N° 764

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 septembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le Haut-commissariat au Plan,

Par M. Christopher SZCZUREK,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

I. ALORS QUE LES CRISES RÉCENTES ONT MIS EN AVANT LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LA RÉFLEXION PROSPECTIVE ET LA PLANIFICATION, L'ACTION DU HCP EST LIMITÉE PAR L'ÉCLATEMENT DES COMPÉTENCES ET LA DÉCONNEXION AVEC LE LEVIER FINANCIER

A. LA CRÉATION DU HCP EN SEPTEMBRE 2020, APRÈS LE PREMIER PIC DE LA CRISE SANITAIRE, VISAIT À DOTER LES POUVOIRS PUBLICS D'UNE CAPACITÉ DE RÉFLEXION DE LONG TERME AFIN D'ÉCLAIRER LEURS DÉCISIONS LES PLUS STRUCTURANTES

Après le choc de la première vague de l'épidémie de Covid-19 et l'activation de l'état d'urgence sanitaire en mars 2020, l'idée de renouer avec une démarche de réflexion et de planification sur le long terme est apparue nécessaire au sommet de l'État.

En effet, la crise sanitaire a mis en évidence des vulnérabilités majeures : difficultés structurelles dans l'offre de soins ainsi que dans le secteur médico-social ; forte dépendance aux importations en matière de médicaments et produits de santé critiques ; absence de constitution de stocks suffisants pour certains produits essentiels ; perte de compétitivité en termes de recherche et d'innovation dans le domaine de la santé.

Dans ce contexte, la nécessité d'une vision à long terme de la gestion des risques a rapidement été affirmée par l'exécutif, le terme de « planification » étant employé par le Président de la République dans son allocution du 13 avril 2020.

Cette volonté présidentielle donne lieu, quelques mois plus tard, à l'institution d'un Haut-commissaire au Plan (HCP), par le décret du 1er septembre 2020, et à la nomination de François Bayrou, par le décret du 3 septembre 2020. La dénomination de cette nouvelle instance et les termes mêmes de sa mission font expressément référence à la démarche du Commissariat général au Plan (CGP), créé en 1946 par le Général de Gaulle avec à sa tête Jean Monnet, remplacé en 2006 par le Conseil d'analyse stratégique (devenu depuis France Stratégie).

B. EN DÉPIT D'UNE MISSION TRÈS ÉTENDUE EN THÉORIE, L'ACTION DU HCP EST SIGNIFICATIVEMENT LIMITÉE PAR LA MULTIPLICITÉ DES ORGANES ADMINISTRATIFS EXISTANTS AINSI QUE PAR LA DÉCONNEXION ENTRE LA RÉFLEXION STRATÉGIQUE ET LE LEVIER FINANCIER

En vertu de son décret institutif, le HCP est chargé d'une mission très étendue, consistant à « animer et coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l'État » et à « éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ».

Pourtant, en dépit de cette formulation qui confère au HCP un rôle central dans le domaine de la planification et de la réflexion prospective publique, cette mission est largement partagée avec d'autres organes administratifs, au risque d'un éclatement des compétences et des moyens.

Ainsi, le HCP se voit concurrencé par d'autres institutions, dont plusieurs préexistaient largement à la création de celui-ci, aux statuts très divers, notamment :

le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, ou « France Stratégie », mis en place sous sa forme actuelle en 2013 et lointain successeur historique du Commissariat général au Plan ;

le Conseil d'analyse économique (CAE), institué en 1997 ;

le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), créé en 2022 ;

le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI), introduit en 2010 pour assumer la responsabilité des programmes d'investissements d'avenir (PIA) et, depuis 2021, celle du plan France 2030.

En outre, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et, pour le Parlement, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et la Délégation sénatoriale à la prospective produisent également des analyses dans des champs de compétences proches.

Dans certains cas, la concurrence peut même se muer en contournement pur et simple : ainsi, le choix d'avoir confié, postérieurement à la création du HCP, une compétence en matière de planification énergétique et environnementale au SGPE, interroge sur une forme de dépossession du HCP d'une partie de ses missions.

Plus fondamentalement, le Haut-commissariat n'exerce pas en réalité de fonction de planification et de pilotage opérationnel. Ainsi, à la différence du Commissariat général au Plan, le HCP ne dispose d'aucun levier financier. Le HCP n'a été associé ni à l'élaboration, ni à l'évaluation du plan France 2030 de 54 milliards d'euros, dont la mise en oeuvre et le suivi ont été confiés au SGPI.

II. SI LA GESTION ADMINISTRATIVE ET FINANCIÈRE DU HCP NE PRÉSENTE PAS DE DIFFICULTÉ PARTICULIÈRE, SON ORGANISATION ET SON STATUT ATYPIQUES N'OFFRENT PAS LES MEILLEURES GARANTIES POUR L'ACCOMPLISSEMENT DE SES MISSIONS

A. LES MOYENS BUDGÉTAIRES ET HUMAINS DU HCP, TRÈS RÉDUITS, ONT CONNU UNE AUGMENTATION NOTABLE LIÉE AU SECRÉTARIAT GÉNÉRAL DU CONSEIL NATIONAL DE LA REFONDATION (CNR)

La gestion de la dotation budgétaire et des ressources humaines du HCP est assurée par la direction des services administratifs et financiers du Premier ministre (DSAF) et s'inscrit dans un cadre commun aux autres organes interministériels, au sein du programme budgétaire « Coordination du travail gouvernemental » (programme 129 de la mission « Direction de l'action du Gouvernement).

Avec un budget de 1,9 million d'euros en 2023 et en 2024, pour 14 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2023, le HCP dispose de ressources modestes par rapport aux autres organismes intervenant dans le domaine de la prospective et de la planification au sens large, qui s'expliquent par son rôle d'animation et de coordination. À titre de comparaison, France Stratégie comptait 135 ETP à fin 2023 et bénéficiait d'une dotation budgétaire de 23,1 millions d'euros pour 2024.

Il convient de noter que le Haut-Commissaire au Plan a choisi d'exercer ses fonctions à titre bénévole et a souhaité que cela soit mentionné dans son décret de nomination. Il ne perçoit aucune rémunération ou indemnité es qualité.

Dotation budgétaire du HCP depuis sa création

(en euros)

 

2020

2021

2022

2023

2024

 

Prévision

Exécution

Prévision

Exécution

Prévision

Exécution

Prévision

Exécution

Prévision

Dépenses de fonctionnement

82 350

77 208

226 000

99 359

226 000

164 152

500 000

220 296

511 500

Dépenses de personnel

 

171 051

 

1 191 054

 

1 247 549

 

1 708 521

1 363 094

HCP

 

160 271

 

926 988

 

855 246

 

937 286

1 027 625

HCP soutien

 

10 780

 

264 066

 

290 941

 

369 700

335 468

Secrétariat général du CNR

         

101 363

 

401 536

 

TOTAL

 

248 259

226 000

1 290 413

226 000

1 411 701

500 000

1 928 817

1 874 594

Note : les personnels de soutien sont partagés avec l'autre service occupant le siège du HCP à Paris, soit le Secrétariat général de la présidence française de l'Union européenne (SGPFUE) jusqu'en 2022, puis le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE).

Source : réponses de la DSAF au questionnaire du rapporteur spécial

Alors que l'augmentation des moyens du HCP entre 2022 et 2023 répondait à sa nouvelle responsabilité de secrétariat général du Conseil national de la refondation (CNR) depuis septembre 2022, les emplois du CNR ne relèvent plus aujourd'hui du HCP mais de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Ce changement de rattachement s'est traduit par le transfert de 3 ETPT, effectif depuis le 1er février 2024.

B. L'ORGANISATION ET LE STATUT SPÉCIFIQUES DU HCP, MARQUÉS PAR UNE FORTE PERSONNALISATION DE LA FONCTION, APPARAISSENT PEU COMPATIBLES AVEC SES MISSIONS DE PROSPECTIVE ET DE PLANIFICATION

Justifiant la spécificité de son statut, le HCP revendique un portage plus puissant que celui que pourrait assurer des profils administratifs classiques, tels que le Commissaire général de France Stratégie ou le Secrétaire général à la planification écologique.

Cependant, les responsabilités politiques importantes que le Haut-commissaire continue d'assumer, en parallèle de son mandat, interrogent fortement.

Au-delà de la question des responsabilités politiques, cette dimension personnelle se retrouve dans l'organisation et le fonctionnement du HCP, à plusieurs titres.

Concernant plus particulièrement l'existence d'une antenne locale, celle-ci ne présente pas de difficulté de principe ou d'enjeu budgétaire particulier. D'ailleurs, la réflexion prospective et la planification publiques ne sauraient être cantonnées à la capitale. Pour autant, le choix précis de cette implantation, située à Pau, s'explique par un motif de convenance personnelle pour le Haut-commissaire, qui ne manque pas d'interroger.

III. UNE CONTRIBUTION DU HCP AUX POLITIQUES PUBLIQUES TRÈS MITIGÉE QUI APPELLE À UNE RATIONALISATION ET À UNE ORGANISATION CLARIFIÉE DES ORGANES DE PROSPECTIVE ET DE PLANIFICATION

A. DES CHOIX DE SUJETS QUI PEUVENT ÉTONNER, UNE RÉFLEXION PROSPECTIVE DONT L'HORIZON TEMPOREL DEMEURE CENTRÉ SUR LE MOYEN TERME, UNE PLANIFICATION QUI RESTE GÉNÉRALEMENT EMBRYONNAIRE

Depuis sa création en septembre 2020, le HCP a publié 18 études en propre, appelées « notes stratégiques ». À ces travaux s'ajoutent un rapport corédigé avec un think tank et deux rapports rédigés par des tiers sur commande, l'un par une mission d'appui conjointe de l'Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, l'autre par le Conservatoire national des arts et métiers.

1,9 M€

13,71 ETPT

18

 

Budget du HCP en 2023 (montant exécuté) et en 2024 (montant prévu).

Effectif du HCP en 2023.

Nombre de notes stratégiques publiées en propre par le HCP depuis sa création en 2020.

Dans leur immense majorité, les notes stratégiques produites par le HCP ne se distinguent pas des travaux d'autres organes administratifs chargés de missions d'expertise et de conseil auprès des décideurs publics, tels que les inspections, les administrations parlementaires ou encore France Stratégie. Pour une partie, ces notes peuvent même apparaître beaucoup moins précises et approfondies.

À ce jour, la contribution du HCP à la définition des politiques publiques n'a pas pleinement répondu aux attentes importantes qui avaient été placées dans cet organe à sa création.

Un tel travail ne saurait à l'évidence correspondre à une mission ambitieuse de prospective et de planification visant à influer sur les choix de politiques publiques, confiée à un service constitué de plus d'une dizaine d'agents de haut niveau.

Par ailleurs, il convient de relever plusieurs lacunes importantes :

l'absence de publication sur les enjeux du numérique, alors même que la lettre de mission adressée par le Président de la République mentionnait expressément cette thématique ;

un intérêt limité pour les problématiques spécifiques à la jeunesse (notamment en matière d'éducation et de précarité), par contraste avec le traitement réservé aux enjeux du vieillissement ;

- pour certaines notes (correspondant plutôt aux premières publications du HCP), un défaut dans la démarche de planification se traduisant par des recommandations peu opérationnelles, ne présentant pas de valeur ajoutée pour la prise de décision publique.

B. UNE RATIONALISATION NÉCESSAIRE DES ADMINISTRATIONS CHARGÉES DE PROSPECTIVE ET DE PLANIFICATION, QUI DOIT S'ACCOMPAGNER DE GARANTIES RENFORCÉES EN MATIÈRE D'INDÉPENDANCE ET D'EXPERTISE

Face aux risques de redondance et d'éclatement des moyens et des compétences, une rationalisation résolue des missions confiées au HCP, à France Stratégie et au Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) apparaît nécessaire.

Constatant qu'en pratique la mission assumée par le HCP relève davantage de la prospective que de la planification, même indicative, le rapporteur spécial préconise ainsi de distinguer :

- d'une part, la responsabilité de la réflexion prospective, qui serait réservée au HCP ;

- d'autre part, celle de la planification des ressources physiques et financières, qui serait assumée par le SGPE (celui-ci ayant déjà réalisé un travail très conséquent concernant les ressources physiques) ;

- enfin, celle de l'évaluation des politiques publiques, dévolue à France Stratégie.

Dans ce cadre, et afin de traduire cette répartition des compétences clarifiée, le HCP serait renommé en « Haut-commissariat à la Prospective ».

Aussi, et afin de donner une plus-value accrue aux travaux du Haut-commissariat par rapport à ceux plus classiques conduits par les autres administrations, la démarche prospective du HCP pourrait se déployer sur un horizon de plus long terme et explorer des scénarios radicaux, suivant le modèle de l'initiative « Red Team » développée par l'Agence de l'Innovation de Défense (AID), associant auteurs de science-fiction, universitaires et professionnels (militaires pour l'AID).

Par ailleurs, un renforcement des garanties en matière d'indépendance, d'expertise et de redevabilité pourrait passer par des mesures telles que :

- la mise en place d'une procédure d'avis consultatif préalable pour les décisions relatives à la programmation des travaux du HCP, sous la forme de la réunion annuelle d'un collège restreint de personnalités qualifiées dans les domaines scientifique, technologique, économique, sociologique et géopolitique ;

- la fixation d'un terme de six ans, renouvelables, pour la durée du mandat de Haut-commissaire et son inamovibilité ;

- la remise d'un rapport annuel d'activité.

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