B. EN DÉPIT D'UNE MISSION TRÈS ÉTENDUE EN THÉORIE, L'ACTION DU HCP EST SIGNIFICATIVEMENT LIMITÉE PAR LA MULTIPLICITÉ DES ORGANES ADMINISTRATIFS EXISTANTS AINSI QUE PAR LA DÉCONNEXION ENTRE LA RÉFLEXION STRATÉGIQUE ET LE LEVIER FINANCIER

1. Une mission très large, mais concurrencée voire contournée par une multiplicité d'organes de planification et de réflexion prospective

Aux termes du décret du 1er septembre 2020, le HCP est chargé d'une mission très étendue, consistant à « animer et coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État ».

Compétence du HCP aux termes de l'article 1er du décret du 1er septembre 2020

« Il est institué un haut-commissaire au plan, chargé d'animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État et d'éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels. »

Source : Décret n° 2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un Haut-commissaire au Plan

Fort de cette compétence en théorie très vaste, le Haut-commissaire a évoqué pour son programme d'action, présenté dans son discours au Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 22 septembre 202015(*), trois grandes thématiques ou « horizons » stratégiques, qui recouvrent de fait l'ensemble des politiques publiques :

le premier horizon réunit les questions touchant à « la vitalité » de la France au sens large : le rapport avec le vivant, l'environnement, la préservation ou le rétablissement de l'équilibre climatique, la planète ; la dynamique propre de la population française ; l'économie, la recherche, l'innovation, la « place des créateurs d'entreprise et des développeurs d'entreprise » ; les questions d'identité ; la vitalité de la démocratie et de l'action publique ; les outre-mer ;

le deuxième horizon est celui de « l'indépendance » : les productions vitales ; la question agricole ; la dette publique ; l'alerte face aux grands risques ;

le troisième horizon correspond au « projet de société fondé sur la justice », avec la question des inégalités : l'éducation ; la santé ; les questions de la dépendance et de l'accompagnement des personnes âgées ; l'aménagement du territoire ; la politique d'aide au développement ; la justice.

Pourtant, en dépit de la formulation du décret qui confère au HCP un rôle central dans le domaine de la planification et de la réflexion prospective publique, cette mission est largement partagée avec d'autres organes administratifs, au risque d'un éclatement des compétences et des moyens.

Ainsi, le HCP se voit concurrencé par d'autres institutions, dont plusieurs préexistaient largement à la création de celui-ci, aux statuts très divers, notamment :

le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, ou « France Stratégie », mis en place sous sa forme actuelle en avril 201316(*) et lointain successeur historique du Commissariat général au Plan ;

le Conseil d'analyse économique (CAE), institué en juillet 199717(*) et placé auprès du Premier ministre ;

le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), créé en juillet 202218(*) ;

le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), introduit en janvier 201019(*) pour assumer la responsabilité des programmes d'investissements d'avenir (PIA) et, depuis 2021, celle du plan France 2030.

En outre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, pour le Parlement, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et la Délégation sénatoriale à la prospective produisent également des analyses dans des champs de compétences proches.

Dans certains cas, la concurrence peut même se muer en contournement pur et simple : ainsi, le choix d'avoir confié, postérieurement à la création du HCP, une compétence en matière de planification énergétique et environnementale au SGPE, interroge sur une forme de dépossession du HCP d'une partie de ses missions.

2. Une action restreinte par l'absence de pouvoirs propres et de levier financier : le rendez-vous manqué avec le plan France 2030

Plus fondamentalement, et comme le relève le Conseil d'État dans son étude annuelle consacrée à la souveraineté, le Haut-commissariat au Plan n'exerce pas en réalité de fonction de planification et de pilotage opérationnel20(*).

Ainsi, à la différence du Commissariat général au Plan institué en 1946 par le Gouvernement du Général de Gaulle et qui se veut le modèle historique du HCP, celui-ci ne dispose d'aucun levier financier.

Or, comme le notait en 2020 l'économiste Jean Pisani-Ferry, ancien commissaire général de France Stratégie, « si c'est pour faire de la prospective, il n'est pas nécessaire de créer une nouvelle institution. En revanche, ce qui n'existe plus, c'est un organisme qui combine prospective et concertation avec un outil de programmation publique et un outil financier, comme le faisait le Plan » avec les fonds du plan Marshall21(*).

Ainsi, le HCP n'a pas été associé de manière étroite à l'élaboration du plan France 2030, annoncé en octobre 2021 par le Président de la République et doté de 54 milliards d'euros (30 milliards d'euros initialement), dont la mise en oeuvre et le suivi ont été confiés au SGPI.

Alors que le HCP avait défendu en février 2021 un « plan Marshall » de l'ordre de 200 milliards d'euros (4 % du PIB) pour prendre la suite du plan de relance post-crise sanitaire22(*), cette proposition n'a pas été transcrite dans le montant finalement retenu par l'Élysée, en raison selon la presse de l'opposition des services du ministère de l'économie et des finances23(*).

Or, comme France Stratégie le relevait en 2020 à propos du programme des investissements d'avenir (PIA), précurseur du plan France 2030, « par sa dimension transversale, ses priorités stratégiques et son pilotage par un commissaire placé auprès du Premier ministre, ce « grand plan d'investissement » est sans doute ce qui de nos jours se rapproche le plus de la logique de l'ancien « Plan » »24(*).

Objectifs et leviers du plan France 2030, groupés par thèmes

(en milliards d'euros)

Note 1 : les périmètres bleus et rouges correspondent respectivement aux objectifs et leviers.

Note 2 : les montants étant des fléchages indicatifs de crédits, la somme des montants excède 54 milliards d'euros.

Source : Comité de surveillance des investissements d'avenir, à partir de données du SGPI

De même, le HCP n'est pas représenté au comité de surveillance des investissements d'avenir, en charge de l'évaluation du plan France 2030, dont le premier rapport a été publié en juin 202325(*). Plus étonnant encore, le HCP n'a pas été auditionné par ce comité, en dépit du grand nombre d'auditions conduites par celui-ci (lequel a, à l'inverse, rencontré France Stratégie et le SGPE).

Sur une évaluation de plus de 260 pages, les travaux du HCP sont cités à seulement deux reprises, à propos de la note sur le commerce extérieur26(*).

De surcroît, le rapport du comité de surveillance souligne un « flou sur les caps stratégiques dans plusieurs champs d'action publique, rendant difficile d'identifier précisément la contribution et la place des investissements portés par France 2030 », notamment en matière numérique, industrielle, d'innovation en santé ou encore agricole, alors même que le HCP a publié plusieurs notes sur ces sujets (qui ne sont tout simplement pas mentionnées).

Pour la suite du déploiement du plan France 2030, le comité de surveillance recommande de confier au SGPI (et non au HCP, dont la mission initiale devait pourtant consister, aux termes du décret du 1er septembre 2020, à « animer et coordonner les travaux de planification ») une mission de connaissance et d'anticipation au service des investissements stratégiques, en lien avec les ministères, afin de redéfinir les objectifs visés par le plan et les moyens alloués. Dans le cadre de cette recommandation, le HCP aurait uniquement vocation à intervenir en soutien du SGPI, aux côtés du SGPE et de France Stratégie27(*).

Interrogé par le rapporteur spécial, le SGPI a confirmé qu'aucun échange n'avait eu lieu entre ses services et le HCP, aussi bien pour l'élaboration du plan France 2030 que pour son suivi et son évaluation28(*). Seule une rencontre est intervenue en 2023 pour identifier d'éventuelles convergences dans les feuilles de route respectives des deux structures, sans aboutir à date à un travail commun.

Comme Jean Pisani-Ferry le relevait dès 202129(*), le Haut-commissaire « ne cherche pas à faire du Plan le chef d'orchestre ou l'architecte des politiques publiques [par la mobilisation d'instruments financiers, réglementaires, budgétaires ou fiscaux] mais (...) il se voit davantage dans une fonction de vigie, d'alerte, de mise en débat », reposant sur une forme de « soft power », à travers sa capacité de conviction politique.

Afin de remédier à ce que l'on peut qualifier de « rendez-vous manqué » entre le Haut-commissariat et le plan France 2030, le rapporteur spécial recommande de développer activement une coopération étroite entre, d'une part, les instances chargées de réflexion prospective et de planification au sens large, en premier lieu le HCP, et, d'autre part, le Secrétariat général pour l'investissement, responsable du pilotage des investissements publics stratégiques.

Recommandation n° 1 : Rapprocher la réflexion prospective et le pilotage des investissements publics stratégiques (HCP, France Stratégie, SGPE, SGPI).

Dans ce cadre, et pour reprendre une proposition formulée par le SGPI dans sa contribution écrite en réponse aux questions du rapporteur, il pourrait être opportun de confier au HCP, en lien avec France Stratégie, la mission de concevoir un outil de cartographie des tendances technologiques mondiales permettant d'identifier le positionnement de la recherche française par rapport à la frontière technologique. En effet, un tel outil serait particulièrement pertinent pour orienter les choix d'investissements du plan France 2030.

Recommandation n° 2 : Concevoir un outil de cartographie dynamique des tendances technologiques mondiales et du positionnement de la recherche française par rapport à la frontière technologique (HCP, France Stratégie, SGPI).


* 15 Présentation par M. François Bayrou de la méthode et de l'agenda de travail du Haut-Commissariat au Plan, Conseil économique, social et environnemental, 22 septembre 2020.

* 16 Décret n° 2013-333 du 22 avril 2013 portant création du Commissariat général à la stratégie et à la prospective.

* 17 Décret n° 97-766 du 22 juillet 1997 portant création du Conseil d'analyse économique.

* 18 Décret n° 2022-990 du 7 juillet 2022 relatif au secrétariat général à la planification écologique.

* 19 Décret n° 2010-80 du 22 janvier 2010 relatif au secrétariat général pour l'investissement.

* 20 Conseil d'État, Étude annuelle 2024, « La souveraineté », septembre 2024. Le Conseil d'État recommande ainsi de mettre en place un « Commissariat général du plan », qui serait placé auprès du Premier ministre et réunirait l'ensemble des compétences de prospective de l'État et associer les parties prenantes (syndicats, élus, universités, etc.), « afin de garantir la diffusion, la continuité et le suivi des orientations stratégiques retenues pour conforter les conditions d'exercice de la souveraineté » [nous soulignons].

* 21 Les Échos, 9 juillet 2020.

* 22 Haut-commissariat au plan, note stratégique n° 3, « Face à la dette Covid, une stratégie de reconquête », 24 février 2021.

* 23 Le Monde, 27 janvier 2022.

* 24 France Stratégie, « La planification : idée d'hier ou piste pour demain ? », point de vue, juin 2020 : la note relève cependant, concernant le PIA, que « du fait même qu'il est inscrit à la marge du reste de l'action publique, dans un lien souvent distendu avec les ministères, on ne peut lui reconnaître le rôle systémique, porteur d'un projet de société, que revêtaient les lois de plan. De plus, les modalités de pilotage de ses appels à projets ne ressemblent pas à l'approche concertée qui était celle du plan ». La remarque vaut également pour France 2030.

* 25 Comité de surveillance des investissements d'avenir, Première évaluation in itinere, France 2030. Lancement maîtrisé d'un plan d'investissements à impacts majeurs.

* 26 Haut-commissariat au Plan, note stratégique n° 14, « La bataille du commerce extérieur : données 2022 », mai 2023.

* 27 À noter qu'en 2019, soit avant la création du HCP, le comité de surveillance des investissements d'avenir (alors en charge du suivi des programmes d'investissements d'avenir, dont le plan France 2030 a pris la suite) avait suggéré que le SGPI puisse à la fois conduire l'animation et la coordination de la veille stratégique et de la prospective de l'État et être chargé de l'élaboration de stratégies nationales d'innovation et de compétitivité en étroite collaboration avec les administrations, les opérateurs et les acteurs privés ou publics (Comités stratégiques de filière, organisations syndicales, monde académique, think-tanks).

* 28 Contribution écrite du Secrétariat général pour l'investissement.

* 29 Jean PISANI-FERRY, « L'État a perdu la capacité à prendre des risques », L'Économie politique 2021/1 (N° 89), janvier 2021.

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