B. MIEUX RECONSTRUIRE APRÈS UNE INONDATION, UN IMPÉRATIF POUR SE PRÉPARER AUX FUTURS ÉVÈNEMENTS

1. Favoriser l'utilisation de la prime d'assurance pour mieux reconstruire après un sinistre

Au cours de la mission, les rapporteurs ont reçu plusieurs témoignages selon lesquels des personnes sinistrées ont été contraintes d'opérer des reconstructions à l'identique, alors même que le bien endommagé aurait pu être amélioré, non seulement au niveau de la prévention des risques naturels, mais également de l'efficacité énergétique.

En réalité, aucun principe général d'obligation de reconstruction à l'identique n'existe en droit. Au contraire, le principe est celui de la libre utilisation par l'assuré de la somme versée par l'assureur172(*). En revanche, la combinaison de plusieurs dispositions du code des assurances conduit, dans la pratique, à privilégier les reconstructions à l'identique.

La première est la règle énoncée à l'article L. 121-1 du code des assurances, selon laquelle l'indemnité versée par l'assureur doit être au plus égale à la valeur du bien au moment du sinistre : « L'assurance relative aux biens est un contrat d'indemnité ; l'indemnité due par l'assureur à l'assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre. » Ce principe indemnitaire vise à éviter l'enrichissement sans cause, et par-là l'aléa moral. Une indemnisation supérieure à la valeur du bien pourrait en effet conduire à des destructions volontaires.

Cependant, l'assuré demeure libre d'employer l'indemnité à la destination qu'il souhaite, sous réserve des exceptions prévues par la loi.

L'article L. 121-17 du code des assurances énonce l'une de ces exceptions, qui est : « les indemnités versées en réparation d'un dommage causé à un immeuble bâti doivent être utilisées pour la remise en état effective de cet immeuble ou pour la remise en état de son terrain d'assiette, d'une manière compatible avec l'environnement dudit immeubleToute clause contraire dans les contrats d'assurance est nulle d'ordre public. »173(*)

Le champ de ce que recoupe la « remise en état effective » de l'immeuble n'est pas détaillé dans le code des assurances, mais il a été précisé par la jurisprudence. La Cour de Cassation, dans un arrêt du 18 avril 2019174(*), indique que l'obligation d'affectation des indemnités d'assurance est limitée aux sommes nécessaires pour la réalisation des mesures de remises en état prescrites par arrêté communal. L'assuré n'est donc pas obligé de reconstruire à l'identique, et il peut user du reste de son indemnité comme il le souhaite.

Toutefois, la reconstruction à l'identique est malgré tout une option souvent privilégiée dans la pratique, notamment en raison du flou qui entoure les règles applicables. Des motifs financiers - l'impossibilité pour les personnes d'apporter des financements complémentaires en plus de l'indemnité d'assurance - expliquent également ce choix.

Dans le cas de bâtiments ayant subi des dommages importants, la reconstruction à l'identique peut également être la solution la plus simple juridiquement. En effet, l'article L. 111-15 du code l'urbanisme prévoit que la reconstruction à l'identique est un droit en cas de destruction, dans un délai de 10 ans175(*). Une reconstruction « non identique » est possible, mais dans ce cas la demande doit être instruite selon les règles d'urbanisme applicables. C'est l'une des raisons pour lesquelles, selon la DGPR : « De manière générale, les retours d'expérience mettent aussi en exergue la difficulté qu'il y a, dans le cadre législatif et réglementaire actuel, à mieux reconstruire après une catastrophe naturelle, c'est-à-dire à ne pas reconstruire à l'identique. »176(*)

Face à ce constat, une première possibilité serait de rendre obligatoire l'usage de l'indemnité d'assurance à la réalisation de travaux de prévention de risques. Cette recommandation fait cependant face à des difficultés sérieuses. Dans le cas où les travaux d'adaptation seraient supérieurs à la valeur du bien, l'indemnité d'assurance ne serait pas suffisante pour les financer. De plus, une restriction aussi forte au libre usage de l'indemnité pour les personnes sinistrées n'est pas souhaitable.

Il serait dès lors envisageable d'introduire une exception au principe selon lequel l'indemnité versée par l'assureur doit être au plus égale à la valeur du bien au moment du sinistre (article L. 121-1 du code des assurances) pour autoriser le versement d'une indemnité supérieure qui serait entièrement fléchée aux travaux d'adaptation. Cette solution serait particulièrement avantageuse aux sinistrés, mais elle se heurte également à des limites.

Premièrement, le contrôle de l'affectation de l'indemnité est délicat, et il serait nécessaire de définir une liste de travaux susceptibles de relever du champ indemnitaire. Surtout, elle ne règle pas le problème de l'aléa moral. Un financement sans condition des travaux d'adaptation par l'indemnité d'assurance pourrait conduire à des négligences au moment de l'achat ou dans la réalisation des travaux de prévention antérieurement au sinistre.

Une autre solution consisterait à encourager l'usage de l'indemnité d'assurance en conjonction avec des subventions publiques ou des avantages fiscaux, afin d'éviter de reconstruire à l'identique, mais au contraire de renforcer la résilience du bien. Des mécanismes de subvention à la suite d'un sinistre sont déjà en cours d'expérimentation via le dispositif « Mieux reconstruire après inondation », qui sera discuté infra.

L'information et l'accompagnement de la personne sinistrée jouent donc un rôle majeur. Rappeler aux personnes qu'ils n'ont pas l'obligation de reconstruire à l'identique est un préalable nécessaire mais pas suffisant. Il convient également de leur présenter les formes de reconstructions possibles. Il s'agit de l'un des objets de l'expérimentation MIRAPI, mais c'est également une tâche dont peuvent s'acquitter les experts. Ainsi la Fédération des sociétés d'expertise souligne que le rôle des experts en assurance pourrait être étendu au conseil en matière de reconstruction. Une telle initiative permettrait en effet de mieux articuler l'indemnisation dans le cadre de l'assurance, la prévention des risques et la reconstruction à la suite d'un sinistre.

Recommandation n° 19 : favoriser une utilisation des indemnités d'assurance pour une reconstruction de meilleure qualité après les inondations.

2. Expérimentation « Mieux reconstruire après inondations » : un dispositif à généraliser et pérenniser

La période postérieure aux inondations apparaît particulièrement propice pour renforcer la prévention des inondations futures. Ainsi, selon la DGPR, au 15 mai 2024, 37 opérations de prévention accélérées à la suite des inondations des derniers mois ont été financées dans le seul département du Pas-de-Calais par le fonds Barnier à hauteur de 11 millions d'euros.

Les collectivités territoriales font cependant face, durant cette période du lendemain de crise, à un double objectif qui peut s'apparenter à un dilemme : rétablir dans les meilleurs délais une situation aussi normale que possible tout en tirant les enseignements nécessaires de la catastrophe de manière à réduire les conséquences des inondations futures. Les retours d'expérience mettent ainsi en exergue la difficulté à mieux reconstruire après une catastrophe naturelle, c'est-à-dire à ne pas reconstruire à l'identique.

À titre d'exemple, une personne sinistrée du Pas-de-Calais a alerté les rapporteurs sur les modalités de reconstruction de son compteur d'électricité : endommagé durant les inondations de novembre 2023, le compteur a ensuite été reconstruit à l'identique, c'est-à-dire à la même hauteur, malgré une demande de relèvement de la personne sinistrée. Logiquement, le compteur a de nouveau été rendu hors d'usage par les inondations de janvier 2024.

Conçue à la suite des crues causées par la tempête Alex de 2010, l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation » (Mirapi) a été créée par l'article 224 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021. Elle vise à éviter ces situations en incitant les propriétaires sinistrés à mettre à profit le temps des travaux de réparation après une inondation pour réduire aussi la vulnérabilité de leur habitation.

En complément des indemnités d'assurance, l'expérimentation apporte ainsi un soutien financier, via le fonds Barnier, pour financer des travaux de réduction de la vulnérabilité en les mutualisant avec les travaux de remise en état. Concrètement, des diagnostics de vulnérabilité sont effectués dans les habitations sinistrées, à la suite desquels les travaux de réduction de la vulnérabilité sont cofinancés par l'État, à hauteur de 80 % du montant des travaux, déduction faite des indemnités d'assurance, dans une limite de 36000 euros par bien. Ce dispositif permet également de financer des travaux de réduction de vulnérabilité non éligibles aux dispositifs de droit commun177(*).

L'expérimentation, pilotée par la DGPR, a été déployée dans les Alpes-Maritimes en 2021, à la suite de la tempête Alex et dans les Landes, à la suite de crues lentes répétées dans le bassin de l'Adour en 2020 et en 2021.

Initialement prévue pour trois ans, l'expérimentation a été prolongée pour 2 ans supplémentaires par l'article 228 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, jusqu'au 26 septembre 2026.

À la suite de ces expérimentations, un bilan à mi-parcours a été effectué par le Gouvernement en mars 2024178(*), qui a mis en lumière les limites du dispositif : seuls 3 biens sinistrés dans les Alpes-Maritimes et 146 biens sinistrés dans les Landes ont bénéficié de l'expérimentation, en raison d'un reste à charge élevé (soutien financier insuffisant) et d'une avance de l'État trop faible.

Un arrêté du 31 janvier 2024179(*) applique le dispositif expérimental aux communes des départements du Nord et du Pas-de-Calais touchées par les inondations. Pour tenir compte du profil socioéconomique du territoire et des retours d'expériences de l'inondation, le taux de financement des travaux de réduction de vulnérabilité a été porté à 90 % pour les ménages modestes avec une avance de 60 % du montant de la subvention. Par ailleurs, un financement spécifique et différencié a également été prévu pour les dispositifs individuels de protection contre les inondations (batardeaux, clapets de non-refoulement).

Une extension du dispositif à d'autres départements concernés par les inondations de 2023 et 2024 pourrait être envisagée. En particulier, l'expérimentation pourrait opportunément être étendue à des communes de montagne, confrontées à des profils d'inondations différents du Nord et du Pas-de-Calais, alors que le bilan de mi-parcours témoigne de difficultés à adapter l'expérimentation aux habitations touchées par des phénomènes de crues torrentielles. En effet, les dégâts causés par les crues torrentielles nécessitent des expertises spécifiques, allant au-delà d'un diagnostic de vulnérabilité standard.

Recommandation n° 20 : Tirer avantage des travaux de remise en état des habitations sinistrées pour réduire la vulnérabilité du bâti, à travers :

- l'extension de l'expérimentation « Mirapi » à des communes de montagne en état de catastrophe naturelle du fait d'inondations en 2023 et au début de l'année 2024 ;

- la remise au Parlement d'un second rapport d'évaluation de l'expérimentation, après son application aux dernières inondations, qui apprécierait notamment l'effet de la hausse du taux de cofinancement des travaux de réduction de vulnérabilité ;

- la pérennisation et la généralisation du dispositif, au terme de l'expérimentation en 2026.


* 172 C. Cass, Civ. 1ère, 16 juin 1982, n° 81-13.080.

* 173 L'article mentionne lui-même une exception : une clause indiquant qu'il est impossible de verser une indemnité pour reconstruire un immeuble bâti sur place est réputée non écrite dès lors que l'espace est soumis à un plan de prévention des risques naturels prévisibles (article L. 121-16 du code des assurances).

* 174 C. Cass, Civ. 2e, 18 avril 2019, n° 18-13.371.

* 175 Ce droit n'est pas absolu. Il ne s'applique pas lorsque « la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement. » (Article L. 111-15 du code de l'urbanisme).

* 176 Source : réponses de la direction générale de la prévention des risques au questionnaire écrit des rapporteurs.

* 177 Seuls les travaux imposés par un PPRI ou préconisés par un diagnostic de vulnérabilité réalisé dans le cadre d'un PAPI sont normalement éligibles au financement par le fonds Barnier.

* 178 Rapport au Parlement évaluant à mi-parcours la mise en oeuvre de l'expérimentation Mieux reconstruire après inondation (Mirapi).

* 179 Arrêté du 31 janvier 2024 fixant les modalités de l'expérimentation « Mieux reconstruire après inondation » créée par l'article 224 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais.

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