LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Rapprocher la réflexion prospective et le pilotage des investissements publics stratégiques (HCP, France Stratégie, SGPE, SGPI).

Recommandation n° 2 : Concevoir un outil de cartographie dynamique des tendances technologiques mondiales et du positionnement de la recherche française par rapport à la frontière technologique (HCP, France Stratégie, SGPI).

Recommandation n° 3 : Pour tirer les conséquences du transfert des emplois du CNR à la direction interministérielle de la transformation publique, ajuster à la baisse le plafond d'emplois et la dotation budgétaire relative aux dépenses de fonctionnement du HCP (direction du budget, DSAF).

Recommandation n° 4 : Rationaliser et clarifier la répartition des compétences entre les instances rattachées au Premier ministre dans les domaines de la prospective et de la planification, en confiant expressément la responsabilité de la réflexion prospective au HCP, celle de la planification des ressources physiques et financières au SGPE et celle de l'évaluation à France Stratégie. Renommer le HCP en Haut-commissariat à la Prospective (HCP, SGPE, France Stratégie, Gouvernement).

Recommandation n° 5 : Inscrire systématiquement les travaux du HCP dans un horizon de réflexion minimal de 30 ans et s'inspirer, pour l'élaboration des scénarios prospectifs, du modèle de l'initiative « Red Team » conçue par l'Agence de l'Innovation de Défense (HCP).

Recommandation n° 6 : Structurer davantage la programmation des travaux du HCP en soumettant les décisions du Haut-commissaire à l'avis consultatif préalable d'un collège restreint, réuni annuellement, composé de personnalités qualifiées dans les domaines scientifique, technologique, économique, sociologique et géopolitique (HCP, Gouvernement).

Recommandation n° 7 : Fixer à six ans, renouvelables, la durée du mandat de Haut-commissaire et prévoir son inamovibilité (Gouvernement).

Recommandation n° 8 : Prévoir la remise au Parlement d'un rapport annuel d'activité du HCP (Gouvernement).

Recommandation n° 9 : Rationaliser les implantations immobilières du HCP, du SGPE et de France Stratégie (DSAF).

I. ALORS QUE LES CRISES RÉCENTES ONT MIS EN AVANT LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LA RÉFLEXION PROSPECTIVE ET LA PLANIFICATION, L'ACTION DU HCP EST LIMITÉE PAR L'ÉCLATEMENT DES COMPÉTENCES ET LA DÉCONNEXION AVEC LE LEVIER FINANCIER

A. LA CRÉATION DU HCP EN SEPTEMBRE 2020, APRÈS LE PREMIER PIC DE LA CRISE SANITAIRE, VISAIT À DOTER LES POUVOIRS PUBLICS D'UNE CAPACITÉ DE RÉFLEXION DE LONG TERME AFIN D'ÉCLAIRER LEURS DÉCISIONS LES PLUS STRUCTURANTES

1. La crise liée à l'épidémie de Covid-19 a révélé l'ampleur des risques et des défis actuels pour le modèle économique et social français

Après le choc de la première vague de l'épidémie de Covid-19 et l'activation de l'état d'urgence sanitaire en mars 20201(*), à travers un confinement imposé sur l'ensemble du territoire national2(*), l'idée de renouer avec une démarche de réflexion et de planification sur le long terme est apparue nécessaire au sommet de l'État.

En effet, la crise sanitaire a mis en évidence des vulnérabilités majeures pour l'économie et plus généralement pour la société française3(*), notamment :

- des difficultés structurelles dans l'offre de soins, qui a manqué d'être submergée par la vague pandémique, ainsi que dans le secteur médico-social ;

- une forte dépendance aux importations en matière de médicaments et produits de santé critiques, résultant du mouvement de désindustrialisation et de délocalisation des décennies précédentes ;

l'absence de constitution de stocks suffisants pour certains produits essentiels4(*), à l'image des masques de protection5(*) ;

- une perte de compétitivité en termes de recherche et d'innovation, dans le domaine de la santé, ce qui s'est en particulier traduit par l'incapacité des acteurs pharmaceutiques français à développer un vaccin à ARN messager contre le Covid-19 dans des délais suffisamment rapides6(*).

Cet ensemble de vulnérabilités a ainsi contraint le gouvernement à adopter, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, des mesures de restriction sanitaires particulièrement drastiques et dérogatoires au regard des droits et libertés publiques : liberté d'aller et venir, liberté de réunion, liberté de culte ou encore liberté d'entreprendre, nombreuses ont été les libertés qui ont été affectées par les restrictions de police sanitaire.

De fait, la période récente a été marquée par deux périodes d'état d'urgence : l'état d'urgence sanitaire a en effet fait suite à un premier état d'urgence sécuritaire, activé entre novembre 2015 et novembre 2017, en réaction à la menace terroriste.

Cette succession d'états d'exception, face à des menaces présentant un caractère structurel et non simplement conjoncturel (le risque pandémique d'une part, le risque terroriste d'autre part), a ainsi posé avec acuité la question des capacités d'anticipation des pouvoirs publics.

Comme le notait le vice-président du Conseil d'État, Bruno Lasserre, « un État qui protège est un État qui doit se donner les moyens d'anticiper et d'agir de manière conséquente même lorsque les menaces ne sont pas immédiates »7(*).

C'est ainsi que la nécessité d'une vision à long terme de la gestion des risques a rapidement été affirmée au sommet de l'État. Le terme de « planification » est ainsi employé par le Président de la République, Emmanuel Macron, dans son allocution du 13 avril 2020, appelant à l'élaboration d'une « stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir »8(*).

Cette volonté présidentielle donne lieu, quelques mois plus tard, à l'institution d'un Haut-commissaire au Plan (HCP), par le décret du 1er septembre 20209(*), et à la nomination de François Bayrou, par le décret du 3 septembre 202010(*).

2. La création du HCP s'inscrit dans l'optique de renouer avec la démarche du Commissariat général au Plan institué au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte politique et économique cependant très différent

Dans la lettre de mission qu'il adresse à François Bayrou, le 21 septembre 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, affirme que « la prise en compte du long terme est pour notre temps une impérieuse obligation »11(*), allusion à la fameuse formule du Général de Gaulle qui avait qualifié la planification d'« ardente obligation » en 1961.

De fait, la référence à la démarche du Commissariat général au Plan, créé en 1946 par le Général de Gaulle avec à sa tête Jean Monnet, remplacé en 2006 par le Conseil d'analyse stratégique (devenu depuis France Stratégie)12(*), est clairement assumée.

Caractéristiques de la démarche du Commissariat général au Plan (CGP)

La démarche planificatrice, telle que mise en oeuvre par les premiers plans du CGP, se distinguait par la conjonction dans un seul et même exercice des dimensions suivantes :

- la projection dans un horizon temporel d'une demi-douzaine d'années ;

- l'adoption d'une vision globale touchant à la totalité de l'action publique et à l'ensemble des enjeux sociaux, visant à la prise en compte de diverses externalités ;

- l'organisation d'une large concertation d'experts et de parties prenantes dans une perspective d'intérêt général ;

le déploiement de ressources publiques importantes et coordonnées, autour de priorités définies ;

- la coordination étroite, dans sa mise en oeuvre, de nombreux acteurs publics et privés.

Source : commission des finances du Sénat, d'après France Stratégie, « La planification : idée d'hier ou piste pour demain ? », point de vue, juin 2020

Certes, la lettre de mission relève que « la planification au sens chiffré, impératif, fixant des objectifs domaine par domaine de la production nationale, qui était la règle lorsque le Commissariat général au Plan a été créé après la Libération de notre pays, n'est plus adaptée à notre temps ».

En effet, si les objectifs en matière d'équipement et de modernisation de la production nationale fixés par les trois premiers plans (1947-1953, 1954-1957, 1957-1961) ont, dans l'ensemble, été atteints voire dépassés, la portée des plans suivants, couvrant un domaine plus large et intervenant dans une période où leur exécution dépend davantage de la situation internationale, est progressivement devenue plus « indicative »13(*).

Comme le relèvent les économistes Sandra Moatti et Xavier Timbeau, « le plan quinquennal, comme vision globale du développement économique et social, a disparu dans les années 1990, rendu inopérant par la libéralisation et l'ouverture économique, la construction européenne, la décentralisation (...) L'État n'a pas perdu pour autant toute ambition de se projeter à moyen terme, mais celle-ci s'est diffractée en une multitude de démarches sectorielles, comme les lois de programmation ou quelques grands programmes ».14(*)

Cependant, les termes mêmes de la mission confiée au Haut-commissaire au Plan, s'inscrivent bien dans un objectif d'orientation prospective des politiques publiques, analogue à celui poursuivi par le Commissariat général au Plan.

Selon la lettre de mission, le Haut-commissaire est ainsi chargé d'« éclairer les choix collectifs que la Nation aura à prendre pour maintenir ou reconstruire sa souveraineté et une autonomie européenne face à l'impact des évolutions démographiques, à la grande transition écologique et aux bouleversements du numérique et de la recomposition des chaînes de valeur mondiales ».


* 1 LOI n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

* 2 Confinement mis en oeuvre dans un premier temps, par décret, au regard des circonstances exceptionnelles et de l'urgence : décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19.

* 3 Voir, pour une analyse détaillée, le rapport d'information n° 199 (2020-2021) de Mme Catherine DEROCHE, M. Bernard JOMIER et Mme Sylvie VERMEILLET, au nom de la commission d'enquête du Sénat pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion, décembre 2020.

* 4 Voir pour une première alerte, antérieure à la crise sanitaire, le rapport d'information n° 737 (2017 2018) de M. Jean-Pierre DECOOL au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, septembre 2018 ; voir également le rapport d'information n° 625 (2014-2015) de M. Francis DELATTRE, au nom de la commission des finances du Sénat sur l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), juillet 2015, qui notait déjà une forte diminution depuis 2010 des stocks nationaux de produits de santé nécessaires pour répondre aux situations sanitaires exceptionnelles (dits « stocks stratégiques ») et qui recommandait, tout en poursuivant le développement de la réservation de capacités de production et d'acquisition de produits de santé auprès de laboratoires, de maintenir des stocks physiques pour les produits stables.

* 5 Pour reprendre les termes du rapport de la commission d'enquête du Sénat précitée, « la pénurie de masques restera le triste symbole de l'état d'impréparation du pays et du manque d'anticipation des autorités sanitaires face à la crise ».

* 6 Le Monde, 28 septembre 2021.

* 7 Bruno Lasserre, « Les états d'urgence : pour quoi faire ? », conférence inaugurale du cycle de conférences de l'étude annuelle pour 2021 du Conseil d'État sur les états d'urgence, octobre 2020.

* 8 Emmanuel Macron, Adresse aux Français, 13 avril 2020.

* 9 Décret n° 2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un haut-commissaire au plan.

* 10 Décret du 3 septembre 2020 portant nomination du Haut-commissaire au Plan.

* 11 Lettre de mission du haut-commissaire au plan, 21 septembre 2020.

* 12 Voir, pour une synthèse historique sur le Commissariat général au Plan, la note de France Stratégie, « La planification : idée d'hier ou piste pour demain ? », point de vue, juin 2020.

* 13 Rapport au Premier ministre du député Jean de Gaulle, « L'avenir du Plan et la place de la planification dans la société française » (1994), qui observe qu'à partir des années 1960, la planification « fixe des objectifs dont la satisfaction ne dépend plus uniquement de l'État » et que « d'un plan à l'autre, la fiabilité des prévisions est inégale et va se dégradant ».

* 14 Sandra MOATTI, Xavier TIMBEAU, « Réinventer le plan », L'Économie politique 2021/1 (N° 89), janvier 2021 ; voir également, dans la même revue, pour une étude historique, Michel MARGAIRAZ, « Le Commissariat général du Plan : une méthode en contexte ».

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