II. L'ABF, CENSEUR OU PARTENAIRE ?

A. LES CONDITIONS D'EXERCICE PAR LES ABF DE LEURS MISSIONS DE CONTRÔLE DONNENT LIEU À DES CRISPATIONS RÉCURRENTES

1. Des pouvoirs propres suscitant une appréciation contrastée
a) Un débat ancien

Dotée d'un pouvoir propre, indépendante car non soumise à l'autorité hiérarchique du directeur régional des affaires culturelles, intervenant dans un domaine à forts enjeux économiques et politiques, la figure de l'ABF suscite par nature des appréciations variées. Défenseur du patrimoine et du cadre de vie pour les uns, censeur pour d'autres : les auditions tenues devant la mission d'information ainsi que les déplacements sur le terrain ont permis de mesurer la permanence de ces débats.

Ils ne sont du reste pas nouveaux. Dans son rapport précité de 1982, l'ancien sénateur Paul Séramy retraçait déjà les trois principaux reproches adressés à l'ABF : d'une part, il userait « d'arbitraire », notamment en fonction de l'identité du demandeur ; les projets acceptés seraient par ailleurs « loin de faire l'unanimité » ; enfin, l'ABF « ralentirait » l'instruction des permis de construire. Le rapport concluait cependant qu'« on a cherché de mauvaises querelles aux ABF, en ne voyant que leurs erreurs ou l'effet désastreux de leur abstention. En revanche, personne ne voit, parce que par définition on ne peut les voir, les innombrables gâchis qu'ils ont évités ».

Rappelant l'ancienneté de ce débat, le sénateur Vincent Éblé, membre de la mission d'information, indiquait lors de l'audition de Patrick Brie, adjoint au sous-directeur de la qualité du cadre de vie du ministère de la transition écologique le 10 avril 2024, que « les dispositifs de servitude ont tendance à générer des situations de conflit entre les administrations chargées de faire appliquer les normes et les propriétaires qui pensent parfois avoir toute latitude pour gérer leur bien comme ils l'entendent. Dans ce contexte, le débat sur les ABF revient de façon récurrente, presque comme un « marronnier », car il y a, par nature, des tensions ».

De son côté, Françoise Gatel, en réponse à la présidente Marie-Pierre Monier lors de son audition le 15 mai, mettait en avant la complexité de la relation entre ABF et élus locaux : « Vous l'avez dit : le terme `ABF' génère beaucoup de passions, qui relèvent davantage de l'agacement que de l'enthousiasme spontané. Tous les ans, j'interviens à l'École de Chaillot, qui forme les futurs ABF. Je débute toujours mes propos en leur indiquant que les élus locaux les considèrent comme des « contrariants », au même titre que la DREAL et l'Inrap. C'est une réalité. Actuellement, des méthodes de travail sont élaborées afin de servir la cause portée par les ABF et les élus locaux ».

b) Un ressenti à mieux objectiver

Si très peu d'interlocuteurs expriment directement le souhait d'une remise en cause globale et profonde du rôle de l'ABF, la mission d'information a parfois pu constater l'existence de ce qu'il est possible de qualifier de « ressenti », voire de « ressentiment » non pas envers l'existence même de la fonction d'ABF, dont les objectifs sont très largement partagés, mais contre certaines décisions, orientations ou modalités d'exercice de leur pouvoir.

S'il n'est pas toujours possible d'objectiver le phénomène, la mission d'information s'est efforcée, à travers les auditions et les déplacements conduits, de multiplier les points de vue et les constats. La mission s'est de plus appuyée sur une consultation en ligne des élus locaux.

Les consultations en ligne au Sénat : parole aux élus ! 

L'article 24 de la Constitution fait du Sénat le représentant des collectivités territoriales. Afin de traduire concrètement cette mission particulière, le Président du Sénat a souhaité mettre en place un outil de consultation des élus locaux.

Lancée en 2018 et entièrement refondue en janvier 2024, une plateforme en ligne permet aux élus locaux de partager la réalité et le quotidien des territoires avec les sénateurs, mais également aux différentes instances du Sénat de solliciter l'avis des élus locaux sur les textes de loi ou toute question dont elles souhaiteraient se saisir.

Le nombre d'élus locaux inscrits augmente à chaque consultation et dépasse désormais les 37 000.

Sur les six premiers mois de 2024, le Sénat a ainsi lancé huit consultations en ligne, sur des sujets aussi variés que les meublés de tourisme, les complémentaires santé ou la situation dans les EHPAD.

Cette consultation, ouverte entre le 23 mai et le 17 juin 202470(*), a suscité un très grand intérêt, avec près de 1 500 réponses et 600 témoignages directs, qui ont été soigneusement analysés par la mission. Si un tel exercice n'a pas valeur de sondage, il permet cependant aux répondants d'exprimer leurs préoccupations et de faire remonter des informations précieuses pour les sénateurs, en complément de leur propre expérience d'élus locaux. Le présent rapport a ainsi grandement bénéficié des résultats de cette consultation.

2. L'avis conforme, éternel sujet de débat

Les critiques relatives au rôle des ABF se focalisent généralement sur la partie la plus visible et emblématique de leur action, c'est-à-dire leur pouvoir d'avis conforme.

Nombre des personnes entendues par la mission ont mis en avant le faible taux de refus d'autorisations de travaux, qui demeure constant dans le temps à 7 %. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture du ministère de la culture, a fourni sur ce point les précisions suivantes : « J'en viens au point « urticant » : en 2023, sur ces quelque 500 000 dossiers de demandes d'autorisation, on compte 34 230 avis défavorables ou refus d'accord, soit 7 % de l'ensemble des demandes - ce taux est stable depuis 2010 -, motivés par l'absence de qualité architecturale ou par la non-prise en compte des effets du projet considéré, notamment sur les monuments du territoire concerné ».

La faiblesse de ce taux doit cependant être interprétée avec prudence.

D'une part, il est calculé sur la base de l'ensemble des avis émis par l'ABF, y compris les avis simples qui représentent un peu plus de la moitié de leur production. Si l'on ne prend en compte que les domaines où l'accord de l'ABF est nécessaire, le taux de refus est plutôt proche de 14 %.

Lors de son audition devant la mission d'information le 14 mai, Fabien Sénéchal, président de l'ANABF, a estimé de manière plus large que « l'émission d'un avis défavorable sur un projet est un constat d'échec collectif. Elle signifie que la discussion n'a pas eu lieu, que nous n'avons pas trouvé de terrain d'entente et que nous n'avons pas réussi à trouver le chemin permettant de mener à bien un projet ».

Répartition des avis des ABF dans le domaine de l'avis conforme

Sources : données ministère de la culture, calculs mission d'information

D'autre part, les décisions de refus et d'accord ne représentent que la moitié des avis de l'ABF, l'accord avec prescriptions étant la configuration la plus fréquente. Or, comme les témoignages recueillis par la mission d'information ont pu le montrer, si le refus est finalement peu fréquent et souvent compris, l'ampleur des prescriptions ainsi que leurs coûts sont les sujets qui posent le plus de difficultés sur le terrain.

3. Les principaux sujets de discorde entre les ABF et les élus locaux

Les principaux reproches adressés aux ABF peuvent être distingués en quatre catégories, toutes évoquées lors des auditions tenues devant la mission d'information.

a) La variabilité et le manque de prévisibilité des décisions rendues

• La question de la variabilité des avis rendus par les ABF est sans doute celle qui est le plus revenue au cours des travaux de la mission, ainsi que l'a souligné lors de son audition Fabien Sénéchal, président de l'ANABF : « Parmi les questions abordées au cours de vos différentes auditions figure la question majeure de la prévisibilité des avis. ». Emmanuel Roux, président de la Chambre régionale des comptes (CRC) Bourgogne-Franche-Comté, a résumé la difficulté en ces termes : « C'est frappant : selon que je parle à un élu de grande ville ou de village, l'ABF est formidable ou il a tout interdit... Cette variabilité, inexplicable, est sujette à caution ».

Les décisions de l'ABF seraient donc d'autant plus difficiles à comprendre qu'elles seraient différentes d'un ABF à l'autre, d'un département à l'autre, ou même dans la succession des décisions prises par un même ABF.

Cette variabilité s'exprime en particulier dans le cas très souvent mentionné de la mutation et du remplacement d'un ABF, ce changement révélant alors pour certains le manque d'objectivité des décisions.

• Quelques témoignages tirés de la consultation en ligne des élus locaux lancée par la mission d'information témoignent de cette frustration :

- « Nous avons des changements de personnes au poste des ABF, et constatons que les ABF n'ont pas la même interprétation des documents » ;

- « L'ABF change régulièrement au bout de quelques années et les avis des uns peuvent être totalement remis en cause par leur successeur (exemple d'un permis de construire déposé par un ex ABF et refusé par son remplaçant !) » ;

- « Problème de subjectivité des décisions prises et de la non-cohérence des décisions à chaque changement d'ABF » ;

- « Changement fréquent des ABF qui ont chacun leur propre sensibilité ce qui se traduit au fil des années par des avis parfois contradictoires » ;

- « Manque de cohérence des avis dans le temps. Ex : avis favorable de photovoltaïque en surimposition sur un dossier et avis défavorable 2 mois plus tard sur un autre dossier : les deux cas situés dans le périmètre de protection, à peu de distance ».

Ce sujet, qui n'est pas réfuté par les ABF eux-mêmes, a également été mentionné lors des auditions de la mission d'information.

Ainsi, le 10 avril 2024, David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie, notait : « D'un ABF à l'autre, la messe n'est pas chantée de la même manière [...] le droit commun s'applique aux servitudes liées aux abords des monuments historiques. Or, selon l'ABF, l'appréciation du droit commun varie ».

Stéphane Bern, animateur de radio et de télévision, indiquait pour sa part le 28 mai 2024 : « Ce sont les exigences formulées, disparates d'un département à un autre, qui posent problème et créent de l'incompréhension pour les propriétaires. On ne comprend pas pourquoi un ABF dans un département n'est pas en conformité avec celui d'un autre département ».

La variabilité des avis en débat au Sénat

La question des ABF a été abordée au Sénat à l'occasion des débats sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables le 4 novembre 2022.

Ainsi Didier Mandelli a indiqué en séance publique :

« Nous savons également, en tant qu'élus locaux et acteurs des territoires, que les ABF ont un pouvoir bloquant, qui est parfois déraisonnable, et qu'ils ont surtout des interprétations très variables d'un département ou d'un secteur à l'autre - un changement d'ABF peut entraîner un changement d'avis -, ce qui empêche de développer des projets, pourtant utiles, portés par les populations locales et les élus. C'est ce qui a expliqué les nombreux amendements déposés en commission à ce sujet et leur adoption pour certains d'entre eux ».

• Ce ressenti, qui laisse à penser que la protection du patrimoine relèverait d'une question de personne plus que d'objectifs partagés, est en fait la traduction de la nature discrétionnaire et nécessairement subjective de l'avis de l'ABF. Professionnel aguerri du patrimoine, l'ABF doit juger de plusieurs centaines de situations toutes complexes et toutes particulières chaque année, ce qui peut entrainer une incompréhension, renforcée si le prédécesseur ou un ABF d'un autre département serait réputé « plus souple ».

La complexité de la mission de contrôle des ABF provient également dans une certaine mesure de la diversité du patrimoine français, dont la conséquence est que chaque cas est d'une certaine manière unique, comme souligné par Jean-François Hébert le 28 mars : « Des difficultés peuvent exister, d'autant que les ABF se prononcent sur des cas d'espèce. Leurs avis ne sont pas rendus selon une règle mathématique ou sur le fondement d'une directive nationale. »

Il convient de noter que le désaccord n'est pas limité au cas où l'ABF refuse une opération, mais également l'accepte, comme le soulève une participante à la consultation en ligne : « Furieuse que le nouvel ABF ait autorisé la destruction d'un magnifique presbytère au centre d'une commune rurale en périmètre protégé compte tenu d'un château hautement touristique à proximité ... et autorise par la même une affreuse construction alors que la réhabilitation était de mise ! ! ! »

• Si ce ressenti est difficile à objectiver, il peut être approché par les différences entre le sens des avis entre départements. La mission d'information a ainsi pu comparer la répartition entre accords, accords avec prescriptions et refus dans les huit départements de la région Île-de-France en 2020.

La répartition révèle des différences importantes, avec par exemple un taux d'avis favorables de 62 % à Paris et de 10 % dans le Val-d'Oise. Ces données doivent cependant être interprétées avec prudence, car elles traduisent également des spécificités locales : recours plus ou moins fréquent à un architecte, présence plus ou moins importante d'un patrimoine à protéger, expertise inégale des collectivités en matière patrimoniale, etc. Il n'en demeure pas moins qu'il existe bel et bien des différences très significatives entre départements.

Le manque de prévisibilité des avis n'est pas sans conséquence sur la conduite des travaux, en particulier en matière budgétaire.

b) L'absence de prise en compte du coût des travaux : des prescriptions inapplicables ?

• On l'a vu, le cas de figure le plus fréquent au niveau national n'est ni le refus, ni l'accord, mais l'accord avec prescriptions, qui représente la moitié des avis émis par l'ABF. Par nature, cet accord édicte des contraintes qui s'imposent aux porteurs de projet.

L'article L. 621-32 du code du patrimoine offre en effet aux ABF la faculté de moduler leur avis, sans pour autant préciser la nature ou le volume des prescriptions : « L'autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur d'un monument historique ou des abords ».

Les prescriptions des ABF portent généralement sur l'insertion du projet dans son environnement, le gabarit, les hauteurs du bâtiment projeté ou encore les matériaux envisagés. L'objectif est d'assurer la conciliation entre la conservation et la mise en valeur du site patrimonial ou paysager concerné et le projet porté par le maître d'ouvrage. Il faut distinguer les prescriptions, qui s'imposent, des recommandations, sans portée réglementaire, qui peuvent être des conseils techniques ou architecturaux, ou des observations de méthode.

La nature de ces préconisations est donc extrêmement variable, et est également perçue de manière très diverse. Il peut s'agir aussi bien de préconisations utiles qui enrichissent le projet initial, le recours à un architecte professionnel n'étant le fait que d'une minorité, mais également de contraintes fortes qui pèsent sur le budget, voire la viabilité économique du projet. La pratique semble étroitement dépendre de l'ABF. La mission d'information a ainsi été alertée sur le cas de certains ABF qui produisent plusieurs dizaines de prescriptions, aboutissant de fait à un nouveau projet qui peut s'avérer très éloigné de ce qui était envisagé. Or si le refus d'un ABF offre la possibilité de déclencher une procédure de recours, tel n'est pas le cas des accords avec prescriptions pour le demandeur, ce qui peut s'avérer pénalisant ou bloquant dans le cas d'espèce. Le demandeur doit alors engager une négociation avec l'ABF pour mieux comprendre les exigences formulées ou recalibrer son projet.

• Lors de la table ronde organisée le 14 mai 2024 par la mission d'information, plusieurs témoignages ont été apportés en ce sens.

Ainsi Stéphane Chenuet, chef du service urbanisme de la Fédération française du bâtiment a-t-il fait état d'une expérience précise, qui fait écho au manque de prévisibilité de l'avis de l'ABF : « J'étais récemment en mission en PACA et plusieurs promoteurs m'ont remonté le fait que dans certains territoires, les prescriptions des ABF ne concernaient pas uniquement des aspects esthétiques ou relatifs aux types de matériaux à utiliser, mais également des gabarits de bâtiments à respecter, ce qui revenait à minimiser les potentiels constructibles prévus par les PLU applicables, rendant l'opération économiquement non viable pour les opérateurs. Sur ce sujet, nous souhaitons une prévisibilité pour les entreprises. Il faut que lorsqu'un porteur de projet regarde la faisabilité d'une opération sur un territoire, il puisse d'ores et déjà anticiper les éventuelles prescriptions qui s'appliquent sur le territoire. »

Ce propos a été immédiatement étayé par Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), lors de la même table ronde : « Je rejoins mon collègue sur le problème de prévisibilité pour les porteurs de projet et sur le fait qu'ils se retrouvent devant le fait accompli quand ils lancent les consultations d'entreprise. Les porteurs de projet montent en effet un projet avec une enveloppe budgétaire définie, mais lorsqu'ils lancent les consultations d'entreprises, ils s'aperçoivent que les entreprises proposent des tarifs bien supérieurs à ce qu'ils ont prévu dans leur budget, en raison des contraintes imposées par l'ABF dans l'utilisation de tel ou tel matériau. Lorsqu'un dialogue s'installe, les porteurs de projet comprennent, mais cette situation intervient souvent au lancement du projet avec les entreprises. Ils ont donc le choix entre faire appel à des entreprises qui vont entrer dans leur enveloppe budgétaire, mais qui ne feront pas les travaux conformément aux demandes de l'ABF, ce qui présente le risque de devoir faire arrêter le chantier, ou faire appel à un architecte du patrimoine pour accompagner le projet et anticiper. »

À l'occasion de l'audition de Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture le 28 mars, la sénatrice Anne-Marie Nédélec indiquait également que « [...] les élus des petites communes ont l'impression que les avis ne tiennent pas compte des moyens à leur disposition pour rénover, par exemple, une église. Il y a un problème de dialogue sur l'attribution des subventions selon le choix des matériaux. » La sénatrice a pu réitérer son analyse à l'occasion de l'audition d'Albéric de Montgolfier le 3 avril : « Je tiens à souligner que des petites communes ou des particuliers qui souhaitent s'installer se heurtent au coût de la réalisation des travaux selon les prescriptions de l'ABF. »

Ce constat a également été très régulièrement évoqué par les élus qui ont répondu à la consultation en ligne lancée par la mission d'information : « omettant de réfléchir au coût de leurs prescriptions », « surcoût dû aux prescriptions », « les prescriptions sont inapplicables vis-à-vis des budgets », « les prescriptions aussi valables soient elles entrainent des surcoûts aboutissant souvent au renoncement », « Les prescriptions des ABF imposent parfois aux habitants soucieux d'entretenir leurs habitations des contraintes pas toujours justifiées à mes yeux. Parfois cela implique une augmentation du budget des ménages qui peut aussi carrément les décourager entrainant l'abandon des travaux. », « S'ils sont souvent pertinents, les avis ABF ne tiennent pas compte des surcoûts liés à leurs décisions. Ceci amène parfois certains particuliers à renoncer à leur projet immobilier. Cette situation vis-à-vis de jeunes résidents à l'année des petites communes est particulièrement pénalisant et traumatisant pour les demandeurs. »

Les prescriptions des ABF sont cependant également appréciées : « A contrario : leur analyses et prescriptions sont une aide indispensable pour l'élu dans le cadre des autorisations d'urbanisme ».

Cela n'exclut d'ailleurs pas des critiques sur la question budgétaire : « De mon point de vue, les avis émis par notre ABF sont toujours justifiés d'un point de vue architectural, environnemental. En revanche la prise en compte du surcoût lié aux prescriptions n'est jamais prise en compte, même lorsqu'il s'agit de projets communaux. C'est une bonne chose car cela permet de préserver le patrimoine (choix de la réhabilitation plutôt que de la destruction, qui nous pousse dans nos retranchements et permet de conserver l'histoire de nos communes), mais financièrement les projets sont plus difficiles à faire aboutir, [...] d'un point de vue particuliers, les prescriptions de l'ABF sont un véritable atout pour maintenir une cohérence des volumes, des matériaux, et c'est une chance d'avoir ce périmètre. »

• Il existe de fait deux aspects dans la question de la prise en compte ou non du coût des prescriptions dans un avis.

D'un côté, elle correspond pour l'ABF à la volonté de ne pas s'opposer à un projet, mais de lui apporter une expertise et une aide qui a pu lui faire défaut. Cela peut induire des coûts supplémentaires, qui sont d'autant plus mal acceptés qu'ils n'avaient pas été anticipés au lancement du chantier.

De l'autre, on peut s'interroger sur les raisons de la non-prise en compte de ces coûts ou exigences dans un secteur protégé. Dans quelle mesure peuvent-ils être anticipés ? Hugo Franck, président du syndicat de l'architecture, déclarait ainsi le 28 mai 2024 devant la mission d'information : « À titre personnel, je ne dépose jamais une demande de permis de construire avant d'avoir recueilli l'avis d'un ABF. Notre métier consiste à mettre en cohérence un certain nombre d'éléments techniques et réglementaires, que d'aucuns nommeraient des contraintes, un contexte, un programme et un budget. » Cette vision est partagée par Yves Pollet, à l'occasion de l'audition du Conseil français des architectes d'intérieur le 23 mai 2024 : « L'enjeu pour l'architecte d'intérieur est alors de se mettre en relation avec les ABF le plus en amont possible, pour recueillir leurs éventuelles remarques ou prescriptions, ou simplement favoriser la compréhension du projet. »

La mauvaise anticipation des contraintes propres aux secteurs protégés, faute la plupart du temps d'avoir pu recourir à l'expertise d'un architecte ou d'avoir bénéficié d'un accompagnement, est donc centrale. Thomas George, coprésident du Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques (GMH), indique cependant que « sans parler au nom de toutes les entreprises du GMH, je n'ai pas entendu parler de chantier qui se serait annulé faute d'un accord ABF. Ces chantiers peuvent cependant être retardés. »

c) Le manque de pédagogie

Corollaire des deux premières critiques sur le manque de prévisibilité et de prise en compte des réalités, notamment financières, du terrain, un certain manque de pédagogie est également reproché à l'ABF.

Cette problématique a été largement évoquée au cours des travaux de la mission, notamment par les élus qui ont répondu à la consultation mise en place par la mission d'information. Elle apparaît à deux niveaux.

Le premier niveau est celui de l'examen du dossier par l'ABF. Si celui-ci n'est pas en mesure de se déplacer et d'aller dialoguer avec les parties prenantes, la décision qu'il est amené à prendre peut être perçue comme d'autant plus injuste qu'elle s'impose sans qu'une réelle contradiction ait pu être mise en place. Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, indique ainsi lors de son audition devant la mission d'information le 21 mai : « L'ABF est un peu comme un enseignant auquel on demanderait d'évaluer ses élèves sans avoir pu leur faire cours avant. Il n'a aucun moyen de faire de la pédagogie et d'expliquer en amont pourquoi il prend telle décision. » Valérie Charollais, directrice de la Fédération nationale des Conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), indiquait devant la mission d'information le 28 mai : « L'ABF n'est pas tout seul et le constat est fait d'un manque de moyens humains pour rendre les avis dans de bonnes conditions. Cela suppose en effet d'avoir le temps d'aller sur le territoire, de rencontrer les élus et les pétitionnaires et de faire la pédagogie qui va avec. Le CAUE ne peut se substituer à l'ABF en matière de pédagogie et il faut que l'ABF puisse motiver ses avis. Ce manque de moyens nous semble malheureusement avéré. ».

Le second niveau correspond au temps de la notification de l'avis négatif ou assorti de prescriptions. Plusieurs élus ayant répondu à la consultation en ligne ont ainsi déploré le manque d'explications et d'accompagnement de la part de l'ABF : « Les architectes devraient justifier leur refus avec plus de pédagogie et se rendre disponibles pour trouver des solutions », « prescriptions complexes sans explications de vive voix, voire carrément refus », « Il serait souvent intéressant et utile de pouvoir obtenir des explications sur un avis négatif ou des prescriptions afin de les interpréter au pétitionnaire. Nous ne sommes pas forcément en mesure de le faire », « La commune éprouve de grandes difficultés à comprendre les refus trop partiellement motivés par l'ABF. Il manque à l'évidence au service départemental de l'architecture un temps nécessaire de concertation pour conclure utilement sur les nombreux dossiers publics et privés soumis à son autorité ».

Ce déficit de clarté est d'autant plus préjudiciable lorsqu'il s'applique à des dossiers complexes, qui nécessitent de la part des communes comme des particuliers un lourd investissement en temps et en budget. Les porteurs de projets peuvent alors avoir le sentiment que les efforts qu'ils ont fournis se heurtent à une contrainte qu'ils n'avaient pas anticipée, et ce sans qu'un dialogue efficace ait pu être mené.

Le manque de pédagogie apparaît comme une conséquence de la saturation administrative dans laquelle sont placés les ABF et objectivée dans le présent rapport. Faute de temps, ils sont amenés à prendre des décisions sans se déplacer sur le terrain, comme le note Albéric de Montgolfier, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA) et Sénateur le 3 avril : « [...] il arrive que des ABF surchargés soient amenés, par sécurité et par précaution, à émettre un avis négatif sur tel ou tel projet de fenêtres de toit, faute de temps ou de capacité d'aller sur le terrain. »

d) L'absence de prise en compte des enjeux de la transition écologique

Protecteurs des abords et de la qualité architecturale depuis 1943, les ABF sont confrontés ces dernières années à un nouveau défi, celui de la conciliation entre patrimoine et transition écologique.

De manière générale, les ABF sont directement concernés par les nouvelles normes en matière de protection environnementale et d'économies d'énergie.

Cette thématique englobe plusieurs sujets, dont l'adaptation des diagnostics énergétiques aux constructions anciennes.

Elle apparaît de manière très significative en matière de panneaux photovoltaïques. Ainsi, dans le cadre de l'examen au Sénat du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables (loi « ELAN »), la commission du développement durable avait adopté en commission un amendement visant à passer, pour l'installation d'ouvrages de production d'énergie solaire sur bâtiments ou ombrières situés dans le périmètre d'un SPR ou dans les abords des monuments historiques, d'un avis conforme à un avis simple des ABF. En séance publique, suite à des débats très nourris, des amendements adoptés à l'initiative de nombreux membres de la commission de la culture ont permis de revenir sur ce point.

Extrait de l'intervention de Laurence Garnier, rapporteure pour avis
de la commission de la culture, le 4 novembre 2022

« Cette mesure ne nous paraît pas justifiée dans la mesure où les gains qu'on peut en attendre en termes de production d'énergie seraient très faibles, cependant qu'elle aurait des conséquences très fortes sur le cadre de vie et l'attractivité touristique de certains territoires.

« Je rappelle que l'avis conforme des ABF ne concerne qu'une partie restreinte du territoire national et que le taux de refus de ces projets dépasse à peine 10 %.

« À cela s'ajoute le fait qu'un travail a été engagé par les services des ministères de la culture et de la transition énergétique pour faciliter le déploiement de panneaux photovoltaïques dans les espaces protégés. Cela nous paraît faire perdre une grande partie de sa portée à l'article 11 quinquies. En effet, les deux ministères devraient publier avant la fin de l'année une instruction destinée aux services déconcentrés chargés du patrimoine. Cette instruction définira les lignes directrices sur la façon dont les ABF devront traiter les demandes d'installation de panneaux photovoltaïques. L'objectif serait notamment d'autoriser le déploiement de telles installations dans tous les secteurs des espaces protégés à faible enjeu patrimonial, comme les zones commerciales, industrielles, pavillonnaires, les parkings, voire les bâtiments dont la construction est postérieure à 1948, dès lors qu'il n'y a pas de problème avec le cadre paysager.

« Dans ces conditions, l'installation de panneaux photovoltaïques dans ces espaces ne devrait plus vraiment soulever de difficultés, tandis que notre patrimoine restera protégé grâce au contrôle opéré par l'ABF. »

Suite à ce débat, l'instruction71(*) annoncée a finalement été publiée le 9 décembre 2022 par le ministère de la culture afin de fixer quelques principes. Elle précise notamment que « La conciliation des principes de la transition écologique et de la préservation du patrimoine repose en particulier sur la qualité de la relation instaurée entre les services de l'État, notamment les ABF, et les porteurs de projets ». Elle a été complétée par un guide pédagogique à l'usage des porteurs de projets.

Il n'en reste pas moins que le sujet demeure très prégnant, même si la publication de l'instruction semble avoir défini un cadre satisfaisant. Thomas George devant la mission d'information pose le débat et alerte sur un trop grand laxisme en la matière avec l'exemple de la Belgique : « Les zones sauvegardées représentent par ailleurs 8 % du territoire français. Quand les 92 % restants du territoire auront été équipés en panneaux photovoltaïques, il sera toujours temps de s'occuper de ces 8 % plus tard. La plupart des populations vivent cependant dans des zones sauvegardées et il serait souhaitable de trouver des conciliations permettant d'éviter une visibilité directe de l'extérieur. En Belgique, des panneaux photovoltaïques ont été installés partout et ce n'est esthétiquement pas idéal. Il faudrait éviter cela, mais trouver un bon compromis entre les deux. »

La difficile conciliation entre l'indispensable transition écologique et la préservation du cadre de vie est largement évoquée par les élus consultés en ligne par la mission d'information : 

- « Le problème que nous pouvons rencontrer porte plus sur la règlementation stricte qui ne prend pas en compte les évolutions de la société, en termes de gestion des mesures écologiques (exemples : la possibilité d'avoir des panneaux photovoltaïques sur une église, ou avoir des huisseries en pvc) » ;

- « Trop souvent d'avis négatifs sur des demandes de panneaux photo voltaïques sous prétexte de co-visibilité ou de disposition des panneaux sur la toiture » ;

- « Les recommandations de l'ABF sont parfois en contradictions avec d'autres normes (accessibilité), avec la transition énergétique (panneaux photovoltaïques, isolation, ouvertures...) » ;

- « Nous ne parlons même pas de la transition écologique que nous voulons enclencher mais sur laquelle plane un flou artistique : la présence d'un château classé va-t-elle empêcher l'installation de panneaux photovoltaïques, de méthaniseurs ou pire d'éoliennes ? c'est un sujet brulant et complexe. »

La dernière partie du présent rapport traitera plus largement de la conciliation entre transition écologique et protection patrimoniale, qui constitue un des grands défis que devront résoudre les ABF dans les années à venir.

4. Le risque de la non-déclaration

La mission d'information a été alertée dès sa première réunion sur une pratique particulièrement préoccupante liée aux contraintes patrimoniales : la non-déclaration des travaux.

Le 28 mars, la sénatrice Anne-Marie Nédélec, lors de l'audition de Jean-François Hébert le 28 mars, notait ainsi : « Je suis nouvellement élue et ai donc bien en tête les doléances des maires que j'ai rencontrés durant ma campagne, dans un département très rural, la Haute-Marne. Ceux-ci déplorent le fait qu'il existe autant d'injonctions que d'ABF. Une forme d'incompréhension grandit et conduit un grand nombre de personnes à ne pas déclarer leurs travaux, ce qui peut être mal vécu par leurs voisins qui essuient un avis défavorable pour le même type de travaux. »

En effet, tant face au facteur « coût » que « variabilité », la tentation peut être grande d'éviter les procédures, surtout pour les petits travaux. L'absence de déclaration peut d'ailleurs être faite de bonne foi, faute de prise de conscience des contraintes propres au secteur. Or cette pratique, dont la mission d'information a été à de multiples reprises informée lors de ses déplacements, présente deux risques :

- d'une part, pour l'unité architecturale des sites protégés. Les travaux réalisés sans accord de l'ABF sont plus susceptibles de constituer des atteintes à l'architecture et à l'harmonie des lieux, et donc de dégrader des lieux emblématiques et riches d'histoire ;

- d'autre part, pour les auteurs de travaux eux-mêmes. L'article L. 480-4 du code de l'urbanisme prévoit en effet des sanctions comprises entre 1 200 et 6 000 euros par m² de surface de plancher construite ou démolie irrégulièrement, et en cas de récidive, 6 mois d'emprisonnement et l'obligation de mise en conformité ou de démolition des travaux irréguliers.

En réalité, ces sanctions sont très rarement exécutées, en raison tant de l'engorgement de la justice que de la difficulté à constater les faits. En Indre-et-Loire, les ABF sont cependant des agents assermentés qui peuvent initier la procédure.

Le vrai risque pour les propriétaires se situe plutôt au moment de la vente de leur bien, où doit être produite la déclaration attestant l'achèvement et la conformité des travaux. L'absence de cette déclaration, qui permet à l'acheteur de s'assurer de la conformité des travaux aux règles d'urbanisme, est de nature à abaisser significativement le prix, si une remise en l'état s'impose, voire d'annuler la vente.

La non-déclaration constitue donc un danger réel, collectif et individuel. Elle peut s'interpréter comme la marque d'un dysfonctionnement des autorisations d'urbanisme, d'une trop grande complexité et d'une mauvaise compréhension des contraintes pesant sur les secteurs protégés.

5. « L'équation personnelle » : l'ABF et le territoire

La mission d'information, en particulier lors de ses déplacements, a pu prendre mieux conscience de l'importance de « l'équation personnelle » de l'ABF.

Tout comme le préfet, l'ABF exerce un pouvoir régalien auquel seule la procédure longue et complexe du recours peut se substituer. Dès lors, si dans la grande majorité des cas, la relation qui se noue avec les élus locaux et les porteurs de projet est marquée par la confiance et le respect mutuel, elle tend parfois vers une forme de conflictualité qui s'avère à l'usage très préjudiciable pour le territoire. Cette situation, dont témoignent des propos recueillis à l'occasion de la consultation en ligne et des déplacements, a trois racines principales.

Tout d'abord, la complexité inhérente aux procédures de protection du patrimoine, qui entremêlent code du patrimoine, code de l'urbanisme et code de l'environnement. Les élus locaux qui ne disposent pas de services suffisamment étoffés, et plus encore les particuliers qui ont pour seul objectif d'améliorer un logement dont ils découvrent souvent à cette occasion qu'il est couvert par des protections spécifiques, peuvent se trouver démunis et littéralement « dépassés » par la masse de documents à fournir et les exigences à honorer.

Ensuite, les contraintes imposées par les ABF peuvent, même si ce n'est pas toujours le cas, occasionner des surcoûts pour les travaux dont on a pu mesurer la sensibilité, surtout dans les zones du territoire économiquement fragilisées. Ainsi la ville de Richelieu, en Indre-et-Loire, visitée par la mission d'information le 17 juillet, possède un patrimoine exceptionnel de niveau mondial qui remonte au XVIIe siècle, avec la « Cité idéale » conçue par l'architecte Jacques Lemercier. Elle abrite 93 monuments historiques, soit 50 % de moins que Tours, pour une population 80 fois inférieure. Dès lors, la prise en compte du patrimoine paysager s'y avère d'une très grande complexité et source de frustrations pour la population, dont le revenu médian est inférieur de plus de 20 % à la moyenne nationale en 2021, même si le tourisme constitue une source de revenus.

Enfin, et cet élément a constitué un « fil rouge » récurrent des travaux de la mission, « l'équation personnelle » de l'ABF a été régulièrement évoquée. Les élus locaux, qui sont en première ligne face aux porteurs de projets, et sont eux-mêmes à l'origine de travaux, formulent des appréciations au sujet de « leur » ABF, comme au demeurant sur « leur » préfet. Les fonctionnaires d'État que sont les ABF, en charge de missions complexes dans les territoires, au contact direct des populations, peuvent être perçus de manière positive ou plus nuancée, et tel ou tel dossier mal compris susciter des tensions qui perdurent et nuisent à la relation qui doit se nouer de manière constructive entre les parties prenantes. Selon la mission, ces incompréhensions, qui sont susceptibles de dégrader durablement l'atmosphère sur le territoire, doivent être traitées avec la plus grande vigilance au niveau des DRAC et du ministère de la culture. Si de multiples raisons, qui ne sont pas toutes du seul ressort de l'ABF, peuvent expliquer de tels cas, ils devraient faire l'objet de mesures rapides qui, au demeurant, peuvent se limiter à un dialogue entre l'ABF et sa hiérarchie, ou bien par l'identification de points d'amélioration et la mise en place de formations adaptées. La détection des cas complexes ne présente pas de difficultés, tant il suffit d'écouter les élus ou les autorités préfectorales, qui connaissent intimement les situations et les spécificités locales.

Il existe de fait suffisamment d'ABF expérimentés qui parviennent à concilier avec doigté les injonctions parfois contradictoires qui opposent la réalité des territoires et le cadre légal pour mettre en place au niveau central des « bonnes pratiques » et des échanges à même d'apaiser les situations locales avant qu'elles ne dégénèrent et ne fragilisent durablement la prise en compte des enjeux patrimoniaux. Au-delà, la gestion des ressources humaines par le ministère de la culture gagnerait à être plus réactive pour assurer une identification plus rapide des difficultés.

Recommandation n° 3 : Adopter au niveau des DRAC et du ministère une gestion des ressources humaines plus dynamique en identifiant, par un dialogue avec les élus et les autorités préfectorales, les situations les plus conflictuelles, afin de proposer aux ABF éventuellement concernés des formations complémentaires et un accompagnement ou d'envisager un changement d'affectation.

6. Une profession ou une protection en danger ?

Sous le feu des critiques, les ABF n'en sont pas moins, là encore, comme en témoignent aussi bien les auditions menées que les témoignages reçus par la mission, des interlocuteurs appréciés pour leur expertise et respectés pour leurs compétences. Bien peu remettent directement en cause l'existence même de mécanismes de protection du patrimoine mis en place depuis plus d'un siècle dans notre pays, mais beaucoup en jugent les conditions d'exercice peu satisfaisantes.

Paradoxalement, l'ABF, de par son positionnement institutionnel indépendant, peut parfois s'avérer utile comme « bouclier » des élus locaux. Ainsi, lors de son audition le 10 avril, David Nicolas, référent patrimoine de l'association des maires de France (AMF), souligne : « L'AMF avait émis des doutes sur la suppression des prérogatives de l'ABF en matière d'avis conforme. Dans certains territoires, les élus locaux sont soumis à des pressions de promoteurs et de divers acteurs qui profitent du vide laissé par l'ABF pour faire n'importe quoi. Il est difficile de trouver la ligne de crête. »

Un témoignage adressé à la mission dans le cadre de la consultation reprend cette idée : « il est parfois pratique pour moi en tant que maire que ce soit lui [l'ABF] qui refuse un dossier, ce qui m'évite d'être en première ligne face à un habitant néo-rural qui vient rénover une maison de village avec son vécu et ses idées d'urbain. »

Les principales difficultés évoquées relèvent finalement plus d'une question de pratique de ses pouvoirs propres par l'ABF, selon un double axe :

- premier axe, des compétences à affiner dans les domaines du dialogue avec les élus, les autorités centrales et les porteurs de projet, afin d'aplanir au maximum les problèmes et, le cas échéant, d'être en mesure de proposer des solutions adaptées, dont celui de l'intégration de la transition écologique à sa réflexion ;

- second axe, et il existe sur ce point un très large consensus, la nécessité de préserver du temps pour les fonctions de conseil, ce qui ne peut se faire qu'au prix d'un renoncement à certaines missions, d'une priorisation renforcée des tâches, et inévitablement d'un accroissement des effectifs dans les UDAP pour les mettre en conformité avec les règles de protection.


* 70 https://participation.senat.fr/protection-et-valorisation-du-patrimoine-parole-aux-elus

* 71 https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/monuments-sites/monuments-historiques-sites-patrimoniaux/Themes-environnementaux/L-installation-de-panneaux-photovoltaiques-en-abords-de-monuments-historiques-et-dans-les-sites-patrimoniaux-remarquables

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