministère de la culture - parmi les architectes praticiens depuis au moins 15 ans ; nous sommes quelque 160 à l'échelle nationale, nous sommes sollicités comme experts sur des sujets très divers par les directions départementales des territoires et de la mer (DDT-M), les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC). Nous renforçons les ABF pour apprécier des situations complexes, et nous avons aussi un travail de médiation entre collectivités, opérateurs privés et ABF, avant le dépôt de plainte à la commission régionale du patrimoine et de l'architecture (CRPA) contre la décision de l'ABF. Ce travail de médiation est important, mais nous ne sommes au mieux que deux ACE par DRAC et deux ACE en central à pouvoir le faire, ce n'est pas suffisant. J'ajoute que les ACE continuent leur profession d'architecte et n'interviennent que sur des missions précises pour le compte de l'État, ceci hors de la région où ils exercent leur profession d'architecte, pour qu'il n'y ait pas conflit d'intérêts. Le corps comprend également des paysagistes conseils de l'État, je pense que cette fonction est très utile et qu'elle fait encore trop défaut à bien des projets, en particulier d'implantation d'éoliennes - je vous suggère d'auditionner la présidente de l'association des architectes conseils de l'État pour mieux connaître ces fonctions.

Les ABF sont les gardiens du temple : sans eux, les intérêts particuliers, économiques, feraient que les projets réalisés ne seraient pas à la hauteur de l'espérance culturelle française - c'est essentiel, les ABF protègent la qualité architecturale française. Je sais que vous en avez conscience, la commission de la culture du Sénat est bienveillante envers les ABF, mais il faut le répéter. Les ABF sont des alliés des architectes face aux intérêts économiques qui font pression sur l'architecte en charge de construire pour qu'il fasse moins cher, moins durable - et c'est main dans la main, en dialogue avec l'ABF, qu'on maintient la qualité architecturale. Ceci est donc le socle ; ensuite, il y a des pierres d'achoppement : les ABF sont une profession en saturation administrative évidente, les chiffres sont éloquents - le nombre de dossiers a plus que doublé en quelques années, alors que 10 % des postes sont vacants, la charge est très lourde. En réalité, un ABF ne peut pas répondre à toutes les demandes - le chiffre vous a été cité de 13 dossiers par jour, je ne vois pas comment cela est possible, concrètement.

Il faut donc plus d'ABF, mais aussi plus d'agents pour traiter les dossiers, plus d'architectes pour l'assistance à la maitrise d'ouvrage (AMO), plus d'architectes et de paysagistes conseils de l'État à l'échelon départemental, tout ceci pour une meilleure instruction des dossiers, ce qui suppose aussi une meilleure formation aux questions du patrimoine d'une manière générale et pour les services instructeurs en particulier. Nous savons bien que le ministère de la culture a peu de moyens, alors il faut veiller à ce que les recrutements se fassent aux différents niveaux.

Le métier d'ABF manque d'attractivité, car c'est un métier exposé et peu rémunéré, compte tenu de la pression qu'il faut assumer. Je l'ai découvert en fréquentant des ABF, j'ai vu leur grande compétence, leur attachement à leurs fonctions, mais j'ai vu aussi qu'ils étaient souvent au bord du burn out, et je n'hésite pas à le dire : ce n'est pas normal que des gens sur qui l'on se repose autant pour la qualité, soient si malmenés dans la vie, on les regarde comme des empêcheurs de tourner en rond alors que ce sont des garants de qualité et qu'ils sont au coeur de la politique patrimoniale de l'État.

La question de la formation se pose à toutes les échelles de la construction, de la maitrise d'ouvrage aux constructeurs, elle concerne aussi les ABF. L'adaptation au changement climatique oblige à changer de paradigme, c'est un bouleversement pour les architectes qui sont appelés à changer de matériaux de construction, de manière de les assembler, de lieux d'approvisionnement, ce qui modifie aussi toutes les données économiques des projets, sans compter les nouvelles règles de construction, les incitations à utiliser les énergies renouvelables - et il faut composer également avec les changements de la demande sociale, en particulier pour plus de qualité et de durabilité. Les ABF ont donc aussi besoin de se former, et je ne vois pas quand ils peuvent le faire avec leur charge de travail déjà excessive. Il faut penser, également, à former les médiateurs élus des CRPA, parce qu'ils doivent pouvoir être au même niveau d'information que l'ABF et des architectes, c'est primordial.

Ensuite, les périmètres délimités des abords (PDA) font parler, je crois qu'ils sont pertinents, parce que la règle des 500 mètres ne suffit pas, surtout avec les enjeux urbanistiques nouveaux posés par exemple par l'implantation des éoliennes, des panneaux solaires. Cependant, sachant qu'il y a 45 000 monuments historiques et seulement 3 000 PDA, on comprend qu'il faut aller plus loin, donc simplifier les démarches pour définir les PDA, massifier en quelque sorte - le ministère de la culture y travaille, c'est une bonne idée, comme professionnelle je crois qu'il faut aller dans ce sens.

L'ABF protège le patrimoine, mais il a aussi pour mission de promouvoir une architecture de qualité. Or, cet aspect pourtant essentiel passe en second parce que les ABF ne sont pas suffisamment associés en amont aux projets, ils arrivent trop tardivement, c'est d'autant plus dommage que cette partie du travail rend le métier attractif.

J'ai interrogé un confrère ABF sur sa façon de travailler, je vous rapporte son témoignage. Il me dit que dans son appréciation d'un projet, il regarde essentiellement comment sa consoeur ou son confrère architecte a pris en compte la valeur de l'existant, des avoisinants, ce qui fait sens et caractérise une architecture, un quartier, une ville, un paysage. Il me dit aussi que l'ABF n'est pas un conservateur, mais qu'il accompagne des projets pour les inscrire dans une évolution de la ville, du paysage, de ce qui fait sens. C'est très important : les ABF interprètent la réglementation pour aider à composer notre paysage, et c'est pour cela qu'il vaut mieux les associer en amont, les faire dialoguer avec les porteurs de projet. Vous savez que le recours à un architecte n'est pas obligatoire pour les projets de moins de 250m2, aussi l'ABF, dans les zones protégées, est parfois le seul architecte à examiner les projets, c'est alors un véritable garant de la qualité.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Comment intervenez-vous dans vos fonctions d'architecte conseil de l'État ? Ensuite, est-ce qu'il y a des départements où un échange régulier se fait avec l'ABF ? Est-ce que ce serait une bonne idée de le prévoir ? Que pensez-vous de l'idée d'une certification particulière des architectes pour travailler dans les zones classées ? Enfin, comment définissez-vous la co-visibilité ?

Mme Marjan Hessamfar. - L'ACE, quand il est missionné par la DRAC, intervient à plusieurs niveaux. Quand un maire, par exemple, conteste l'avis de l'ABF, on nous demande une médiation avant que le dossier ne parte en CRPA ; on réunit alors les parties et on dialogue, pour décortiquer les raisons de chacun de penser que l'autre a tort. Nous essayons alors de progresser en trouvant des solutions techniques là où l'opérateur prétendait qu'il n'y en avait pas, ou trouver un moyen de satisfaire les exigences de l'ABF tout en restant dans les contraintes économiques du projet. Nous intervenons aussi en amont de certains projets, avant le dépôt du permis de construire, nous pouvons aussi alors accompagner l'ABF et l'architecte du projet. Je pense à un projet d'implantation d'un cinéma dans un centre-ville très patrimonial, un projet partie prenante d'une opération « Coeur de ville » où il aurait été malvenu que l'ABF empêche la réalisation d'un cinéma, mais où l'opérateur exigeait un tel nombre de places pour ce cinéma, qu'il projetait un bâtiment qui aurait enlaidi ce centre-ville ; nous avons avancé à petits pas, en montrant à l'opérateur qu'il pouvait aller chercher de la place en sous-sol, puisqu'il était obligé de faire des fouilles d'archéologie préventive en tout état de cause, et à l'ABF qu'il suffisait de réaménager les murs actuels pour dissimuler une partie de l'ensemble qui pourrait gêner l'ensemble - je n'entre pas dans le détail de ce dossier, ce que je veux dire, c'est que nous ne savons pas mieux que nos confrères et consoeurs architectes du projet et ABF, mais que nous cherchons des solutions dans la concertation...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - C'est d'autant plus utile que la concertation a manqué au départ...

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, nous aidons à trouver des solutions. Nous sommes aussi utiles, comme ACE, lorsque par exemple l'ABF voit qu'un problème pour un bâtiment sur lequel il est saisi, parce que ce bâtiment est dans son périmètre, se pose en fait pour d'autres bâtiments, à une échelle plus large - et il nous demande d'intervenir pour faire prendre en compte la qualité architecturale à une échelle plus large.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Comment êtes-vous rémunérés ?

Mme Marjan Hessamfar. - J'ai 26 vacations par an, soit 2 jours par mois pendant lesquels je dois être disponible - et je suis payé à un tarif jour.

Les échanges réguliers, oui, sont une très bonne idée : il faut des lieux d'échange. En Hauts-de-France, nous avons installé une conseillère architecture, pour animer le réseau : elle réunit régulièrement les architectes de terrain et les ABF, pour partager la culture du territoire, montrer des exemples réussis d'isolation sur du patrimoine historique, d'implantation de panneaux solaires, par exemple, c'est un lieu où l'on ne traite pas des dossiers, mais où l'on parle architecture ; nous avons aussi mis en place un guide, nous faisons des fiches techniques, pour mettre de l'ordre dans le foisonnement des initiatives, le ministère de la culture centralise une information pour donner un cadre et des exemples.

Des architectes sont formés sur le patrimoine, c'est vrai que le dialogue avec l'ABF est de meilleure qualité quand il y a une expérience de travail sur un patrimoine remarquable - ce qui ne veut pas nécessairement dire ancien, on a de plus en plus de patrimoine remarquable assez récent, du 20ème siècle, qu'il va falloir rénover, et c'est là aussi où l'ABF est utile, il apporte sa compétence, pour autant qu'on le consulte suffisamment en amont.

Je préfère laisser l'Association nationale des ABF vous répondre par écrit sur la co-visibilité, c'est une notion sujette à de nombreuses interprétations.

Mme Sabine Drexler. - Vous évoquez la complexité de la mise en place du PDA, avez-vous des propositions pour simplifier les procédures ?

Mme Marjan Hessamfar. - Non, la réponse est du côté de l'administration et, comme praticiens, nous avons du mal à faire des propositions dans l'ordre administratif. J'ai compris que les délais étaient particulièrement longs quand le PLU évoluait aussi, et que les concertations rendaient les choses plus compliquées encore - je ne sais pas comment les choses se passent précisément, mais je dirais que pour cette consultation sur les périmètres, il faut un certain niveau d'expertise et du temps de travail pour se prononcer de manière éclairée.

Mme Sabine Drexler. - On évoque l'idée de ne pas en passer par une enquête publique...

Mme Marjan Hessamfar. - Je ne vois pas en quoi une enquête publique aiderait à délimiter le périmètre, la question est très pointue, il faut de l'expertise. L'avis de la population, qui est une somme d'intérêts particuliers, va, me semble-t-il, comme parasiter une réflexion construite sur le périmètre.

Pour renforcer l'attractivité du métier d'ABF, il faudrait agir sur plusieurs leviers, très largement. Il faudrait que les stages de fin d'études et d'habilitation à la maitrise d'oeuvre (HMO) soient plus nombreux au sein des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP), il faudrait que les étudiants en architecture soient mieux formés aux questions du patrimoine et que les ABF aillent davantage dans les écoles d'architecture, qu'ils soient dans les jurys - ce qui suppose qu'ils aient du temps pour le faire.

Enfin, s'agissant de la notion de cartographie et de PDA, je crois intéressant qu'on ne pense pas seulement que l'ABF est censé dire oui ou non à l'emplacement de tel équipement à tel endroit, et selon telle ou telle modalité, mais qu'on le sollicite davantage pour faire des propositions. Actuellement, il motive son refus, et il serait intéressant de lui demander des propositions alternatives, cela mobiliserait sa compétence de lecture du territoire, du paysage, au nom de la qualité architecturale.

Avec l'Ordre des architectes, nous avons mis en place le dispositif « Un maire, un architecte », pour que les maires, en particulier ruraux, puissent s'appuyer sur des professionnels qui soient en mesure de leur donner des conseils de programmation en amont, nous avons aussi mis en place des formations en ce sens pour les architectes.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - La cartographie n'existe pas, et vous la recommandez ?

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, l'idée c'est que, dès lors qu'il y a un PDA, l'avis soit demandé de manière plus large, le PDA servant à la cohérence d'ensemble.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Le ministère de la culture a publié le 9 décembre 2022 une instruction sur l'installation de panneaux photovoltaïques : y avez-vous été associés en amont ? En avez-vous déjà un bilan ? Est-ce une démarche à élargir, à généraliser ?

Mme Marjan Hessamfar. - La co-visibilité est une notion complexe, on doit en réalité raisonner en fonction du site, à l'échelle de la commune, sur la pertinence du projet - et pas seulement sur le fait qu'il y ait visibilité stricto sensu, ou pas. L'ABF est un sachant, qui peut donner aussi des alternatives, pour accompagner les communes dans la valorisation de leur patrimoine. On se plaint des règles, mais on demande aussi une application mécanique des autorisations... En réalité, un guide peut apporter des exemples, mais il ne peut servir de modèle applicable tel quel. Il faut aussi penser à l'échelle territoriale, les patrimoines ne sont pas les mêmes selon les régions, c'est ce qui rend intéressant le rattachement des ABF aux DRAC, la concertation des ABF à l'échelle régionale est intéressante, c'est un creuset de la cohérence.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les PDA pourraient-ils intégrer des recommandations techniques, sur l'utilisation de certains matériaux par exemple ?

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, c'est pertinent et cela se fait. Le patrimoine n'est pas un matériau renouvelable, nous construisons aujourd'hui le patrimoine de demain et s'il n'est pas durable, nous préparons des ruines - il faut penser l'échelle de temps.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quel rôle les ABF jouent-ils dans le déploiement de l'éolien ? Sont-ils intervenus par exemple dans les Hauts-de-France, où la Somme et l'Aisne ont vu beaucoup d'éoliennes être implantées - trop, même, selon certains ?

Mme Marjan Hessamfar. - Oui, ils donnent des avis dans leur périmètre d'intervention. Il y a saturation d'implantations d'éoliennes dans les Hauts-de-France, on comprend que, là aussi, les ABF seraient utiles pour la préservation du paysage. Il faut penser aussi aux socles de béton des éoliennes, que les opérateurs ne sont pas obligés de retirer quand ils enlèvent l'équipement, et qui risquent de miter le paysage tout en réduisant la surface naturelle...

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour toutes ces informations.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mardi 21 mai 2024
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Représentants de propriétaires de bâtiments classés monuments historiques - Audition de Mme Alexandra Proust, juriste au sein de l'association La Demeure historique, et M. Raphaël Gastebois, vice-président de Vieilles maisons françaises

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir les représentants de deux associations de propriétaires de monuments historiques ou de maisons de caractère. Je souhaite la bienvenue à Mme Alexandra Proust, juriste de l'association La Demeure historique, et à M. Raphaël Gastebois, vice-président de l'association Vieislles maisons françaises.

Notre mission d'information examine le périmètre et les compétences des architectes des bâtiments de France (ABF), sur l'initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen.

Vos deux associations nous apporteront un point de vue que nos auditions ne nous ont pas encore permis d'entendre : celui des propriétaires privés de monuments et de jardins historiques, ainsi que plus généralement de maisons anciennes de caractère. Toutes deux reconnues d'utilité publique depuis plusieurs décennies, elles accompagnent les acteurs du patrimoine que sont les propriétaires privés dans la mise en valeur et la conservation de leurs biens et oeuvrent plus largement à la sensibilisation des acteurs publics comme des citoyens aux enjeux particuliers de la sauvegarde du patrimoine bâti privé.

Nous aimerions comprendre comment, dans le cadre des missions que vous vous êtes données, vous avez affaire à cet autre acteur majeur de la protection patrimoniale qu'est l'ABF et, derrière lui, aux unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap). Quelles sont vos relations avec les différents acteurs publics intervenant en matière de sauvegarde du patrimoine ? Bénéficiez-vous d'un soutien adapté de la part des ABF ? Selon vous, leurs missions sont-elles définies et exercées de manière pertinente au regard des nouveaux enjeux de la protection patrimoniale, comme la prise en compte de la transition écologique ? Faut-il amender les différents outils juridiques encadrant l'urbanisme au voisinage des monuments historiques, notamment les sites patrimoniaux remarquables (SPR) et les périmètres délimités des abords (PDA) ?

Mme Alexandra Proust, juriste au sein de l'association La Demeure historique. - L'association a été créée en 1924, elle fête donc son centenaire cette année. Elle regroupe des propriétaires gestionnaires de monuments historiques privés et de demeures remarquables. Ce sont des utilisateurs des services publics, dont la mission consiste à valoriser, à conserver et à transmettre ces monuments.

Les interlocuteurs de l'association sont le ministère de la culture, les parlementaires et les services déconcentrés de l'État qui sont en lien avec nos adhérents - principalement les Udap et les conservations régionales des monuments historiques (CRMH) qui sont les guichets uniques pour la réception des autorisations de travaux. Les ABF doivent aussi assurer la protection des abords et de l'environnement des monuments historiques ; cela concerne un peu moins nos adhérents sauf s'ils sont porteurs du projet en question.

J'en viens au fameux recours contre les avis des ABF auprès des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture (CRPA). Les enjeux sont presque inexistants pour nos adhérents, puisqu'ils ne sont pas les premiers concernés. Ils ne peuvent pas attaquer l'avis de l'ABF.

Nos adhérents ont uniquement affaire aux ABF pour les autorisations de travaux sur leur propriété et en ce qui concerne les périmètres délimités des abords.

Les monuments historiques font l'objet de deux niveaux de protection.

Les monuments « inscrits » sont soumis à une double procédure - urbanisme et patrimoine - avec un guichet unique : la mairie. La demande de permis est transmise à l'ABF qui l'envoie lui-même à la direction régionale des affaires culturelles (Drac), plus précisément à la CRMH. C'est cette dernière qui instruit le dossier.

Pour les monuments historiques « classés », le propriétaire dépose sa demande d'autorisation de travaux auprès de l'ABF qui la transmet à la Drac - ce sont les techniciens de la Drac qui sont les véritables instructeurs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Pourriez-vous maintenant répondre aux questions que nous vous avons posées dans le questionnaire ?

Mme Alexandra Proust. - L'écosystème est-il structuré de façon satisfaisante ? La réponse est négative en raison du manque de moyens humains - la Cour des comptes a fait ce constat à plusieurs reprises, notamment en 2021 et 2022. Le nombre de dossiers traités chaque année par les ABF freine l'accomplissement de leurs missions. C'est en raison de ce manque de moyens humains aux côtés des ABF pour assurer leurs missions de protection des espaces protégés et d'aide aux propriétaires privés que l'organisation est un peu bancale.

En effet, bien qu'ils ne soient pas forcément les instructeurs des demandes d'autorisations de travaux et de permis de construire, ils demeurent l'échelon de proximité indispensable pour les propriétaires. Par exemple, les propriétaires ont tendance à se tourner vers l'ABF pour savoir si les travaux qu'ils envisagent sont soumis ou non à autorisation, les travaux d'entretien ordinaire ne l'étant pas. Un tel échelon de proximité permet d'obtenir des réponses plus rapides sur certains dossiers, sachant que la durée de certaines procédures nuit à la mise en place des chantiers de restauration.

Par ailleurs, il conviendrait de former les ABF sur les réalités de la gestion d'un monument privé, car la problématique des propriétaires privés n'est pas forcément la même que celle d'un maire. Il faut plus de fluidité dans les rapports entre les acteurs, ce qui doit passer par une augmentation des moyens humains.

Enfin, depuis la réforme de 2009 sur la restitution de la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires privés, les ABF ne sont plus les maîtres d'oeuvre de ces travaux et une clarification de leur rôle serait souhaitable. Le code du patrimoine prévoit que les demandes de permis de construire ou d'autorisations de travaux sont soumises au préfet de région. Les Drac s'organisent comme elles le souhaitent, car le ministère de la culture ne leur fournit pas de cadre précis. Cela ne veut pas dire qu'il faut uniformiser les choses, mais des précisions s'imposent pour que les propriétaires privés sachent à qui s'adresser - l'ABF n'est pas forcément le plus à même de répondre.

M. Raphaël Gastebois, vice-président de Vieilles maisons françaises. -Je représente l'association Vieilles maisons françaises (VMF), qui a été fondée en 1958 par la marquise Anne de Amodio et qui a vocation à rassembler très largement les amateurs et passionnés de patrimoine, pas nécessairement propriétaires eux-mêmes. Cette association a toujours eu pour objet de favoriser le partage, la transmission et la défense du patrimoine protégé, mais aussi du patrimoine non protégé, lequel fait souvent partie des abords des monuments historiques. Il est pour nous très intéressant de nous exprimer sur le thème de votre mission d'information, car les abords sont souvent remplis de ces vieilles maisons françaises qui nous sont chères.

Notre association, qui a 20 000 adhérents, présente la particularité d'avoir une implantation territoriale très forte. En effet, si notre siège se situe à Paris, nous disposons de délégués départementaux et régionaux. Il existe aussi un patrimoine français à l'étranger, pour lequel nous échangeons avec d'autres associations.

Notre réseau départemental et régional permet de fréquentes rencontres avec d'autres associations de défense du patrimoine. Nous faisons partie d'un groupe appelé le G7 et nous sommes en lien avec les services de l'État, notamment les Udap.

Personnellement, j'ai commencé ma carrière dans ces Udap avant de rejoindre VMF. J'ai donc une bonne connaissance des relations entre associations et services de l'État, ce qui est non seulement crucial, mais aussi très attendu par nos adhérents, qui demandent de l'expertise pour gérer leur patrimoine.

L'ABF est un interlocuteur utile, aux compétences réelles et transversales. Le vrai problème est son manque de disponibilité ; faute de moyens, il est souvent difficile d'accéder à ses services.

La politique patrimoniale, en France, est trop changeante. Notre patrimoine n'est donc pas si bien protégé que nous le croyons, sauf lorsqu'il se situe à l'intérieur d'un périmètre protégé ou aux abords d'édifices protégés.

Les entrées de ville sont parfois décrites comme « la France moche » et les efforts que font certains propriétaires sont parfois ruinés par les zones « blanches » situées entre le rural et les centres anciens. À moins qu'un monument historique ne soit miraculeusement positionné au milieu d'une zone d'activité, on est dans un vide. Il en existe quelques exemples, comme l'hypermarché Carrefour à Sens, construit par Claude Parent, ou les anciens magasins GEM. Ce sont des monuments historiques situés au coeur de zones d'activité, mais c'est un miracle. Il y a très peu d'exemples de zones protégées dans les secteurs périurbains ; c'est un vrai sujet de préoccupation.

En termes de protection des paysages, les sites classés représentent une petite part du territoire français. Les sites inscrits sont peu protecteurs et les perspectives monumentales échappent souvent à une véritable protection. Le sujet pour nous n'est pas forcément de réduire les pouvoirs ou les missions des ABF, mais de leur donner des moyens supplémentaires et d'interroger la protection du patrimoine en France, en soulignant le besoin, réel, de stabilité.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci. Vos constats sont largement partagés. Combien y a-t-il en France de monuments privés, de maisons, de jardins classés ou inscrits ? Certains territoires en concentrent-ils davantage que d'autres ? Recevez-vous beaucoup de demandes de classement ? Quand un bâtiment est classé, cela le rend-il éligible à des aides ? Comment évolue le nombre de lieux à l'abandon en France ? Les propriétaires que vous connaissez sont-ils engagés dans la transition écologique ? Menez-vous des travaux avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ?

Mme Alexandra Proust. - Je ne connais pas le nombre exact de monuments historiques, mais je sais qu'il existe environ 45 000 arrêtés de protection - un bilan devrait être publié en septembre. Cela dit, un même monument peut faire l'objet de plusieurs arrêtés de protection. Par exemple, la toiture peut être classée et le jardin inscrit. Entre 45 % et 47 % de ces monuments appartiennent à des propriétaires privés, ce qui fait de ces derniers les principaux propriétaires de patrimoine, devant les communes, qui en possèdent environ 35 %. L'État, pour sa part, possède environ 5 % des monuments historiques.

En ce qui concerne les demandes de protection, notre association, comme VMF, se structure en délégations régionales et départementales. Nous avons des représentants au sein des CRPA, notamment dans les sections qui traitent des demandes de protection au titre des monuments historiques. Nous sommes sollicités pour donner un avis sur ces demandes dans le collège des associations. De nombreux propriétaires nous consultent pour connaître les procédures et obtenir de l'aide pour la rédaction de dossiers de protection, qu'il s'agisse d'inscriptions, de classements ou d'extensions. Par exemple, un monument peut être initialement protégé, puis son jardin peut être ajouté pour assurer une cohérence patrimoniale.

M. Raphaël Gastebois. - Je ne suis pas le représentant des édifices non protégés, puisque beaucoup de nos adhérents possèdent aussi des monuments protégés. Autour des quelque 45 000 monuments historiques se situent plusieurs millions d'édifices qui font partie de l'identité patrimoniale de la France. Ce nombre est considérable. Leur état est inégal : certains sont en péril, d'autres très bien entretenus - l'entretien est le maître mot. Parfois, ce qui manque aux propriétaires, ce sont les clés pour entretenir ces édifices, plus qu'une mesure de protection en tant que telle. Évidemment, certains demandent des protections, mais ce qui est crucial est de parvenir à entretenir son patrimoine.

Cela repose sur des savoir-faire traditionnels, ancestraux, des métiers qui méritent d'être promus. Ces métiers n'ont pas disparu, ils offrent des emplois non délocalisables et représentent une part très importante de l'économie. Bien entendu, les gens veulent des aides. Mais avant d'obtenir des aides, si l'on pouvait supprimer des obstacles, ce serait formidable. Or les obstacles sont nombreux et se multiplient avec chaque nouvelle politique. Aujourd'hui, c'est la transition écologique ; hier, c'était l'hygiénisme. Il y a toujours une raison.

Les propriétaires de ces édifices sont à 200 % sensibilisés à la transition écologique. Ce ne sont pas des voyous de l'écologie. Quelqu'un qui n'a pas fait d'isolation extérieure, qui n'a pas mis de panneaux solaires, qui n'a pas une pompe à chaleur et qui n'a pas de double ou triple vitrage peut néanmoins être vertueux en matière d'écologie. S'il évite de chauffer l'entrée à 20 degrés ou la cage d'escalier à outrance, s'il a une manière traditionnelle d'habiter sa maison, il sera très économe en énergie. De plus, s'il utilise des matériaux traditionnels, qui sont par définition biosourcés, il sera également vertueux. Mais il est très compliqué aujourd'hui de respecter la réglementation tout en ayant une attitude vertueuse envers son patrimoine. Nos adhérents ne sont pas des autruches en matière de rénovation énergétique ou de transition écologique. Ils ne l'étaient pas non plus en matière d'accessibilité il y a quelque temps...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - S'ils veulent embrasser ces transitions, à l'inverse, sont-ils bloqués ?

M. Raphaël Gastebois. - Oui, puisqu'on leur impose parfois des entreprises qui n'ont pas forcément les compétences, mais qui ont l'agrément, ainsi que des mises en oeuvre contradictoires avec le bâti ancien. Par exemple, pour un bâtiment construit avant 1948, date qui correspond à peu près au basculement de l'architecture traditionnelle vers l'architecture moderne, pour une maison ancienne qui a les pieds dans l'eau, qui a les pieds dans la nappe phréatique et qui a un équilibre fragile, avec des échanges gazeux permettant d'évacuer l'humidité vers l'extérieur, faire une isolation par l'extérieur, c'est condamner à mort sa maison sous 15 ou 20 ans.

Voir de l'argent public investi, y compris sous forme d'incitations fiscales, ou lancer des injonctions à réaliser ce type de travaux nous semble aberrant. Nous sommes donc ravis quand un ABF émet un avis défavorable au titre de la défiguration de la façade. Cependant, cela crée parfois un malentendu, car la personne ou l'élu local peut croire que l'ABF ne réagit que par rapport à des questions esthétiques. En réalité, il y a un véritable problème technique qui risquerait de survenir si ce type de projet était mené à terme.

Mme Alexandra Proust. - En évoquant la transition énergétique pour les monuments, je suppose que vous parliez surtout des espaces protégés, en particulier des sites patrimoniaux remarquables (SPR), où les normes ne sont pas les mêmes. Par exemple, l'isolation extérieure n'y est pas envisageable. Des travaux sont en cours sur la question, mais le principe reste la restauration à l'identique : on refait dans le dernier état connu. Cela pose la question des menuiseries ou des couvertures. Comment faire pour intégrer des solutions de transition écologique dans des travaux sur des immeubles protégés ?

Il n'y a pas de discours uniforme sur tout le territoire pour l'instant, c'est la problématique. Des groupes de travail ont été constitués pour réfléchir à ces questions. Par exemple, nous discutons avec le ministère de la culture de la restauration des menuiseries extérieures.

Il n'y a pas de subventions spécifiques à la restauration des monuments intégrant des circuits de transition énergétique. Les subventions actuelles sont pour la restauration et l'entretien du monument, jusqu'à 40 % maximum pour les inscrits, sans limitation pour les classés, mais avec un cumul possible de subventions publiques allant jusqu'à 100 % - dans les faits, cette proportion n'est jamais atteinte. Il n'y a pas de subventions spécifiques à la restauration énergétique, mais on peut intégrer des solutions de transition énergétique lors de travaux de restauration ; ces solutions sont alors subventionnées alors dans le cadre de l'enveloppe globale. Les dispositifs actuels, comme les certificats d'économie d'énergie, ne sont pas forcément adaptés aux monuments historiques. Toutes les solutions possibles sont, pour l'instant, aux frais des propriétaires.

Les propriétaires privés n'ont pas vraiment accès aux CAUE. En général, pour les grosses opérations, ils font appel à des architectes, notamment à des architectes du patrimoine, qui sont parfois obligatoires pour la maîtrise d'oeuvre.

M. Raphaël Gastebois. - Très utiles aux particuliers, les CAUE sont relativement méconnus de nos adhérents, qui recherchent une véritable expertise sur le patrimoine. Ces structures sont d'ailleurs inégalement réparties sur le territoire, puisqu'elles sont souvent financées par les conseils départementaux. Leurs compétences sont plus ou moins fortes sur les questions patrimoniales. Néanmoins, on ne peut que se réjouir de leur existence.

Mme Sonia de La Provôté. - Vous avez évoqué la question des paysages, urbains ou non. Même si vous intervenez sur du bâti, la covisibilité compte et un grand paysage se joue sur des kilomètres. Êtes-vous interrogés par des propriétaires privés sur les questions de covisibilité ? Les énergies renouvelables, entre éoliennes et parcs photovoltaïques, font de ce sujet une question de plus en plus prégnante.

Faites-vous appel aux ABF quand un propriétaire est concerné par le rayon des 500 mètres et qu'il y a un désaccord avec le permis ou l'autorisation ? Pour un bâtiment qui n'est ni inscrit ni classé, mais qui est dans ce rayon, vous nous dites qu'il n'y a pas de recours. Il me semble qu'il peut y en avoir un. Comment se passe la négociation avec l'ABF ? Pour un monument historique, c'est une nuisance d'avoir à proximité une construction qui ne le met pas en valeur, voire le dégrade, puisque l'environnement humain compte aussi.

Mme Alexandra Proust. - Dans le périmètre délimité des abords (PDA), un recours est possible par le pétitionnaire. Le propriétaire du monument historique qui génère la servitude des abords n'a pas accès à ce recours préalable auprès du préfet de région. Sa seule possibilité est d'attaquer l'autorisation délivrée. Il ne peut pas faire de recours contre l'avis défavorable de l'ABF, mais il pourra attaquer le permis une fois celui-ci délivré. Ce manque d'accès au recours préalable est problématique, surtout pour le propriétaire du monument qui génère la servitude. Lors de la préparation de ce qui est devenu la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP), nous avions discuté avec le ministère de la culture, mais nos suggestions n'ont pas été retenues. Le recours préalable a été conçu pour le pétitionnaire de l'autorisation et pour la collectivité, mais pas pour le propriétaire du monument historique.

Nous avions aussi proposé que le propriétaire privé soit consulté en amont de l'établissement d'un PDA. Il est en effet le plus à même de montrer les covisibilités et les espaces intéressants à conserver. Toutefois, cette proposition a été jugée excessive et le propriétaire n'est désormais consulté qu'au moment de l'enquête publique. Or, à ce stade, le projet est souvent déjà bien avancé. Le manque de moyens humains des ABF les empêche souvent de se rendre sur place et de bien appréhender la situation. Ce manque de personnel est un écueil important.

Sur les éoliennes et les parcs photovoltaïques, en dehors du PDA, nous sommes très sollicités par nos adhérents, lorsqu'ils sont impactés par des projets en covisibilité avec des monuments. Le photovoltaïque commence à émerger et nous sommes en train de définir notre position. Les éoliennes, qui peuvent atteindre les deux tiers de la hauteur de la tour Eiffel, ont un impact visuel beaucoup plus important. Selon la position du monument, sur un piton rocheux ou en bas d'une vallée, l'effet d'écrasement ou la saturation visuelle varient. Nous répondons à des enquêtes publiques en tant qu'association nationale bénéficiant de l'agrément des associations de protection de l'environnement et nous allons jusqu'au contentieux pour aider nos adhérents, lorsqu'il y a des impacts trop importants.

M. Raphaël Gastebois. - Nous sommes très sollicités par nos adhérents sur les éoliennes au point que nous devons délimiter le traitement de ce sujet, sous peine d'y consacrer toutes nos assemblées générales.

Mme Sonia de La Provôté. - Cela en dit long !

M. Raphaël Gastebois. - C'est un sujet crispant et clivant : alors que certains trouvent que cela embellit le paysage et que les éoliennes sont nécessaires pour produire de l'électricité, d'autres soulignent leur impact considérable et précisent qu'on ne peut pas en installer partout. Comme les centrales nucléaires ou les centrales à charbon, les éoliennes, qui, elles, ne polluent pas, font débat.

C'est pourquoi nous sommes parfois prêts à aller au contentieux et nous sommes souvent unis avec d'autres associations sur ce point. Chez VMF, nous n'allons pas systématiquement au contentieux, mais nous le faisons dans des cas graves et emblématiques, comme l'implantation d'éoliennes près de sites classés par l'Unesco. Cela permet d'éviter à la France d'être inscrite sur la liste rouge du patrimoine en péril, ce qui serait préjudiciable au niveau international.

Nous ne voulons pas être les gardiens du temple, mais il est dommage de constater une dispersion généralisée des éoliennes au lieu d'une politique énergétique sérieuse. Nous ne sommes pas contre le développement durable, naturellement, et nous le rappelons à nos délégués, lorsqu'ils représentent les VMF dans les instances locales. Pour être crédible auprès d'un préfet, il ne faut pas arriver en disant qu'on est contre les éoliennes par principe. Il faut analyser chaque projet en fonction de la situation paysagère et émettre un avis fondé. C'est ainsi que nous sommes entendus, même si ce n'est pas toujours par les promoteurs de projets, qui ont d'autres intérêts...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Cela complique la vie des ABF. Il est plus difficile pour eux de formuler des exigences de détail à des particuliers, lorsqu'on a autorisé l'édification d'une éolienne à proximité...

Mme Alexandra Proust. - Les ABF peuvent être sollicités par le préfet pour des projets éoliens, mais ils n'ont pas vraiment de poids décisionnel.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Ils siègent dans la commission et votent...

Mme Alexandra Proust. - Lors des enquêtes publiques, leurs avis sont pris en compte, mais cela reste limité. Nous avions demandé que les ABF soient sollicités pour les projets dans un périmètre de dix kilomètres autour d'un monument historique, comme proposé par l'amendement Germain. Cependant, cette possibilité a été supprimée à la dernière minute à l'initiative du Gouvernement, malgré un consensus parlementaire. Cela nous avait beaucoup déçus. Nous espérons que cette question pourra être réexaminée.

Le pouvoir des ABF a tendance à se réduire, même dans les abords. Par exemple, la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan) a réduit certaines compétences des ABF, comme leur avis conforme sur les antennes de téléphonie mobile, et a introduit une co-construction avec les maires. Ils ne sont plus au centre des mesures relatives aux PDA. Cela crée parfois des tensions, bien qu'il existe aussi des partenariats constructifs. Nous cherchons à stabiliser ce régime des PDA, qui a subi une grande réforme en 2016. Nous souhaitons que les avis conformes et avis simples soient stabilisés, sans être sujets aux fluctuations des volontés gouvernementales ou des projets à venir.

M. Raphaël Gastebois. - Face à ces changements récurrents, on peut se demander s'il n'y a pas une part d'opportunisme de la part de ceux qui cherchent à affaiblir la politique patrimoniale, malgré sa fragilité et son impact limité. Nous avons déjà vu des exemples de cavaliers législatifs tentant de supprimer l'avis conforme par tous les moyens, souvent liés à des projets spécifiques ou à des affaires personnelles.

Cela n'est pas rassurant pour ceux qui s'engagent dans la défense du patrimoine. Ils ont besoin d'aide, mais surtout qu'on supprime des obstacles. Par exemple, lorsqu'une maison se trouve au coeur d'un village et que les projets mitoyens sont catastrophiques et non encadrés, cette maison est vouée à disparaître. La question de ce qui se passe autour, de l'instruction des dossiers et de l'efficacité des services est extrêmement importante. Prenons le cas du zéro artificialisation nette (ZAN) : c'est une initiative vertueuse, mais nous risquons de voir surgir des immeubles de dix étages prétendument écoresponsables au mépris de la ligne d'horizon des villages et de l'harmonie des abords des monuments historiques. Chaque nouvelle invention, même partant d'un bon sentiment, peut constituer une catastrophe annoncée pour le patrimoine.

Mme Sabine Drexler. - Les monuments historiques ont la chance d'échapper aux injonctions relatives à la rénovation énergétique, mais la question des abords se pose. Ne devrions-nous pas lancer un travail d'identification de tout ce qui a une valeur patrimoniale sans être pour autant protégé ?

M. Raphaël Gastebois. - C'est le rôle de l'inventaire général du patrimoine culturel. Sa décentralisation a eu des conséquences variées : certaines régions ont fait des choses merveilleuses, quand d'autres ne s'intéressaient pas beaucoup à la question. Il pourrait être salutaire de confier aux ABF l'identification du patrimoine : ils ont l'expertise et ils ont en permanence besoin de hiérarchiser les enjeux. Quand ils travaillent sur les abords, ils ont à travailler sur ce qui n'est pas protégé en tant que monument historique.

En tout cas, il faut absolument aider un propriétaire qui veut restaurer une belle maison au milieu d'un ensemble dégradé, car ce type de projet montrera qu'on peut réussir à valoriser le patrimoine dans un tissu urbain constitué.

La limite de l'exercice, ce sont les moyens ! Sans équipes renforcées ou sans mutualisation, en particulier avec des services de l'État, cela sera compliqué. Au-delà de la mutualisation, il faudrait aussi de la coordination, parce qu'on constate que les services de l'État mènent parfois sur le terrain des politiques contradictoires. Chaque service met évidemment en oeuvre les politiques publiques pour lesquelles il a été missionné. L'interministérialité nous semblerait particulièrement salutaire en matière de patrimoine. Cela ne suffira peut-être pas, mais nous devons au minimum supprimer les dispositifs qui vont à rebours de cette coordination.

Mme Alexandra Proust. - Nous souhaitons également avancer dans ce sens, car nous connaissons aujourd'hui des difficultés en la matière, par exemple entre les Dreal (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement) et les Drac. Nous devons déjà réussir à faire en sorte que tout le monde s'assoit ensemble autour d'une table pour essayer de trouver des solutions raisonnables partagées entre tous les acteurs. Nous avons d'ailleurs proposé qu'un référent transition écologique soit nommé dans chaque Drac. Nous faisons face au même type de problème en matière d'incendie et de secours. Tout cela demande des moyens et du temps !

Mme Sabine Drexler. - Le ZAN peut aussi avoir pour conséquence qu'un bâtiment classé F ou G soit délaissé et donc destiné à la démolition pour qu'un autre immeuble soit construit à la place.

M. Raphaël Gastebois. - C'est effectivement un choix de société. Dans les années 1930, certains voulaient tout raser au nom de l'hygiénisme ; de nos jours, c'est au nom de la transition écologique. Or, si on rase tout, on va droit dans le mur et on aura un bilan carbone désastreux.

Tout le monde connaît des cas où un dossier - un velux, une menuiserie en PVC, etc. - s'est vu retoquer par un ABF et nous devons travailler ensemble sur ces questions, mais très peu d'acteurs ont leur vision des choses.

Il faut quand même savoir que les seuls alliés des propriétaires de monuments historiques, ce sont les ABF et qu'une menuiserie ancienne qui a une valeur patrimoniale n'est pas recyclable et finit dans les déchets ultimes si elle n'est pas restaurée et si elle n'est pas laissée en place. Évitons les logiques de gaspillage ! J'ajoute que la conférence « L'entretien du patrimoine au service de la sobriété énergétique », que nous avons animée lors du dernier Salon du patrimoine, a eu beaucoup de succès.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Il y a autant de situations que d'ABF ! Les élus n'ont pas tous le même engagement en la matière, mais ils sont tous soumis aux pressions des voisins des monuments historiques... Nous devons finalement trouver une cohérence entre la protection de ce patrimoine et les contraintes imposées aux propriétaires des habitations riveraines.

J'ai l'impression que c'est plutôt le « petit » patrimoine qui n'est pas suffisamment protégé, tandis que les demeures historiques le sont plutôt correctement.

Que proposeriez-vous pour renforcer le pouvoir des ABF ? Il est vrai que les gens ont le sentiment qu'on leur impose beaucoup de contraintes, alors qu'à côté se construit un parc éolien : où est la cohérence ? Par exemple, en Bourgogne, il y a un projet de parc éolien à côté de Vézelay !

Mme Alexandra Proust. - Il nous semble que le dispositif est plutôt bien calé pour les monuments historiques, mais il est vrai qu'il reste un travail à faire sur le reste du patrimoine.

Je crois que les ABF se sentent un peu seuls dans l'exercice de certaines de leurs missions, par exemple pour les autorisations dans les espaces protégés : ils sont souvent seuls contre tous. Renforcer les équipes est donc très important.

Si on leur ajoute des compétences, ce serait trop pour eux aujourd'hui en termes de charge de travail, alors même que ce serait certainement très intéressant, par exemple pour ce qui concerne l'inventaire. Je crois qu'il faut redéfinir leurs compétences pour recentrer leur rôle sur là où ils sont efficaces et les décharger de missions au profit d'autres tâches. Il faut à la fois renforcer les moyens et clarifier les missions des ABF.

M. Raphaël Gastebois. - Est-ce que le patrimoine est suffisamment protégé ou non ? Le dispositif des sites inscrits n'est pas très protecteur. Nous avons 45 000 monuments historiques en France ; c'est dix fois plus au Royaume-Uni, mais nos monuments sont sans doute mieux protégés que dans ce pays. Nous ne sommes cependant pas les champions du monde de la conservation du patrimoine comme certains aimeraient le penser.

Nous avons un patrimoine fabuleux, mais il n'est pas systématiquement inventorié et il est parfois protégé indirectement, aux détours de la protection des abords d'un monument historique. Or, en ce qui concerne les abords, l'avis de l'ABF est fragile juridiquement, en particulier en l'absence de covisibilité. En l'absence de site patrimonial remarquable (SPR) ou d'un autre document spécifique, la protection est assez fragile. Organiser un SPR prend du temps et peut être compliqué, mais cela engage la collectivité et présente un intérêt majeur en termes de protection.

Certaines collectivités sont plus dynamiques que d'autres en la matière et, naturellement, l'ABF aura plutôt tendance à travailler avec des élus volontaires et intéressés. À moyens égaux, une collectivité allante aura donc davantage de facilités à nouer un partenariat avec l'ABF.

En tout cas, on ne doit pas tout attendre de l'État. Il faut un échange entre tous les acteurs de terrain - élus, associations, acteurs du patrimoine...

En termes de proposition, on pourrait se demander s'il ne faut pas inscrire le patrimoine dans la Constitution comme en Italie.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nos auditions ont mis en avant le manque de moyens humains des ABF et leurs difficultés à exercer leur rôle de conseil, alors même que cela éviterait sûrement certains recours.

Certains ont évoqué l'idée de supprimer l'enquête publique pour l'élaboration des PDA ou de prévoir un document annexé au PLU et contenant des directives en matière de rénovation du patrimoine bâti. Qu'en pensez-vous ?

Mme Alexandra Proust. - Nous sommes tout à fait opposés à la suppression de l'enquête publique sauf à ce qu'un autre dispositif équivalent en termes de concertation soit mis en place. Sans enquête publique, le PDA serait de fait construit ou modifié par le maire seul, ce qui me semble dangereux. Un PDA est lancé sur l'initiative du maire ou de l'ABF et nous écrivons souvent un courrier dans le cadre de l'enquête publique pour tenter d'affiner les projets. L'intérêt d'un PDA est de supprimer la notion de covisibilité, mais cela revient souvent à amputer la zone des 500 mètres. L'enquête publique permet une sorte de dialogue et c'est très important.

En ce qui concerne un document qui serait annexé au PLU, il existe déjà le PLU patrimonial qui permet de définir des réglementations très détaillées, par exemple sur les matériaux. Il n'y a donc pas forcément besoin de créer un nouvel outil. En tout cas, le fait d'avoir des règles préétablies claires permet de limiter les ennuis et les contentieux.

M. Raphaël Gastebois. - Je souscris à ce qui a été dit sur le PDA : l'enquête publique est un instrument de démocratie locale ; ce n'est pas une contrainte, mais la garantie pour chacun de pouvoir s'exprimer. Bien sûr, il serait intéressant de simplifier la procédure. Historiquement, la zone des 500 mètres correspondait au village autour de son église ; les choses ont changé et nous devons évoluer.

Mme Alexandra Proust. - Les enjeux d'un PDA sont différents selon les territoires, qu'on soit en zone rurale ou en zone très urbanisée. De notre côté, nous faisons très attention à ce que nous appelons l'urbanisation programmée : une première construction dans un espace vierge risque d'amener à terme d'autres constructions...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Les PDA sont très complexes et longs à mettre en place. Supprimer l'enquête publique supposerait en tout état de cause de mettre autour de la table le maire, l'ABF et les acteurs du patrimoine. Dans les villages, l'enquête publique est une accumulation d'intérêts particuliers contradictoires ! Je ne suis pas convaincu par le côté exercice démocratique de l'enquête publique, même si c'est un moment qui peut être utile.

M. Raphaël Gastebois. - J'ai envie de dire que la France rurale n'est pas désespérante : il y a des tas d'endroits où on arrive à se parler. Quand une enquête publique dégénère, c'est souvent en raison de son sujet !

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - L'éolien !

M. Raphaël Gastebois. - Exactement ! C'est le sujet qui atteint le sommet des intérêts particuliers...

Quand le PDA concerne l'intérêt général et le patrimoine d'une commune, l'enquête publique n'est pas la foire d'empoigne dont on parle parfois.

Mme Alexandra Proust. - Il est vrai qu'il est difficile de mobiliser les gens sur une enquête publique, sauf dans des cas particuliers. Il y a donc un intérêt à rassembler les personnes qui sont intéressées par le sujet pour aboutir à un projet commun.

De ce point de vue, il ne faut pas voir l'ABF comme un empêcheur de tourner en rond, mais comme un partenaire. Il faut remettre l'ABF au coeur du travail de protection du patrimoine, en lui laissant la possibilité d'exercer ses missions de manière sereine. Aujourd'hui, on attend beaucoup des ABF - maîtrise d'oeuvre sur les monuments de l'État, espaces protégés, demandes de label, élaboration des PDA, etc. Or on ne peut pas leur demander l'impossible ! C'est en ce sens que la question des moyens humains est primordiale.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Il y a 500 000 dossiers par an à traiter par 189 ABF, soit treize avis par jour !

Mme Alexandra Proust. - Sachant que le silence de l'ABF vaut accord ! Au-delà des ABF, on observe de très importants dysfonctionnements dans les Drac. La situation y est tendue et les délais de délivrance d'autorisations ou de subventions s'allongent. Il y a quelques années, cela se constatait surtout dans les très grandes régions nouvellement fusionnées, mais cela devient plus global. Ces dysfonctionnements nuisent à la protection du patrimoine.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Est-ce que les dossiers sont mieux instruits en cas de PLU intercommunal (PLUi) ?

Le coeur du problème des ABF est la disponibilité : ils n'ont pas le temps de tout faire. Dans ces conditions, existe-t-il des acteurs qui pourraient les aider dans leurs missions ? Je pense par exemple aux parcs naturels qui disposent souvent de chartes sur le bâti ou aux pôles d'équilibre territorial et rural (PETR) ? Il y a certainement un enjeu de mobilisation globale.

M. Raphaël Gastebois. - Il est vrai que la mutualisation permet la professionnalisation. Les bureaux d'études qui travaillent sur des PLUi ne sont pas les mêmes que ceux qui travaillent pour de petites communes et qui ont tendance à dupliquer les mêmes documents. Les PLUi sont souvent préparés par des équipes pluridisciplinaires qui ont les compétences requises, y compris patrimoniales.

Le revers de la médaille, c'est la durée ! Sortir un PLUi prend des années - je suis impatient que celui de la communauté de communes de Coutances Mer et Bocage sorte enfin ! -, si bien qu'au moment de son entrée en vigueur il a parfois été détricoté en partie... Les services instructeurs doivent monter en puissance ; de ce point de vue, avoir un corps d'architectes urbanistes territoriaux serait une avancée. Les ABF souffrent parfois d'un manque d'interlocuteurs sur le terrain.

Mme Alexandra Proust. - Selon nous, tout ce qui relève des monuments historiques doit rester dans le giron des services de l'État, mais on pourrait mobiliser davantage l'expertise des CAUE ou des CRPA.

Représentants d'associations de conservation du patrimoine - Audition de MM. Gilles Alglave, président de Maisons paysannes de France (MPF) (en visioconférence), Julien Lacaze, président de Sites & Monuments (SPPEF), Philippe Gonzalès, correspondant de La Sauvegarde de l'art français (en visioconférence), et Christophe Blanchard-Dignac, président de Patrimoine-Environnement

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous accueillons à présent trois associations qui oeuvrent à la défense et la protection du bâti patrimonial, des paysages et des monuments historiques.

Je souhaite ainsi la bienvenue à M. Gilles Alglave, président de Maisons paysannes de France (MPF), en visioconférence, à M. Julien Lacaze, président de Sites & Monuments (SPPEF), à M. Philippe Gonzalès, correspondant de La Sauvegarde de l'art français pour le Lot-et-Garonne et ancien architecte des bâtiments de France (ABF), également en visioconférence, et à M. Christophe Blanchard-Dignac, président de Patrimoine-Environnement.

Vos associations respectives se sont donné une mission extraordinaire, celle de préserver ce qui constitue, pour beaucoup de nos concitoyens, un formidable cadre de vie en même temps que leur accès le plus immédiat à la culture ; ce faisant, vous travaillez également au développement du potentiel touristique de nos territoires, et donc à leur attractivité. On imagine cependant très bien que la tâche ne doit pas être facile, notamment au regard des nouveaux enjeux de la transition écologique.

Nous aimerions comprendre comment, dans le cadre de cette magnifique mission, vous avez affaire à cet autre acteur majeur de la protection patrimoniale qu'est l'ABF. Quelles sont vos relations avec les différents acteurs publics intervenant en matière de sauvegarde du patrimoine ? Bénéficiez-vous d'un soutien adapté de la part des ABF ? Selon vous, leurs missions sont-elles définies et exercées de manière pertinente au regard des nouveaux enjeux de la protection patrimoniale ? Faut-il amender les différents outils juridiques encadrant l'urbanisme au voisinage des monuments historiques, notamment les sites patrimoniaux remarquables (SPR) et les périmètres délimités des abords (PDA) ?

Telles sont quelques-unes des questions que se pose notre mission d'information, et auxquelles nous espérons que votre audition permettra d'apporter des réponses.

M. Gilles Alglave, président de Maisons paysannes de France. - L'association Maisons paysannes de France intervient dans ce domaine particulièrement riche qu'est le patrimoine - domaine pas forcément connu et reconnu, car n'étant pas enseigné comme il devrait l'être.

Créée en 1965, reconnue d'utilité publique et agréée « protection de l'environnement », notre association milite d'abord pour faire passer sur le terrain, auprès de tous les acteurs - du propriétaire concerné par l'amélioration énergétique de son logement jusqu'aux professionnels auxquels il fait confiance, en passant par les élus -, la connaissance du bâti dit « ancien », c'est-à-dire d'avant 1948.

Nos actions visent à les familiariser avec un patrimoine immatériel très fragile : l'ensemble des savoir-faire que détiennent quelques passionnés, lesquels ont beaucoup de mal à transmettre au moment de leur départ en retraite. Or ces savoir-faire permettent de préserver et d'assurer la bonne conservation de ces bâtiments anciens, qui maillent nos territoires, campagne et bourgs, constituant un bien commun particulièrement riche et porteur d'attractivité pour notre pays.

Par ailleurs, nous évoluons dans une société très technicisée, où tout passe par des chiffres, des mesures et des normes. Or la norme est appliquée de façon aveugle et ne prend pas en compte les modes de fonctionnement des matériaux, profondément écologiques, mis en oeuvre dans le bâti ancien. Notre but est donc de faire entrer la connaissance de ces matériaux dans la connaissance scientifique, en menant des partenariats avec les chercheurs. Nous en sommes à notre quatrième étude - après le projet BATAN, dont tout le monde a certainement entendu parler et qui a démontré une sous-estimation des qualités du bâti ancien dans les référentiels énergétiques, alors même que celui-ci est performant, économe et dispose d'une qualité d'inertie que n'ont pas les bâtiments construits avec des matériaux industriels. Cette démarche est donc une nécessité, y compris pour pouvoir promouvoir une architecture moderne utilisant ces matériaux très écologiques.

Ce combat, nous le menons avec les ABF. Nous sommes en parfaite synergie avec leur association nationale, qui a participé à l'élaboration des documents que nous avons adressés aux différents ministères : le manifeste du G7 Patrimoine, ainsi qu'un certain nombre de lettres ouvertes.

Nous avons noté, avec satisfaction, que les ministères de la culture et de la transition écologique travaillaient désormais ensemble. Ce n'était pas le cas avant, le ministère de la culture n'ayant notamment pas été sollicité dans le cadre de la mise en place du diagnostic de performance énergétique (DPE). Nous souhaiterions maintenant être davantage associés à la concertation.

Les ABF ont besoin d'être appuyés dans leur travail ; de nombreux services territoriaux de l'architecture et du patrimoine (Stap) manquent de moyens, aussi bien matériels qu'humains. Les interventions de nos associations peuvent permettre d'alléger les charges de travail.

M. Julien Lacaze, président de Sites & Monuments. - L'association Sites & Monuments, que je représente, est la plus ancienne en France : fondée en 1901 autour de l'idée de protection de la nature, elle s'est ensuite intéressée à la question de la protection du patrimoine bâti, puis à celle de la protection du patrimoine mobilier. Dans ces deux dernières composantes, nous rencontrons quotidiennement les architectes des bâtiments de France.

Je précise que, sociologiquement, nos membres ne sont pas des châtelains, même si nous comptons quelques propriétaires de belles maisons ; nous sommes plutôt du côté des visiteurs. L'association est reconnue d'utilité publique depuis 1936 et agréée pour la protection de l'environnement depuis 1978. Elle est également membre de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture, ainsi que de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.

Nous sommes très en osmose avec les demandes formulées par les ABF, estimant même parfois qu'ils ne vont pas assez loin. En tout cas, nous sommes favorables au maintien de leurs prérogatives et souhaitons qu'ils disposent des moyens suffisants pour travailler. Il nous semble ainsi problématique de les évaluer et de tirer des conclusions dans les conditions actuelles de leurs activités.

M. Philippe Gonzalès, correspondant de La Sauvegarde de l'art français pour le Lot-et-Garonne et ancien architecte des bâtiments de France. - Je représente devant vous La Sauvegarde de l'art français, dont le président, Olivier de Rohan Chabot, vous prie de l'excuser et m'a demandé de le remplacer. Je suis également délégué territorial de la Fondation du patrimoine et, comme l'a mentionné Mme la présidente, j'ai exercé pendant trente-huit ans la mission d'architecte des bâtiments de France.

La Sauvegarde de l'art français est une fondation depuis 2017 ; elle existait auparavant sous la forme d'une association, fondée en 1921 par Édouard Mortier, duc de Trévise, dont la présidence a duré vingt-cinq ans et auquel a succédé Aliette de Rohan Chabot, marquise de Maillé. Son action est limitée aux églises d'avant 1800 et aux édifices non classés, soit une cible d'un peu moins de 30 000 édifices.

La fondation entend promouvoir la connaissance du patrimoine mobilier et immobilier, principalement d'essence religieuse. Elle le fait au travers du prix Trévise et du prix Maillé, accompagnant chercheurs et scientifiques dans la publication de travaux de recherche.

Par ailleurs, elle apporte une aide directe à une centaine de dossiers par an, parfois un peu plus, pour un montant total d'environ 1 million d'euros à 1,5 million d'euros. Elle le fait grâce à un fonds dit « leg Maillé », la présidente Aliette de Rohan Chabot, passionnée d'archéologie et d'architecture médiévale, ayant légué sa fortune dans cet objectif. L'aide directe porte sur les travaux, mais aussi sur les études préalables. Pour les édifices non classés, mais inscrits au titre de la protection des monuments historiques, la direction régionale des affaires culturelles (Drac) est effectivement très exigeante et demande des études que les communes ont du mal à financer.

Dans ce cadre, La Sauvegarde de l'art français demande l'avis de l'ABF pour s'assurer - au moins pour les édifices inscrits - que tout est en ordre, que le permis de construire a été délivré, que les études sont faites et les contrôles de la Drac effectifs. Même si tous ne nous connaissent pas forcément, du fait du fort turn-over enregistré actuellement dans cette profession, les artisans de nos échanges sont bien, principalement, les Drac et, au premier chef, les ABF.

À la question de savoir si l'écosystème est satisfaisant, je répondrai en évoquant la métaphore d'un jardin que l'on aurait planté dans les années 1980 ou 1990 et qui, depuis, aurait prospéré. Sans doute faudrait-il réduire son périmètre. Mais peut-on le faire ?... Nous en parlerons, je pense, dans le cadre de notre discussion.

M. Christophe Blanchard-Dignac, président de Patrimoine-Environnement. - Patrimoine-Environnement est une fédération nationale d'associations - elle en fédère 210 -, comptant aussi des membres individuels - juristes, architectes ou paysagistes passionnés de patrimoine. Disposant des mêmes reconnaissances et agréments que les autres, elle est issue de la fusion, en 2013, de deux associations, dont l'une était plutôt axée sur l'urbanisme.

Notre nom veut bien dire ce que nous sommes : des personnes convaincues par la nécessité de conjuguer, et non d'opposer, patrimoine et environnement.

Nous avons de la ville une vision cohérente, estimant qu'il faut intégrer la protection du patrimoine, l'existence d'espaces verts et le respect des paysages dans sa construction. Nous devons effectivement penser aux habitants et je crois que, pendant la période de confinement, beaucoup se sont aperçus du caractère très limité de la perception de verdure et, plus largement, de la vision qui leur étaient offertes dans le rayon où il leur était permis de se promener.

Le patrimoine est pour nous source de valeurs. C'est surtout un patrimoine vivant, qu'il faut d'abord préserver pour qu'il ne meure pas et ensuite faire vivre. Un exemple, s'il n'y a plus d'habitants dans un centre-ville historique préservé, alors il manque une animation et, tôt ou tard, le patrimoine se dégrade.

Nous apprécions les ABF, car ils aiment le patrimoine et se battent avec les pouvoirs que la loi leur a confiés. Ces pouvoirs, nous ne voulons pas qu'ils soient remis en cause, même s'il faut envisager des évolutions pour que la charge très lourde pesant sur ces 189 personnes ne repose pas seulement sur elles. Le patrimoine mérite que tout le monde se mobilise pour lui !

Je précise que je préside Patrimoine-Environnement depuis peu ; c'est le bâtonnier Alain de La Bretesche, bien connu de la Haute Assemblée, qui m'avait fait venir à ses côtés, sentant que sa santé ne lui permettrait pas de s'occuper plus longtemps de la structure.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - J'ai tout d'abord une question à votre attention, monsieur Gonzalès : pouvez-vous nous indiquer les évolutions, positives ou négatives, que vous avez pu constater au cours de votre carrière ?

Mes deux autres interrogations s'adresseront à tous.

La première concerne la possibilité de mettre en oeuvre une notion d'intensité patrimoniale : les exigences doivent-elles être forcément les mêmes pour un habitat situé entre le Louvre et le Palais du Luxembourg ou pour une commune comme celle dont j'ai été maire, Crécy-sur-Serre, qui ne possède en tout et pour tout qu'un seul bâtiment classé ?

La seconde revient sur le dernier thème abordé, à savoir les centres historiques qui se vident. En général, on parle de belles bâtisses, exigeant des moyens importants pour les réhabiliter et les faire revivre. Or les familles n'ont pas toutes les moyens financiers de le faire. Comment appréhendez-vous cette notion ?

M. Philippe Gonzalès. - En 1978, les ABF ont été rattachés au ministère de l'environnement, précisément au grand ministère de l'équipement créé cette année-là, alors qu'ils dépendaient jusqu'alors du ministère de la culture, au sein duquel ils exerçaient leurs missions de manière assez solitaire. Ma carrière a débuté dans ce ministère, tenu par les Ponts et chaussées. Dans les années 2000, le grand écart que représentait ce rattachement s'est fait sentir et, avec nos services de l'époque - les services départementaux de l'architecture (SDA) -, nous sommes revenus au ministère de la culture pour consolider les Drac. D'abord placés sous l'autorité des préfets de département, nous avons formellement rejoint les Drac en 2010.

Quand j'ai commencé, en 1983, tout était plus simple. Au ministère de l'équipement, on nous laissait relativement tranquilles. Une circulaire sortait environ tous les quatre ou cinq ans et nous faisions un peu ce que nous voulions. À partir de 2007, on a commencé à s'occuper de nous, avec deux ou trois textes par an à mettre en oeuvre. Le patrimoine n'a jamais été perdu de vue. Toutefois, le patrimoine non protégé, que l'on désignait à l'époque par le sigle PRNP, pour patrimoine rural non protégé, ayant été décentralisé au bénéfice des conseils départementaux, nous ne nous sommes plus occupés que d'urbanisme et de bâtiments historiques.

Ce que nous avons constaté, donc, c'est une complexification à partir des années 2000, avec, notamment, la nécessité de verdir les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), ancêtres des SPR. Les textes sont devenus de plus en plus équivoques et une certaine distanciation s'est opérée à partir du moment où l'on s'est mis à travailler au renforcement des Drac et à l'intégration des ABF en leur sein. À partir de là, il fallait que nous ayons un nombre important de cadrans sous les yeux pour savoir quel chemin emprunter, que nous fassions du conseil pour tous, sans pour autant perdre de vue le préfet de département, qui ne manquait pas de donner quelques orientations.

Je sais que, maintenant, la question est de savoir comment rendre les choses plus intelligibles. Il faut y travailler, c'est certain !

S'agissant de l'intensité patrimoniale, nous avons beaucoup travaillé sur la cosensibilité : il s'agissait d'une duplication de la covisibilité, notion qui a été appliquée pendant longtemps, mais n'est plus requise dans les PDA depuis la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite LCAP. Nous sommes alors passés à la cosensibilité, ce qui revenait à nous demander d'évaluer l'intensité.

La notion de hiérarchisation me paraît fondamentale. Il n'y a pas de château de Versailles ou de grandes cathédrales partout ! Il faudrait réfléchir à des PDA avec documents prescriptifs - sans en arriver pour autant aux SPR -, notamment pour les villes de plus de 20 000 habitants. L'idée d'une hiérarchisation de l'intensité, par exemple de 1 à 5, me paraît intéressante à soumettre à un groupe d'études, car elle va plus loin que la cosensibilité.

S'agissant des centres anciens qui se vident, les rénovations urbaines des années 1970 ont fait beaucoup de dégâts, mais quand elles n'ont pas été réalisées, les centres anciens croulent partout - pas seulement dans les sous-préfectures. Le travail de revitalisation à mener est immense. Il faut, dans ce domaine, renforcer la collégialité et les ABF doivent forcément être partie prenante sur ces questions. Nous connaissons les difficultés des maires ruraux, mais c'est bien dans les villes de plus de 20 000 habitants que l'on constate les retards les plus importants et les difficultés les plus aiguës.

M. Gilles Alglave. - La notion d'intensité patrimoniale me gêne un peu. Il ne faut pas faire de hiérarchie entre « grand » et « petit » patrimoine.

Le patrimoine qui intéresse notre association n'est ni connu ni reconnu ; il n'existe aucun grand traité sur les éléments magnifiques qui le composent, qui suscitent aujourd'hui l'admiration, mais ont longtemps été considérés comme inintéressants. Je pense notamment au patrimoine en terre crue, auquel je suis attaché, habitant moi-même une maison en pans de bois et en torchis. Aujourd'hui, ce patrimoine vernaculaire est souvent devenu misérable parce qu'il n'est pas compris et qu'il est concurrencé par d'autres modes de construction, qui lui sont préférés. Néanmoins, un « projet national terre crue » a été lancé et je suis certain que ce matériau entrera bientôt dans la modernité.

La notion d'intensité patrimoniale est une question de culture et dépend de l'image que l'on se fait du patrimoine. On pense souvent à celui des villes et vous avez évoqué des quartiers prestigieux, où l'intensité est maximale et pour lesquels chacun comprend bien qu'il faut des contraintes, afin de ne pas porter atteinte à l'histoire.

Les choses sont plus compliquées dans le monde rural, où les contraintes de protection sont bien moindres. Dans de nombreux villages, l'église n'est pas protégée et il n'existe pas de périmètre délimité des abords. Il leur est donc impossible de bénéficier de l'oeil expert d'un ABF pour éviter de mauvaises évolutions.

Ce patrimoine, qui fait partie du cadre de vie des ruraux, leur est aussi étranger que la culture des villes. En effet, il ne fait pas l'objet d'un enseignement, ni dans les écoles ni dans le cursus des études suivies par les futurs architectes même si certains programmes émergent sur cette thématique. Notre association propose des formations, certifiées Qualiopi, auxquelles assistent de plus en plus de conservateurs et d'architectes du patrimoine, pour avoir accès à un savoir sur ce « petit » patrimoine. J'utilise ici des guillemets puisque je conteste cette hiérarchie. Le patrimoine, qui est d'une richesse infinie, constitue un tout que l'on doit aborder avec des exigences communes.

Pour ce faire, nous travaillons à l'acculturation des élus, parfois avec des collectivités territoriales qui nous sollicitent, pour les aider à prendre conscience de cette grande culture que constitue le bâti en bois et en terre, qui est souvent le plus présent, le moins visible, le moins reconnu et le plus fragile, qui est souvent laissé à l'abandon et que l'on voit disparaître au fil des années.

Nous oeuvrons pour faire connaître certaines règles de construction, qui étaient transmises de façon orale, au cours du chemin compagnonnique et sur les chantiers. Il s'agit de règles de bonnes pratiques liées à six techniques faisant usage de la terre en France, qui sont profondément écologiques et peuvent être déclinées dans l'architecture contemporaine, de nombreux projets faisant de nouveau appel à cette intelligence.

Pour développer une connaissance de ce patrimoine, il faut faire des inventaires. Aujourd'hui, lorsque les documents d'urbanisme sont en cours d'élaboration ou de révision, qu'il s'agisse de plans locaux d'urbanisme (PLU), de plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi) ou d'opérations programmées d'amélioration de l'habitat (Opah), le remplissage du volet consacré à l'inventaire de l'architecture remarquable des territoires est facultatif. Nous souhaitons qu'il devienne obligatoire. Il faut aussi aider les élus à réaliser cet inventaire, les éclairer et leur permettre de considérer que leur territoire, aussi rural et éloigné de la ville soit-il, fait envie à de nombreux urbains. Tous les habitants sont sensibles à leur cadre de vie et ont besoin de nature, d'équilibre et de beauté. L'architecture dont nous sommes passionnés fournit un modèle de ce à quoi chacun devrait avoir droit.

Il s'agit d'un patrimoine riche et difficile à cerner parce que les élus se trouvent souvent seuls, qu'ils ne sont pas aidés à prendre conscience de la richesse de leur environnement et qu'ils font souvent l'objet de la pression des promoteurs et des lobbys, qui les poussent à ne pas faire le choix de la conservation et de la préservation.

Nous avons été invités à participer aux treizièmes journées professionnelles de la conservation-restauration, organisées par le ministère de la culture. Par ailleurs, de plus en plus d'écoles d'architecture nous demandent d'intervenir pour remédier au manque de culture en la matière, ce qui est encourageant. Nous devons nous lancer dans un travail pédagogique sur le patrimoine, qui est cohérent avec les notions de développement durable et d'économie d'énergie. Par essence, le patrimoine s'inscrit dans le durable et favorise des matériaux recyclés, tirés du sol et peu coûteux, qui n'ont pas un bilan carbone démesuré. Ces questions sont au coeur de l'actualité et il faut lier les problématiques pour démontrer que, en parlant de cette catégorie de patrimoine, nous ne sommes pas dans le passé et la nostalgie, mais bien dans l'avenir.

Cette question touche à l'activité des territoires de la ruralité. À titre d'exemple, nous travaillons avec deux communautés de communes des Hauts-de-France pour mettre en place des filières de production de chanvre, plante qui correspond à des pratiques historiquement attestées dans cette région. Relancer cette culture ne représente pas un retour en arrière, mais montre que nous nous inscrivons dans une logique patrimoniale, qui permet de développer une activité économique autour d'une plante aux grandes qualités écologiques. Il s'agit aussi de créer des sous-produits permettant d'améliorer les performances thermiques du bâti ancien, puisque ces matériaux répondent à la logique respirante et ne portent pas atteinte au mode de fonctionnement de ces écosystèmes méconnus, que l'on traite mal dans des villages qui ne comportent pas de périmètre protégé. Personne n'y intervient pour mettre fin à de mauvais choix de travaux, qui créent des pathologies et des atteintes au confort des habitants, mais représentent aussi un gâchis d'argent public.

La culture du patrimoine rural est déficiente. Pourtant, ce patrimoine fait la richesse de la France et l'admiration des touristes.

M. Julien Lacaze. - Je suis d'accord avec ce qui vient d'être dit sur la notion d'intensité patrimoniale. D'abord, ce concept existe déjà puisqu'on observe une gradation des instruments de protection à disposition : le simple concept d'abords, le PDA, le plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine, qui protège les façades, et le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV), créé par Malraux, qui permet de protéger aussi les intérieurs et de reconquérir la pleine terre, en éliminant des bâtiments parasites.

Cependant, il serait ennuyeux qu'à instrument de protection égal il existe deux régimes en France, selon l'endroit où l'on se situe. Nous sommes très attachés à une conception nationale du patrimoine et il ne faut pas qu'un maire puisse dire qu'il ne s'intéresse pas au patrimoine et qu'il fait ce qu'il veut, car il est dans son territoire. Nous considérons que les Français s'intéressent par nature au patrimoine du pays, où qu'il se trouve.

La question du coût doit être posée. Les ABF ne rendent pas nécessairement les choses plus coûteuses. Ils conseillent d'abord de bien entretenir l'existant, de repeindre les huisseries et de refaire les mastics, ce qui est peu onéreux. À ce titre, les ABF sont conservateurs et écologistes dans leur façon de faire. Les matériaux peuvent tenir des siècles s'ils sont bien entretenus au fil du temps.

D'autres types de travaux, tels que le remplacement des menuiseries par du PVC, coûtent cher. Ce sont souvent les habitants qui ont le plus de difficultés à financer des travaux, d'autant que des démarcheurs vendent des produits onéreux et peu durables. Les ABF peuvent forcer à investir dans des matériaux plus coûteux, mais qui sont plus durables. Ainsi, l'investissement sera rentable. Les ABF empêchent aussi des propriétaires de rendre leur maison ancienne dysfonctionnelle et de ne pas respecter la logique de circulation de l'air et de l'humidité. Mettre du polystyrène sur les murs ou remplacer des portes par des blocs-portes en PVC coûte cher et crée des désordres auxquels il faut ensuite remédier, ce qui est absurde. Si les décisions des ABF entraînent des coûts supplémentaires, ces derniers sont amortis dans le temps.

Lorsqu'on se promène dans les campagnes, on repère tout de suite quel village comprend un périmètre de protection et quel village n'en a pas. La présence du périmètre change tout et, sur la durée, les ABF limitent les dégâts. J'ai vu des maisons anciennes qui finissaient par ressembler à des pavillons modernes parce qu'on avait arraché leurs menuiseries, arasé leurs cheminées et installé des tuiles industrielles.

Si la France est la première destination touristique mondiale, c'est aussi grâce au travail accompli au jour le jour par les ABF. Il faut maintenir ce système, même s'il a un coût.

M. Christophe Blanchard-Dignac. - En ce qui concerne l'intensité patrimoniale, sa mise en oeuvre est compliquée et j'aurais plutôt tendance à faire confiance aux acteurs concernés, à condition qu'ils soient placés en situation de responsabilité. Il ne faut pas appliquer au patrimoine les réflexes liés à la construction neuve, qui est normative. Dans le bâti ancien, la compréhension du bâtiment et des lieux doit l'emporter sur l'application des normes. Le DPE fait notamment des ravages dans le bâti ancien non protégé, car il résulte d'un raisonnement technocratique, qui consiste à décliner ce qui doit s'appliquer partout. Une telle approche n'est pas possible en matière de patrimoine puisqu'il faut répondre à une logique, à une culture et à une cohérence. Les choix doivent se faire au cas par cas et il revient aux ABF d'y procéder.

Pour que ces derniers travaillent mieux, ils doivent avoir davantage de moyens et ne doivent pas porter seuls la politique du patrimoine. Les élus doivent associer les populations. Sans les ABF et leurs avis conformes, ce serait la catastrophe. Les sites inscrits ne bénéficient pas d'avis conformes et nous voyons ce que nombre d'entre eux sont devenus.

Les ABF empêchent de commettre des erreurs. Mais il faut aussi placer chacun en situation de responsabilité, dans le cadre d'une réflexion commune. Le dialogue entre les maires et les ABF doit être plus suivi, et chacun doit avoir du temps à y consacrer. Or les ABF ont déjà beaucoup à faire avec peu de moyens.

Investir dans le patrimoine est rentable, sur le plan économique, mais aussi en matière de développement durable. Il vaut mieux rénover que tout casser pour reconstruire avec des matériaux venant du bout du monde.

L'ABF donne ses réponses au cas par cas et son intervention constitue une étape, entre un travail réalisé en amont et un travail réalisé en aval. Cette étape fait partie d'une démarche, à laquelle il faut associer les défenseurs du patrimoine, au premier rang desquels doivent figurer les maires, sans lesquels nous ne pouvons rien faire. Un ABF ne peut pas faire émerger une politique patrimoniale dans une commune.

Monsieur le rapporteur, pour assurer le bon équilibre social et écologique d'une ville, il faut que son centre historique soit habité. Les ABF ne peuvent pas régler cette question.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Les moyens alloués aux ABF sont-ils adaptés à leur mission ? Faut-il les renforcer ? Faut-il, a contrario, les redéployer vers d'autres acteurs et, si oui, lesquels ? Depuis le début de nos auditions, nous sentons bien que les ABF sont compétents. Mais ils sont 189 pour traiter 500 000 dossiers. Nous sentons aussi l'importance de coconstruire les projets.

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Ce système n'est pas si coûteux. Il s'agit d'un bon investissement, mais il faut être cohérent. Les ABF ont d'abord besoin d'être mieux connus, y compris par les Drac. Ensuite, ils ont besoin d'être accompagnés sur le temps long, qui est le temps du patrimoine. Lors de son audition, le directeur général des patrimoines et de l'architecture a annoncé des mesures, dont nombre étaient déjà évoquées en 2010. Quand on adopte des mesures, il faut les mettre en oeuvre et le faire en permanence, le patrimoine relevant d'un travail de tous les jours.

Il faut aussi faire prévaloir des règles de bon sens. Nous rencontrons des difficultés à recruter des ABF, mais les primes offertes par le ministère de l'équipement sont plus favorables que celles du ministère de la culture.

Quand un système fonctionne, il faut avoir la main qui tremble avant d'y toucher de façon fondamentale.

M. Julien Lacaze. - En ce qui concerne les moyens, nous sommes émerveillés par ce que parviennent à faire les 189 ABF et les 800 agents des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap) ; c'est stupéfiant. Les revendications consistent à demander un ABF et un agent supplémentaire par Udap, ce qui reviendrait à 200 nouveaux fonctionnaires. Il s'agit d'une goutte d'eau, si l'on compare ce chiffre au nombre d'enseignants par exemple, qui s'élève à près de 900 000. Ces ressources supplémentaires permettraient seulement aux ABF de travailler dans des conditions correctes. Il s'agit d'un métier de vocation, dans l'exercice duquel il n'y a que des coups à prendre. Ce n'est pas normal...

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Et ce n'est pas juste.

M. Julien Lacaze. - L'ABF est un peu comme un enseignant auquel on demanderait d'évaluer ses élèves sans avoir pu leur faire cours avant. Il n'a aucun moyen de faire de la pédagogie et d'expliquer en amont pourquoi il prend telle décision. Il faudrait qu'il y ait une maison du patrimoine, dans laquelle il puisse montrer les matériaux et convaincre le propriétaire de proposer des solutions conformes. La question de l'éducation est fondamentale. Les Français manquent de culture en matière d'architecture et en ignorent même les premiers rudiments. Il faut apprendre à tous les écoliers à différencier un garde-corps années 1930 d'un garde-corps Louis XVI, pour qu'ils puissent s'approprier le patrimoine et que l'autorisation de l'ABF ne soit pas perçue comme une lubie...

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - ... ou comme du mépris social.

M. Julien Lacaze. - Tout à fait. Mais l'ABF doit prioriser ses tâches, peine à rendre ses avis et n'a pas le temps de faire de la pédagogie.

De plus, le sous-effectif des ABF est utilisé comme un argument contre eux. Nous avions proposé un amendement visant à interdire la construction d'éoliennes à moins de dix kilomètres des monuments historiques, dans le cadre de l'examen de la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Le rapporteur nous a répondu que, compte tenu de leur nombre limité, les ABF auraient du mal à traiter l'ensemble des dossiers. Il me semble incroyable de raisonner sur la base d'une situation de sous-effectif qui est anormale.

Lors de la dernière réunion de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture, le maire d'un village de Haute-Loire s'est vu proposer trois périmètres : un petit, un moyen et un plus large. Les trois lui convenaient et le maire a précisé qu'il finançait déjà les ravalements au-delà du premier périmètre. Cependant, l'ABF est intervenu pour expliquer qu'il ne pourrait pas traiter les maisons des zones les plus larges, révélant ainsi une forme d'auto-censure. On travaille mal dans ces conditions et les ABF se voient ensuite reprocher certaines bévues. Nous pourrions même nous demander si cet état récurrent de sous-effectif n'existe pas un peu à dessein ; il permet de dire que les ABF empêchent l'activité économique et qu'il ne faut pas leur donner de postes supplémentaires, qui leur permettraient de tout bloquer, il justifie le fait de leur donner le moins de moyens possible et les rend les moins sympathiques possible, pour qu'ils ne puissent pas expliquer ce qu'ils font en amont. Il s'agit d'une façon de faire régresser la protection du patrimoine en France. La première chose à faire est de donner les moyens de travailler aux ABF, qui sont sur tous les fronts du patrimoine. Mégoter pour 200 fonctionnaires est aberrant.

M. Gilles Alglave. - La plupart des ABF sont à bout de souffle. Tous travaillent à flux tendu et ne parviennent pas à mener leur travail correctement. Nous déplorons parfois des ratés, comme lorsqu'un technicien maltraite un dossier, ce qui entraîne la destruction d'un bâtiment, alors que l'architecte n'aurait pas pris la même décision. Ces errements sont le résultat d'un surmenage des services qui ne peuvent pas travailler autrement que dans l'urgence.

Un effort pourrait être fait en matière d'effectifs, même en ces temps de contraintes budgétaires : il faut y voir un investissement, non une dépense.

J'en appelle à une synergie de toutes les forces en présence - les associations en font partie. Or celles-ci ne sont pas suffisamment sollicitées : ce faisant, l'administration se prive d'une aide précieuse. Les associations, parce qu'elles représentent la société civile, sont parfois en mesure de débloquer des situations et de créer au fil du temps des moments d'échange, d'acculturation commune sur un territoire, afin que le patrimoine devienne un bien commun, et non pas simplement la propriété d'un individu qui a décidé de peindre sa maison en rose ; et, comme nous sommes en France, pays des libertés, celui-ci estime qu'on devait l'autoriser à faire ce qu'il avait décidé. Nous avons tous adopté cette mentalité de consommateurs...

Compte tenu des enjeux écologiques, le rêve d'habiter une maison individuelle au milieu de sa propre parcelle est aujourd'hui remis en cause. Pendant des lustres, des lotissements ont été créés, notamment dans les campagnes, en totale contradiction avec l'intelligence de nos anciens.

Pour faire des économies - des économies d'énergie et d'énergie grise, notamment -, il faudrait valoriser le réemploi de l'habitat ancien en l'adaptant aux besoins modernes, grâce à des aides plus importantes et à des incitations fiscales : cela serait pertinent pour atteindre nos objectifs écologiques et préserver ces trésors de notre patrimoine, dont nos jeunes ont bien besoin aujourd'hui.

M. Philippe Gonzalès. - Il faut restituer l'action des ABF dans le contexte des grandes régions - la Nouvelle-Aquitaine, par exemple, est plus grande que l'Autriche. Pendant longtemps, les Drac ont tout fait pour préserver les équivalents temps plein (ETP) des unités départementales de l'architecture et du patrimoine.

Les effectifs des ABF n'ont pas évolué : un tiers des départements ne disposent que d'un seul architecte. Or il en faudrait deux par département, au minimum. Un seul ABF ne peut être présent sur tous les fronts, sans compter que nombre d'entre eux sont victimes de surmenage. Avec un poste et demi supplémentaire, voire deux, les ABF pourraient mener davantage d'opérations de pédagogie et de communication, avec l'appui des Drac.

Les échanges collégiaux existent déjà entre les ABF et les communes qui disposent d'effectifs techniques suffisants : bien souvent, le calendrier est très serré, mais le dossier finit toujours par aboutir, parfois avec plusieurs mois de retard.

En tout cas, il faudra hiérarchiser les priorités. Par exemple, les bâtiments d'avant 1500 sont nos incunables. À l'inverse, une croix sur un chemin, qui a été restaurée plusieurs fois, ne saurait emporter la même préoccupation. Toute ma vie durant, j'ai essayé de hiérarchiser les priorités et les objectifs : la ruralité, bien sûr, mais il faut aussi aider les villes de plus de 20 000 habitants. En Lot-et-Garonne, certaines avancent sur la question de la protection du patrimoine, d'autres moins.

Seule la collégialité nous permettra de progresser, en élargissant la liste des personnes s'intéressant aux questions liées au patrimoine. Heureusement, nous ne sommes pas seuls : les Drac, les conservateurs du patrimoine des conseils départementaux, les Udap sont autant de professionnels qui disposent d'une connaissance fine des enjeux. Toutefois, le chemin risque d'être long : nous n'aurons pas ces nouveaux postes demain matin.

M. Lacaze l'a bien dit : autrefois, le secrétaire d'État aux Beaux-Arts relevait du ministère de l'éducation nationale. Nous sommes prêts à partager ces ETP supplémentaires avec eux...

Mme Sabine Drexler. - Je souscris à tous les propos tenus durant cette audition. Messieurs les représentants des associations patrimoniales, nous sommes vos alliés. Nous sommes à vos côtés, vous pouvez compter sur nous.

Je ne suis pas favorable à la hiérarchisation du patrimoine : cela reviendrait à considérer qu'il existe un patrimoine prestigieux et un autre qui ne serait pas digne d'intérêt.

La Collectivité européenne d'Alsace (CEA) aide à la restauration du patrimoine : le montant des subventions est quadruplé si les élus entreprennent d'identifier leur patrimoine non protégé.

Éduquer nos enfants aux enjeux du patrimoine est essentiel ; cela éviterait de devoir expliquer aux adultes pourquoi il ne faut pas mettre du polystyrène sur des pans de bois, par exemple.

L'État devrait consacrer davantage de moyens à la restauration du patrimoine, en raison de son importance du point de vue écologique, mais aussi économique : notre patrimoine attire des millions de touristes chaque année. Des débouchés pourraient aussi être créés au profit du monde agricole, avec le développement de filières biosourcées, par exemple.

Les enjeux sociaux sont également importants. Actuellement, les logements classés F et G sortent du parc locatif : c'est dramatique, alors que nous faisons face à une crise aiguë du logement. Des moyens plus importants devraient être consacrés à la rénovation énergétique.

M. Christophe Blanchard-Dignac. - Il existe des aides publiques pour installer du polystyrène sur des pans de bois : non seulement cela crée des dégâts sur les maisons anciennes, mais cela altère la santé des personnes qui y vivent. Si celles-ci étaient supprimées, les économies générées seraient beaucoup plus importantes que les dépenses nécessaires à la création de quelques postes d'ABF.

M. Julien Lacaze- Il serait question de transformer l'avis conforme de l'ABF en avis simple.

Nous nous sommes penchés sur le cas de la ville de Foix. Certains bâtiments ont fait l'objet d'un arrêté de péril signé par le maire et d'un arrêté d'insalubrité pris par le préfet, avec pour conséquence de transformer l'avis conforme de l'ABF en avis simple. Pourtant, ce dernier décrit les quatre monuments historiques voués à la démolition comme « une très belle composition pittoresque, la carte postale de la ville. La démolition de ce rideau de maisons au bord du fleuve serait une perte irrémédiable sur le plan architectural, historique et patrimonial, de nature à altérer gravement et définitivement le caractère et la qualité des abords protégés ». Il termine avec un regret : « Ce projet tombe sous le coup de la loi Élan » - la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique. Comme l'ABF n'émet qu'un avis simple, le maire est autorisé à délivrer un permis de démolir. On voit le résultat : toutes ces maisons seront détruites. Avec nos avocats, nous avons essayé d'attaquer le permis de démolir et les arrêtés d'insalubrité, sans succès. C'est pourquoi nous vous encourageons à ne pas développer les exceptions figurant à l'article L. 632-2-1 du code du patrimoine.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour vos remarques. N'hésitez pas à nous transmettre tout document que vous jugeriez utile avant le 4 juin prochain.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Yves Dauge, président d'honneur de l'association des biens français du patrimoine mondial et président d'honneur de l'association Sites & Cités remarquables de France

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous achevons cette demi-journée d'audition avec notre ancien collègue, Yves Dauge. Monsieur le sénateur, c'est un plaisir de vous recevoir dans cette maison que vous avez occupée pendant dix ans.

Il nous a paru important de vous entendre pour bénéficier de votre rare expertise. Vous avez en effet été maire pendant 34 ans, entre 1971 et 2006, des villes de Saint-Germain-sur-Vienne, puis de Chinon. Vous avez également été conseiller général d'Indre-et-Loire pendant 25 ans, conseiller régional du Centre pendant 11 ans, délégué interministériel à la ville et au développement social urbain de 1988 à 1991, député de l'Indre-et-Loire de 1997 à 2001. Au Sénat, de 2001 à 2011, vous avez été un membre éminent de la commission culture.

Parmi vos préoccupations nombreuses figurent les questions liées au patrimoine et à sa préservation, comme en témoignent vos fonctions actuelles de président d'honneur de l'association des biens français du patrimoine mondial et de président d'honneur de l'association Sites et Cités remarquables de France. Nous avons auditionné son président, Martin Malvy, la semaine dernière.

Enfin, en tant que Sénateur, vous avez consacré un rapport aux métiers de l'architecture. Il a fait date dans la profession. Nous sommes donc très heureux de pouvoir bénéficier de votre hauteur de vue sur notre débat, en raison de la diversité de vos fonctions exécutives, au niveau national et local, et législatives. Le recul que vous donne votre antériorité en la matière vous a peut-être permis d'observer l'évolution de notre cadre réglementaire en matière de protection du patrimoine. Vous pourrez certainement nous faire part de votre sentiment sur la situation actuelle.

M. Yves Dauge, président d'honneur de l'association des biens français du patrimoine mondial et président d'honneur de l'association Sites & Cités remarquables de France. - Merci de m'inviter. J'ai exploré toutes les facettes de ce sujet depuis 40 ou 50 ans. Il n'est pas si compliqué, en réalité. J'ai toujours travaillé étroitement avec les architectes des bâtiments de France (ABF). Je les toujours défendus avec ardeur. Je n'ai jamais rencontré de problèmes avec eux. En tant que maire et président de diverses institutions, j'ai toujours collaboré avec un architecte des bâtiments de France, qu'il s'agisse de patrimoine mondial, de sites protégés ou de parcs naturels. Je n'ai jamais rencontré de difficultés. Parfois, je me demande pourquoi les autres rencontrent des obstacles. Quelle en est la cause ?

J'ai toujours pensé que nous partagions les mêmes ambitions. J'ai rencontré de nombreux architectes des bâtiments de France au fil des ans, et j'ai toujours réussi à établir une relation presque amicale avec eux. Je leur faisais confiance. Je crois que celle-ci était réciproque. Ils savaient que je ne soutiendrais pas des opérations problématiques. Si des hésitations surgissaient, nous prenions le temps de discuter avec les pétitionnaires au lieu d'aller au conflit, qui aurait été inutile.

De plus, j'étais en charge d'un secteur sauvegardé, ce qui facilite les relations. J'étais couvert par la loi de juillet 2016 créant les sites patrimoniaux remarquables (SPR), une loi dans laquelle le Sénat a joué un rôle décisif. À l'époque, nous étions confrontés à quelques problèmes avec le ministère, ce qui est paradoxal, mais tout se déroulait correctement.

Le secteur sauvegardé est un document de planification d'une importance considérable, sur lequel je m'appuyais. J'avais contribué à son élaboration. Mon plan local d'urbanisme (PLU) abordait également de nombreuses questions patrimoniales.

L'exercice de planification est fondamental en France, depuis longtemps, comme en témoigne la loi Pisani d'orientation foncière. Il a monté les schémas d'aménagement et de développement, devenus les PLU. Dès 1962, nous bénéficions déjà de documents de secteurs sauvegardés. J'encourage donc mes collègues élus à s'appuyer sur ces acquis.

En fin de compte, le premier responsable d'un éventuel dysfonctionnement est le maire. Il est crucial que les élus, surtout ceux en première ligne, travaillent en accord avec l'État pour éviter les erreurs. C'est, il me semble, la clé du succès. Si l'architecte des bâtiments de France se sent reconnu et respecté, il exercera son travail dans de bonnes conditions. C'est ce qui explique que je n'ai jamais été confronté à un conflit. Je ne suis pourtant pas un cas unique.

Un travail doit certainement être mené du côté des élus. Les remises en cause du rôle de l'architecte des bâtiments de France émanaient souvent de l'Assemblée nationale, où j'ai parfois dû me battre avec des collègues à l'initiative des remises en cause du rôle de l'ABF. Je peux citer en exemple le maire d'Orléans de l'époque. Heureusement, François Mitterrand, alors ministre, m'a soutenu fermement, sauvant ainsi les zones de protection à ce moment-là.

Pour autant, ces critiques venaient de maires, qui assuraient qu'ils ne pouvaient pas travailler, car les ABF les en empêchaient. Je leur répondais que c'était insensé : dans un pays qui se dit épris de culture et qui aime son patrimoine, ces tensions n'avaient pas lieu d'être. Ce sujet est consensuel. La France attire par ses paysages, tout de même.

Par ailleurs, je n'avais pas de problème avec les ABF, parce que j'avais embauché des personnes compétentes dans ma ville, des passionnés de patrimoine, des architectes et des paysagistes. J'avais même créé une petite agence d'urbanisme pour l'intercommunalité, car c'est à cette échelle que nous devons penser aujourd'hui. Mon équipe était compétente. En cas de problème, nous nous rendions sur le terrain avec le responsable. Il m'expliquait la situation, et nous prenions des décisions ensemble.

Ensuite, il arrive souvent que des promoteurs présentent des projets inadéquats. Dans ces cas, nous les rencontrions, discutions et indiquions ce qui n'allait pas. Nous évitions ainsi les recours. Nous devons en effet arrêter de nous engager dans des conflits inutiles. Un travail de planification en amont est nécessaire, avec des secteurs sauvegardés et des zones de protection du patrimoine.

Nous ne pouvons pas laisser ces territoires dépourvus d'intelligence et de culture, en attendant que l'ABF sauve la situation. Heureusement, les parcs naturels, les sites du patrimoine mondial ou les SPR existent. Ces territoires se développent. Des demandes de classement de monuments historiques ou de territoires sont émises. J'ai beaucoup travaillé sur le patrimoine mondial. J'ai été à l'origine de l'inscription de 284 kilomètres de corridors fluviaux de la Loire à son registre. Elle a nécessité la collaboration avec les régions et une équipe dédiée.

J'ai toujours compté sur notre propre initiative, avant de compter sur l'ABF. J'étais en première ligne, et j'ai convaincu beaucoup de gens. Ce n'était pas toujours facile, mais mon bilan reste positif. De nombreux maires sont sensibles à la qualité. Des associations soutiennent ces efforts.

Je n'aborde pas le sujet par l'angle des conflits, des recours et des oppositions. Ils sont souvent inutiles. J'essaie de les apaiser, le cas échéant.

Évidemment, il est essentiel d'investir, d'embaucher des gens et de réaliser des études. Même un secteur sauvegardé ne dit pas exactement quoi faire lors des travaux. Il est nécessaire d'aller plus loin. Je plaide pour une approche qui intègre la conception et le traitement des projets. Dans un pays possédant un tel patrimoine, l'avenir repose sur les secteurs protégés et les grands paysages, soutenus par les élus et les associations.

J'étais en poste à la direction de l'urbanisme lors de la décentralisation, qui a rencontré un véritable succès. La loi en la matière a été enrichie, car l'État fonctionnait alors sur des circulaires minimalistes. Nous avons élaboré une loi qui a défini clairement les questions essentielles.

Avec Christian Vigouroux, mon adjoint de l'époque, devenu conseiller d'État par la suite, nous avons intégré l'essentiel des circulaires dans la loi. Les élus pensaient qu'un nombre de lois plus réduit leur offrirait plus de libertés. En réalité, ils ont été confrontés à des exigences accrues. Ils les ont respectées.

J'ai aussi rédigé un rapport sur les centres historiques pour l'ancien gouvernement. Je me suis toujours placé du point de vue des élus. J'ai suggéré de créer de l'intelligence, de la matière grise, dans chaque commune et intercommunalité, en mettant en place ce que j'ai appelé de la « maîtrise d'oeuvre urbaine, architecturale et sociale ». Ce sujet concerne aussi le social, et notamment l'habitat indigne, base essentielle de mes propositions. Il s'agit de recréer des ateliers de maîtrise d'oeuvre à la base, sur l'intercommunalité. Ce n'est possible que dans de petites communes de 300 ou 400 habitants. Ces démarches demandent d'embaucher un architecte, un paysagiste, et de développer des alliances. Nous n'avons pas besoin de structures coûteuses, mais de collaborations avec les acteurs de proximité. Il existe de très bons conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Ils sont exemplaires. Les architectes-conseils, que j'ai bien connus, ne doivent pas travailler seuls. Ils doivent collaborer avec la direction des territoires et les services départementaux de l'architecture et du patrimoine (SDAP).

Du côté de la collectivité ou de l'établissement public, un chef de projet doit incarner l'ambition territoriale et patrimoniale. Il doit rassembler les forces et les faire travailler ensemble. Elles ne doivent en effet pas être isolées. Il est du rôle des élus de coordonner et de créer du lien. Les gens sont prêts à travailler ensemble, mais il faut les motiver et les accompagner.

Dans mon département, l'Indre-et-Loire, j'ai soutenu un conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement, depuis devenu l'agence départementale d'architecture et de construction (ADAC). Elle conseille aussi les particuliers. Dans le Gard, un CAUE est devenu également une agence départementale d'urbanisme et d'architecture, comptant 25 à 30 agents. Ils sont compétents et reconnus, financés par le département, et sollicités par les élus.

L'architecte des bâtiments de France en est satisfait. Il intervient de temps en temps et approuve ce qui est fait. Si un problème se pose, il suffit de le résoudre. C'est si facile. Ce sujet constitue à mon sens une priorité. Je défends ce projet politique sur des sujets essentiels comme le paysage, l'urbanisation, les sols, la transition énergétique. Ils se traiteront localement, sur le terrain, et non dans les organigrammes des ministères. Il est impératif de les accompagner. Au regard de l'enjeu associé, je m'agace parfois du débat portant sur les avis conformes ou non conformes.

De quoi parlons-nous ici ? Un avis simple peut être aussi complexe à donner qu'un avis conforme. Ils supposent tous deux une connaissance, une capacité à comprendre ce qui se passe. C'est le fait de disposer d'une infrastructure intelligente qui compte.

J'ai toujours défendu l'État et les fonctionnaires, qui ne sont pas toujours traités convenablement. Je qualifie toujours les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) de services départementaux auprès du préfet, qui joue un rôle majeur pour régler les conflits. Je regrette leur organisation : l'architecte des bâtiments de France dépend du directeur régional des affaires culturelles. Ce dernier a d'autres priorités. Il ne comprend pas toujours le rôle de l'ABF. Le lien institutionnel n'est pas adéquat : sur le terrain, l'ABF travaille avec le préfet et les architectes. Il crée un lien institutionnel qui n'est pas adéquat. Je serais très surpris si vous trouviez des DRAC ou des ABF satisfaits du fonctionnement actuel.

Comment réagit-on en cas de conflit ? On se tourne vers les DRAC, qui ont d'autres priorités. Elles sont constituées d'un assemblage de personnes indépendantes avec leurs propres responsabilités : le conservateur, l'archéologue, l'ABF. Chacun est indépendant, et a son autorité propre. Le DRAC en lui-même peut assurer une animation, mais il se pose un réel problème de coordination.

Ensuite, la situation des SDAP est difficile. J'ai travaillé avec certaines d'entre elles. La tension est extrême. La pression pour répondre rapidement est immense. Sous la loi ELAN, les parlementaires ont réduit les délais, sous la pression des promoteurs, de sorte à « construire plus vite et moins cher ». Le service subit donc une tension extrême, en contradiction avec l'idée de prendre le temps, de travailler ensemble, de faire des compromis intelligents. Les postes manquent, et les tâches administratives sont compliquées. Ce service est l'un des derniers de l'État sur le terrain, sinon le dernier.

On ne lui facilite pas la tâche. Le ministère de la Culture, que j'ai toujours défendu, en est conscient. Pourtant, le budget et les préoccupations connexes sont ignorés. Les SDAP constituent le dernier souci d'un gouvernement, parce qu'on ne perçoit pas ce qui se cache derrière.

Ainsi, on laisse dépérir un service départemental sous tension, incapable de faire face aux délais imposés et à la masse de demandes. Mon département, l'un des plus riches en patrimoine, compte cinq ou six secteurs sauvegardés, du patrimoine partout, des périmètres de protection des abords en abondance. On y manque cruellement de personnel compétent. Les absences augmentent, les agents craquent. Continuons-nous ainsi ? On pense que le débat porte sur les avis simples ou conformes. Il est ridicule de se quereller à ce sujet. La véritable question concerne le service au bord de la catastrophe. Il ne peut plus fonctionner.

Que fait l'ABF devant cette accumulation ? Faute de temps pour répondre de manière intelligente, il émet des refus. Ainsi, il pense sauvegarder un peu, en attendant la suite. Donc, nous nous sommes positionnés du côté de l'État. Nous nous sommes engagés dans une ambition zéro. Pourtant, nous venons de loin. Depuis Mérimée et ses contemporains, des lois magnifiques ont été votées, dont celle d'octobre 1962 portée par André Malraux. Avec la décentralisation, nous avons créé les zones de protection du patrimoine. Nous avons décidé de conserver les secteurs sauvegardés, en appliquant un rôle fort de l'État tout en se rapprochant des élus. La zone de protection a été créée à cette fin. Ensuite, la loi de 1967 sur l'architecture a institué des avancées majeures. J'ai été très impliqué dans cette loi avec Florence Contenay, qui nous a quittés l'année dernière.

Le ministère de l'équipement était à l'époque humain, et comptait des fonctionnaires et administrations de haut niveau. La loi de 1977 sur le rôle de l'architecte, la maîtrise d'oeuvre, constituait un progrès considérable. La loi de juillet 2016 a ensuite institué les SPR, avec l'aide majeure du Sénat. Elle a été votée à l'unanimité, ce qui constituait une très bonne nouvelle au regard du sujet traité.

Puis vint la loi ELAN, malheureusement mal nommée. Elle a commencé à démanteler le système. Certains amis m'ont dit qu'elle était une erreur, mais ils l'ont votée quand même, suivant des instructions. Pour ma part, je n'aurais jamais voté une telle loi. J'ai entendu le slogan suivant : « il faut construire plus vite et moins cher ». Non, il faut construire au juste prix, qui est parfois moins cher, mais ce n'est pas toujours le cas. De même, il ne faut pas construire plus rapidement. Au contraire, il est important de prendre le temps nécessaire, mettre de l'intelligence dans les territoires et dans les services. Nous nous sommes embarqués, avons ouvert une porte, celle de l'avis conforme. J'y vois un signe désolant de recul.

Nous suivions une bonne trajectoire, depuis longtemps. Elle s'est interrompue, sous prétexte qu'il faudrait aller plus vite pour l'économie. C'est faux. Plus on investira en amont, plus on ira vite, et mieux on gagnera. Tout le monde le sait. Aujourd'hui, l'État se place en position de faiblesse. Je le défends, et je défends l'architecte, mais il est impératif de retrouver une ambition. L'investissement nécessaire est dérisoire au regard de ce que l'on pourrait gagner. Nous faisons des économies - si tant est que ce soient des économies, étant donné que plus on investit en amont, plus on gagne en aval.

Ensuite, j'ai souvent évoqué la question du statut d'architecte et de paysagiste. Je prenais l'exemple des architectes-voyers de la Ville de Paris. Ils jouissent d'un statut particulier, très spécifique à la ville. Ce sont des professionnels exceptionnels.

Je m'en étais inspiré pour évoquer la création d'un statut qui permettrait aux architectes de travailler pour le bien commun au sein des collectivités territoriales. On les retrouve dans les parcs naturels, les grands sites, ceux qui sont inscrits au patrimoine mondial. Je ne suis pas sûr que leur statut actuel leur convienne.

Nous ne pouvons pas travailler sans architectes. Nous pouvons aujourd'hui traiter les grandes causes avec des paysagistes, des architectes du patrimoine et des architectes compétents en matière de transition énergétique, afin de résoudre tous ces problèmes.

Ainsi, à mon sens, l'avis conforme ou non conforme n'est pas un problème. C'est une issue lamentable au bout d'une politique de régression. On laisse les choses traîner, et on finit par proposer une solution en instaurant des avis simples. Ce constat montre à quel point nous sommes éloignés du véritable problème. Ceux qui défendent cette idée ne comprennent rien. Je peux accepter que l'on donne un avis simple de temps en temps, pourquoi pas. Mais je vous l'assure, dans l'état actuel des services, on ne peut pas donner d'avis, ni simple, ni conforme. Alors, pour préserver l'avenir, on émet des refus, et on crée des conflits. Je vais m'arrêter là, pour éviter de m'emporter.

Il se pose également une question s'agissant des abords. À une époque, nous avions fixé ces 500 mètres à des fins de simplification absolue. Pourtant, depuis longtemps, nous cherchons à élaborer un système plus intelligent, avec des périmètres traités par règlement. Nous comptons 40 000 ou 50 000 monuments. Comment allons-nous faire ? On ne peut pas dessiner un nouveau périmètre sur un coin de table. Il est nécessaire d'investir des moyens, d'engager des architectes, des paysagistes, des bureaux d'études compétents. Pour ce faire, nous devons financer des études, mais avez-vous vu les budgets dédiés du ministère de la culture ?

Je m'étais battu avec Françoise Nyssen, que j'appréciais beaucoup, et elle m'avait promis son soutien. Elle m'a effectivement aidé en allouant 9 millions d'euros. Quelle victoire incroyable, mais dérisoire.

L'une des personnes précédemment auditionnée Christophe Blanchard-Dignac est remarquable. Lorsqu'il était directeur du budget, il m'a notamment aidé pour les secteurs sauvegardés. J'avais demandé un taux de TVA réduit à 5,5 % partout. Ce dernier a été marginalisé : chaque projet est examiné avec des fonctionnaires très avisés. Ils décident de ce qui relève de ce taux - la restauration d'une fenêtre, par exemple - et ce qui n'en relève pas - un plancher en béton. Dans les secteurs sauvegardés, les travaux lourds sont assujettis à une TVA à taux plein. Nous sommes donc pénalisés et marginalisés.

Pourquoi ? Christophe Blanchard-Dignac faisait preuve d'une certaine écoute, mais il était prisonnier de son système. Le budget est une machine impressionnante, avec des personnes très compétentes capables de dire où se situe la TVA à taux plein et celle à 5,5 % lors de la rénovation d'un bâtiment. J'ai demandé d'arrêter ce système, de passer tous les travaux à 5,5 % de TVA et d'augmenter la défiscalisation dans les plans de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP) et les secteurs sauvegardés, à hauteur de 50 %. Cette mesure ne coûterait rien à l'État, car les travaux génèrent de l'emploi et des revenus. On pinaille sur des détails, alors que les enjeux sont énormes.

Le ministère de la culture est en première ligne, mais il est tellement affaibli. Les fonctionnaires sont déçus et sceptiques. Les finances sont là, mais il faut convaincre de leur puissance. Je place mes espoirs dans les élus, les associations et les secteurs géographiques en développement, car la masse de travail va augmenter. Il reste à voir si nous répondrons à cette demande.

Dans l'état actuel des choses, nous ne pourrons y faire face. Rien que la question des périmètres des abords représente un travail considérable. On m'a dit que nous avons commencé à modifier les périmètres, mais nous en sommes aux prémices de ce travail. Qui va s'en charger ? Il simplifierait grandement le travail des ABF, j'en suis certain.

Je m'arrête là, pour ne pas vous donner le sentiment que je suis découragé.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Je n'ai plus grand-chose à ajouter après cet exposé passionnant, et présenté de la manière adéquate. Vous avez déjà répondu à mes questions. Nombre de vos constats sont partagés au sein de cette assemblée.

Vous avez évoqué le manque de personnel et la surcharge de travail, qui conduisent à des prescriptions intenables. Vous décrivez parfaitement cette réalité.

En tant que départementaliste, je rejoins votre avis sur les DRAC. L'échelle de proximité doit être préservée.

Concernant votre expérience d'élu local, il est clair que la présence physique des ABF et les échanges avec eux permettent que tout se passe bien. Simplement, ces échanges physiques n'existent pas partout. C'est là que des problématiques éclosent.

Au début de la mission, je percevais la situation comme vous. Chacun est influencé par son histoire. Prenons l'exemple d'un maire d'une commune de 200 habitants qui n'aura jamais de contact physique avec l'ABF, faute de temps et de personnel. Il se retrouve coincé entre des prescriptions superficielles et des citoyens incompréhensifs. Ce n'est pas simplement une question d'avis conforme.

Depuis le début de la mission, j'ai l'impression qu'on échange des éléments positifs sur les ABF. C'est rare. Des maires se plaignent de ne pas les voir, de ne pas comprendre leurs décisions. Ces dernières laissent souvent les citoyens perplexes. Cette mission a pour objectif d'améliorer cette situation.

Ensuite, l'idée de périmètres délimités des abords est séduisante pour les ABF et les communes, mais sa mise en place est compliquée et procédurière. Comment imagineriez-vous une procédure simplifiée, qui permettrait de progresser plus rapidement sans négliger le fond ?

Enfin, comment concevoir un mécanisme local avec l'intercommunalité pour faciliter la vie des ABF ?

M. Yves Dauge. - J'ai évoqué les CAUE du Gard et du département d'Indre-et-Loire. Ils accomplissent ce travail. Ils forment une équipe assez conséquente, sont présents sur le terrain, et collaborent étroitement avec l'ABF. Ils travaillent main dans la main en permanence, souvent dans des communes de quelques centaines d'habitants. Pour celles-ci, l'intercommunalité aurait pu créer un outil d'étude à leur disposition, mais je suis contraint de remonter au niveau du département et des conseils d'architecture. C'est tant mieux.

Je suis moi aussi départementaliste sur ces questions. Ce sujet ne relève pas de la région, mais bien du département, directement concerné par ce travail.

Le conseiller général connaît lui aussi beaucoup de choses. S'il veut être réélu, il doit s'occuper de ces questions, et y trouver des solutions. Ainsi, le département est incontournable dans la résolution de ces problèmes très locaux avec l'ABF. Pour y répondre, le conseiller général peut être alerté. Il peut apporter des solutions, mais il ne peut pas répondre seul. Il devrait être accompagné par une sorte d'agence départementale, un CAE. Il n'en existe pas partout. Leur répartition devrait être examinée. Je pense que nous devons encourager cette direction, car il en existe de bons exemples.

D'ailleurs, je sais que le Gard et l'Indre-et-Loire ont créé au sein du réseau des agences un groupe qui aborde le problème de cette manière, en affirmant avoir une vocation départementale pour travailler avec les élus et débloquer les situations en relation avec l'ABF. Ils sont très efficaces.

Les maires les contactent immédiatement lorsqu'ils rencontrent un problème, pour bénéficier d'une médiation. Dans ce contexte, le département porte une vocation fondamentale d'aménagement territorial, avec une connaissance extrêmement précise des territoires par les conseillers généraux. Ce n'est pas le cas de la région.

Le recrutement d'architectes et de paysagistes constitue une piste de réflexion. De même, quelques grandes intercommunalités peuvent également se doter de ces moyens. Dans le rapport que je citais plus tôt, portant sur les centres historiques, j'ai préconisé un dispositif de maîtrise d'oeuvre urbaine, sociale, architecturale. On dit parfois que l'ABF doit consentir à des compromis, mais il est seul, il ne le peut pas. La structure dans laquelle il évolue n'y est pas dédiée. Il est déjà trop débordé pour en faire davantage.

Vous savez, faire des compromis demande de travail. Il faut aller sur le terrain, voir des gens, discuter. C'est cela qui est intéressant. Je vous rejoins, il est nécessaire de traiter ce point délicat. Il l'est par endroit, et plutôt bien, mais je ne peux pas affirmer qu'il soir une priorité pour l'État. Dans ce contexte, je compte davantage sur la dynamique locale.

Pour ce qui est de l'intelligence locale, j'ai mis ma réflexion sur les agglomérations de côté. Il ne faut pas mélanger les agences d'urbanismes, les équipes. Dans l'ensemble, nous constatons de beaux exemples depuis la loi de décentralisation. Elles ne rencontrent pas tous les problèmes que nous évoquons.

Mme Sonia de La Provôté. - Nos perspectives convergent largement sur ces questions. Je m'associe aux remerciements précédemment exprimés. Néanmoins, une question demeure : l'architecte des bâtiments de France et les services départementaux portent la responsabilité d'un savoir-faire et d'une expertise considérables. Il pourrait être opportun d'explorer plus en profondeur tous les canaux parallèles de connaissances et de compétences en matière de patrimoine. Cette responsabilité pèse lourdement sur leurs épaules. Vous avez mentionné les architectes-conseils ou les architectes-voyers de Paris. Leur présence apporte souvent une flexibilité accrue et favorise un dialogue amélioré avec l'ABF.

Ensuite, concernant le financement local, il pourrait être envisagé d'apporter un soutien par les directions régionales des affaires culturelles dans le cadre de la préservation du patrimoine, sans toutefois engendrer les coûts associés à un ABF, en tant que fonctionnaire d'État. Ayant moi-même collaboré avec un architecte-conseil à Caen, en charge de l'urbanisme, j'ai constaté que des solutions étaient trouvées rapidement en collaboration avec les requérants, l'ABF et les services municipaux et intercommunaux.

Ma seconde préoccupation concerne les effectifs. Il semble que le métier d'ABF ne suscite pas d'attrait. En effet, les écoles d'urbanisme témoignent de la désaffection pour les services départementaux et les postes d'ABF parmi les architectes qu'elles forment. Nous pouvons l'expliquer par une absence de mise en avant du patrimoine dans la formation des architectes, mais aussi par les conditions statutaires, financières et de fonctionnement du poste, qui sont peu attractives, voire dissuasives.

Mme Sabine Drexler. - Avez-vous le sentiment que le patrimoine bâti est davantage en péril qu'il ne l'a jamais été ces deux dernières années, notamment à cause de la loi de rénovation énergétique ?

Mme Anne Ventalon. - Vous avez largement évoqué les défis auxquels sont confrontées les petites communes. Étant sénatrice de l'Ardèche, proche du Gard, je les connais bien. Je partage votre appréciation des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), dont vous avez souligné l'efficacité. Lors de nos travaux sur le patrimoine religieux au sein de la commission Culture, nous avons relevé l'importance de cet échelon de proximité. Malheureusement, toutes les régions ne disposent pas de structures similaires. Il en résulte des inégalités territoriales en termes de missions et d'accompagnement des élus.

Je vous rejoins sur la nécessité de coopérer et de mobiliser les forces vives telles que les élus locaux et les associations. Toutefois, il est indéniable que l'ABF, souvent perçu négativement, est parfois pointé du doigt. Nos élus sont dissuadés de solliciter ses conseils, car il peine à répondre aux exigences, par manque de temps ou de travail collaboratif. Je suis convaincue que les CAUE pourraient répondre efficacement à ces besoins. Cependant, cette solution n'est pas universellement accessible à travers la France. Toutes les CAUE ne sont pas alignées sur les mêmes critères de mission.

M. Yves Dauge. - Je constate la situation avec une certaine lucidité. Chaque année, je suis sollicité pour discuter de l'attractivité. Ce sujet est étudié, étant donné que les postes demeurent vacants. Les services rencontrent des difficultés extrêmes. Les rémunérations proposées ne sont pas compétitives. Elles justifient un recours fréquent à des contractuels pour maintenir un fonctionnement opérationnel. J'ai pu observer cette crise profonde en Seine-et-Marne, par exemple. Bien que les contractuels permettent de combler les vides, ces solutions temporaires ne répondent pas aux exigences à long terme. Comment pourrait-on espérer améliorer l'attractivité dans de telles conditions ? Certains architectes acceptent ces conditions précaires, témoignant des difficultés persistantes dans le secteur. Leurs rétributions avoisinent parfois 13 euros de l'heure. Cette situation, inacceptable de la part de l'État, ne peut perdurer.

Pour cette raison, je place mes espoirs dans la promotion de l'emploi d'architectes, notamment au travers de la mise en place d'un corps d'architecte territorial qualifié. Cette mesure pourrait représenter une solution viable, offrant des perspectives d'emploi significatives.

Il existe de nombreuses opportunités au sein de structures telles que les grands sites, les parcs naturels, et le patrimoine mondial, qui requièrent des professionnels compétents. Il est impératif d'améliorer notre attractivité dans ces domaines en établissant un statut clair et cohérent. Il permettrait de soutenir les architectes et les paysagistes formés, qui font face à des défis considérables dans leur travail solitaire.

La crise actuelle du logement a pratiquement éradiqué les agences d'architecture, reflétant un consensus sur la difficulté du secteur. Certains territoires en sont totalement dépourvus.

Je déplore particulièrement que les conseils d'architecture n'aient pas été rendus obligatoires, laissant leur mise en oeuvre à la discrétion individuelle, malgré un potentiel de financement considérable. À l'époque, nous avions introduit deux mécanismes : les conseils d'architecture et le périmètre des espaces protégés et sensibles.

Vous êtes probablement familier avec la taxe départementale des espaces naturels sensibles, instaurée par la loi de 1977 pour les zones sensibles. Certains départements ne savaient pas qu'en faire.

Pour revitaliser les conseils d'architecture dans les régions en difficulté, une mobilisation régionale pourrait être envisagée. Il est déplorable de constater que certains départements sont laissés pour compte, manquant d'attractivité et de dynamisme. Certains pourraient considérer cela comme un avantage, vu le faible niveau d'activité. Cependant, les parcs naturels continuent de se développer et d'intégrer sporadiquement de nouvelles initiatives.

Les périmètres des biens français inscrits au patrimoine mondial sont étendus. En Bourgogne, entre Beaune et Dijon s'étend sur 80 kilomètres un espace classé au patrimoine mondial. Pour ma part, je compte 284 communes entre Sully-sur-Loire et au-delà d'Angers, jusqu'à Rochefort-sur-Loire. Il en existe de nombreux autres à travers le pays. Leur conservation repose largement sur l'engagement des collectivités locales. Elles assurent cette préservation.

Les ABF sont consultés de manière respectueuse lorsque c'est nécessaire, avec un cadre de soutien défini. Je leur conseille de parfois envisager une évolution de leur approche, en évitant de se percevoir comme des autorités absolues. Il leur est également essentiel de collaborer étroitement avec les préfets. Certains ne sont pas familiers avec le rôle de l'ABF. C'est regrettable. Ce dernier doit étable ces relations de façon proactive, connaître les Présidents et maires locaux, et s'efforcer de se faire apprécier.

Mme Sabine Drexler. - La loi Climat et Résilience ainsi que le diagnostic de performance énergétique (DPE) soulèvent des préoccupations. On observe une pression croissante pour la mise en oeuvre d'isolations, parfois perçue comme coercitive. Avez-vous identifié une aggravation des risques pour le patrimoine bâti ces dernières années, du fait de cette injonction de rénovation énergétique ?

M. Yves Dauge. - Je sens en effet davantage de péril. L'ambiguïté entourant l'idée de simplification est indéniable. Personne ne souhaite complexifier la vie des citoyens, mais il existe des risques significatifs, notamment dans le domaine de l'agriculture, mais aussi avec les promoteurs en général. Les procédures trop complexes peuvent devenir un véritable fardeau pour les individus.

Il est crucial de définir les limites de la simplification. Une porte semble avoir été ouverte, et certains cherchent activement à l'exploiter pour servir leurs intérêts. C'est là que réside le danger. L'État est directement impliqué dans cette ouverture.

Nous avons rencontré des difficultés considérables pour préserver les zones de protection du patrimoine. Contrairement aux plans locaux d'urbanisme, ces zones sont réglementées par un règlement qui ne peut être révisé sans l'accord de l'État. Cette protection est demeurée une barrière essentielle. Si elle venait à être compromise, cela représenterait un risque majeur, malgré le succès rencontré par ces zones de protection du patrimoine.

Bien que moins contraignante que le secteur sauvegardé, cette procédure offre une certaine sécurité. Cependant, celle-ci est souvent mise en péril si elle n'est pas soigneusement préservée. Ce sujet a été clairement débattu lors de conflits avec le ministère, qui a proposé de supprimer ces zones au profit de mesures plus patrimoniales qui peuvent être révisées, tout en simplifiant les procédures.

Toutefois, cette approche expose le plan patrimonial aux révisions potentielles d'une nouvelle majorité, ce qui soulève des inquiétudes légitimes. Dans ma propre commune, j'ai investi considérablement, mais je reste prudent quant aux intentions de mes successeurs, quelles que soient leurs affiliations politiques.

C'est pourquoi la sécurité offerte par le périmètre modifié des abords, le SPR transformé en plan de valorisation du patrimoine (Pévap), reste cruciale. Cette sécurité doit être maintenue à tout prix, malgré les tentations de la compromettre.

Nous suivions une trajectoire de progrès depuis Mérimée jusqu'à Malraux, symbolisant une continuité dans la protection du patrimoine. Une soudaine rupture envoie un signal alarmant. Bien sûr, l'économie joue un rôle majeur, et la création d'emplois est essentielle, mais cela ne doit pas se faire au détriment de nos valeurs patrimoniales.

Il est essentiel de trouver un équilibre entre les besoins de l'agriculture et les impératifs de la transition énergétique. Bien entendu, il ne s'agit pas de parsemer le paysage de parcs éoliens, mais ils sont indéniablement nécessaires à certains endroits. Actuellement, nous vivons une période critique où les tensions et les risques sont accrus par rapport au passé. C'est pourquoi il est urgent de renforcer en amont tous les dispositifs, en augmentant les compétences et les ressources disponibles, notamment en matière de paysagistes, d'architectes et d'ingénieurs.

Aujourd'hui, il est impératif de reconnaître ce nouveau contexte de risques bien réels. Votre mise en lumière de cette question est parfaitement justifiée.

Dans le cadre de mon engagement constant pour le Val-de-Loire, je participe activement à la mission Val-de-Loire, en collaboration avec l'Unesco et les deux régions concernées. Malgré des orientations politiques différentes, un consensus remarquable émerge sur la nécessité de préserver ce patrimoine commun.

À titre d'exemple, nous avons clairement indiqué au préfet qu'aucun permis d'éolienne ne devait être délivré dans les 284 kilomètres de co-visibilité du Val-de-Loire, inscrit au patrimoine mondial. Un débat similaire a eu lieu concernant les 50 kilomètres de côte près du Mont-Saint-Michel, où l'installation d'éoliennes serait inappropriée. Il est à noter qu'à Brasilia, lors d'une réunion du comité du patrimoine mondial, le gouvernement français a été vivement critiqué à ce sujet.

L'Unesco ne demande pas de législation spécifique, mais insiste sur l'application rigoureuse de nos propres lois. Si celles-ci ne sont pas à la hauteur, elle nous exhorte à les améliorer. Le patrimoine mondial ne propose pas de règles particulières. Il demande simplement aux États de protéger leur valeur universelle exceptionnelle avec des mesures adéquates.

En 2016, nous avons dû nous battre pour obtenir un article spécifique sur le patrimoine mondial dans la loi, comblant ainsi une lacune précédente. Cette disposition aborde la définition des périmètres, la nécessité de consultations avec les élus locaux et l'élaboration de plans de gestion essentiels pour aborder les risques éventuels. Nous avons ainsi achevé un cercle vertueux dans la législation.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour votre présence et vos propos. Je donne rendez-vous à mes collègues demain à 13 heures 30 pour l'audition de M. Christophe Leribault, président du musée et du domaine national de Versailles.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 22 mai 2024
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Audition de M. Christophe Leribault, président de l'établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Christophe Leribault, président de l'établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles.

Je rappelle que notre mission d'information résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen.

Monsieur Leribault, nous vous remercions de votre disponibilité. Vous êtes, depuis le 4 mars dernier, le président de l'établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. Vous êtes donc à la tête de l'un des ensembles patrimoniaux et architecturaux les plus prestigieux au monde - c'est dire l'ampleur de votre tâche !

Nous avons entendu la semaine dernière M. François de Mazières, le maire de Versailles. Nous souhaiterions poursuivre avec vous l'échange que nous avons eu avec lui sur le rôle des architectes des bâtiments de France (ABF). Vos interactions avec ce dernier, mais aussi avec les élus locaux doivent être nombreuses au vu de l'étendue du château et de ses dépendances. Le domaine est en effet imposant : le parc s'étend en lisière de la ville sur plus de 800 hectares et présente des perspectives uniques qu'il convient de préserver, comme celle du Grand Canal.

Je vais donc vous donner la parole pour une dizaine de minutes pour un propos liminaire, afin que vous nous présentiez votre vision de la mission et votre relation avec les architectes des bâtiments de France, y compris vos éventuels points de désaccord, puis je passerai la parole au rapporteur.

M. Christophe Leribault, président de l'établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles. - Je vous remercie de me recevoir en tant que responsable du château de Versailles, riche de deux mois d'expérience, mais amoureux du patrimoine depuis toujours. J'ai bien sûr échangé avec mes collaborateurs pour préparer cette audition.

Le château de Versailles étant un site classé monument historique, nous ne dépendons pas directement des architectes des bâtiments de France. Nous nous référons plutôt au conservateur régional des monuments historiques, qui est chargé de l'instruction de tous les dossiers de restauration du bâtiment et du parc.

Pour autant, nous avons des rapports étroits avec l'ABF Bénédicte Lorenzetto, qui a la responsabilité des abords du château, de la ville de Versailles et de celle de Marly-le-Roi. Le château compte de nombreuses dépendances, parmi lesquelles l'hôtel des Menus-Plaisirs, la fameuse salle du Jeu de Paume, grand symbole historique, ainsi que divers bâtiments prestigieux et même des fermes. Pour tout vous dire, je suis encore en train de découvrir l'ampleur historique et paysagère du domaine !

La question primordiale est de préserver les abords du château. La ville de Versailles peut être considérée comme une oeuvre totale, conçue selon un plan très strict, qui a été dupliqué par la suite, par exemple à Washington : le château se trouve en son centre, le parc en occupe une moitié et une grande patte d'oie, d'où partent des avenues bordées de bâtiments somptueux, dont les fameuses écuries, occupe le reste.

Il existe un continuum au sein de cet ensemble architectural, qui a été conçu par un nombre restreint d'architectes en utilisant les mêmes matériaux - de la pierre, de la brique - dans toute la ville. La préfecture, qui a été construite pendant le Second Empire et est un bâtiment extraordinaire, respecte d'ailleurs ces mêmes canons. Seul l'hôtel de ville dénote un peu par sa toiture plus élevée, ce qui s'explique par la volonté municipale de s'affirmer par rapport au château lors de sa construction, alors que Versailles n'était plus la capitale de la France.

Dès le XVIIe siècle, Versailles a été construite selon des règles très précises. À l'instar de la place Vendôme ou de la place des Vosges à Paris, les nouvelles constructions devaient se mouler aux règlements municipaux ou royaux.

La question de la conservation et de l'usage du château s'est posée dès l'issue de la Révolution française. Louis-Philippe a décidé d'en faire un musée de l'histoire de France couvrant aussi bien l'histoire de la monarchie que de la Révolution et de l'Empire. Il s'agit d'un très beau lieu, homogène et riche d'histoire.

Je suis très heureux et très fier de faire reconnaître et apprécier un tel patrimoine, qui va bien au-delà des murs et du parc et recouvre une forte valeur symbolique. J'ai d'ailleurs eu le plaisir, le jour de ma prise de poste, d'accueillir à Versailles le Parlement réuni en Congrès, ce qui fut un moment très fort.

Au-delà de la qualité architecturale de l'ensemble, le principal enjeu est de préserver le parc tel qu'il avait été imaginé à l'origine, c'est-à-dire un parc régulier, composé, au plus proche des jardins, de parterres, puis de bosquets, puis d'un grand canal, puis d'un parc arboré en étoile et, au-delà, d'une grande forêt dans laquelle chassaient Louis XIII, puis le jeune Louis XIV.

Il convient de préserver non seulement les fontaines et les parterres, mais aussi les points de vue, comme cela a été fait de tout temps. Nous nous trouvons dans une zone d'urbanisation rampante. De nombreux projets immobiliers sont susceptibles de modifier la perspective, même s'ils sont relativement loin du château.

Dans le périmètre protégé de 5 kilomètres autour de la chambre du roi se trouvent 23 communes dont chacune fait face à des enjeux de développement qui lui sont propres. Il convient de rappeler l'importance de maintenir les jardins dans leur forme originelle, y compris ses points de vue dégagés, pour ne pas rompre un équilibre qui prévaut depuis près de quatre cents ans.

Il s'agit d'un exercice difficile dont la responsabilité échoit aux ABF, qui sont très peu nombreux pour les Yvelines, compte tenu du nombre important de monuments historiques et de lieux complexes, comme le parc de Saint-Germain ou celui de Versailles, où toute erreur peut être fatale.

Nous avons récemment pu corriger une telle erreur, qui avait été commise dans les années 1930, à savoir la construction d'un moulin affreux en béton et en brique, qui se trouvait dans la perspective du Grand Canal. Il s'agissait d'une vraie verrue qui était visible de partout. Nous avons pu la détruire grâce à la bonne volonté de tous les acteurs publics et politiques. Cela aura été l'un des bienfaits des jeux Olympiques et Paralympiques, qui ont permis d'accélérer ce projet.

Il convient de veiller à ne pas reproduire d'erreur semblable, qui coûterait par la suite une fortune et des années de négociation. Les géomètres disposent de techniques pour cela. À ce titre, nous échangeons très régulièrement avec les ABF.

Par ailleurs, un ancien ABF travaille au sein de l'établissement en tant qu'architecte urbaniste de l'État. Celui-ci est l'interlocuteur le plus direct et le plus efficace de l'ABF avec laquelle il maintient un dialogue permanent pour veiller au respect des acquis en matière de préservation de ce domaine extraordinaire, sans pour autant paralyser la vie économique ou la vie tout court. Versailles ne serait pas Versailles sans son château et son parc.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Lorsque le moulin que vous avez mentionné a été construit, il n'existait pas de protection ?

M. Christophe Leribault. - La législation relative aux ABF remonte à 1943, le statut ayant été officiellement créé en 1946. Désormais, la réglementation en vigueur permettrait d'éviter une telle erreur.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - J'ai plutôt tendance à demander aux personnes que nous recevons dans le cadre de cette mission d'information si elles trouvent les décisions de l'ABF trop contraignantes, mais je vous poserai la question inverse en ce qui concerne le château de Versailles : sont-elles parfois un peu trop souples, ou pas assez exigeantes, au regard des perspectives à maintenir ? Comment travaillez-vous au quotidien avec la mairie et l'ABF ?

Je comptais vous interroger sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui peut pousser à construire en hauteur pour éviter d'artificialiser les sols, mais vous avez en partie répondu à ma question.

Par ailleurs, je voudrais savoir si le château de Versailles est concerné par le surtourisme, à l'instar de Venise. Comment gérez-vous la fréquentation en matière de transport et d'aménagement ?

Vous avez été président du musée d'Orsay. Trouvez-vous que le ministère de la culture suit une véritable stratégie et qu'il a défini une ambition ? Tout cela est-il piloté ou bien les différents acteurs agissent-ils chacun dans leur coin ?

M. Christophe Leribault. - Je ne crois pas que notre ABF soit trop souple. Toutefois, le département des Yvelines me semble sous-doté en matière d'effectifs. Son équipe étant restreinte et les monuments historiques dont elle a la charge étant nombreux, l'ABF doit établir des priorités et déléguer certains dossiers qui mériteraient son attention.

Compte tenu du nombre de dossiers et de leur complexité - ils nécessitent un long dialogue entre les parties prenantes et des études poussées -, il est possible que certains lui échappent. Toutefois, si c'est le cas, c'est simplement par manque de personnel.

Il est plus important de déterminer la hauteur d'un bâtiment qui doit être construit à un endroit précis que de déterminer la couleur des volets. Au reste, ce sont ses équipes qui traitent une telle question et non l'ABF elle-même. En tout cas, cette dernière est très concernée par ses missions et s'appuie sur une large vision du patrimoine et de l'aménagement du territoire.

Cela répond-il à votre question relative à une remarque de M. le maire de Versailles ?

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Il y a un travail commun entre la mairie, l'ABF et vous ?

M. Christophe Leribault. - Toute une zone située aux abords du château n'entre pas dans le périmètre des ABF. D'ailleurs, vous aurez remarqué qu'il arrive parfois que, avant de parvenir au centre bien mis en valeur d'une ville, on traverse préalablement des zones affreuses. Les ABF interviennent pour réguler la hauteur des bâtiments ou l'implantation des panneaux publicitaires. Ils ont un rôle de médiateur plus que de contrôle.

Ce qu'il faudrait, c'est que l'ABF exerce son rôle très en amont. De fait, on comprend bien qu'il soit difficile pour les aménageurs, les promoteurs ou les collectivités territoriales de respecter l'équilibre financier d'une opération, s'il faut ôter deux étages à une construction ou bien réduire une emprise. Les équipes des ABF doivent donc être suffisamment étoffées pour pouvoir sensibiliser les élus et les aménageurs aux enjeux liés à tel ou tel site, afin d'éviter par la suite toute mesure coercitive ou toute négociation pied à pied. Ils sont des défenseurs du patrimoine, même s'ils ont conscience que l'urbanisme évolue.

Concernant le surtourisme, on ne reçoit jamais trop de visiteurs et il serait dramatique de refuser l'accès à des monuments historiques. Le gestionnaire d'un lieu, que ce soit le musée d'Orsay ou le château de Versailles, doit trouver des parades : il s'agit de favoriser la réservation obligatoire, de mieux gérer les flux et les files d'attente, ou bien encore d'inciter les visiteurs à venir en dehors des périodes d'affluence. C'est évidemment complexe.

Au château de Versailles, qui compte un nombre incalculable de salles, la solution consiste à ouvrir davantage d'espaces pour y réorienter les visiteurs. Malheureusement, plusieurs d'entre eux sont actuellement fermés parce qu'ils nécessitent des travaux. En outre, il faut pouvoir disposer du personnel nécessaire.

Certes, les visiteurs voudront tous découvrir la chambre du roi et la galerie des Glaces, mais il faut les inciter à se tourner vers les autres parties du château et vers le parc. Cela est d'autant plus vrai s'ils n'ont pas de réservation préalable et que l'accès leur est impossible.

Versailles reste un lieu emblématique de la Nation : il nous faut donc accueillir les touristes venus de loin, tout en veillant à ce que leur affluence n'empêche pas les Franciliens et les Français de découvrir ce patrimoine et d'y revenir.

Pour ce qui est du pilotage ministériel, vous avez entendu en audition Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture, ainsi que Christelle Creff, cheffe du service des musées de France, qui sont vraiment à l'écoute. Lorsque j'ai pris mes fonctions, une feuille de route m'a été remise qui définissait certains objectifs comme la démocratisation culturelle ou la gestion des flux. Nous ne sommes donc pas en roue libre, mais nous avons une tutelle et des instances de contrôle, avec lesquelles nous sommes constamment en dialogue.

Au-delà de la question de l'ouverture de ces lieux au public, tous les conservateurs partagent l'ambition du ministère de la culture de démocratiser et d'éduquer à la culture, et de diffuser les collections à travers le territoire. Sauver le patrimoine pour le transmettre, telle est notre raison d'être. Pour cela, il faut le faire aimer.

M. Adel Ziane. - Nous avons eu l'occasion d'échanger professionnellement dans le cadre de vos anciennes fonctions, et je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui à l'occasion de cette mission d'information sur le rôle des ABF.

Au-delà de la problématique relative aux collectivités territoriales, il nous a semblé qu'il fallait nous intéresser également à notre patrimoine, dont le château de Versailles est un illustre représentant. Nous avons donc accueilli le maire de Versailles.

Dans le cadre du pilotage d'un établissement comme Versailles, le risque est que les ABF interviennent en bout de chaîne, en fin de processus d'instruction d'un dossier ou d'un projet. Comment les intégrez-vous dans ce travail en amont ? Quel est leur apport, en particulier dans la gestion des jardins ? Quel lien ont-ils avec les architectes en chef des monuments historiques (ACMH), qui sont chargés plus spécifiquement, au quotidien, des bâtiments, de leur entretien, de leur rénovation, de leur réhabilitation ?

M. Christophe Leribault. - Monsieur le sénateur, je suis très heureux de vous retrouver dans le cadre de vos nouvelles fonctions au Sénat.

Le château compte dans ses équipes une directrice chargée des travaux patrimoniaux et du parc ainsi que deux ACMH, l'un qui s'occupe du château lui-même et l'autre du parc et des dépendances du château, dont les écuries et la salle du Jeu de paume. À ce titre, ils instruisent un certain nombre de grands projets de restauration selon un schéma pluriannuel qui a été négocié avec l'État. Ces travaux sont menés au long cours : il ne s'agit pas de se précipiter en fonction des goûts de tel ou tel. De même, il faut structurer les interventions : inutile de restaurer une peinture murale qui s'écaille alors que le plafond n'a pas été refait.

C'est le conservateur régional des monuments historiques qui instruit les dossiers au sein de la direction régionale des affaires culturelles (Drac). L'ABF intervient seulement pour ce qui touche aux abords ainsi qu'à la sécurité. Par exemple, dans le cas du château de Versailles, les abords, c'est la question du parking, sur laquelle le maire de Versailles est également partie prenante. La Cour d'honneur, quant à elle, est du ressort d'une tierce partie. Bref, c'est une sorte de millefeuille.

J'en profite pour faire une incise. Les appellations ont beaucoup changé au fil des ans, ce qui n'aide pas le grand public à y voir clair. En réalité, depuis soixante-dix ans, les règles qu'appliquent les ABF demeurent à peu près constantes ; en revanche, la terminologie a beaucoup évolué.

Pour en revenir au cas du château de Versailles, le dialogue est quotidien avec ces différentes instances pour mener les travaux. Selon leur nature, les interlocuteurs diffèrent : ce peut être le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) ou bien les services de restauration du ministère, entre autres.

Le musée national des châteaux de Versailles et de Trianon dispose par ailleurs d'une équipe scientifique, placée sous la direction de Laurent Salomé, et de conservateurs experts en peinture, en architecture, en patrimoine et en sculpture, tous travaillant avec les ACMH. Au sein des différentes instances, les débats sont quotidiens, chaque chantier de restauration nécessitant des arbitrages toujours complexes, qu'il s'agisse par exemple de revenir à l'état antérieur ou de maintenir des adjonctions.

Par ailleurs, s'agissant de bâtiments destinés à accueillir du public, il faut respecter des normes de sécurité, qui doivent être compréhensibles par nos visiteurs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Ce que je trouve intéressant, c'est que vous nous dites qu'il n'existe pas de doctrine. Souvent, on nous demande pourquoi les ABF ne publient pas un guide à l'attention de ceux qui veulent faire des travaux. Or vous nous expliquez que les travaux de restauration peuvent donner lieu à débat entre experts.

M. Christophe Leribault. - Absolument ! Et l'avis peut évoluer en cours d'instruction en fonction des éléments qui se font jour au cours de celle-ci. On peut vouloir privilégier le style Louis XIV ou Louis XV dans un premier temps, puis le style Empire finalement. On peut vouloir accorder une importance particulière au caractère symbolique, sur le plan historique ou bien en fonction du lieu. En outre, l'on ne dispose pas toujours d'une documentation suffisante sur l'état initial de la pièce à restaurer.

En revanche, quand il s'agit d'installer des panneaux photovoltaïques, des éléments de protection extérieure ou d'autres équipements de cette nature, le public doit disposer de lignes directrices facilement compréhensibles, même s'il reste toujours une marge de discussion en fonction des contraintes d'un bâtiment, de son histoire ou bien des matériaux qui le constituent.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Plus qu'aux panneaux photovoltaïques, je pensais aux huisseries des fenêtres : les gens ne comprennent pas toujours que ce qui était autorisé à un moment puisse être interdit plus tard.

M. Christophe Leribault. - Les connaissances scientifiques évoluent. Dans le cas des fenêtres, contenir la diffusion du polychlorure de vinyle (PVC) est une grande cause nationale ! Le PVC ne tient pas dans le temps, alors que des fenêtres en bois qui ont été posées au XVIIIe siècle tiennent encore. Sur ce point, patrimoine et écologie se rejoignent.

Mme Sabine Drexler. - Je m'intéresse beaucoup à la rénovation énergétique du bâti ancien. Êtes-vous confronté à cette problématique ? Le cas échéant, comment comptez-vous réaliser ces travaux afin de rester le plus vertueux possible ?

M. Christophe Leribault. - Le statut de monument historique ne dispense pas de prendre part à cet effort que nous devons faire collectivement face à l'urgence climatique.

Le château de Versailles compte énormément de verrières, par exemple dans la salle du Congrès, qui datent de Louis-Philippe ou du Second Empire. Évidemment, elles doivent être rénovées avec les meilleurs matériaux. Par ailleurs, aucune loi ne nous empêche d'installer des éclairages qui consomment moins d'électricité. Au-delà du bâti, la prise de conscience écologique est réelle, qu'il s'agisse du tri du papier, de l'attention particulière que nous portons à la gestion de l'offre de restauration, du recours à des moyens de locomotion électriques dans le parc ou de la gestion fine des engrais et des insecticides. Nous sommes même en quelque sorte une vitrine : nous montrons comment adapter l'entretien d'un parc conçu par Le Nôtre au changement climatique et aux nouvelles techniques. D'ailleurs, ce parc a été créé sans recourir à tous ces produits !

Orsay était à l'origine une gare, dotée d'une grande verrière - donc un lieu de courants d'air -, qui n'avait pas vocation à être transformée en musée, même si l'idée d'installer des collections du XIXe siècle dans un bâtiment datant de 1900 était excellente. Il a fallu mener des travaux complexes. Dans le cas d'un monument historique, il faut savoir s'adapter aux conditions énergétiques actuelles sans dénaturer les lieux.

Veillons à ne pas commettre d'erreurs. Des bâtiments anciens qui ont été construits avec de la pierre de Saint-Leu ou de la brique de la région de Montmorency, c'est-à-dire des matériaux sains, ne peuvent pas être encapsulés, même dans un objectif de protection, au risque d'empêcher tout échange hydrique à terme.

Cela fait partie du travail pédagogique des ABF, même si ces derniers, malheureusement, n'opèrent que dans les périmètres tracés autour de monuments classés. Il faut souligner que l'essentiel de la France n'est pas couvert par les réglementations mises en oeuvre par les ABF, ce qui a pour conséquence un développement quelque peu anarchique du pays. Traverser la France, ce n'est pas la même expérience que traverser la Norvège ou l'Angleterre ! Dès que l'on approche du château de Versailles, cela devient très bien, mais de nombreuses zones sont peu protégées.

Bien sûr, il n'est pas question que les monuments historiques soient exempts de toutes les règles communes, y compris en matière d'accessibilité. Il faut trouver des moyens pour installer des ascenseurs et des rampes, sans aller jusqu'à détruire des témoignages anciens pour cela. Avec des écrans et des publications, on peut renforcer l'accessibilité visuelle, par exemple. La clef est d'avoir un dialogue avec des personnes ayant une vraie connaissance du bâti. Or on est harcelé en permanence sur nos téléphones portables par des propositions de chaudière ou d'isolation thermique. Et l'on n'entend pas assez la voix du ministère ou des Drac pour mettre en garde sur ces sujets. Par exemple, dans une très belle ferme en brique près de Toulouse, il y a d'autres moyens d'isoler que de calfeutrer en ajoutant des couches supplémentaires. Nous ne devons pas avoir honte de notre patrimoine et de l'architecture traditionnelle, qui tenait compte du climat.

Mme Sabine Drexler. - Ce que vous faites dans un lieu comme le château de Versailles peut être inspirant pour des propriétaires de bâtiments anciens. Cela peut leur donner des idées de techniques alternatives pour essayer de concilier l'isolation thermique et le respect du patrimoine.

M. Christophe Leribault. - Cela fait partie de notre fonction pédagogique. Déjà, nous faisons apprendre l'histoire de France, ainsi que l'histoire de l'urbanisme et du paysage. En plus, nous montrons que nous avons une conscience écologique. Je suis toujours meurtri par les attaques perpétrées par des activistes, car je pense que nous partageons, en fait, le même combat, celui de la préservation de la planète et de notre patrimoine : la planète, cela comporte nos acquis culturels, que nous devons transmettre dans les meilleures conditions aux générations futures.

M. Daniel Fargeot. - Je souhaite revenir sur les normes liées à l'accessibilité dans le cadre de notre patrimoine classé. J'ai la nette impression que nous sommes extrêmes, dans certains cas, au point d'entacher l'image de ce patrimoine. On le voit ici même, avec la rampe d'accès qui a été récemment ajoutée dans la cour du Sénat. Il est dommage d'en arriver à ces extrémités. Il y a peut-être d'autres moyens ? Ces normes devraient être appliquées différemment au patrimoine culturel, ancien et classé. Bien sûr, il n'est pas question de mettre de côté l'accessibilité. Nous voyons bien, dans nos collectivités territoriales, que l'obligation de mettre aux normes les églises génère du mécontentement. Il existe d'autres moyens de faire accéder les personnes à mobilité réduite ou malvoyantes...

M. Christophe Leribault. - La difficulté vient peut-être du travail en silos. Souvent, après la restauration, une entreprise spécialisée dans l'accessibilité débarque avec tout son matériel et impose quelque chose qui aurait pu être mieux intégré, avec les mêmes matériaux, dans un projet plus global. D'où l'importance de la mission de conseil, qui évite les ajouts tardifs et laids, imposés par la réglementation. Il faut un dialogue en amont pour intégrer d'emblée les questions climatiques ou les questions d'accessibilité, dès l'élaboration du projet. Peut-être manquons-nous de culture architecturale et de réflexion sur le choix des matériaux, dans lequel on sent pourtant de vraies différences quand on parcourt la France, des Pyrénées à la Bretagne. Les ABF sont experts dans ces domaines. Il ne faut pas les voir comme des personnes qui viennent au dernier moment imposer des normes et des règles. Ils peuvent avoir un rôle de soutien et de conseil, pour le bien-être de tous.

M. Daniel Fargeot. - On assiste parfois à la défiguration de monuments classés, ce qui est dommage. Je ne sais pas de quelle façon sera considérée l'accessibilité à Notre-Dame à Paris, d'ailleurs... Il faut des conseils qui aident effectivement les élus locaux, contraints de respecter les normes, souvent dans l'urgence et à des coûts conséquents dans les communes. Il serait donc bon de faire en sorte que les choses se passent beaucoup mieux. Comme vous le dites, tout est très cloisonné aujourd'hui. Il faudrait un environnement élargi, comportant un certain nombre de conseillers et orientant vers des prestataires capables.

M. Christophe Leribault. - Un bâtiment non classé comme monument historique ne mérite pas pour autant d'avoir des travaux laids ! Il s'agit là d'une question culturelle, concernant les entreprises, les travaux et l'acceptabilité. Ce n'est pas parce que c'est une école communale classique avec une belle architecture, construite en brique, qu'il faut faire un ajout moche. L'enjeu est de diffuser globalement une culture architecturale et esthétique qui pourrait, par la suite, sensibiliser les gens au patrimoine. Cela relève sans doute d'une éducation générale de nos architectes, des maîtres d'ouvrage, des municipalités et des différents services. Un endroit propre incite les gens à ne pas jeter de déchets ; si c'est sale, tout se dégrade. S'il y a un peu de vandalisme, cela s'aggrave. S'il n'y a rien, le premier acte de vandalisme met du temps survenir.

L'idéal est d'obtenir un continuum, avec un véritable respect de chacun - pour construire une clôture par exemple, sans trop dénaturer les alentours de sa maison, en pensant à repeindre correctement, ou, dans une rue ordinaire, avec un bel alignement d'arbres. Cela ferait que, lorsque nous nous approchons d'un monument historique, les règles qui deviennent nécessaires seraient beaucoup mieux acceptées par tous. Sans cela, un propriétaire ne comprendra pas forcément pourquoi il ne peut pas poser des fenêtres en plastique, par exemple, alors qu'il l'avait fait dans son ancienne maison. Il faut sans doute éduquer de manière plus globale à la dimension artistique.

Dans le passé, les administrations ont construit de très belles universités et de très beaux collèges. Et puis, il y a eu une période creuse, pendant une trentaine d'années. Si on est éduqué pendant dix ans dans des endroits absolument horribles, avec des couleurs invraisemblables et du béton partout, on passe à côté de quelque chose, surtout dans un aussi beau pays que la France, où il existe une telle diversité architecturale et paysagère. Maintenant, les architectes sont de retour.

Mme Sabine Drexler. - Que peut-on faire pour donner le goût du beau aux enfants dès l'école ?

M. Christophe Leribault. - La sensibilisation au patrimoine est capitale. Emmener des enfants à Versailles en autobus, c'est très bien, et je le favorise autant que possible. Mais il faut aussi les sensibiliser au patrimoine local. On parle de zones blanches et de déserts culturels, alors qu'il y a de merveilleuses églises dans toute la France, des châteaux partout, des calvaires, mais aussi des bâtiments intéressants datant des deux derniers siècles. Un travail dès l'école, au collège et au lycée, sur le patrimoine de proximité peut sensibiliser à l'histoire d'un lieu ou même à la topographie, dès lors que l'on étudie l'emplacement du bâti, par exemple. Les jeunes constituent un public captif, grâce à l'école gratuite et obligatoire ! C'est cela qui accroîtra l'acceptabilité des règles. Il ne faut pas opposer règles patrimoniales et esprit collectif.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Oui, sensibiliser les jeunes à la connaissance de notre patrimoine, c'est les sensibiliser à notre histoire et à notre culture.

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec la commune de Versailles ?

M. Christophe Leribault. - J'ai des échanges réguliers avec le maire, qui est l'ancien président de la Cité de l'architecture et du patrimoine. Dans le cadre d'activités culturelles, comme le festival Molière ou la Biennale d'architecture, nous avons de nombreux points de convergence. Nous allons gérer ensemble, par exemple, la salle du Jeu de paume, puisque nous n'avons pas d'agents de surveillance disponibles. Certes, le domaine occupe la moitié de la commune, mais celle-ci a sa propre existence par ailleurs ! Nous ne sommes donc pas dans la rivalité.

Plus généralement, le rôle des ABF vis-à-vis des maires ne doit pas aboutir à des situations conflictuelles. Certains maires utilisent peut-être les refus de l'ABF comme d'autres utilisent l'Europe, pour se dédouaner ! On voit en France de nombreuses communes qui ont été à moitié massacrées par le passé. Elles n'y ont pas gagné. C'est autant de perte d'attractivité pour elles en termes de tourisme. Si l'on veut qu'une ville grandisse et qu'elle n'est pas au bord de la mer, il faut qu'elle soit agréable à vivre, pour faire venir des jeunes, des ingénieurs ou des cadres qui contribueront à développer la cité. Montpellier, Aix-en-Provence, Bordeaux ou Nantes bénéficient d'un cadre de vie préservé, qui leur donne une très belle image. Au-delà des revenus du tourisme, cela participe à la bonne image de la ville, comme à son attractivité économique.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 23 mai 2024
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Audition de MM. Étienne Prost, architecte d'intérieur, ancien président du Conseil français des architectes d'intérieur (CFAI), délégué du CFAI auprès du Sénat, Yves Pollet, architecte d'intérieur, co-fondateur du pôle action des architectes d'intérieur d'Île-de-France (IdF), chargé de communication pour le pôle action nationale des architectes d'intérieur, et Mme Bérengère Tabutin Di Cicco, architecte d'intérieur, secrétaire du CFAI, adhérente Echobat IdF, adhérente pôle action des architectes d'intérieur

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre mission d'information consacrée aux Architectes des bâtiments de France (ABF), dont je rappelle qu'elle résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants-République et territoires du Sénat, qui en a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen.

Dans le cadre de cette mission et des auditions associées, nous avons à coeur de faire un tour complet des missions et du travail que mènent les ABF.

Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir le Conseil français des architectes d'intérieur (CFAI), représenté par Étienne Prost, Yves Pollet et Bérengère Tabutin Di Cicco.

Les missions des ABF se focalisent beaucoup sur l'aspect extérieur des immeubles situés dans les abords des monuments historiques et dans les sites classés. Or les interactions entre les architectes d'intérieur et les ABF sont aussi nombreuses et parfois sujettes à conflit. Notre audition de ce jour a donc pour objet de nous permettre de bien comprendre les relations que vous entretenez avec les ABF et votre appréciation de leur action. En effet, vous intervenez notamment pour des rénovations de commerces ou dans des actions de construction, par exemple, de fenêtres ou de velux, qui ont un impact sur la visibilité extérieure. Par ailleurs, et compte tenu de votre profession, vous êtes également des acteurs engagés dans la protection du patrimoine.

Je propose de vous céder la parole pour une intervention liminaire. M. le rapporteur et moi-même vous poserons ensuite des questions.

M. Étienne Prost, architecte d'intérieur, ancien président du Conseil français des architectes d'intérieur (CFAI), délégué du CFAI auprès du Sénat. - Bérangère, Yves et moi-même sommes trois architectes d'intérieur très expérimentés et engagés dans notre profession. Nous vous remercions donc de nous accueillir pour porter la parole des architectes d'intérieur et nous associer aux travaux de cette mission d'information.

Pour vous aider à bien comprendre notre métier, je vous propose de revenir rapidement sur son histoire. Au XIXe siècle, l'architecture d'intérieur était marquée par des styles très classiques et conservateurs tels que le style Régence. Une révolution est ensuite intervenue au début du XXe siècle, avec l'apparition de l'Art nouveau. Ce courant français et belge, illustré par de grands professionnels tels qu'Hector Guimard, Louis Majorelle, Émile Gallé ou encore Victor Horta, va perdurer tout au long du siècle et faire naitre une véritable excellence française dans le domaine des arts appliqués. Cette excellence sera ensuite confirmée à l'époque de l'Art déco, du modernisme, du minimalisme, etc. Elle va s'incarner dans des écoles prestigieuses et mondialement reconnues telles que l'école Boulle, les Arts décoratifs, l'école Olivier de Serres, l'école Camondo ou l'école Penninghen, et être représentée par des professionnels tels que Charlotte Perriand (collaboratrice de Le Corbusier), Andrée Putman, Philippe Stark, Patrick Jouin, Ronan Bouroullec ou encore Jean-Michel Wilmotte.

À une époque où l'on a souvent tendance à dénigrer nos savoir-faire et nos domaines d'excellence, il convient ainsi de rappeler que l'architecture intérieure française, formée dans des écoles d'excellence et comptant de grands professionnels, est une spécificité dont nous pouvons être fiers.

Au début du XXe siècle, nous nous sommes d'abord appelés « décorateurs ». Dans les années 50, nous nous sommes appelés « décorateurs-ensembliers ». Le terme « d'architecte d'intérieur » est ensuite apparu en 1961. Cela fait donc 60 ans que le vocable « architecte d'intérieur » est installé dans le paysage architectural. Il a été confirmé par l'Ordre des architectes, co-fondateur, en 1981, avec le Syndicat national des architectes d'intérieur, de l'Office professionnel de qualification des architectes d'intérieur (OPQAI). Désormais, l'Ordre des architectes, après avoir accompagné la profession des architectes d'intérieur dans son organisation, laisse le CFAI avancer seul. La profession des architectes d'intérieur est donc aujourd'hui institutionnalisée et le CFAI en est, en quelque sorte, l'organe régulant.

À cet endroit, il convient toutefois de rappeler une injustice touchant la profession des architectes d'intérieur. Nos étudiants sont formés à un très haut niveau (bac + 5, avec des diplômes reconnus de niveaux 7 ou 8), dans des écoles privées, mais aussi dans des écoles publiques (relevant du ministère de la culture ou du ministère de l'éducation nationale). Pour autant, le titre d'architecte d'intérieur ne bénéficie pas d'une dénomination réservée, a contrario des titres de médecin, d'avocat ou d'architecte. Tout le monde peut donc se déclarer architecte d'intérieur, quel que soit son diplôme ou sa compétence.

De 2011 à 2020, nous avons été accompagnés par le Sénat, et notamment par le sénateur Jean-Pierre Sueur, pour interpeller autour de cette question. Un amendement à un projet de loi visant à protéger le titre d'architecte d'intérieur a même été déposé en 2018, qui n'a cependant pu être voté. Aujourd'hui, nous sommes en lien avec la sénatrice Dominique Estrosi Sassone. Néanmoins, l'injustice qui touche notre profession demeure.

En conclusion, je ne peux que confirmer que nous sommes des acteurs incontournables et incontestés du bâtiment, de l'architecture, du design et de l'espace. Je laisse le soin à mes confrères de vous en dire davantage.

Mme Bérengère Tabutin Di Cicco, architecte d'intérieur, secrétaire du CFAI, adhérente Echobat IdF, adhérente pôle action des architectes d'intérieur. - Le CFAI est un organisme de reconnaissance de compétences pour les architectes d'intérieur. Il regroupe des membres libéraux ou salariés et 17 établissements d'enseignement supérieur délivrant des diplômes reconnus par France Compétences, avec RNCP de niveau 7.

Depuis 2000, à la suite de l'OPQAI, le CFAI oeuvre à la reconnaissance du métier d'architecte d'intérieur aux plans national, européen et international. Il collabore avec l'European Council of Interior Architects (ECIA) au niveau européen, avec l'International Federation of Interior Architects (IFI) au niveau international et avec les pôles action des architectes d'intérieur en régions.

Le CFAI garantit aux maîtres d'ouvrage les compétences professionnelles de ses membres et participe au développement d'une pratique professionnelle qualitative et structurée.

Le CFAI a donc un triple rôle :

- la sélection de professionnels pouvant exercer sous le label CFAI (délivré par un jury de professionnels reconnus) ;

- le contrôle de la qualité des formations d'architecte d'intérieur (à travers la qualification des écoles et la participation aux jurys de leurs diplômes) ;

- la définition des compétences et des règles de la profession (avec une déontologie rejoignant celle du CNOA, s'agissant de prévenir les conflits d'intérêts notamment).

Le CFAI est exclusivement financé par les cotisations de ses adhérents. Il conserve donc une indépendance totale, sans aucun partenariat financier.

Les architectes d'intérieur adhérents sont tenus de respecter le code et les règles déontologiques mises en place par le CFAI. En cas de litige avec un maître d'ouvrage ou de questionnement impliquant les ABF, le CFAI peut également assurer une médiation, au travers de sa commission de recours et de conciliation.

M. Yves Pollet, architecte d'intérieur, co-fondateur du pôle action des architectes d'intérieur d'Île-de-France (IdF), chargé de communication pour le pôle action nationale des architectes d'intérieur. - Les architectes d'intérieur sont appelés à entrer en relation avec les ABF dans le cadre d'au moins trois typologies de projets : les modifications de vitrines, les interventions à l'intérieur de bâtiments en secteur sauvegardé et les interventions sur des constructions situées dans un périmètre délimité des abords d'un monument historique (PDA).

Dans un local commercial en centre-ville, lorsque les vitrines sont modifiées ou adaptées, l'architecte d'intérieur traite à la fois le dedans et le dehors. Il peut alors être amené à interagir avec les ABF - beaucoup de centres-villes du territoire étant concernés par des secteurs ABF. L'enjeu pour l'architecte d'intérieur est alors de se mettre en relation avec les ABF le plus en amont possible, pour recueillir leurs éventuelles remarques ou prescriptions, ou simplement favoriser la compréhension du projet.

En cas d'intervention à l'intérieur d'un bâtiment en secteur sauvegardé, l'architecte d'intérieur est appelé à vérifier auprès des ABF les éventuelles implications de cette inscription - tous les intérieurs en secteur sauvegardé n'étant pas nécessairement concernés par une procédure de sauvegarde. Cette obligation est faite à tous les professionnels, y compris dans l'intérêt des clients, pour leur éviter d'éventuelles complications coûteuses.

Pour les interventions au sein d'un PDA (en milieu urbain comme en milieu périurbain ou rural), l'architecte d'intérieur bénéficie généralement de précisions dans le plan local d'urbanisme (PLU). Sur cette base, il est ensuite amené à prendre langue avec les ABF, le plus en amont possible, pour expliquer son projet et prendre en compte les éventuelles prescriptions.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez évoqué les documents d'urbanisme. À cet égard, quelle est la valeur de signature d'un architecte d'intérieur ? Votre signature a-t-elle la même valeur que celle d'un architecte ?

Vous avez également évoqué des interventions sur l'intérieur et l'extérieur, pour le remplacement de fenêtres notamment, susceptibles de nécessiter un échange avec les ABF. Cependant, à l'intérieur des bâtiments (au-delà des huisseries), sur quel périmètre êtes-vous amenés à échanger avec les ABF ?

Par ailleurs, quelle est aujourd'hui la qualité de vos relations avec les ABF ? Parvenez-vous à avoir des échanges en amont sur vos projets ? Comment vivez-vous cette relation ?

M. Étienne Prost. - La profession des architectes d'intérieur ne bénéficie pas d'un titre protégé et ne délivre pas d'actes réservés. Les architectes sont donc les seuls autorisés à signer une demande de permis de construire. Nous accompagnons nos clients dans le montage des dossiers ne requérant pas règlementairement le recours à un architecte. Nous intervenons également sur les demandes préalables de travaux. Cependant, juridiquement, nous ne portons pas de documents administratifs au titre de prérogatives réservées. Nous avons plutôt un rôle d'accompagnement et de conseil auprès de nos clients.

Du reste, la profession des architectes d'intérieur compte aujourd'hui 6 000 à 8 000 professionnels, au-delà des membres du CFAI, qui pratiquent selon une déontologie précise proche de celle des architectes, qui interviennent en création et en maîtrise d'oeuvre, dans tous les milieux, sur l'intérieur et/ou l'extérieur des bâtiments, le cas échéant en association avec des architectes et qui sont assurés en garantie décennale.

Dans ce cadre, au regard de la multiplicité de leurs rôles et de leurs missions, avec des interventions portant parfois tant sur l'intérieur que sur l'extérieur du bâti, les architectes d'intérieur peuvent se trouver en questionnement par rapport au patrimoine et être appelés à interagir avec les ABF.

M. Yves Pollet. - À Paris, par exemple, certains immeubles en secteur sauvegardé sont intégralement classés, à l'intérieur comme à l'extérieur. Nous y avons donc une obligation de préservation du patrimoine, y compris à l'intérieur vis-à-vis des boiseries, des tentures, des objets éventuellement découverts, etc.. que nous devons intégrer à notre acte de création. Or nous ne sommes pas formés pour cela. Nous avons de bonnes connaissances en histoire de l'Art, acquises au cours de nos études longues. Cependant, notre compétence demeure limitée. C'est à cet égard que le rapport avec les ABF est essentiel - les ABF disposant des fonds documentaires pour aller plus loin dans l'appréciation des enjeux de préservation du patrimoine. Cette relation avec les ABF accompagne notre capacité de professionnels à intégrer ces enjeux, le cas échéant pour modifier nos projets, au bénéfice de nos clients malgré de possibles surcoûts. Dans certains cas, il nous faut aussi gérer une articulation entre les ABF et la Commission de sécurité, pour répondre à la fois aux enjeux de sauvegarde du patrimoine et de sécurité.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous intervenez donc en conseil auprès de vos clients. Dans ce cadre, quelle est votre relation avec les ABF ? Parvenez-vous à les rencontrer ? Cette relation intervient-elle lorsque votre client est confronté à une problématique ou allez-vous au-devant des ABF lorsque vous savez être dans un secteur protégé ? Le cas échéant, parvenez-vous à les rencontrer en amont ?

M. Yves Pollet. - Sur le plan légal, dès lors que nous ne sommes pas règlementés, notre relation est avec notre client. Celui-ci nous verse des honoraires pour obtenir une maîtrise d'oeuvre. Durant ce temps de maîtrise d'oeuvre, nous travaillons sur le projet du client, jusqu'à sa réalisation.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Y a-t-il une garantie décennale associée à vos réalisations ?

M. Yves Pollet. - Oui. Nous sommes assurés à la fois en décennale et en responsabilité civile professionnelle.

Lorsque nous savons qu'un projet emporte un enjeu de sauvegarde du patrimoine, il est de notre responsabilité de nous mettre en relation avec les ABF. En fonction des territoires, des communes et du nombre ou de la personnalité des représentants locaux des ABF, l'accès aux ABF peut alors être plus ou moins facile.

M. Étienne Prost. - Le fait que nous n'ayons pas la signature du permis de construire ne change rien à la nature de nos missions. Comme celles des architectes, nos missions recouvrent des phases de création et de réalisation : maîtrise d'oeuvre, appel d'offres et consultation des entreprises, suivi et réception des travaux, levée des réserves, etc.. Ces missions impliquent de consulter les règlements administratifs applicables et de rencontrer, si nécessaire, les ABF et la Commission de sécurité, voire de mobiliser d'autres professionnels comme des acousticiens, des paysagistes, des thermiciens, etc.. Lorsqu'un client nous délègue ainsi la conduite d'un projet, il nous faut engager toutes les démarches nécessaires et rencontrer tous les interlocuteurs indispensables à la bonne réalisation du projet.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez évoqué des indications figurant dans les documents d'urbanisme, vis-à-vis desquelles il vous appartient d'alerter votre client - le rôle d'un architecte comme d'un architecte d'intérieur étant de proposer à son client un projet conforme aux règlements d'urbanisme. Est-il courant de trouver de telles indications dans les PLU ? Ces indications portent-elles sur des éléments, des formes architecturales, des matériaux ?

M. Yves Pollet. - Cela dépend des PLU. Dans un village des Yvelines, par exemple, j'ai eu à appréhender un PLU insistant sur l'importance des résidences secondaires dans l'histoire du village, avec simplement quelques indications à la marge. À Joinville-le-Pont, on retrouve dans le PLU des éléments beaucoup plus détaillés, avec des croquis destinés à orienter le geste architectural. Ces éléments peuvent constituer un cadre qui facilite la création. En pratique, il est plus difficile de créer lorsque le cadre n'est pas défini.

M. Étienne Prost. - Nous disposons d'indications des ABF signalées en amont, dans le PLU ou dans des documents particuliers, dans environ 20 % des cas. Dans 80 % des cas, de par notre savoir-faire et notre expérience, nous sommes nous-mêmes en questionnement vis-à-vis des ABF, dans le cadre d'un projet s'inscrivant dans un secteur protégé, impliquant potentiellement une co-visibilité avec un monument historique ou susceptible d'emporter des enjeux patrimoniaux. Notre obligation, dans le cadre de notre devoir de conseil, est alors de consulter les ABF.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Il doit être passionnant de découvrir des éléments historiques ou patrimoniaux dans le cadre d'un projet.

M. Étienne Prost. - Il nous arrive effectivement de mettre à jour, presque à l'instar d'archéologues, des empreintes ou souvenirs du passé, tels que des croquis d'architectes, des fresques historiques disparues sous des faux plafonds, des charpentes d'intérêt, des verrières se révélant être de style Eiffel, etc. Parfois, ces éléments représentent un capital patrimonial. Cela peut parfois complexifier la conduite d'un projet, en requestionnant le calendrier et le budget fixés par le maître d'ouvrage. Cela peut nous amener à revoir l'intégration esthétique de certains éléments du projet, voire le projet dans son ensemble. À cet égard, l'autorité incontestable des ABF peut être déterminante.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Cela se produit-il majoritairement dans des secteurs déjà identifiés ou de telles découvertes peuvent-elles aussi être faites ailleurs, y compris en milieu rural ?

M. Étienne Prost. - Par essence, nous intervenons majoritairement dans le cadre bâti. Il arrive que nous participions à des projets de construction neuve, en lien avec des architectes. Cependant, nous sommes avant tout des acteurs de la rénovation, en milieu urbain comme en milieu rural. Dans ce cadre, le facteur déterminant est souvent la date du bâti. On retrouve des éléments classés dans des bâtiments modernes. Toutefois, plus le bâti est ancien, y compris en milieu rural, plus les chances d'y retrouver des éléments patrimoniaux sont importantes.

Mme Bérengère Tabutin Di Cicco. - Lorsque nous trouvons des éléments patrimoniaux remarquables, que nous soyons dans une zone classée ou non, nous nous renseignons auprès des acteurs susceptibles de nous fournir des informations (CAUE, DRAC, ABF, etc.). Nous nous référons également au PLU ou aux guides du CAUE, le cas échéant pour trouver les interlocuteurs les plus adaptés. Il est important pour nous de nouer ces échanges le plus en amont possible.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Parvenez-vous à échanger ainsi en amont, avec les ABF notamment ?

M. Yves Pollet. - Nous arrivons à nous parler. De façon générale, cela se passe bien, avec plus ou moins de fluidité en fonction des territoires.

À Paris, en janvier 2024, suite à un problème rencontré au sein d'un hôtel particulier du 7ème arrondissement, le chef de service de l'UDAP 75, M. Masviel, s'est mis en relation avec le CFAI, pour tenter de structurer la relation entre ses services et les architectes d'intérieur. Cela s'est concrétisé par l'organisation d'une visioconférence le 14 février 2024. Nous poursuivons aujourd'hui ce dialogue. Le 4 juillet 2024, nous enregistrerons, avec MM. Masviel et Stéphane Torres, un confrère marseillais, une émission de radio intitulée « Architecture d'intérieur : regards croisés », qui nous permettra d'avoir un écho auprès des services et des confrères d'autres départements.

En pratique, lorsque nous découvrons des éléments patrimoniaux, nous pouvons même avoir un rôle de « lanceur d'alerte ». Nous pourrions ne rien signaler, pour éviter tout impact sur le budget du projet. Cependant, nous ne le faisons pas. Dans ce type de situations, l'arbitrage des ABF peut être précieux, y compris pour alimenter notre dialogue avec le maître d'ouvrage - chacun demeurant dans ses prérogatives.

M. Étienne Prost. - Notre profession est demandeuse d'un dialogue qualitatif avec les ABF. Les impondérables sur les chantiers ne représentent pas la majorité des cas. Le plus souvent, lorsque nous assurons une maîtrise d'oeuvre pour un client, le dialogue avec les ABF constitue outil d'arbitrage et de prévention.

Dans le cadre de certains projets, les ABF sont incontournables. Nous préférons donc travailler avec eux en bonne entente plutôt qu'en confrontation.

Nous avons également besoin d'ABF disponibles car, en tant qu'architectes d'intérieur, nous travaillons beaucoup en création. Nous sommes formés au design et à la création originale. Pour nous adapter aux besoins et aux demandes de nos clients, nous travaillons beaucoup sur des projets sur-mesure, subtils et ambitieux, avec une dimension ergonomique. Nous sommes donc souvent amenés à avoir un dialogue très poussé avec les ABF, pour peu que ceux-ci soient disponibles. Il est important pour nous que les ABF puissent ainsi comprendre et accompagner nos projets.

Les ABF ne sont pas nécessairement conservateurs. Ils peuvent comprendre les visées d'une création. Pour cela, il est toutefois nécessaire de pouvoir nouer avec eux un dialogue de qualité. À cet endroit, on peut regretter que les ABF ne soient pas toujours suffisamment disponibles.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je note avec intérêt la concertation mise en place avec l'UDAP 75. Les architectes ont-ils été associés à cette démarche, au-delà des architectes d'intérieur ? Cette démarche a-t-elle vocation à être dupliquée dans d'autres territoires ?

M. Yves Pollet. - Les architectes n'ont pas été associés à cette démarche. Il s'agit spécifiquement d'un dialogue entre les ABF et les architectes d'intérieur, initié par M. Masviel.

Nos enjeux étant les mêmes sur l'ensemble du territoire, ce dialogue a vocation à avoir une portée nationale. C'est pour cette raison que nous avons sollicité un confrère marseillais pour notre émission du 4 juillet 2024.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Ma collègue Sabine Drexler, rapporteure pour la commission culture du budget du patrimoine, a par ailleurs un cheval de bataille : le DPE dans le bâti ancien. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mme Bérengère Tabutin Di Cicco. - J'ai pris la mesure de cet enjeu avec mes clients parisiens. Dans le contexte des JOP 2024, beaucoup de propriétaires effectuent des rénovations dans une perspective de mise en location. Or le DPE se focalise aujourd'hui beaucoup sur le confort d'hiver, mais peu sur le confort d'été. Le risque serait que cette focalisation conduise massivement à des rénovations s'appuyant sur des procédés ou matériaux mal adaptés au réchauffement climatique, appelant, à terme, l'installation de climatiseurs, avec des enjeux vis-à-vis de la transition énergétique, mais aussi potentiellement vis-à-vis des ABF. Le problème se pose également dans le cadre des projets de transformation d'actifs de bureaux en logements. Les ABF nécessiteraient donc d'être associés aux réflexions sur le DPE dans le bâti ancien, pour que tous les acteurs puissent être informés et sensibilisés.

L'Ademe a produit un MOOC sur la rénovation énergétique du bâti ancien. Cependant, ces recommandations ne sont pas nécessairement transcrites dans les DPE actuels.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Quel lien particulier votre profession entretient-elle avec le Sénat ?

M. Étienne Prost. - Notre profession fait face à une problématique assez singulière. En l'absence de titre protégé, l'État forme nos professionnels dans des écoles publiques relevant du ministère de la culture ou du ministère de l'éducation nationale, pour ensuite les abandonner une fois leur diplôme obtenu. Cette injustice a présidé à la création de l'OPQAI puis du CFAI. Depuis maintenant 40 ans, la profession se bat ainsi pour faire reconnaitre le titre d'architecte d'intérieur. Dans d'autres pays comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, la profession des architectes d'intérieur est règlementée.

Aujourd'hui, dans le contexte européen, nous ne nous battons plus pour une règlementation de la profession. En revanche, nous continuons de plaider pour une protection du titre d'architecte d'intérieur, le cas échéant au travers d'un décret ou d'une loi. Cette protection bénéficierait aux architectes d'intérieur, mais apporterait aussi des garanties aux consommateurs et aux architectes appelés à inclure des architectes d'intérieur dans leurs équipes pluridisciplinaires.

Dans cette optique, nous nous sommes tournés principalement vers le ministère de la culture. Nous avons ainsi pu bâtir un référentiel d'activités pour le métier d'architecte d'intérieur.

Le Sénat nous accompagne également dans cette démarche. Nous avons notamment travaillé sur ce sujet avec Jean-Pierre Sueur et Catherine Dumas. Des questions écrites ont ainsi été adressées par le Sénat au ministère de la culture. Nous avons également porté un amendement à un projet de loi, visant la protection du titre d'architecte d'intérieur, qui n'a cependant pu être voté.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quelle est aujourd'hui la position du ministère de la culture ?

M. Étienne Prost. - Les services du ministère nous répondent que la situation est complexe, avec un enjeu d'articulation à trouver avec les architectes. Ils mettent en avant qu'en cas de protection du titre d'architecte d'intérieur, les architectes pourraient également vouloir en bénéficier. Ils évoquent également, officieusement, une absence de portage politique suffisant. C'est pour cette raison que nous sollicitons le Sénat et les députés. Nous sommes également très présents à Bruxelles, avec l'ECIA.

M. Yves Pollet. - J'ai relevé récemment une annonce publiée par un ministère sur LinkedIn pour recruter un architecte d'intérieur. La situation est donc un peu paradoxale.

M. Étienne Prost. - De fait, le métier existe et est installé depuis longtemps dans le paysage architectural. Nous sommes assurés à la Mutuelle des architectes français. Nous sommes indispensables à la réponse aux enjeux massifs de rénovation énergétique et de reconversion des bâtiments. Pour autant, nous demeurons une profession mal identifiée.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci pour vos interventions devant notre mission d'information.

Mardi 28 mai 2024
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Audition de M. Hugo Franck, président, et Mme Emmanuelle Raoul-Duval, secrétaire générale, du syndicat de l'architecture

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information consacrée au périmètre d'intervention et aux compétences des architectes des bâtiments de France (ABF). Nous recevons à présent M. Hugo Franck, président du Syndicat de l'architecture, et Mme Emmanuelle Raoul-Duval, secrétaire générale. Avec un taux de représentativité de plus de 48 % en 2021, le Syndicat de l'architecture représente un acteur incontournable du monde de l'architecture et siège au collège employeur de la branche architecture.

Monsieur Franck, vous êtes président du Syndicat de l'architecture depuis juin 2022. Vous êtes titulaire d'un diplôme d'architecte délivré par le gouvernement (DPLG) obtenu à l'École nationale supérieure d'architecture de Clermont-Ferrand et vous avez créé votre agence en 2007. Votre cabinet a reçu le prix spécial du jury European France pour un projet intitulé « Back-ground », mêlant lieu de production, de services et de résidence, avec pour idée première de « ne pas construire, mais libérer le sol ». Les dimensions écologiques et culturelles prévalent dans vos réalisations. Vous avez récemment déclaré : « Au regard des crises que nous traversons, nos moyens de production doivent s'ajuster, et nos compétences en tant qu'architectes doivent être déployées. L'architecture fait partie des réponses aux défis écologiques et culturels que nous devons relever collectivement, au service de notre société et de notre démocratie ». Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Votre témoignage ainsi que celui de Mme Raoul-Duval enrichiront à n'en pas douter nos débats.

Notre mission, je le rappelle, est le fruit d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et territoires (LIRT) du Sénat, qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen. Nos premières auditions ont mis en lumière la complexité des missions des ABF, et les incompréhensions, parfois, qui en résultent. Un manque de moyens a été également évoqué, avec en toile de fond la lenteur de la mise en oeuvre des périmètres délimités des abords (DPA) et des sites patrimoniaux remarquables (SPR), dans un contexte exigeant de transition écologique et énergétique.

Je vous invite, monsieur le président et madame la secrétaire générale, à nous livrer un propos liminaire dans lequel vous évoquerez vos rapports avec les ABF, dont la situation est au coeur du travail de notre mission.

M. Hugo Franck, président du Syndicat de l'architecture. - Le syndicat de l'architecture, vous l'avez dit madame la présidente, est un syndicat représentatif des architectes et des professionnels de l'architecture. Il est l'un des deux syndicats nationaux en France, constitués à la faveur de la promulgation de la loi de 1977 sur l'architecture, sur laquelle nous reviendrons d'ailleurs peut-être, car selon nous elle contient des mécanismes qu'il pourrait être intéressant d'exploiter davantage, en particulier sur la relation avec les ABF. Notre syndicat représente des architectes libéraux ou associés. Aucun ABF n'y adhère, puisque les ABF n'exercent pas à titre libéral ou en tant qu'associés. En revanche, nous comptons dans nos rangs d'anciens ABF et, peut-être, de futurs ABF.

Notre syndicat oeuvre au sein de la branche architecture avec les autres syndicats d'employeurs et de salariés. Il participe à la négociation des accords, ainsi qu'à la gestion de la convention collective et des fonds de formation professionnelle. Au-delà des entreprises d'architecture, la branche architecture représente les paysagistes, les urbanistes, les architectes d'intérieur, en somme tout le monde de la grande architecture, soit 50 000 structures environ.

En outre, le syndicat défend la profession d'architecte aux échelles territoriales et nationales, en lien avec le ministère de la culture et le ministère du travail, mais aussi à une échelle internationale, puisqu'il fait partie de la délégation qui représente la France à l'Union internationale des architectes et au Conseil des architectes d'Europe, qui agit directement auprès de la Commission européenne. Il entretient des liens avec de nombreux représentants du monde de l'architecture dans le monde entier, ce qui nous permet d'apprécier la variété de l'appréhension du patrimoine dans les différents pays. À ce titre, je considère que nous pouvons nous enorgueillir de notre histoire et de notre patrimoine, et nous montrer fiers de la manière dont nous en prenons la mesure. Nous pouvons ici revendiquer l'exception culturelle de la France, non pas de manière conservatrice, mais en termes de protection et de mise en valeur. Nos relations avec les ABF s'entendent en termes d'évolution des villes, la recherche et l'exploration demeurant au service de l'adaptation de notre société à de nouveaux paradigmes environnementaux.

Nous regroupons des entreprises d'architecture et des architectes qui prônent une vision et une pratique éthiques de leur métier et revendiquent la production d'une architecture de qualité. Nos compétences sont appelées et devraient d'ailleurs l'être davantage, au service du public et de notre démocratie. Nous défendons également l'indépendance de la profession d'architecte, sur la base d'une déontologie fortement affirmée, incluant une responsabilité pouvant aller jusqu'à la responsabilité pénale, que nous nous efforçons de mettre en avant face à des enjeux personnels ou financiers qui altèrent la qualité de notre production initiale.

Les architectes des bâtiments de France sont nos confrères et nos consoeurs, et il nous paraît indispensable qu'ils ne se trouvent pas sous la coupe d'intérêts politiques ou financiers. Nous avons conscience qu'il existe une véritable saturation administrative au sein des unités départementales, traduisant un manque de personnel et de moyens. Nous n'entretenons pas de relations conflictuelles avec les ABF. Nous avons suivi les mêmes études, nous parlons le même langage. Néanmoins, nous déplorons le manque de disponibilité des ABF, qui sont par trop accaparés par de nombreuses tâches, et les délais excessifs pour l'examen de nos propositions.

À titre personnel, je ne dépose jamais une demande de permis de construire avant d'avoir recueilli l'avis d'un ABF. Notre métier consiste à mettre en cohérence un certain nombre d'éléments techniques et réglementaires, que d'aucuns nommeraient des contraintes, un contexte, un programme et un budget. Les éléments fournis par les ABF comptent parmi ces éléments qu'il nous appartient d'inclure dans nos projets, et qu'il faut inclure le plus en amont possible, afin d'apporter à nos clients une réponse en adéquation avec les différentes réglementations et avec leur budget. En effet, lorsque des demandes spécifiques surgissent après les premières phases d'évolution du projet, après l'esquisse, après l'avant-projet sommaire, voire après l'avant-projet définitif et le permis de construire, un blocage ne manque pas de se produire. C'est la raison pour laquelle nous encourageons nos clients à accepter le temps long d'un projet, plutôt que passer outre certains éléments, au risque de faire perdre un temps considérable par la suite. C'est pourquoi nous nous efforçons de mettre tout en oeuvre afin d'obtenir un avis favorable, ce qui suppose de dialoguer avec les responsables et avec les futurs utilisateurs d'un projet.

Dès lors, l'accès aux ABF est primordial et, de ce point de vue, des améliorations sont nécessaires. Nous devons nous appuyer sur ce langage commun que j'évoquais précédemment. Des discussions en amont d'un projet permettent à l'ABF de formuler des recommandations et à l'architecte d'en tenir compte, sans que ce dernier soit tenu de présenter le projet dans ses moindres détails. Si un ABF exprime au préalable son refus de la construction d'un bâtiment qui, par exemple, dépasserait en hauteur un autre, alors il revient à l'architecte d'adapter son projet, avant même de commencer à dessiner, et ainsi gagner du temps. L'architecte des bâtiments de France n'est pas un empêcheur, il ne nous dicte pas la conduite de nos projets, n'a pas d'exigences inconsidérées et entend les problématiques inhérentes aux commandes de nos clients. Cette relation est primordiale afin d'éviter les avis défavorables et les ralentissements. Elle suppose de produire un effort de pédagogie en direction de nos clients. De manière générale, les clients sont rassurés que l'architecte prenne en charge la relation avec l'ABF, qui est parfois perçu comme une autorité inaccessible et redoutable.

Je considère que la concertation et le processus de création pourraient inclure d'autres interlocuteurs que les architectes praticiens et les ABF. De nombreux architectes autres que les praticiens oeuvrent sur le territoire. Je pense en particulier aux architectes-conseils qui interviennent auprès de municipalités ou de l'État, mais aussi des paysagistes-conseils, c'est-à-dire des intermédiaires susceptibles d'intervenir auprès de décisionnaires privés ou d'élus locaux, afin de renforcer le dialogue avec les ABF.

La formation est un enjeu capital. Au sein de la branche architecture, nous négocions les fonds de formation et nous labellisons des formations. Nous constatons une demande forte de formation en lien avec le bâti existant, ainsi qu'une demande grandissante de formation sur des techniques constructives qui étaient bien connues et appliquées auparavant, et qui le sont moins aujourd'hui. Nous avons le sentiment que de nombreux architectes révisent leur mode de fonctionnement et leur mode de création. Il existe une appétence forte pour la réhabilitation et pour la ruralité. La nouvelle génération d'architecte est particulièrement orientée vers la prise en compte de nouveaux paradigmes dans l'exercice du métier. Dès lors, les architectes doivent acquérir davantage de compétences sur les pratiques en lien avec le bâti existant. Un architecte plus compétent en termes de réhabilitation sur des sites protégés, ou de réhabilitation patrimoniale, sera un interlocuteur privilégié et un médiateur en amont entre le particulier et l'ABF, ou entre les élus locaux et les ABF.

Mme Emmanuelle Raoul-Duval, secrétaire générale du Syndicat de l'architecture. - Comme l'a rappelé M. Franck, nous avons besoin des architectes des bâtiments de France, qui sont des confrères et des consoeurs et qui, ainsi que j'ai pu l'éprouver à travers mon expérience d'architecte, nous accompagnent. En parallèle de mon activité d'architecte, j'enseigne en école d'architecture sur les thématiques liées au carbone, et je peux témoigner du fait que la réutilisation et la réhabilitation se trouvent désormais au coeur de la formation. Or la réutilisation et la réhabilitation supposent d'intervenir sur le bâti existant. À ce titre, nous avons besoin d'architectes compétents sur les questions de patrimoine, afin de prendre en compte les nouvelles réglementations et les exigences imposées par les crises environnementales, sociales et économiques que nous traversons.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez décrit une certaine contradiction souvent relevée au cours de nos échanges et de nos auditions. D'un côté, vous avez insisté sur la nécessité d'échanger en amont avec les ABF, de l'autre vous avez rappelé que ces mêmes ABF sont souvent si accaparés qu'ils n'ont pas le temps de se consacrer à ces échanges. L'échange avec les ABF s'en trouve par conséquent empêché. Comment vous, architectes, procédez-vous lorsque l'ABF n'est pas accessible, lorsque l'échange en amont est impossible, en particulier dans un périmètre dépourvu de référentiels ou de documents d'urbanisme, tels qu'un plan local d'urbanisme (PLU) par exemple ?

Vous avez également évoqué la sensibilité des architectes à l'égard de nouvelles problématiques. De quelle manière pourriez-vous avancer de concert avec les ABF sur ces questions ? Est-il nécessaire, selon vous, de formaliser et d'institutionnaliser certains éléments de formation, afin que chacun dispose d'un même savoir et d'une même sensibilité sur ces sujets ?

Enfin, vous avez rappelé que les ABF ont suivi les mêmes études que les architectes. Nous avons souvent entendu que le métier d'ABF souffrait d'un manque d'attractivité, en termes de rémunération et d'image. Est-ce un phénomène que vous observez ?

M. Hugo Franck. - Les études d'architecture sont pareilles à un tunnel : on y entre avec pour seule perspective de devenir architecte. Elles ne préparent à aucun autre métier. Il me semble que de moins en moins d'étudiants sont disposés à aller jusqu'au bout du cursus, et à endosser, à la fin, la responsabilité de devenir architecte, étant donné la pression d'adaptation qu'elle génère, et un certain manque de valorisation du métier. Être ABF suppose une responsabilité plus forte encore, ce qui nuit à l'évidence à son attractivité.

Un ABF, comme tout architecte, est formé à la conception de projets architecturaux, de projets d'aménagement, à l'élaboration d'une vision du paysage urbain. Or une rupture apparaît dans la perception par les plus jeunes du métier d'ABF, au sens où ils se persuadent que l'ABF ne mène aucun projet, mais se contente de livrer un avis sur les projets des autres. Cette perspective peut décourager des étudiants portés par le désir de produire eux-mêmes des projets architecturaux. Hormis ses décisions de conservation et ses actions sur les monuments dont il a la charge, il convient de reconnaître que l'ABF, aujourd'hui, n'exerce plus le métier d'architecte, ce qui est un problème insoluble. On vient au métier d'ABF soit en toute connaissance de cause, par vocation, soit plus tard parce qu'on souhaite évoluer dans sa carrière, et que notre formation nous le permet, puisque des concours sont ouverts afin de devenir architecte-conseil ou ABF.

Il convient de rappeler que si l'ABF est indispensable. Si sa voix compte, c'est aussi parce qu'il a effectué un certain nombre d'années d'études, qu'il a réussi un concours, et qu'il jouit de savoirs et de compétences importants, supérieurs même à ceux des architectes. J'ai échangé récemment avec un ABF, qui m'a donné un véritable cours sur l'ardoise, alors que j'exerce depuis dix-sept ans. Un autre m'a donné des pistes sur un chantier, que je m'efforcerai d'appliquer au mieux et qui, certainement, m'éviteront de commettre des erreurs. Je veux exprimer par ces exemples la grande qualité des échanges que nous, architectes, sommes amenés à avoir avec les ABF.

Nous avons toujours accès à un ABF, même s'il est surchargé de travail, et il en existe au moins un dans chaque département. Certes, ils ne sont pas en nombre suffisant, mais l'ABF n'est pas une personne seule retranchée dans sa tour d'ivoire. Il a lui aussi besoin de se former, de discuter avec des confrères, il a besoin de la même émulation collective que les architectes praticiens.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez pourtant signalé que les ABF sont parfois peu accessibles.

M. Hugo Franck. - En effet, les délais d'instruction des projets sont parfois longs. Mais, comme je l'ai indiqué, je ne dépose jamais de demande de permis de construire tant que je n'ai pas présenté mon projet à l'ABF. De plus, je préfère attendre son avis plutôt qu'entamer mes travaux, au risque de devoir revoir mon projet en conséquence d'un avis défavorable, qui suppose de relancer une longue instruction.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Ainsi vous évitez les recours.

M. Hugo Franck. - Personnellement, je n'ai jamais formulé de recours. Je n'ai pas de conseil à donner à mes confrères et mes consoeurs, mais, pour ma part, j'inclus toujours dans mes contrats qu'une intervention sur un site protégé ajoute au minimum deux mois supplémentaires au calendrier d'étude, et j'inclus des honoraires supplémentaires dans mon forfait au titre du temps passé à discuter avec différents acteurs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Quel est votre regard sur les documents d'urbanisme que vous consultez ? Sont-ils au niveau des demandes, en ce qui concerne les constructions possibles ou le type de matériaux ?

M. Hugo Franck. - Tout dépend du contexte dans lequel nous intervenons, et il est délicat d'exprimer des généralités, donc de formuler des réglementations. La seule formalisation possible devrait concerner un périmètre délimité. Dans le cadre d'un PLU, l'architecte des bâtiments de France ne pourrait pas émettre des recommandations pour chaque parcelle.

Les maires peuvent travailler de concert avec un ABF lorsqu'ils construisent un règlement d'urbanisme, ce qui permet d'élaborer les premières règles, d'ouvrir des pistes ou de prononcer certaines interdictions précoces. Il est toutefois impossible de tout réglementer, parce que les architectes exercent toujours en fonction d'un contexte et que, d'une parcelle à l'autre, au sein d'un même secteur, les enjeux sont susceptibles de varier.

Mme Emmanuelle Raoul-Duval. - Les documents d'urbanisme, par nature, ne sont pas unifiés pour chaque ville ou chaque village. C'est la raison pour laquelle il convient de dialoguer avec des interlocuteurs locaux afin d'éclairer les interrogations des architectes.

M. Hugo Franck. - Si les ABF étaient déployés en nombre suffisant, la concertation en serait d'autant améliorée, et ils seraient en mesure d'intervenir plus fréquemment auprès des élus, de leurs confrères architectes et aussi auprès du public. Il serait également utile qu'ils interviennent auprès des services instructeurs, puisque les instructeurs ont de nombreux dossiers à instruire, sans bénéficier d'une formation à l'architecture, et encore moins au patrimoine.

M. Vincent Éblé. - Vos propos sont éclairants sur la relation étroite et quotidienne qu'entretiennent les architectes avec les ABF. Nos précédentes auditions ont mis en lumière la surcharge de travail que subissent les ABF, ce qui complique le travail en amont avec eux, en particulier sur les projets de taille modeste. Par conséquent, leurs prescriptions interviennent de façon tardive et sont parfois perçues comme abruptes.

L'ABF est tenu, vous l'avez rappelé monsieur Franck, de faire preuve d'une pédagogie qui s'exerce de différentes manières. Elle s'exerce de manière générique, en s'appuyant sur des cahiers de prescription, des plans d'occupation des sols dans des secteurs sauvegardés, ou des plans de sauvegarde extrêmement détaillés. Tous permettent de se prémunir contre certaines difficultés. Mais cette pédagogie s'exerce également au cas par cas, en fonction du dossier lui-même, et alors les cahiers de prescription peuvent s'avérer insuffisants. Dans tous les cas, rien ne remplace cette phase de dialogue et de concertation autour d'un projet. C'est pourquoi la question de la disponibilité des ABF est indispensable, afin d'éviter des situations d'incompréhension ou de potentiels contentieux.

J'ai apprécié votre propos, monsieur Franck, parce que vous reconnaissez et respectez l'expertise et le savoir des ABF, alors que l'architecte est en quelque sorte en situation d'affrontement avec lui, puisqu'il a besoin de faire avancer un projet et que l'ABF est susceptible de lui imposer des prescriptions ou des contraintes. Je déplore, comme vous, que l'ABF soit trop souvent considéré comme une entrave à la liberté de l'architecte, alors que la qualité de son regard est précieuse.

Mme Guylène Pantel. - Pour le dire de manière un peu provocatrice, les relations avec les ABF que vous décrivez me semblent quelque peu idylliques. Je dis cela au regard de la situation dans certains départements ruraux, où ce type de rapports privilégiés est impossible compte tenu de l'inaccessibilité des ABF. Dans mon département de la Lozère, il y a un ABF pour 76 000 habitants. Les maires ne cessent de me solliciter à ce sujet, et se plaignent de l'inaccessibilité des ABF qui, certes, ne peuvent se déplacer incessamment dans l'ensemble de leur territoire. En outre, le suivi est défaillant dans les départements ruraux, et il manque une ligne directrice dans la durée. Certains élus réclament la mise en place de commissions départementales réunissant le maire de la commune concernée par un projet, l'ABF et un représentant de la préfecture.

Vous avez par ailleurs souligné, monsieur Franck, le manque de formation des instructeurs. Il s'agit d'une réalité propre aux petites communes et aux communes rurales où, en effet, les adjoints à l'urbanisme ne possèdent pas d'expertise sur les sujets d'architecture et d'aménagement. Il convient d'en tenir compte, parce qu'il est évident que l'on ne peut avoir un architecte dans chaque conseil municipal. À cet égard, la pédagogie des professionnels est importante.

Mme Monique de Marco. - J'ai relevé, dans votre propos, la question du manque de formation sur le bâti existant et sur les techniques de construction, ainsi que l'appétence des nouvelles générations pour la rénovation et la ruralité. Pensez-vous que l'enseignement dispensé dans les écoles d'architecture devrait évoluer afin de tenir compte de ces phénomènes ? Qu'en est-il de la formation continue ? Il me semble, mais il s'agit là d'un point de vue extérieur, que la formation à l'École de Chaillot a très peu évolué.

Par ailleurs, pensez-vous qu'une évolution de la loi sur l'architecture de 1977 est nécessaire ? Le cas échéant, dans quelle direction doit-elle évoluer ?

Mme Sabine Drexler. - J'aimerais connaître votre point de vue sur le diagnostic de performance énergétique (DPE). Vous semble-t-il adapté au bâti patrimonial ? Prend-il suffisamment en compte ses spécificités ?

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - L'équilibre entre patrimoine et transition écologique est un véritable défi. Pensez-vous qu'il convienne de changer notre approche légale sur ce sujet ?

M. Hugo Franck. - Sur la question du patrimoine, il convient en premier lieu de se demander ce que l'on entend par ce terme. Qu'est-ce qui fait patrimoine aujourd'hui ? Les constructions industrielles font-elles partie du patrimoine ? Des bâtiments de la fin du XXe siècle peuvent-ils être inclus dans le patrimoine ?

Les architectes n'ont jamais été consultés sur le DPE et sur sa mise en place, ce qui ne laisse pas d'étonner. La création d'un DPE patrimonial est actuellement en discussion, et on ne peut que s'en féliciter. Cependant, dans quelle mesure est-il possible de mettre en place ce DPE patrimonial ? À titre personnel, cela me semble impossible. Chaque construction est unique, et réaliser un DPE dans un site patrimonial ne saurait consister à cocher des cases sur une liste. Un DPE patrimonial requiert une visite par des architectes ou des professionnels de la construction, c'est-à-dire des personnes disposant de compétences constructives, de compétences de projets, de compétences culturelles, et qui sont en mesure d'apporter une réponse contextuelle adaptée. Il me semble irréaliste d'envisager une procédure généralisable à tout le bâti patrimonial.

En ce qui concerne la formation, je m'étonne toujours que le rapport à l'espace ne soit pas enseigné, alors que nous vivons en permanence dans l'architecture. Nous marchons dans des rues façonnées par l'urbanisme, nous vivons et nous travaillons dans des bâtiments conçus par des architectes. Dès lors, comment un élu qui n'a jamais reçu la moindre formation en architecture pourrait-il comprendre les exigences formulées par un ABF ou un architecte ? Il est difficile, et c'est bien naturel, de dialoguer avec un architecte lorsqu'on n'a jamais reçu cette éducation à l'espace, au patrimoine, et cette initiation aux enjeux de société que porte l'architecture. C'est la raison pour laquelle je considère que ces matières doivent être enseignées, ce qui permettra, en outre, de rendre plus lisibles les avis, les processus de fabrication, les règlements et les contextes.

Je ne connais pas assez l'École de Chaillot pour répondre précisément à votre question, madame de Marco. En revanche, il apparaît que les évolutions, de toutes sortes, nous obligent à acquérir des compétences supplémentaires. Les architectes se forment beaucoup par eux-mêmes, de chantier en chantier. Ils prennent en compte les éléments nouveaux qui surgissent au fil du temps, quand ils ne les initient pas eux-mêmes. Il appartient à la formation de suivre cette évolution permanente.

C'est au nom de cet impératif que l'ensemble des syndicats oeuvrant au sein de la branche architecture ont présenté au ministère de la culture un projet de revalorisation du diplôme d'architecte. Aujourd'hui, nous n'avons plus de diplômes, nous avons une habilitation, c'est-à-dire un stage inutile de six mois en agence à la fin de nos études. Nous souhaitons plutôt que les architectes sortent de l'école en sachant construire. À cette fin, il n'est pas nécessaire de passer des années en agence.

Le Syndicat de l'architecture a par ailleurs produit une proposition très générale concernant la nécessaire évolution de la loi de 1977, en lien avec la question du patrimoine. Nous vous la transmettrons. L'intérêt public de l'architecture ne se limite pas à l'intervention sur la construction neuve. L'intervention sur le bâti existant est au coeur de l'activité, et elle le sera de plus en plus dans un monde où l'on construira de moins en moins, puisqu'il n'est pas toujours utile de construire lorsqu'il existe tant de bâtiments à réhabiliter. C'est pourquoi l'inscription de la réhabilitation d'intérêt public dans la loi de 1977 est primordiale.

Une prise de conscience des vertus de la réhabilitation est indispensable. Aujourd'hui, on construit du logement et on fait vivre les gens dans des cases. La réhabilitation permet de déstandardiser la production, d'une manière considérable et automatique. Il nous appartient de créer de nouveaux usages dans l'existant. Nous devons, en outre, nous adapter à de nouveaux éléments. J'estime d'ailleurs que plus nous avons de contraintes à intégrer, meilleurs seront nos projets.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions pour vos interventions.

Audition de M. Stéphane Bern, animateur de radio et de télévision
(en visioconférence)

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Bonjour à toutes et tous. Nous accueillons en visioconférence une personnalité qui, pour des millions de Français, incarne le patrimoine, M. Stéphane Bern, que je remercie vraiment d'avoir accepté cette audition. Je suis accompagnée de M. Pierre-Jean Verzelen qui est le rapporteur de cette mission. Vous êtes intervenu en audition auprès de nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon sur une mission concernant le patrimoine religieux et vous êtes venu à d'autres occasions nous parler des architectes des bâtiments de France (ABF). Notre mission porte sur le périmètre d'intervention des ABF. Vous êtes également très mobilisé sur la ruralité et vous savez comment les ABF y interviennent. Votre éclairage nous intéresse donc particulièrement.

M. Stéphane Bern, animateur de radio et de télévision. - Merci, madame la présidente. Merci à tous de m'auditionner. C'est toujours une joie de parler avec les sénatrices et les sénateurs, parce que le Sénat a toujours le souci de la ruralité et de la défense du patrimoine. Il m'a été demandé de réfléchir à l'utilité des politiques de protection du patrimoine en France pour la préservation des paysages. Je voudrais donc d'abord rappeler le rôle des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) qui veillent au respect de l'application des règlementations en matière de patrimoine, d'urbanisme et d'environnement et qui accompagnent les collectivités territoriales et les propriétaires privés dans leurs projets de travaux, notamment dans des immeubles situés au sein d'espaces protégés pour leur intérêt patrimonial, à savoir les sites patrimoniaux remarquables (SPR), les abords des monuments historiques et les sites classés ou inscrits au titre du Code de l'environnement.

Dans le cadre de l'étude des candidatures reçues chaque année pour la mission patrimoine, certaines délégations de la Fondation du patrimoine associent des ABF au choix des dossiers qui sont ensuite remontés au comité de sélection lors de réunions conjointes avec les délégations régionales des affaires culturelles (DRAC) et les délégations régionales de la Fondation du patrimoine à ce sujet. En effet, la mission patrimoine que je porte est déployée par la Fondation du patrimoine avec le soutien appuyé des DRAC qui valident notamment en amont les dossiers concernant les projets protégés monuments historiques. En région, les ABF sont ainsi associés au choix des projets protégés et si nécessaire, la Fondation du patrimoine les sollicite également pour valider la qualité du programme de travaux prévus par un propriétaire, notamment en cas de doute sur l'importance ou l'intérêt de tel ou tel dossier.

Le rôle des ABF est primordial dans la protection et la préservation du patrimoine français dans sa diversité. Ce sont les gardiens du respect des caractéristiques patrimoniales propres à chaque territoire et en ce sens, leur avis conforme, parfois contraignant, est indispensable. L'ABF est également un référent dont l'expertise est précieuse pour les collectivités qui souhaitent travailler sur la création d'un périmètre de protection comme les SPR. Les ABF sont plus largement sollicités lors de l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU). Sa mission de conseil s'applique également aux propriétaires privés sans que les recommandations formulées soient obligatoires, même si, en 2017, je m'étais indigné de la loi qui libéraliserait tout cela et le Sénat avait été plus en pointe que l'Assemblée nationale à ce sujet, car il est important d'avoir une police du patrimoine et un avis conforme des ABF. Autrefois, les maires se plaignaient beaucoup des ABF, raison pour laquelle on a voulu leur « couper la tête » ou leur « rogner les griffes ». Les maires disaient : « moi, je suis favorable à ce que vous construisiez une véranda immonde, mais mon ABF ne veut pas ». L'ABF servait de « paravent » en quelque sorte, permettant au maire de ne pas être en première ligne. Si le maire acceptait une construction immonde dans un périmètre protégé, il enlaidissait son village, mais il gagnait une voix, alors que s'il refusait, il perdait une voix, mais protégeait son village. Aujourd'hui, tout est laissé à la discrétion du maire. Pourtant, il est très important d'écouter les ABF.

Vous m'avez interrogé sur l'insuffisance des moyens publics en faveur du patrimoine, notamment au niveau des UDAP. Il y a effectivement un manque de moyens humains. Dans certains départements, en raison d'un manque d'effectifs ou d'un nombre trop important de dossiers à traiter, le délai des réponses des UDAP aux demandes d'avis conforme, dans le cadre notamment du label qui est délivré par la Fondation du patrimoine, peut durer plusieurs mois, ce qui pousse parfois les propriétaires privés à abandonner leurs demandes. Cela peut par ailleurs bloquer le démarrage de certains chantiers. Pour d'autres, ce sont les exigences formulées, disparates d'un département à un autre, qui posent problème et créent de l'incompréhension pour les propriétaires. On ne comprend pas pourquoi un ABF dans un département n'est pas en conformité avec celui d'un autre département. Je crois qu'il faut dans un premier temps renforcer les équipes des UDAP. Dans le cadre du label, une autre piste pour accélérer le processus et décharger les ABF consisterait à déléguer l'avis conforme pour des projets simples aux techniciens au sein des UDAP. Il faudrait également une clarification, une harmonisation des exigences techniques des UDAP. La Fondation du patrimoine souhaite travailler à des normes techniques uniformisées avec les UDAP, qui sont les critères essentiels à leur avis favorable, pour la qualité par exemple des programmes de travaux engagés, afin notamment d'accélérer le processus de délivrance de leur avis. Il existe au sein de la région Centre-Val de Loire l'expérience réussie d'un guide commun diffusé aux propriétaires avec des critères établis, des règles établies, ce qui permet de mener ensemble une réflexion au sein de la DRAC avec tous les ABF pour aboutir à un cahier des charges commun harmonisant toutes les exigences techniques.

Je me fais le porte-parole de la Fondation du patrimoine qui aimerait que les ABF puissent dégager du temps afin de pouvoir développer avec leur expertise une action en matière environnementale, par exemple développer des labels sur les parcs et jardins, identifier des projets vertueux de restauration du patrimoine qui prennent en compte les enjeux d'écorénovation pour amplifier encore davantage l'impact environnemental du secteur du patrimoine. Je pense qu'il n'est pas possible de détacher le patrimoine bâti du patrimoine naturel, du patrimoine environnemental. Sur ces aspects, les compétences et les avis des ABF pourraient être précieux pour définir des recommandations, diffuser des bonnes pratiques et participer au choix des projets. Avec la Fondation du patrimoine, nous avons d'ailleurs émis des recommandations que je pourrai vous faire parvenir, en ce qui concerne les perspectives de process entre les UDAP et les délégations régionales de la Fondation du patrimoine qui, je le rappelle, jouent un rôle important. Il s'agit de bénévoles qui me remontent les dossiers, ce qui me permet ensuite de donner de l'argent du loto du Patrimoine. Il existe une formidable coordination entre les équipes locales de la Fondation du patrimoine et les UDAP qui travaillent dans la majorité des cas en bonne entente pour la préservation du patrimoine de nos territoires. Parfois, nous avons quand même des retours du terrain dans quelques départements où il serait possible d'envisager quelques évolutions. Les UDAP font face à un accroissement des demandes d'urbanisme et à un manque de moyens humains et souvent, les dossiers portés par la Fondation du patrimoine ne sont pas prioritaires et souffrent de longs délais qui découragent les porteurs de projet, particulièrement les porteurs privés. Je pense que dans le cadre du label de la Fondation du patrimoine, il faut aller vers une clarification, une harmonisation des exigences techniques des UDAP, faire reconnaître l'expertise technique de la Fondation et déléguer l'avis conforme pour des projets simples aux techniciens au sein des UDAP. Peut-être serait-il en outre possible d'envisager la définition d'un délai commun de réponse. La charte signée en 2009 mentionnait un délai de 30 jours ouvrés, mais ce délai n'est pas respecté. Nous pourrions aussi imaginer une digitalisation de la transmission des dossiers, car cela faciliterait le partage des documents et permettrait d'automatiser certaines relances. Avec la Fondation du patrimoine, nous vous avons préparé des notes que je pourrai mettre à votre disposition, pour améliorer et fluidifier les relations entre les UDAP et permettre aux ABF de donner un avis favorable plus rapidement.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci de votre intervention très synthétique, mais dense. Je ne poserai qu'une seule question. Vous savez qu'un certain nombre de maires et de porteurs de projets privés, en raison du manque de moyen, n'ont pas la possibilité de rencontrer les ABF ou même les personnes travaillant au sein des UDAP et se limitent donc à l'avis qui leur est donné, lequel peut être défavorable ou favorable avec des recommandations qui leur paraissent très lourdes. Les décisions rendues par l'ABF peuvent être vécues, par des élus ou par des particuliers, avec une forme d'incompréhension, parfois avec une forme d'injustice, voire de mépris social. Il existe donc un problème de sensibilisation ou d'enseignement au patrimoine. Je voudrais avoir votre vision des choses sur le sujet, peut-être sur la proposition d'incorporer cette sensibilisation au patrimoine dans l'enseignement scolaire. Comment voyez-vous les choses pour que les uns et les autres, nous nous sensibilisions de plus en plus à notre environnement patrimonial ?

M. Stéphane Bern. - Monsieur le rapporteur, vous avez tout à fait raison, vous souligner le point essentiel : comment faire, et c'est tout mon travail, pour que la jeune génération, celle qui arrive, soit sensibilisée au beau, à l'art, au patrimoine, au respect du patrimoine bâti et du patrimoine naturel et environnemental. C'est tout l'enjeu. Je suis le parrain de l'association « Les enfants du patrimoine » et nous essayons de transmettre à ces générations qui devront prendre la relève et assurer la protection du patrimoine.

Vous parlez d'incompréhension, c'est évident. Nous avons l'impression que l'arbitraire décide parfois de ce qui est beau, de ce qui est bien. J'ai plaidé auprès du Président de la République depuis tant d'années, sept ans maintenant, pour une police du patrimoine. Nous ne faisons pas respecter le patrimoine. Il existe des périmètres protégés et les gens ne comprennent pas les raisons pour lesquelles ils sont « embêtés » et des travaux leur ont été demandés par la DRAC, tandis que d'autres ont la latitude - parce qu'on n'ose pas leur dire - de construire des éléments monstrueux dans un périmètre protégé. Cela manque d'harmonisation, de cahier des charges très précis et de respect des périmètres. J'ai ici une nouvelle ABF que j'ai rencontrée à la préfecture d'Eure-et-Loir à Chartres et qui m'a dit qu'elle n'avait pas le temps de venir me voir, contrairement au préfet. À deux heures de route en revanche, à Orléans, la conservatrice en chef des monuments historiques prend, elle, le temps de venir me voir. Pour un particulier comme moi, certes connu, les gens ont plutôt l'habitude de s'inviter pour venir voir mon monument historique, mais pour l'abbatiale qui est juste derrière moi et qui a besoin de travaux, l'ABF ne vient pas, ce qui illustre un deux poids deux mesures. La loi NOTRe a fait en sorte que la DRAC doive faire des milliers de kilomètres pour aller voir chaque petite église de village. Je pense que les délégués de la Fondation du patrimoine, qui font un travail incroyable sur le terrain, pourraient servir de relai. Il faut trouver des relais pour rendre les choses moins abruptes et mettre du liant avec les collectivités territoriales, les petites communes qui se sentent complètement larguées et les particuliers qui ne comprennent pas les avis des ABF qui ne sont pas qualifiés ni explicités. Je vous ferai passer les deux notes que nous avons rédigées conjointement avec la Fondation du patrimoine pour essayer de trouver comment harmoniser les liens avec les ABF et les UDAP.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions de cette contribution écrite et si d'autres éléments vous viennent en tête, vous pouvez toujours nous écrire jusqu'à la mi-juin.

Mme Sabine Drexler. - Monsieur Bern, la commission culture du Sénat est très inquiète par rapport au patrimoine non protégé qui fait actuellement les frais d'un DPE que nous estimons inadapté au bâti patrimonial et de préconisations relatives à tout ce qui relève de l'isolation énergétique, avec notamment l'application de panneaux de polystyrène sur des pans de bois ou des maisons en pierre. Nous parlons de cette heure où l'ABF n'intervient pas et où tout est possible. Nous aimerions avoir votre avis sur ce fameux DPE. Je me demandais par ailleurs s'il ne faudrait pas, au regard de ce qu'il se passe depuis la loi Climat et résilience, pouvoir identifier tout ce qui fait partie du patrimoine en France, y compris dans les secteurs qui ne bénéficient d'aucune protection.

M. Stéphane Bern. - Madame la sénatrice, je sais que vous avez fait un travail remarquable, que je lis d'ailleurs, pour la commission culture du Sénat sur le patrimoine et que vous m'avez très aimablement envoyé ces derniers mois. Vous avez mille fois raison et c'est ce qui remonte de tous les propriétaires d'un bâti protégé et qui se sentent démunis face aux nouvelles règles qui s'imposent pour l'isolation. Quand j'en discute avec les différentes DRAC, on me dit qu'il existe des dérogations. J'ai fait remonter à la ministre de la culture que les propriétaires privés se sentaient démunis devant les demandes aberrantes qui leur sont faites, comme celles de changer les volets, de changer les fenêtres qui datent du XVIIIe siècle ainsi que les huisseries qui ont auparavant été protégées à grands frais. Au nom de cette loi, des normes européennes s'appliquent de façon drastique sans aucune préoccupation des caractéristiques de l'habitat régional de notre pays - une ferme comtoise ne se rénove pas de la même manière qu'une longère percheronne ou qu'une maison basque. Une inquiétude naît donc de la part des propriétaires privés. Je n'ai malheureusement pas la réponse à votre question, mais je dois participer vendredi après-midi pour les cent ans de la Demeure historique à Villandry à une table ronde où l'État sera questionné sur cette imposition de normes qui vont détruire le patrimoine.

Mme Sabine Drexler. - Je pense que vous êtes un véritable allié et nous avons besoin d'entendre la voix de personnes comme vous pour faire comprendre ce qui est en train de se passer, car c'est éminemment grave pour ce qu'est notre pays.

M. Stéphane Bern. - Bien sûr. Cela concerne tout le patrimoine régional, de commune en commune, de village en village. Je présente « Le village préféré des Français » et je vois de nombreux maires dont certains sont désespérés et ont le sentiment qu'on leur demande de protéger le patrimoine tout en prenant des mesures qui vont le détruire. L'application de ces normes est une catastrophe pour notre patrimoine. Je n'ai pas la réponse, je ne me fais que le porte-voix de la société civile. J'ai une mission qui m'a permis jusqu'à présent de sauver 875 sites et nous allons en sauver 120 autres cette année, mais en même temps, je vois tout le patrimoine non protégé qui souffre terriblement de ces normes qui vont lui être imposées. Merci, madame la sénatrice, de soulever ce problème.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions pour votre présence à cette audition.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mmes Valérie Charollais, directrice de la Fédération nationale des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime, et Eléonore Chambras Lafuente, en charge des relations parlementaires de la FNCAUE

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous poursuivons avec l'audition de la Fédération nationale du Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (FNCAUE). J'ai la chance d'avoir un CAUE au sein de mon département et en tant qu'élue locale, j'ai beaucoup travaillé avec le CAUE de mon département. Organismes privés investis d'une mission d'intérêt public créés en 1977, les CAUE représentent de véritables services de proximité au niveau du département pour conseiller, former et informer sur la promotion de la qualité de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement. Nous avons le plaisir d'auditionner Mme Valérie Charollais, directrice de la FNCAUE, Mme Éléonore Chambras-Lafuente qui est en charge des relations parlementaires de la Fédération, et Mme Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime.

Les CAUE ont souvent été cités dans le cadre de nos auditions. Pour autant, vos missions ne sont pas toujours bien connues de nos concitoyens. En quoi consistent-elles ? Quel est votre maillage territorial ? Quelle est la composition des CAUE ? Quels sont vos relations avec les différents acteurs intervenant en matière de sauvegarde du patrimoine et, en particulier, les architectes des bâtiments de France (ABF) ? Qui fait le plus souvent appel à vous ? Voilà autant de questions que nous nous posons. Votre témoignage permettra donc non seulement d'enrichir nos travaux sur les ABF, mais également d'apprendre à mieux vous connaître.

Je rappelle que notre mission résulte d'une initiative du groupe Les Indépendants - République et Territoires du Sénat qui a confié le rôle de rapporteur à notre collègue Pierre-Jean Verzelen. Les premières auditions ont déjà souligné la complexité des nombreuses missions des ABF et parfois quelques incompréhensions qui en résultent. Un manque de moyens a presque tout le temps été cité, avec la mise en oeuvre des périmètres délimités des abords (PDA) et des sites patrimoniaux remarquables (SPR) dans un contexte très exigeant de la transition écologique et énergétique. Mesdames les directrices, je vous propose d'ouvrir nos échanges avec un propos liminaire d'une dizaine de minutes. Je donnerai ensuite la parole au rapporteur.

Mme Valérie Charollais, directrice de la FNCAUE. - Merci de nous recevoir et de nous donner l'occasion de présenter les CAUE et leur articulation avec la mission des ABF et de donner notre point de vue sur les ABF, leurs missions et les conditions d'exercice de leur métier dans les territoires. Nous avons proposé à Pascale Francisco, directrice d'un CAUE, de venir avec nous, dans la mesure où elle a été dans une vie antérieure elle-même ABF.

Les CAUE ont la particularité d'avoir des statuts qui, en 1977, anticipaient la décentralisation, puisqu'ils sont à la fois à l'écoute des territoires en répondant à leurs besoins et en même temps des relais des politiques publiques nationales. La gouvernance est particulière et nous avons coutume de dire qu'il s'agit d'une conférence territoriale avant l'heure, car les CAUE comprennent un quart de représentants élus désignés par le conseil départemental, un quart de représentants de l'État issus de l'Éducation nationale, de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) et du ministère de la Culture avec les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP), et un quart de représentants de la société civile (associations, entrepreneurs, etc.). Il existe 92 CAUE constituant une maille départementale extrêmement dense, car moins de 10 territoires n'ont pas de CAUE. Cette ingénierie territoriale représente environ 1 200 collaborateurs. Le dernier CAUE a été créé à Mayotte en 2022. Ce besoin d'ingénierie technique, culturelle et pédagogique est donc toujours existant et cela permet d'ouvrir le dialogue avec de nouveaux élus qui seraient intéressés.

Les CAUE ont pour mission de conseiller, former et sensibiliser dans tous les champs de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement. Ils ne font pas de maîtrise d'oeuvre, mais proposent une aide à la décision, du conseil, l'appui à des diagnostics et à des scénarios, etc. Près de 80 000 conseils sont dispensés chaque année à des particuliers (candidats à la construction, bailleurs sociaux, entrepreneurs, agriculteurs, etc.) ainsi que 12 000 actions d'accompagnement de collectivités (communes, établissements publics de coopération intercommunale - EPCI, département et régions). Les CAUE dispensent par ailleurs des formations à destination des élus ou à destination des professionnels. La mission des CAUE est assez large, ce qui rend parfois difficile la compréhension de « l'objet CAUE », mais ils interviennent sur tous les champs du cadre de vie et du développement territorial. À ce titre, les équipes des CAUE sont issues de différentes formations : architectes (dont architectes du patrimoine), urbanistes, paysagistes, professionnels de l'image (identité visuelle, webmaster) et quelques spécialités locales (sociologues, historiens de l'art). Les équipes pluridisciplinaires des CAUE sont amenées à croiser les ABF et leurs services. Une enquête a été menée il y a quelques années pour interroger la relation entre les CAUE et les ABF et le bilan était extrêmement positif des deux côtés. Les CAUE ont en effet un rôle de conseil aux particuliers et sont donc très sollicités par les particuliers. Ils peuvent croiser l'ABF en cas de refus, auquel cas le particulier concerné sollicite le CAUE. À l'inverse, l'ABF peut parfois renvoyer de lui-même vers le CAUE pour une médiation. Les relations entre les CAUE et les ABF sont très positives.

Votre mission porte sur les ABF. À la base, la mission des ABF pose la question de la culture architecturale des élus et des Français en général. Or, la culture architecturale n'est pas particulièrement développée en France et il est donc nécessaire de transmettre cette culture « citoyenne » de l'architecture. Par nos actions, nous essayons ainsi de toucher les élus, les habitants et les acteurs économiques. Nous développons un certain nombre d'outils et de médias pour essayer d'inculquer cette culture citoyenne, dont l'objectif n'est pas nécessairement de devenir maître d'oeuvre, mais plutôt de reconnaître son cadre de vie et de savoir l'apprécier, le respecter, participer à son évolution, etc. En ce qui concerne la mission des ABF, nous faisons le constat suivant, en qualité de témoins de ce qui se passe dans les territoires et en qualité d'acteurs de ces territoires puisque nous accompagnons les particuliers, les professionnels, les élus et le grand public : la France est une destination touristique majeure et ce ne sont pas tellement les zones commerciales ou les espaces « banalisés » que les touristes viennent visiter ; l'une des dimensions expliquant le succès touristique de la France concerne la qualité de certains sites et de certains ensembles. Il doit donc exister un lien entre la protection qui a été mise en place à travers différentes lois autour du patrimoine et ce succès. Les Français sont par ailleurs attachés au patrimoine - le succès des Journées européennes du patrimoine renforce ce constat. Le réseau des CAUE organise une l'opération « Les enfants du patrimoine » la veille des Journées européennes du patrimoine, permettant de toucher en une journée 40 000 enfants qui font des activités autour de leur patrimoine de proximité. Cela fait cinq ans seulement que cette opération est nationale et les CAUE ont aujourd'hui un partenariat avec la SNCF, les centres des monuments historiques, etc. Il existe donc un sujet autour des jeunes qui sont les ambassadeurs de notre patrimoine par rapport à leurs parents et qui seront les acteurs de demain. Nous développons par ailleurs des parcours avec l'application numérique Archistoire, avec l'idée qu'il est possible de découvrir son patrimoine de proximité à la fois physiquement, mais également virtuellement, en travaillant avec des applications numériques, etc. Nous sommes convaincus de l'intérêt de continuer à protéger le patrimoine bâti. Le patrimoine constitue également un levier économique et social et nous connaissons le succès des politiques nationales comme « Action coeur de ville » ou « Petite ville de demain » qui s'appuient beaucoup sur la qualité des centres-bourgs et des espaces assimilés.

Certains projets ne seront jamais vus par un architecte, sauf par un ABF, car il n'existe aucune obligation de recours à un architecte. 7 % seulement des avis des ABF sont par ailleurs défavorables, ce qui ne signifie pas que le projet n'aura pas lieu, mais plutôt qu'il devra être retravaillé. Nous entendons qu'il puisse exister des difficultés et des incompréhensions par rapport à des avis parfois contradictoires, mais les avis défavorables des ABF restent peu nombreux. En outre, le patrimoine constitue un atout pour la France et un élément d'attractivité et nous pensons que ce succès n'intervient pas par hasard, mais qu'il est lié aux politiques patrimoniales, aux outils et aux moyens mis en place. Cela ne signifie pas que nos paysages sont immuables et il ne faut pas mettre sous cloche les paysages urbains et les paysages ruraux. Aujourd'hui, il se construit le paysage de l'après-pétrole, ce qui signifie que tout doit être imprégné d'enjeux nouveaux, comme l'accueil d'éoliennes et du photovoltaïque, l'adaptation à certains types de mobilité, etc. Nous y travaillons, parfois en lien avec les ABF ou les UDAP sur certains projets. En Meurthe-et-Moselle, le projet « Mon village 54 » a pour objectif de visualiser et de rendre visible ce que donneraient des paysages de l'après-pétrole avec des mesures respectueuses des enjeux d'aujourd'hui, soit en milieu urbain, soit en milieu rural. Dans l'Ain, des formations sont dispensées, dont une sur les énergies renouvelables dans le cadre d'une démarche paysagère architecturale et règlementaire. Dans les Hautes-Pyrénées, un guide d'interprétation des installations solaires sur le bâti a été rédigé. Ces documents sont réalisés soit en interne, soit en collaboration avec les UDAP ou d'autres services départementaux, qui visent à renforcer une culture architecturale. En Ariège, un document a été élaboré sur la rénovation du bâti ancien, tandis que dans le Lot, un document intitulé « production de l'énergie solaire et préservation du patrimoine sur les Causses du Quercy » a été élaboré.

En résumé, il existe pour nous une vertu évidente à protéger ce patrimoine que nous avons dans nos grandes villes, nos petites villes et parfois même dans nos villages. Nous recherchons des solutions pour améliorer les conditions d'exercice du métier de l'ABF et les pratiques professionnelles. Certes, les ABF peuvent différer selon les territoires et ne pas avoir tout à fait l'appréciation, mais il existe des raisons.

Mme Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime. - L'architecture est complexe, les études sont longues et malheureusement très peu partagées. Nous essayons de défendre les particularités des territoires et la qualité du cadre de vie, sachant que chaque territoire représente un terroir avec des matériaux pris sur place. Il s'agit de l'inverse de ce qui peut se voir dans le pavillonnaire avec la même maison du nord au sud.

Pour revenir sur mon parcours, je suis architecte DPLG diplômée par le gouvernement. J'ai fait l'École d'architecture de Clermont-Ferrand et j'ai travaillé une dizaine d'années comme salariée ainsi qu'à mon compte au sein d'une société d'architecture. Je ne me retrouvais pas dans ces missions dans lesquelles nous ne répondons qu'à un seul client. À cette occasion, j'ai travaillé pour une commune et élaboré un projet au pied de l'église classée, mais l'ABF a rendu un avis défavorable sur ce projet. J'ai donc pris rendez-vous avec lui et nous avons pu échanger sur le projet que j'avais dessiné. Après ce rendez-vous, j'étais très contente, car non seulement mon projet était amélioré, ce qui m'a permis de le redéposer et d'obtenir un avis favorable, mais en outre, il était ressorti meilleur que ce que j'avais pu faire toute seule. Cet échange est resté dans ma mémoire. Après mon diplôme, j'ai dû quitter l'Auvergne et je ne me suis pas retrouvé dans une agence parisienne, où le travail est très séquencé. J'ai été architecte contractuelle en Seine-et-Marne pendant trois ans, puis j'ai passé le concours des ABF que j'ai obtenu et je suis partie dans le Cantal. J'y ai eu la chance de très bien travailler avec le CAUE du Cantal, en particulier sur l'opération « Coeur de village », dans le cadre de laquelle le CAUE faisait un diagnostic partagé avec les élus, la DDT, l'ABF et le conseil départemental. Sur la base de ce diagnostic partagé, la commune lançait une consultation de maîtrise d'oeuvre pluridisciplinaire prenant en compte ce diagnostic partagé y compris avec la population lors de présentations publiques. Nous avons réalisé de très belles opérations dans le Cantal, dont je pense que le département peut être assez fier.

Quand je suis arrivée en tant qu'ABF dans la Loire, il n'y existait pas de CAUE et j'ai pu mesurer ce manque en termes d'échanges et d'acculturation. Tous les acteurs du cadre de vie (le directeur de l'École d'architecture, les architectes libéraux et les architectes-conseils du département) se sont mobilisés pour essayer de monter un CAUE, mais nous n'y sommes pas parvenus. J'ai ensuite été ABF dans les Ardennes, où il n'existait pas non plus de CAUE. Mon expérience du Cantal m'avait vraiment convaincue de la nécessité des CAUE et de leur travail de fond. Je me suis donc mobilisée auprès du préfet et de certains parlementaires pour essaye de créer un CAUE. J'ai moi-même postulé à un poste de directrice de CAUE, car j'adore ce travail de terrain et que je suis convaincue que ce rôle de sensibilisation et de conseil est primordial, en particulier sur le cadre de vie et les enfants qui sont de véritables ambassadeurs. Si les enfants apprennent à voir ce qui les entoure, leur village, leur paysage, ils seront nécessairement attachés à leur territoire. Or, comme cela n'est pas enseigné, il faut que nous puissions semer de graines. Il s'agit d'une forte orientation que j'ai portée auprès de ma présidente, Mme Rabelle, qui m'a suivi sur cet axe pour le CAUE de Charente-Maritime.

Mme Valérie Charollais. - L'ABF n'est pas tout seul et le constat est fait d'un manque de moyens humains pour rendre les avis dans de bonnes conditions. Cela suppose en effet d'avoir le temps d'aller sur le territoire, de rencontrer les élus et les pétitionnaires et de faire la pédagogie qui va avec. Le CAUE ne peut se substituer à l'ABF en matière de pédagogie et il faut que l'ABF puisse motiver ses avis. Ce manque de moyens nous semble malheureusement avéré.

Mme Pascale Francisco. - La situation est en effet assez catastrophique. Dans tous les UDAP dans lesquels j'ai pu travailler, il existe un manque criant de personnel. Quand je suis arrivée dans le Cantal, j'étais la première ABF seule, sans adjoint. Il manque également des techniciens, des secrétaires, etc. Lorsque je suis arrivée dans les Ardennes, nous avons eu quatre techniciens des bâtiments de France en quatre ans. Après le départ d'un technicien qui avait une grande ancienneté, comme personne ne voulait venir sur le territoire, un sortant de concours d'ingénieur a pris le poste, mais il est parti un an plus tard au moment de sa titularisation. S'en est suivie une vacance durant laquelle nous avons récupéré le territoire comme nous l'avons pu entre les autres techniciens, mon adjointe et moi. Nous avons ensuite récupéré une personne qui venait d'avoir le concours de technicien des bâtiments de France qui était un ancien éducateur spécialisé. Cette personne n'est même pas restée un an. Une période d'intérim a suivi, puis un jeune contractuel venant d'Arles et qui sortait de l'École a été embauché, qu'il a également fallu former et qui n'est resté qu'un an. Une autre personne est arrivée après mon départ. Dans la Loire, j'ai travaillé quasiment sans secrétaire. Nos missions ne cessaient d'augmenter avec des moyens à la baisse. En termes de rémunération également, un secrétaire dans la Loire avait passé le concours de technicien des bâtiments de France, mais il gagnait moins que lorsqu'il était secrétaire. Il manque en outre des concours pour faire progresser les personnes. L'UDAP constitue une équipe et les ABF n'ont pas pour seule mission de rendre des avis.

Mme Valérie Charollais. - Nos propositions seraient les suivantes : instaurer une obligation de rencontre entre l'ABF et le pétitionnaire pour ne pas rendre d'avis sans échange ; retrouver le temps de la pédagogie auprès des pétitionnaires ; renforcer les services ; travailler sur l'attractivité de la fonction d'ABF et des fonctions en général à l'intérieur même des services ; soutenir financièrement certains travaux ; proposer des formations continues obligatoires sur les techniques de construction, les normes, la règlementation, la médiation ; requestionner la formation même de l'architecte - j'appartiens à l'Observatoire économique de la filière architecture au sein du ministère de la Culture et tout le monde réclame une meilleure intégration dans la formation des architectes du travail sur le déjà existant, qui est davantage pris en compte dans d'autres pays.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci. En France, 80 % des territoires sont ruraux et les communes de moins de 500 habitants représentent 50 % des communes tandis que celles de moins de 2 000 habitants représentent plus de 70 % des communes. La France est bien rurale et est composée de nombreuses petites communes qui n'ont pas les moyens. Les CAUE leur apportent une aide et un accompagnement qu'elles ne peuvent pas se payer autrement.

Vous avez parlé d'un bilan que vous avez fait des relations avec les ABF. Pourriez-vous nous l'envoyer si cela est possible ?

Mme Valérie Charollais. - Il était piloté par le ministère de la Culture et il faudrait donc le leur redemander.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Vous avez par ailleurs parlé de 12 000 accompagnements de collectivités territoriales. Ces accompagnements se font-ils plutôt sur des zones rurales ou urbaines ?

Mme Valérie Charollais. - L'accompagnement peut aussi bien porter sur des politiques de l'habitat que sur des politiques de mobilité ou sur des diagnostics, en zone urbaine comme en zone rurale.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Merci pour votre présentation. Je suis élu dans le département de l'Aisne qui dispose d'un CAUE. Je suis élu depuis 2015, j'ai été maire et président d'intercommunalité, mais je n'ai jamais été en contact, même physique, avec le CAUE. Pourtant, tous ceux qui ont fait une démarche d'aller vers le CAUE en ont été ravis. Au fur et à mesure des auditions, il apparaît que les méthodes de travail et le champ des actions ne sont pas tout à fait les mêmes. Existe-t-il au niveau national une volonté d'uniformiser les méthodes et les champs d'action des CAUE dans les territoires qui en sont dotés ?

Je pense que le CAUE a été cité à toutes les auditions, ce qui signifie que le rôle des CAUE est important. Comment voyez-vous cette complémentarité entre l'ABF et le CAUE ? Avez-vous des exemples dans lesquels ce duo, ou même cette relation à trois avec les communes, les intercommunalités ou les services de la DDT, fonctionne bien ou est plus avancé qu'ailleurs ? Dans un monde idéal, quel serait le fonctionnement le plus abouti de cette relation, quel serait le rôle du CAUE ? L'idée d'un cahier des charges revient souvent à cet égard. Cela existe-t-il dans certains territoires et cela vous semble-t-il possible de le développer sur les territoires ?

En ce qui concerne les PDA, il semble qu'ils fonctionnent bien là où ils existent. Si vous avez l'occasion dans votre carrière de participer au processus de mise en place d'un PDA, voyez-vous des étapes qui permettraient d'alléger la démarche ou de raccourcir les délais ?

Mme Valérie Charollais. - En ce qui concerne l'uniformisation, la FNCAUE a pour rôle, entre autres, de produire des outils mutualisés entre CAUE. Nous pouvons travailler sur certains sujets à plusieurs et nous avons par exemple un groupe de travail sur la rénovation du bâti ancien. Une tête de réseau a normalement vocation à capitaliser les expériences et mutualiser des pratiques éventuellement. Nous avons ainsi certains guides qui peuvent être reproduits dans plusieurs territoires. Les CAUE présentent cependant la particularité d'être à l'écoute des territoires - il apparaît à cet égard qu'au vu de la diversité des demandes, il est plus difficile de les regrouper sous un même chapeau - et de faire du « sur-mesure ». Nous n'avons par exemple pas produit de guide d'aménagement qui serait le même partout, car la question de l'aménagement ne s'appréhende pas de la même façon sur tous les territoires. Il semble dès lors compliqué d'uniformiser vraiment l'action des CAUE et de nombreuses publications sont géolocalisées. Il relève cependant du rôle de la Fédération d'essayer de faire ces travaux d'harmonisation. Nous avons notamment un partenariat avec le ministère de la Transition écologique et l'association des maires de France qui nous permet de décliner une formation nationale sur le paysage pour les élus, identique à 80 % pour l'ensemble des territoires, mais adaptée aux spécificités locales pour 20 %.

Mme Pascale Francisco. - En ce qui concerne le couple UDAP-CAUE, nous avons dans le Cantal travaillé à plusieurs avec le CAUE sur les opérations « Coeur de village », mais également avec le parc naturel régional (PNR) des volcans d'Auvergne à son initiative. Nous avons notamment créé un atelier rural d'urbanisme auquel étaient présents les DDT du Cantal et du Puy-de-Dôme (le parc est à cheval entre les deux départements), les ABF des deux départements et les communes du parc. Nous avons ainsi fait un travail de sensibilisation sur la manière d'étendre son village en respectant son identité. Dans les territoires dans lesquels il n'existait pas de CAUE, cela a été très difficile pour moi. Les relations avec les UDAP fonctionnent très bien et nous travaillons dans le même sens.

Mme Valérie Charollais. - Le CAUE a une mission de sensibilisation des élus, sachant que les élus sont des décideurs et qu'ils doivent donc savoir de quoi ils parlent et comment faire. Nous essayons de développer ce « savoir de quoi il est question », de sensibiliser les élus à l'architecture. Il s'agit également d'aider les élus à prendre les bonnes décisions. Plus le CAUE a les moyens de faire cela, plus les demandes de permis d'urbanisme formulées par les élus ou les particuliers ont de chances d'être bien conçues. Il est important que l'ABF puisse assurer un point de contact avec le pétitionnaire pour parfaire l'exigence en site concerné par son périmètre, mais il faut globalement d'abord avoir une culture de l'architecture et ne pas avoir peur d'en parler, sans pour autant entrer dans un langage technique nécessairement. Le rôle des CAUE se situe en amont, pour sensibiliser le grand public et les élus, faire du récit autour de l'architecture et dédramatiser le sujet.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quand je parlais de partage de méthodes de travail, il s'agissait surtout de faire de la pédagogie sur l'utilité et le rôle des CAUE.

Mme Valérie Charollais. - Vous avez raison. Notre président fait la tournée de toutes les collectivités, communes et EPCI, mais il faut du temps. Or, un CAUE compte neuf ETP en moyenne.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Je reviens sur le sujet du cahier des charges par commune ou par intercommunalité, afin de travailler à l'échelle d'un territoire entre l'ABF, les élus locaux et le CAUE. Existe-t-il des exemples dans lesquels vous avez réussi à établir ce genre de guide pratique ?

Mme Pascale Francisco. - Le plan local d'urbanisme (PLU) donne déjà des règles. À la suite des lois de décentralisation pour supprimer les périmètres des monuments historiques, des zones de protection du patrimoine architectural et urbain (ZPPAU) ont été créées, puis des ZPPAUP (P pour paysage) dix ans plus tard. Cela répondait au souhait par les élus contre l'avis dit arbitraire des ABF. Il s'agit d'un cofinancement de la commune et du ministère de la Culture qui missionnent une équipe avec un architecte du patrimoine et souvent aussi un paysagiste et un urbaniste, laquelle équipe prend en compte le territoire entier de la commune. Les ZPPAUP sont ensuite devenues des aires de valorisation de l'architecture et du patrimoine (AVAP), au nombre de 800, puis des SPR englobant la centaine de secteurs sauvegardés en France. Les CAUE élaborent sur quasiment tous les territoires des chartes de recommandations qui sont suivies on non, mais cela reste du conseil.

Mme Sabine Drexler. - Pour ma part, je suis élue d'Alsace et nous avons deux CAUE, l'un dans le Haut-Rhin et l'autre dans le Bas-Rhin. Je suis également conseillère d'Alsace en charge du patrimoine et au niveau de la collectivité européenne d'Alsace nous travaillons de manière très étroite avec nos CAUE qui prodiguent la partie ingénierie : les membres des CAUE vont voir les propriétaires qui demandent des subventions au conseil d'Alsace, leur donnent des conseils et valident les travaux avant la notification des subventions. J'ai entendu qu'il existait de nombreux supports, chartes et guides qui sont mis à la disposition des propriétaires pour les aider à concilier patrimoine et rénovation énergétique en tenant compte des ressources locales. Cependant, ces propriétaires sont actuellement soumis à un DPE standardisé et à des préconisations dont nous entendons qu'elles sont tout aussi standardisées. N'existe-t-il pas une sorte d'antagonisme entre ce qu'il faudrait pouvoir faire en termes de rénovation respectueuse du bâti et ce qui est actuellement préconisé et même subventionné ?

Mme Valérie Charollais. - L'énergie constitue aujourd'hui un secteur essentiellement pris par les énergéticiens. Si nous arrivons aujourd'hui à cette difficulté d'un DPE qu'il faudrait améliorer et de rénovations énergétiques qui ne sont pas toujours des réussites, c'est probablement parce que le monde de l'architecture et le monde de l'énergie ont du mal à se parler, même au plus haut niveau. Nous siégeons au comité piloté par l'ADEME, le ministère de la Transition écologique, etc., et il est très compliqué de faire entendre la voix de l'architecture et de poser la question de la qualité architecturale et celle des usages. Dans tous les comités de pilotage auxquels nous participons, nous insistons sur la nécessité de mettre autour de la table le monde de l'architecture et le monde de l'énergie.

Mme Éléonore Chambras-Lafuente, en charge des relations parlementaires de la FNCAUE. - Les comités s'inscrivent plutôt dans des logiques quantitatives et de chiffres, avec l'ambition d'atteindre des objectifs, sans trop s'interroger sur la durabilité ou sur le risque, en utilisant des techniques peu adéquates vis-à-vis du bâti ancien, de générer des problèmes qui n'existaient pas.

Mme Valérie Charollais. - Il faut certes faire des choses au nom de l'écologie et de la santé, mais il faut parvenir à mettre tous les acteurs concernés autour de la table, ce que les CAUE tentent de faire. S'il est important d'avoir des objectifs quantifiés, il ne faut pas que cela se fasse au détriment, dans la durée, de la vie des bâtiments que nous allons restaurer ou réaménager. Or, il s'agit aujourd'hui du chemin que nous prenons.

Les lois et les normes produites en France sont très nombreuses et il faut s'interroger sur la manière dont les artisans vont pouvoir se former à ces normes. Il n'est pas certain que les primes soient vraiment bien placées aujourd'hui.

Mme Pascale Francisco. - Dans les Ardennes, des personnes se sont fait démarcher et leur maison a été bardée de polystyrène pour un euro, mais elles ont été verbalisées ensuite, car il s'agissait de bâti ancien et que le polystyrène n'était pas compatible. Ces personnes n'avaient aucun élément pour se retourner contre ceux qui leur avaient installé le polystyrène. Ces pratiques sont malheureusement très courantes et placent certaines personnes dans une situation délicate.

Mme Sabine Drexler. - Cela a également été fait dans ma commune où nous avons un PDA. Malgré l'avis négatif de l'ABF, certaines personnes ont quand même réalisé des travaux et cela a encouragé d'autres personnes à acheter des panneaux de polystyrène, alors que nous sommes dans un secteur protégé. Nous sommes parvenus à faire démonter les plaques de polystyrènes grâce au PDA, mais seuls 8 % du territoire sont protégés en France, ce qui signifie que sur le reste du territoire, il est possible de faire n'importe quoi. Si nous laissons faire, cela sera catastrophique.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous avons compris que dix territoires n'ont pas de CAUE. Vous avez expliqué que vous aviez essayé de monter un CAUE sur certains territoires, mais que cela n'avait pas fonctionné. De quoi cela dépend-il ?

Mme Valérie Charollais. - Il existe 92 CAUE sur 99 départements.

Mme Pascale Francisco. - La création d'un CAUE dépend de la décision du conseil départemental. Il nous a été opposé l'argument selon lequel créer un CAUE sans avoir de taxe d'aménagement n'avait pas beaucoup de sens en termes de financement. Les départements qui n'ont pas de CAUE aujourd'hui ont pour autant créé une taxe d'aménagement et la flèchent vers la politique des espaces naturels sensibles et/ou vers le CAUE. Il n'est pas facile de promouvoir un CAUE ni d'en créer un, mais il faut aussi respecter le local.

Mme Pascale Francisco. - Quand un territoire n'a jamais eu de CAUE, il est parfois difficile d'en expliquer l'utilité.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci. Si vous avez d'autres documents, vous pouvez nous les transmettre et vous pouvez également porter à notre connaissance d'autres faits si vous le souhaitez.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat

Mercredi 19 juin 2024
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Audition de M. Jean-Philippe Lefèvre (en visioconférence), président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC)

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous sommes réunis probablement pour la dernière audition menée par notre mission d'information relative aux architectes des bâtiments de France (ABF), laquelle a été actée par le Sénat à la demande du groupe Les Indépendants - République et Territoires, qui a désigné Pierre-Jean Verzelen comme rapporteur.

Le déroulé de notre mission d'information se trouve perturbé par l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale, qui oblige une grande partie d'entre nous à être plus présents dans nos territoires. Il nous a cependant paru, avec le rapporteur, très important de réserver une suite favorable à la demande d'audition de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), représentée ce jour par son président, Jean-Philippe Lefèvre, présent avec nous en visioconférence, et qui est également vice-président chargé de l'action culturelle de la communauté d'agglomération du Grand Dole, très engagé dans la préservation du patrimoine dans les territoires.

La FNCC, qui regroupe plus de 450 collectivités de toute nature - communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), départements, régions -, défend la profession d'ABF, garante de la préservation du patrimoine. Elle souhaite - nous sommes là au coeur du sujet - une amélioration du dialogue avec les élus locaux afin d'éviter les conflits récurrents qui peuvent les opposer et de progresser, notamment, sur la question de la rénovation thermique.

M. Jean-Philippe Lefèvre, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture. - La FNCC, à la différence de beaucoup d'autres associations patrimoniales, est le syndicat professionnel des élus à la culture qui sont en fonctions. Pendant longtemps, on a cru que la fédération s'était spécialisée dans le spectacle vivant. Or, en tant qu'adjoints à la culture, nous avons un regard global. Il est vrai que l'on ne nous attendait pas sur ce sujet, dont nous nous sommes emparés voilà presque trois ans.

En effet, en 2020, à l'issue d'un renouvellement important des élus à la culture, nombre de nos nouveaux collègues se sont particulièrement intéressés à la transition environnementale, écologique, énergétique, en particulier eu égard à tous les équipements culturels situés dans les hypercentres-villes, auxquels s'appliquent les règles du code du patrimoine et du code de l'urbanisme. Anne Mistler, adjointe aux arts et cultures de la ville de Strasbourg, a pris position sur ce sujet car sa ville révisait le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ; j'en ai fait de même, à Dole, à l'occasion de la rénovation d'un théâtre à l'italienne. Les ABF ne peuvent pas être déconnectés des conservateurs des monuments historiques, qui interviennent dans les secteurs sauvegardés, pour les monuments classés et inscrits. La question est celle de la globalité d'un territoire, avec deux niveaux d'intervention.

Notre réflexion est celle d'élus de terrain, et non de professionnels. Il n'y a pas d'égalité sur le territoire, c'est un fait. Lorsqu'un ABF arrive dans un département, les élus se téléphonent ; cela donne lieu à des interprétations et à des interrogations sur sa capacité de discernement, d'adaptation aux territoires et à diverses situations.

Si je devais résumer la position de la FNCC, je dirais que nous sommes des décentralisateurs, adeptes du binôme décentralisation-déconcentration. Le concours d'architecte et urbaniste de l'État n'attire plus. Cette année, le nombre de postes au concours était plus élevé que celui des candidats. Comme je l'ai dit au président de Sites & Cités remarquables de France, Martin Malvy, lors du congrès national de ce réseau qui s'est déroulé à Angers les 13 et 14 juin derniers, lorsque certaines associations demandent qu'il y ait davantage d'ABF dans leur département, il convient d'examiner le vivier de ces professionnels ; or celui-ci est en train de s'assécher. Peut-être faudrait-il inverser la proposition, en conférant au maire et à ses services la décision initiale pour ce qui concerne les sites remarquables, et ne faire appel aux ABF qu'en second lieu, en cas de besoin. Ce serait de meilleure politique. Après tout, il n'y a plus de maires bétonneurs, comme dans les années 1960.

Nous souhaitons qu'il y ait sur le territoire non pas des centres vides, mais des centres-villes. Or de petits propriétaires bailleurs sont confrontés à des préconisations si coûteuses, alors même qu'ils louent leur bien à prix bas, qu'ils ne font pas de travaux. On le mesure dans toutes les villes moyennes et les petites communes, où les centres-villes anciens connaissent une très forte paupérisation et où la valeur du bâti s'effondre.

Il convient donc d'adapter ces préconisations. Le Sénat et des associations comme la nôtre ont commencé à faire bouger les choses, pour ce qui concerne notamment les panneaux photovoltaïques, les matériaux utilisés, les questions d'esthétique. Nous avons longtemps cru que nous étions dans une période de transition ; aujourd'hui, il y a urgence à agir !

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Vous avez évoqué une possible intervention de l'ABF à la suite d'une décision du maire qu'il jugerait mauvaise. Quel schéma faudrait-il adopter, selon vous ?

Les villes regroupées au sein de la FNCC ont-elles mis en place des périmètres délimités des abords (PDA) ? Si tel est le cas, quels en sont les avantages et les inconvénients ?

Quel rôle les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) peuvent-ils jouer ?

M. Jean-Philippe Lefèvre. - De nombreux élus ne savent pas à quoi servent les CAUE, voire n'en connaissent même pas l'existence. Souvent, ceux-ci sont mieux connus des élus ruraux que de ceux des villes moyennes et grandes. Ces conseils ont besoin d'un plan de communication, car aujourd'hui les élus ne s'adressent pas à eux spontanément.

Il est une structure que nous devons muscler sur tous nos territoires : la sous-préfecture, qui est sous-utilisée. C'est au sous-préfet que les maires ruraux téléphonent en premier lieu, car le corps préfectoral a encore une capacité de discernement. Cela étant, dans la mesure où nous n'avons pas pris position au sein du conseil d'administration de la FNCC, il ne s'agit que de mon sentiment.

Pour ce qui concerne le schéma d'intervention de l'ABF, il faut laisser au maire le soin de donner son accord à une demande d'autorisation d'urbanisme, et donner à l'ABF la possibilité de contester cette décision : c'est le schéma traditionnel de la décentralisation.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Pouvez-vous nous donner des exemples de mise en place des périmètres délimités des abords ?

M. Jean-Philippe Lefèvre. - Non, je n'ai pas d'exemples à citer, mais nous pouvons envoyer un courrier à tous nos adhérents et vous faire un retour très rapide.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je voulais rebondir sur la mise en place du schéma d'intervention que vous proposez. Pour donner un avis, qui ne sera pas toujours concordant avec le souhait du pétitionnaire, l'ABF intervenant a posteriori devra tout de même passer du temps sur le dossier. Où est le gain de temps ?

Par ailleurs, les ABF sont des professionnels indépendants qui veillent au respect des règles applicables aux secteurs protégés. Quant aux services d'urbanisme, communaux ou intercommunaux, ils sont souvent pris en charge en zone rurale par les EPCI. Il y a donc, d'une part, le cadre rigide de la préservation du patrimoine - il faut ainsi réfléchir à une transition énergétique qui respecte le bâti ancien - et, d'autre part, la politique que les élus souhaitent mener. Or les architectes des bâtiments de France sont peu nombreux : 189 ABF doivent traiter 500 000 dossiers par an, soit 13 dossiers par jour. Encore une fois, en quoi leur intervention a posteriori peut-elle alléger leur tâche ?

M. Jean-Philippe Lefèvre. - Je fais confiance aux maires : ils ne font pas des choix esthétiques délirants ! Par ailleurs, nous ne disposons pas des moyens de la police de l'urbanisme... Au vu de la quantité de travaux réalisés sans dépôt de demande préalable, on peut se demander si nous sommes dans une situation équilibrée - pour autant, elle ne fonctionne pas - ou si nous devons considérer la réalité telle qu'elle est : les gens font des travaux, souvent mal. Je vous renvoie à votre responsabilité de législateurs...

Les ABF devraient pouvoir faire davantage de pas de côté. Nous révisons actuellement le PSMV de Dole ; le nombre de fois où l'on m'explique que telle ou telle décision ne passera jamais au sein de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA) est incroyable ! Par exemple, même des huisseries qui ne sont pas visibles par le public doivent être en bois... C'est un combat acharné. La situation est la suivante : soit les propriétaires font des travaux sans les déclarer, soit ils n'en font pas, ce qui entraîne une paupérisation des centres-villes.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Quel devrait être, en définitive, le rôle de l'ABF ? Comment serait-il saisi et comment pourrait-il intervenir ?

M. Jean-Philippe Lefèvre. - De la même façon que le Parquet fait appel après s'être saisi d'un dossier, qu'il connaît.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - Pour un projet situé dans une zone classée, comment les choses se dérouleront-elles ? On déposera un permis de construire à la mairie, et puis... ?

M. Jean-Philippe Lefèvre. - La mairie instruira le dossier - cela se passe déjà ainsi -, puis le maire donnera son accord, évidemment sans s'opposer à l'avis de ses services ; en effet, les maires ne sont pas fous et ont une vision de leur commune. L'ABF interviendra ensuite, s'il estime que la décision du maire est maladroite.

M. Pierre-Jean Verzelen, rapporteur. - L'ABF examine donc tous les dossiers.

M. Jean-Philippe Lefèvre. - Tout à fait.

Le président Malvy a fait une proposition intéressante lors du congrès d'Angers, la semaine dernière : un chargé de mission partagé. Puisque nous commençons à manquer d'ABF, qui donnent souvent mandat à des architectes libéraux disposant d'un agrément, une tierce personne pourrait être missionnée par les deux parties - l'État et la collectivité - pour instruire des dossiers, être décisionnaire, ou tout au moins rédiger des décisions qu'elle transmettrait à l'autorité signataire.

Mme Sabine Drexler. - À mon sens, tout ce qui peut être fait en amont pour épargner les ABF doit l'être.

La proposition de M. Malvy d'avoir une tierce personne, un intermédiaire, pour accompagner les maires dans l'instruction des dossiers est intéressante. Il est parfois difficile pour un maire de décider seul ; dans les petites communes, compte tenu de la grande proximité avec les habitants, il n'est pas toujours simple de dire non.

À votre avis, les maires disposent-ils d'un cadre suffisant auquel se référer lorsqu'ils sont sollicités ?

M. Jean-Philippe Lefèvre. - Non. Les documents d'urbanisme sont extrêmement lourds. J'ai moi-même passé au moins deux mois et demi à décortiquer le PSMV de Dole, que j'étais pourtant censé bien connaître, puisque je l'avais signé en 1992. Et, dans une ville moyenne, j'ai la chance d'avoir des services extrêmement nombreux.

Je pense, comme vous, que les maires ruraux sont probablement en grande difficulté. Cela a été souligné, le rôle des EPCI en la matière est fondamental. Il faut, me semble-t-il, renforcer leurs services. C'est peut-être également là qu'interviendraient les CAUE, en relation avec les EPCI du monde rural.

M. Vincent Éblé. - Ma collègue Sabine Drexler a souligné à juste titre la difficulté politique pour certains maires de refuser des dossiers du fait de la proximité humaine avec les demandeurs au sein de la commune. De ce point de vue, l'intervention d'un regard extérieur nous semble évidemment précieuse.

Mais un autre argument me paraît plaider dans un sens distinct du vôtre. L'ABF a une capacité d'expertise technique. Il a suivi des études spécialisées, notamment à l'École de Chaillot, dans le domaine spécifique du patrimoine. Les responsables du syndicat de l'architecture, que nous avons auditionnés voilà quelques semaines, nous ont spontanément indiqué que les architectes n'avaient pas la même expertise que leurs collègues ABF et qu'ils en respectaient totalement les prescriptions.

Vous avez évoqué la capacité du maire à apprécier la qualité esthétique d'un projet. Mais la question ne se pose pas uniquement en termes d'esthétique ; il y a aussi des éléments scientifiques et de connaissance du patrimoine, qui diffèrent forcément selon les territoires et les matériaux utilisés, à prendre en compte. Chacun le comprendra, il ne peut pas y avoir de prescriptions qui seraient générales et nationales. Il y a besoin de cette expertise, et pas seulement, comme vous le suggérez, dans le cadre d'un appel pour bloquer une intention ; nous le savons bien, plus l'intention perdure dans le temps, plus le contentieux est difficile à résoudre.

M. Jean-Philippe Lefèvre. - Je ne suis pas étonné de votre position, d'autant que les propositions de loi et les votes du Sénat tendent de manière récurrente à conforter le rôle des ABF. D'ailleurs, je peux le comprendre.

En l'occurrence, je vous rejoins sur l'expertise technique et la grande compétence des ABF. Au demeurant, ces derniers ne nous posent pas de problème en soi.

Simplement, je pense que nous sommes entrés dans une nouvelle phase. Nous ne sommes pas en transition écologique ; nous sommes en transformation écologique. Nous ne sommes pas en interrogation énergétique ; nous sommes en crise énergétique.

Ce qu'un élu local voit, c'est que des personnes n'arrivent pas à se loger et que d'autres ne peuvent plus payer le chauffage parce qu'elles sont dans des passoires énergétiques où les coûts d'adaptation et d'isolation, compte tenu d'un certain nombre de préconisations, sont trop élevés pour le propriétaire bailleur. Or nous avons parfois le sentiment que cette urgence n'est pas prise en compte, ou pas suffisamment.

Je trouve intéressantes certaines des évolutions qui sont apparues depuis un an ou deux, invitant notamment les ABF à des réflexions un peu différentes.

Notre interrogation a commencé avec la crise énergétique. Ce n'est peut-être pas forcément là que l'on attendait les élus à la culture, mais, avant d'être des élus à la culture, nous sommes d'abord des élus.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Sans l'expertise que Vincent Éblé a évoquée, il risque d'y avoir beaucoup plus de contentieux contre les projets qui auront été validés. Vous le savez, aujourd'hui, on demande aux élus d'avoir une compétence dans un nombre incalculable de domaines. Faire disparaître cette expertise, c'est aussi les exposer, par exemple si une association de protection du patrimoine estime que telle ou telle décision ne correspond pas à ce qui est autorisé.

M. Jean-Philippe Lefèvre. - Voilà qui nous renvoie à ce fameux débat : « Est-ce l'ABF qui protège le maire ? » Pour ma part, je pense qu'être élu, c'est prendre les décisions.

Les directions régionales des affaires culturelles (Drac) avec lesquelles j'ai discuté m'ont indiqué que, sur les PSMV, il y avait très peu de contentieux. Cela tient souvent, il est vrai, au crédit qui est accordé à la parole de l'ABF.

À titre d'exemple, dans ma commune, une ville plutôt du XVIe siècle, il fallait, selon une certaine légende urbaine, retirer les volets en bois. Or nous savons bien aujourd'hui que ces volets sont la meilleure garantie thermique dans un appartement. J'ai donc consulté très en détail le règlement du secteur sauvegardé : il n'est écrit nulle part qu'il faut enlever les volets en bois ; il est seulement indiqué que c'est « souhaitable ». Vous le voyez, quand une parole tombe, il y a peu de contentieux...

Même si les gens sont - je vous rejoins sur ce point - capables de tous les contentieux, ils ont encore un peu de mal à attaquer la collectivité publique. Ils savent bien que le passage par le tribunal administratif risque de retarder leur entrée dans leur appartement ou leur maison.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Nous vous remercions de vos réponses. Si vous souhaitez porter d'autres éléments à notre connaissance, vous avez la possibilité de nous les transmettre par écrit.

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