B. UNE MISSION DE CONSEIL SOUS-INVESTIE FAUTE DE TEMPS

1. Les élus comme leurs administrés font face à des difficultés pour bénéficier d'un accompagnement de leurs projets
a) Une mission de conseil cruciale donnant lieu à de larges attentes

Le conseil et la promotion d'un urbanisme et d'une architecture de qualité constituent des demandes de plus en plus fortes des acteurs de la conservation du patrimoine, et ce pour deux raisons principales :

Ø d'une part, un mouvement de décentralisation patrimoniale, issu de la réforme de 200572(*) qui a transféré la maîtrise d'ouvrage aux propriétaires des monuments historiques. La pression pesant sur les communes pour l'entretien et la conservation de leur patrimoine s'en est trouvée accrue ;

Ø d'autre part, la hausse quasi continue du nombre de monuments historiques. Les communes sont ainsi propriétaires de plus de 18 000 monuments historiques, soit 41 % du total, juste après les propriétaires privés (46 %) tandis que l'État n'en possède que 4 %73(*) et les départements 1 %74(*).

Évolution du nombre de monuments historiques en France

 

Nombre de nouvelles protections

 

Nombre total de monuments historiques

Source : Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France
et Préfet de la région d'Île-de-France

La circulaire relative au contrôle scientifique et technique des services de l'État sur la conservation des monuments historiques classés ou inscrits du 1er décembre 2009, « [...] insiste sur l'importance du dialogue qu'il convient d'instaurer entre les maîtres d'ouvrage, les maîtres d'oeuvre et les services de l'État, le plus tôt possible dans le processus d'intervention et tout au long de son déroulement. [...] Le travail d'accompagnement de vos services en amont des interventions sur les monuments historiques est fondamental et a pour but d'éviter les malentendus qui pourraient surgir ou qui surgiraient inévitablement si vos services limitaient leur intervention à la stricte expression d'un avis, notamment en cas de refus d'autorisation. »75(*)

La mission de conseil est supposée apaiser les relations avec l'ABF, et permet d'éviter tout conflit ultérieur, en répondant par anticipation aux éventuelles incompréhensions relatives aux contraintes de la qualité architecturale et patrimoniale. En témoigne ainsi David Nicolas, référent patrimoine de l'Association des maires de France (AMF), maire d'Avranches et président de l'agglomération du Mont-Saint-Michel Normandie devant la mission d'information : « Vous évoquiez la pédagogie. Cela me semble être un mot-clé à valoriser. Lorsqu'un contact régulier se fait entre l'ABF et les élus locaux, les choses se passent bien. L'ABF retrouve alors pleinement le coeur de sa mission : une mission de conseil, et non de censeur. L'Architecte des bâtiments de France ne doit pas être le contradicteur systématique des bonnes volontés. »

b) Une mission de contrôle accaparante au détriment du conseil

En charge des avis d'urbanisme sur des périmètres étendus et géographiquement très variés (538 893 actes en 2023), conservateurs des monuments de l'État et responsables uniques en charge de la sécurité de 87 cathédrales, la disponibilité des 189 ABF est cependant fortement contrainte, au détriment des missions de conseil, ce qui fragilise la protection du patrimoine et de la promotion d'une architecture de qualité.

Ce constat a été maintes fois réitéré devant la commission, non seulement par les élus mais également par la Cour des comptes dans son rapport précité : « Les ABF manquent de temps pour la mise en valeur patrimoniale, urbaine, paysagère. Ils sont proches de la saturation, avec une approche « pointilliste » et quantitative, très réglementaire, centrée sur la protection au détriment des deux autres volets de conservation et de mise en valeur. » La mission de conseil tendrait ainsi à « passer en second parce que les ABF ne sont pas suffisamment associés en amont aux projets, ils arrivent trop tardivement. »76(*)

En effet, les ABF placent le suivi des sites protégés très largement en tête dans la répartition du temps consacré à chaque mission, comme en témoigne le graphique ci-dessous.

Estimation du temps consacré par champ de mission des ABF en UDAP

Source : d'après les données de la direction générale des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture, d'après un sondage mené en 2023 par l'ANABF (Taux de réponse 61 %).

Ce sondage, ne portant que sur 61 % des ABF, doit être nuancé selon les caractéristiques départementales, à savoir le nombre d'édifices dont l'ABF est conservateur, le nombre de SPR et de PSMV, le taux d'urbanisation, l'évolution urbaine, la pression économique et sociale et la qualité de l'ingénierie en collectivités territoriales.

Ce constat est notamment vérifiable dans les départements de la région Île-de-France. La part des consultations dans l'ensemble des actes des ABF en 2021 demeure stable depuis 2017. Très réduite, elle ne s'établit qu'à un peu plus de 7 % en 2021.

Nombre d'actes des ABF dans les départements d'Île-de-France

 

Consultations

 

Enseignes

 

Monuments historiques classés

 

Certificats d'urbanisme

 

Permis de démolition

 

Permis d'aménagement

 

Permis de construire

 

Déclarations préalables

Source : Direction régionale des affaires culturelles
d'Île-de-France et du préfet de la région d'Île-de-France

Ce manque de disponibilité des ABF, ne leur permettant pas d'assurer pleinement leur mission de conseil en amont des projets, a de nombreuses conséquences sur les relations des ABF avec les particuliers et les élus.

En effet, le manque de temps et de budget pour se déplacer sur le terrain ou recevoir un porteur de projets recherchant un accompagnement dans la préparation de son dossier77(*) peut conduire à des incompréhensions réciproques, dont ont témoigné tant les auditions menées par la mission d'information que la consultation en ligne. Ce manque de dialogue ne peut cependant être imputé au seul ABF, comme l'indique la Fédération française du bâtiment (FFB) dans sa réponse écrite : « les pétitionnaires ont beaucoup de mal à ouvrir un dialogue constructif avec les ABF dans le cadre du montage de leur projet. Les ABF acceptent rarement la recherche d'un compromis lorsque leurs prescriptions sont totalement bloquantes pour un projet. »

La saturation administrative en raison du nombre de dossiers à traiter et du manque d'effectifs réduit également la disponibilité des ABF pour entretenir un dialogue constructif avec les élus sur leurs différents projets tels que la requalification d'un centre ancien dégradé, la création d'un nouvel SPR, l'entretien et la mise en valeur du patrimoine, notamment les édifices religieux78(*).

2. Une forte inégalité territoriale en matière de protection patrimoniale

La protection patrimoniale souffre d'une inégalité territoriale à deux niveaux.

D'une part, entre communes, certaines, majoritairement dans les zones sous-denses, étant peu dotées en ingénierie et en compétences juridiques, d'autre part, entre départements, certains étant mieux dotés que d'autres en matière d'ABF.

a) Les petites communes rurales en manque d'expertise

Une politique patrimoniale efficiente suppose l'existence d'une ingénierie juridique et technique, nécessaire afin de préserver le bâti ancien historique dans le cadre exigeant de la transition écologique.

Un projet illustre une telle méthode, celui de la nouvelle charte de ravalement des immeubles du Lyonnais. Il a été élaboré en concertation et en collégialité organisée par la collectivité, co-financée par l'État, en faisant intervenir de nombreux acteurs (la fédération du BTP, la CAPEB, des économistes, des administrateurs de biens, l'ordre des architectes, le CAUE, la fondation du patrimoine ...)

L'ensemble des 34 955 communes de France ne dispose cependant pas de toutes les compétences et ressources nécessaires à l'entretien et la valorisation de leur patrimoine79(*). À titre d'illustration, la création et la mise en oeuvre d'un SPR peuvent requérir des ressources financières et humaines substantielles, difficilement mobilisables par les petites communes.

Il appartient ainsi le plus souvent aux services municipaux d'expliquer aux porteurs de projets ce qui est autorisé et ne l'est pas, dans le cadre du règlement du SPR. Or, une grande majorité des petites communes de moins de 4 000 habitants ne disposent pas de personnel technique dédié à la prise en compte du patrimoine, de l'architecture et du paysage, contrairement aux grandes métropoles dotées de services techniques dédiés.

Par ailleurs, au-delà du manque d'accès aux ABF pour dispenser leurs conseils en matière patrimoniale et architecturale, le « problème d'ingénierie dans les petites communes où ni l'élu ni l'agent n'ont nécessairement de compétence en la matière80(*) » peut constituer un frein à l'établissement d'un dialogue en amont avec l'ABF, compte tenu des difficultés techniques à identifier les dossiers d'une complexité particulière.

Ces difficultés techniques sont aussi bien présentes en amont qu'en aval des projets de travaux.

La DGPA alerte sur les difficultés des maires de petites communes pour saisir le préfet de région d'un recours dans le délai de 7 jours prévu par l'article R. 423-68 du code de l'urbanisme : « Une partie des services des DRAC chargés de l'instruction et de la gestion des recours font état, pour les petites communes, de difficultés à formaliser et à transmettre leur recours dans les délais, pour éviter ainsi qu'il soit déclaré irrecevable. Certaines DRAC ont mis en place des fiches pratiques à destination des mairies et des délais plus ou moins longs sont laissés au maire pour transmettre un dossier complet, le cas échéant. »81(*)

La mission d'information estime que ce délai de 7 jours, notamment dans les petites communes, est largement insuffisant pour permettre ou un recours efficace et argumenté, ou un débat serein entre l'ABF et le porteur du projet. Elle préconise donc de porter ce délai à un mois.

Recommandation n° 4 : Faire passer de sept jours à un mois le délai du recours qui peut être exercé contre une décision de l'ABF par l'autorité compétente en matière d'urbanisme.

b) Une inégale répartition géographique des ABF

La répartition géographique des ABF, qui relève de la responsabilité du ministère de la culture, soulève de nombreuses questions dans un contexte de pénurie généralisée du corps et de faiblesse des moyens budgétaires. L'appel récurrent lors des auditions de la mission à davantage de pédagogie et de dialogue avec les ABF doit ainsi être nuancé en fonction des territoires.

Le nombre d'ABF varie ainsi selon les départements, en fonction notamment de la taille de leur population.

Répartition du nombre d'ABF par département

Source : d'après les données du ministère de la culture arrêtées au 1er juin 2024

Dans les trois quarts des départements dotés d'un unique ABF, ce dernier est accompagné de 3 à 6 renforts techniques - ingénieurs des services culturels et du patrimoine et techniciens des services culturels et bâtiments de France. En revanche, un quart d'entre eux bénéficie du soutien d'un seul effectif supplémentaire dans le domaine technique, le plus souvent un technicien des services culturels et Bâtiments de France, comme c'est le cas en Martinique. En Ardèche, l'ABF est assisté par deux soutiens techniques seulement, alors que ce département compte parmi ceux délivrant le plus grand nombre d'avis (3 608 avis pour un vaste territoire de 5 529 km²). Quels que soient les effectifs, et en dehors d'une délégation de signature (voir infra), il faut cependant rappeler que l'ABF doit signer et donc engager sa responsabilité sur l'ensemble des dossiers qui relèvent de sa compétence.

Répartition du nombre de ISCP et TSCBF dans les départements
dotés d'un unique ABF

Source : d'après les données du ministère de la culture arrêtées au 1er juin 2024

Cette inégalité peut être objectivée par l'analyse du nombre d'avis par département.

Répartition régionale selon le ratio « nombre total d'avis/ nombre d'ABF » en 2023

Source : d'après les données du ministère de la culture

Un quart des départements a traité des flux d'avis supérieurs à la moyenne nationale de plus de 2 600 avis : 21 % ont rendu entre 3 000 et 4 000 avis, 7 % entre 4 000 et 5 000 avis et 1 % plus de 5 000 en 202382(*).

Répartition des départements par tranche de ratio « Nombre d'avis/ABF »

 
 

Source : d'après les données du ministère de la culture

Parmi les départements dont le ratio du nombre total d'avis (conformes ou simples) rapportés au nombre d'ABF est supérieur au ratio moyen (ligne verte), se détachent particulièrement l'Eure, la Saône-et-Loire, la Vendée, les Deux-Sèvres, le Nord, l'Yonne, Finistère, la Charente-Maritime, l'Essonne, le Val-d'Oise, l'Allier et le Rhône, comme l'illustre le graphique ci-après.

Départements au ratio « Nombre d'avis/Nombre ABF » supérieur au ratio moyen

Source : d'après les données du ministère de la culture

Ces résultats sont à interpréter à l'aune des effectifs à compétences techniques des UDAP, composés non seulement des ABF mais également d'ingénieurs des services culturels et du patrimoine (ISCP) et les techniciens des services culturels et Bâtiments de France (TSCBF). Ceux-ci peuvent en effet participer à l'instruction des avis, une telle équipe, ABF compris, pouvant aller jusqu'à 15 ETP.

À titre d'illustration, le nombre d'ABF, d'ISCP et TSCBF pour les départements de l'Eure, Saône-et-Loire, Vendée, Deux-Sèvres, Nord, Yonne, l'Essonne, Val-d'Oise et Allier paraissent réduits, comme l'indique le tableau ci-dessous, en dépit de l'important flux d'avis par ABF à traiter.

Répartition des effectifs ABF, ISCP et TSCBF

Région

Département

ABF

ISCP/AI

TSCBF/SA

Total

Nouvelle-Aquitaine

Deux-Sèvres

1

2

1

4

Auvergne-Rhône-Alpes

Allier

1

2

1

4

Bourgogne-Franche-Comté

Yonne

1

1

3

5

Bourgogne-Franche-Comté

Saône-et-Loire

1

2

3

6

Normandie

Eure

1

3

2

6

Île-de-France

Essonne

2

0

4

6

Pays de Loire

Vendée

2

2

2

6

Île-de-France

Val-d'Oise

2

3

2

7

Hauts-de-France

Nord

3

2

2

7

Source : données du ministère de la culture, arrêtées au 1er juin 2024

La situation particulière de l'Île-de-France depuis 2017 confirme les observations de 2023 concernant l'Essonne et le Val-d'Oise. Si Paris et les Yvelines instruisent le plus grand nombre d'actes83(*), la prise en compte du nombre d'ABF dont la mission est de rendre ces actes, conduit à nuancer le précédent résultat.

Évolution en Île-de-France du nombre d'actes sur les demandes d'autorisation d'urbanisme

Source : Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France et Préfet de la région d'Île-de-France

Les ABF du département du Val-d'Oise et de l'Essonne instruisent beaucoup plus d'actes que la moyenne nationale et que les autres départements de la région Île-de-France en 2021.

Évolution du nombre d'actes par ABF dans les départements d'Île-de-France

Source : Direction régionale des affaires culturelles d'Île-de-France et Préfet de la région d'Île-de-France

Si l'ensemble des départements souffre d'un déficit d'effectifs des UDAP, certains en sont plus victimes. Ainsi, 40 % des UDAP ne disposent que d'un ABF, pour couvrir un vaste territoire allant de 609 km²84(*) à 8 575 km²85(*), au patrimoine très varié comptant 56 monuments historiques86(*) jusqu'à 62687(*), tandis que d'autres disposent de 2 à 7 ABF pour des territoires équivalents.

Sans être exhaustif, le graphique ci-dessous met ainsi en évidence l'ampleur des missions de l'unique ABF de l'Eure, l'Allier, la Saône-et-Loire, l'Yonne et le Jura. Ces départements figurent parmi ceux qui détiennent le plus grand nombre de monuments historiques, avec la plus grande superficie et devant traiter un flux d'avis supérieur à la moyenne nationale.

Échantillon de départements au ratio avis/ABF supérieur à la moyenne nationale

Source : d'après les données du ministère de la culture

La répartition des ABF sur le territoire met donc en exergue une inégalité territoriale d'autant plus frappante qu'elle pénalise essentiellement les départements ruraux, qui ne disposent pour la plupart que d'un seul ABF. Lors de l'audition d'Albéric de Montgolfier, la sénatrice Guylène Pantel relevait ainsi : « dans mon département de la Lozère, qui ne compte que 77 000 habitants, nous n'avons qu'un seul ABF, et [qu']il est très débordé. ». La superficie de la Lozère est en effet de 5 100 km², ce qui rend extrêmement difficiles les déplacements de l'ABF pour aller à la rencontre des porteurs de projets.

La présence d'un unique ABF dans un département expose à trois séries de difficultés.

Tout d'abord, elle rend les autorisations d'urbanisme dépendantes d'une unique personne, dont l'absence pénalise fortement la conduite des opérations. Ensuite, elle ne permet pas au sein du service un échange de vues entre collègues disposant d'une même expertise sur les dossiers les plus complexes, une pratique bienvenue et observée par exemple par la mission d'information dans le département du Rhône, qui dispose de trois ABF. Enfin, compte tenu de la taille des départements ruraux et des difficultés de déplacement, elle ne facilite pas la tâche de l'ABF qui doit se déplacer entre des sites parfois distants de plusieurs heures de route.

3. Des instances de dialogue et d'ingénierie encore trop méconnues

En l'absence de services techniques suffisamment dotés et faute de disponibilité de l'ABF, les communes peuvent se reposer sur plusieurs acteurs pour mener à bien la conservation et la valorisation de leur patrimoine : les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), les agences d'urbanisme, les réseaux d'associations (Petites Cités de Caractère, Sites et Cités remarquables, les Maisons paysannes de France, Sites et monuments, Patrimoine-Environnement88(*),, etc.), les architectes du patrimoine et architectes libéraux, les maîtres d'oeuvre, la Fondation du Patrimoine ou encore la Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU).

Ces instances de dialogue sont particulièrement appréciées des communes rurales, comme le relève Françoise Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de l'association Petites cités de caractère : « À quelques rares exceptions près qui ne sont pas la conséquence d'une organisation des institutions, mais plutôt de relations interpersonnelles, le réseau d'acteur UDAP-DDT-CAUE-Associations (PCC, Fondation du patrimoine, Patrimoine et Environnement, etc.) fonctionne très bien et est même très riche car il permet à des collectivités peu dotées en ingénierie de se faire accompagner dans leur projet de valorisation des patrimoines. Le relais État-Associations-CAUE (qu'il faut mettre à part en raison de ses statuts et de ses missions d'intérêt public, et nous pouvons regretter que certains départements n'aient toujours pas de CAUE en 2024) fonctionne très bien et se trouve être assez complémentaire ».

L'audition du Conseil national de l'Ordre des architectes devant la mission89(*) a permis d'échanger sur le dispositif « 1 maire, 1 architecte » visant à fournir aux maires, en particulier ruraux, un appui de professionnels dans la programmation de leurs travaux.

Toutefois, ces instances ne sont pas encore assez utilisées, car parfois trop méconnues.

a) Les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE)

Les CAUE sont des associations à mission d'intérêt public, chargées de promouvoir la qualité de l'architecture, de l'urbanisme et de l'environnement dans 92 départements90(*).

Sans faire de maîtrise d'oeuvre, les CAUE conseillent, forment et sensibilisent en matière d'architecture, d'urbanisme et d'environnement. Pascale Francisco, directrice du CAUE de Charente-Maritime, a ainsi indiqué qu'ils ont vocation à « défendre les particularités des territoires et la qualité du cadre de vie, sachant que chaque territoire représente un terroir avec des matériaux pris sur place ».

Leurs compositions en font des experts « de proximité » qui sensibilisent notamment les particuliers et les élus à la culture de l'architecture pour que les premiers conçoivent de manière appropriée leur demande d'autorisation et que les seconds prennent les décisions appropriées. Les CAUE dispensent des conseils à des tarifs préférentiels et fournissent une ingénierie technique et culturelle aux élus. À cette fin, ils s'appuient sur près de 1 200 collaborateurs pluridisciplinaires : architectes, urbanistes, paysagistes, professionnels de l'image (identité visuelle, webmaster), sociologues et historiens de l'art.

Chaque année, les CAUE fournissent environ 12 000 actions d'accompagnement aux collectivités territoriales et à leurs regroupements, et près de 80 000 conseils à des porteurs de projet, qu'ils soient candidats à la construction, bailleurs sociaux, entrepreneurs ou agriculteurs91(*). Véritables instances de dialogue, les CAUE peuvent dans ce cadre échanger avec les ABF, notamment en cas d'avis défavorable à une demande d'autorisation d'urbanisme.

Les auditions ont révélé que cette aide au diagnostic et à la décision était le plus souvent méconnue des porteurs de projets. De l'aveu de la directrice de la FNCAUE, l'étendue des compétences des CAUE est parfois difficile à appréhender tant ils interviennent dans l'ensemble des champs du cadre de vie et du développement territorial. En outre ils ne sont pas disponibles dans tous les départements. 10 d'entre eux n'en disposent pas, comme les Ardennes, l'Aube et la Marne, en Champagne-Ardenne.92(*) L'absence de CAUE constitue donc une véritable inégalité territoriale.93(*)

La mission d'information juge en conséquence essentiel de mieux faire connaitre l'importance des CAUE et d'en doter les départements encore dépourvus.

Recommandation n° 5 : Améliorer la connaissance du rôle des CAUE par les élus, et en constituer dans les départements qui n'en sont pas encore dotés.

b) Les commissions locales des SPR (CLSPR)

Dans le cas d'un SPR, la commission locale du SPR (CLSPR) peut constituer une aide pertinente pour les communes, notamment en cas de problème d'interprétation entre les services de l'État et ceux de la commune. L'instance est composée de représentants de l'État, de la mairie et de personnes qualifiées. Consultée à chaque étape de la vie du SPR, de sa création à ses modifications, elle en assure la mise en oeuvre. Composée de représentants de l'État, de la commune et de personnes qualifiées, l'ABF en est membre de droit94(*). Néanmoins, les commissions locales des SPR ne sont encore que trop peu sollicitées, notamment en raison de la « lourdeur »95(*) de leur procédure.

c) Des instructions uniformisées, jusqu'à quel point ?

Confrontés aux difficultés d'accès de l'ABF en amont des projets, certains se tournent naturellement vers les instructions, les guides et doctrines afin de tenter d'acquérir si ce n'est une certaine culture, à tout le moins, répondre aux questions concrètes et immédiates sur les contraintes architecturales et patrimoniales d'un projet. Ces documents portent généralement sur les rénovations énergétique et thermique, les fenêtres de toit ou sur l'aspect du parement extérieur de l'immeuble, etc.

Ces informations prennent la forme d'instructions ministérielles ou de guides d'associations ou d'instances patrimoniales. Elles ont été jugées, lors des auditions, comme étant très appréciées et devant se développer.

Conscient de l'intérêt d'une telle documentation, le ministère de la culture a notamment publié une instruction le 9 décembre 2022 relative à l'accélération de la production des énergies renouvelables, complétée par le guide de l'insertion architecturale et paysagère des panneaux solaires de 2023.

Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministère de la culture ont depuis engagé plusieurs nouvelles collaborations. Plusieurs travaux en cours ont ainsi été signalés à la mission d'information - certains d'entre eux étant en cours d'aboutissement à l'heure de la publication du présent rapport tandis que d'autres devraient être achevés dans les prochains mois :

- la rédaction d'un guide d'aide à la rédaction de recommandations de travaux pour le DPE et l'audit énergétique, avec l'appui technique et méthodologique du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ;

- la construction d'une banque de questions pour l'examen de compétences des diagnostiqueurs immobiliers et des auditeurs énergétiques, et, plus globalement, les actions contribuant au renforcement des compétences attendues des diagnostiqueurs immobiliers et des auditeurs énergétiques pour l'analyse du bâti ancien et/ou patrimonial ;

- la rédaction d'un guide conjoint de bonnes pratiques pour la réalisation de rénovations performantes du bâti ancien, à l'usage notamment des ABF, qui devra notamment traiter des questions relatives à l'isolation thermique et du confort d'été ;

- la cartographie du patrimoine bâti soumis à des mesures de protection, et, plus généralement, le patrimoine bâti présentant une valeur architecturale et patrimoniale, et la caractérisation du nombre de bâtiments et des logements concernés ;

- avec l'ANAH, l'adaptation du parcours d'accompagnement et des aides à la rénovation, avec notamment un focus actuel sur les copropriétés des centres anciens ;

- l'élaboration de propositions pour améliorer et mieux coordonner les dispositifs d'aides à la rénovation pour les bâtis anciens, patrimoniaux ou situés en secteurs protégés ;

- le soutien aux actions de capitalisation de la connaissance sur le bâti ancien (soutien au centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (CREBA), prévu dans le cadre de la programmation 2024 du Cerema).

De nombreuses instances telles que les UDAP, les CAUE, la CAPEB, Sites et Cités remarquables de France96(*) ou Petites cités de caractère97(*) ont également publié des guides ou fiches sur la préservation du bâti ancien en abordant la question des fenêtres, des matériaux, etc.

Si l'utilité de ces outils a été saluée unanimement lors des auditions, la question de leur généralisation au niveau national fait débat. Hormis la mise en oeuvre de normes nationales impératives, il apparaît que des recommandations nationales en matière de préservation du bâti ancien ou de la cohérence architecturale aux abords se heurteraient aux spécificités et problématiques propres à chaque territoire. En revanche, de tels guides à portée nationale peuvent être envisagés aux fins de diffuser des principes généraux de culture architecturale et de philosophie d'intervention.


* 72 Cf. Ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés.

* 73 Source : Direction générale des patrimoines et de l'architecture, Service des monuments historiques/DEPS, ministère de la culture, 2023.

* 74 Le résidu n'est pas renseigné dans les statistiques.

* 75 Cf. Circulaire du ministre de la culture et de la communication relative au contrôle scientifique et technique des services de l'État sur la conservation des monuments historiques classés ou inscrits du 1er décembre 2009 NOR : MCCB0928985C. p. 2.

* 76 Source : audition de Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA) et architecte-conseil de l'État auprès de la DRAC des Hauts-de-France.

* 77 Voir aussi : rapport de la Cour des comptes intitulé « La politique de l'État en faveur du patrimoine monumental » de juin 2022, (p.71) : « Du fait du poids de leurs missions règlementaires, les ABF s'avèrent insuffisamment disponibles pour être « sur le terrain » et dialoguer avec les élus. Aussi leur participation aux missions les plus qualitatives aux côtés des acteurs municipaux (requalification d'un centre ancien dégradé, mise en valeur d'un monument à l'étape du projet opérationnel ou dans les documents d'urbanisme, réflexion sur la création et le périmètre d'un nouvel SPR, etc.) suppose-t-elle de leur part un engagement personnel intense, qu'ils partagent avec les conservateurs et ingénieurs des CRMH ».

* 78 Voir à ce sujet le rapport d'information n° 765 (2021-2022) du 6 juillet 2022 de Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le patrimoine religieux en péril.

* 79 « Il existe une différence entre l'urbain et le rural en matière d'ingénierie. Dans nos communes, nous ne disposons pas de service à même de suivre l'évolution d'un immeuble ou de conseiller les pétitionnaires ». Source : audition devant la mission de Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des Maires ruraux de France (AMRF), dans le cadre de la table ronde des élus.

* 80 Source : audition devant la mission de Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des Maires ruraux de France (AMRF), dans le cadre de la table ronde des élus.

* 81 Source : réponse de direction générale des patrimoines de l'architecture du ministère de la culture, au questionnaire de la mission.

* 82 Le département de l'Eure avec 5 657 avis pour un unique ABF.

* 83 En l'espèce, les actes comptabilisés regroupent l'ensemble des avis sur les demandes d'autorisation au titre du code d'urbanisme tels que les avis sur les Monuments historiques classés, les enseignes, les certificats d'urbanisme, les permis de démolition, d'aménagement et de construire, les déclarations préalables et les consultations.

* 84 Territoire de Belfort.

* 85 Saône-et-Loire.

* 86 Territoire de Belfort.

* 87 Saône-et-Loire.

* 88 Toutes ces associations ont été entendues par la mission d'information.

* 89 Cf. Audition de Marjan Hessamfar, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes (CNOA) et architecte-conseil de l'État auprès de la DRAC des Hauts-de-France le 15 mai 2024.

* 90 Le dernier CAUE a été créé à Mayotte en 2022.

* 91 Source : audition devant la mission de Valérie Charollais, directrice de la FNCAUE.

* 92 https://www.lemoniteur.fr/article/la-champagne-ardenne-abandonnee-des-caue.2323452

* 93 « Il existe à cet égard une vraie inégalité de traitement entre les départements où le Conseil architecture urbanisme environnement (CAUE) est efficace et où les pétitionnaires peuvent aller recueillir des conseils en amont et d'autres départements qui en sont démunis où les pétitionnaires se voient proposer par leurs artisans des procédés que ne validera pas leur ABF. » Source : audition devant la mission du sénateur Albéric de Montgolfier, président de la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture (CNPA).

* 94 Cf. article D. 631-5 du code du patrimoine.

* 95 Source : audition devant la mission de Vincent Joineau, maire de Rions, pour l'Association des maires ruraux de France (AMRF), dans le cadre de la table ronde des élus.

* 96 Exemple : « Matériauthèque : Pays de Saint-Flour : centre de ressources à destination des pétitionnaires et des professionnels : architectes et artisans : collaboration Communauté de commune, CAPEB et Sites & Cités remarquables de France », https://saint-flour-communaute.fr/mon-logement/maison-habitat-patrimoine/.

* 97 Cf. la charte qualité restauration dans la Sarthe et la brochure « Restaurer le bâti ancien en Haute-Marne » accessible sur  https://www.petitescitesdecaractere.com/sites/default/files/user/122/uploads/brochure_restaurer_le_bati_ancien_en_hte_marne.pdf.

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