COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
· Jeudi 14 décembre 2023 Audition de Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères 197
· Jeudi 18 janvier 2024 Audition d'Olivier Jacob, directeur général des outre-mer 211
· Jeudi 1er février 2024 Audition Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien 227
· Jeudi 1er février 2024 Audition d'Ivan Odonnat, président de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'Outre-Mer (IEOM) 239
· Jeudi 15 février 2024 Audition de Charles Trottmann, directeur du Département des Trois Océans de Agence Française de Développement (AFD) 253
· Jeudi 7 mars 2024 Auditions sur les aspects européens de la coopération et de l'intégration régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) 265
· Jeudi 7 mars 2024 Audition de Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom 281
· Mardi 19 mars 2024 Auditions sur la convention de partenariat entre le Département de Mayotte et le ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères - Audition de Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte 287
· Mardi 2 avril 2024 Audition de Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France 299
· Mardi 2 avril 2024 Audition d'Hervé Mariton, président, et Françoise de Palmas, secrétaire générale, Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM) 313
· Jeudi 2 mai 2024 Audition d'Emmanuelle Blatmann, directrice de l'Afrique et de l'océan Indien, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères accompagnée d'Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien 327
· Jeudi 2 mai 2024 Audition d'Alex-David Guillon, Premier conseiller auprès de Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie 341
· Jeudi 13 juin 2024 Audition de S.E. M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République de Tanzanie en France 345
· Mardi 18 juin 2024 Audition, en commun avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, du Général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'État-major des armées sur l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion 353
Jeudi 14 décembre 2023
Audition de Jean-Paul
Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action
extérieure des collectivités territoriales, du ministère
de l'Europe et des Affaires étrangères
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, après l'adaptation des modes d'action de l'État outre-mer mardi, nous lançons ce matin nos travaux sur la coopération régionale des outre-mer pour laquelle nous avons nommé un rapporteur coordonnateur, Christian Cambon, ancien président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, et trois binômes de rapporteurs, soit un binôme par bassin :
- pour le bassin Pacifique : Evelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion et Rachid Temal, sénateur du Val-d'Oise ;
- pour le bassin Atlantique : Teva Rohfritsch, sénateur de la Polynésie française et Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice du Val-d'Oise ;
- pour le bassin Indien : Georges Patient, sénateur de Guyane et Stéphane Demilly, sénateur de la Somme.
Pour cette première audition, nous recevons Son Excellence Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, auprès du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
Monsieur l'ambassadeur, nous vous remercions pour votre présence qui va nous permettre d'amorcer notre panorama de l'action extérieure des collectivités d'outre-mer.
Concernant le déroulé de cette réunion, je laisse la parole à notre rapporteur coordonnateur, puis aux rapporteurs par bassin.
Puis vous présenterez, Monsieur l'ambassadeur, votre propos liminaire en vous inspirant de la trame qui vous a été adressée.
M. Christian Cambon, rapporteur. - En qualité de rapporteur coordonnateur, je souhaite rappeler rapidement les raisons du choix de ce thème d'étude et esquisser quelques axes de réflexion ou de perspectives. En effet, face à un sujet aussi vaste, il faut prendre garde à ne pas se disperser.
Pourquoi avons-nous retenu ce difficile sujet de l'action extérieure des collectivités territoriales ?
Je ne suis pas un spécialiste des outre-mer, mais l'expérience que j'ai acquise en tant que président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées me donne le sentiment que les territoires ultramarins français sont encore trop faiblement insérés dans leur environnement régional, sans doute à cause des relations historiques avec la « métropole ». J'utilise à dessein ce terme car c'est bien cette relation de dépendance par rapport à un centre qui est critiquée.
Cette situation est considérée comme un frein au développement économique et est une des causes de la cherté de la vie. Elle peut aussi étouffer le rayonnement culturel, universitaire ou scientifique des territoires ultramarins dans leurs bassins de vie.
La coopération régionale présente un intérêt réciproque :
- du point de vue des territoires, elle doit favoriser leur insertion régionale et leur développement endogène dans le respect de leur identité ;
- du point de vue de la France, des outre-mer intégrés participent à l'accroissement de son influence. Il en va de même pour l'Union européenne, à travers les régions ultrapériphériques (RUP) en particulier, mais également les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).
La coopération doit aussi être un facteur de stabilisation et de sécurité. De plus en plus, les outre-mer sont exposés à des risques environnementaux, mais aussi à des risques géostratégiques. Dans le jeu des relations internationales, ces territoires peuvent être la cible de tentatives de déstabilisation et de jeux d'influences. Les enjeux de police et de sécurité sont aussi croissants face à des réseaux criminels puissants.
Ce tableau nous invite à faire un état des lieux de la coopération régionale, à interroger les raisons des limites actuelles de cette stratégie et à proposer des pistes de réponse.
À côté d'enjeux transversaux, nous avons décidé d'opter pour une approche par bassin, tout le défi étant de développer la coopération en l'appuyant sur les atouts et les caractéristiques de chaque territoire.
Enfin, deux ou trois objectifs de la coopération régionale doivent être explorés plus avant :
- l'objectif de sécurité et de stabilisation des territoires ;
- l'objectif du développement économique, qui est au coeur de la coopération des outre-mer ;
- enfin celui de la transition écologique et énergétique, qui est étroitement lié au précédent. Nous nous souvenons des conséquences dramatiques d'un ouragan à Saint-Martin qui a déstabilisé une bonne partie de son économie.
Votre audition, Monsieur l'ambassadeur, permettra d'éclairer une partie de ces thèmes. Les collectivités ultramarines sont demandeuses de plus d'actions de coopération régionale. Certaines déploient déjà des actions extérieures, nombreuses. Nous souhaitons avoir votre regard sur l'intensité de ces actions, leur orientation, le soutien que l'État leur apporte, et sur vos services en particulier. Au-delà, nous souhaiterions savoir si ces actions permettent de dessiner une stratégie de coopération régionale, en appui ou en complément de la diplomatie française.
Voici quelques interrogations non exhaustives que les rapporteurs par bassin enrichiront à la suite de votre exposé liminaire.
M. Jean-Paul Guihaumé, ambassadeur, délégué pour l'action extérieure des collectivités territoriales, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. - Je vous remercie de me donner l'occasion de venir à votre rencontre. Pour éviter tout malentendu et toute dispersion, je tiens à apporter quelques précisions sur le rôle de la délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
Le poste que j'occupe depuis un peu plus de deux ans sera prochainement supprimé et son activité de soutien aux collectivités territoriales hexagonales et ultramarines sera confiée à un bureau au sein d'une plus grande délégation en charge de l'interface avec les collectivités territoriales mais aussi la société civile et les organisations de solidarité internationale.
La DAECT a été créée comme délégation auprès du Premier ministre. Elle a ensuite été rattachée au Secrétaire général du Quai d'Orsay, puis au Directeur général de la mondialisation.
Par ailleurs, la DAECT n'a jamais été compétente pour le bassin Pacifique. En effet, au moment de sa création il y a plus de 20 ans, les territoires français du Pacifique jouissaient déjà d'un statut particulier dans la conduite de leurs relations avec des États étrangers. Les collectivités des bassins Atlantique et Indien étaient dotées des mêmes compétences que les collectivités métropolitaines, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
L'action extérieure des collectivités territoriales a des dimensions très variées. La plus ancienne et la plus connue est la solidarité internationale, qui a souvent une dimension diasporique. Par ailleurs, des collectivités ont des liens historiques avec certains territoires. Les conseils régionaux sont aussi beaucoup plus préoccupés aujourd'hui par l'attractivité et par l'accompagnement des entreprises.
Le législateur n'a pas délimité les compétences internationales des collectivités territoriales. Rien n'empêche un conseil départemental de mener sur un territoire étranger un projet de coopération décentralisée dans le domaine économique alors que celui-ci ne relève plus de sa compétence sur son propre territoire. De la même manière, un conseil régional peut se lancer dans des projets en lien avec des sujets, comme la petite enfance, qui sont de la compétence des conseils départementaux.
Tous les acteurs qui viennent en soutien de l'action extérieure des collectivités territoriales, la DAECT mais aussi l'Agence Française de Développement (AFD), doivent respecter les choix des élus, même si les thématiques des projets engagés ne figurent pas dans les compétences de leur collectivité sur le plan national.
J'ai bien compris que l'objet de votre étude portait sur la coopération régionale des outre-mer mais je m'en voudrais de ne pas mentionner un sujet qui suscite toujours l'intérêt des élus ultramarins, la coopération décentralisée avec l'Afrique de l'Ouest autour des questions mémorielles. De nombreux projets, en particulier aux Antilles, sont montés, parfois avec beaucoup de difficultés, avec des partenaires d'Afrique de l'Ouest. Il n'y a donc pas qu'une seule dimension à l'action extérieure des collectivités ultramarines consistant à les intégrer dans leur environnement immédiat.
De la même manière, certains partenaires, notamment les collectivités territoriales du Québec, sont très présents aux Antilles. C'est un sujet qui suscite de l'inquiétude car le Québec affiche clairement comme priorité le recrutement de jeunes des territoires français des Antilles pour pallier le manque de main-d'oeuvre bien formée. Il y a un effet d'attraction du Québec sur les Antilles qu'il ne faut pas négliger.
La DAECT regroupe une douzaine d'agents. Certains sont mis à sa disposition par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer. À certains moments, des agents étaient détachés des ministères de la Transition écologique ou de l'Agriculture.
En 2023, son budget était de 13 millions d'euros, ce qui correspond à son rôle de soutien aux collectivités territoriales, et nous travaillons en très bonne intelligence avec l'AFD qui prend souvent le relais de la DAECT pour soutenir des projets nécessitant des budgets importants, notamment sur l'eau et l'assainissement.
La DAECT assure le secrétariat général de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD). Cette commission, présidée par la Première ministre, se réunit dans différents formats, dont deux sessions plénières par an. La Première ministre peut déléguer la présidence de cette commission à la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. Les trois dernières sessions plénières ont été présidées par Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux.
Cette commission réunit des élus désignés par les grandes associations faîtières (Régions de France, Départements de France, l'Association des maires de France) et par des associations spécialisées comme l'Association Française du Conseil des Communes et Régions d'Europe (AFCCRE), Cités Unies France, France Urbaine, l'Association internationale des Maires francophones (AIMF) ou encore l'Association internationale des Régions Francophones (AIRF), mais aussi des représentants des différents ministères. Le ministère des Outre-mer participe activement aux travaux de cette commission. L'intérêt de soutenir les actions de coopération des collectivités ultramarines est toujours réaffirmé, que ce soit lors des sessions plénières ou dans les groupes de travail.
La DAECT participe à la promotion de la coopération décentralisée et à l'internationalisation des territoires par des séminaires et des actions de sensibilisation en lien avec l'AFD et différents ministères, comme celui de l'Éducation nationale pour l'éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale.
Notre soutien peut prendre plusieurs formes. Nous lançons chaque année des appels à projets généralistes ou thématiques. Ces appels à projets thématiques nous permettent de refléter les priorités de la diplomatie française, par exemple dans le domaine du sport, de la jeunesse, mais aussi plus récemment sur l'égalité entre les femmes et les hommes, sur le numérique responsable et inclusif, sur la sécurité alimentaire ou le soutien aux finances locales. Les appels à projets généralistes nous permettent de signaler aux collectivités territoriales que nous examinerons tous les projets suffisamment aboutis et qui ne sont pas contraires aux engagements internationaux de la France.
Nous partageons aussi des dispositifs avec de grands partenaires comme le Liban, le Sénégal ou le Maroc. Ces pays peuvent signaler des priorités à la direction des collectivités territoriales du ministère de l'Intérieur.
Enfin, nous avons récemment lancé un appel à manifestation d'intérêt dans la perspective du sommet de la Francophonie fin 2024 à Villers-Cotterêts et à Paris. Nous souhaitons à cette occasion valoriser l'action internationale des collectivités territoriales sur le thème de la francophonie.
D'autres programmes sont en cours d'élaboration, notamment pour le soutien aux dix villes françaises qui font partie du réseau des villes créatives de l'Unesco.
Nous sommes attachés à l'engagement politique des collectivités. La coopération décentralisée n'est pas une coopération technique comme les autres. L'engagement politique doit se matérialiser par la signature d'un élu français et d'un élu partenaire. En effet, la coopération décentralisée doit se caractériser par des échanges entre élus et pas uniquement entre services techniques.
Les projets peuvent durer d'un à trois ans et être renouvelés. Nous aidons les collectivités à les ajuster, notamment dans des pays particulièrement troublés comme le Liban ou les Territoires Palestiniens.
Nous apportons notre soutien sous forme de cofinancement, qui peut aller jusqu'à 80 % du montant du projet, mais nous ne menons pas le projet à la place de la collectivité. Elle est à l'origine du projet, du choix des partenaires et peut être accompagnée par des opérateurs régionaux.
Nous avons aussi la mission de soutenir les collectivités territoriales dans les grandes enceintes internationales. La voix de la France est de plus en plus faible dans les conférences d'associations de collectivités territoriales. Il n'est pas rare que la France et l'Europe soient mises en difficulté par des prises de position lors de ces grandes réunions.
Nous faisons également entendre la voix des collectivités territoriales dans les grands rendez-vous internationaux comme les Conférences des Parties (COP). Nous savons qu'une bonne partie des objectifs de développement durable ne seront atteints que grâce à l'action des collectivités territoriales, à leur territorialisation.
La DAECT s'appuie le réseau des conseillers diplomatiques placés auprès des préfets de région (CDPR) pour les conseiller dans la conduite des relations avec les partenaires étrangers. De nombreux ambassadeurs en poste à Paris ont compris que tout ne se passait pas à Paris et l'importance de se rendre dans les territoires. Ces conseillers sont aussi sollicités quand une collectivité territoriale adopte une motion ou prend position sur une question internationale. Le ministère de l'Intérieur assure le contrôle de légalité mais quand les décisions des collectivités portent sur des sujets internationaux, nous travaillons en bonne intelligence avec eux.
Quatre conseillers diplomatiques sont basés en outre-mer, à La Réunion, à Mayotte, en Guyane et en Guadeloupe. Il n'y a pas de CDPR dans le Pacifique mais des diplomates peuvent conseiller les services déconcentrés de l'État.
Même si la priorité ultramarine est réaffirmée à chaque réunion plénière de la CNCD, c'est avec ces collectivités que nous avons le plus de difficultés à soutenir des projets de coopération décentralisée. Nous n'avons pas d'action spécifique qu'il faudrait peut-être développer comme le fait l'AFD. Nous avons conscience de l'enjeu mais je dois reconnaître que nous n'en avons sans doute pas fait suffisamment. Il y a une forte appétence pour la coopération décentralisée des élus ultramarins mais peu de résultats concrets.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, pour ces informations. Vous avez parlé des appels à projets soutenus par différents ministères. Combien de projets la DAECT a-t-elle soutenus en 2022 ? Quel est le budget alloué à ces projets ? Quels sont les domaines concernés ? Enfin, avez-vous défini des priorités ?
M. Jean-Paul Guihaumé. - Notre budget était cette année de 13 millions d'euros et celui de 2024 sera de 15 millions d'euros.
Pour les bassins Atlantique et Indien, entre 2020 et 2023, nous avons soutenu à hauteur de 1,7 million d'euros des projets d'une valeur d'environ 4 millions d'euros. Les projets durent parfois 36 mois, nous les examinons en début d'année, ils démarrent généralement en septembre et la première année n'est pas une année de fort décaissement.
Ce sont des projets modestes portant sur le sport, avec une dimension inclusive et éducative, la coopération culturelle et linguistique, l'apprentissage linguistique étant indispensable à la formation des jeunes, et sur les cultures agricoles, vivrières ou urbaines.
La DAECT souhaiterait soutenir plus de projets dans le domaine de la préservation de la biodiversité. La biodiversité de la France doit en effet beaucoup aux outre-mer. Nous avons par exemple soutenu des projets portés par la Fédération nationale des parcs naturels régionaux.
Si nous intervenons directement auprès des collectivités territoriales, nous soutenons également des projets à l'international portés par des associations de collectivités territoriales qui conjuguent leurs actions sur des thèmes aussi variés que le patrimoine naturel, le patrimoine historique, etc.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Y a-t-il une coordination officielle entre les communes, les départements et les régions ?
M. Jean-Paul Guihaumé. - Il n'y a pas de coordination. Aucune collectivité territoriale n'a l'obligation de mettre en place un programme de coopération internationale. Seule une centaine de collectivités ont mis en place de tels programmes et dix ont une action significative. Il n'y a aucune collectivité ultramarine parmi ces dix principaux acteurs de l'action extérieure des collectivités territoriales.
M. Rachid Temal, rapporteur. - Je suis rapporteur, sous l'autorité du président Christian Cambon, pour le bassin Pacifique. Votre budget est-il dédié au financement de vos actions ou comprend-il une part de fonctionnement ? Pouvez-vous préciser le rôle des conseilleurs diplomatiques auprès des préfets de région et la manière dont ils peuvent aider les collectivités à développer leurs relations extérieures ? Pourquoi la DAECT n'est-elle pas présente dans le Pacifique ?
Parmi vos missions figure l'élaboration des textes juridiques sur les coopérations transfrontalières. Pouvez-vous nous donner des exemples de coopération en outre-mer au cours des 4 ou 5 dernières années et évoquer la coopération entre Saint-Martin et la partie néerlandaise de l'île ?
Enfin, j'étais co-rapporteur du texte de loi sur l'aide publique au développement et je ne comprends toujours pas comment l'AFD peut intervenir sur les territoires français. L'AFD est un outil de la solidarité internationale et on ne peut pas mettre sur le même plan les territoires français. Je rappelle que la loi donne la liste de 19 pays prioritaires, notamment au Sahel, de l'aide publique au développement. Si l'AFD est une banque, on peut imaginer d'autres acteurs comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour financer des projets en outre-mer.
Mme Vivette Lopez. - Vous avez dit que compte tenu de son budget modeste, la DAECT ne soutenait que des projets modestes. Vous avez également indiqué que peu de projets aboutissaient. Quelles en sont les raisons ? La DAECT intervient-elle sur des projets liés aux Jeux olympiques ? Enfin sur l'environnement, soutenez-vous des projets dans le domaine maritime comme les aires marines protégées ?
M. Jean-Paul Guihaumé. - Le mandat de l'AFD n'entre pas dans le champ de compétence de la DAECT. Je prends note de vos remarques que j'ai déjà entendues de la part d'élus ultramarins mais je ne peux pas vous apporter de réponse.
Vous avez indiqué qu'il existait une liste de pays prioritaires pour l'aide publique au développement. Depuis le Conseil présidentiel du développement qui s'est réuni le 5 mai, il n'y a plus de liste prioritaire mais une incitation à soutenir les pays les moins avancés tels que les pays du Sahel, le Cambodge, le Népal, etc. Cette décision ne bouleverse pas fondamentalement la géographie de l'aide publique au développement. Lors de la dernière réunion de la CNCD, Chrysoula Zacharopoulou a indiqué que le Gouvernement souhaitait encourager des projets avec d'autres partenaires comme le Nigeria ou le Kenya.
Concernant les Jeux olympiques, aucun projet ne nous a pour l'instant été soumis. Nous avons encouragé les collectivités territoriales à profiter de la présence de fédérations sportives étrangères sur leur territoire pendant les Jeux. Par exemple, Miramas et le Conseil départemental des Bouches-du-Rhône souhaitent profiter de la présence de la fédération kényane d'athlétisme pour mener un projet. Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères a également lancé dans les ambassades une labellisation « Terre de Jeux 2024 » pour encourager les actions dans ce domaine. Enfin, nous avons un partenariat privilégié en matière de sport avec le Sénégal puisque Dakar accueillera en 2026 les Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ Dakar 2026).
Sur l'environnement, rien ne nous empêche d'intervenir sur les aires marines protégées mais nous ne le ferons que si une collectivité nous soumet un projet. Ce n'est pas la petite équipe de la DAECT qui va construire un projet, elle n'en a pas toujours les compétences. Je sais que des collectivités travaillent sur le recul du trait de côte avec des partenaires étrangers. Certaines collectivités normandes collaborent, malgré le Brexit, avec des collectivités britanniques.
Notre budget est un budget d'intervention, notre fonctionnement étant fondu dans le budget du ministère. Ce budget doit nous permettre de remplir les objectifs fixés par le président de la République en matière de soutien à l'action extérieure des collectivités territoriales mais il n'est pas facile de le dépenser si nous voulons rester exigeants sur la qualité des projets et sur leur faisabilité. Dans certaines régions qui attiraient de beaux projets, comme la Russie ou les pays du Sahel, les dossiers sont aujourd'hui à l'arrêt pour une durée indéterminée.
Notre budget est donc assez ambitieux, d'autant plus que nous ne finançons pas de grosses infrastructures mais des expertises, des études ou de toutes petites infrastructures qui ont une vertu pédagogique ou sont des prototypes.
C'est un budget dont je ne me plains pas, je me réjouis de son augmentation, il est à la hauteur des modalités d'action actuelles. En revanche, si on nous demandait demain de construire des projets, nous aurions besoin de compétences et de moyens supplémentaires.
Face à cette difficulté d'amorçage des projets, nous allons à la rencontre de collectivités territoriales et nous leur proposons de contractualiser notre soutien sous forme de convention triennale, avec des avenants fixant chaque année le montant de la subvention. Cette démarche nous permet d'avoir une meilleure visibilité sur les projets à venir. En outre-mer, la collectivité territoriale de Martinique a défini une stratégie d'intégration régionale et de rayonnement international. Son président Serge Letchimy et sa vice-présidente Patricia Telle, qui participent aux travaux de la CNCD au titre de Régions de France, ont la vision la plus claire et élaborée, de ce que peut être une stratégie en matière d'action extérieure. Il y a aussi un potentiel du côté de La Réunion mais je n'ai pas commencé à négocier ce type de texte avec le Conseil régional.
Des négociations sont en cours avec les Hauts-de-France ou les villes de Paris et de Nancy.
Sans cette démarche, nous n'arriverions pas à mobiliser suffisamment de collectivités avec nos seuls appels à projets.
M. Jean-Gérard Paumier. - Je vous remercie, Monsieur l'ambassadeur, pour votre exposé très intéressant.
En appui et en cohérence avec la diplomatie française, je suis convaincu qu'il y a une place pour une diplomatie parlementaire, comme l'a montré le Président Gérard Larcher en accueillant hier une délégation du Congo, mais aussi une place pour une forme de diplomatie territoriale, au-delà de la coopération décentralisée.
Comme président de département pendant 7 ans, j'ai ressenti une prudence, une frilosité, voire une méfiance du Quai d'Orsay par rapport à ces initiatives. Or, je pense que des signaux faibles méritent d'être entendus.
Une ville de 15 000 habitants en Indre-et-Loire, Saint-Cyr-sur-Loire, coopère depuis 25 ans avec Koussanar au Sénégal, notamment parce que Léopold Sédar Senghor a été professeur de lettres à Tours. Quand le centre social financé par Saint-Cyr-sur-Loire a été inauguré, le maire a dû se battre pour qu'il y ait un drapeau français à côté du drapeau sénégalais. Cela ne manque pas de nous inquiéter dans une région où la France perd son influence.
La suppression de votre poste inquiète les collectivités pour leurs projets de coopération décentralisée. Par ailleurs, alors que ma région ne compte que six départements, je n'ai vu qu'une fois en 7 ans le conseiller diplomatique auprès du préfet de région.
Connaissez-vous le budget que consacrent les collectivités locales à la coopération décentralisée ?
Enfin, je suis gêné par le côté descendant, certains disent même condescendant, des appels à projets. Existe-t-il un atlas des différentes actions des collectivités, de leur contenu et de leur montant ?
M. Jean-Paul Guihaumé. - Le président de la République semble avoir anticipé votre question puisqu'à l'issue de la rencontre de Saint-Denis le 30 août, il a annoncé la tenue prochaine d'Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, sans doute à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février. J'aurais préféré qu'il usât de l'expression « diplomatie des territoires » à laquelle je crois beaucoup. Cette démarche est très importante pour les parlementaires mais aussi pour les élus locaux qui ont besoin de sentir qu'ils sont traités non pas d'égal à égal mais de la même manière que les parlementaires. Ils s'inquiétaient en effet d'être noyés dans la masse de la société civile. Or, être titulaire d'un mandat électoral, exercer des responsabilités conférées par le suffrage universel, n'est pas de la même nature qu'exercer une activité au sein d'une association.
Nous préparons ces Assises sur le volet de la coopération décentralisée. Ce sera un rendez-vous très important, qui devrait se répéter chaque année.
J'entends ce que vous dites sur le caractère descendant voire condescendant des appels à projets. J'y suis particulièrement attentif depuis que j'ai pris mes fonctions à la DAECT. Je suis en effet doublement suspect aux yeux des élus locaux, à la fois comme fonctionnaire d'État et comme parisien.
Nous discutions de nos appels à projets au sein de la CNCD parce qu'il est difficile de s'adresser aux 35 500 communes de France. Ce sont elles qui ont l'initiative et il est très difficile de les convaincre d'engager une action de coopération. Vous savez combien l'action extérieure n'est pas toujours bien perçue, c'est un peu la variable d'ajustement. Beaucoup d'élus m'ont récemment expliqué qu'il était difficile de parler de coopération décentralisée après avoir baissé la température de l'eau de la piscine de 2°C.
Nous partageons cette volonté de co-construire avec les 10 villes membres du réseau des villes créatives de l'Unesco. Nous interrogeons les maires de ces 10 villes pour savoir comment nous pouvons les aider à rayonner à l'international.
Beaucoup de progrès ont été réalisés sur le travail des CDPR grâce à la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l'Intérieur, mais aussi grâce à l'engagement de plusieurs collègues du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Ces postes ne sont pas encore bien connus et des collègues n'ont pas complètement identifié leur rôle. Nous avons élaboré un vade-mecum et nous communiquons en interne. Tant que les CDPR ne seront pas connus par tous les rédacteurs géographiques du Quai d'Orsay, il n'y aura pas de circulation suffisante de l'information entre les services centraux du ministère et le réseau des CDPR. Il y a aujourd'hui une réunion présidée par le directeur des affaires européennes et internationales du ministère de l'Intérieur pour rendre compte de l'état des dossiers justice-affaires intérieures. Il est en effet indispensable que les CDPR disposent d'un niveau d'information suffisant pour conseiller le préfet et les élus qui se tournent vers eux.
Dans de nombreux domaines, par exemple dans les relations avec la Chine qui sont toujours compliquées, mais aussi dans les relations avec les pays du Sahel, les CDPR sont de plus en plus souvent consultés par les élus locaux qui ont compris qu'ils pouvaient compter sur eux.
J'ajoute que si tous les postes de CDPR ne sont pas pourvus et s'il est difficile d'envisager de créer ce type de poste au niveau départemental, je n'ai jamais refusé un déplacement à l'invitation d'un élu local.
M. Stéphane Fouassin. - Le Comité interministériel des outre-mer (CIOM) a pris des mesures nous permettant de travailler avec des pays de la zone pour les matériaux et leur mise aux normes.
Avez-vous des projets dans le cadre du développement économique ? Disposez-vous d'un fascicule expliquant la manière dont les collectivités peuvent travailler avec la DAECT pour que nous puissions le distribuer dans nos circonscriptions ?
M. Jean-Paul Guihaumé. - D'autres services ou opérateurs de l'État sont plus spécialisés dans le soutien économique que la DAECT mais le champ économique n'est pas exclu de la coopération décentralisée. C'est l'existence d'un lien politique entre les parties qui est pour nous essentielle. Nous travaillons avec le Conseil régional du Grand Est sur une plateforme liée à la transition écologique avec l'ensemble de l'Allemagne, et pas uniquement avec les Länder frontaliers. C'est un projet doté d'une forte dimension économique. Nous intervenons au moment de l'amorçage des projets qui seront ensuite soutenus par d'autres acteurs.
J'ai pris mes fonctions pendant la crise sanitaire, ce n'était donc pas le moment le plus propice pour sillonner la France métropolitaine et ultramarine dans le but de faire connaître notre action. Nous nous appuyons sur les associations de collectivités territoriales et sur les réseaux régionaux multi-acteurs (RRMA). Ils n'ont pas tous la même forme juridique. Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, c'est un Groupement d'intérêt public (GIP), en Île-de-France, une structure associative. Les RRMA réunissent des représentants des collectivités territoriales et des partenaires essentiels comme les instituts de recherche, les associations de solidarité internationale, les lycées agricoles, les chambres des métiers, etc. et connaissent nos appels à projets.
La vraie difficulté réside dans la compétence à monter des projets. Même si nos appels à projets sont plus simples que les appels à projets européens, nous devons rendre compte de l'utilisation de fonds publics et nous avons besoin d'un minimum d'informations. Beaucoup de collectivités territoriales ne disposent pas d'agents formés pour monter des projets de cette nature. Par ailleurs, il ne s'agit pas uniquement de convaincre l'élu en charge de la coopération décentralisée mais aussi ceux qui sont en charge des espaces verts, de la gestion de l'eau, de participer à un projet international. Pourquoi travailleraient-ils sur un projet lointain alors qu'ils manquent de temps pour gérer les dossiers dont ils sont responsables à l'échelle locale ?
Nous disposons de fascicules, je participe à toutes les grandes réunions de collectivités territoriales et me rends le plus possible dans les territoires.
Nous travaillons avec l'AFD au renforcement des équipes autour des élus locaux pour qu'elles puissent monter ces projets, notamment en outre-mer.
Enfin, les projets ultramarins sont souvent pénalisés car les comités de sélection considèrent qu'une part excessive des dépenses est affectée aux billets d'avion. Aller d'une île à l'autre aux Antilles coûte souvent plus cher que de se rendre de Paris à Dakar. C'est particulièrement vrai pour les projets structurants liés au sport.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. - Je suis étonnée que vous n'ayez mentionné aucun projet portant sur la formation et sur l'emploi alors que ce sont des sujets importants dans les territoires ultramarins dont la population est généralement jeune, et que vous avez fait état de l'attractivité du Québec pour les populations antillaises. Vous n'avez pas non plus évoqué les problèmes de sécurité et de délinquance. Ce sont pour moi des thématiques prioritaires sur lesquelles il faudrait susciter une réflexion.
M. Jean-Paul Guihaumé. - Nous avons regroupé plusieurs dimensions dans le thème jeunesse, dont la dimension formation. Je ne sais pas s'il aurait fallu la distinguer mais il est plus simple pour la DAECT de gérer une quinzaine d'appels à projets sous le vocable général « jeunesse » que de réunir plusieurs comités de sélection.
Nous avons des projets liés à la formation, par exemple un projet de mobilité des apprentis boulangers et pâtissiers de La Réunion dans la zone de l'océan Indien, avec le Conseil départemental. Nos jeunes formés dans les métiers de bouche et de services sont prisés et ont besoin de gagner en expérience à l'étranger, notamment pour améliorer leurs compétences linguistiques.
Je partage votre préoccupation, il n'y a pas assez de projets de cette nature. Il faudrait peut-être que nous nous rapprochions des organismes de formation professionnelle, non pas pour les soutenir directement, mais pour qu'ils sollicitent les élus locaux.
Dans le domaine de la sécurité, nous n'avons pas mené d'action particulière pour encourager les collectivités à monter des projets.
M. Mikaele Kulimoetoke. - Les territoires du Pacifique sont très bien placés au sein de la région Indopacifique et l'État s'inquiète de la présence de la Chine dans la région.
Il est très important de faire le lien entre l'État et la région Pacifique car il y a en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie des gouvernements indépendantistes. Il faut que l'État se penche sur les difficultés des communautés du Pacifique pour comprendre l'origine de ces réactions. J'ai également suggéré au ministère de l'Intérieur et des Outre-mer d'approfondir une réflexion sur la mise en place d'une région Pacifique pour répondre aux problèmes de l'axe Indopacifique.
Dans le cadre des questions au Gouvernement, je me suis étonné que les îles de Wallis-et-Futuna soient inscrites sur la liste de l'OCDE, comme si nous étions un pays sous-développé étranger.
M. Jean-Paul Guihaumé. - Je suis rentré au Quai d'Orsay dans la section Extrême-Orient Pacifique et j'ai eu la chance de me rendre à Wallis-et-Futuna. J'en ai gardé un excellent souvenir.
Je ne peux pas répondre à vos questions car, comme je l'ai mentionné dans mon propos liminaire, la DAECT n'est pas compétente pour le Pacifique.
Je peux simplement rappeler que, parmi les réformes mises en place au Quai d'Orsay à la suite des États généraux de la diplomatie, il y a la constitution d'une académie diplomatique ouverte aux fonctionnaires territoriaux. Il est très important que les collectivités territoriales du Pacifique y envoient leurs agents pour se former et débattre. Ils auront ainsi une meilleure compréhension des enjeux globaux qui touchent les territoires français du Pacifique dans le cadre général de la politique extérieure de la Chine ou de l'Inde.
Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué la Martinique, qui est très en avance en termes de stratégie régionale de développement. Est-ce que le manque de formation et de connaissance des élus et du personnel administratif explique que les autres territoires soient moins avancés ? Que pensez-vous de la création de postes fléchés sur la coopération régionale ?
Vous avez par ailleurs mentionné le prix des billets d'avion. Je pense qu'il y a une méconnaissance, dans les instances nationales, de la situation des territoires. Parmi les aberrations, pour se rendre de Guadeloupe à Cuba, il faut passer par Paris !
M. Jean-Paul Guihaumé. - Je ne veux pas terminer cette audition sans mentionner le travail de mes collègues ambassadeurs délégués à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien et dans la zone Atlantique. Ils sont à pied d'oeuvre pour renforcer la coopération régionale de nos territoires.
Je ne veux juger une collectivité par rapport à une autre mais je constate, pour la Martinique, qu'il est plus commode de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour l'échelon régional et l'échelon départemental. J'ajoute que le président de la collectivité territoriale est très engagé dans la coopération territoriale, il y a même une loi qui porte son nom en matière d'action extérieure. Nous n'avons pas encore mentionné Mayotte. Ce département est confronté à une difficulté supplémentaire par rapport aux autres collectivités ultramarines. En effet, ses relations avec son voisin immédiat, les Comores, sont difficiles. Des projets qui auraient eu du sens ont parfois avorté en raison des tensions entre les deux entités. Mayotte est soumise à toutes sortes de difficultés pour participer à des événements sportifs régionaux. C'est d'autant plus dommageable que Mayotte aurait encore plus besoin que d'autres collectivités de s'insérer dans son environnement immédiat. J'admire l'engagement des élus de Mayotte qui s'efforcent de développer des relations avec Djibouti ou Madagascar.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour la qualité des informations que vous nous avez apportées.
Je note que le bassin Pacifique n'entre pas dans le champ de compétence de la DAECT et que les collectivités ultramarines participent peu aux appels à projets. Il me semble important de comprendre pourquoi et d'interroger celles qui ont mis en place des stratégies d'intégration régionale comme la Martinique, ou des projets innovants sur la formation comme La Réunion.
Nous sommes ravis d'avoir pu bénéficier de votre expertise et vous nous avez donné des éléments pour poursuivre nos travaux.
M. Jean-Paul Guihaumé. - Je reste à la disposition des rapporteurs.
Jeudi 18 janvier 2024
Audition d'Olivier Jacob,
directeur général des outre-mer
Mme Micheline Jacques, président. - Mesdames, Messieurs, Chers collègues, M. Olivier Jacob ne peut pas participer à cette audition en raison de son déplacement à La Réunion à la suite du cyclone Belal. Mme Karine Delamarche, adjointe au directeur général des outre-mer, le remplace et nous l'en remercions vivement.
Elle est accompagnée de :
- Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques ;
- M. Olivier Benoist, sous-directeur des affaires juridiques et institutionnelles ;
- M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien et
- M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique.
Comme vous le savez, notre délégation a décidé de travailler sur deux thèmes d'étude. Le premier concerne l'adaptation des moyens d'action de l'État dans les outre-mer. Le second porte sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Madame la directrice, vous pourrez si vous le souhaitez nous éclairer aussi sur l'ampleur de la catastrophe qui touche également l'île Maurice et les moyens mis en oeuvre. J'exprime à nos concitoyens réunionnais toute notre solidarité face aux épreuves qu'ils affrontent.
Concernant le déroulé de cette réunion, nous allons commencer par la mission sur la coopération régionale pour laquelle nous avons désigné un rapporteur coordonnateur, M. Christian Cambon.
En outre, trois binômes de rapporteurs ont été nommés :
- pour le bassin Pacifique, Mme Evelyne Corbière Naminzo et M. Rachid Temal ;
- pour le bassin Atlantique, M. Teva Rohfritsch et Mme Jacqueline Eustache-Brinio ;
- pour le bassin Indien, M. Georges Patient et Stéphane Demilly.
Compte tenu des nombreux sujets à aborder, je vais vous céder la parole sans plus tarder pour votre propos liminaire.
Mme Karine Delamarche, adjointe au directeur général des outre-mer. - Je vous remercie madame la Présidente.
Je réitère d'abord les excuses de M. Olivier Jacob. Il accompagne le ministre de l'Intérieur à La Réunion.
Le cyclone Belal s'éloigne de La Réunion, où la situation est sous contrôle. À ce stade, le bilan humain est faible mais le bilan matériel est important. Des renforts ont été envoyés depuis l'Hexagone et Mayotte, illustrant la mise en oeuvre de la solidarité nationale.
La reconstruction débute avec le soutien des différents ministères. Le fonds de secours outre-mer notamment sera rapidement déployé à destination des collectivités sinistrées ainsi que des entreprises agricoles.
J'en reviens au thème de votre étude sur la coopération régionale. Je vous propose de dresser un panorama général avant de donner la parole aux ambassadeurs pour évoquer la situation bassin par bassin. Ils pourront ainsi croiser leurs regards sur l'océan Atlantique comme sur l'océan Indien.
Sur le fond, je crois que nous partageons les premiers constats que vous avez dressés. Le développement de la coopération régionale est, en l'état, insuffisant. Il est ainsi nécessaire de favoriser son développement pour contribuer au développement économique des territoires.
Nous partageons également le constat que cette coopération peut s'avérer un outil pertinent de lutte contre la cherté de la vie, sans être le seul pour autant.
Les outre-mer sont une chance pour la France, ils lui confèrent une place singulière au sein de l'Europe. En effet, elle est le seul membre de l'Union européenne à avoir à la fois des régions ultrapériphériques (RUP) et des pays et territoires d'outre-mer (PTOM). C'est le seul pays à avoir des frontières avec les États sur les trois bassins. Ce positionnement induit des enjeux stratégiques conséquents qui sont autant d'éléments clés de la politique de défense française. Il s'agit également d'éléments clés en matière économique en raison de la zone économique exclusive.
Les enjeux de sécurité sont aussi essentiels. Les territoires des outre-mer doivent pouvoir entretenir des relations fluides et riches avec leur environnement régional.
Compte tenu de la présence de la France sur les trois océans, la coopération régionale constitue l'une des priorités à laquelle s'emploie au quotidien le ministère des Outre-mer avec ses partenaires, dont notamment le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
Pour ce qui concerne le degré d'insertion régionale sur lequel vous nous avez interrogés, nous n'avons pas d'étude exhaustive fondée sur une méthodologie unique. Toutefois, les instituts d'émission d'outre-mer réalisent des études régulières sur ce sujet. Lorsque nous observons le niveau de développement économique, nous constatons que l'insertion est perfectible. En effet, les échanges commerciaux sont à la fois faibles et déséquilibrés au profit de l'Hexagone et de l'Union européenne. Les exportations sont essentiellement concentrées sur quelques productions singulières et importantes. Ces économies manquent d'avantages comparatifs vis-à-vis de leurs voisins qui peuvent pourtant présenter un niveau de développement bien inférieur. Les normes qui s'imposent dans les outre-mer peuvent constituer un frein à leur compétitivité. Le protectionnisme économique de certains voisins peut également représenter un obstacle.
C'est pourquoi, afin de faciliter l'insertion régionale, la DGOM favorise la création de valeurs dans les territoires.
La coopération régionale est également une priorité dès lors qu'elle peut contribuer à lutter contre la vie chère, même si les déterminants de ce phénomène sont, je le redis, plus complexes. Substituer les importations européennes par des importations de pays voisins peut s'avérer en réalité très onéreux. La mondialisation des flux a réduit les coûts de fret des importations en provenance de l'Europe, là où les échanges interrégionaux demeurent très coûteux.
Par exemple, nous pourrions penser en théorie qu'avoir davantage d'importations à moindre coût permettrait de répondre à la cherté de la vie, mais une partie des frais d'approche des approvisionnements est quasiment forfaitaire. Ainsi, nous y gagnerons un peu, mais il faut penser que ce coût de fret peut être parfois plus cher dans l'environnement proche que depuis l'Hexagone en raison de la massification des flux. Cette logique peut sembler contre intuitive, mais cela est bel et bien le constat dressé.
En outre, nous avons un enjeu très fort en matière de protection des consommateurs puisque, aujourd'hui, l'ensemble des consommateurs ultramarins bénéficie de la protection et des normes de l'Union européenne. Ainsi, les importations au sein d'un environnement proche sont possibles, mais à équivalence de normes et de protection pour les consommateurs. C'est pourquoi l'action du ministère des outre-mer au sujet de l'importation dans la zone est ciblée sur des produits dont les prix sont significativement plus bas et les normes équivalentes.
J'ajoute à cela un dernier élément à prendre en compte. Compte tenu des niveaux de développement hétérogènes au sein de chacune des zones, il y a un enjeu de protection des productions locales.
Enfin, sur les normes, les autorités françaises veillent à la prise en compte des spécificités des régions ultramarines dans le cadre des négociations européennes.
L'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne permet d'avoir des adaptations aux spécificités des RUP. Les autorités françaises tentent de le rendre effectif. Cet objectif a été réaffirmé en novembre dernier au sujet de l'avenir de la politique de cohésion. Nous avons obtenu, sur proposition de la délégation française, que l'ensemble de la réglementation européenne comporte à présent une étude d'impact sur l'effet de ces normes sur les RUP.
Un autre exemple d'actualité, emblématique de l'adaptation des normes, est la révision de la réglementation relative aux matériaux de construction. Il s'agit d'une demande inscrite depuis un certain temps et portée par l'ensemble des élus des outre-mer. Nous aurons bientôt la possibilité de déroger à l'obligation de marquage « Union européenne » pour permettre un marquage RUP.
En décembre dernier, la réunion de trilogue a adopté le texte. Il fera à l'avenir l'objet d'une adoption formelle. Si le Parlement vote la disposition avant les élections européennes, nous entamerons les travaux pour préparer les textes réglementaires et rendre effective cette avancée.
Afin d'ancrer le réflexe outre-mer, nous proposerons une instruction au Premier ministre pour rappeler à l'ensemble des ministères de prendre en compte la dimension ultramarine dans les négociations internationales qu'ils conduisent. En effet, la DGOM n'est pas toujours associée à ces négociations.
Je terminerai mon propos par quelques éléments sur l'action menée pour développer une diplomatie commune avec les territoires ultramarins. À la suite de la loi NOTRe, de nouvelles compétences ont été données aux collectivités. Pour accompagner ces compétences, nous avons déployé depuis 2016 des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région. Ce réseau n'est pas entièrement achevé. Quelques conseillers diplomatiques restent à installer.
En outre, une action est en cours de finalisation concernant les actes stratégiques concertés par bassin entre l'État et les collectivités afin de s'entendre sur les priorités de notre action commune à l'international. Une stratégie est également en cours au sujet des échanges commerciaux des territoires situés sur les océans Atlantique et Indien. L'enjeu est d'identifier les freins aux échanges et de mettre en place une stratégie pour les fluidifier et les diversifier.
Enfin, en parallèle dans la zone Pacifique - puisque les collectivités du Pacifique ont des compétences élargies par rapport aux autres collectivités ultramarines - nous finalisons un guide pratique à leur destination. Il porte sur l'action extérieure de la France pour aider ces territoires à s'emparer de ces outils afin que la coopération régionale soit pleinement effective.
Madame la Présidente, je vous propose à présent d'effectuer un éclairage par bassin.
M. Roland Dubertrand, ambassadeur chargé de la coopération régionale dans la zone Atlantique. - Je voudrais souligner quelques points relatifs aux questions d'intégration et d'insertion régionales.
D'un point de vue diplomatique, une revalorisation stratégique des outre-mer est constatée, en lien avec la situation internationale, notamment la compétition entre les États-Unis et la Chine. Cela est particulièrement le cas dans la zone Indopacifique. Des répercussions dans le bassin Atlantique et dans les Caraïbes sont également à noter.
Le rôle et les enjeux liés aux océans ont une importance croissante. À titre d'exemple, les États-Unis ont initié un partenariat avec plusieurs pays de l'Atlantique.
En outre, depuis une vingtaine d'années, les postes d'ambassadeurs chargés de la coopération régionale Antilles-Guyane - désormais appelés Atlantique depuis l'insertion de Saint-Pierre-et-Miquelon - et de la coopération régionale océan Indien ont été créés à l'occasion de la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2020 d'orientation pour l'outre-mer. Ainsi, nous disposons d'un certain recul sur ce dispositif. Le poste lié au Pacifique est plus ancien puisqu'il date des années 1980.
Je constate depuis ces vingt dernières années les bons résultats de la politique de l'État en faveur de l'intégration des outre-mer dans les organisations régionales.
En effet, la Martinique et la Guadeloupe sont entrées dans l'Organisation des États de la Caraïbe orientale (OECO) et Saint-Martin intégrera bientôt cette organisation.
La Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin sont notamment entrés dans l'association des États de la Caraïbe.
Aujourd'hui, la dernière étape est la Communauté des Caraïbes (Caricom), qui est l'organisation historique des pays de la Caraïbe. La Guyane et la Martinique sont candidats pour devenir membres associés de la Caricom.
Les collectivités jouent le jeu de la coopération et les élus participent aux actions. Les moyens de la coopération régionale sont aujourd'hui principalement fournis par le programme européen Interreg.
Le programme Amazonie, géré par la collectivité territoriale de Guyane, permet de développer des projets structurants avec les États du nord du Brésil. En outre, le programme Caraïbe, géré par la région Guadeloupe, est associé aux collectivités de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Ce rôle de l'Union européenne est crucial. L'État met également à disposition des préfectures le fonds de coopération régionale. En réalité, ce fonds soutient plutôt aujourd'hui les petits projets. L'action des collectivités compte également.
Dans le cadre de la coopération internationale en lien avec l'État et les collectivités, la montée de l'insécurité et des trafics dans l'ensemble caribéen est une réalité. Je pense que cela est évident au sujet du trafic de drogue et d'armes dans l'ensemble caribéen. Concernant la Guyane, une série de menaces et de défis ont été identifiés tels que la pêche illégale. Le sénateur Georges Patient présent parmi nous connaît parfaitement ces sujets.
La relation de la Guyane avec le Suriname et le Brésil est cruciale dans nombre de domaines, notamment dans celui de la coopération de sécurité. Il s'agit avant tout d'une compétence de l'État qui s'exerce au profit des territoires. Nous parlons d'un sujet qui progresse.
M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien. - Je voudrais en particulier souligner que notre action s'inscrit dans un double objectif : promouvoir l'attractivité des outre-mer dans la zone de l'océan Indien et les intégrer dans la région. Il faut véritablement intégrer ces territoires dans notre politique étrangère et dans nos objectifs stratégiques.
Mme Karine Delamarche a évoqué la stratégie Indopacifique. Dans la zone de l'océan Indien, nous représentons une part importante de l'Indopacifique et donc une part importante de la stratégie française et européenne.
Mon collègue a évoqué les enjeux régaliens. 70 % du commerce entre l'Union européenne et l'Asie passe par le transport maritime à travers l'océan Indien.
Nous avons effectivement des enjeux géostratégiques importants en lien avec l'Indopacifique. Nous bénéficions des atouts que nos outre-mer apportent dans la région. La Réunion est un point d'ancrage de notre politique étrangère et de la sécurité régionale. Elle est également un pilier pour notre stratégie Indopacifique avec le troisième port militaire et la troisième zone économique exclusive dans la zone - la deuxième au niveau mondial.
Intégrer nos outre-mer dans ces objectifs stratégiques constitue une véritable priorité. Travailler au renforcement de leur attractivité l'est également.
Dans l'océan Indien, nous pouvons renforcer la coordination de nos actions nationales à partir du fonds de coopération régionale ainsi que la coordination avec le financement Interreg, notamment à La Réunion, mais également à Mayotte.
Il existe également des possibilités de financement européen vis-à-vis d'actions très importantes dans la zone de l'océan Indien, particulièrement au profit de partenaires de la France ou pour appuyer les organisations régionales. En outre, nous bénéficions de la présence de la France à travers deux organisations régionales que sont la Commission de l'océan Indien (COI)et l'Association des pays riverains de l'océan Indien (IORA), dont nous sommes membres permanents depuis trois ans. Je rappelle l'importance de travailler avec les institutions européennes.
Nous sommes un partenaire important de la Commission de l'océan Indien, notamment avec un financement important de l'Agence française de développement (AFD) qui est le premier contributeur financier de la COI. Toutefois, l'Union européenne est le deuxième contributeur financier et s'avère un soutien très fort de la COI. L'Union européenne est également devenue observatrice de l'IORA. L'Union européenne va financer un certain nombre d'actions dans ce cadre, comme la France à travers l'AFD.
Dans ces deux organisations, les outre-mer jouent un rôle, en particulier La Réunion. Mayotte a un potentiel de développement par la coopération régionale notamment grâce à l'Interreg et à ses nombreux atouts.
Ces deux organisations régionales nous permettent de couvrir géographiquement trois principaux cercles dans l'océan Indien :
- les îles du Sud-Ouest qui sont membres de la commission de l'océan Indien ;
- la côte africaine avec laquelle La Réunion et Mayotte coopèrent de plus en plus ;
- les pays riverains de l'Indopacifique tels que l'Inde ou l'Indonésie qui sont des partenaires stratégiques.
Nous travaillons également à mettre en avant les atouts des collectivités. Je voudrais indiquer que nous travaillons avec les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) en plus de La Réunion et de Mayotte. La Réunion reste le vaisseau amiral de la politique française dans l'océan Indien. Pour autant, les TAAF ont une capacité de coopération scientifique. En effet, des feuilles de route ont été développées récemment avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD) pour une coopération scientifique avec les partenaires de la région. J'ai évoqué l'importance de la ZEE. Dans nos échanges, nous avons l'occasion d'évoquer les projets prometteurs à partir des atouts de chacun. La Réunion, par exemple, est véritablement initiatrice de projets structurants dans le cadre de l'IORA avec nos partenaires indiens, indonésiens, australiens, sud-africains sur un certain nombre de sujets. Ainsi, La Réunion met en oeuvre pour la France la politique de stratégie Indopacifique ainsi que des partenariats stratégiques avec un certain nombre d'acteurs régionaux.
Au sein de la commission de l'océan Indien, nous souhaitons porter une véritable communauté de destins avec des projets très structurants en cours et en développement que nous continuerons à soutenir. Je voudrais en mentionner deux.
Le premier programme, à travers le réseau SEGA - One Health, porte sur la santé humaine, animale et l'impact environnemental. Il comporte une structure opérationnelle - de gestion de crise en matière de santé et de surveillance épidémiologique qui a fait ses preuves dans le contexte de la crise du Covid. Son action se poursuit avec le soutien des partenaires, notamment la France et l'Union européenne.
Le deuxième programme appelé MASE porte sur la sûreté maritime. J'ai évoqué ces enjeux géostratégiques. La commission de l'océan Indien, avec notre appui et celui de l'Union européenne, est partenaire dans la mise en oeuvre, dans le contexte d'une politique européenne de promotion de la sécurité et de la sûreté maritimes en Afrique et dans la zone de l'océan Indien, d'un programme qui gère en particulier deux centres mutualisés, un de fusion d'information opérationnelle à Madagascar et un autre de coordination opérationnelle située aux Seychelles.
Mme Micheline Jacques, président. - Je laisse la parole aux deux rapporteurs pour le bassin de l'océan Indien.
M. Stéphane Demilly, rapporteur. - En France hexagonale, une inflation de 4,9 % a été enregistrée cette année. J'ai posé une question écrite au Gouvernement sur le ressenti et le réel. Pour l'inflation, des chiffres officiels sont annoncés par l'Insee. Pour autant, le ressenti des populations diffère. Ces chiffres de l'Insee ne sont pas en phase avec le ressenti des populations. Un taux officiel est communiqué par département. Il serait intéressant de se pencher sur la réaction de la population par rapport à l'inflation.
Mme Karine Delamarche. - En réalité, le niveau d'inflation est moindre dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone. Pour autant, le niveau de prix actuel reste très élevé. L'inflation commence à être réellement perçue dans l'Hexagone mais, dans les territoires ultramarins, il s'agit déjà d'un phénomène ancien. Cependant, des sujets lourds sont à traiter dans ces territoires comme l'octroi de mer, le coût des importations, l'absence de diversification.
Mme Micheline Jacques, président. - Je passe la parole à Georges Patient, en visioconférence.
M. Georges Patient, rapporteur. - J'aimerais obtenir des précisions quant à la gouvernance de la coopération régionale. Comment le travail est-il réparti entre les ministères ? Dans l'océan Indien, comment pouvons-nous concevoir l'absence de Mayotte à la Commission de l'océan Indien ? En effet, la France et l'Europe sont des financeurs importants. L'AFD y joue un rôle très actif.
M. Roland Dubertrand. - Les ambassadeurs de la coopération régionale de la zone Atlantique et de l'océan Indien ont une lettre de mission cosignée par le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères et le ministre des Outre-mer. Des instances se sont développées dans le respect des compétences de chacun sous l'égide du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.
Dans leur domaine de compétences, les collectivités ont des possibilités d'interagir à l'international. Désormais, les DROM ont acquis des compétences internationales que les régions métropolitaines n'ont pas, notamment celles de signer des accords de coopération avec les États étrangers si elles le souhaitent. Nous avons donc, d'une part, les compétences traditionnelles de l'État en politique extérieure qui sont bien établies et, d'autre part, les compétences de l'action internationale des collectivités dont des compétences nouvelles pour les DROM. Des compétences nouvelles sont en effet à souligner pour les DROM, en particulier depuis la loi Letchimy de 2016.
Pour travailler ensemble dans le respect des compétences de chacun, les ambassadeurs chargés de la coopération régionale sont aussi chargés d'organiser les conférences de coopération régionale. Concernant la région Antilles-Guyane, une conférence de coopération régionale a lieu chaque année. La dernière s'est tenue en Guadeloupe au mois de mars dernier. La prochaine se déroulera pour la première fois à Saint-Martin en avril prochain. Il s'agit d'une instance prévue par la loi qui est un moment de dialogue entre l'État, les collectivités, les élus et les acteurs publics et privés de la coopération.
Une plateforme de coopération régionale à destination des ambassadeurs est mise en place. Pour Antilles-Guyane, une réunion en visioconférence a lieu tous les deux mois avec les agents de préfecture, les services des collectivités chargés de la coopération régionale et les conseillers culturels et de coopération dans la région Caraïbes et du plateau des Guyane. Il s'agit d'une instance d'information et de concertation.
En outre, la mesure n° 54 du CIOM engage une réflexion pour mieux associer les collectivités d'outre-mer par bassin à la politique extérieure de l'État. C'est pourquoi des stratégies de bassin entre l'État et les collectivités pourraient être proposées pour avoir une vision concertée par zone. Il s'agirait d'une réelle avancée.
M. Jean-Claude Brunet. - À l'échelle de l'océan Indien, la prochaine conférence de coopération régionale se tiendra à Mayotte. Au même moment, se déroulera également le Forum économique des îles de l'océan Indien. Mayotte participe déjà à un certain nombre d'actions régionales, notamment dans le domaine économique à travers Cap Business océan Indien, mais également dans le cadre de la Commission de la jeunesse et des sports de l'océan Indien et de la Conférence sur les Jeux des îles.
Le consensus des États membres est nécessaire au sein de la Commission de l'océan Indien (COI). Depuis 2019, nous avons progressé dans un certain nombre de domaines pour lesquels Mayotte, ses intervenants et acteurs, sont parties prenantes. Je pense à des programmes prévus dans le contexte de la COI. Il s'agit d'un sujet sur lequel nous travaillons étroitement avec l'ensemble de nos partenaires.
En outre, au-delà de la gouvernance régionale qui inclut pleinement Mayotte, nous travaillons également avec l'État, Mayotte et le conseil départemental sur un renforcement de la coopération pour aider Mayotte et les cadres en charge de la coopération régionale. L'objectif est d'améliorer leur connaissance et leur spécialisation sur les sujets de politique régionale et de coopération internationale. C'est pourquoi un certain nombre d'actions préparées ont été mises en oeuvre par Mayotte, en particulier entre les ministères de l'Europe et des Affaires étrangères, des Outre-mer et la DGOM. En effet, Mayotte dispose d'atouts importants avec un potentiel conséquent à développer. Les liaisons aériennes se développent. Les coopérations de Mayotte avec les îles voisines comme Madagascar, mais aussi avec la Tanzanie et le Mozambique s'intensifient.
En matière de soutien pour l'attractivité économique, nous menons avec mon collègue Roland Dubertrand un travail en commun dans le contexte du CIOM, plus précisément sur la mesure n° 9 portant sur les stratégies commerciales.
Nous développons des propositions de diplomatie économique pour soutenir nos outre-mer. Je voudrais signaler que les entreprises et entrepreneurs mahorais sont déjà parties prenantes d'actions menées dans la région. Je souhaite rappeler un événement qui s'est tenu en 2023 à Maputo au Mozambique avec une Team France Export et des entrepreneurs mahorais et réunionnais dans ce pays. Il existe un fort potentiel de développement des coopérations.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Je souhaite revenir sur le sujet de la diplomatie des outre-mer. De nombreuses actions ont déjà été engagées ces dix dernières années.
Placer des conseillers diplomatiques auprès des préfets plutôt qu'auprès des exécutifs locaux n'est-il pas un frein pour travailler avec les outre-mer ?
Dans quelle mesure pensez-vous que les actions de coopération des outre-mer risquent de contrevenir à une politique nationale en la matière ?
Il faut pouvoir évoquer sans tabou ces sujets au sein de cette délégation. Nous avons aussi pu entendre, hier, dans le cadre du groupe d'amitié avec les élus du Pacifique, une volonté de la part des agents de l'AFD de mener une stratégie par bassins.
Ainsi, il faut réfléchir à mieux associer les conférences régionales à l'AFD et aux ambassadeurs, notamment pour participer en amont à la définition des stratégies régionales, au-delà des compétences des collectivités.
Je pense par exemple, dans le cadre du Pacifique, aux discussions portant sur la pose d'un câble en coopération avec la Nouvelle-Zélande pour raccorder la Polynésie française d'une nouvelle manière.
Le Gouvernement de la Polynésie française a mené un certain nombre de discussions. Quelques blocages ont été rencontrés notamment parce que les collectivités n'ont pas été suffisamment associées en amont. Aucune discussion stratégique n'a été menée avant d'entamer des discussions opérationnelles.
Identifiez-vous des blocages ?
M. Roland Dubertrand. - Je vais répondre au sujet de la conférence de coopération régionale. À mon sens, cela correspond à l'esprit de la mesure n° 54 du CIOM qui vise notamment à mieux associer l'État et les collectivités dans l'action extérieure.
Concernant la conférence Antilles-Guyane, nous formons un groupe de travail en visioconférence animé par l'ambassadeur, avec les préfectures et les collectivités. Nous parlons de l'organisation matérielle de la conférence, mais aussi du contenu, de ce qu'il se passe dans les sessions. Un premier débat porte sur le type de recommandations que nous voudrions réaliser ensemble.
Ainsi, dans le cas de la Guadeloupe, un tableau de 13 recommandations communes a été créé en mars dernier. Nous nous sommes mis d'accord sur une série de préconisations. Je pense qu'il s'agit d'une méthode de travail adéquate. Les conférences de coopération régionale doivent être réalisées de manière concertée.
La phase actuelle concerne les stratégies de bassin proposées aux collectivités. Dans le cadre de la réflexion sur la mesure n° 54, d'autres étapes suivront. Souhaitons-nous par exemple conclure des conventions sur la manière de travailler ensemble au sein des organisations régionales ? Nous devons regarder ensemble les différents outils. La ligne générale est une meilleure association des collectivités à l'action extérieure régionale.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Concernant le ressenti des populations vis-à-vis de l'inflation, la réponse de Madame Karine Delamarche souligne l'existence d'un véritable problème d'indicateurs, notamment concernant les estimations de l'Insee en outre-mer. Le personnel de l'Insee réalise un travail formidable. Il mériterait cependant d'approfondir son approche. Il suffit de vivre dans les territoires pour constater que les prix sont intenables.
Nous parlons des collectivités les plus pauvres de France.
En outre, nous ne pouvons pas nous contenter des réponses de la COI. En effet, l'Europe finance la COI. Mayotte n'intègre pas la COI, sous la pression des Comores qui mènent une politique postcoloniale. Nous souhaitons que les jeunes réalisent des compétitions avec le drapeau français et chantent la Marseillaise. Mayotte mérite sa place à part entière dans ces instances régionales, sans la comparer à La Réunion qui reste le vaisseau amiral. La situation géographique fait de Mayotte un lieu de passage stratégique. Le fait qu'elle ne puisse pas en tirer profit est scandaleux, notamment en raison de problématiques insurmontables. Nous reconnaissons les efforts faits, mais cela s'avère insuffisant. Je rappelle que Mayotte est un département à part entière.
M. Jean-Claude Brunet. - Un courrier a été adressé en octobre 2023 à Madame Catherine Colonna au sujet d'un déplacement à l'ONU en vue de défendre la souveraineté française à Mayotte devant la communauté internationale. Dans son courrier en réponse, daté du 30 novembre 2023, la ministre a affirmé son soutien aux élus nationaux et territoriaux de Mayotte et a indiqué avoir demandé à la représentation permanente de la France auprès de l'ONU à New York d'apporter tout l'appui nécessaire à l'organisation de ce déplacement.
Mme Micheline Jacques, président. - À titre personnel, j'assure les Mahorais de mon soutien et je ne doute pas de celui de la délégation. Je salue les revendications de Mayotte pour être pleinement reconnue comme un territoire français dans la zone.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - La situation est réellement complexe. Les élus locaux doivent éprouver des difficultés pour appréhender cette problématique. Des points d'amélioration pourraient être trouvés.
Nous devons comprendre ces freins pour la coopération régionale. Je pense que la complexité peut expliquer le retard pris.
Il est étonnant que nous n'ayons pas eu ce matin une réflexion sur le dispositif de formation. Or, il s'agit véritablement de l'une des difficultés de ces territoires. Pour donner de l'espoir et un avenir aux jeunes de ces territoires, ce sujet devrait constituer une priorité.
Mme Karine Delamarche. - Je vous rejoins sur la complexité qui peut être liée à celle d'Interreg.
Pour ce faire, le ministère des Outre-mer déploie des aides à l'ingénierie. Il faut laisser le temps aux acteurs de s'associer sur les questions d'emploi et de formation. Ces sujets dépassent cependant le cadre de la coopération régionale.
Je précise qu'un investissement massif de l'État a été réalisé en faveur de l'emploi et de la formation des jeunes. Il s'agit de l'une des grandes priorités du ministère.
M. Roland Dubertrand. - Dans le contexte Antilles-Guyane, les thèmes de l'emploi et de la formation sont liés à la mobilité des jeunes. Un projet Interreg nommé ELAN a par exemple été mis en oeuvre. Il permet de favoriser, pour la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les flux étudiants, scolaires, apprentis, stagiaires, enseignants avec la région. Cela peut aller du simple échange scolaire d'une semaine à la formation des étudiants à la fois à l'université et dans l'environnement professionnel.
Il s'agissait du programme ELAN 2014-2020. J'espère que le nouveau programme Interreg verra également la présence d'un projet ELAN puisque c'est un des outils pour mettre en oeuvre la coopération de formation dans la région.
M. Jean-Claude Brunet. - Dans l'océan Indien, des actions similaires mais aussi des dispositifs spécifiques ont été menés. Dans ce cadre, l'équivalent du programme ELAN est le programme Réunion qui s'articule désormais avec un nouveau programme de la COI soutenu par l'AFD. Celui-ci entre aujourd'hui dans une phase opérationnelle après une phase d'étude des bassins d'emploi et des capacités de formation professionnelle. Ce programme sera spécifiquement dédié à la mobilité et à la formation professionnelle.
Un effort de ciblage des besoins et de l'employabilité entre l'ensemble des îles du Sud-Ouest de l'océan Indien est mené, notamment sur le fondement d'études réalisées directement avec le tissu économique des différentes îles.
Nous entrons donc dans une phase opérationnelle. En effet, avec le soutien de l'AFD, une équipe permanente travaillera en lien avec les États de la région.
En matière d'enseignement supérieur, La Réunion développe des relations de plus en plus diversifiées, notamment avec des pays comme l'Inde et l'Australie.
Pour défendre l'emploi dans nos outre-mer, la promotion des entreprises de La Réunion et de Mayotte dans leur environnement est essentielle. Dans le contexte de l'IORA, un forum des affaires se tiendra, à présent redynamisé par toutes les parties prenantes. Une partie Tech y sera intégrée. La Réunion deviendra ainsi la première capitale French Tech des outre-mer.
La Tech dans l'océan Indien est en lien avec les pôles de compétitivité comprenant plus largement l'Hexagone et les outre-mer. Ils seront pleinement associés à ces forums d'affaires. Il était très intéressant, à l'occasion des Outre-mer French Tech Days, de rencontrer des entrepreneurs de Nouvelle-Calédonie ou des Antilles, présents à La Réunion et éventuellement intéressés par le forum d'affaires avec l'Inde et l'Australie.
Nous allons constituer une équipe « France outre-mer » avec le conseil régional de La Réunion qui est pleinement partie prenante de cette stratégie économique. Cet événement aura des répercussions en termes d'emploi.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous sommes malheureusement contraints par le temps. Je propose à nos autres collègues de poser leurs questions en étant le plus concis possible.
M. Saïd Omar Oili. - Comment se fait-il que nous ne puissions pas importer à Mayotte des produits de La Réunion, notamment pour lutter contre la cherté de la vie ?
En outre, pouvez-vous préciser ce que signifient la sécurité et la sûreté maritimes. L'immigration est-elle intégrée à cette thématique ?
Deux projets structurants ont été évoqués, mais qu'en est-il du projet gazier du Mozambique avec TotalEnergies ? Mayotte est pourtant partie prenante dans ce grand projet de l'océan Indien.
Mme Lana Tetuanui. - De nombreuses actions restent à mener dans les territoires ultramarins.
Vous avez évoqué la stratégie Indopacifique. Cela fait plusieurs années que j'entends parler de ce sujet. En tant qu'élus, nous n'avons jamais été associés ni moi ni mon collègue sénateur, Teva Rohfritsch, ni moi.
Quelles sont les déclinaisons de cette stratégie Indopacifique ? Qu'est-ce que cela signifie ?
Sous l'égide du maire de Rapa Nui, c'est-à-dire l'île de Pâques, un grand sommet se tiendra sur l'île en avril. L'ensemble des petits États sera invité. Ce sommet portera sur la problématique de la pollution plastique dans l'océan Pacifique.
J'ai été invitée en tant que parlementaire de la Polynésie française. Quelle est la position du représentant de l'État sur cette question ?
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteur. - Concernant le cyclone Belal, je salue la réactivité de l'État pour porter secours aux côtés des différents acteurs, économiques notamment. Aujourd'hui, l'heure est au bilan et à la reconstruction de La Réunion. La question du coût s'impose. Il s'agit d'un territoire concerné par la cherté de la vie. Malgré tout, les fonds apportés ne sont pas inépuisables. Or, l'inflation, la vie chère et les coûts augmentent pour le fret du fait de différents conflits mondiaux et des crises du monde entier qui impactent nos territoires ultramarins.
Nos collectivités doivent payer pour cette reconstruction. La question de la coopération régionale se pose. Qu'est-ce qu'une coopération réellement décentralisée ? La problématique du développement économique de la région est un enjeu.
Nous ne sommes pas à l'abri d'autres crises. Comment pouvons-nous y répondre sur le long terme ?
Parmi les questions qui intéressent La Réunion, la notion de ligne maritime régionale a été évoquée. Comment se fait-il que cela ne soit pas un axe de développement de la France ? Il s'agit d'un vrai sujet.
Concernant la question diplomatique, une région ou un département d'outre-mer ne peut pas rivaliser avec des puissances telles que la Chine ou l'Inde d'un point de vue économique. La France doit aider à la mise en place d'outils de développement. Il nous faut exister en tant que pays dans nos océans.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Nous arrivons presque au terme de la première partie de cette audition. Je vais laisser la parole à Audrey Bélim et à Victorin Lurel.
Mme Audrey Bélim. - Je partage les interrogations de mes collègues. Je souhaiterais revenir sur les relations commerciales dans les bassins régionaux. Quelle est la méthode pour mettre en place les stratégies évoquées ?
La mutualisation des moyens permettrait d'agir sur le réchauffement climatique, le pouvoir d'achat et la cherté de la vie. En matière de santé, comment souhaitons-nous faire rayonner la France et son action sur le CHU de La Réunion ? Nombre de spécialités dans le domaine médical manquent sur ce territoire.
Cette stratégie doit se développer singulièrement grâce aux atouts de l'ensemble des acteurs. Il faudrait le réaliser rapidement.
M. Victorin Lurel. - Nous devons sortir du discours. Malgré une bonne volonté indéniable, les mêmes discours se répètent au sein des conférences régionales. Les seules initiatives concluantes sont celles qui recouvrent un enjeu financier.
Un focus par thématique serait pertinent. Que se passe-t-il concernant la coopération sanitaire ? Quels sont les obstacles identifiés ? Que faisons-nous en matière de coopération policière et judiciaire ? J'entends que nous allons nommer des magistrats de liaison alors que nous avons toujours échoué à nommer des officiers de liaison à la Dominique, au sud de la Guadeloupe ainsi qu'à Sainte-Lucie dans les Antilles.
Depuis que Nicolas Sarkozy a été ministre de l'Intérieur, des conventions de réadmission ont été signées avec la Dominique et avec Sainte-Lucie. Leur mise en oeuvre n'a donné lieu à aucun bilan. Combien de personnes en situation irrégulière en Guadeloupe, en Martinique ont été renvoyées par exemple à Haïti, à Saint-Domingue ?
Nous constatons manifestement un souci de transparence.
Depuis le vote de la loi Letchimy en 2016, combien d'accords ont été signés ? Quel est le bilan ?
Pourquoi les conventions de délimitation des eaux territoriales n'ont-elles pas abouti ? Pourquoi n'y a-t-il pas de conventions de pêche avec l'Europe ? Pourquoi depuis si longtemps, ne sommes-nous pas revenus à la banque caribéenne de développement ? Peu d'actions concrètes sont réalisées. Nous souhaitons proposer des conseillers aux questions consulaires auprès des préfets. Je m'interroge. Les régions se sont vues doter de chargés de mission dans les pays de la Caraïbe. Quand j'étais moi-même au sein de l'exécutif, nous avions notamment des chargés de mission au Québec, à Miami et au Venezuela.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous invite à poser par écrit toutes les interrogations que vous formulez. Le sujet est vaste. C'est pourquoi nous avons fait le choix de rédiger une étude par bassin océanique.
Vous avez parlé des fonds Interreg et des relations avec les pays étrangers. Nous n'avons pas énormément parlé des territoires qui sont sortis du statut de PTOM à cause du Brexit. Dans les Caraïbes, 15 territoires sont concernés. Ils disposent d'un pouvoir de développement limité. Insidieusement, nous voyons des pays, notamment la Chine, mettre en oeuvre des politiques de développement de ces territoires. Il s'agirait d'évaluer comment la France, grâce à son influence dans la zone et à ses outre-mer, pourrait contrer celle croissante de ces puissances.
Jeudi 1er février 2024
Audition Jean-Claude
Brunet, ambassadeur délégué à la coopération
régionale dans la zone de l'océan Indien
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin, et pour la seconde fois, Son Excellence M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien.
Monsieur l'Ambassadeur, nous vous remercions de vous prêter à ce nouvel échange dont nous avons eu un avant-goût à l'occasion de l'audition de la Direction générale des outre-mer (DGOM), le 18 janvier dernier, afin d'approfondir avec nos rapporteurs ce sujet qui est au coeur de votre mission diplomatique.
Je rappelle que, pour cette étude, notre délégation a nommé un rapporteur coordonnateur Christian Cambon et trois binômes de rapporteurs, soit un binôme par bassin. Pour le bassin Indien, nos rapporteurs sont : Georges Patient et Stéphane Demilly.
La coopération régionale dans les outre-mer est encore trop peu développée alors qu'elle représente un potentiel considérable. Une meilleure intégration régionale pourrait, selon nous, constituer un levier de lutte contre la vie chère, mais aussi de meilleurs outils pour la gestion de certaines crises, comme l'eau à Mayotte.
Elle pourrait être aussi un facteur de stabilisation et de sécurité car de plus en plus, les outre-mer sont exposés à des risques environnementaux, mais aussi géostratégiques.
Les enjeux de police et de sécurité sont aussi croissants face à des réseaux criminels puissants...L'audition du général Lionel Lavergne, la semaine dernière, a été fort éclairante de ce point de vue !
Quel est l'état des lieux de la coopération dans la zone océan Indien ? Quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ? Y a-t-il une coordination suffisante des actions de coopération des différents acteurs français (État, AFD, région, départements, communes, agences diverses de l'État) ? Permet-elle de dégager des axes d'action communs ?
Voici quelques-unes de nos interrogations...
Je laisserai nos rapporteurs vous questionner après votre exposé liminaire qui va vous permettre de revenir sans doute sur certains aspects de votre précédente audition mais aussi d'approfondir d'autres points et exemples précis d'après le questionnaire qui vous a été adressé.
Puis, comme à l'accoutumée, nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.
Vous avez la parole, Monsieur l'Ambassadeur.
M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien. - Merci Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs et sénatrices
C'est un grand honneur et plaisir d'être parmi vous ce matin pour présenter la coopération régionale dans cette belle région de l'océan Indien. Comme vous l'avez rappelé Madame la présidente, je souhaiterais reprendre le fil de notre échange lors de ma dernière audition avec la directrice générale adjointe de la DGOM et mon collègue Roland Dubertrand en charge des Antilles Guyane, pour spécifiquement rappeler le contexte et la dynamique de la coopération régionale.
L'effort doit être soutenu. Nous devons franchir un saut qualitatif. Je voudrais vous faire part du cadre et des conditions de la dynamique en cours qui nous permettront de franchir ce saut qualitatif avec les territoires et les collectités.
Tout d'abord je rappellerai que dans la région de l'océan Indien, nous sommes avec nos outre-mer, La Réunion et Mayotte, partie intégrante de la région, et de la construction de la coopération régionale avec les autres îles et pays littoraux et côtiers de la région, selon plusieurs cercles concentriques : les îles du Sud-Ouest immédiatement voisines de La Réunion et Mayotte rassemblées au sein de la Commission de l'océan Indien (COI), mais aussi les partenaires d'Afrique australe et d'Afrique de l'Est ainsi que les pays de l'association des États riverains de l'Océan indien (IORA) dont la France est membre depuis trois ans. Il faut signaler à cet égard que davantage de nos territoires participent aux activités de l'IORA.
Si la situation est loin d'être satisfaisante en termes de pleine intégration régionale et si les dynamiques doivent être encouragées, ces dernières années marquent un progrès notable de la coordination, avec un renforcement des territoires. Nos deux objectifs visent d'un part à faire participer nos territoires ultramarins à la politique étrangère de la France dans la région et, d'autre part, à ce que les ministères concernés apportent sur place aux acteurs des territoires, avec les élus et les collectivités, un soutien coordonné grâce aux moyens du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, des ambassades et des préfectures. Nous avons en effet pour objectif que l'ensemble de ces coopérations renforcent l'attractivité de nos territoires, notamment en matière d'échanges économiques, de coopération universitaire et de tourisme.
Mon rôle est, à Paris, d'appuyer la coordination interministérielle. En cela, je travaille en lien étroit avec mes collègues du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, la Direction Afrique et océan Indien, le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et « l'interministériel ».
Je me rends régulièrement dans la région, en principe tous les deux mois. Lors de ma prise de fonction il y a un an, j'ai tenu à réserver mon premier déplacement à Mayotte.
Nous nous appuyons fortement sur les organisations régionales généralistes telles que la COI et l'IORA, dont la France est membre de plein droit et associe nos territoires de plus en plus à ses politiques et cadres.
Nous avons aussi d'autres enceintes spécialisées en dehors de ces deux grandes organisations, que ce soit dans le domaine de la jeunesse et des sports ou dans le domaine économique. Dans ces domaines, La Réunion et Mayotte sont pleinement intégrés malgré quelques progrès à réaliser dans le domaine de la reconnaissance internationale de la souveraineté française sur Mayotte. Néanmoins, il est important de mentionner les cadres économiques puisqu'un Forum économique des îles de l'océan Indien se tiendra à Mayotte en avril prochain, avec l'ambition d'obtenir une pleine intégration de ces deux territoires.
Je voudrais signaler aussi que la COI représente une priorité pour nous car elle gère directement des programmes pour plus de 200 millions d'euros, avec le soutien principal de l'Agence française de développement (AFD) et de l'Union européenne. La COI s'est fixé pour but de favoriser l'intégration régionale, de créer une communauté de destins entre les îles du Sud-Ouest de l'océan Indien. Il s'agit d'une organisation francophone qui développe des liens avec les États côtiers africains et au-delà. Pour notre part, nous consacrons à cette intégration forte de nombreux moyens financiers et humains en expertise à partir de la région, notamment grâce au maillage incomparable d'acteurs que nous pouvons mobiliser sur place sur ces programmes à La Réunion. Les thématiques extrêmement variées traitées par la COI sont d'un intérêt direct pour la politique étrangère de la France dans la région ainsi que pour l'attractivité de nos territoires, leurs intérêts et besoins spécifiques d'État insulaire dans la région.
Je donnerai juste une énumération de cette diversité de thèmes. Vous avez évoqué, Madame la présidente, les questions de sécurité. En effet, la sécurité et la sûreté maritime figurent parmi les thèmes importants de cette architecture régionale. De même, la surveillance épidémiologique et la santé humaine, animale et environnementale font partie du programme de surveillance épidémiologique et gestion des alertes (SEGA), qui a été particulièrement opérationnel dans le cadre de la crise du Covid-19 et qui pourrait l'être encore à l'occasion d'autres crises sanitaires.
Je citerai également les coopérations en matière de météorologie, la résilience des États côtiers, la sécurité alimentaire, l'entrepreneuriat, le développement des échanges économiques dans l'économie bleue et circulaire, le renforcement de la sécurité portuaire, la gestion des pêches, la coopération face aux risques naturels et la promotion dans le domaine culturel et de l'emploi dans les industries culturelles et créatives.
Pour terminer mon propos liminaire, j'ai évoqué un cadre favorable et une dynamique en cours. Lors de ma précédente audition, nous avions évoqué la mesure 54 du Comité interministériel des outre-mer (CIOM), prévoyant l'organisation de conférences de coopération régionale par bassin. Ces conférences existaient antérieurement mais sont aujourd'hui appuyées politiquement et font l'objet d'un suivi. Surtout, la mesure 54 décide pour la première fois que dans le cadre des conférences de coopération régionale, nous adopterons des stratégies de bassin concertées avec les territoires pour faire participer ces derniers davantage à la politique étrangère de la France dans la région. Il s'agira aussi de leur permettre de défendre directement leur attractivité et la coopération régionale. Ainsi dans ce cadre, se tiendra pour la première fois depuis longtemps à Mayotte en avril prochain, une conférence de coopération régionale pour l'océan Indien. Nous adopterons cette stratégie dans la cadre de la plateforme de coopération France de l'océan Indien, qui permettra d'échanger entre tous les acteurs (États, territoires, collectivités et ministères des Affaires étrangères et des outre-mer) du territoire pour préparer cette stratégie et en assurer le suivi.
Cette structuration nous aidera à renforcer la coordination, mais nous percevons déjà que la coopération, notamment avec l'Union européenne, porte ses fruits. Je me suis rendu plusieurs fois à Bruxelles pour faire le point avec la commission européenne sur la coordination France, Union européenne et AFD, notamment en matière de financement. La dynamique favorable réside dans cette volonté commune de différents acteurs de travailler entre Français et Européens à une meilleure coordination.
Au niveau national, cette coordination renforcée s'exerce aussi via divers instruments dont je pourrai donner le détail.
Enfin, la diversification des thèmes en matière de coopération régionale est réelle tant dans les organisations régionales que de façon bilatérale ces dernières années. Cette diversification des thèmes fait écho à la diversité des zones géographiques que j'ai évoquée.
Je me tiens à votre disposition pour répondre point par point au questionnaire. Je vous remettrai également une réponse écrite.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin Indien. - Monsieur l'ambassadeur, je trouve assez particulière cette coopération régionale dans l'océan Indien car il existe deux attitudes selon qu'on parle de La Réunion ou de Mayotte. Comment vous organisez-vous lorsque vous vous trouvez en présence des Comoriens ? La question du statut de nos différents départements et régions d'outre-mer n'est-elle pas gênante ? Comment sommes-nous perçus nous, ultramarins, par les représentants de ces territoires avec lesquels nous entamons des relations ? Je souhaiterais que vous évoquiez l'attitude de ces représentants étrangers lorsqu'ils sont en présence de nos représentants, tout comme des représentants du ministère des Affaires étrangères ou du ministère des Outre-mer.
En deuxième lieu en matière de relations avec ces territoires, ne devrions-nous pas mieux parler d'« insertion régionale » au lieu d' « intégration régionale » ?
Enfin, quels sont les moyens pour lutter contre la pêche illégale dans nos eaux ? Ce fléau ne concerne pas uniquement l'océan Indien mais tous nos territoires d'outre-mer. Ce pillage des ressources est le fait d'États riverains mais pour lesquels les relations avec notre État souverain sont peu importantes.
M. Jean-Claude Brunet. - Concernant Mayotte et La Réunion, il existe un maillage très dense et un processus de renforcement des relations avec les États voisins, ce qui concerne les deux territoires y compris Mayotte. J'ai évoqué le forum économique des îles de l'océan Indien qui se tiendra à Mayotte avec la participation d'entreprises en provenance de tous les États de la région. Il y a quelques semaines, le conseil départemental de Mayotte a accueilli des représentants de plusieurs pays de la région, y compris des Comores, à l'occasion des Assises de la croissance verte. Il est vrai que dans le cadre d'organisations intergouvernementales telles que la COI et l'IORA, la France a adhéré au titre de La Réunion pour permettre l'insertion régionale de ce territoire. Nous maintenons un dialogue constant et régulier avec tous les États de la COI, y compris les Comores, sur toutes les questions concernant spécifiquement l'insertion dans les programmes de la COI.
Le cadre dynamique que j'ai évoqué, avec les conférences de coopération régionale et les stratégies de bassin, prend toute son importance. En avril prochain à Mayotte lors de la Conférence de coopération régionale de l'océan Indien (CCROI), nous évoquerons l'insertion régionale de Mayotte, la reconnaissance de Mayotte au même titre que La Réunion et l'intérêt commun de tous les partenaires à favoriser cette insertion.
Sur le point de savoir comment Mayotte est perçue, je voudrais souligner qu'il existe des coopérations bilatérales entre Mayotte et Les Comores, de même que des programmes soutenus par l'AFD. Bien évidemment, la gestion de problèmes prioritaires tels que la lutte contre l'immigration clandestine est évoquée lors de ces échanges. D'autres domaines d'échanges sont également développés. Par conséquent il est important de reconnaître que l'utilité d'un renforcement des relations avec Mayotte n'est pas remise en question, ce qui offre encore des bonnes perspectives pour renforcer le maillage et l'insertion.
En deuxième lieu, je préfère également le terme d'insertion régionale pour couvrir l'état des activités dont nous parlons. J'ai employé celui d'« intégration » car la COI à terme, dans sa démarche, définit une identité commune indianocéanique francophone entre les partenaires des îles du sud-ouest de l'océan Indien, ce qui peut se référer à une notion plus extensive que celle d'insertion. Il s'agit de définir notre avenir commun dans un intérêt mutuel, comme l'appellent de leurs voeux un grand nombre d'acteurs de nos territoires.
Si nos élus et acteurs de Mayotte souhaitent cette insertion pleine et entière dans la COI, c'est aussi pour faire partie de ce grand projet de créer une indianocéanie francophone, dynamique et solidaire.
Enfin, concernant la lutte contre la pêche illégale, il s'agit de l'une des grandes priorités de notre action collective, avec l'implication des moyens de l'État à La Réunion mais également dans les Terres australes antarctiques françaises (TAAF). Les préfets et leurs services sont très impliqués, de même que les conseils régionaux dans leur rôle en matière de gestion des pêches. Nous menons une action de surveillance avec la marine nationale pour lutter contre la pêche illégale dans notre zone économique exclusive (ZEE). Nous avons en outre noué des coopérations importantes dans ce cadre cofinancées par l'AFD et l'Union européenne, en lien en partie avec la COI.
Enfin, je citerai une initiative prise par la France avec l'Indonésie dans le cadre de l'IORA. Il y a six mois, nous avons engagé un exercice d'élaboration d'une directive commune aux 23 pays de l'IORA contre la pêche illégale. Un premier atelier s'est tenu à Djakarta et un deuxième aura lieu à La Réunion en mai prochain, dans l'optique d'une adoption de la directive par la ministérielle de l'IORA en octobre 2024. Ainsi, tous les pays de la zone se fixeront des objectifs ambitieux et rappelleront les règles applicables.
Par ailleurs, nous travaillons avec la Commission européenne dans le cadre des actions d'assistance aux États de la région pour les aider à se mettre aux normes, en diffusant si nécessaire des cartons rouge ou orange de l'Union européenne aux États en matière de respect des normes définies par la politique européenne. La démarche de la France au sein de l'IORA s'inscrit pleinement dans ce cadre, en bonne coordination avec l'Union européenne.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur pour le bassin Atlantique. - Depuis que j'ai intégré ce groupe de travail, j'ai le sentiment que cette coopération régionale, qui est une richesse pour nos territoires ultramarins, est très complexe. En tant qu'élue francilienne, je constate déjà la complexité des coopérations en Ile-de-France. Depuis que j'ai rejoint cette délégation qui me passionne, je me dis qu'il faut avoir de la volonté pour y arriver. Les choses ont été complexifiées avec un tel millefeuille. Dans le contexte de nos règles et de nos lois, il est dommage de ne pas donner davantage de marges de manoeuvre à nos territoires. À force de tout centraliser, on pousse les gens à baisser les bras. C'est une réalité. Peut-être pourrez-vous nous rassurer sur ce point, mais il me semble que les bonnes volontés sont épuisées par les lourdeurs administratives et techniques. Je pense qu'il s'agit là de l'un des sujets majeurs à résoudre car ce sont des freins que nous avons peut-être mis nous-mêmes dans le cadre de la coopération régionale.
Concernant le bassin qui nous intéresse aujourd'hui, vous avez parlé du lien entre Mayotte et Les Comores sur l'immigration illégale. J'ai interrogé le Gouvernement il y a quelques mois sur la réalité de cette lutte à Mayotte, mais n'ai pas reçu de réponse. J'en parle objectivement car je ne suis pas à Mayotte. Nous avons ce besoin d'obtenir des améliorations pour nos territoires ultramarins mais il me semble que nous mettons tant de contraintes sans tenir compte des réalités locales, des élus et des partenaires présents sur place, que finalement nous paupérisons ces territoires. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Claude Brunet. - Madame la sénatrice, les actions que j'indiquais en matière de coordination et la conférence de coopération régionale, de même que la stratégie de bassin, ne sont pas destinées à centraliser. Au contraire, ces actions visent à nous aider à gérer la complexité, à simplifier. Notre objectif est de faciliter une prise de responsabilité plus grande des territoires dans la mise en oeuvre des stratégies concertées et communes. La coordination s'entend de la transparence et de l'échange d'informations. La complexité que vous évoquez s'explique par l'effet de silos qui a pu avoir cours précédemment. À une certaine époque, chacun travaillait de son côté sans connaître les sources de financement disponibles. Désormais, nous avons pour objectif de renforcer l'échange d'informations et d'aider à une plus grande autonomie sans centraliser. Ce mouvement s'accompagne d'un renforcement de la participation de nos territoires dans les organisations que j'évoquais (COI, IORA). De plus, les territoires portent des projets structurants dans ces organisations. Ainsi, La Réunion assure trois grands projets structurants dans le cadre de l'IORA avec des partenaires tels que l'Inde, l'Australie et l'Indonésie. C'est donc le signe d'une plus grande autonomie dont le bénéfice sera constaté par l'ensemble des acteurs. En outre, vous savez que l'AFD a elle-même développé une politique plus coordonnée entre ses activités dans les outre-mer et à l'international avec les pays voisins. C'est dans ce même esprit que nous travaillons au niveau de l'État.
Les relations entre Mayotte et les Comores se développent, de la même façon qu'elles se développent avec tous les pays de la région. Notamment, des relations particulières se nouent avec la Tanzanie puisque le shimaoré parlé à Mayotte est très proche du swahili. Des relations se nouent aussi avec le Kenya et le Mozambique. Des lignes aériennes se créent vers le continent africain. Par conséquent, les relations de Mayotte se diversifient au rythme des intérêts communs. Parmi les crises et les sujets à traiter d'urgence au quotidien, figurent ces questions de gestion de l'immigration irrégulière, mais il s'agit d'un domaine de coopération parmi d'autres avec les Comores.
M. Saïd Omar Oili. - Mayotte est le seul territoire français inscrit dans deux Constitutions : la Constitution française et la Constitution comorienne. Cela pose un problème pour coopérer avec nos amis comoriens. Nous le constatons en particulier à l'occasion des Jeux des îles de l'océan Indien car depuis des années, les Mahorais sont privés du drapeau et de l'hymne national alors que nous sommes Français depuis 1841.
Comment pouvez-vous expliquer cela, et quelles sont les démarches que vous avez entreprises ? Les Jeux des îles de l'océan Indien auront lieu en 2027 aux Comores. Comment les Mahorais pourront-ils y participer et s'affirmer en rappelant qu'ils sont Français ?
En deuxième lieu, comment envisagez-vous, dans ces conditions, la coopération entre Mayotte et Madagascar ?
En troisième lieu, en plus de l'immigration des Comores, l'immigration d'Afrique de l'Est nous pose de nombreux problèmes, en particulier en provenance de Somalie. Ces migrants ne parlent pas français et viennent d'un pays dans lequel il n'existe pas d'État. Comment pensez-vous les faire reconduire chez eux, éventuellement via une ambassade, étant précisé qu'à Mayotte nous n'avons aucun interlocuteur somalien auquel nous adresser ?
M. Jean-Claude Brunet. - La question sur les Jeux des îles de l'océan Indien touchent aux symboles. Il s'agit donc de l'un des sujets les plus complexes sur lequel nous pourrons échanger lors de la conférence de coopération régionale qui se tiendra en avril à Mayotte. Ce sujet fait partie de la discussion sur l'insertion régionale de Mayotte dans l'océan Indien, en particulier dans le cadre de ces Jeux. Néanmoins je tiens à souligner qu'en matière de jeunesse et sports, Mayotte a été reconnue comme partenaire, avec La Réunion, par la Commission de la jeunesse et des sports de l'océan Indien (CJSOI) dont la ministérielle s'est tenue à La Réunion récemment. Mayotte et La Réunion y sont actives au travers des préfectures qui préparent un programme d'échanges de jeunes en provenance des îles concernées, en y associant aussi Djibouti. Au cours de l'année 2024, des activités de rencontres de jeunes se tiendront à Mayotte et quelques mois plus tard, à La Réunion.
Dans le cadre de ces Jeux, qui sont un mouvement sportif et non gouvernemental, les équipes mahoraises participent. En revanche, il est vrai que ce sujet des symboles est important. Des pas importants ont déjà été franchis dans la reconnaissance de Mayotte, en particulier dans le cadre de la COI.
Les relations entre Mayotte et Madagascar se développent, en particulier grâce à ce lien historique et culturel qui perdure. À ce sujet, j'indique qu'une plus grande transparence et coordination nous permettra d'aider Mayotte à utiliser davantage les moyens de la coopération décentralisée. Le calendrier s'y prêtera particulièrement cette année, qui est celle où se tiendront à Madagascar les Assises régionales de la coopération décentralisée. La Réunion participera à ces Assises, tandis que pour Mayotte il existe des liens entre les communes. Bien entendu, il est possible de faire davantage. Ainsi un appel à projets de l'AFD a été lancé dans le cadre du financement des collectivités décentralisées (FICOL), à l'occasion duquel Mayotte a pour objectif de renforcer ses liens avec Madagascar. D'autres propositions existent pour renforcer ces liens, en collaboration avec notre ambassade à Tananarive.
L'immigration clandestine en provenance des côtes africaines représente une grande priorité. Les moyens du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et les ambassades sont mobilisés pour renvoyer les immigrants clandestins dans leurs pays d'origine. La coordination en la matière se déroule bien, avec un bon répondant des pays d'origine pour accepter les retours. J'évoquais l'équipe « France océan Indien ». Il est absolument essentiel d'utiliser le soutien efficace de nos deux conseillers diplomatiques auprès des préfets de région à Mayotte et à La Réunion, qui sont aussi mes deux adjoints à l'ambassade déléguée à la coopération régionale. Au titre des missions du conseiller diplomatique auprès du préfet de Mayotte, figure l'implication directe dans ce travail de coordination opérationnelle avec nos ambassades et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères à Paris, pour faciliter la coopération des pays d'origine et faire en sorte que la gestion migratoire se déroule au mieux.
Mme Audrey Bélim. - Merci Monsieur l'Ambassadeur pour cette présentation et l'ensemble des informations communiquées. Ma question portera sur nos ambitions en matière de santé. La Réunion a été présentée - et je ne fais que reprendre des propos tenus il y a quelques jours lors de précédentes auditions - comme « navire amiral dans l'océan Indien », notamment en matière de santé française. Je salue l'indice de points supplémentaires qui a été annoncé pour le CHU de La Réunion. Il me semble néanmoins que nous pourrions être plus ambitieux, et je lance ici une proposition, dans notre accueil de patients en provenance de l'océan Indien. La qualité de notre offre de soins est reconnue dans tout le bassin. Nous pourrions renforcer l'accueil de patients étrangers à condition qu'ils soient accueillis en plus des patients réunionnais et que le paiement de ces prestations ne bénéficie qu'au CHU et à l'amélioration des soins en son sein.
Notre ambition concerne également la coopération régionale en matière sanitaire. Le réseau SEGA One Health de la COI a montré que la coopération était utile et efficace lors de la crise du Covid, comme cela avait été le cas lors de l'épidémie de dengue par le passé et d'autres maladies infectieuses comme le chikungunya ou le paludisme qui affectent notre région. Il nous faut donc coopérer davantage, échanger nos connaissances et nos bonnes pratiques. Finalement, nous pourrions construire un vrai centre de recherche, d'expertise et de surveillance sanitaire de la COI à La Réunion.
Quelle est donc votre ambition en matière de coopération sanitaire dans l'océan Indien ?
Enfin, l'économie verte et bleue constitue un levier de croissance pour notre bassin régional. Quels sont vos projets de coopération en la matière ?
M. Jean-Claude Brunet. - Nos ambitions pour la santé sont très hautes et clairement affichées. En particulier, elles ont été rappelées en 2023 lors d'une réunion ministérielle de la COI consacrée au programme SEGA One Health. À cette occasion, la pérennisation de ce programme a été décidée avec le soutien d'un fonds financier qui se constitue. Au-delà, cette conférence a permis d'adopter entre les pays de la région une stratégie régionale en matière de santé.
Dans le cadre de la COI, ce programme est l'un des plus opérationnels, ambitieux et concret, avec des réalisations que vous avez rappelées. Nous préciserons encore davantage nos ambitions avec nos partenaires en bénéficiant d'atouts majeurs dans la région, aussi bien le CHU de la Réunion que l'Institut Pasteur de Madagascar.
Le référent national pour ce programme SEGA est l'un des directeurs adjoints de l'ARS de La Réunion, le professeur Xavier Deparis. En lien avec tous les ministères et acteurs concernés puisqu'il s'agit de santé humaine, animale et environnementale, nous avons des coordinations en cours pour déterminer comment optimiser l'insertion de nos structures de la région dans des programmes nouveaux. La dimension que vous avez évoquée pourra être intégrée à la discussion lors de la conférence de coopération régionale. Le programme SEGA constitue l'un des programmes en cours les plus intéressants à poursuivre car les idées sont déjà nombreuses. L'AFD a été l'un de ses financeurs importants (avec l'Union européenne) et a même renforcé sensiblement son soutien et son champ d'action dans la région, avec la priorité donnée à ce programme SEGA. L'AFD a donc développé une stratégie de santé dans le territoire Indopacifique, sur laquelle nous nous baserons très fortement en utilisant tous nos atouts.
Mme Viviane Malet. - Les migrants sri-lankais posent question. Nous voyons arriver à La Réunion des migrants hommes, femmes et enfants dans des embarcations de fortune. Comment mettre la main sur le réseau de passeurs ? Existe-t-il des accords et des relations entre les pays pour signaler ces passeurs ?
M. Jean-Claude Brunet. - Je répondrai en premier lieu à la deuxième question de la sénatrice sur l'économie verte et bleue, qui est importante. Nous pouvons dans ce domaine nous baser sur des programmes de la COI, mais également sur les actions bilatérales menées en soutien avec les pays de la région. En particulier, les contacts se nouent entre les entreprises de La Réunion et de Maurice pour inclure ces dimensions dans la coopération bilatérale. Avec les Seychelles, Madagascar, Les Comores, les contacts sont également pris. La mise en oeuvre d'accords bilatéraux pourrait être explorée. Le sujet que vous évoquez est très large car en matière d'économie verte et bleue, les domaines sont très variés. Le forum économique des îles de l'océan Indien se tiendra à Mayotte, comme je l'ai indiqué. Nous créerons aussi une équipe « France Outre-Mer » océan Indien avec des entreprises de la région qui participeront au forum des affaires de l'IORA qui se tiendra à Colombo (Sri Lanka) en mai prochain.
S'agissant du Sri Lanka, aucune nouvelle arrivée de bateau n'a été constatée pour le moment. L'an dernier, cette crise de l'immigration illégale a été gérée avec la pleine participation des autorités sri-lankaises. La coopération est bonne avec nos partenaires y compris sur les routes possibles. Nous veillerons à la poursuivre. La lutte contre les réseaux de passeurs représente un élément central.
Mme Micheline Jacques, président. - Je laisserai la parole à notre collègue Frédéric Buval et propose aux autres collègues qui ont encore des questions, de vous les adresser par écrit.
M. Frédéric Buval. - Je partage les propos de Jacqueline Eustache-Brinio. Je considère que les spécialistes des questions mahoraises sont les élus mahorais, qui doivent être présents aux places de choix. Dans le cas inverse, je ne vois pas comment l'État pourrait porter des dossiers à la place des élus. Pour preuve, aux Antilles, la Martinique est inscrite dans toutes les instances officielles de la Caraïbe. Dans les Jeux caraïbéens, le drapeau martiniquais flotte et l'hymne martiniquais est joué. Nous ne renions évidemment pas le drapeau français, bien au contraire, puisqu'il flotte sur toutes les mairies de l'île. En revanche quand nous nous déplaçons dans le domaine des sports et de la culture, ce sont le drapeau et l'hymne martiniquais qui sont à l'honneur.
Bien entendu, une coopération est en place mais cela doit être « gagnant-gagnant ». Nous devons donc développer suffisamment nos territoires pour que la production locale propose une concurrence efficace aux pays voisins. Il ne suffit pas de distribuer de l'argent en croyant que le développement suivra. À l'inverse, il est nécessaire de développer ces territoires pour ensuite nouer des collaborations avec eux. Lorsque des bateaux vénézuéliens déversent une fois par semaine des tonnes de poissons pêchés dans l'Atlantique et la Caraïbe, ce sont nos pêcheurs martiniquais qui sont impactés puisque l'Europe les empêche d'acquérir des bateaux pour cause de réduction des quotas. Peu importe que nous soyons ultramarins, la décision européenne de réduction des quotas de bateaux de pêche nous affecte particulièrement. Pourtant, nous sommes engagés dans une coopération avec le Venezuela.
En synthèse de mes propos, je suis favorable à la coopération mais pas au détriment des territoires ultramarins.
Mme Micheline Jacques, président. - Dans le droit fil de cette intervention, j'aurai deux questions. Nous avons beaucoup parlé de l'investissement économique de l'Europe, mais le poids normatif européen n'est-il pas un frein économique trop important ? Comme nous l'avons vu dans la crise de l'eau, le gouvernement a été dans l'impossibilité d'importer de l'eau de l'île Maurice pour Mayotte en raison d'un sujet normatif. Nous constatons aussi que l'île Maurice peut produire des produits dérivés avec le label bio, ensuite revendus à La Réunion, alors que les entreprises réunionnaises, avec la même matière première, n'ont pas l'autorisation d'apposer ce label bio. La situation est similaire pour les programmes de développement de l'AFD et de l'Europe. Les pays riverains reçoivent des aides pour développer leur flotte, alors que les pêcheurs réunionnais éprouvent des difficultés à renouveler leur flotte de pêche.
Ces problèmes sont communs à tous les bassins, mais je souhaiterais votre analyse. Dans le cadre des réunions de coopération que vous avez évoquées, ce volet normatif occupe-t-il une place importante ?
M. Jean-Claude Brunet. - Je tâcherai de répondre aux deux questions en même temps puisqu'elles sont très liées. Tout l'intérêt du cadre de coopération renforcé réside aussi dans la capacité d'évoquer l'articulation entre les moyens nationaux et les moyens européens, mais aussi plus généralement les synergies renforcées entre les programmes européens destinés au développement des RUP et les moyens dévolus à la coopération internationale.
J'ai évoqué l'effet de silo tout à l'heure, qui se poursuit actuellement sur le sujet des pêches. Le saut qualitatif dans la stratégie n'a pas pour objectif une plus forte centralisation mais au contraire, à agir au plus près du terrain et à échanger au mieux l'information pour obtenir des modifications. L'approche nouvelle de l'AFD et la mesure 54 vont dans ce sens. L'Union européenne est également prête puisqu'un dialogue beaucoup plus fort se noue entre l'Interreg, la DG Régio et la DG INTPA. Des synergies se dessinent dans des secteurs stratégiques. Dans les réunions régulières que nous menons avec les élus, les responsables des territoires et l'Union européenne dans le cadre des coopérations régionales, nous étudierons comment surmonter au mieux ces blocages.
Par ailleurs dans le cadre de la mesure 9 du CIOM que nous avions évoquée lors de notre précédente audition avec mon collègue Roland Dubertrand, nous finalisons actuellement notre rapport avec des recommandations issues des territoires. Toutes les parties prenantes ont été consultées, de même que le niveau interministériel. Nos recommandations auront pour objectif de faciliter la prise en compte des intérêts des territoires ultramarins dans notre politique commerciale, avec une approche liée aux normes européennes qui figureront au coeur de nos préoccupations.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons bien noté la volonté de la France de mettre en oeuvre cette dynamique et la nécessité de développer et renforcer nos relations de coopération régionale dans le bassin de l'océan Indien. Nous avons également noté que certains sujets très sensibles demeurent, et qu'il conviendra de les clarifier. Comme l'ont souligné nos collègues, la nécessaire décentralisation devra apporter aux élus davantage de poids et de pouvoir pour résoudre des situations sensibles, voire pour certaines catastrophiques, pour lesquelles des solutions rapides devront être trouvées. Nous espérons que nos travaux permettront d'apporter des éclairages et des recommandations allant dans le sens d'une meilleure prise en compte des territoires français dans la coopération et du rayonnement de la France.
Jeudi 1er février 2024
Audition d'Ivan
Odonnat, président de l'Institut d'émission des
départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de
l'Institut d'émission d'Outre-Mer (IEOM)
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous auditionnons M. Ivan Odonnat, président de l'Institut d'Émission des Départements d'Outre-Mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'Émission d'Outre-mer (IEOM). Ces deux organes assurent le rôle de banque centrale dans les outre-mer.
Monsieur le président, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour apporter des réponses aux questions des membres de la délégation aux outre-mer.
Vous avez été nommé en avril 2023, en remplacement de Mme Marie-Anne Poussin-Delmas que nous avions reçue à plusieurs reprises ici au Sénat, notamment sur les conséquences économiques de la crise du Covid.
Entré à la Banque de France en 1988, vous avez exercé diverses fonctions au sein de la direction générale des études, avant de rejoindre la direction générale des opérations puis, en 2007, l'Agence France Trésor.
Ayant réintégré la Banque de France en 2009, vous en étiez le directeur général adjoint, en charge de la stabilité financière et des opérations depuis 2014.
Dans le cadre de notre étude, compte tenu de votre parcours et de votre vaste expérience, nous souhaitions vous interroger notamment sur le degré d'intégration ou d'insertion régionale de nos territoires ultramarins dans chaque bassin océanique, en commençant cette année par le bassin Indien.
Une meilleure intégration régionale pourrait-elle, selon vous, constituer un levier de lutte contre la vie chère ? Mais existe-t-il des acteurs financiers (banques, fonds, assureurs...) proposant des services à une échelle régionale pour la faciliter ?
Plus largement, quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ? Quels facteurs incitent les acteurs économiques à se fournir en Hexagone ou à y exporter préférentiellement ?
Voici parmi d'autres quelques-unes de nos interrogations centrales...
Je laisserai nos rapporteurs vous interroger après votre exposé liminaire sur des aspects plus précis puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.
M. Ivan Odonnat, président de l'IEDOM et directeur général de l'IEOM. - Madame la présidente, Madame, Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de m'accueillir. Le sujet que vous avez présenté est également un sujet de travail pour nous.
Nous avons en chantier un travail d'analyse quantitative visant à mieux exploiter les données de commerce extérieur dont nous disposons sur les outre-mer afin de mesurer ce que nous nommons « le potentiel de commerce ». Il s'agit d'évaluer de façon quantitative, mesurée, la capacité des territoires d'outre-mer à s'insérer dans le commerce international. Ce travail de fond devrait aboutir d'ici juin et donner lieu à une double publication.
Mon propos de ce jour s'inscrit dans cette réflexion, avec à ce stade quelques idées que je souhaite partager mais qui n'ont pas de caractère définitif. Il s'agit plutôt de pistes d'éclairage sur les évolutions constatées et de réponses sur différents volets. Mon propos liminaire est organisé autour des questions que vous m'avez adressées. Je serai ensuite à votre disposition pour l'approfondir et répondre à vos autres questions.
Le commerce extérieur n'est pas un facteur de croissance en outre-mer.
Ce titre pourrait paraître provocateur mais le graphique communiqué, assez classique, est éloquent. Ainsi nous avons étudié pendant une période de dix ans le produit intérieur brut (PIB) de certains territoires d'outre-mer. Nous identifions ainsi les facteurs de la demande et comment la croissance, sur dix ans, est alimentée en distinguant différents blocs (investissement, consommation, commerce extérieur).
Le constat assez général tient au fait que la dynamique de croissance est tirée par la consommation. De ce fait, cette dynamique de croissance est alimentée par les importations : on consomme ce qu'on importe car les produits de consommation courante ne sont pas présents localement. Au regard de ce flux d'importations, les capacités d'exportations sont assez limitées précisément parce que la production locale est insuffisante. Le revers de la médaille est celui d'une contribution négative du commerce extérieur à la dynamique de croissance des territoires d'outre-mer.
Ce constat posé pour l'outre-mer de la faible performance du commerce extérieur est en réalité général, puisque toute l'économie française présente cette difficulté. Pour autant le constat est exacerbé en outre-mer.
Les importations de biens sont peu diversifiées et proviennent principalement de France hexagonale, sauf dans le Pacifique
La part des importations provenant de l'Hexagone est supérieure à 50 % dans la plupart des territoires. Le constat est quelque peu différent dans le bassin Pacifique, avec une répartition plus diversifiée.
.Les exportations sont plus diversifiées que les importations mais restent massivement dirigées vers l'Hexagone, sauf dans le Pacifique. Pour autant s'agissant de la Nouvelle-Calédonie, les exportations consistent principalement en nickel en direction de l'Asie à hauteur de 84 %.
Pour ce qui concerne l'exemple du rhum, les meilleurs pays exportateurs de rhum en direction des États-Unis sont la République dominicaine, la Jamaïque, Haïti et la Barbade, bien avant la Martinique et la Guadeloupe. Il semble que les tarifs douaniers sur le rhum aux États-Unis en fonction des territoires exportateurs constituent les principales raisons de cette situation, étant observé que les pays précités bénéficient de l'Initiative du Bassin Caribéen (tarifs douaniers gratuits). Pour un litre de rhum provenant de nos territoires, une taxe équivalente à 24 $ se voit appliquée.
J'ai évoqué précédemment les biens mais l'origine des touristes dans les outre-mer illustre également le manque de relations régionales.
Sur la base des données de l'OMC, dans le bassin Atlantique, les touristes visitant la Martinique sont essentiellement en provenance d'Europe, ce qui suscite une interrogation alors que les touristes de Saint-Martin (partie hollandaise) sont majoritairement américains.
Dans le bassin Pacifique, la dominante des touristes est en provenance d'Asie, sauf en Nouvelle-Calédonie.
Dans l'océan Indien, le constat est similaire à celui de la Martinique : les touristes ne viennent pas des zones voisines mais d'Europe.
Ces constats confirment l'insuffisance de l'insertion dans les bassins régionaux en matière de commerce extérieure.
La dépendance aux importations et le manque d'intégration régionale pénalisent les niveaux de prix.
Il convient d'éviter les erreurs d'interprétation. Les constats induisent une augmentation entre 2010 et 2022 de l'écart de prix à la consommation entre l'outre-mer et l'Hexagone. Les résultats de l'Insee, qui ont pu être critiqués, proviennent de paniers de consommation types par territoire, en les comparant aux prix s'ils étaient consommés dans l'Hexagone. Pour la Martinique, l'écart est de 11 % supérieur aux prix de l'Hexagone. À l'inverse, le panier de consommation hexagonal consommé en Martinique est 17 % plus cher que le même panier consommé dans l'Hexagone. La moyenne de ces deux écarts donne un écart de 14% entre la Martinique et l'Hexagone.
Le calcul de l'Insee, si l'on s'en tient strictement aux prix alimentaires, met en évidence un écart de 40 %. Ces écarts sont beaucoup plus prononcés dans le Pacifique, pourtant moins isolé dans son bassin régional que les autres territoires.
Sur la base du rapport de 2019 de l'Autorité de la concurrence, qui nécessiterait sans doute d'être réactualisé, la structure des coûts moyens de la grande distribution (dans cinq départements et régions d'outre-mer) est étudiée. Un certain nombre de facteurs reflète la nécessité d'importer les produits de l'extérieur, ce qui génère des coûts liés à l'intervention des grossistes, des coûts de fret et des coûts liés à la fiscalité. Une marge de réduction des coûts pourrait être recherchée si les produits étaient importés dans un bassin plus proche que l'Hexagone. De mon point de vue, l'impact du manque d'intégration régionale sur les prix est indéniable.
Nous avons tendance à confondre le sujet des prix avec celui des marges, sujet qui n'est pas aisé à mesurer. Nous l'avons effectué de façon ex-post sur des données bilancielles, par exemple pour La Réunion, afin d'aboutir à une analyse explicative des comportements de marge des entreprises. Cette analyse ne met pas en évidence de dérives des taux de marge des entreprises. Ici encore, le sujet peut donner matière à débat car l'analyse sur les sujets des marges repose sur des données comptables connues avec deux ans de décalage.
Après les constats ainsi posés, une méthodologie pour renforcer l'insertion des territoires dans leur bassin régional peut être envisagée pour leur permettre d'exporter de façon plus dynamique que leurs voisins ou à l'inverse, importer à des prix plus raisonnables qu'ils ne le sont actuellement.
Les outre-mer représentent un potentiel de marché pour leurs voisins.
Dans les principaux territoires ultramarins français, le PIB par habitant et par zone géographique est beaucoup plus élevé que dans les pays voisins, ce qui n'est pas une surprise. Ce contexte peut être interprété de diverses façons. En premier lieu, nous pourrions considérer que pour nos voisins, nous sommes des marchés intéressants puisque le pouvoir d'achat y est élevé. La relation va dans les deux sens. Par conséquent dans les modèles de commerce extérieur, il est constaté que les gros pays exportateurs, qui sont aussi parfois de gros importateurs, sont en relation avec les voisins dont les marchés économiques traduisent des niveaux de vie élevés. Ce n'est pas un hasard si l'Union européenne représente une grosse zone de commerce international, de même que les États-Unis et l'Asie du Sud-Est. En d'autres termes pour faire du commerce, il faut vendre aux pays capables d'acheter les produits.
Les accords régionaux conclus en Amérique sont variés et comportent leur propre dynamique. Par conséquent pour mieux s'insérer, les territoires ultramarins français pourraient utilement intégrer ces accords. Il existe donc un enjeu d'adaptation. L'actualité illustre bien mon propos si l'on en croit le débat sur le Mercosur et l'organisation de l'agriculture européenne. Dans les zones sous influence anglo-saxonne et américaine, si l'on veut penser l'insertion régionale, je ne vois pas comment faire autrement que travailler à se rapprocher de ces autres ensembles régionaux.
Si l'on envisage les structures de capital des entreprises non financières en Hexagone et dans l'outre-mer, les investissements étrangers dans les outre-mer sont très faibles. De façon générale, le problème français qui est exacerbé en outre-mer, réside dans l'insuffisance des capitaux propres et le recours massif à l'endettement. Il est donc nécessaire de recycler l'épargne pour qu'elle aille dans les entreprises.
Dans l'Hexagone, les investissements étrangers dans les capitaux propres des entreprises non financières représentent 8 %, alors que ce taux est bien plus faible dans les outre-mer. Certains pourraient s'en féliciter en considérant cette situation comme une protection, mais pour ma part, je l'envisage plutôt comme le signe d'un manque d'attractivité de nos territoires ultramarins.
L'une des pistes à explorer est donc d'attirer davantage de capitaux externes pour développer l'activité des entreprises.
Renforcer la compétitivité peut favoriser les exportations.
Dans l'exemple du rhum, le tarif douanier n'est pas seul en cause. Il existe également un sujet de coûts de production élevés dans les outre-mer (salaires, prix des intrants...). Nous travaillons actuellement à la production de données fiables permettant de mesurer les coûts salariaux unitaires afin d'effectuer un comparatif avec les pays voisins. Sans ce comparatif, il est difficile de poser correctement la question de l'insertion régionale.
En outre-mer, les coûts de production sont plus élevés que ceux des marchés voisins. Toutes choses égales par ailleurs, il s'agit d'un obstacle rendant les produits ultramarins plus onéreux. À cela, s'ajoute quelques dysfonctionnements sur le marché des biens et services et du travail, qu'il conviendrait à mon sens de lever. Les mesures de soutien public visent à corriger ces dysfonctionnements sur le marché des biens, des services et du travail, mais sont peu efficaces et deviennent difficilement soutenables sur le plan financier. J'en donnerai un seul exemple. Aujourd'hui, des dépenses fiscales importantes (de l'ordre de 800 millions d'euros par an) sont engagées au titre du soutien aux investissements outre-mer. Cela fait 40 ans que l'État mène cette stratégie : qu'a-t-elle produit ? De mon point de vue, j'étudie des statistiques d'investissement et des taux d'investissement où je rapporte l'investissement à la valeur ajoutée. Je constate finalement qu'en outre-mer, les statistiques sont en-deçà de la valeur nationale. En définitive, des sommes très conséquentes sont consacrées en outre-mer à un investissement qui ne permet pas, dans mon tissu productif, de créer de la valeur. C'est ce que j'appelle des mesures de soutien peu efficaces.
Comment créer les conditions de la compétitivité si l'empilement des mesures de soutien public ne suffit pas ? Je suis très méfiant, par expérience et conviction, sur la multiplication des mesures car il faut déjà mener au bout les mesures existantes. Il est nécessaire d'accélérer la transformation numérique et de faire aboutir les réflexions engagées sur l'octroi de mer. Je ne suis pas un spécialiste de fiscalité mais je suggère seulement une réflexion sur l'un des axes qui participent de la formation des prix en outre-mer. Il est nécessaire d'aller au bout de cette réflexion.
Un autre axe, qui ne fait pas partie des sujets prioritairement traités, est celui des retards de paiement. Si l'ensemble des partenaires privés et publics parvenaient à se conformer à la réglementation, près de 900 millions d'euros de trésorerie seraient économisés dans l'ensemble des outre-mer. Pour les TPE-PME, les retards de paiement génèrent des retards de trésorerie et finalement, des problèmes de solvabilité. Mon sujet ici, s'il n'est pas très « glamour », consiste à proposer que les entreprises soient suffisamment solides pour se développer et vendre. Mais comment peuvent-elles le faire si elles doivent gérer en permanence des problèmes de trésorerie ? Je connais bien ce cas pour avoir été saisi de la situation d'une entreprise vendant du matériel médical de pointe en outre-mer, et qui fait face à des impayés depuis plusieurs mois. Cette PME ne peut fonctionner ainsi. Or, il est possible de résoudre ce problème en aidant les collectivités à mieux s'organiser financièrement et comptablement. Bien souvent, le sujet tient simplement à des problèmes d'organisation de la dépense et de gestion des factures au sein des collectivités.
Si les entreprises ne sont pas solides financièrement, je regrette de vous dire que l'ensemble de votre débat va patiner.
Autre point, ouvrir les systèmes bancaires des outre-mer sur les bassins régionaux.
Je donne ici un éclairage sur la façon dont le système bancaire est structuré en outre-mer. Nous constatons une présence forte des grands groupes bancaires français dans les outre-mer, tandis qu'aucun groupe bancaire international n'est présent.
Par ailleurs, 9 établissements indépendants (dont le capital est constitué majoritairement de capitaux locaux) sont recensés sur la totalité des 43 établissements présents. L'activité est essentiellement réalisée par les établissements présents sur place. Les financements des entreprises et des ménages, très majoritairement, sont accordés par un établissement installé localement. Une partie plus faible des financements est fournie par des établissements situés à l'extérieur du territoire.
Dans certains groupes bancaires, la stratégie consiste à collecter les dépôts localement et à les réinjecter localement. Cette attitude procède d'une bonne dynamique puisque le taux d'épargne en outre-mer est très élevé (20 à 25 %) alors que la moyenne hexagonale est de l'ordre de 17 %. Selon moi, il y aurait certainement matière à mieux utiliser cette épargne et à la recycler.
Enfin, il faut moderniser les ports ultramarins et améliorer leur connectivité
Le graphique projeté présente l'indice de connectivité des transports maritimes réguliers au quatrième trimestre 2022. Le port de Shanghai est considéré comme le mieux connecté internationalement. Sur nos territoires, La Réunion est bien positionnée dans son bassin légèrement après Maurice, la Guadeloupe et la Martinique le sont également dans la Caraïbe. Il faut cesser de se poser des questions et oser y aller.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin Indien. - J'ai beaucoup apprécié votre présentation. Comptez-vous actualiser votre étude de 2014 portant sur les échanges régionaux de La Réunion et Mayotte avec les chiffres que vous avez présentés en séance ?
Sur la question des normes, que vous n'avez pas évoquée, il faut souligner qu'elles s'imposent à nos producteurs alors qu'elles ne s'imposent pas aux producteurs des territoires voisins qui sont très souvent des pays membres d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP, une organisation qui coordonne la coopération des 79 États membres avec l'UE) à qui l'Union européenne accorde des avantages commerciaux. N'est-ce pas une grosse contrainte pour échanger avec ces territoires ?
Que pensez-vous de l'interventionnisme de l'AFD et des fonds européens ? Ne seraient-ils pas mieux utilisés pour mettre d'aplomb nos entreprises locales dans nos DROM ?
M. Ivan Odonnat. - L'étude de 2014 figure précisément au coeur du travail que j'ai mentionné rapidement. Cette étude devrait être actualisée d'ici juin 2024. Je ne sais pas si cela interviendra suffisamment tôt pour la conclusion de vos travaux, mais nous pourrons réfléchir à partager le maximum de choses avec vous pour étayer votre rapport.
J'ai un peu esquivé le sujet des normes car il ne semble pas qu'elles constituent le coeur du problème. De façon plus triviale, si vous voulez exporter, il faut avoir de quoi exporter. La caractéristique des productions locales des territoires est d'être très concentrées sur quelques secteurs. Il est donc nécessaire de se doter d'une structure d'exportation plus solide et compétitive. Ensuite, la question des normes est évidemment un enjeu si l'on considère les barrières tarifaires à l'entrée. On pourrait considérer que les normes européennes doivent s'ajuster à la pratique d'autres territoires. Or les normes sont présentes partout de façon différente.
J'ai eu récemment une discussion avec un producteur de produits laitiers en Guyane confronté à l'étroitesse de son marché, dont les coûts unitaires ne sont pas compétitifs par rapport à un géant tel que Lactalis. Je lui ai demandé un peu naïvement pourquoi il ne tentait pas d'exporter au Brésil. Il m'a expliqué que dans ce pays, toutes sortes de normes l'empêchant d'écouler ses produits lui étaient opposées.
Finalement, le sujet des normes ne représente pas uniquement un débat des territoires avec les instances européennes ou nationales. Ce débat doit s'inscrire dans une discussion avec les partenaires commerciaux potentiellement visés, et pas uniquement avec l'Europe. En cela, une meilleure insertion dans les accords régionaux existants est nécessaire sur la base d'une plateforme qui vise cet objectif. Bien évidemment, il existe toujours des normes incompréhensibles ou absurdes auxquelles il faut faire la chasse, mais ce n'est pas le seul sujet. Pour renforcer la capacité des territoires à commercer avec leurs voisins, un échange est nécessaire pour aligner les normes, y compris celles qui sont non-écrites.
Concernant le rôle de partenaires financiers tels que l'AFD, la question est pertinente et doit être explorée. Du point de vue de la politique économique, il est nécessaire de réfléchir à la coordination aussi étroite que possible. En tant qu'acteur financier, nous sommes les banques centrales de l'outre-mer. La préoccupation d'une banque centrale s'inscrit dans une perspective de financement de court terme.
Nous nous assurons que les banques ont la capacité de financer les économies. Par conséquent, nous offrons des services de refinancement permettant aux banques de recevoir de la liquidité en contrepartie de garanties qu'elles nous remettent, pour ensuite transférer cette liquidité aux entreprises et aux ménages qui en ont besoin, à des taux d'intérêt suffisamment confortables pour les emprunteurs. L'AFD est un investisseur qui travaille sur des sujets de développement. Son horizon est donc plus lointain, à cinq ou dix ans. L'AFD est capable d'absorber plus de risques qu'une banque commerciale qui doit gérer des sujets de profitabilité.
Nous réunissons régulièrement sur les différents territoires l'ensemble des banques, l'AFD et la CDC pour articuler les différentes actions. Je suis persuadé que nous pouvons encore nous améliorer.
Mme Audrey Bélim. - Merci pour cette présentation très enrichissante. Comme vous l'avez noté dans votre dernier rapport annuel économique sur La Réunion, l'île est un exemple en termes d'infrastructures de réseau, avec notamment un taux de déploiement à 91 % contre 74 % sur l'ensemble de la France. Elle s'affiche comme étant la deuxième région la plus fibrée derrière l'Ile-de-France. Rappelons d'ailleurs la tenue depuis quelques années à La Réunion du forum d'affaires NxSE, d'envergure internationale, et l'entrée récente de l'île dans la FrenchTech. La coopération régionale en matière de télécommunications fut marquée par la mise en service en mars 2021 du câble de fibre optique Métis, qui relie La Réunion, Maurice et Madagascar à l'Afrique du Sud. C'est un acquis qu'il nous faut consolider et il est temps de passer aujourd'hui à l'acte 2 de l'économie numérique dans l'océan Indien.
Or, nos start-ups manquent de capitaux. Comment pourrions-nous renforcer la coopération en unissant les capitaux de Maurice par exemple, pour que nos entreprises en bénéficient ?
Je note que dans votre étude sur l'économie numérique de La Réunion, vous indiquez que si l'économie numérique représente 4 000 personnes dans notre île, la part de celle-ci dans les emplois salariés apparaît relativement faible à La Réunion comparativement aux autres régions. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Mme Annick Petrus. - Monsieur le président, merci d'enrichir les travaux de mes collègues par vos précieuses réponses. Je souhaiterais tout d'abord vous faire part de ma satisfaction après la réouverture du bureau d'accueil et d'information de l'IEDOM à Saint-Martin. Les Saint-Martinois pourront obtenir des réponses sur plusieurs problématiques telles que le dépôt d'un dossier de surendettement, l'information sur un dossier en cours, l'exercice du droit d'accès au fichier de la Banque de France et l'exercice du droit au compte. Enfin, je constate que l'IEDOM a renforcé ses actions de sensibilisation des travailleurs sociaux de Saint-Martin à l'accompagnement des situations de surendettement. Je me réjouis de toutes ces avancées.
À Saint-Martin, nous pratiquons depuis longtemps le concept d'intégration régionale. En effet, nous partageons notre île avec Sint-Maarten, ce qui n'est pas simple. Par son statut de pays et territoire d'outre-mer, Sint-Maarten n'est pas membre de l'espace Schengen ni de la zone euro. Il n'est donc pas soumis à l'application directe du droit communautaire et de ses normes. De plus, n'ayant que peu de systèmes d'amortisseurs sociaux comparables à ceux qui existent en partie française, Sint-Maarten est ainsi un territoire plus attractif pour les investisseurs. La fiscalité y est moins lourde, ce qui en fait un territoire plus propice au développement du tourisme. Finalement, le plus redoutable concurrent de Saint-Martin est son voisin de la partie hollandaise de l'île. Ce voisin dispose des mêmes atouts que nous, certains sont mêmes supérieurs (casinos, infrastructures portuaires et aéroportuaires...). L'image est comparable aux yeux de la clientèle mais Sint-Maarten dispose d'un avantage compétitif très significatif en matière de coûts salariaux.
Il est évident que la continuité territoriale de Saint-Martin avec la partie néerlandaise engendre une situation particulièrement concurrentielle. Sint-Maarten dispose d'une réglementation, d'une fiscalité et d'une politique sociale qui ne sont pas équivalentes à celles de Saint-Martin. Quelles stratégies pourraient être mises en oeuvre pour attirer les investisseurs régionaux et internationaux dans les îles des Antilles et encourager les partenariats avec les acteurs économiques de la région caribéenne ?
M. Frédéric Buval. - Monsieur le président, je vous remercie pour la qualité de votre intervention et votre pédagogie. L'une des plus emblématiques entreprises martiniquaises se trouve aujourd'hui en difficulté financière comme près de 2 000 établissements en outre-mer, si l'on en croit votre rapport sur les défaillances des entreprises ultramarines entre septembre 2022 et septembre 2023. Sur un an, le nombre de défaillances était en hausse de 30 %. Ainsi en Guadeloupe, l'augmentation a atteint les 16 % mais c'est surtout à La Martinique et à La Réunion qu'elle a été considérable, où les défaillances ont progressé de 58 % et 40 %. La situation n'est pas nouvelle mais elle est inquiétante. En effet, les entreprises manquent cruellement de fonds propres mais ne se voient proposer que des prêts à court terme, à des taux d'intérêt supérieurs à ceux pratiqués dans l'Hexagone. L'IEDOM constitue de ce fait un partenaire financier incontournable pour nos territoires et nos entreprises.
Aussi, compte tenu du niveau d'endettement de nos entreprises, soumises à la fois à des contraintes structurelles et au coût des intrants, pouvez-vous nous indiquer comment l'IEDOM peut se positionner aux côtés des élus et des autres organismes financiers pour accompagner au mieux et rapidement les entrepreneurs des outre-mer ?
M. Saïd Omar Oili. - Monsieur le Président, avec les investissements réalisés par Total sur la zone du canal du Mozambique et avec les problèmes posés par les Houtis, la situation géographique de Mayotte est-elle un atout pour la France dans le domaine du commerce international à ce jour ?
M. Georges Naturel. - Merci pour cette présentation et pour le travail réalisé par votre structure. Derrière les constats, nous devons décider comment orienter les politiques publiques, qui sont différentes selon les bassins. J'évoquerai le bassin Pacifique, qui présente des particularités. Dans le passé, nous échangions beaucoup avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande mais cela a cessé pour des raisons d'habitudes alimentaires. Aujourd'hui le bassin Pacifique s'approvisionne largement en Europe, ce qui génère des prix très élevés. Un autre élément non négligeable lorsqu'on aborde la problématique des investissements étrangers, tient à l'instabilité politique qui a cours en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
Je n'ai pas de question particulière à poser mais je suis très intéressé par votre travail. En Nouvelle-Calédonie, le nickel n'est plus d'actualité. Il sera donc nécessaire de trouver des pistes de diversification. Nous avons un tissu de petites entreprises dynamiques susceptibles de travailler pour exporter jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande.
Mme Solanges Nadille. - Merci pour cette présentation assez complète. Je poserai une question directe en tant que sénatrice de la Guadeloupe. Pensez-vous que l'octroi de mer puisse avoir un impact sur la vie chère dans les territoires concernés ? Personnellement, je ne pense pas qu'il s'agit de la source du problème. Par ailleurs vous avez évoqué les capitaux étrangers non investis dans nos territoires, mais la démarche pour les attirer est-elle seulement menée ?
Enfin, nous parlons d'amélioration numérique mais en réalité, nos territoires rencontrent des problèmes de zones blanches, en particulier du fait du manque d'ingénierie au sein de certaines de nos collectivités ultramarines.
Mme Micheline Jacques, président. - Y a-t-il une explication au retard de la collecte des données dans les outre-mer alors qu'elles sont indispensables au pilotage des politiques publiques ? Il s'agit aussi de trouver des alternatives aux industries mono-sectorielles qui s'épuisent.
M. Ivan Odonnat. - Je commencerai par la réponse à cette dernière question sur les données puisqu'il s'agit de ma formation. Aucune politique économique cohérente n'est possible sans données chiffrées et fiables. En outre-mer, la situation n'est pas encore satisfaisante en la matière. Je suis très clair sur ce point. Les instituts d'émission font leur part. Nos rapports annuels publiés sur chaque territoire répondent sans doute en partie aux attentes. C'est un début mais ces données annuelles sont insuffisantes pour effectuer une analyse économique conjoncturelle, identifier les points d'inflexion et les manques. C'est ce que nous essayons de faire au travers de publications que nous menons tous les trimestres pour mesurer l'état de la conjoncture. Nous interrogeons à cette fin les chefs d'entreprise, mais à une fréquence trimestrielle alors que l'enquête de l'Insee et celle de la Banque de France sur l'Hexagone sont réalisées tous les mois. De même les relevés de prix sont une information trimestrielle et parfois mensuelle, mais pas sur tous les territoires.
Les marges d'amélioration sont donc évidentes sur beaucoup de sujets, y compris sur les données déjà produites pour en accroître la fréquence. Le fait de passer de l'étude de 2014 à 2022 sans aucune étude intermédiaire relève d'un problème d'organisation et de priorité. Pour mener ce travail à bien il est nécessaire d'avoir un socle de données solides et pérennes.
Je ne peux me prononcer sur le rôle des instituts statistiques car nous ne sommes pas les seuls à produire de la donnée. En revanche, peu d'acteurs privés sont présents sur ce segment. Je partage votre préoccupation tout en étant optimiste car nous nous attachons à combler les lacunes.
S'agissant de la coopération dans l'océan Indien, nous constatons un état d'esprit à La Réunion qui rend un certain nombre d'actions possibles. Pour développer la coopération, une prise de risque est nécessaire. La croissance potentielle dans les territoires réside d'abord dans leur population : l'enjeu pour La Réunion est d'exploiter au mieux cette ressource, ce qui relève du rôle des élus et des chefs d'entreprise. Malgré les atouts qui lui sont propres, La Réunion a une organisation de son activité économique que je considère, comme dans l'ensemble des territoires d'outre-mer, comme déséquilibrée, avec une prédominance du secteur public. Je ne voudrais pas susciter l'incompréhension. Nous avons fait le choix, pour intégrer et mieux assoir la solidarité nationale, de faire de l'intervention publique. Lorsque j'ai fait le constat de l'inefficacité des aides publiques, je n'ai pas dit qu'elles n'étaient pas nécessaires. Pour autant, comment les organiser ? La création de valeur ajoutée ne doit pas venir du secteur public. Elle doit venir des entreprises et des ménages, qui génèreront de la valeur ajoutée et paieront des impôts.
Dans le premier graphique que j'ai montré, j'ai souligné la prédominance de la consommation en faisant le lien avec le commerce extérieur et en mettant en évidence la faiblesse des investissements. Dans les outre-mer, le retard d'investissement peut être caractérisé de la façon suivante. Je prends pour référence la situation France entière, la rapporte par quantité d'investissement en montant par tête d'habitant, et je constate que l'outre-mer se situe en-deçà de la moyenne nationale. Le lien avec notre débat se situe précisément ici : si une entreprise veut élargir son marché et acquérir de nouvelles technologies, elle doit investir. Or en outre-mer, l'investissement public par tête d'habitant est équivalent ou supérieur à celui pratiqué dans l'Hexagone. L'écart massif est constaté dans l'investissement privé des entreprises, ce qui représente une difficulté pour La Réunion comme pour tous les autres territoires. Cet effort doit donc être suivi dans la durée avec des repères. Nous nous attachons à offrir ce type de repères au gouvernement et je porte moi-même le message aux ministères. Ensuite, l'action ne nous appartient pas puisque nous sommes dans l'analyse.
La question sur l'emploi salarié est intéressante. Les start-ups créent un engouement car la jeunesse et les idées se déploient, ce qui est formidable. Or, nous parlons d'entreprises qui génèrent peu de valeur ajoutée à ce stade avant de passer à l'échelle, et rencontrent un problème de fonds propres. Il faut conquérir des marchés au-delà des bonnes idées. Cette ambition ne se traduit pas encore en termes d'emplois privés par rapport à la masse d'emplois publics existants. De ma part, il n'y a aucune vision idéologique. Je vous livre une analyse parce que dans les grandes économies modernes, la bonne composition du PIB est celle où un investissement suffisant permet de générer des revenus. Si les ménages et les entreprises génèrent des revenus, ils paieront des impôts avec lesquels les collectivités publiques investiront pour financer leur action. Le cercle vertueux est ici. Nous pourrions longuement débattre de ces questions.
Saint-Martin représente un beau cas d'école. J'ai envie de vous suivre jusqu'au bout. Nous avons sous les yeux un territoire qui semble mieux se débrouiller que l'autre alors que les conditions initiales y sont similaires. Puis les choix opérés dans le temps en matière fiscale et salariale notamment, créent des conditions plus attractives pour les investisseurs. Je pense qu'il faut s'interroger sur les choix et stratégies économiques et sortir, peut-être, d'une vision monolithique ou trop rigide dans l'application de la réglementation. Je n'ai pas de solution toute faite mais il faut aller au bout des constats posés. De vous à moi, je déteste l'explication liée à l'isolement des territoires car j'ai constaté, dans de nombreuses îles du monde, une forte activité économique et de l'insertion. Bien entendu, l'isolement est un problème si la relation économique est exclusivement entre Paris et ses territoires ultramarins. On peut donc réfléchir au sujet différemment pour être plus efficace.
Nous nous sommes rendus à Sint-Maarten où nous avons rencontré la banque centrale pour échanger nos analyses de la situation économique. Vos mots forts agréables pour le travail de l'agence de Guadeloupe seront transmis. Notre agence à Pointe-à-Pitre déploie à présent son activité pour l'ensemble des collectivités. L'équipe de Marina Berreur, qui m'accompagne, se rendra dans les îles du Nord pour commencer un travail de mesure du PIB. En définitive, la relation de travail que nous avons établie avec Sint-Maarten devrait nous permettre d'acquérir une meilleure compréhension. J'ai demandé ce travail d'analyse des performances économiques de Sint-Maarten au directeur de l'agence de Guadeloupe. Dès que l'analyse sera prête, nous la partagerons largement. Je ne dis pas que les exemples voisins représentent la seule solution, mais nous ne devons pas non plus hésiter à nous remettre en question.
Concernant les défaillances d'entreprises, nous disposons de statistiques qui remontent à 2019. Notre préoccupation au sortir de la pandémie de Covid était de mesurer l'impact du soutien public sur les statistiques de défaillances d'entreprises et si brutalement, nous serions submergés de défaillances d'entreprises n'ayant survécu que grâce au soutien public. Tel n'a pas été le cas. Aujourd'hui, nous constatons une montée progressive du nombre de défaillances sur les territoires, qui est supérieure à celle de la période de l'avant-Covid. Il s'agit d'un sujet d'inquiétude, avec des difficultés concentrées dans le secteur du bâtiment et de la construction. Je pense qu'il y a un lien à faire avec les retards de paiement par les collectivités publiques, et les difficultés de trésorerie consécutives des entreprises.
En parallèle, nous accompagnons les entreprises dans ce parcours. Nous évaluons leur situation financière, leur donnons une cotation et les accompagnons dans leur relation avec les banques. Pour celles qui sont en difficulté, nous leur proposons un service (très mal connu) de médiation pour les aider à négocier leurs conditions de crédit. Il ne faut pas hésiter à relayer ce service trop mal connu car nous servons de tiers de confiance entre le banquier et l'entreprise.
Concernant Mayotte, il est évident qu'elle représente un atout pour la France. J'ai assisté à une présentation d'un militaire de haut rang sur la stratégie maritime française qui a longuement insisté sur le positionnement de Mayotte à côté de l'Afrique. En cela, le positionnement Mayotte est stratégique. D'un point de vue économique, l'énergie entrepreneuriale que j'ai constatée à Mayotte est phénoménale, y compris dans les nouvelles technologies. Les axes d'action consistent à rendre l'intervention publique plus efficace et renforcer l'investissement privé. Ces deux piliers sont applicables partout.
Sur l'octroi de mer, mes propos étaient factuels. Je n'ai tiré aucune conclusion sur les mesures qu'il conviendrait de prendre. L'octroi de mer est un paramètre dans l'équation, qu'il ne faut ni diaboliser ni ignorer. La seule difficulté sur l'octroi de mer consiste à décider de son utilisation. L'incitation fiscale en elle-même fait partie des moyens d'action, mais comment l'exercer quand un produit n'atteint pas son but ? En la matière, il convient sans doute de s'interroger sur le mode opératoire ou le calibrage.
Mme Micheline Jacques, président. - Avant de clôturer cette audition, nous avons retenu que les territoires ultramarins ne sont pas assez bien insérés économiquement dans leurs bassins géographiques. Ils y gagneraient au regard de la cherté de la vie, mais cet objectif n'est pas le seul à remplir pour augmenter l'attractivité de nos territoires. En particulier, il sera nécessaire de développer et consolider davantage l'activité des entreprises, tout en ne bannissant pas la dépense publique.
Sur l'octroi de mer, la commission des Finances en partenariat avec la Délégation aux outre-mer va mener une réflexion et organisera prochainement une table ronde. Il conviendrait aussi d'analyser la fiscalité dans son ensemble afin de rechercher des pistes d'amélioration.
Nous ferons aussi passer le message que l'IEDOM est à l'écoute des entreprises qui ne connaissent pas certains dispositifs. Ainsi, nous contribuerons tous à une meilleure prise en main de l'activité économique de nos territoires. Nous sommes favorables à récupérer toutes vos contributions, que nous utiliserons à bon escient.
Jeudi 15 février 2024
Audition de Charles
Trottmann, directeur du Département des Trois Océans de Agence
Française de Développement (AFD)
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous accueillons ce matin Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), dans le cadre de nos auditions pour le rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer.
L'Agence française de développement est l'une des institutions majeures du soutien public, à la fois banque et organisme de coopération.
Son action est bien connue pour les pays en voie de développement, mais beaucoup moins en ce qui concerne les outre-mer, alors que la masse financière en jeu est conséquente. En 2021, l'AFD a consacré 1,4 milliard d'euros dans les trois océans en concentrant ses interventions sur le développement économique, social et les défis communs comme la lutte contre le changement climatique.
Pour renforcer l'intégration régionale des outre-mer et apporter une réponse globale à des problématiques transfrontalières, l'AFD a adopté en 2019 la stratégie dite « Trois Océans ». Cette approche - que nous avons aussi souhaité reprendre pour notre rapport - permet d'associer dans la réflexion les territoires ultramarins et les États étrangers voisins dans les trois bassins océaniques : Atlantique, Indien et Pacifique.
Il était donc très important de vous entendre, Monsieur le directeur, dans le cadre de cette étude.
Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour répondre aux questions de nos rapporteurs et des autres membres de la délégation aux outre-mer.
Nous souhaitons naturellement vous interroger sur le degré d'intégration ou d'insertion régionale de nos territoires ultramarins dans chaque bassin océanique, en commençant cette année par le bassin Indien.
Une meilleure intégration régionale pourrait-elle selon vous constituer un levier contre la vie chère ? Plus largement, quels sont les obstacles à une meilleure intégration régionale des outre-mer ?
Je laisserai nos rapporteurs présents vous interroger après votre exposé liminaire sur les aspects plus précis, puis nos collègues poseront leurs questions à leur tour s'ils le souhaitent.
Monsieur le président, je vous cède la parole.
M. Charles Trottmann, directeur du département des Trois Océans de l'Agence française de développement. - Je souhaite tout d'abord vous remercier pour votre invitation. C'est un plaisir de pouvoir venir vous parler de l'intégration régionale de nos outre-mer. Comme vous l'avez très justement souligné, cet enjeu est central au sein du mandat de l'AFD dans ces territoires et les États étrangers voisins.
L'AFD est sans doute l'un des seuls opérateurs de l'État présent à la fois dans tous les outre-mer et dans tous les États voisins. Cela résulte bien sûr de son histoire : l'AFD était la Caisse centrale de la France libre, puis de la France d'outre-mer. Elle était présente dans tous les territoires qui faisaient partie de la France, mais a ensuite développé son activité dans tous les pays en développement.
Ce maillage singulier, fruit de l'Histoire, s'est déployé stratégiquement dans une période récente. Comme vous l'avez souligné, la création du département des Trois Océans, que j'ai l'honneur de diriger depuis 2019, a modifié l'organisation et sans doute le regard de l'AFD sur sa façon de travailler dans ces territoires.
Historiquement, l'AFD disposait d'un département outre-mer et de départements Afrique, Amérique Latine-Caraïbes et Asie-Pacifique. L'outre-mer était ainsi traité en silo par rapport aux autres zones dans lesquelles nous travaillions. Cela induisait un biais. En effet, l'outre-mer était considéré en tant que tel ou dans son rapport avec l'Hexagone, mais non dans ses spécificités ni dans les trajectoires de développement propres à chacun de ses territoires du fait de leurs caractéristiques géographiques, sociales, économiques ou démographiques.
Sous l'impulsion de l'État, nous avons changé de regard. En 2018, un Comité interministériel de la coopération internationale et du développement nous a enjoint d'élaborer des stratégies par bassin. Nous avons alors recherché comment être plus pertinents au service de chacun de ces territoires.
Ainsi, l'approche « Trois Océans » signifie que les outre-mer ne sont pas seulement considérés dans un rapport de rattrapage, même si l'enjeu reste essentiel, mais aussi dans leur propre trajectoire de développement ancrée dans une réalité géographique.
Elle signifie aussi que les États étrangers sont vraiment considérés comme partageant des enjeux communs en matière de sécurité sanitaire, de migrations, de commerce, d'infrastructures, etc.
En outre, l'approche « Trois Océans » se traduit par une maille d'action beaucoup plus forte à l'échelle des bassins ; cet échelon se révèle le plus adapté à la mise en oeuvre des projets qui relient les différents territoires, en matière de sécurité sanitaire, de lutte contre le réchauffement climatique ou de gestion des déchets.
Un dernier niveau stratégique consiste à partager des solutions entre territoires insulaires partout dans le monde. En effet, quelle que soit l'organisation institutionnelle de chacun de ces territoires, beaucoup de questions se posent dans les mêmes termes, comme l'érosion côtière, l'autonomie énergétique ou alimentaire.
Tel est notre cadre stratégique depuis 2019. Il a été renforcé politiquement l'année dernière : le Comité interministériel de la coopération internationale et le développement (CICID), comme les orientations prises par le Comité interministériel pour les outre-mer (CIOM), ont remis au rang des priorités l'intégration régionale des outre-mer.
Ce cadre stratégique se traduit opérationnellement par une très forte montée en charge du nombre et du volume de projets menés à l'échelle régionale, impliquant au moins deux territoires d'un même bassin océanique. Alors que ces projets régionaux étaient presque inexistants auparavant, leur volume annuel se situe en moyenne autour de 50 ou 60 millions d'euros dans les trois bassins. Pour information, les réponses à votre questionnaire comporteront davantage de chiffres.
À titre d'illustration, je citerai quelques modalités d'actions mises en place au fur et à mesure du déploiement de ce mandat. Beaucoup d'entre elles, notamment en matière de biodiversité ou de lutte contre le changement climatique, sont financées grâce aux crédits du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères dans le cadre du « Programme 209 ».
Nous sollicitons aussi des « crédits délégués », alloués par des financeurs internationaux, notamment l'Union européenne (le NDICI, et le FED précédemment), pour des projets de coopération régionale dans chaque bassin de l'UE. Dans le même esprit, nous avons mobilisé le Fonds vert pour le climat, uniquement dans l'océan Indien à ce stade, dans le cadre de deux projets conséquents, pour lesquels nous avons levé environ 80 millions d'euros : le premier concerne l'hydrométéorologie, le second des solutions fondées sur la nature pour préserver la biodiversité.
En outre, nous bénéficions de quelques fonds du ministère des Outre-mer, à travers notamment le « Programme 123 » qui alimente les outils de l'AFD.
Enfin, quelques instruments spécifiques orientés « acteurs » méritent d'être cités, comme la Facilité de financement des collectivités locales (FICOL) ou le Fonds d'expertise technique et d'échanges d'expériences (FEXTE).
La FICOL est dédiée au soutien des actions décentralisées des collectivités locales. Cet instrument produit un effet de levier très puissant, jusqu'à 70 % du financement, pour inciter les collectivités à mener des actions à leur initiative. Un premier bilan sera réalisé cette année dans les trois bassins. Il pourrait permettre de dynamiser encore cette facette de la coopération régionale.
Le FEXTE permet de recourir à des acteurs français de toute nature (entreprises ou agences publiques) pour financer des prestations d'expertise auprès d'États étrangers. Les résultats sont très positifs dans nos bassins. À titre d'exemple, nous avons sollicité l'Agence d'urbanisme de La Réunion pour appuyer des plans de développement à Madagascar et aux Comores ; dans le même esprit, l'agence Enercal de Nouvelle-Calédonie a été mobilisée pour une expertise sur le développement des énergies renouvelables en Papouasie-Nouvelle Guinée. Ces fonds confiés par le ministère des Finances constituent un instrument de projection d'une expertise française localisée dans les bassins, jugée plus pertinente par les États de la zone, car elle est plus proche d'eux.
En dernier lieu, je souhaiterais citer le dispositif Initiatives OSC (organisation de la société civile). Il fonctionne chaque année sous forme d'appel à projets permettant aux organisations de la société civile française d'intervenir dans les États étrangers au titre de la solidarité internationale. Historiquement, le dispositif était assez peu mobilisé outre-mer, mais nos actions d'incitation menées depuis deux ans auprès de la société civile ultramarine ont rencontré un certain succès. Une dizaine d'OSC ultramarines ont ainsi pu bénéficier de financements pour des programmes majoritairement mis en oeuvre à proximité dans leur bassin.
En conclusion, nous disposons d'une large palette d'instruments. Cependant, ils demeurent construits en silo, si bien que l'assemblage des différents fonds demeure malaisé. Au niveau européen, comme au niveau national, il manque un outil dédié permettant de construire des projets intégrés de coopération régionale. Nous en discutons avec nos ministères.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci. Votre intervention va pleinement dans le sens des travaux de la délégation.
Je cède la parole à nos rapporteurs ici présents.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure pour le bassin Atlantique. - Merci pour cette présentation.
Mon regard de Valdoisienne est un peu différent de celui de mes collègues. Depuis le début de nos auditions, la complexité et les strates de cette coopération régionale m'interrogent. Je constate l'intérêt de la stratégie des trois océans que vous avez mise en place. Elle ne peut que simplifier la situation, car, pour être différents, les territoires ultramarins présentent des forces et des faiblesses communes.
Dans ce cadre, je souhaiterais poser plusieurs questions.
Assurez-vous la coordination entre tous les acteurs de la coopération régionale : les chambres de commerce et d'industrie, les collectivités locales, etc. ?
Associez-vous les collectivités ultramarines à vos réflexions, en particulier dans la définition de votre stratégie d'action ?
Quels moyens de soutien et d'intervention pouvez-vous développer auprès des organisations régionales ?
Enfin, une part de votre action est-elle consacrée aux sujets liés à la sécurité ? Ceux-ci représentent en effet un élément essentiel de stabilisation de nos territoires ultramarins.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Ma principale question porte sur votre positionnement. En tant qu'instrument financier et bras armé de l'État en matière de coopération, parvenez-vous à faire la part des choses ? Ainsi, vous êtes l'outil financier chargé de l'exécution de l'accord-cadre entre l'État français et les Comores, mais avez-vous le contrôle des fonds déjà versés ? Disposez-vous d'indicateurs pour évaluer les résultats par rapport à l'objectif de réduction des flux migratoires vers Mayotte ? Quelles suites avez-vous données à cet accord ? Sachant que ce plan est un échec, interviendrez-vous comme prévu jusqu'en 2030 ?
Par ailleurs, il vous est souvent reproché de consentir de meilleurs taux aux États étrangers voisins qu'aux DROM. Pourriez-vous comparer ces financements et surtout communiquer auprès des collectivités locales sur les investissements réalisés dans leur voisinage immédiat ? À titre d'exemple, le financement par l'AFD du pont du Suriname n'a été connu que tardivement en Guyane.
M. Charles Trottmann. - Je répondrai à ces questions dans l'ordre.
L'AFD n'est qu'un opérateur de l'État parmi d'autres. Le rôle de coordination est assuré par les représentants de l'État, à savoir les ambassadeurs délégués à la coopération régionale. Ils sont chargés de coordonner tous les acteurs publics et privés, locaux et internationaux sur ces sujets-là.
Toutefois, l'AFD présente une double spécificité. D'une part, elle est le seul acteur présent des deux côtés, ce qui lui procure une acuité de regard particulière. D'autre part, ses actions en matière de coopération régionale sont les plus conséquentes en volume. Elles représentent aujourd'hui plusieurs centaines de millions d'euros.
Notre rôle se révèle donc central. Nous entretenons un dialogue permanent avec les préfectures, les ambassades, les grandes collectivités locales, y compris leurs délégations aux relations internationales, et les acteurs de la coopération internationale, comme les organisations régionales ou les unions de chambres de commerce lorsqu'elles existent.
Le rôle des collectivités locales est essentiel. L'élaboration de la stratégie Trois Océans en 2018-2019 a notamment donné lieu à une assez large concertation externe, en particulier sur les attentes des collectivités ultramarines. Plusieurs d'entre elles ont été interrogées l'an dernier à l'occasion du bilan de cette stratégie. La perception se révèle globalement très positive, puisque 90 % des personnes interrogées observent un progrès dans la prise en compte des enjeux transversaux.
Cela étant, nous restons un opérateur de l'État, dont le mandat est déterminé par le CICID, par notre contrat d'objectifs et de moyens avec l'État et par les stratégies pays que nous mettons en place. L'écoute de nos partenaires, comme les collectivités locales, nous permet toutefois d'assurer un équilibre. Les collectivités d'outre-mer sont aussi nos clients, puisque nous sommes leur premier financeur. Nous portons en effet 50 % de la dette publique de tous les acteurs publics ultramarins. Par conséquent, nous entretenons au quotidien un dialogue très étroit qui nous permet de capter des messages un peu différents de ceux que perçoivent d'autres acteurs de l'État dont la posture est plus régalienne.
Les organisations régionales représentent un maillon très significatif de l'action. Elles interviennent dans la grande majorité de nos projets régionaux.
Dans l'océan Indien, au coeur de votre réflexion cette année, nous travaillons beaucoup avec la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France est membre au titre de La Réunion. Une dizaine de projets sont aujourd'hui en cours d'exécution. Ils concernent la sécurité sanitaire, la préservation de la biodiversité, la lutte contre la pollution plastique, l'inclusion économique des femmes, la formation professionnelle et la mobilité entre territoires de la zone...
Outre ce partenaire central, je citerai l'Association des États riverains de l'océan Indien (IORA), dont la France est membre depuis quelques années. Son périmètre géographique est plus large et sa substance opérationnelle moindre, mais elle constitue un espace d'échange et de coopération intéressant. Nous travaillons avec elle sur des sujets d'économie bleue et de mobilisation des ressources marines.
Côté océan Atlantique, nos partenaires sont d'abord l'Organisation des États de la Caraïbe orientale, avec laquelle nous avons conduit plusieurs projets sur la préservation des mangroves, la lutte contre la pollution plastique ou l'harmonisation des normes d'interconnexion aérienne entre les différentes autorités de régulation.
Par ailleurs, nous travaillons un peu avec la Communauté caribéenne (CARICOM), notamment avec son agence de surveillance épidémiologique et de sécurité sanitaire.
Enfin, nous sommes en relation avec la Banque de développement des Caraïbes. L'AFD lui a prêté des fonds, permettant ainsi aux entreprises ultramarines de candidater sur les lignes de crédits correspondantes. Nous espérons que le retour de la France dans son capital permettra de multiplier les opportunités.
Dans le Pacifique, nous travaillons avec la Communauté du Pacifique, qui siège à Nouméa, avec le Programme régional océanien pour l'environnement et avec le Forum des îles du Pacifique.
Nous sommes notamment actifs dans le cadre du programme Kiwa. Cette initiative, lancée en 2017, se révèle innovante. Elle est collective, car les fonds proviennent du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l'Union européenne et de la France. Elle permet de financer des solutions fondées sur la nature, comme l'utilisation des capacités de régénération et les techniques agricoles de conservation, pour s'adapter au changement climatique. 75 millions d'euros ont été mobilisés à cet effet au cours des dernières années. Ils présentent la particularité de pouvoir être mis en oeuvre dans tous les territoires de la zone. Un même programme peut donc s'appliquer dans plusieurs territoires, qu'ils soient français ou étrangers. L'ingénierie est complexe, mais apparaît pertinente.
Dans les outre-mer, la sécurité relève de l'État. Dans les États étrangers, notre mandat est limité par l'OCDE. Nous ne pouvons intervenir qu'en matière de sécurité civile (pompiers, douanes...), mais non pour le maintien de l'ordre (police, armée...). Pour autant, notre approche consiste à intervenir à long terme sur les causes profondes de l'insécurité en agissant sur l'inclusion, l'emploi, etc.
Sur le plan financier, l'AFD est un instrument de la coopération internationale dont l'actionnaire est l'État. Notre mandat est donc public.
Je ne m'exprimerai pas sur le volet politique des relations entre Mayotte et les Comores. Cependant, il convient de rappeler que le plan de développement France-Comores a permis de débloquer une situation de crise. En 2018-2019, les Comores refusaient en effet de reprendre leurs ressortissants sous obligation de quitter le territoire français.
Dans ce cadre, l'AFD a apporté 150 millions d'euros d'engagements financiers pour aider au développement des Comores, en contrepartie d'un double effort. Le premier concernait les réadmissions. À cet égard, les Comores sont irréprochables puisqu'elles reprennent 25 000 ressortissants par an sans laissez-passer consulaire. Le second portait sur la prévention des départs. Beaucoup reste sans doute à faire en la matière, mais cela ne relève pas de l'AFD.
Celle-ci cherche à agir sur les causes profondes des migrations en concentrant les fonds sur trois grands secteurs : l'éducation, la santé et l'insertion dans l'emploi, en particulier dans les secteurs agricoles.
Conformément à la demande qui nous était faite, nous avons engagé la totalité des fonds fin 2021. La mise en oeuvre se réalise progressivement, sans doute jusqu'en 2028 ou 2029, à la mesure des capacités d'exécution des partenaires comoriens. En tout état de cause, le dispositif est très étroitement contrôlé. Outre l'agence de l'AFD présente sur place et constituée d'une quinzaine de personnes, environ cinquante collaborateurs français d'Expertise France accompagnent sur place la mise en oeuvre des programmes. Chaque euro peut ainsi être tracé.
Leur utilisation est très concrète : rénovation de cinq hôpitaux, dont les maternités d'Anjouan, construction ou rénovation de cinquante écoles, accompagnement de plus de 8 000 personnes en formation professionnelle et insertion... L'AFD agit réellement, selon ses capacités techniques et financières, même si cela ne suffit pas à compenser l'écart structurel de niveau de vie - actuellement d'un à huit - entre Anjouan et Mayotte.
Enfin, nos conditions financières sont bien entendu plus favorables dans les territoires ultramarins que dans les États étrangers, d'une part parce que les ressources bonifiées par l'État permettent d'abaisser le coût de nos prêts outre-mer, d'autre part car ces collectivités françaises présentent moins de risques.
De fait, les taux y sont structurellement moins élevés, même si les États étrangers peuvent accorder des dons, ce qui est peu fréquent outre-mer même si la pratique se développe avec le Fonds outre-mer. À cet égard, je souhaite vous remercier pour les efforts que vous accomplissez pour le développement de nos capacités.
Concernant l'information sur nos financements, l'intégralité des projets financés dans les États étrangers est publiée sur le site de l'AFD. Nous ne cachons rien. En revanche, nous pourrions être plus proactifs en matière d'information ou de régularité de l'information entre nos territoires.
Au Suriname, nous avons financé notamment l'hôpital d'Albina, de l'autre côté de la frontière. Nous reprenons les opérations qui avaient été interrompues depuis quelques années en raison d'impayés. Il est en effet utile de continuer à informer de nos actions les autorités locales, via notre agence de Guyane.
Mme Micheline Jacques, président. - Je donne la parole à nos deux collègues de Mayotte.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je vous ai écouté avec attention, Monsieur le directeur, et je ne suis pas d'accord avec vos propos. L'AFD est une agence française. Elle doit d'abord oeuvrer pour les intérêts de la France.
Je conçois que vous ne puissiez vous prononcer sur des questions politiques, voire géopolitiques. Cependant, les Comores ne respectent pas leur part de contrat. La situation migratoire à Mayotte n'a jamais été aussi préoccupante. Les Comores exercent un chantage migratoire à l'encontre de la France. Elles orientent vers Mayotte les Africains de la région des grands lacs, d'où un flux migratoire massif de la part de nouvelles populations.
Les Comores ont le devoir de reprendre leurs concitoyens, elles ne rendent pas un service à la France. Cela devrait représenter leur premier devoir, mais à certains moments, elles exercent un chantage jusqu'à ce qu'elles reçoivent des fonds. Avec l'accord de 2019, ces fonds transitent par l'AFD, mais c'est la seule différence. Les Comores ne jouent pas le jeu, elles continuent leur chantage. J'ai appuyé l'accord de 2019, mais aujourd'hui force est de constater que le président Azali Assoumani se moque de nous et qu'il ne l'exécute pas.
Pour cette raison, indépendamment de la présente mission, je préconise de passer par un autre pays. L'Union européenne paie la Turquie pour empêcher l'immigration de Syriens. Or la situation dans l'océan Indien est aussi grave et justifierait le même type de démarche, quitte à intégrer des ONG dans le processus pour s'assurer d'un traitement humanitaire. Les migrants irréguliers devraient être renvoyés de Mayotte vers un autre pays où ils formuleraient leur demande de séjour ou de statut de réfugié. La France s'engagerait à les traiter de façon humaine, alors qu'ils risquent leur vie aujourd'hui. S'ils bénéficient du statut de réfugié, la France a bien sûr le devoir de les accueillir, sinon ils doivent rentrer dans leur pays.
M. Saïd Omar Oili. - Je souscris à ces propos.
Tout a été dit en matière de coopération régionale. Je m'exprimerai donc seulement en tant qu'ancien maire d'une commune de 18 000 habitants en Petite-Terre.
Je voudrais saluer les efforts de l'AFD à l'égard de nos collectivités à Mayotte. En effet, nous avons relevé lors d'une précédente audition le montant élevé des impayés qui mettent les entreprises en difficulté. Dans ces conditions, les avances accordées par l'AFD dès lors qu'une convention de subvention a été signée avec l'État permettent aux collectivités de fonctionner et d'investir sans attendre le versement des fonds. Encore merci.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Là aussi, nous sommes d'accord.
Mme Micheline Jacques, président. - Je comprends parfaitement votre émoi au regard de la situation que vit Mayotte actuellement. Nous vous l'avons déjà dit, mais vous pouvez compter sur notre indéfectible soutien.
Mme Vivette Lopez. - Nous comprenons les difficultés et l'émotion que vous manifestez.
Ma première question porte sur l'aide apportée aux collectivités, telle qu'elle vient d'être évoquée. Toutes les collectivités la demandent-elles ?
Par ailleurs, certains États vous sollicitent-ils moins ? Si oui, quels sont-ils ?
Enfin, les crédits sont-ils tous consommés ? Qu'advient-il s'ils ne le sont pas ?
M. Charles Trottmann. - J'illustrerai les propos du sénateur Saïd Omar Oili sur nos actions internes à Mayotte. L'an dernier, année record, nous y avons engagé 170 millions d'euros. Les montants ont été multipliés par trois sur les trois dernières années. L'effort accru de l'AFD sur ce territoire est absolument essentiel compte tenu des besoins considérables de la population. Nous intervenons dans tous les services de base : l'eau, les transports, l'appui aux communes... Nous essayons de nous concentrer sur cette mission essentielle.
Je ne reviens pas sur le sujet de Mayotte et des Comores. Beaucoup a été dit. Nous pouvons juste agir en tant qu'acteurs de développement dans le mandat donné par le Gouvernement français. Dans ce cadre, nous cherchons à agir le mieux possible pour contribuer au traitement des causes profondes des migrations, sachant que cela relève du temps long.
Pour répondre à la sénatrice Vivette Lopez, nous ne rencontrons aucune difficulté à mobiliser les crédits. Bien au contraire, la demande est très forte. 100 % des crédits relevant du ministère des Outre-mer sont engagés chaque année.
Les demandes proviennent de la plupart des collectivités. Nos activités s'exercent dans tous les territoires français d'outre-mer, y compris Wallis-et-Futuna et les Terres australes. Le degré d'intensité varie cependant selon les territoires, mais à titre d'exemple l'AFD accompagne 100 % des collectivités de Mayotte.
Concernant les États étrangers, la situation dépend du degré de développement, du niveau de richesse et de l'intérêt à collaborer avec la France, mais l'utilisation de nos moyens budgétaires ne pose pas de difficulté.
Mme Évelyne Perrot. - Vous avez évoqué la lutte contre les pollutions plastiques dans l'océan Atlantique, mais je suppose que vos interventions concernent tous les océans.
M. Charles Trottmann. - Je vous le confirme. Nous menons un projet sur la question dans chacun des trois bassins, porté à chaque fois par une organisation régionale différente : la Commission de l'océan Indien, l'Organisation des États de la Caraïbe ainsi que la Communauté du Pacifique et le Programme régional océanien de l'environnement. Ce sujet, à la fois sanitaire et environnemental, est essentiel.
Mme Évelyne Perrot. - Il est particulièrement important à Mayotte en raison du volume de bouteilles en plastique importées. J'avais écrit à ce sujet à la Première ministre pour lui demander comment le problème serait réglé. Elle m'a répondu que les bouteilles plastiques étaient consignées et que la population les rapportait pour être transportées par container au Havre. Le confirmez-vous ?
M. Charles Trottmann. - Nous ne sommes pas impliqués dans ce cas d'espèce, ce type de dispositif étant géré directement par l'État.
En revanche, vous soulignez le point important de la gestion et de la valorisation des déchets dans les territoires insulaires. La collecte représente un premier défi. De plus, le fonctionnement d'une unité de valorisation de tel ou tel déchet implique un volume minimum qu'une petite île n'atteint pas nécessairement. Il s'agit bien d'un sujet de coopération régionale. Les possibilités de mutualisation entre unités de traitement font l'objet de discussions à l'échelle de bassin.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Nous savons que la Commission de l'océan Indien fonctionne très bien entre La Réunion et les États voisins. Cependant, fonctionne-t-elle bien sans Mayotte ?
M. Charles Trottmann. - C'est évidemment un sujet de préoccupation. Comme je l'ai souligné, la France est membre de la Commission de l'océan Indien au titre de La Réunion, mais certains États de la zone ne reconnaissent pas sa souveraineté sur Mayotte. Nous parvenons parfois à insérer celle-ci de façon technique dans certains travaux.
Mme Micheline Jacques, président. - Une dernière question porte sur les investissements des pays asiatiques dans le bassin caribéen, à Maurice ou aux Comores... Comment percevez-vous ces stratégies ?
Estimez-vous que la France pourrait disposer de moyens d'action plus conséquents pour rayonner dans ces territoires ?
M. Charles Trottmann. - Les trois océans font en effet l'objet d'une importante compétition géopolitique, tout particulièrement dans la zone Indopacifique, compte tenu du poids de grandes puissances comme la Chine ou l'Inde, mais aussi des pays du Golfe et même des États-Unis. L'AFD est lucide quant aux influences qui s'exercent et aux investissements réalisés.
Notre réponse, en tant qu'acteur du développement, consiste à présenter la disponibilité et l'offre de la France. À cet égard, nous disposons de capacités d'action croissantes, en dons comme en prêts. En effet, le ministère des Affaires étrangères nous délègue de plus en plus de crédits, notamment dans le Pacifique.
De fait, les attentes vis-à-vis de la France se montrent très fortes, de la part des territoires comme Maurice, mais aussi de partenaires tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande qui partagent nombre de nos valeurs.
Mme Micheline Jacques, président. - Au moment de clore cette audition, je vous réitère nos remerciements.
Nous avons bien noté le changement de regard de l'AFD ainsi que sa volonté de s'inscrire dans le cadre de la coopération régionale et de contribuer, dans la limite de ses compétences, au développement de certains territoires. Vous avez également insisté sur votre rôle comme outil de coordination au service de la France.
Nous recevrons avec intérêt vos contributions écrites et toute précision technique que vous souhaiteriez communiquer.
M. Charles Trottmann. - Merci, Madame la présidente.
Jeudi 7 mars 2024
Auditions sur les aspects
européens de la coopération et de l'intégration
régionales des régions ultrapériphériques (RUP) et
des pays et territoires d'outre-mer (PTOM)
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de nos auditions pour le rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous abordons ce matin les aspects européens de cette problématique.
Nous échangerons dans un premier temps avec des élus particulièrement impliqués sur ces dossiers, et aurons l'honneur et le plaisir d'entendre successivement :
- Wilfrid Bertile, conseiller régional, qui représente Huguette Bello, présidente de la région Réunion ainsi que de la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques (RUP) ;
- Stéphane Bijoux, député européen (Renew Europe) ;
- Max Orville, député européen (Mouvement démocrate) ;
- Maxette Pirbakas, députée européenne (Non inscrits).
Nous avions également contacté le député Younous Omarjee, mais son emploi du temps chargé n'a pas pu lui permettre de se joindre à cet échange.
Nous vous remercions, Madame et Messieurs, de votre présence, car nous comptons sur vos éclairages de spécialistes. Comme vous le savez, l'Union européenne (UE) tend à renforcer les collectivités territoriales en tant qu'acteurs de l'intégration régionale, mais le problème de l'accès réel aux fonds européens afférents reste un sujet récurrent.
La sous-consommation des crédits, notamment ceux des programmes Interreg, est souvent pointée. Comment l'expliquez-vous ? Certaines procédures sont-elles trop complexes ? Est-ce que l'accompagnement des autorités de gestion et des porteurs de projet est suffisant ? Comment renforcer, le cas échéant, cet accompagnement et le niveau d'ingénierie ?
La question des normes préoccupe aussi de longue date notre délégation. Ces normes européennes ne sont-elles pas un frein à la coopération régionale ?
Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents poser toutes leurs questions et développer les sujets qui les préoccupent après vos exposés liminaires - d'environ une dizaine de minutes - sur la base de la trame qui vous a été transmise, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.
Dans un second temps, nous recevrons Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom, association créée en 1989 à l'initiative de Gérard Bally, afin de représenter les RUP. Nous ne manquerons pas de l'interroger à son tour sur les programmes Interreg pour les outre-mer, leurs objectifs et l'efficacité de ces programmes.
Les éléments recueillis lors de la présente réunion nous permettront d'interroger, lors d'une prochaine séance, les responsables des directions compétentes de la Commission européenne.
Sans plus tarder, je donne la parole à Wilfrid Bertile, que nous avons eu l'occasion de rencontrer lors de notre déplacement à La Réunion et qui représente ce matin la présidente Huguette Bello.
Wilfrid Bertile, conseiller régional, représentant Mme Huguette Bello, présidente de la région Réunion, présidente de la Conférence des présidents des RUP. - Merci, Madame la présidente. Mon propos s'articulera autour de 3 points :
- la nature des RUP et de la Conférence des présidents des RUP ;
- l'évolution des relations entre l'UE et les RUP ;
- des problématiques d'actualité.
Les RUP sont au nombre de 9 (6 françaises, 2 portugaises et 1 espagnole) et peuplées de 5 millions d'habitants. Elles représentent donc 1 % de la population de l'Union européenne (UE). Cependant, les RUP et les PTOM lui assurent une présence exceptionnelle sur l'ensemble des continents, ainsi que la première zone économique exclusive (ZEE) mondiale.
En outre, les RUP représentent le réservoir principal de la biodiversité de l'UE, lui apportent une population jeune et culturellement diversifiée, ainsi que de nombreuses ressources naturelles et un important potentiel de recherche et d'innovation. Elles représentent un véritable atout en vue du redressement productif de la France.
Selon le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), différents handicaps tels que l'éloignement, l'insularité, la faible superficie, le relief, la difficulté du climat, la dépendance économique vis-à-vis d'un nombre réduit de produits, expliquent que ces territoires soient les seuls à bénéficier d'un statut spécifique. L'UE souhaite promouvoir la convergence économique et sociale de ces régions dans le cadre de sa politique de cohésion.
Ces territoires jouissent désormais d'un statut privilégié au sein de l'UE.
Le Traité de Rome de 1957 ne reconnaissait que les départements d'outre-mer (DOM), également considérés comme des pays sous-développés, qui bénéficiaient, jusqu'en 1980, du Fonds européen de développement. L'arrêt Hansen de 1978 a permis de lever toutes ambiguïtés et d'inscrire dans le marbre que les DOM faisaient bien partie des territoires européens, tout en reconnaissant qu'ils pouvaient bénéficier de mesures spécifiques eu égard à leurs situations particulières.
Cette situation n'était toutefois pas satisfaisante, car les mesures prises en faveur des DOM n'étaient que provisoires, alors que leurs handicaps étaient permanents. Le statut de RUP a donc tout d'abord fait l'objet d'un document annexe au Traité de Maastricht de 1992, repris dans le texte du Traité d'Amsterdam de 1997.
Pour obtenir leur statut, les RUP ont pu compter sur l'action du Parlement européen, mais également des États et des présidents de RUP. Elles ont bénéficié de mesures spécifiques dès 1975. Les fonds qui leur étaient alloués ont été doublés en 1989, et, désormais, la Commission européenne définit ses politiques à leur égard par l'intermédiaire de Communications (2004, 2008, 2012, 2017, 2022).
La concertation entre les présidents de RUP a précédé la reconnaissance du statut. Après une première rencontre à Madère en 1988, la Conférence a été créée à Saint-Malo en 1993. La première d'entre elles s'est tenue en Guadeloupe en 1995. La Conférence représente une force de pression et de proposition auprès du Parlement européen, de la Commission européenne, ainsi que des gouvernements nationaux. Cette instance s'accompagne d'un comité de suivi mensuel, qui exerce des fonctions de veille, d'information et de suivi des dossiers. Enfin, une troisième instance, le Forum des RUP, se réunit tous les deux ans à Bruxelles avec la Commission, les États membres, les représentants des RUP et la société civile.
L'UE, et avant elle la communauté économique européenne (CEE), s'est toujours montrée favorable à la coopération régionale ainsi qu'à l'insertion régionale des RUP, avant même la création de leur statut. Les problèmes ont émergé lorsqu'il a été question d'échanges commerciaux entre la CEE et les pays ACP, à l'occasion de l'intégration du Royaume-Uni notamment.
La Convention de Lomé a toujours tenu compte de l'existence des DOM : Lomé I consacrait un article à la coopération régionale, Lomé II un chapitre entier, Lomé III un objectif spécifique, puis Lomé IV mentionnait l'intégration régionale. L'accord de Cotonou a par la suite repris les différentes dispositions de la Convention.
Parallèlement à ces relations contractuelles entre l'UE et les pays ACP, le Conseil européen a adopté, le 22 décembre 1989, un programme spécifique pour les agricultures outre-mer : le POSEIDON, devenu POSEI à la suite de son extension aux Canaries, aux Açores et à Madère. En son article 4, il prévoyait la possibilité de signer des accords régionaux et, par ailleurs, des actions de promotion commerciale communes entre les outre-mer et les pays voisins ACP.
En ce qui concerne les questions d'actualité, les actions de l'UE en matière de coopération régionale semblent plus volontaristes que celle de l'État. J'illustrerai ce point à l'aide de 3 exemples.
En premier lieu, la politique européenne de voisinage, initiée en 2004, définissait une approche intégrée autour de 3 axes :
- l'accessibilité et la réduction des effets des contraintes ;
- la compétitivité ;
- l'insertion régionale.
Le 26 mai 2004, la Commission européenne a publié une communication intitulée « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques », qui prévoyait, dans son troisième objectif, un plan d'action pour le grand voisinage, à partir des RUP. Je regrette que cet objectif n'ait pas connu un meilleur sort sous sa forme initiale. Il a en revanche prospéré sous la forme d'une politique de voisinage avec les pays frontaliers de l'UE. Entre 2014 et 2020, environ 18 milliards d'euros ont en effet été consacrés à cette politique, somme qui ne serait pas pour déplaire aux présidents des RUP.
C'est dans cette optique que la dernière Conférence des Présidents de RUP, en date du 8 novembre 2023, a demandé à la Commission européenne « une véritable politique de grand voisinage, avec des instruments ad hoc et des ressources dédiées ».
Ensuite se pose la question de l'asymétrie des échanges dans le cadre de la politique commerciale. La convention de Lomé permettait aux pays ACP d'exporter leurs produits agricoles et industriels vers les marchés européens, tout en posant des restrictions d'accès à leurs marchés. Ce déséquilibre a été dans une certaine mesure atténué par les accords de Cotonou, consécutivement aux recommandations de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Malheureusement, les RUP, et bien souvent les États, ne sont pas associés aux négociations des accords de partenariats économiques ni à la mise en oeuvre des décisions.
Produire des études d'impact des accords de partenariats économiques, à l'échelle locale et non pas européenne, trop abstraite, semble nécessaire. Les clauses de sauvegarde sont trop lourdes à mobiliser et ne peuvent sauver des secteurs en danger. Il existe par ailleurs une liste de produits à ne pas libéraliser qui doit être préservée.
S'agissant de la question des normes sociales et environnementales, les RUP ne bénéficient pas de clauses miroirs et sont victimes de véritables distorsions de concurrence et subissent les contradictions des politiques européennes.
Enfin, les crédits Interreg étaient dans un premier temps très modestes. Entre 1994 et 1998, La Réunion recevait par exemple, en moyenne, 5,4 millions de francs par an. Depuis 2001 et Interreg 3, La Réunion est devenue autorité de gestion. Les crédits ont augmenté de 5 millions d'euros pour la période 2001-2006 à 35 millions d'euros pour la période 2007-2013, et s'établissaient à 63 millions pour la période 2014-2020. Au total, entre 2001 et 2020, 535 projets de coopération régionale ont été soutenus grâce aux fonds européens. Pour la période 2021-2027, 62,3 millions d'euros ont été débloqués.
Se pose également la question de la coordination de ces crédits Interreg avec les crédits de l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (NDICI). La Réunion a réglé ce problème de manière pragmatique, en étudiant les possibilités de financement des projets au cas par cas.
Les RUP réclament d'ailleurs un traitement au cas par cas de leur situation, « sur mesure », comme le proposait la Commission européenne dans sa communication du 3 mai 2022.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je donne la parole au député Stéphane Bijoux.
M. Stéphane Bijoux, député européen (Renew Europe). - Merci madame la présidente. J'arrive de Bruxelles, et je peux porter témoignage qu'au sein du Parlement européen, chacun sait l'importance des travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et que chacun sait l'importance du dialogue entre parlementaires. En ces temps où certains, ici ou là, et à l'échelle européenne, veulent construire des murs, il est important, plus que jamais de construire des passerelles.
Ces premiers mots représentent l'ADN de mon engagement politique. Je crois à la force de l'intelligence collective. Un moment tel que les auditions d'aujourd'hui permet de croiser les visions et de construire des solutions.
Travailler sur le sujet de la coopération régionale, qui concerne les échelons nationaux, européens et internationaux, envoie un signal fort au sein de cette institution, qui représente les territoires.
On fait de la politique, car on est convaincus qu'elle contribue à changer le quotidien des gens. La coopération permet d'oeuvrer en ce sens, en coconstruisant, entre voisins, des solutions nécessaires.
Sur l'île de La Réunion, la coopération est presque un mouvement naturel. De l'autre côté de l'océan vivent nos cousins. L'océan fait le lien entre les différents bassins régionaux. Les RUP et le PTOM se situent aux avant-postes des grands enjeux contemporains : changement climatique, géostratégie, migrations, environnement, etc. Sur chacun de ces sujets, nous avons quelque chose à partager avec nos voisins. Cette réalité géostratégique doit déclencher une prise de conscience.
Je le dis devant vous, avec force et détermination : face à ces défis, les outre-mer sont les meilleurs atouts de la France et de l'UE. Nous devons resserrer les liens avec les pays tiers, avec nos voisins, pour consolider des partenariats à l'échelle du monde.
Depuis le premier jour de mon mandat, je défends une approche géostratégique de cette coopération régionale au service du développement de nos territoires d'outre-mer. Pour jouer efficacement la carte de cette coopération régionale, nos territoires ont bien évidemment besoin d'Europe. Depuis 2019, nous nous sommes beaucoup mobilisés pour conforter ce cap et enrichir une boîte à outils européenne.
Le programme Interreg représente le principal outil à notre disposition. En tant que rapporteur pour mon groupe politique du nouveau programme Interreg 2021-2027, j'ai soutenu la création d'un volet spécifique unique pour les RUP, qui concentre, pour la première fois, l'ensemble des enveloppes régionales RUP. Le montant du programme, qui se veut plus accessible et efficace, s'élève à 281 millions d'euros. Avoir gagné la bataille du budget permettra de stimuler l'initiative locale, véritable carburant de la construction des solutions.
Le programme Interreg a déjà prouvé son efficacité, comme l'illustrent :
- La plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (PIROI), qui a déjà mené 67 opérations d'urgence et porté assistance à 2 millions de personnes ;
- Le projet FORMA'TERRA, qui favorise les échanges dans la formation agricole entre La Réunion, Maurice, Madagascar, les Seychelles ;
- Le projet SARG'COOP, qui encadre la coopération de l'ensemble des territoires caribéens dans leur combat contre les sargasses.
Interreg permet donc des réponses adaptées aux problématiques locales. Toutefois, si l'on souhaite consolider ces acquis, une étape supplémentaire doit être franchie. Les possibilités offertes par la coopération régionale n'ont pas été entièrement exploitées. Pour réussir, nous avons besoin de deux choses : de l'efficacité, mais également de l'audace.
Efficacité d'abord, parce que c'est la condition d'une action qui porte des résultats sur le long terme. La coordination des actions des différents fonds qui interviennent dans la coopération des outre-mer (Interreg, FED devenu NDICI, programmes BEST ou Archipel) doit être approfondie, d'autant qu'ils poursuivent des objectifs communs. Le cheminement des porteurs de projets doit également être simplifié. Leur complexité éteint en effet l'initiative locale et éloigne les solutions.
Les synergies doivent également être approfondies avec les autres programmes de coopération régionale, tels que Protège et l'Initiative Kiwa, qui soutiennent le partage de solutions pour l'adaptation au dérèglement climatique entre les territoires français et les États insulaires du Pacifique. Ces programmes sont cofinancés par la France et l'UE, qui doivent être de véritables partenaires dans leur stratégie de codéveloppement.
La semaine prochaine, la commission du développement votera l'accord de Samoa, signé entre l'UE et les États ACP. Cet accord doit devenir la base d'une nouvelle méthode de travail qui implique plus avant les RUP afin de fluidifier la coopération avec ces pays.
Audace, ensuite, parce que devons mettre de nouvelles idées sur la table. Nous devons soutenir nos nombreux talents qui innovent au sein de nos territoires, explorer les champs nouveaux des solutions qu'imposent les défis immenses auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Je suis convaincu que la coopération régionale représente une véritable solution face aux grands défis d'aujourd'hui et de demain. Au sein du Parlement européen, je porte actuellement le projet de création d'une Blue Belt, qui constituerait un réseau mondial d'interconnexions et de coopération entre les aires marines protégées, afin de mieux faire face à l'immensité des défis auxquels les océans sont confrontés. Je suis également convaincu qu'il nous faut investir plus avant dans le champ de l'éducation et de la jeunesse.
Pour conclure, je souhaite mettre en avant le programme REUNION, équivalent d'Erasmus pour l'océan Indien, soutenu par la Commission de l'océan Indien (COI), l'Université de La Réunion et l'UE, dont la dynamique doit être amplifiée.
Je suis Réunionnais, député européen, et depuis le début de mon mandat, lors de chacune de mes visites à La Réunion, je rencontre des jeunes qui me disent que leur horizon est bouché. La coopération régionale représente une voie d'accélération pour élargir cet horizon. C'est quelque chose qui engage profondément notre responsabilité.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos très éclairants. Je donne la parole au député Max Orville.
M. Max Orville, député européen (Mouvement démocrate)
Je m'inscris dans la continuité des propos des intervenants précédents : les programmes Interreg fonctionnent bien. Leur taux d'utilisation s'avère en outre satisfaisant. Je souhaite donc vous donner quelques exemples de succès dans la zone Antilles-Guyane. Outre le programme SARG'COOP, nous pouvons évoquer :
- le programme ELAN, qui promeut les échanges linguistiques et la mobilité ;
- le projet Ready Together, qui permet de répondre efficacement aux besoins essentiels des populations caribéennes exposées aux risques naturels et aux effets du changement climatique ;
- un projet d'enlèvement d'épaves du lagon de Saint-Martin, en réponse aux dégâts occasionnés par la tempête Irma.
Est-il possible d'aller plus loin ? Bien sûr, mais en associant plus avant les collectivités et territoires d'outre-mer à ces projets, en prenant en compte les enjeux qui sont les leurs dans les négociations entre l'UE et les États tiers, notamment en ce qui concerne les accords commerciaux. Si les députés européens issus des RUP ne représentent que 1 % du Parlement, il serait toutefois incorrect de parler d'une non-prise en compte des enjeux propres aux outre-mer français, bien qu'elle puisse être améliorée.
Les accords de Samoa, signés le 15 novembre 2023 et qui succèdent aux accords de Cotonou, instaurent trois assemblées territoriales régionalisées :
- l'Assemblée territoriale UE-Afrique, dont j'assume la co-présidence ;
- l'Assemblée territoriale UE-Caraïbes ;
- l'Assemblée territoriale UE-Pacifique.
Elles permettront de mettre en oeuvre le programme Global Gateway, décliné en fonction des spécificités des territoires, en tenant compte des ambitions portées par nos RUP. Je pense qu'il s'agit d'une grande avancée, qui devrait nous permettre d'évoluer positivement.
La question des normes, évoquée précédemment, apparaît parfois comme un frein à la coopération régionale. Elles permettent de disposer d'un cadre, mais mettent en évidence l'asymétrie de certaines relations avec les États voisins. Une concurrence déloyale s'est par exemple instaurée dans le secteur de la banane, car la banane dollar n'est pas soumise aux mêmes normes sanitaires que les bananes françaises, alors qu'elles mettent en jeu la santé des consommateurs.
Au niveau européen, je porte la création d'une Université européenne de la Caraïbe, inscrite dans un programme européen et partie prenante du programme Erasmus. Les étudiants verraient d'un très bon oeil cette Université, qui serait en lien avec les Universités européennes, mais également partenaire des Universités des Caraïbes, voire de l'Amérique du Sud.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour vos propos. Je donne la parole à la députée Maxette Pirbakas.
Mme Maxette Pirbakas, députée européenne (non inscrit). - Madame la présidente, je vous remercie pour votre invitation. Monsieur Orville mentionnait la banane dollar, qui représente en effet une concurrence déloyale, puisqu'elle n'est pas soumise à des exigences de traçabilité ou sanitaires similaires à celles des bananes françaises.
Je souhaite vous livrer le fond de ma pensée : malgré la bonne volonté affichée par la France et l'UE, l'intégration régionale des départements d'outre-mer est largement insuffisante, aussi bien pour des raisons historiques que parce que tout est fait pour maintenir cet état de sujétion. Nos territoires d'outre-mer restent très largement tournés vers la métropole et l'Europe continentale et les échanges économiques et humains restent pour le moins déséquilibrés. De ce fait, nos outre-mer sont incapables de tirer des avantages de leur statut de territoires relativement prospères et de territoires politiquement et économiquement stables, comparés à leurs voisins. Ils ont toutefois des atouts qui font la force de la France, telle que leur zone économique exclusive (ZEE).
Chacun s'accordera à dire qu'une meilleure intégration régionale représente toutefois une nécessité en tant qu'instrument de développement économique de nos territoires, afin de lutter notamment contre la cherté de la vie. On parle quelques fois de « bouclier prix ». Les produits de première nécessité sont 83 % plus chers en Polynésie qu'en métropole, 66 % à La Réunion, 48 % à la Guadeloupe, etc. Saint-Martin souffre de son côté de problèmes d'assainissement, qui impactent la cohésion sociale.
Par ailleurs, si l'UE reconnaît les spécificités des RUP, les freins administratifs restent nombreux. En mai 2022, la Commission européenne fixait, lors de la mise à jour de sa Communication, l'objectif d'améliorer et intensifier la coopération avec les pays voisins, tout en soulignant que « la coopération reste limitée en raison des problèmes réglementaires, administratifs, budgétaires et politiques ». La lourdeur administrative freine l'élan des porteurs de projets. Alors que ces derniers sont très majoritairement des PME, des artisans ou des jeunes, qui ne disposent pas d'un accompagnement adéquat.
Permettez-moi d'ouvrir une parenthèse sur certaines difficultés politiques de la coopération. Certains pays de l'Océan Indien qui bénéficient des programmes européens ne reconnaissent pas le rattachement de Mayotte au territoire français. Une telle posture révisionniste devrait les empêcher d'accéder aux fonds européens.
Concernant le programme Interreg, seuls 21 % des paiements dont devrait bénéficier la Guadeloupe ont été effectués. Cette situation est anormale.
Les RUP français bénéficient de 168 millions d'euros. La région Guadeloupe gère 67,9 millions d'euros, et cofinance par exemple un projet de production locale et décarbonée d'électricité en mer. La coopération avec les pays voisins des Caraïbes doit toutefois être approfondie.
Cependant, les financements restent insuffisants. Le budget dédié à chaque objectif stratégique n'est que de 15 millions d'euros et ne permet pas de modifier les équilibres locaux.
La sous-consommation et les délais de paiement sont trop étirés et ne permettent pas de travailler efficacement. Sur Interreg V, le taux de paiement aux bénéficiaires des 369 projets n'est que de 21 %. À titre de comparaison, ce taux s'établit entre 74 % et 93 % pour les Interreg de l'Europe continentale.
Je me suis également amusée à me rendre sur les sites Internet des différentes autorités de gestion : la plupart du temps, j'ai trouvé des informations floues, datées et peu opérationnelles. La communication et la disponibilité de l'information autour de l'existence et des modalités d'accès aux fonds sont déplorables. Les porteurs de projets ne peuvent s'y retrouver sans cabinet de conseil, ce qui exclut d'emblée la majorité d'entre eux.
Au sein de la Commission de développement régionale du Parlement européen, nous débattons régulièrement de la lourdeur des procédures. Mais à Bruxelles comme à Paris, toute tentative de simplification aboutit à l'effet inverse.
Je souhaite enfin dire un mot de l'adaptation normative aux réalités des outre-mer. La création d'une norme dérogatoire à la norme CE au sein des RUP permet certes l'utilisation de produits locaux tels que le béton, mais doit produire des effets avant que ce processus ne soit élargi à d'autres secteurs.
D'une manière générale, l'UE, championne incontestée de la norme, met les RUP au défi de la souplesse et de l'adaptation. La capacité de l'UE à se remettre en question en dira long sur sa volonté réelle de mettre à jour son logiciel mental.
Je conclurai en disant que nos territoires ne doivent plus être considérés dans une perspective de rattrapage et de compensation des handicaps, mais en intégrant leur propre trajectoire de développement économique et humain, une trajectoire que l'UE doit davantage stimuler.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci Madame la députée. Je donne la parole au rapporteur de la délégation, Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Merci Madame la présidente. Vous avez chacun répondu à un certain nombre de questions qui vous ont été préalablement adressées. Je pense que les propos de Mme Maxette Pirbakas amèneront des réactions, puisqu'il semble qu'un certain nombre de positions ne soient pas partagées par tous. L'objectif de notre rapport est de faire des propositions pour améliorer les choses.
Sentez-vous que le prisme outre-mer va s'amplifier au sein de l'UE, qui envisage par ailleurs son élargissement ? Dans le contexte du Brexit, quelle est la nature des relations entre RUP français et les territoires d'outre-mer du Royaume-Uni ?
Il me semblerait intéressant de revenir sur la pertinence des programmes Interreg outre-mer, que chacun a abordée sous l'angle des propositions à faire. Dans notre rapport, nous souhaiterions étudier la pertinence de ces programmes et des modes de gestion qui y sont déployés. De quelle manière nos collectivités pourraient davantage y être associés, aussi bien en ce qui concerne leur conception que leur mise en oeuvre ?
Qu'en est-il du rôle du rôle et de la coopération avec les agences françaises du secteur du développement et de la coopération ?
Nous souhaiterions également entendre l'avis des différents intervenants au sujet de la dérogation à la norme évoquée par Mme Maxette Pirbakas.
Enfin, pensez-vous que la coopération entre les RUP et les PTOM, qui partagent un certain nombre de préoccupations communes (autosuffisance alimentaire, changements climatiques, migrations), pourrait être renforcée ?
M. Wilfrid Bertile. - L'élargissement de l'UE à des pays qui n'ont pas de passé colonial amoindrit d'autant le poids de ceux qui défendent les RUP ainsi que les PTOM, c'est-à-dire la France, l'Espagne et le Portugal. Cela demande donc plus de concertation et de travail.
Concernant le programme Interreg, il ne faut pas céder à la généralisation. Le taux de consommation de La Réunion s'élève à 98 %. Malgré le Covid, aucun dégagement n'est à noter.
La Réunion a en effet mobilisé toutes les possibilités offertes par le programme : nous avons ainsi créé une cellule qui accompagne les porteurs de projets. Par ailleurs, les procédures en matière de facturation sont simplifiées par la programmation 2021-2027. 3,5 % des crédits Interreg sont destinés à rémunérer du personnel qui accompagne les gens.
Les choses s'améliorent peu à peu, grâce à la possibilité de faire des avances sur subvention.
S'agissant de l'AFD, j'ai signé le 28 février 2024 un accord de partenariat avec Rémi Rioux, qui en est le directeur général, afin de coordonner l'ensemble de nos actions durant toute la programmation 2021-2027.
Enfin, concernant les PTOM le rapport de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat de 2023 sur l'Indopacifique, affirme que les RUP et les PTOM doivent être considérés comme des acteurs régionaux à part entière. Il ne peut y avoir de coopération régionale en l'absence de liens très étroits entre l'UE, l'État, les collectivités locales et la société civile.
M. Stéphane Bijoux. - Un mot rapidement sur la défense des spécificités de nos territoires ultramarins dans cette Europe à 27. Je veux, avec beaucoup de solennité, dire l'importance des messages politiques du Parlement européen auprès des autres institutions européennes. Dans le rapport sur la stratégie outre-mer, que j'ai porté personnellement, j'ai fait adopter, par le Parlement, un message politique extrêmement fort, voté par près de 90 % des députés, qui exigeait le respect d'un « réflexe outre-mer » par les institutions et la loi européennes. La Commission européenne a repris cette exigence politique dans sa communication. Cette exigence est aujourd'hui ancrée aux côtés de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'UE.
Dans moins de 100 jours auront lieu les élections européennes. De nombreux élus d'extrême droite feront peut-être leur entrée au Parlement, et une nouvelle Commission sera désignée. Si nous le devons, nous reprendrons notre bâton de pèlerin pour réancrer notre message, pour redire que l'efficacité de l'action publique de l'UE dans nos territoires passe impérativement par le respect de nos spécificités.
Concernant la simplification, je dois vous dire qu'un nouvel accord politique entre les négociateurs européens, relatif au règlement UE sur les produits de construction, a été signé le 13 décembre 2023. Les États membres auront désormais la possibilité d'exempter les produits de construction mis sur le marché des RUP du respect des exigences du marquage CE. En termes de calendrier, cet accord sera validé lors de la session du mois d'avril 2024. Nous travaillerons à son entrée en vigueur le plus rapidement possible. Chacun sait l'importance du BTP dans la construction de logements et dans la création d'emplois. La Réunion peut par exemple s'approvisionner en matériaux de construction en Afrique du Sud, où ils sont soumis au même cahier des charges que dans l'UE. Les modalités de travail avec nos voisins doivent être simplifiées.
Si d'ailleurs la simplification des normes est nécessaire, je tiens à rappeler que les normes protègent nos concitoyens, qu'elles permettent à tous les Européens de jouir d'une alimentation d'une grande qualité. Nous disposons, au sein de l'UE, de la meilleure des sécurités alimentaires.
Le problème n'est pas la norme, mais le trop-plein de normes, le millefeuille administratif. La vraie bataille concerne la simplification et l'intelligence de l'action publique.
Concernant l'AFD, la complémentarité de ses actions avec les programmes européens de coopération régionale doit être renforcée, ainsi que le dialogue entre les RUP et les PTOM. Ils pourront ainsi mieux faire face à leurs défis communs.
M. Max Orville. - Je rappelle la définition d'Interreg : il s'agit d'un projet de coopération entre au moins deux États membres et un pays tiers, sur un projet profitable pour chaque partie.
Dans le cadre du programme Interreg pour les RUP françaises, le système est un peu différent, puisque les spécificités des zones géographiques ne permettent généralement pas d'initier des projets de coopération entre plusieurs États membres. Dans les Caraïbes, la France est systématiquement le seul interlocuteur de l'UE. Cette situation s'avère parfois problématique, dans la mesure où elle reproduit de fait le mode de fonctionnement des fonds européens structurels et d'investissement (FESI), et ne laisse place à aucun contre-pouvoir.
Contrairement à ce qu'affirme Mme Maxette Pirbakas, la consommation des fonds Interreg est élevée. Au mois de février 2024, le taux de certification de l'Interreg Caraïbes s'élevait à 90 % sur les 5 programmes.
Les relations entre les RUP et les États des Caraïbes sont quant à elles bonnes, et recherchées par les élus locaux. Le Président de la collectivité territoriale de la Martinique était récemment en réunion avec l'OECO. Les RUP françaises des Antilles souhaitent approfondir leurs échanges avec les pays indépendants des Caraïbes et faire évoluer leur diplomatie territoriale en ce sens.
Les conséquences d'un élargissement à venir de l'UE sur les RUP pourraient être négatives. Si le « réflexe RUP » doit évidemment être renforcé, il faut toutefois garder à l'esprit que l'UE octroie déjà des sommes importantes aux RUP, qu'il convient d'utiliser le plus efficacement possible et avec discernement.
Comme l'a évoqué Madame Maxette Pirbakas, il existe des difficultés en termes d'ingénierie locale : l'administration doit être formée adéquatement afin d'accompagner les porteurs de projets locaux. La situation est très différente au sein des RUP portugaises et espagnoles, où ces porteurs de projets sont parfaitement accompagnés par leurs autorités de gestion.
Je souhaite souligner un autre point. L'article 349 du TFUE dispose que l'UE doit tenir compte des spécificités locales des RUP. C'est là, malheureusement, que le bât blesse. Lors des 27e et 28e Conférences des RUP qui se sont respectivement tenues à Bruxelles et aux Canaries, il a unanimement été reconnu que cet article était sous-utilisé.
Encore aujourd'hui, à chaque directive européenne, nous devons nous battre afin d'obtenir des dérogations qui nous sont dues. Je pense par exemple à la situation de la Guyane, qui a dû défendre la biomasse afin de promouvoir son indépendance énergétique.
Je pense qu'il est temps de changer de mode de fonctionnement, d'arrêter de réclamer systématiquement des dérogations. Le « réflexe RUP » doit permettre de mettre en évidence les problématiques spécifiques des RUP dans différents domaines (énergie, transport, environnement) et d'obtenir automatiquement les dérogations naturelles auxquelles elles ont droit.
Il est une anecdote que j'évoque régulièrement : en 2012, je visitais une entreprise en Guyane qui produisait du poisson fumé. Les normes européennes l'empêchaient de fumer son poisson parce qu'elle devait importer du bois de hêtre, malgré la proximité de la forêt amazonienne. Il est donc clair que les normes sont inadaptées aux spécificités locales, et que les législations doivent évoluer.
Concernant la question des normes et à la dérogation au marquage CE pour les matériaux de construction, certains acteurs du secteur du BTP des Caraïbes restent perplexes. Le nouveau marquage est mal connu et entraîne de la méfiance. Des mesures d'adaptation doivent être imaginées pour améliorer la communication.
Enfin, le rôle de l'AFD est central au sein de nos territoires, et compatible avec l'ensemble des programmes Interreg et des fonds européens. Toutefois, dans la mesure où l'essentiel du tissu économique des Caraïbes est constitué de toutes petites entreprises, l'AFD ne peut fournir un accompagnement adéquat. Bien qu'elle remplisse dans l'ensemble sa mission avec dynamisme, ce point doit être amélioré.
Mme Micheline Jacques, président. - Avant de donner la parole à Madame Maxette Pirbakas, dans la mesure où nous sommes pris par le temps, je propose que nos collègues Vivette Lopez et Thani Mohamed Soilihi vous posent oralement leurs questions, auxquelles vous répondrez par écrits.
Mme Maxette Pirbakas. - Je veux dire tout d'abord à M. Stéphane Bijoux que je ne suis pas venue aujourd'hui pour faire campagne en vue des élections européennes. Alors que le tissu économique des Caraïbes est en effet majoritairement composé de toutes petites entreprises, il est regrettable que Bpifrance ne leur apporte pas son soutien.
Les agriculteurs des RUP ne vivent pas dignement de leur métier. L'augmentation du coût des intrants n'est pas soutenable, alors que les législations européennes et françaises sont drastiques. La loi Egalim 3 est en outre inadaptée aux réalités locales des RUP.
Les pêcheurs sont toujours victimes des problématiques de renouvellement de flotte. En Martinique, il n'y a plus que 464 pêcheurs contre 1 000 il y a quelques années.
Enfin, sans encadrement technique, les projets financés par le programme Interreg ne pourront pas être mis en oeuvre.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie nos invités pour leurs éclairages qui concernent l'ensemble des océans. Il est important pour nous de pouvoir entendre nos députés européens.
L'UE semble tellement loin pour les habitants des RUP, alors que les fonds européens leur sont si essentiels. Par ailleurs, une prise de conscience de la surface de la Polynésie, aussi vaste que celle de l'UE, devrait suffire à intégrer le « réflexe outre-mer ».
Ma question porte sur la simplification. Il semble anormal que l'on demande à vos territoires, en extrême difficulté, de consommer des fonds européens selon le même modèle que la métropole. Ne faudrait-il pas discriminer en fonction des territoires et des besoins ?
Enfin, il semble en effet difficile de parler d'intégration régionale alors qu'un territoire subit des discriminations. Je remercie à cet égard Mme Maxette Pirbakas pour ses propos. En effet, tous les pays de l'UE ont approuvé l'intégration de Mayotte au sein des RUP en 2012. Ce fait doit être rappelé lors de la consommation des fonds européens.
Mme Vivette Lopez. - Je souscris à votre propos concernant les normes européennes, qui ne sont pas adaptées à vos territoires. L'association des RUP à ces réflexions et aux décisions doit en effet être facilitée. Je partage également les propos de Monsieur Bijoux et je suis convaincu que les outre-mer joueront un rôle primordial dans l'avenir de la France, auquel la jeunesse doit impérativement être associée. Vous soutenez l'importance de l'innovation et de propositions nouvelles : avez-vous des idées ou des exemples à nous proposer ?
On entend également que l'avenir s'écrira avec l'océan. Les Ultramarins sont-ils attirés par la mer ? Existe-t-il des classes « enjeux maritimes », qui permettent de sensibiliser les jeunes aux diverses problématiques relatives à la mer ?
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons bien noté que les fonds alloués aux RUP sont en nette augmentation, bien qu'il existe des difficultés à les mobiliser d'un territoire à un autre. Pensez-vous que le modèle d'appel à projets soit le plus pertinent pour les RUP ?
Certaines difficultés quant à la mobilisation des fonds ont été évoquées : que pensez-vous d'une territorialisation des fonds, qui permettrait d'équilibrer les territoires, alors que le principe même de l'appel à projets équivaut à « premiers arrivés, premiers servis » ?
Je ne reviendrai pas sur la question de la flotte de pêche qui représente, je le sais, un sujet cher aux Ultramarins.
J'ai également été frappé, lors d'un récent déplacement à La Réunion, d'apprendre que les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), qui jouissent du statut de PTOM, ne pouvaient pas s'associer avec La Réunion sur un projet de lutte contre les espèces invasives. Une situation similaire se rencontre dans les Caraïbes au sujet des sargasses. Une meilleure articulation des relations entre RUP et PTOM doit donc être étudiée.
Nous vous transmettrons nos questions par e-mail. Je vous remercie infiniment pour votre clarté. Au-delà de nos questions, n'hésitez pas à nous faire remonter des éléments qui n'auraient pas été abordés ce jour.
Jeudi 7 mars 2024
Audition de Benoît
Lombrière, délégué général adjoint
d'Eurodom
Mme Micheline Jacques, président. - Sans plus attendre, nous allons désormais écouter Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom.
M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom. - Nous adopterons ici le point de vue des acteurs économiques, dont nous avons pour mission de porter la parole. Mes propos ne seront donc pas d'ordre institutionnel.
En ce qui nous concerne, la coopération régionale représente une politique publique promue, mais également relativement naturelle au regard de la situation de la plupart des territoires ultramarins. Le développement des États voisins s'effectue en règle générale autour d'un axe UE-RUP, voire France-RUP, alors que nous pourrions envisager que des échanges nourris se développent entre les RUP et les îles alentour.
Un certain nombre de précédents existent. La Réunion porte par exemple le projet d'association des îles Vanille avec Maurice et les Seychelles, grâce auquel les touristes peuvent découvrir les différentes facettes de ces trois régions très différentes, en achetant un billet combiné.
Pour le reste, la situation de la valeur ajoutée créée dans les RUP, à savoir la production de biens et de services, est plus contrastée. L'existence de ce flux quasi exclusif entre l'Hexagone et les RUP n'est sans doute pas l'effet du hasard. Deux causes principales ont été identifiées :
- les coûts de production dans les RUP rendent l'export des produits vers les territoires voisins prohibitifs, hormis quelques marchés de niche (énergie, sismologie par exemple) ;
- les normes européennes, que seules les RUP respectent au sein de leurs bassins régionaux. Si une telle situation est bénéfique pour les consommateurs, les travailleurs et l'environnement, elle avantage économiquement les États voisins.
À cela s'ajoute la conclusion d'accords asymétriques avec les États voisins. Les plus asymétriques d'entre eux sont dénommés négativistes et signifient que la RUP concernée ne peut pas exporter dans le territoire voisin, alors que la réciproque est vraie. De tels accords asymétriques existent partout, y compris dans l'océan Indien. Les taux de douanes que doit payer La Réunion sont notamment extrêmement et délibérément prohibitifs afin de favoriser le développement des États voisins.
Il existe un dernier obstacle, d'ordre pratique : le trop faible nombre de liaisons maritimes entre les RUP et les États voisins ainsi qu'entre les RUP, alors que les échanges et le commerce reposent sur la fluidité des moyens de communication.
Ma deuxième série de remarques concerne la difficile articulation de la politique européenne :
- entre son marché interne et son marché extérieur ;
- entre les accords de développement et les accords commerciaux.
Ces différents points de vue se contredisent régulièrement. L'exemple de la banane illustre parfaitement cette situation. On impose aux producteurs de bananes un cahier des charges strict pour leur permettre de labéliser leur production bio, alors qu'il n'est pas appliqué aux bananes bio importées sur le territoire européen en provenance de pays tiers, régis par le mécanisme équivalence. En effet, si un producteur agricole bio respecte le cahier des charges en vigueur dans son propre pays, son étiquetage sera valable au sein de l'UE. Ce procédé entraîne donc une importante distorsion de la concurrence. On octroie un avantage de marché à une production moins vertueuse.
Un second exemple permet d'illustrer les difficiles articulations entre les différents pans de la politique nationale ou européenne : la question du renouvellement des flottes de pêche.
Ce dossier traine depuis 7 ans et ne connaît aucune avancée significative, malgré l'urgence des besoins des pêcheurs. Ces derniers ne comprennent pas que la Commission européenne leur refuse des aides publiques au motif de la préservation de la ressource, alors que non seulement elle finance le renouvellement des flottes des pays tiers, mais qu'elle autorise également une vingtaine de thoniers senneurs à arpenter l'océan Indien sous pavillon européen, qui pêchent chacun 6 000 tonnes de poissons par an, alors que la totalité de la pêche réunionnaise atteint seulement les 4 000 tonnes. Les pêcheurs se retrouvent donc au coeur de la contradiction entre la politique interne et externe de l'UE, entre la politique d'aide au développement et la politique commerciale.
M. Teva Rohfritsch, rapporteur. - Nous avons en effet déjà abordé la question de la coopération et des programmes européens.
Nous serions intéressés d'avoir votre avis sur le sujet des programmes Interreg sous l'angle de leur pertinence, de leur efficacité, de leur efficience pour les entreprises, y compris dans la relation avec l'autorité de gestion. L'idée de notre rapport est de rédiger des propositions pour faire avancer les choses. Vu de l'entreprise, comment pourrions-nous améliorer la gestion de ces fonds et leur ciblage ? Pensez-vous qu'une approche différenciée, plus sectorielle, notamment en ce qui concerne le transport maritime et aérien, serait pertinente ? Qu'en est-il du rôle que jouent, ou que pourraient jouer, l'AFD, Bpifrance ainsi que la Banque des territoires dans cette approche de la coopération régionale, du point de vue des entreprises ?
Lors de nos précédentes auditions, nous avons évoqué les questions de cohérence, mais également de simplification de l'accès aux aides publiques. Nous serions intéressés par votre avis sur les marges de progrès et les attentes du monde des entreprises. Certaines semblent suspicieuses quant à l'évolution des normes et du marquage CE relative aux matériaux de construction.
Enfin, existe-t-il une diplomatie économique déployée par les entreprises, à l'image de ce qui existe dans le Pacifique ? Une représentation française du Pacifique Sud, à l'initiative du monde économique, permet de faire tomber les barrières et les frontières et de construire des parcours qui permettent de créer du développement, affranchi des contraintes qui pèsent sur les collectivités. De telles initiatives devraient-elles, selon vous, être encouragées ?
M. Benoît Lombrière. - Du point de vue du monde de l'entreprise, l'approche sectorielle semble naturelle. Elle a pour avantage d'aborder les sujets de la manière la plus concrète possible. Elle permet en outre de mobiliser des entreprises d'un secteur déterminé autour de projets concrets, d'embarquer ensemble acteurs publics et privés dans une même direction pour régler un problème bien précis. Le monde de l'entreprise accueillerait favorablement une telle démarche.
La simplification de l'accès aux aides publiques serait également bienvenue. On souffre en France d'une maladie qui pousse à multiplier les échelons, même lorsqu'il s'agit de réfléchir à la simplification. Une approche concrète, sectorielle, qui réunirait les spécialistes du secteur privé et des pouvoirs publics, y contribuerait, sans créer des organismes supplémentaires. Un tel changement de perspective rencontre les préoccupations du monde de l'entreprise et trouvera son écho dans plusieurs de mes réponses.
La question des normes et des marquages se situe au coeur du sujet : je ne pense sincèrement pas que l'assouplissement des normes de construction, accueilli très favorablement par le monde du BTP, qui n'a d'ailleurs pas intérêt à ce que les édifices s'écroulent, pose des problèmes. Il existe par ailleurs suffisamment de contrôles qui n'exonèrent pas les entreprises de leurs obligations en matière de sécurité.
Cette réaction de méfiance provient du fait que, pour le consommateur, les normes n'existent pas par hasard ou pour le plaisir d'embêter les producteurs. Supprimer une norme équivaut donc à supprimer, en quelque sorte, une garantie. Ce sujet est donc plus ambigu qu'il n'y paraît.
Notre posture consisterait plutôt à encourager la transformation de ces normes en éléments positifs. Si nous disposons de normes que les producteurs des pays tiers n'ont pas, c'est parce que nous offrons plus de garanties qu'eux. Ces garanties devraient toutefois se traduire par un avantage de marché. Le problème, c'est que ce raisonnement, relativement simple, qui implique de n'accepter aucun produit qui ne respecte pas les normes imposées à nos propres producteurs, vole en éclat dès lors que les gens qui négocient les règles intra-européennes ne sont pas les mêmes que ceux qui négocient les accords commerciaux ou les accords de développement.
Le fonctionnement de l'UE en tuyaux d'orgue, sans nul doute similaire au fonctionnement national, empêche le décloisonnement des problématiques. Si chacun des aspects relatifs au renouvellement des flottes de pêche évoqué précédemment peut paraître pertinent pris isolément, l'ensemble crée des situations contradictoires. Les accords qui concernent des sujets plus sensibles que, par exemple, le sucre de canne, tels que la viande et les céréales, rencontrent plus d'obstacles. On le voit avec l'accord Mercosur. Les outre-mer sont la variable d'ajustement.
Dans l'ensemble, l'UE bénéficie des accords commerciaux qu'elle signe. Nous ne croyons que peu aux clauses miroir, puisque l'UE ne peut envoyer des inspecteurs dans les pays tiers pour vérifier la conformité de la production aux déclarations. L'UE est d'ailleurs persuadée de l'incompatibilité de telles clauses avec le fonctionnement de l'OMC.
En conséquence, nous devons voir le monde tel qu'il est et imposer nos propres normes. L'UE pourrait promouvoir la bioconformité et non pas la bioéquivalence.
Si les accords sont bénéfiques pour l'UE, compensons donc les effets négatifs subis par les producteurs, qui font les frais de ce bien-être général. Des aides supplémentaires doivent être octroyées aux producteurs de bananes, de rhum, de sucre de canne, etc. D'autant que les droits de douane baissent tendanciellement. Ce principe de compensation doit être admis, sans qu'il soit nécessaire de plaider à chaque fois.
S'agissant de la banane, les derniers accords signés prévoient une baisse progressive des droits de douane jusqu'à 100 euros par tonne. 6,5 millions de tonnes de bananes sont consommées au sein de l'UE chaque année, dont 6 millions produites par des producteurs extracommunautaires, ce qui équivaut à un avantage commercial de 600 millions d'euros octroyé aux producteurs de bananes des pays tiers.
Il est donc difficile de respecter à la fois l'ensemble des normes, de rémunérer correctement la main-d'oeuvre, de soutenir des ambitions écologiques, alors que la concurrence se voit octroyer des avantages commerciaux considérables. Lorsque les producteurs se rendent à Bruxelles ou à Paris, ils sont considérés avec dédain.
En ce qui concerne la diplomatie des entreprises, ma réponse restera générale. Les entrepreneurs de La Réunion sont très actifs en la matière, et bénéficient par ailleurs des liens familiaux qui existent dans cette région, notamment à Madagascar et à Maurice. Des missions économiques sont régulièrement organisées.
De telles missions existent également en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie organisées souvent sous l'impulsion de l'État ou des collectivités. Elles produisent des résultats concrets. Par ailleurs, de nombreuses entreprises réunionnaises investissent ou tentent de le faire dans les pays alentour, avec plus ou moins de bonheur. Il s'agit d'une bonne manière de développer la coopération régionale. L'UE n'a-t-elle pas débuté en tant que traité de libre-échange encadrant le commerce de l'acier et du charbon ? Une fois que des relations d'affaires sont créées, le reste suit naturellement.
Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué les difficultés de circulation des marchandises entre La Réunion, Mayotte et les îles alentour. J'ai moi-même été assez surprise d'apprendre qu'un ananas Victoria produit à La Réunion devait transiter par Rungis puis Dubaï avant de revenir aux Seychelles. Avez-vous diligenté une étude de faisabilité relative à la mise en place d'une petite compagnie régionale qui pourrait justement effectuer de tels trajets ? Les tonnages sont-ils suffisants ? La quantité d'import-export est-elle suffisante pour faire vivre ce genre de structures ?
M. Benoît Lombrière. - Si une telle solution était fiable, elle existerait déjà. L'idée d'une compagnie régionale de cabotage a souvent été évoquée à La Réunion ou dans les Antilles pour les produits frais, issus de l'agriculture ou de la pêche. Cependant, pour qu'une telle solution soit viable, il faut que les transports soient réguliers et les trajets les plus directs possibles. Une compagnie de ce type ne pourrait donc fonctionner que pour des produits qui ne seraient pas frais, ce qui ne représente qu'une part mineure de la production des RUP.
La continuité territoriale inter-îles fonctionne cependant très bien en Polynésie française, notamment parce que le gouvernement polynésien subventionne de manière conséquente les liaisons aériennes et maritimes. Si de telles politiques sont mises en place au sein des RUP, nul doute que des acteurs privés suivront. En revanche, une telle entreprise ne sera jamais rentable.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour votre franchise. À tout le moins, nous sommes fixés sur ce sujet.
Vous avez évoqué les différentes difficultés auxquelles peuvent être confrontés les producteurs ultramarins, notamment en matière de coût de la main-d'oeuvre, très élevé par rapport aux îles avoisinantes, ainsi que les problématiques d'importation et les contraintes normatives, en prenant l'exemple de la banane.
M. Benoît Lombrière. - Le rhum connaît une situation similaire. Le droit européen reste le même, mais le traité international, supérieur au droit européen, prévoit les dérogations. Une fois qu'il a été négocié, la partie d'en face rechigne généralement à renoncer à ses acquis.
Les indications géographiques protégées (IGP) du rhum répondent également à des cahiers des charges exigeants, qui leur sont propres, qui les défavorisent.
Mme Micheline Jacques, président. - D'où l'importance de procéder à une veille accrue et régulière des différents accords, tel que le récent accord sur le sucre vietnamien. Quelles seraient selon vous les améliorations nécessaire pour éviter que ces situations se reproduisent ?
M. Benoît Lombrière. - Ce sujet est complexe. Le premier réflexe serait de classer « sensibles » les produits que l'on souhaite exclure des accords commerciaux. Tel était le cas autrefois du sucre et du rhum. Mais si le sucre, le rhum et la banane sont retirés du champ de négociation des accords commerciaux, les RUP n'ont plus grand-chose à offrir en contrepartie.
On constate toutefois certaines améliorations, du côté français, depuis une dizaine d'années : une veille accrue, la volonté de prendre en compte les particularités des territoires d'outre-mer au sens large, la demande et l'obtention d'exclusions ou de réductions de quotas.
Mon intime conviction et que les autorités françaises doivent trouver un accord avec l'UE. Dans la mesure où les accords commerciaux sont bénéfiques pour l'économie de l'Hexagone, en particulier pour son industrie, l'UE dans son ensemble en retire des bénéfices tangibles (monétaires). Dans ce cas-là, l'UE doit accepter que des compensations soient offertes à ceux qui font les frais de ce surplus de richesse généré par la conclusion d'un accord commercial. Plutôt que de renouveler sans fin des demandes de dérogation, Bruxelles et Paris doivent mettre en place un système de compensation automatique. Les autorités françaises semblent faire leur maximum, mais subissent l'inertie des accords commerciaux. Pour rappel, la plupart des producteurs agricoles d'outre-mer, jusque dans les années 1980, vivaient sans subventions publiques, et regrettent cette époque.
Au fur et à mesure que le temps a passé et que les protections ont été levées, les productions agricoles des outre-mer se sont trouvées en situation de dépendance économique vis-à-vis de l'État, sans l'avoir jamais souhaité. Il serait bénéfique pour chacun d'apaiser les tensions et de trouver un compromis national et européen.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie pour votre disponibilité et vos informations. Nous restons à votre disposition si vous avez des compléments à nous apporter par le biais d'une contribution écrite, dont nous sommes demandeurs.
M. Benoît Lombrière. - Madame la présidente, Monsieur le rapporteur, je vous remercie.
Mardi 19 mars 2024
Auditions sur la convention de
partenariat entre le Département de Mayotte et le ministère de
l'Europe et des Affaires Étrangères - Audition de Ben Issa
Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, accompagné de Mme Soihirat El Hadad, conseillère départementale déléguée à la coopération régionale.
Monsieur le Président, nous vous remercions particulièrement de vous prêter à cette audition. Elle a été organisée de manière impromptue, afin de réagir à l'actualité récente de Mayotte en lien direct avec notre étude sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer.
En effet, le 11 mars dernier, à l'occasion des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée, le conseil départemental de Mayotte a signé pour les trois prochaines années une convention inédite de partenariat avec le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l'Intérieur et des outre-mer. La signature a eu lieu en votre présence et celle des ministres Stéphane Séjourné et Dominique Faure.
Cette convention vise à créer un cadre formalisé pour associer étroitement Mayotte à la construction de la politique de coopération régionale. Cette politique est au coeur des défis immenses que Mayotte doit relever, notamment en matière d'immigration, de sécurité et de développement économique. C'est aussi et d'abord un enjeu de souveraineté et de pleine reconnaissance de l'appartenance de Mayotte à la France.
Nous souhaitons donc vous entendre sur cette convention. En quoi marque-t-elle une nouvelle étape ? Qu'en attendez-vous ? Nous souhaitons également vous entendre sur les principales orientations que vous souhaitez donner à la politique de coopération régionale au bénéfice de votre territoire.
Parmi nos principales interrogations figure celle des priorités que vous souhaitez dégager, notamment en matière de développement économique. Quels sont les partenaires régionaux les plus prometteurs ? Ces partenariats peuvent-ils constituer autant de leviers de lutte contre la vie chère ?
Enfin, comment cette convention peut-elle servir de modèle aux autres territoires, qui ont encore le sentiment d'être associés à la marge à la politique de coopération régionale, malgré les progrès réalisés ces dernières années ?
M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte. - Mayotte est située dans le canal du Mozambique, entre l'Afrique et Madagascar. Les échanges entre les territoires ont toujours existé, tant avec la côte Est de l'Afrique qu'avec Madagascar, mais aussi avec des territoires bien plus éloignés. Vous connaissez les difficultés liées à l'insularité, et vous savez qu'il est important que Mayotte puisse s'ouvrir dans sa zone géographique.
Nous connaissons des problèmes de souveraineté alimentaire. Mayotte souffre de l'étroitesse de son territoire et de problématiques d'eau. Ces difficultés nécessitent une ouverture sur notre environnement régional direct. Nous avons besoin, pour lutter contre la vie chère, de compter sur des productions provenant de la zone dans laquelle se trouve Mayotte. Mais nous avons également besoin d'accéder à des territoires où le foncier existe et où l'eau est disponible en abondance. À ce titre, nous avons initié certains projets avec Madagascar, par exemple sur l'alimentation du bétail, puisque nous ne disposons pas de l'espace et de l'eau suffisants à ce genre de production. Dès lors, nous allons travailler avec Madagascar afin de produire dans ce pays l'alimentation du bétail élevé à Mayotte.
S'ouvrir sur notre environnement immédiat dans la zone de l'océan Indien revêt un caractère de nécessité. Mais nous envisageons, à terme, d'aller beaucoup plus loin et d'atteindre des territoires tels que l'Inde ou Dubaï. Aujourd'hui, de nombreux Mahorais s'approvisionnent dans des zones encore plus éloignées, telles la Thaïlande et la Chine.
Outre cette ouverture vers l'extérieur, nous avons besoin d'une reconnaissance pleine et entière de l'appartenance et de l'attachement de Mayotte à la France. Mayotte est un département français. Par sa proximité avec les États du bassin Indien, qu'elle soit géographique, culturelle ou linguistique, elle entend jouer un rôle d'appui à la diplomatie conventionnelle française, et ainsi faciliter cette reconnaissance.
Certains États voisins croient encore que Mayotte est une colonie, et que la France s'impose à nous. Ils ne comprennent pas que l'attachement de Mayotte à la France est un choix de sa part.
M. Georges Patient, rapporteur. - Lors de notre déplacement dans l'océan Indien, nous n'avons malheureusement pas pu nous rendre à Mayotte. Mais nous avons été surpris par l'isolement dont souffre Mayotte par rapport à d'autres territoires. À Maurice, nous avons constaté que les relations avec Mayotte étaient minimes. Nos échanges ont également montré que les relations avec les Seychelles ou Madagascar n'étaient pas aussi fortes que celles que ces pays entretiennent avec La Réunion, par exemple.
Nous avons exprimé notre mécontentement quant au fait que Mayotte n'ait pu, jusqu'à présent, adhérer à la principale organisation intergouvernementale de la région, la Commission de l'océan Indien (COI). Mayotte n'a pas intégré cette commission en dépit de la présence de la France dans cette partie de l'océan Indien, de sa contribution financière à la Commission de l'océan Indien, dont elle finance le fonctionnement à hauteur de 40 %, de l'importance des fonds européens mobilisés, et de l'engagement de l'Agence française de développement (AFD). Mayotte ne bénéficie pas des fonds de la Commission de l'océan Indien, contrairement à La Réunion. Pensez-vous, monsieur le président, que la convention signée récemment permettra à Mayotte de trouver sa place au sein des différentes organisations de la région ?
M. Ben Issa Ousseni. - Cette convention recouvre un triple objectif : le renforcement de la place et de l'influence de Mayotte dans l'océan Indien, la reconnaissance internationale de Mayotte en tant que département français et région ultrapériphérique (RUP) de l'Union européenne, et enfin la formation de nos agents dans le but de les faire monter en compétences dans les missions diplomatiques.
Ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, Mayotte souffre d'un manque de reconnaissance. Les contacts avec l'État mauricien et sa diplomatie sont en effet restreints, sinon minimalistes. La convention a pour objectif de nous aider, dans le cadre de la diplomatie française, à nouer des liens régionaux.
Un intense lobbying comorien voudrait faire croire que Mayotte ne saurait être un département français et devrait être rattaché aux Comores. Ce lobbying nous met en difficulté, et nous avons pris du retard dans la reconnaissance de la véritable place de Mayotte. Notre stratégie de coopération concentre ses efforts sur cette reconnaissance pleine et entière de Mayotte comme département français, et sur son influence dans la région et vis-à-vis des pays proches, par exemple le Kenya.
Je rappelle que Mayotte est française depuis 1841. Elle a acquis le statut de département en 2011 et celui de RUP en 2014. Pourtant, certaines régions et certains pays n'ont pas connaissance de ces éléments. Ceci explique les difficultés que nous rencontrons pour faire signer des conventions dans le cadre de la coopération européenne (Interreg). Nous sommes parvenus à signer des accords avec Madagascar, les Comores et le Mozambique, mais pas avec la Tanzanie et les Seychelles. Nous menons un travail de rapprochement avec ces deux pays. Force est de constater qu'il n'existe quasiment aucun lien avec les Seychelles. En revanche, le travail mené depuis deux ans avec la Tanzanie commence à porter ses fruits. Nous espérons que de la convention facilitera le dialogue avec le Gouvernement tanzanien. Elle nous permet déjà d'être reçus par celui-ci. Cependant, la diplomatie française doit nous accompagner, puisque la parole de la diplomatie conventionnelle et la nôtre n'ont pas le même poids.
M. Georges Patient, rapporteur. - Cette convention a été signée pour une durée de trois ans. Avez-vous reçu l'assurance que la France fera en sorte que Mayotte intègre la Commission de l'océan Indien à l'issue de cette période ?
M. Ben Issa Ousseni. - Cela fait partie du combat que nous menons pour la défense des intérêts du territoire mahorais. Nous nous battons pour intégrer pleinement la Commission de l'océan Indien, au sein de laquelle notre parole, en effet, n'est pas portée. Nous n'avons pas obtenu l'assurance de l'intégrer à l'issue de ces trois prochaines années, mais nous espérons que cette convention, ainsi que d'autres conventions régionales à venir, nous permettront d'y parvenir. Je rappelle que la convention prévoit une possibilité de reconduction à l'issue de trois ans, mais qui n'est pas automatique.
Vous savez les difficultés que la délégation mahoraise rencontre pendant les Jeux des îles de l'océan Indien : nous n'avons ni drapeau, ni hymne national. Nous souhaitons travailler dans la perspective des Jeux des îles en 2027, afin que Mayotte puisse y participer dans les meilleures conditions. Ces Jeux seront organisés aux Comores, qui tentent d'empêcher la participation de Mayotte avec le drapeau et l'hymne national. Nous devons par conséquent aboutir sur ce point. En outre, nous envisageons d'organiser les Jeux des îles en 2036 et nous devons travailler au sein de la Commission de l'océan Indien afin d'être en mesure de réussir l'organisation de cet événement.
M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Le département de Mayotte a signé le 11 mars une convention de partenariat avec le ministère des Affaires étrangères, en marge des Assises de la diplomatie parlementaire et de la coopération décentralisée. L'objectif de cette convention est de permettre à Mayotte d'être engagée avec le Quai d'Orsay dans les opérations diplomatiques menées dans la région, notamment à Madagascar, à Maurice et au Mozambique. À terme, Mayotte devrait être représentée dans une dizaine de territoires, parmi lesquels les Seychelles, le Kenya et les Comores, même si beaucoup de subtilités sont à prendre en considération. En vous écoutant, Monsieur le Président, je comprends que votre ambition ne se limite pas à ces seuls territoires, et je tiens à vous en féliciter. Je salue la signature de cette convention qui doit permettre à Mayotte de mieux se faire connaître des causes africaines, afin de développer les échanges culturels et économiques.
Ces mesures sont déterminantes pour votre département, qui est le département le plus pauvre de France, mais le plus jeune aussi. Son économie a récemment subi un nouveau choc avec les barrages qui l'ont paralysée durant plus d'un mois, affectant de nombreuses entreprises de votre territoire. Face aux violences et à la sécheresse qui a contraint de nombreux Mahorais à vivre sans eau courante jusqu'à deux jours sur trois, les entreprises et les administrations expriment leurs difficultés à recruter et à fidéliser des employés partis en nombre ces derniers mois.
Ces problèmes internes, extrêmement pesants pour les élus du département, n'occultent pas vos ambitions extérieures. À ce titre, quelles seront les prochaines étapes permettant d'établir des liens de coopération économique avec les pays voisins de Mayotte ?
M. Ben Issa Ousseni. - La convention que nous avons signée est une convention-cadre. Nous espérons, d'ici quelques mois, signer d'autres conventions, notamment avec les ambassades des pays de la région. En effet, nous avons pour objectif d'installer, dès le mois de mai prochain, les premiers représentants du département de Mayotte dans les pays voisins, en premier lieu Madagascar, le Mozambique et Maurice. Les échanges avec les ambassades ont déjà été engagés et une première convention a été signée entre Mayotte et l'ambassade de Madagascar. Nous avons préparé des rencontres et choisi les trois agents qui représenteront Mayotte. Ceci constitue une première étape.
L'étape suivante consiste à travailler avec d'autres territoires que j'ai déjà mentionnés, notamment le Kenya, qui est aujourd'hui un pays qui monte en puissance dans la zone, le Mozambique et, à terme, Djibouti et d'autres territoires plus éloignés.
Notre territoire, vous l'avez souligné monsieur le rapporteur, souffre d'un manque d'attractivité. Ainsi notre hôpital éprouve de plus en plus de difficultés à faire venir des médecins en provenance de la France hexagonale. Dès lors, nous souhaitons que ces échanges régionaux nous permettent d'attirer des infirmières, des sage-femmes ou des médecins de la zone. Dans cette perspective, je crois que nous pouvons nous ouvrir notamment vis-à-vis de l'Inde. J'ai reçu récemment la visite des représentants du Consulat général de l'Inde à La Réunion, qui m'ont fait part de leur disposition à envoyer, si toutes les conditions sont réunies, des agents hospitaliers à Mayotte.
Des échanges économiques existent entre Mayotte et certains territoires proches. Ainsi, des importations ont lieu depuis Madagascar et, réciproquement, des entreprises mahoraises commencent à s'y installer, notamment dans le secteur de l'hôtellerie, mais aussi dans l'informatique et le numérique. Nous accompagnons nos entreprises dans certains forums économiques, en Tanzanie, au Mozambique, à Madagascar et même, récemment, à Maurice, répondant à leur souhait de participer à des échanges économiques. Les chefs d'entreprise nous disent qu'ils recrutent du personnel dans les territoires voisins. Installer nos représentants dans les ambassades nous permettra d'accompagner plus efficacement nos entreprises dans les territoires concernés, parallèlement à des échanges culturels qui, eux, sont bien identifiés.
M. Thani Mohamed Soilihi. - La signature de la convention est une excellente nouvelle pour Mayotte, au moins à deux titres. D'abord, sur le plan symbolique, cette convention fournit un cadre de travail. Autrefois, les accords, les programmes, les conventions se faisaient dans le dos de Mayotte. Je rappelle la polémique qui a éclaté lorsque les Mahorais ont découvert qu'une feuille de route, évoquant notamment ses relations avec les Comores, allait être signée à leur insu. La signature de la convention du 11 mars tranche avec ces manières de procéder, en définissant ouvertement un cadre de travail certes insuffisant, mais précis. Je voulais commencer par souligner cet aspect.
Ensuite, cette convention accélère la sortie de l'isolement de Mayotte. Les Mahorais sont exaspérés qu'on veuille leur imposer un destin comorien. La moitié des villages de Mayotte sont malgachophones. On y parle le shibushi, ce qui n'est le cas dans aucun village des Comores. L'autre langue principale de Mayotte, le shimaoré, est apparenté au swahili, tel qu'il est parlé au Mozambique, en Tanzanie ou au Kenya. Il faut cesser d'orienter Mayotte vers un destin comorien dont les Mahorais ne veulent pas, ainsi qu'ils l'ont exprimé à plusieurs reprises.
À cet égard, la convention représente une prise de conscience par le ministère des affaires étrangères. Je m'en réjouis, et j'espère qu'elle ne se limitera pas à la France, mais qu'elle sera partagée par les autres pays de la Commission de l'océan Indien, et par cette cousine de Mayotte qu'est La Réunion. La France ne peut pas financer une instance internationale telle que la Commission de l'océan Indien et tolérer dans le même temps que Mayotte en soit exclue.
Le président des Comores vient de féliciter Vladimir Poutine pour sa brillante réélection. Ce geste est certes anecdotique, mais il est aussi représentatif de sa personnalité. La France devrait en tirer les conclusions qui s'imposent et ne pas continuer à traiter avec un dictateur, puisqu'il convient de rappeler que le président comorien Azali Assoumani est parvenu au pouvoir à la faveur d'un putsch. Il existe, autour de Mayotte, suffisamment de pays avec lesquels nous entretenons des liens privilégiés, et avec lesquels nous souhaitons nouer des rapports sains, pour se passer des Comores. Les Comoriens, d'ailleurs, se rendent peut-être compte qu'ils n'ont pas d'autre choix, s'ils veulent améliorer leur situation, que de coopérer avec nous.
Je conclurai en disant que, si la signature de la convention représente une étape très importante, elle ne suffira pas si des moyens, et d'abord des moyens de persuasion, ne sont pas mobilisés par la France pour accompagner les efforts mahorais. La France, qui témoigne par cette convention de la confiance qu'elle place dans les Mahorais et leurs élus locaux, doit user de tout son poids diplomatique pour que les pays amis de la France, ainsi que le département voisin de La Réunion, acceptent enfin que Mayotte joue un rôle à égalité avec les autres territoires. Nos jeunes, à Mayotte, ne demandent qu'à entendre la Marseillaise lorsqu'ils remportent des compétitions sportives. Nous ne demandons pas l'impossible. J'espère que nous sommes à un tournant et que désormais les choses iront en s'améliorant à Mayotte.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vous remercie, cher collègue, pour votre intervention. J'entends l'émotion que vous transmettez. Nous la partageons ici, au Sénat, qui est l'assemblée des collectivités. Il est tout de même surprenant que des Français ne puissent pas brandir le drapeau national et entonner fièrement leur hymne national.
Mme Viviane Artigalas. - Je souscris pleinement aux propos de notre collègue Thani Mohamed Soilihi. Il faut rappeler que les Comores, tant d'un point de vue historique que géographique, n'ont jamais été un État. Les Comores sont un archipel d'îles souvent très diverses. Dès lors, la revendication de souveraineté sur Mayotte par les Comores n'est pas motivée, et la France a eu raison d'affirmer qu'il revenait à chaque île de décider de son destin.
Je rejoins également ce qui a été dit à propos de la jeunesse et des sports. La délégation sénatoriale aux outre-mer a produit un travail sur les jeunes et le sport en 2018. À l'occasion d'un séjour à Mayotte, j'ai pu constater moi-même, lors de compétitions organisées par l'Union nationale du sport scolaire, la frustration des jeunes Mahorais empêchés de défendre les couleurs de leur pays. Il s'agit d'un sujet d'autant plus important que Mayotte, comme d'autres territoires ultramarins, contient un vivier de talents sportifs à valoriser, et qui apporterait des médailles à la France.
La reconnaissance internationale de Mayotte comme département français est une clé de voûte à de multiples égards, et il convient de fournir un effort de communication en ce sens. J'observe que l'article 5 de la convention signée le 11 mars aborde la question de la communication. Cependant, il me semble que le texte s'arrête au stade des intentions. Par exemple, il indique que les ambassades de la région participeront à des actions de communication lorsqu'elles le jugeront pertinent, ce qui est une manière de faire prévaloir les décisions des autres sur les initiatives mahoraises. Monsieur le président, qu'en pensez-vous ? Est-il nécessaire d'aller plus loin dans ce domaine, afin que ces actions de communication et de médiatisation permettent enfin que Mayotte soit reconnue par toutes les instances comme un département français ?
M. Ben Issa Ousseni. - Cette convention était nécessaire dans un premier temps parce que, comme je l'ai indiqué, nous avions besoin d'un cadre de travail. Je précise que je ne suis pas un autonomiste. Mayotte s'inscrit dans la logique de l'article 73 de la Constitution relatif aux départements et régions d'outre-mer, et nous ne comptons pas en sortir. Cependant, je suis convaincu que les territoires ultramarins, au vu de leur positionnement régional, ont beaucoup à apporter sur le plan diplomatique. Ainsi je suis convaincu que le sénateur Thani Mohamed Soilihi a des contacts directs avec des ministres malgaches et qu'il peut échanger avec eux très facilement. Nous avons effectivement à mener un travail de communication sur la reconnaissance de Mayotte à l'échelle internationale, et nous comptons sur le Quai d'Orsay pour nous ouvrir les portes de différentes instances, notamment l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ou l'ONU, afin d'expliquer et défendre le point de vue mahorais.
Comme vous l'avez rappelé, madame la sénatrice, il n'y a jamais eu un État comorien. Mayotte est française depuis 1841, parce que le sultan Andriantsoly, se sentant menacé par l'esprit de conquête et de domination des royaumes voisins, l'a cédée à la France afin de sécuriser son territoire. Mayotte était française quand chaque île de l'archipel était complètement autonome et indépendante. Les autres territoires ont rejoint la France beaucoup plus tard, avant de faire le choix de la quitter. Mayotte quant à elle a choisi de continuer son parcours français, et nous devons, en partenariat avec l'État, communiquer sur ce choix, sur la promotion de la convention et sur la reconnaissance de Mayotte à l'international. Notre objectif est d'être associé à la diplomatie française pour porter la parole de Mayotte.
Mme Agnès Canayer. - J'avoue humblement ne pas être une fine connaisseuse des problématiques de Mayotte. Aussi, je me pose une question relative aux enjeux de cette convention, dont je comprends bien qu'elle représente pour Mayotte l'occasion d'obtenir les moyens d'agir dans le cadre de la coopération décentralisée, notamment dans les relations avec les États en proximité. Outre les enjeux agricoles, que prévoit cette convention en matière de coopération policière, judiciaire et militaire ? Êtes-vous associés sur ces sujets ?
M. Ben Issa Ousseni. - Nos échanges, à l'heure actuelle, ne portent pas sur la question de l'immigration. Mais nous espérons pouvoir aborder les sujets de cet ordre avec l'État et lui faire savoir notre point de vue, peut-être à la faveur de futures conventions. Nous avons demandé à ce titre la mise en place d'échanges. Vous connaissez la situation que nous vivons en matière d'immigration et nous établissons une corrélation entre l'immigration et l'insécurité. Dès lors, nous devons être intégrés dans la boucle sur ces questions, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Pour compléter les propos du président, j'ajouterai que le temps où les décisions se prenaient sans les Mahorais et sans leurs représentants doit être révolu. La question de notre collègue Agnès Canayer me semble très pertinente. Nous ne souhaitons pas que la coopération s'arrête aux domaines que nous avons évoqués. La question de l'immigration relève du domaine régalien de l'État, et nous ne cherchons pas à empiéter sur lui. Mais trop souvent nous avons subi par le passé des décisions prises sans associer les élus mahorais ou en faisant semblant de les écouter. Aujourd'hui, les élus locaux de Mayotte sont de plus en plus dynamiques et volontaires. Ils souhaitent assumer leurs responsabilités, et il est temps de leur faire confiance. Il est temps aussi de changer les mentalités, de ne plus soupçonner un élu de séparatisme dès lors qu'il parle de coopération, et de cesser l'opposition entre ceux que l'on appelait dans les années 1970 les « serrez-la-main », c'est-à-dire les indépendantistes, et les « sorodas », partisans d'une Mayotte française. Je pense que la situation actuelle est suffisamment transparente, puisque tout ce qui se dit et se fait est exposé en place publique, pour dépasser ces vieilles rivalités.
M. Stéphane Demilly, rapporteur. - Monsieur le président, j'aimerais savoir si vous avez l'intention de réviser le cadre stratégique de coopération décentralisée et d'action internationale du conseil départemental de Mayotte, signé par votre prédécesseur et que vous avez adopté en 2018.
M. Ben Issa Ousseni. - Ce texte ne sera pas fondamentalement modifié. Cependant, en matière de stratégie, les documents doivent rester vivants, et nous allons faire évoluer celui-ci afin de l'adapter aux réalités contemporaines. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous souhaitons élargir notre périmètre d'action et nous ouvrir à d'autres pays comme l'Inde, la Chine, la Malaisie, voire Singapour et la Thaïlande. Dès lors, nous souhaitons inscrire cette ouverture dans ce texte, où ne sont à ce jour mentionnés que huit ou neuf États, essentiellement des voisins proches et Djibouti. Cette évolution entend répondre à la réalité des échanges commerciaux et culturels, qui s'étendent déjà jusqu'au Sénégal ou à Dubaï.
Mme Soihirat El Hadad, conseillère départementale déléguée à la coopération régionale. - J'aimerais insister sur le caractère symbolique de la convention signée le 11 mars. Elle marque notre volonté de travailler avec l'État sur toutes les questions relatives à la promotion et à l'intégration de Mayotte dans sa région. Il est important de le marteler. Cette convention se double de la création d'un Comité d'insertion régionale de Mayotte, qui sera un espace d'échanges et de dialogue nous permettant d'aborder tous les sujets relatifs à la coopération et au développement du territoire dans sa région. La convention prévoit en outre un volet consacré à la formation de nos cadres et de nos futurs cadres sur les questions diplomatiques et protocolaires. L'objectif consiste en une montée en compétence du territoire dans ce domaine.
Par ailleurs, la convention précise les modalités d'une association du département de Mayotte à la politique étrangère de la France dans la région, ce qui répond parfaitement à la mesure n° 54 du Comité interministériel des outre-mer du 18 juillet 2023. Il convient de souligner que cette convention représente une étape inédite pour Mayotte et pour sa reconnaissance internationale.
Mme Micheline Jacques, président. - Vous avez évoqué dans votre propos liminaire, monsieur le président, le manque de foncier et le déficit en eau, qui représentent des freins à vos objectifs de souveraineté alimentaire. Vous avez aussi évoqué les relations tissées avec Madagascar en matière de développement agricole. J'aimerais savoir quel modèle agricole vous envisagez de développer. Est-ce une agriculture intensive ? Ou bien une agriculture de petites fermes ? Comment la coopération agricole sera-t-elle organisée ?
Le magazine Forbes a publié un article sur l'homme d'affaires Mohamed Dewji, première fortune de Tanzanie, qui ambitionne de faire de son pays une puissance dominante dans le secteur agroalimentaire, en développant une agriculture intensive. Selon vous, que représente cette perspective pour Mayotte ? Est-ce une opportunité ? Est-ce une source d'inquiétude pour le développement des agriculteurs mahorais en Tanzanie ?
M. Ben Issa Ousseni. - Nous ne sommes pas en capacité de développer sur le territoire de Mayotte ce que vous appelez une agriculture intensive sur de grandes superficies. Notre activité agricole se déroule sur de petites exploitations à taille humaine, et c'est ce que nous nous efforçons de développer. Cependant, force est de constater qu'en matière alimentaire, nous manquons de tout. À Mayotte, le prix d'un kilo de tomates peut atteindre 12 à 15 euros. Le prix d'un kilo d'oignons est monté jusqu'à 15 euros récemment, alors qu'habituellement il se négocie autour de 3 euros.
La Chambre de Commerce et d'industrie de Mayotte coopère déjà avec les territoires proches, notamment la Tanzanie. Récemment, notre chambre d'agriculture a signé une convention avec la chambre d'agriculture tanzanienne, afin que nous puissions produire en Tanzanie ce dont nous avons besoin à Mayotte. Autrement dit, nos structures prennent le devant et, bien entendu, nous espérons développer de préférence une agriculture la plus saine possible, et respectant les normes environnementales.
Aujourd'hui, des Mahorais produisent à Madagascar, d'où nous importons beaucoup de produits, notamment des oignons, du taro et des tomates. Notre souhait d'ouverture et de coopération élargie vers le Kenya répond également à cette nécessité d'approvisionnement, puisque le Kenya est performant en matière de production agricole, et dispose d'un grand port tourné vers Mayotte, avec laquelle des liaisons maritimes sont établies. Certains porteurs de projets mahorais travaillent sur la question du transport maritime dans la perspective de faire circuler les productions dans la zone et de permettre à Mayotte de s'approvisionner en produits frais.
L'agriculture mahoraise restera une agriculture de petite taille, plutôt respectueuse de l'environnement. Bien développée, elle ne pourra satisfaire, dans le meilleur des cas, que 40 à 50 % de la demande locale. L'autre moitié, nous devrons l'importer des autres États de la région.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous apprenons avec plaisir que vous avez déjà développé un certain nombre de relations régionales. Dès lors, cette convention scelle votre volonté de vous ouvrir sur les territoires proches de Mayotte, mais aussi plus lointains puisque vous avez parlé de l'Inde, de la Chine ou encore de la Thaïlande. Elle constitue donc une très belle opportunité pour Mayotte, et nous espérons que ces échanges propèrent à la faveur d'autres conventions, dans d'autres domaines.
Nous pouvons espérer également, pour reprendre le thème évoqué par notre collègue Agnès Canayer, que se développe la coopération en matière de sécurité. Le canal du Mozambique est une région stratégique où Mayotte occupe une place importante pour la France. Il convient d'exploiter au mieux toutes les opportunités qu'offre Mayotte.
Je vous remercie, monsieur le président, de nous avoir apporté ces éclairages, et je vous assure que la délégation sénatoriale aux outre-mer restera très attentive quant à la situation de Mayotte, à ses démarches de coopération, à son insertion régionale, ainsi qu'au rayonnement de la France dans le canal du Mozambique.
M. Ben Issa Ousseni. - Je vous remercie également, et je signale que Mayotte accueillera, le 18 avril prochain, la Conférence des ambassadeurs. Cette réunion permettra d'échanger avec l'ensemble des ambassadeurs de la zone sur le déploiement de la convention.
Mme Micheline Jacques, président. - La délégation sénatoriale aux outre-mer ne pourra se rendre à cette conférence, puisqu'à cette date elle se déplacera dans les Antilles, dans le cadre d'une mission sur les modes d'action de l'État dans les outre-mer. Toutefois, nous envisageons un déplacement à Mayotte à la fin du mois de mai. Cette mission aura deux volets. D'une part, il s'agira d'aborder le rôle de l'État au sein des collectivités et l'adaptation des compétences régaliennes de l'État sur les territoires. D'autre part, nous évoquerons la coopération régionale dans le bassin Indien.
Mardi 2 avril 2024
Audition de Johann Remaud,
directeur outre-mer, Business France
Mme Micheline Jacques, président. - Chers collègues, nous auditionnons cet après-midi M. Johann Remaud, directeur outre-mer de Business France, dans le cadre de nos auditions pour le rapport d'information sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer. Il est accompagné de M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations avec les parlementaires et les parties prenantes.
Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour apporter des réponses à nos interrogations sur le rôle de votre établissement public, qui est chargé du développement international des entreprises françaises, des investissements internationaux en France et de la promotion économique de la France, vis-à-vis des entreprises ultramarines.
Quel diagnostic portez-vous sur l'insertion régionale des économies ultramarines ? Quels sont les freins que vous identifiez : compétitivité, financement, normes, savoir-faire, langue... ? Comment ces stratégies sont-elles définies ? Quels sont vos partenaires ?
Fin 2023, vous avez renouvelé une convention avec le ministère de l'intérieur et des outre-mer afin d'encourager les initiatives des entreprises ultramarines dans leurs activités à l'export et d'inciter les investisseurs étrangers à venir s'implanter dans les outre-mer.
Cette promotion a bénéficié d'un soutien financier renforcé, avec en particulier la prise en charge de 50 % à 70 % du coût des solutions de préparation et de projection individuelles et collectives proposées par Business France et ses partenaires de la Team France Export (Régions, Bpifrance, CCI France).
La convention qui couvre tous les territoires ultramarins vise également à développer leur attractivité, à travers différentes actions menées avec les collectivités territoriales concernées comme : la prospection, l'accueil, l'accompagnement et le suivi d'entreprises étrangères susceptibles de développer de nouvelles activités créatrices d'emplois, la promotion de l'attractivité économique du territoire national et régional, ou encore la participation à des actions de prospection et d'accompagnement d'investisseurs.
Quel premier bilan tirez-vous de cette convention ?
Voici quelques problématiques sur lesquelles nous souhaitions vous entendre.
Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents développer tous ces sujets et ils vous interrogeront après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.
M. Johann Remaud, directeur outre-mer, Business France. - Dans votre propos liminaire, vous avez cité la Team France Export et la Team France Invest, qui ont été créées à la suite d'une réforme mise en place il y a cinq ans, et qui consistent en une grande alliance avec nos principaux partenaires dans chaque région. Business France travaille main dans la main avec deux opérateurs publics de terrain : d'une part, les Chambres de commerce et d'industrie (CCI) dans leurs directions internationales en région, y compris dans les collectivités du Pacifique depuis février dernier et, d'autre part, Bpifrance sur le volet des financements, le tout sous couvert des collectivités régionales et de l'État dans chacune des régions.
Cette alliance nous a vraiment permis, sur le volet export dans un premier temps, de renforcer notre présence sur l'ensemble des territoires. En tant qu'opérateur public, Business France n'a qu'un seul équivalent temps plein (ETP) présent sur les territoires, se situant de manière historique à La Réunion. Nous avons décidé de maintenir ce collaborateur, qui était financé depuis plusieurs années par la région, au regard de la volumétrie d'actions que nous avions sur ce territoire. Sur les autres territoires, nous pouvons compter sur un total de neuf conseillers répartis dans le Pacifique, les Antilles et l'océan Indien, sur lesquels nous nous appuyons en collaboration avec les chambres consulaires. Cette alliance est importante car elle porte non seulement sur des objectifs communs, mais également sur le partage d'outils et d'un réseau commun. Cette évolution positive nous permet aujourd'hui de proposer une très large palette d'outils pour les entreprises, allant de la préparation jusqu'à la projection.
Nous accompagnons dans cette dimension internationale 150 entreprises par an sur l'ensemble des territoires, dans une progression constante depuis la mise en place de la Team France Export. Nous sommes appuyés en cela par la volonté de nos partenaires locaux et également par l'envie des entreprises locales de se projeter à l'extérieur. L'ensemble de ces démarches est soutenu par le ministère chargé des outre-mer qui apporte des soutiens financiers de 50 % à 75 % sur l'ensemble des prestations que nous proposons aux entreprises.
Concernant la dimension attractivité, nous travaillons avec les agences régionales de développement et les conseils régionaux, et dans un accompagnement direct en fonction de leurs besoins. Cet accompagnement passe notamment par de l'appui à la rédaction d'argumentaires territoriaux et par de la communication internationale. C'est ce que nous avons fait récemment avec Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe (avec la rédaction d'un guide Invest), de même qu'avec la Guyane. Concernant ce dernier territoire, nous avons rédigé en début d'année deux argumentaires territoriaux, l'un portant sur les bioressources - qui sera dévoilé à l'occasion de Viva Tech en mai prochain - et l'autre concernant davantage l'aspect « tech » au sens large, notamment spatial.
En quelques chiffres, il faut savoir que, depuis 2014, nous avons recensé 20 investissements étrangers représentant un total de 346 emplois sur l'ensemble des régions. On notera cependant que depuis 2017, nous avons recensé 38 projets supplémentaires qui restent actifs, dont quatre ont été gagnés, deux viennent d'Italie, un des Pays-Bas et le dernier du Canada. Ces projets concernent les technologies du numérique ou le BTP, essentiellement pour de l'implantation, du développement d'implantation existante ou des investissements financiers.
Sur la thématique plus précise de la coopération régionale, les chiffres précités de 250 entreprises accompagnées à l'export concernent le monde entier. La demande des entreprises accompagnées porte plus spécifiquement sur le grand export. Comme vous le savez, il existe des freins importants depuis les bassins à l'exportation, de sorte que plus de 80 % des entreprises accompagnées sont des entreprises de services. Les seuls produits exportés de nos territoires sont essentiellement des produits traditionnels de type rhum, et quelques produits agroalimentaires. Le reste des entreprises que nous accompagnons et qui sont en croissance depuis plusieurs années, évoluent dans tous les domaines des services (bâtiment, start-ups dans le domaine du numérique, développement durable etc...), avec parfois quelques spécialisations pour certains territoires.
M. Stéphane Demilly, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Je souhaite revenir sur la convention signée il y a cinq mois entre le ministère de l'Intérieur et des outre-mer et Business France. Pouvons-nous déjà en tirer un premier bilan ? Quels sont les changements pour vous ?
Vous dénombriez par ailleurs un total de neuf conseillers, dont un seul à La Réunion. Par conséquent, avez-vous compensé la faiblesse de cet effectif par des partenariats ? Dans l'affirmative, quels sont-ils ?
M. Johann Remaud. - La convention signée avec le ministère de l'Intérieur et des outre-mer est historique. En effet, si nous sommes liés depuis quinze ans avec ce ministère, cette année une enveloppe un peu plus importante a été octroyée à Business France en tant que répartiteur de l'aide. En d'autres termes, la quasi-totalité de l'enveloppe est destinée aux aides directes aux entreprises ou permet de financer des actions sur mesure spécifiques à ces entreprises.
Parmi nos accompagnements, nous travaillons très régulièrement de façon individuelle avec les entreprises. Ainsi, si une entreprise de Guyane souhaite aller au Brésil, nous sommes en mesure de l'accompagner pour identifier des partenaires au Brésil. De ce fait, notre accompagnement sera comparable à celui d'un cabinet conseil individuel. Cette prestation sera prise en charge à 75 % de son coût réel, directement appliquée sur le bon de commande. Ces aides sont, bien entendu, limitées aux TPE et PME.
La convention nous permettra aussi de mettre en place des actions sur-mesure, à l'instar d'opérations de coaching et de sensibilisation dédiées à un univers spécifique. Nous sommes intervenus de cette manière à plusieurs reprises dans l'univers des techs pour sensibiliser une cohorte d'entreprises aux techniques de vente américaines pour les start-ups.
L'an dernier, au-delà du volet coaching, nous avons accompagné des entreprises des Antilles, de Guyane et de La Réunion lors d'une mission sur le salon Montréal Connect.
Nous organisons aussi de plus en plus, à titre exceptionnel puisque cela ne relève pas de l'activité habituelle de Business France, des pavillons outre-mer sur des grands salons internationaux ayant lieu dans l'Hexagone. Ainsi sur Viva Tech, nous aurons un espace d'une cinquantaine de mètres carrés avec, sur les quatre jours, une quarantaine d'entreprises des outre-mer exposant leurs produits et ayant la possibilité de rencontrer des opérateurs étrangers. De même dans un secteur plus traditionnel, nous étions présents au premier Mondial du Rhum organisé à Paris, tout comme nous le serons en janvier prochain à Sirha Lyon. Nous serons enfin présents au Cosmetic-360 en octobre prochain, pour réunir les entreprises innovantes de la filière cosmétique sur l'ensemble des outre-mer.
L'an dernier, l'enveloppe s'élevait à 900 000 euros, que nous avons totalement utilisée en prestations directes et opérations sur-mesure au bénéfice des entreprises. Je précise que cette enveloppe permet aussi de financer le dispositif du Volontariat international en entreprise (VIE). Au titre de ce dispositif, la convention prend en charge 50 % de l'indemnité versée par les entreprises. À ce jour, vingt-cinq entreprises ultramarines différentes utilisent des VIE.
Nous travaillons aussi avec le ministère des outre-mer sur l'incitation aux jeunes originaires des outre-mer à se positionner comme VIE. De ce fait, nous organisons des manifestations auprès des étudiants originaires de l'ensemble des trois bassins pour leur faire connaître le dispositif du VIE et leur communiquer des exemples d'autres jeunes qui en ont bénéficié. Nous avons donc identifié une cinquantaine de témoins potentiels, ex-VIE originaires des trois bassins, qui « portent la bonne parole » et permettent aux jeunes de relever ce défi du VIE. Il s'agit donc d'un superbe outil, tant pour les jeunes que pour les entreprises, pour se positionner à l'international.
Concernant le volet export de la convention, sont prises en charge les prestations directes, les prestations sur-mesure et le financement du VIE.
Enfin sur le volet attractivité, nous venons en soutien aux agences régionales de développement en leur proposant des prestations d'accompagnement de type argumentaire, communication, atelier attractivité. Nous disposons d'une palette d'outils susceptibles d'être mis à leur disposition sur demande.
S'agissant des partenariats, nous avons bâti à travers la Team France Export et la Team France Invest un réseau de partenaires. Dans le domaine de l'export, les partenaires au quotidien sont les Chambres de commerce, et plus spécifiquement leurs services internationaux sur les territoires, qui ont positionné des conseillers internationaux. Ces derniers font véritablement partie de notre équipe, en ce sens que s'ils ont un besoin de mettre en relation l'entreprise qu'ils accompagnent au quotidien avec le bureau Business France à l'autre bout du monde ou de lui proposer un accompagnement sur mesure, ils sont connectés en direct à l'ensemble des collaborateurs de Business France.
M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations parlementaires et les parties prenantes, Business France. - À cet égard, il n'existe pas de différence avec le fonctionnement dans l'Hexagone, où ce partenariat de la Team France Export avec les CCI avait pour objectif de mettre en commun le réseau territorial fort et ancré des CCI, reconnu par les entreprises, et le réseau international de Business France, tout aussi connu et utilisé par les entreprises.
Finalement, cette mise en commun des réseaux a permis à des conseillers Business France d'aller dans les territoires, soit en tant qu'ETP de Business France, soit en travaillant au quotidien avec des ETP de CCI dans des équipes totalement intégrées.
M. Johann Remaud. - Sur une région hexagonale, nous avons 5 à 10 conseillers, tandis que dans l'ensemble des outre-mer nous avons 5 à 10 conseillers. Par conséquent, il existe une coordination unique dans les territoires, qui repose aussi sur du management intermédiaire. J'exerce cette coordination dans le cadre de mes fonctions, et me tiens au quotidien aux côtés des conseillers de la Team France Export outre-mer, qui d'ailleurs se rencontrent assez régulièrement. En effet, nous sommes très agréablement surpris des liens qui se créent entre l'ensemble des territoires. Dans le cas des Antilles Guyane, toutes les actions organisées par une CCI se font avec le concours des autres CCI.
À titre d'exemple, une mission récente à Sainte-Lucie était organisée par la CCI de Martinique, mais avec le concours de la CCI de Guadeloupe et de celle de Guyane et avec la participation d'entreprises de Guadeloupe. Enfin, l'an dernier, une mission au Guyana portée par la CCI de Guyane dans le cadre de la Team France Invest, a également inclus des entreprises de Martinique.
Nous jouons donc vraiment la carte commune, ce qui est un peu moins le cas du côté de La Réunion et de Mayotte mais nous y travaillons. La difficulté réside dans le fait que notre correspondant à Mayotte n'appartient pas à la CCI, qui n'est pas positionnée sur le volet de l'international. Nous travaillons donc à Mayotte avec l'agence de développement, ce qui rend plus complexe le travail avec deux structures différentes.
Dans le Pacifique, la coopération est plutôt bien engagée avec l'arrivée récente d'une conseillère en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Nos territoires ultramarins sont des territoires d'importation et nos entreprises cherchent, par la force des choses, davantage à importer des produits en provenance des territoires voisins, qui seraient moins chers que ceux de l'Hexagone. Il s'agit donc d'une forme de concurrence. Business France traite-t-il ce type de sujet, car nous savons que sa mission principale consiste surtout à implanter les entreprises françaises à l'étranger ?
Je crois savoir que l'un de mes compatriotes cherche à importer des produits du Brésil car ils lui reviendraient moins cher, mais qu'il se heurte à de nombreux obstacles. En particulier, les produits brésiliens susceptibles d'entrer en Guyane doivent nécessairement passer par un port français avant de repartir vers la Guyane. D'ailleurs cet entrepreneur va utiliser un VIE. Quel est donc le rôle précis des VIE ? Sont-ils réellement utiles aux entreprises ?
M. Johann Remaud. - Je reconnais qu'il serait beaucoup plus intéressant d'importer des produits moins onéreux de proximité, mais l'accompagnement des entreprises pour le sourcing ne fait pas partie de la feuille de route de Business France. Ceci ne signifie pas, cependant, que certains conseillers à l'international de CCI n'aient pas dans leur feuille de route cette mission d'appui au sourcing.
En revanche, nous accompagnons les entreprises qui produisent déjà sur les territoires pour dupliquer ce modèle sur d'autres territoires, et éventuellement pour faciliter une réexportation vers le territoire d'origine. Cela pourrait constituer une solution.
Le VIE est un dispositif de ressources humaines qui permet à toute entreprise implantée sur le territoire français de disposer des services d'un jeune jusqu'à 29 ans, en lui proposant une mission de six à vingt-quatre mois, se déroulant dans un ou plusieurs pays. L'intérêt, pour les entreprises, est de ne pas être lié contractuellement avec le jeune. Business France agit comme un intermédiaire tel qu'une agence d'intérim, ce qui facilite les démarches des entreprises pour les besoins de l'expatriation. Pour les entreprises, le vivier de jeunes très compétents est intéressant, à des coûts encadrés et avec un risque limité, puisque ces jeunes ne disposent pas d'un CDI expatriés. La formule fonctionne puisqu'elle est en progression constante ces dernières années, hormis la parenthèse des années Covid où le nombre de VIE était retombé à 8 000.
M. Quentin Geevers, conseiller spécial pour les relations avec les assemblées et les parties prenantes. - À l'automne dernier, nous avons fêté le 100 000ème VIE depuis le début du programme, ce qui nous ramène à des chiffres d'avant-Covid. Actuellement, 11 500 VIE sont en mission.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure pour le bassin océan Pacifique. - J'aurai deux questions. La première concerne la fragilité du tissu économique actuel à La Réunion. Lors de notre rencontre avec les trois chambres consulaires de l'île, des alertes ont été lancées. Quelle est votre analyse de cette situation, puisque vous travaillez en partenariat avec les acteurs économiques du terrain ?
Par ailleurs, diriez-vous que les aides européennes sont facilement mobilisables pour les entreprises ultramarines sur l'ensemble des bassins que nous connaissons ? Ces outils européens sont-ils adaptés aux territoires ultramarins par rapport au large marché européen ?
Quelle est la portée pour nos entreprises ultramarines, selon vous, des normes Régions ultrapériphériques (RUP) qui viennent d'apparaître, sur l'exportation et notamment en matière de coopération régionale, sur un bassin européen et international ?
M. Johann Remaud. - Nous ressentons assez peu la fragilité des entreprises dans le développement international. Nous menons des études d'impact spécifiques par bassin dans les outre-mer (côté Antilles-Guyane et côté océan Indien), dont l'une au premier trimestre de l'année passée. Même avec le Covid, le taux de chute de l'ensemble des entreprises que nous avons accompagnées était beaucoup plus limité que celui des entreprises qui n'interviennent pas à l'international. En effet, pour certaines de ces entreprises, l'international représente une bouée de sauvetage pour capitaliser sur d'autres marchés et générer d'autres revenus.
Dans un exemple très récent, nous avons lancé en novembre dernier à La Réunion, à l'occasion de la venue du ministre délégué au commerce extérieur et l'ancien ministre chargé des outre-mer, un programme d'accompagnement spécifique sur la zone de l'océan Indien, dénommé Impulse. L'objectif était d'inciter les entreprises à dialoguer avec l'ensemble de nos bureaux de la zone, pour se projeter sur un programme d'accompagnement structuré pendant douze mois et viser, de manière graduée, différents marchés de cette zone.
Le programme Impulse était pensé pour les entreprises de La Réunion et de Mayotte. Nous imaginions avoir davantage d'entreprises de La Réunion, mais avons finalement eu la surprise de constater que six entreprises de Mayotte s'étaient positionnées et ce, malgré la crise spécifique que rencontre le territoire actuellement. Nous sommes donc en train de poser le constat que finalement pour les entreprises locales, ce programme pourrait être attractif pour se sortir du marasme.
Les aides mises en place par les collectivités régionales sur fonds européens sont difficilement mobilisables. Tout dépend de la façon dont les collectivités s'en emparent. Chaque région et collectivité possède son régime d'aides et ses processus spécifiques. Je note cependant une amélioration, depuis un ou deux ans, dans la disponibilité de l'accès aux aides, notamment à La Réunion. Il existe en effet, sur ce territoire, un dispositif d'aide complémentaire à celui proposé par le ministère des outre-mer par notre biais, et qui semble facilement mobilisable.
Depuis le début de l'année, une vingtaine de demandes d'entreprises ont pu être traitées, sachant qu'il s'agit de petites enveloppes et d'actions à court terme. Par conséquent, il est important d'avoir des réponses rapides même si les financements arrivent plus tard.
Nous avons en outre noté une amélioration en Guadeloupe.
En Guyane, il existe un mécanisme intéressant par lequel la collectivité a demandé à la CCI d'être répartitrice d'une petite enveloppe de 40 000 euros.
À Mayotte, il n'existe pas d'aides directes fléchées pour les entreprises.
En Martinique, les aides existantes restent assez difficilement mobilisables pour le moment.
Dans le Pacifique, aucune aide directe pour accompagner les entreprises n'a été mise en place. Il s'agit plutôt de financements de programmes collectifs et d'un crédit d'impôt export en Nouvelle-Calédonie.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Est-ce une priorité, de prendre en considération les liens économiques de vos implantations avec les territoires ?
M. Johann Remaud. - Notre priorité est celle des entreprises.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Par exemple, vous parlez beaucoup de la Guyane. Le fait de prendre en considération les liens que la Guyane pourrait avoir avec le Brésil, fait-il partie de vos priorités ?
M. Johann Remaud. - Avec le Brésil et même au-delà. Dans le cadre de la mise en place de la Team France Export, nous avons un pilier d'opérateurs dans un rôle très opérationnel, tandis que la dimension stratégique est représentée par la collectivité. Chacune des collectivités, dans le cadre de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), a la charge de sa stratégie économique locale. De ce fait, des comités de pilotage se réunissent dans l'ensemble des territoires, à charge pour la collectivité de leur faire part de sa feuille de route.
Les opérateurs de la Team France Export proposent aussi des actions destinées à répondre aux demandes de la collectivité. Ainsi l'an dernier nous avons organisé une mission au Guyana, ce qui n'était pas dans la feuille de route de Business France au niveau national, mais répondait aux besoins locaux des entreprises.
Mme Audrey Bélim. - Il est vrai que la convention de partenariat entre le ministère des outre-mer et Business France prévoit d'accélérer le développement des entreprises déjà exportatrices, et de détecter les entreprises qui pourraient exporter.
Cette convention prévoit donc d'attirer des entreprises étrangères pour investir, ouvrir des sites et créer des emplois dans les outre-mer. Nous avons appris hier la construction d'une usine de batteries de lithium à l'île Maurice par la société canadienne NSM, qui exploite une mine de graphite dans le sud de Madagascar. Cette usine emploiera une centaine de personnes à l'île Maurice.
Nous avons certes à La Réunion un coût du travail différent, mais nous disposons également de nombreux atouts que vous avez présentés : une population bien formée, une couverture en fibre optique excellente (la meilleure en France après l'Île-de-France), des services publics de qualité.
Quelles sont les entreprises et les secteurs économiques pouvant investir dans notre île ? Auriez-vous des pistes sérieuses d'investissements pour les prochains mois ou années ? Le fait d'attirer ces entreprises impliquerait-il des évolutions fiscales et législatives ?
Enfin, avez-vous estimé les conséquences de la potentielle suppression ou réforme de l'octroi de mer sur la concurrence de produits étrangers au sein de nos territoires ?
M. Johann Remaud. - Effectivement, le coût de main d'oeuvre à l'île Maurice permet d'accueillir des projets d'investissements à forte volumétrie d'emplois, ce qui est moins le cas à La Réunion. Sur ce dernier territoire, je peux citer un investissement récent dans le domaine des services, et créateur d'une dizaine d'emplois. L'investisseur est un groupe de Hong Kong qui, à travers sa filiale mauricienne, est venu investir à La Réunion.
La plupart des investissements étrangers à La Réunion sont plutôt originaires de Maurice mais sont créateurs de valeur ajoutée. Pour attirer davantage d'investissements, il est nécessaire d'être en lien avec les agences régionales de développement, et que celles-ci soient bien en ligne politique avec leurs collectivités respectives.
Nous rencontrons encore, sur certains territoires, une difficulté pour poser une stratégie réellement définie sur l'attractivité internationale. Par conséquent, nous ne savons pas toujours quels sont les secteurs ouverts. Je note avec intérêt qu'en début d'année, la région Réunion a lancé un appel d'offres pour définir la stratégie d'internationalisation, tant sur le volet attractivité que sur le volet export, afin de définir l'ensemble des filières d'export susceptibles d'être renforcées. C'est un préalable. Il conviendrait donc que ce travail soit mis en place par l'ensemble des régions afin qu'un argumentaire précis existe, et qu'il soit porté par l'ensemble de notre réseau. Aujourd'hui, la démarche est quelque peu artisanale en connectant les uns aux autres. Ainsi, mes collègues de la Team France Invest dans le monde, lorsqu'ils se trouvent en contact avec un investisseur étranger, pourront lui parler de quelques opportunités à développer dans les outre-mer.
Malheureusement, il n'existe pas d'autre démarche cadrée. C'est pourquoi il conviendrait, dans un futur proche, que nous amenions l'ensemble des agences et même des élus des outre-mer, à parler directement à notre réseau dans les territoires pour l'informer de la nature des secteurs ouverts aux investissements étrangers, et des outils mis en place pour accompagner la venue d'investisseurs étrangers. Aujourd'hui, nous manquons de solutions et d'une feuille de route déterminée.
M. Saïd Omar Oili. - J'observe que malgré le nombre de structures telles que la vôtre chez nous, la pauvreté ne recule pas. À Mayotte, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Nous ne voyons donc pas les bienfaits de ces structures conçues en métropole, et qui permettraient à la population de vivre décemment.
Lors de l'audition récente par notre délégation de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEDOM), j'ai été surpris d'entendre que le rhum jamaïcain était le plus vendu au monde, davantage que le rhum antillais. Je ne comprends pas compte tenu de toutes ces structures d'accompagnement. Avez-vous une explication ?
Mme Micheline Jacques, président. - En effet, lors de l'audition de l'IEDOM, son président a souligné que les produits français étaient surtaxés à l'entrée sur le territoire américain, alors que les produits issus du reste de la zone Caraïbe, tels que le rhum, n'étaient quasiment pas taxés. De ce fait, le marché américain se fermait aux productions françaises puisque leur coût était beaucoup plus élevé.
M. Johann Remaud. - Pour le rhum, il existe d'autres marchés que le marché américain. Dans ce domaine, les petites productions sont très qualitatives et peuvent se positionner sur des niveaux de prix importants. Je n'ai donc pas trop d'inquiétude pour ce secteur du rhum, où sont présents des acteurs très innovants produisant des produits très qualitatifs. Les marchés sont très demandeurs. Il suffit donc de bien « marketer » et d'adopter la bonne stratégie pour vendre son produit.
S'agissant de Mayotte, Business France n'y est pas directement. Nous passons par notre partenaire, qui est l'agence de développement de Mayotte. Nous ne sommes donc pas une structure supplémentaire. Nous venons juste apporter, par le biais du partenariat entre le ministère de l'intérieur et des outre-mer et la Team France Export, des solutions techniques et un appui financier pour les quelques entreprises de Mayotte qui souhaitent pouvoir se projeter à l'international.
M. Quentin Geevers. - La Team France Export et la Team France Invest ne sont pas des structures supplémentaires à proprement parler, mais sont davantage des méthodes de travail. Les acteurs publics et les acteurs privés peuvent travailler ensemble et cesser de se faire concurrence, dans l'intérêt même des entreprises. Il ne s'agit pas d'ajouter une strate supplémentaire mais de naviguer entre les structures existantes au moyen d'un guichet unique, pour simplifier les choses.
Mme Micheline Jacques, président. - La délégation s'est déplacée à l'île Maurice, où nous avons constaté que les Mauriciens étaient trilingues français, anglais et créole mauricien. Pensez-vous que la barrière de la langue soit un frein aux discussions et négociations entre les territoires ultramarins et leurs potentiels investisseurs proches ?
Nous avons aussi évoqué les difficultés de la mobilité humaine dans les transferts aériens mais aussi, les difficultés en matière de transports de marchandises. C'est pourquoi la mise en place d'une petite compagnie maritime a été demandée par la CCI locale.
Enfin, les crises sociales conséquentes constatées dans certains territoires ultramarins ne sont-elles pas un frein aux investissements étrangers ? Comment attirer ces investisseurs dans nos territoires ?
M. Johann Remaud. - Le problème de la langue tend à s'atténuer. La jeune génération maîtrise de plus en plus l'anglais, ainsi que nous le constatons dans les entreprises que nous accompagnons à l'étranger. Il est vrai qu'il y a dix ans, cette barrière de la langue représentait un frein réel à l'investissement dans les outre-mer. Aujourd'hui, la jeune génération peut travailler confortablement en anglais, langue qu'elle maîtrise suffisamment pour se projeter à l'international.
En revanche, le frein réel à la coopération régionale réside dans l'absence de compagnies maritimes régionales, alors que les entreprises les appellent de leurs voeux depuis de très nombreuses années. Plusieurs initiatives engagées depuis vingt ans, n'aboutissent malheureusement pas. Ce point figure d'ailleurs parmi les axes identifiés par le Comité interministériel des outre-mer (CIOM). Un partenariat public-privé pourrait représenter une solution dans un premier temps.
Nous rencontrons d'ailleurs la même problématique dans le domaine aérien, à des degrés divers selon les territoires. Dans la zone de l'océan Indien, la satisfaction est à peu près correcte, sauf depuis Mayotte qui nécessite un voyage de vingt-quatre heures pour se rendre au Mozambique alors que ce territoire se trouve juste en face. Il est sûr que les échanges seraient plus nombreux en présence de lignes régulières. Il faut donc trouver le bon modèle économique pour ces petites lignes, sans doute en s'inspirant d'exemples qui fonctionnent. J'ai eu vent d'une ligne qui s'était ouverte depuis la Bourgogne Franche-Comté pour gagner Paris, soutenue à l'origine par la collectivité régionale. L'avion de petite capacité mis à disposition à la création de la ligne s'étant rempli rapidement, un avion de plus grosse capacité l'a remplacé, ce qui a permis à la collectivité de se retirer partiellement pour laisser la place à un opérateur privé.
Je confirme que la situation sociale sur les territoires entraîne un impact négatif pour attirer les investisseurs internationaux. Bien entendu, un investisseur international possède la capacité de se projeter à plus long terme, et pourrait être intéressé par un « package » d'arguments à l'appui de son installation sur place.
Dans le cas de Mayotte, nous avons eu des discussions avec des investisseurs du secteur pétrolier, en lien avec les mouvements de Total au Mozambique. L'idée était de faire de Mayotte une base arrière pour les grands projets au Mozambique. L'établissement de taille intermédiaire (ETI) qui souhaitait s'implanter posait deux questions de base, qui m'ont été rapportées par l'agence du développement de Mayotte : si j'investis aujourd'hui, pouvez-vous me garantir la sécurité de mes employés et pouvez-vous me garantir que j'aurai de l'eau pour mener à bien mes opérations ? L'investisseur dont il s'agit a donc exclu à court terme Mayotte de sa réflexion, ce qui ne signifie pas qu'il ne pourrait pas revenir plus tard.
En résumé, la situation sociale est clairement un frein aux implantations.
M. Saïd Omar Oili. - Nous avons réalisé des travaux dans la perspective d'une coopération avec le Mozambique, notamment le quai n° 1 du port de Longoni. Le Mozambique s'est donc montré intéressé. Or actuellement, le problème ne provient pas du manque d'eau ni de l'insécurité à Mayotte, mais surtout de l'insécurité au Mozambique. Pour notre part, nous sommes prêts à recevoir Total, mais le blocage vient du Mozambique actuellement.
M. Quentin Geevers. - Je souhaite compléter les échanges sur l'objectif à long terme de notre action, et notamment sur le développement du VIE.
Que ce soit un jeune des outre-mer qui parte à l'étranger ou une entreprise des outre-mer qui emploie un jeune à l'étranger, nous obtenons un résultat immédiat qui est celui de l'internationalisation des outre-mer. Il existe aussi des effets de plus long terme à prendre en considération. En effet, lorsque le nombre de VIE issus des outre-mer augmente, et que les jeunes reviennent ensuite sur leur territoire d'origine enrichis d'une forte expérience internationale, ils deviennent aussi des ambassadeurs de leur territoire à l'étranger.
J'indiquais tout à l'heure que nous avions fêté le 100 000e VIE depuis le début du programme dans les années 2000. Lorsque nous rencontrons à l'étranger des Français qui sont présents pour vendre leurs produits, nous constatons que beaucoup d'entre eux sont d'anciens VIE. Ce programme permet d'intégrer une dimension internationale sur toute une carrière, ce qui est majeur pour le développement des outre-mer.
Mme Micheline Jacques, président. - Sur les 100 000 VIE, combien sont revenus dans leur territoire d'origine pour y développer des entreprises ?
M. Quentin Geevers. - Nous ne disposons pas de statistiques sur les retours car ces mouvements de retours sont difficiles à quantifier. Néanmoins, sur l'ensemble de la carrière, cette idée de l'international est très forte.
M. Georges Patient, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Comment ces jeunes sont-ils choisis ? Existe-t-il des critères par territoire ?
M. Johann Remaud. - C'est l'entreprise qui choisit les jeunes. C'est pourquoi nous menons ces actions de sensibilisation auprès des étudiants ultramarins à Paris ou ailleurs, car les entreprises elles-mêmes sont demandeuses de VIE originaires de leur territoire. Nous devons donc amener de plus en plus de jeunes à candidater, et leur faire comprendre que finalement, le fait d'être ultramarin peut aussi représenter un avantage en se positionnant sur certains postes. De nombreux témoins nous l'ont dit.
Bien entendu, l'aspect de financement pris en charge par l'État est attractif. C'est pourquoi nous sensibilisons les jeunes qui effectuent leurs études, à l'intérêt de créer eux-mêmes leur VIE en démarchant les entreprises de leur territoire qui exportent, ou ont des velléités d'exportation. Nous fournissons donc à ces jeunes l'ensemble des arguments pour qu'ils puissent se positionner. L'idéal, pour un jeune partant en VIE pour le compte d'une entreprise ultramarine, serait de rester ensuite dans le groupe, que ce soit sur le territoire ou à proximité. À un moment de sa carrière, il sera susceptible de revenir sur le territoire.
M. Quentin Geevers. - Je précise qu'en application des accords issus de la COP 26 à Glasgow, nous n'envoyons plus de VIE subventionnés par l'État dans tout le secteur des énergies fossiles.
Mme Micheline Jacques, président. - Avant de clore cette audition, je constate que Business France joue un rôle de catalyseur et de fédérateur auprès des CCI et d'appui aux collectivités. La réussite dépend de nombreux facteurs, notamment des stratégies économiques de chaque collectivité ultramarine et de leur volonté de s'organiser au sein d'un même bassin.
Vous avez évoqué le cas des Antilles-Guyane, qui commencent à fédérer des projets. De même, l'activité économique et l'implication des CCI sont des facteurs qui permettent de développer l'entrepreneuriat.
Malheureusement, la mobilité des personnes et des biens reste un frein. Néanmoins, on observe aussi une évolution puisqu'entre 2014 et 2023, le nombre d'entreprises étrangères ayant investi dans les territoires ultramarins est passé de 20 à 38 projets, ce qui représente une dynamique positive.
Nous serons très attentifs à l'évolution et à votre action au bénéfice des territoires ultramarins.
M. Johann Remaud. - Je n'ai pas souligné le volet de communication positive, que nous mettons en place via différents canaux sur les réussites à l'international des territoires et entreprises ultramarins. Lorsque les entreprises, y compris les TPE, ont un pied à l'international, elles souffrent moins.
M. Quentin Geevers. - Je profite de votre fort intérêt pour le développement international des entreprises pour mentionner le plan « Osez l'Export ! », dévoilé par le ministre délégué chargé du commerce extérieur le 30 août dernier, qui comprend notamment un volet dénommé « Parlementaires pour l'export ». Vous avez tous déjà dû recevoir, à l'automne dernier, une brochure. Il s'agit de permettre aux députés et sénateurs qui le souhaitent, de s'investir davantage, avec l'accompagnement de Business France, au profit des entreprises de leur département, notamment dans le cadre de l'organisation d'évènements.
Je me tiens à votre disposition pour davantage d'informations.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci à vous. Nous sommes attentifs à toutes les contributions que vous souhaitez apporter à la délégation, y compris les idées que nous n'aurions pas évoquées ce soir.
Mardi 2 avril 2024
Audition d'Hervé Mariton,
président, et Françoise de
Palmas, secrétaire générale, Fédération des
entreprises d'outre-mer (FEDOM)
Mme Micheline Jacques, président. - Nous auditionnons à présent M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération régionale. Il est accompagné de Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale.
Madame, Monsieur, nous vous remercions vivement d'avoir répondu à notre invitation.
Nous venons d'échanger avec Business France et attendons que vous nous apportiez, à votre tour, votre regard sur le sujet de l'insertion régionale des économies ultramarines.
Quels atouts et quels freins identifiez-vous ? Une meilleure intégration régionale peut-elle, selon vous, être un levier de lutte contre la vie chère ? À votre connaissance, la mise en oeuvre de la mesure 9 du CIOM - définir des stratégies commerciales par bassin - est-elle avancée ?
Par ailleurs, quelle appréciation portez-vous sur l'action des opérateurs publics - qui sont nombreux : collectivités, Business France, Banque des territoires, Banque publique d'investissement (BPI), Agence française de développement (AFD), CCI, Services économiques dans les pays voisins... - pour développer le rayonnement économique régional des outre-mer ?
Nous savons également que, comme notre délégation, vous vous préoccupez de l'adaptation des modes d'action de l'État et que vous avez des réflexions à partager sur ce thème qui est au coeur de notre seconde étude en cours, bien que celle-ci ne soit pas l'objet principal de votre audition aujourd'hui.
Les préfets qui disposent d'un pouvoir de dérogation depuis le décret de 2020 l'utilisent-ils, par exemple, en matière économique pour débloquer des situations ? Si oui, faut-il l'étendre encore ?
Vous avez pointé depuis longtemps la question de la production de données statistiques fiables sur les outre-mer. Selon vous, la situation s'améliore-t-elle ? Comment aller plus loin ?
Voici quelques-unes des problématiques sur lesquelles nous souhaitions vous entendre.
Je laisserai naturellement nos rapporteurs présents développer tous ces sujets et ils vous interrogeront après votre exposé liminaire, puis nos autres collègues poseront leurs questions à leur tour.
M. Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM). - Pour répondre très directement à votre question, ce sujet de la coopération régionale est régulièrement abordé par nos adhérents - la FEDOM est une association d'entreprises et d'organisations d'entreprises présentes dans tous les outre-mer - mais ne figure pas au centre de leurs préoccupations. Je pense que c'est déjà un élément en soi : le sujet n'est pas absent du « scope » mais est rarement perçu comme central, dût-on le regretter.
Le thème de la coopération régionale est assez présent dans le discours et l'action politiques. L'articulation de l'échelon politique avec la vie économique, qui n'est jamais simple en outre-mer, est encore plus compliquée s'agissant de la coopération régionale. Lorsqu'on observe la chronique médiatique, on constate une relation politique assez régulière entre les élus des territoires et leurs environnements régionaux. Les conséquences économiques de ces échanges sont néanmoins plus discrètes.
Par conséquent, la coopération régionale est clairement un sujet politique, qui devrait sans doute davantage être un sujet économique. Je dirai même que la dimension économique n'est pas la première dimension de la coopération régionale pour les acteurs régionaux, en particulier les élus des territoires concernés. Ce propos est général et comporte évidemment un certain nombre d'atténuations. Pour autant, c'est une réalité.
En deuxième lieu, s'agissant des atouts et des freins, la présence géographique dans les territoires est une donnée importante, ces territoires étant tous insulaires, à l'exception de la Guyane. Lorsqu'on parle d'économie, même la Guyane est assez souvent perçue sur le plan économique comme une île, ce qui pose une sorte de distance par rapport aux environnements régionaux.
Le président de la République, à l'occasion de son récent déplacement, a souligné les relations de proximité, y compris sur le terrain économique. Un certain nombre de chefs d'entreprise de Guyane étaient présents parmi sa délégation au Brésil dans les jours qui ont suivi sa visite en Guyane, ce qui constitue une excellente initiative. Il reste que, sur la plupart des territoires, y compris lorsque la question du développement des relations régionales est posée à Business France, les réponses sont discrètes et timides. Le sujet est similaire concernant nos services économiques régionaux. J'ai eu l'occasion d'échanger il y a un peu plus d'un an avec les représentants de Business France à Sydney, et la réponse était assez rapidement un constat d'étonnement : de quels types de flux parlait-on ? Que s'agirait-il d'exporter ?
Nous partons donc d'une situation très modeste et de questions souvent renouvelées auprès des services publics, qui prennent l'habitude de répondre qu'en vérité, il n'y a pas tant de choses que cela à décrire en matière de coopération économique régionale.
S'agissant des différentes catégories de freins, il peut aussi y avoir un certain nombre de freins politiques très légitimes que nous-même, en tant qu'association d'entreprises, n'avons pas à qualifier. Lors de notre dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, nous avions été interpellés sur des intentions côté australien, d'importation de minerai à teneur relativement modeste pour un processus de transformation écologiquement pertinent. Cette possibilité d'échanges se heurtait clairement à un positionnement en termes de « doctrine nickel » et à des conditions de décision des autorités locales.
Récemment - et cela a fait la une de la presse - une compagnie de croisières américaines, Virgin Croisières, a annoncé son choix d'abandonner l'escale de Pointe-à-Pitre pour la suite de son programme de cette année, en raison de très mauvais retours d'expérience de la part de ses clients. Or, cette escale s'insérait dans un ensemble d'escales dans la Caraïbe, ce qui correspondait à une économie touristique régionale. Le frein, ici, était perçu en termes d'offre : à tort ou à raison, les croisiéristes de Virgin se sont exprimés défavorablement dans leur questionnaire de satisfaction.
Grâce au très heureux vote du Sénat, nous essayons de promouvoir le duty-free croisiéristes à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et sur quelques autres destinations. C'est un peu compliqué si les compagnies de croisières considèrent elles-mêmes, au fond, que Pointe-à-Pitre n'aurait malheureusement pas sa place.
Il existe un grand écart entre ce que les marchés régionaux peuvent fournir à nos territoires et à l'inverse, ce que nos territoires peuvent fournir aux marchés régionaux. Ceci ne signifie pas qu'il n'existe pas de possibilités, mais elles sont difficiles à accomplir du fait des coûts salariaux côté français. De plus, dans certains cas, nous ne sommes pas tant en complémentarité qu'en concurrence. Nous pourrions être en complémentarité dans des domaines non marchands, tels que l'économie de la santé. Je pense notamment au positionnement de La Réunion en la matière, et en particulier aux traitements de l'insuffisance rénale, mais cela fait souvent appel à des marchés plus lointains. Nous savons en outre que la marchandisation des soins, y compris pour des publics non français, n'est pas l'une de nos spécialités. En termes de complémentarité, nous pourrions aussi sans doute considérer l'enseignement supérieur, mais là non plus nous ne sommes pas spécialistes dans la marchandisation.
La situation est évidemment très différente selon les territoires. À Saint-Pierre-et-Miquelon, la relation avec l'économie canadienne est tellement forte qu'il existe évidemment une coopération régionale, même si elle bute parfois sur des difficultés liées aux normes. Il s'agit d'ailleurs aussi de normes de méthodes, à l'instar des échafaudages à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il existe aussi des phénomènes paradoxaux de produits qui arrivent dans de meilleures conditions tarifaires depuis l'Hexagone jusqu'au Canada, que depuis l'Hexagone vers Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour l'attractivité du territoire, il ne s'agit pas d'un atout.
S'agissant des normes, sur lesquelles la FEDOM travaille beaucoup, en particulier dans le domaine du bâtiment, le CIOM de juillet avait évoqué le marquage RUP, terminologie qui nous paraît impropre. L'idée est plutôt d'avoir, non pas une marque RUP mais, dans le cadre d'une analyse locale, une admission de produits qui ne répondent pas exactement aux contraintes communautaires, mais qui ont du sens pour le marché local. Ce dispositif devrait permettre d'accueillir, dans le cadre d'une coopération régionale, des produits moins chers que ceux venus d'Europe, avec toutefois le souci suivant : comment s'ouvrir à des importations régionales tout en répondant aux enjeux de la production locale ? À quelles normes ne veut-on pas renoncer pour des enjeux environnementaux, sanitaires ou d'emploi ?
Globalement, l'écosystème local tient à la présence d'une raffinerie à Fort-de-France, qui apporte des produits conformes aux règles européennes, ce qui ne serait pas le cas d'hydrocarbures en provenance de Trinidad. Cette raffinerie assure aussi un certain nombre d'emplois industriels dans une économie qui en manque. En tout état de cause, le schéma que nous connaissons amène probablement un produit plus coûteux que ne le serait un produit intégré régionalement dans le cadre d'un flux d'importations venant de Trinidad, mais il s'agit ici de choix politiques et économiques.
En préparant cette audition avec nos adhérents, ceux-ci ont évoqué notamment le sujet des financements des implantations d'entreprises venant de nos territoires sur les secteurs voisins. L'économie des outre-mer est très largement armée par des PME structurées pour aller à l'étranger, mais qui éprouvent des difficultés à trouver des financements pour leurs projets qui sont en-deçà de la maille traitée habituellement par les opérateurs. Il s'agit donc d'un problème d'accès au marché du financement. Parfois, des difficultés procédurales aboutissent, pour les entrepreneurs ultramarins, à passer par un marché intermédiaire. Par exemple, un entrepreneur de La Réunion a constitué une entreprise à l'île Maurice pour affronter le marché tanzanien. Vue de France, cette situation n'est pas idéale, mais elle est pourtant vécue par cet entrepreneur qui a tenu à témoigner.
Les entreprises locales ont parfois le sentiment d'être victimes d'ajustements politiques. Le sénateur Georges Patient dirait sans doute des choses plus justes que moi, mais je souhaite évoquer le monde de la pêche en Guyane, qui a eu le sentiment d'être victime d'arbitrages et de négociations politiques. Il prétend en effet avoir été, à un moment de son histoire, victime d'arbitrages franco-français consistant à minorer les intérêts de la pêche pour privilégier la coopération régionale en matière de lutte contre le trafic de drogue.
Par ailleurs, le manque de conditionnalité des aides européennes et la concurrence éventuelle qui en résulte sur les marchés tiers ou ultramarins, est un vrai sujet.
En outre, l'intégration régionale se heurte à des constats opérationnels lorsque la société Orange installe des centres d'appels à Maurice plutôt qu'à La Réunion pour des raisons de compétitivité. Je pense que nous pourrions accomplir des progrès sur le terrain des normes, en particulier dans le domaine du bâtiment.
Des progrès nécessitent en outre d'être accomplis en matière de financement. Les difficultés pourraient paraître quelque peu surprenantes puisque des banques des outre-mer sont aussi présentes sur les marchés voisins.
Il y a des ambitions, mais qui se heurtent à des problèmes géostratégiques. Ainsi, Mayotte avait imaginé se positionner comme base arrière des activités de Total en Afrique orientale. Or, la situation sur ce dernier territoire n'est pas simple. De ce fait, les ambitions fortement marquées de Mayotte et de Total ont été affaiblies des deux côtés du canal du Mozambique. Enfin, il n'est pas évident qu'un cadre de Total ait envie de se rendre à Mayotte dans le contexte actuel, ce dont il faut aussi être conscient.
Nous avons des ambassadeurs dans ces bassins. Je pense que davantage de leur énergie devrait être mise sur le terrain de la coopération économique. Lors de la commission économique de la FEDOM qui s'est tenue cet après-midi, nous avons abordé ce sujet. Certes, les chefs d'entreprise n'attendent pas de miracle des délégations publiques, mais ils aimeraient être davantage associés aux déplacements politiques des élus dans les territoires. En effet, lorsque les milieux économiques organisent les déplacements, ils pensent en général aux acteurs de proximité. Les ministres ont aussi pris cette habitude, même si elle n'est pas généralisée.
Les questions d'intégration régionale se posent aussi dans le domaine des transports, en particulier dans le transport maritime, avec des liaisons très marquées sur la métropole mais pas uniquement. Je pense aux Antilles-Guyane mais aussi à la desserte de l'océan Indien et du Pacifique. Cela peut aussi être le cas dans le transport aérien. Toutefois, les compagnies aériennes nous indiquent qu'elles gagnent de l'argent sur les relations régionales intra-françaises mais qu'elles en perdent au-delà des territoires français.
La coopération régionale concerne aussi les entreprises extérieures qui viennent sur nos territoires, mais qui ne sont pas toujours accueillies avec un enthousiasme débordant. Les entreprises mauriciennes ont pourtant des enjeux importants à La Réunion. Mon propos est tout de même atténué par le fait que dans une certaine discrétion, des acteurs de la Nouvelle-Calédonie ont des enjeux en Australie, tout comme des acteurs de Maurice ont des enjeux à Madagascar. Les entreprises ne se développent pas toujours sur les territoires les plus proches, pour des raisons de taille. En définitive, les relations existent mais ne se conçoivent pas très articulées avec la coopération régionale au sens politique du terme. De surcroît, la coopération économique est peu articulée avec la coopération politique.
Mme Françoise de Palmas, secrétaire générale de la FEDOM. - Lorsque des relations se créent, elles peuvent être discrètes et sans publicité. De plus, sur le plan économique, le brouillage peut provenir du rôle des grandes structures régionales de type Commission de l'océan Indien (COI), qui travaillent quelque peu en chambre. Je pense qu'il y aurait sans doute un audit à réaliser sur le rapport coût-efficacité de ces structures très consommatrices de fonds publics, notamment français.
M. Stéphane Demilly, rapporteur pour le bassin océan Indien. - Je salue le président Hervé Mariton, que je me félicite de retrouver au Sénat, après l'avoir côtoyé pendant quelques mandats à l'Assemblée nationale.
Pourriez-vous nous rappeler quelques informations sur la FEDOM, son statut, son organisation, son histoire et son financement ? Quels liens entretenez-vous avec les organisations patronales connues, telles que le MEDEF et les organisations patronales locales ?
Pourriez-vous nous donner votre vision de la situation mahoraise ? Nous avons entendu qu'un certain nombre d'entreprises étaient en très grande difficulté et qu'elles risquaient de disparaître.
M. Hervé Mariton. - Monsieur le sénateur, le plaisir et l'honneur sont partagés.
La FEDOM est une association loi de 1901 à but non lucratif, dont les membres se répartissent en trois catégories : les organisations d'entreprises (MEDEF territoriaux, associations de promotion de l'industrie, CPME, CCI, fédérations de branches, clusters maritimes et numériques), les entreprises ultramarines d'une certaine taille adhérentes directes, et les entreprises nationales ayant des enjeux outre-mer (TotalEnergies, Air France, Vinci, Orange...).
La FEDOM vit des cotisations de ses adhérents, avec lesquels nous entretenons un lien comme il sied à toute association. C'est une toute petite structure dotée d'un président, d'un bureau, d'un conseil d'administration et d'une petite équipe de quelques permanents, auxquels s'ajoutent parfois des alternants de talent.
À Mayotte comme souvent en outre-mer, notre message est d'insister sur l'importance des enjeux économiques, tout en respectant les débats institutionnels et régaliens. Ces sujets ne sont d'ailleurs pas déconnectés puisque les économies ultramarines ont besoin de sécurité. L'insécurité peut aussi provenir de considérations régionales telles que l'immigration clandestine, le trafic de drogue, l'orpaillage...
À la FEDOM, nous sommes perplexes face à l'énergie mise sur des enjeux institutionnels ne paraissant pas centraux. Par conséquent, une partie de notre message dans le cadre de la crise connue par Mayotte ces dernières semaines, a consisté à recommander de ne surtout pas oublier l'économie. Nous sommes intervenus auprès du Gouvernement pour que ses représentants rencontrent les acteurs économiques de Mayotte qui, à un moment de la crise, se sentaient très délaissés. Par la suite, ils ont été satisfaits que le Gouvernement déploie beaucoup d'énergie pour le rétablissement de l'ordre, de la sécurité et de la liberté de mouvement, tout en ayant le sentiment que la situation économique n'était pas regardée avec assez d'attention.
Par ailleurs, à Mayotte, encore davantage que sur les autres territoires ultramarins, l'importance du travail informel est un phénomène significatif. Lorsque j'étais parlementaire, le préfet de Mayotte m'expliquait la densité de la relation avec les Comores en raison des communications téléphoniques avec ce territoire. Je serais curieux de connaître les chiffres des transferts d'argent - par le biais notamment de Western Union - entre Mayotte et les Comores, qui expriment une forme d'interaction régionale, sinon de coopération.
L'économie à Mayotte bouge car il y a beaucoup d'argent. Il y a aussi une interaction très forte avec La Réunion. Cette interaction n'est d'ailleurs pas toujours flatteuse pour Mayotte, car elle provient de ces cadres d'entreprise qui sont présents pendant quinze jours, pour alterner avec un séjour de quinze jours à La Réunion, où demeure leur famille. Finalement, cette coopération que j'évoque est une coopération régionale inter-DROM entre La Réunion et Mayotte.
Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure pour le bassin océan Pacifique. - Merci pour vos propos très clairs et votre vision de nos territoires. Vous avez pointé le décalage entre le politique en matière de coopération régionale, et le volet économique où vous parlez davantage d'« interaction ». Pour une véritable coopération régionale en matière économique, comment envisagez-vous l'aspect diplomatique ? Lorsque vous évoquez le politique, vous pensez sans doute davantage à l'exécutif territorial, mais en matière territoriale un volet diplomatique et stratégique est souvent en jeu.
Concernant l'octroi de mer, qui est une question d'actualité, le considérez-vous comme un frein pour les entreprises ou un outil ? Dans sa version actuelle, protège-t-il les entreprises ultramarines ou s'agit-il d'une taxe à revoir ?
M. Hervé Mariton. - J'ai en effet fait référence, dans mon propos, aux élus territoriaux. Sur l'aspect diplomatique, je pense qu'il existe en partie une problématique de type « poule et d'oeuf ».
Lors d'une rencontre avec notre ambassadeur en Inde et son collaborateur, peu de temps après l'interruption de la liaison aérienne entre Saint-Denis de La Réunion et Chennai, j'ai trouvé cet interlocuteur intéressé par les enjeux touchant La Réunion. Mais j'ai pu constater que ce volontarisme n'était pas communément partagé dans tous les pays de la zone régionale. Il m'apparaît par conséquent que le Gouvernement pourrait donner pour instruction à des représentations diplomatiques de garder un oeil sur les relations ayant un impact commercial pour les outre-mer.
Je devais rencontrer le directeur général du Trésor avant qu'il ne devienne Directeur de cabinet du Premier ministre. Le rendez-vous a donc été reporté avec son successeur. Je souhaiterait notamment évoquer avec ce dernier un grand nombre de sujets, parmi lesquels celui de savoir si, au Trésor, il y a un certain investissement sur le sujet de la relation de nos outre-mer avec leur environnement régional. C'est sans doute le cas, mais je n'en connais pas les proportions. Cette question de la coopération régionale pourrait utilement être étudiée au sein du Trésor.
À la FEDOM, nous défendons l'octroi de mer en tant qu'outil de compensation en faveur de la production locale. Nous n'avons pas d'ambiguïté sur le sujet car il s'agit de notre mandat.
Mme Françoise de Palmas. - Le terme « protection » pourrait heurter Bruxelles. Pourtant, si les entreprises éprouvent des difficultés à exporter leurs produits dans la zone, c'est bien parce qu'elles se trouvent dans une situation d'étroitesse de marché et d'absence d'économies d'échelle, ayant pour conséquence un handicap de compétitivité. Le différentiel d'octroi de mer, tel qu'autorisé par Bruxelles, n'a pas pour objet de protéger les entreprises faibles mais de compenser des handicaps structurels.
C'est à ce titre que la Commission de Bruxelles et la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) ont autorisé le différentiel d'octroi de mer, car il compense des handicaps reconnus à de multiples reprises, notamment par l'article 349 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. C'est donc bien à ce titre qu'il nous paraît plus prudent d'employer le terme de « compensation » plutôt que celui de « protection », qui est inaudible à Bruxelles.
Les pays des zones avoisinantes ont longtemps fait de l'octroi de mer un cheval de bataille, mais il faut bien avoir à l'esprit que l'octroi de mer taxe aussi les produits en provenance de métropole. Il ne s'agit donc pas d'une taxe équivalant à un droit de douane. À l'inverse pour exporter à Maurice ou Madagascar, les outre-mer sont soumis à un droit de douane tout à fait spécifique.
Mme Audrey Bélim. - Je poursuis sur l'octroi de mer car je tiens à réitérer mon inquiétude concernant cette réforme. Nous avons le sentiment que le Gouvernement souhaite définir d'ici l'automne, pour une entrée en vigueur au 1er janvier prochain, un nouveau dispositif. Or, à La Réunion, nous demandons la transparence sur la formation des prix, que nous ne parvenons pas à obtenir. Il existe par conséquent un manque de concertation avec le Gouvernement sur le sujet, qui est très inquiétant pour nous, collectivité.
L'opinion accuse l'octroi de mer d'être responsable de la vie chère dans les outre-mer. Nous avons bien compris les explications du Premier Président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici, lors de sa visite à La Réunion. Nous avons même apprécié ces échanges, car il a apporté des éclaircissements nécessaires sur le fait qu'il ne parlait pas de suppression, mais bien de réforme de l'octroi de mer.
Je note cependant que vous avez indiqué : « Il est d'ailleurs à peu près évident qu'un système qui viserait à augmenter la TVA afin de compenser les pertes de recettes consécutives pour les collectivités, conduirait à un renchérissement certain du prix des services, aujourd'hui non assujettis à l'octroi de mer, dans un contexte où l'essentiel de la consommation des ménages des DOM est lié aux services ».
Finalement, la FEDOM pourrait-elle nous aider dans notre posture face à l'octroi de mer, qui doit être proactive, pour ne pas le subir ? Disposez-vous d'études d'impact sur les conséquences pour l'activité économique, l'emploi, le pouvoir d'achat dans les outre-mer, notamment liées au renchérissement du coût des services ?
M. Hervé Mariton. - Nous sommes au-delà de l'étude sur la coopération régionale mais je réponds bien volontiers sur ce sujet important.
Je confirme que nous ne disposons pas de tous les chiffres. Les carences de l'approche statistique sur les outre-mer sont évidentes - malgré quelques statistiques de l'Insee - de sorte que le retard à rattraper est grand.
Si le Gouvernement entend mettre en oeuvre une réforme dès le projet de loi de finances (PLF) 2025, au vu des différences de points de vue au sein de l'appareil étatique et indépendamment du fond, je crains que les choses ne soient très fragiles. Ces sujets demandent une préparation de calcul extrêmement soigneuse, et nous sommes déjà en avril.
L'an dernier pour le PLF 2024, un travail extrêmement cabossé - parce précipité - a été mené sur les aides fiscales à l'investissement. Pour l'octroi de mer, il faut prendre garde à cela.
En matière de transparence, l'économie de nos outre-mer est souvent plus administrée que celle des territoires voisins. Je me permets d'indiquer, Madame la sénatrice, que la transparence est une notion assez ambigüe. J'ai exercé la fonction de ministre des outre-mer assez brièvement, mais j'ai mis en place les observatoires sur les marges et les prix en 2007. Je considère qu'il est essentiel de mener ce travail cognitif, ce qui confère aux observatoires une place importante.
Dans une économie de marché, vous n'aurez jamais une parfaite transparence de la formation des prix, car à un certain moment, on entre dans le domaine de la « recette de cuisine ». Il m'apparaît par conséquent que la prudence est de mise. À titre d'exemple, les marchés pétroliers outre-mer sont des domaines très administrés, ce qui relève d'un choix sans doute légitime. Néanmoins, lorsqu'on décide d'administrer un secteur de l'économie, il ne faut pas trop en faire. L'octroi de mer n'est pas le seul composant de la vie chère, car il n'y a pas de facteur unique. L'Autorité de la concurrence a travaillé sur ce sujet. Toute taxe, de quelque nature qu'elle soit, fait partie du prix. En d'autres termes, tout impôt finit par être payé par le consommateur.
M. Saïd Omar Oili. - Vous avez évoqué les normes, et vous vous êtes interrogé sur celles que nous voulons et celles que nous ne voulons pas. Pendant la crise de l'eau à Mayotte, le Gouvernement, dérogeant aux normes régissant l'importation des bouteilles d'eau, en a importé de Maurice alors même que cette pratique était interdite aux commerçants. J'ai moi-même bu cette eau, et comme vous le constatez, je suis bien portant.
Par ailleurs, pour répondre à l'insuffisance des capitaux dans les outre-mer, l'investissement se fait souvent par l'endettement des entreprises. Dans les DOM, les coûts de production sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs, ce qui participe de la vie chère. À l'inverse les coûts de production dans les pays voisins sont beaucoup plus bas.
Je souhaite que nous évoquions aussi les retards de paiement, qui représentent des difficultés supplémentaires pour de nombreuses entreprises de nos territoires.
M. Hervé Mariton. - Les délais de paiement font partie de l'insécurité économique. Nous souhaiterions, à l'occasion des débats prochains autour de la loi Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte 2) et des mesures de simplification - sur lesquels le Sénat est particulièrement attendu - que l'exécutif, ou le législatif à l'occasion des débats, prennent des engagements sur l'amélioration des délais de paiement.
Pour revenir à la coopération régionale, il importe de comprendre que les délais de paiement représentent une éviction d'intérêts extérieurs. Ce sujet est à l'évidence un élément négatif dans la balance des investisseurs extérieurs, lorsqu'ils songent à l'économie ultramarine. Cette attrition de la concurrence et de l'engagement de capitaux est un élément de la vie chère. Les délais de paiement sont une explication de la vie chère puisque les entreprises locales, moins nombreuses et peu exposées à la concurrence, se rattrapent sur le prix.
En Guyane, le président de la République a invité les élus locaux à lui faire des propositions en matière de réforme institutionnelle. Il leur a rappelé, notamment, qu'il existait des possibilités d'adaptation au titre de l'article 73 de la Constitution, qui n'étaient pas toujours mises en oeuvre sur les territoires. À la FEDOM, nous insistons aussi beaucoup sur le pouvoir de dérogation des préfets.
Il est toujours délicat pour nous de faire comprendre à des élus, que les institutions ne sont pas les seuls éléments sur lesquels ils doivent travailler. Nous ne nous privons cependant pas de les interpeller à ce sujet. Puisque vous évoquez le terrain normatif et la possibilité d'une meilleure coopération internationale, je pense qu'il existe des marges à ce sujet.
Heureusement qu'en présence d'une situation d'urgence absolue telle que vécue à Mayotte, nous sommes capables de déroger.
Pendant la crise Covid, alors que je n'étais pas encore président de la FEDOM, j'avais considéré que cette crise pouvait être facteur d'accélération de la mise en oeuvre du pouvoir dérogatoire des préfets. L'État n'a pas eu ce courage, malheureusement.
Sur l'insuffisance des capitaux, nous insistons beaucoup sur la nécessité de favoriser la collecte des fonds propres outre-mer. Les entreprises ultramarines souffrent en effet d'une insuffisance de leurs capitaux. Mes mandants, qui sont pour l'essentiel des entreprises locales, ont vocation à être soutenus et encouragés. Quand une grande entreprise nationale abandonne les outre-mer car les délais de paiement sont insupportables, ce n'est jamais une bonne nouvelle. Quand des acteurs étrangers s'intéressent aux outre-mer puis font marche arrière, il en va de même.
La prospérité économique des outre-mer ne permet pas que des barrières aussi importantes soient présentes partout.
M. Saïd Omar Oili. - L'État est venu à Mayotte pendant la crise que nous avons connue dernièrement. Le montant des aides proposées aux entreprises n'était que de 4 000 euros.
M. Hervé Mariton. - Cette somme paraît faible.
M. Georges Naturel. - Nous avons auditionné, il y a un mois, le directeur de l'IEDOM, qui devrait produire un rapport prochainement sur les relations commerciales dans nos territoires. Nous disposerons donc, à cette occasion, d'intéressants éléments d'ordre général.
En Nouvelle-Calédonie, où vous étiez il y a peu, vous avez rencontré le monde économique. À cette occasion, nous avons abordé la crise institutionnelle que nous vivons. Le président de la CCI était également présent lors de votre visite, car nous subissons aussi une crise économique et sociale en Nouvelle-Calédonie.
Vous avez donc raison sur le fait que certes, la problématique institutionnelle existe, mais que nous devons aussi traiter le sujet du développement économique. Je ne m'étendrai pas ici sur la crise du nickel, qui représente une vraie problématique.
En tout état de cause, la Nouvelle-Calédonie possède un tissu économique très vivant, avec peu de consommateurs mais des voisins tels que l'Australie et la Nouvelle-Zélande. J'ai rencontré les consuls de ces deux pays, avec lesquels un réchauffement de nos relations s'est produit. Ils ne demandent donc qu'à se rapprocher de nous économiquement, en incluant la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.
Quelle appréciation portez-vous sur l'action des opérateurs publics sur nos territoires ? En Nouvelle-Calédonie, la situation est quelque peu complexe car les compétences sont partagées entre le territoire et l'État. Bercy et le Quai d'Orsay sont très vigilants, ce qui pourrait constituer des blocages parfois, mais les entreprises aspirent à se développer.
Que pensez-vous du fait que les collectivités tentent d'accompagner au mieux les entreprises pour un développement régional ?
M. Hervé Mariton. - La question de l'environnement régional est en effet appréhendée de manière particulière en Nouvelle-Calédonie. J'étais présent sur ce territoire en juin 2023, et ai prévu d'y retourner le mois prochain.
Nous avons posé un constat partagé avec Business France, à savoir qu'il était important que tous les acteurs prennent leur part dans le développement de la coopération régionale, y compris les instances consulaires. La CCI de Nouvelle-Calédonie est ambitieuse sur le sujet des relations régionales.
Tout à l'heure, j'ai fait allusion à cette proposition de toutes petites quantités de minerai entre la Nouvelle-Calédonie et l'Australie. Sur ce sujet, le Gouvernement de la République est prudent car il existe une compétence de territoire. J'avais moi-même été amené à intervenir, à l'époque, auprès de Franck Riester, sur une convention de bonnes pratiques à Fidji, avec un retour de bons procédés de Business France en Australie. Les courriers n'étaient jamais signés car le ministre n'osait pas toucher à une prérogative du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
La situation est donc compliquée en raison des compétences institutionnelles de Nouvelle-Calédonie, qu'il convient de respecter.
M. Georges Naturel. - À chacun de ses déplacements en Nouvelle-Calédonie, le président de la République nous parle de l'axe Indopacifique. En ce qui nous concerne, il nous importe de savoir comment la Nouvelle-Calédonie s'inscrit dans cet axe, dont fait partie le développement économique.
M. Hervé Mariton. - Je vais vous raconter une anecdote. Je suis membre de la World Policy Conference (WPC), organisation internationale sous l'égide de Thierry de Montbrial, fondateur de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Lors d'une table ronde sur l'Indopacifique organisée à l'automne 2022, présidée par un Français, je me trouvais dans la salle. Pas un mot n'a concerné la France. Je suis donc intervenu, à partir de la salle, en demandant au panel si la France était une anecdote dans l'Indopacifique. La réponse à mon interpellation a été un « blanc ».
Étant d'un naturel tenace, l'année suivante, en octobre 2023, je me suis imposé dans le panel. J'ai parlé à cette occasion de la France dans l'Indopacifique, en particulier de la Nouvelle-Calédonie, de Mayotte, de La Réunion, de Wallis-et-Futuna et de la Polynésie française. Le modérateur du panel avait trouvé mon propos pertinent. Pour le dire autrement, les choses ne viennent pas seules.
En définitive, pour être ambitieux et présenter l'Indopacifique vu de France et accroître l'intégration et la coopération régionales, le travail est encore long.
Mme Micheline Jacques, président. - La norme RUP rejoint une recommandation de la délégation sénatoriale aux outre-mer dans son rapport sur la politique du logement outre-mer. Le concept a peut-être mal été compris, mais il s'agissait de trouver des équivalences. Nous trouvions en effet surprenant de faire venir du bois de Norvège pour les charpentes en Guyane, alors que ce territoire regorge de bois. De plus, pour utiliser le bois du Brésil voisin, il arrive qu'il traverse à deux reprises l'Atlantique pour obtenir un tampon « norme européenne ». C'est donc précisément dans ce souci de limiter l'empreinte carbone et d'avoir des coûts réduits pour la construction en outre-mer, que nous avons envisagé la norme RUP.
Vous connaissez mon attachement au sujet de la révision constitutionnelle, mais je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur ce point. L'expérience montre, pour les avoir expérimentées en Martinique et en Guadeloupe, qu'il existe un réel problème de coûts en matière de dérogations et habilitations. Il appartient en effet aux collectivités de préparer et demander l'autorisation. De surcroît, en la matière, il s'agit d'un prêt de compétence et non d'un transfert de compétence.
Par ailleurs, la loi avait donné un pouvoir de dérogation aux agences régionales de santé (ARS). Pour le moment, aucune collectivité d'outre-mer ou nationale n'a pleinement utilisé ce pouvoir. Par conséquent, s'il est toujours intéressant d'avoir des outils, j'estime que les élus sont les représentants du peuple qui sont les plus à même de mettre en place la politique qu'ils désirent sur leur territoire.
Enfin, vous avez commencé votre propos en indiquant que la coopération était un sujet régulièrement abordé, mais qu'il ne figurait pas au centre des priorités des entreprises ultramarines. Puis, au fil de l'évolution de l'audition, vous avez regretté que le secteur économique ne soit pas associé à la discussion des politiques lors des déplacements. Par conséquent, comment harmoniser et ouvrir la discussion entre les politiques et le secteur économique, pour fluidifier les relations en matière de coopération régionale ?
Merci infiniment pour vos éclairages. Nous restons donc très attentifs à vos travaux. N'hésitez pas à nous faire parvenir vos suggestions pour enrichir notre rapport.
Jeudi 2 mai 2024
Audition d'Emmanuelle Blatmann,
directrice de l'Afrique et de l'océan Indien, ministère de
l'Europe et des Affaires étrangères accompagnée d'Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe
et de l'océan Indien
Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation du rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin, Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Elle est accompagnée de M. Alexandre Olmedo, sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien
Madame la directrice, nous vous remercions de vous prêter à cet échange. Nos travaux partent du constat que la coopération régionale dans les outre-mer est encore trop peu développée, alors qu'elle représente un potentiel considérable pour le rayonnement de la France, mais surtout pour le développement propre des territoires ultramarins. La coopération et l'intégration régionales sont aussi un facteur de stabilisation et de sécurité, car les outre-mer sont de plus en plus exposés à des menaces et à des risques géostratégiques. C'est tout particulièrement le cas de Mayotte et de La Réunion.
Votre audition intervient à la suite d'un déplacement de la délégation sénatoriale aux outre-mer à La Réunion et à Maurice, où nous avons notamment rencontré les autorités mauriciennes ainsi que le secrétariat général de la Commission de l'océan Indien (COI). Nous serons dans quelques semaines à Mayotte.
Par ailleurs, nous avons auditionné au Sénat de nombreux acteurs ou observateurs de cette coopération, et tout particulièrement l'ambassadeur, délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, Jean-Claude Brunet. Nous auditionnerons aussi, après vous, l'ambassadeur de France en Tanzanie, afin d'avoir un éclairage sur les perspectives de coopération entre Mayotte et ce partenaire essentiel dans la région du canal du Mozambique.
Un questionnaire indicatif vous a été transmis la semaine dernière afin de guider nos échanges. Votre audition doit en particulier permettre à notre délégation de comprendre la part prise par nos outre-mer de l'océan Indien dans la définition et la conduite de la politique extérieure de la France dans cette zone. Dans quelle mesure les enjeux et les intérêts propres de ces territoires déterminent-ils la politique étrangère de la France ?
Vous nous direz notamment comment l'enjeu ultramarin est intégré à vos réflexions et au travail quotidien de votre direction et des ambassades de France dans la région. À l'inverse, comment les outre-mer sont-ils informés de la mise en oeuvre de la politique de coopération régionale ? Comment y sont-ils associés et mis en avant ?
La reconnaissance pleine et entière de l'appartenance de Mayotte à la République française est un autre enjeu clé. Est-elle au centre de notre diplomatie dans la région ?
Au sujet de la COI, cette organisation régionale vous paraît-elle constituer un cadre efficace pour amplifier la coopération régionale ? Comment expliquer le paradoxe résultant du large financement par la France au regard du statut accordé à Mayotte dans cette institution ?
Mme Emmanuelle Blatmann, directrice d'Afrique et de l'océan Indien au ministère de l'Europe et des affaires étrangères. - Votre mission d'information fait écho aux travaux de l'État sur l'insertion régionale des outre-mer, récemment illustrés par la tenue du comité interministériel des outre-mer (CIOM), qui a pris des engagements sur l'association des outre-mer à la conduite de notre politique étrangère dans leurs bassins régionaux respectifs. Nous n'avions toutefois pas attendu le CIOM pour prendre en compte le rôle singulier des outre-mer dans les relations de la France avec leurs voisins. Ainsi l'insertion régionale de La Réunion et de Mayotte est-elle une priorité de la direction d'Afrique et de l'océan Indien.
Nos territoires dans la région sont les témoins de notre identité Indopacifique et africaine, dont nous sommes fiers, ainsi que d'importants relais de notre influence historique dans cette zone, de la coopération bilatérale et régionale que nous menons et de la stratégie Indopacifique voulue par le Président de la République. Ce sont également des territoires à défendre face aux revendications de souveraineté dont ils font l'objet - c'est le cas aussi de territoires non habités comme l'île Tromelin ou les îles Éparses du canal du Mozambique -, mais aussi face aux catastrophes naturelles, aux effets du changement climatique, à la criminalité organisée ou aux trafics divers.
Notre réseau diplomatique est pleinement mobilisé pour soutenir les outre-mer du bassin du sud-ouest de l'océan Indien, non seulement pour répondre à ces défis, mais aussi plus généralement pour créer les conditions d'un développement harmonieux de la région et pour rendre leur environnement le plus sûr, le plus prospère et le plus stable possible. Nous travaillons à tisser des relations étroites avec chaque pays de la région et nous nous engageons fortement dans les enceintes de coopération régionale. Associer nos territoires à ces initiatives est un objectif majeur : c'est déjà le cas pour La Réunion, et nous nous efforçons de renforcer la participation de Mayotte.
Je commencerai par répondre à la première question portant sur la situation géopolitique dans la région, mais plus précisément en Afrique de l'Est et en Afrique australe ainsi que dans la zone sud-ouest de l'océan Indien.
L'Afrique, y compris sa partie insulaire, est une priorité de la politique étrangère de la France. La situation est variable. Si l'Afrique de l'Est reste profondément marquée par une forte instabilité, elle dispose également de nombreuses opportunités.
Pour ce qui concerne l'Éthiopie et le Soudan, les ambitieuses transitions lancées voilà quelques années ont connu un coup d'arrêt brutal du fait de l'explosion du conflit au nord de l'Éthiopie, puis à la suite du coup d'État d'octobre 2021 au Soudan qui a abouti à l'éclatement, le 15 avril 2023, d'une guerre fratricide entre généraux des forces armées soudanaises et d'une des principales milices paramilitaires. Le 15 avril dernier, à l'occasion du tragique premier anniversaire du conflit, la France a pris une initiative majeure en réunissant la communauté internationale à Paris afin d'apporter une réponse humanitaire et politique à ce qui est devenu l'une des plus graves crises humanitaires à l'échelle du continent, et probablement du monde. En Éthiopie, la dynamique issue de l'accord de Pretoria de 2022, bien que fragile, permet une reprise progressive de la coopération avec ce partenaire stratégique.
À la faveur de la crise en Éthiopie, l'Érythrée s'est renforcée sur la scène régionale à l'échelle de la Corne de l'Afrique. Nous maintenons des contacts limités, mais réguliers via notre ambassade et notre ambassadeur à Asmara.
En Somalie, l'offensive du président Hassan Cheikh Mohamoud contre le groupe terroriste des Shebab et l'amorce de la transition entre la Mission de transition de l'Union africaine en Somalie (Atmis) et les forces armées somaliennes ont permis d'avancer, mais les défis demeurent. Ces derniers mois, l'armée somalienne a subi plusieurs revers et les forces armées locales ne parviennent pas à assumer la reprise des responsabilités de sécurité de l'Atmis, censées arriver à leur terme fin 2024. La lutte contre les Shebab doit se poursuivre ; c'est pourquoi nous estimons nécessaire de maintenir une présence internationale après le retrait de l'Atmis. À ce titre, la poursuite du renforcement des capacités de l'armée somalienne fait partie des priorités de la France, afin de juguler la menace terroriste et les flux migratoires qui s'ensuivraient.
Dans ce contexte régional tendu, Djibouti, qui accueille une base militaire française ainsi que des bases militaires américaine, chinoise, japonaise et italienne, constitue un îlot de stabilité et un partenaire essentiel pour la France dans la région. La renégociation en cours du traité de coopération militaire et de défense entre la France et Djibouti fait partie des dossiers que nous suivons de très près. Ouvert sur le détroit stratégique du Bab-el-Mandeb qui relie l'Afrique à la péninsule arabique, le territoire djiboutien s'impose comme un point de passage des migrations et des trafics entre ces différentes zones géographiques.
Djibouti est un acteur essentiel pour la sécurité de la navigation en mer Rouge face aux attaques des Houthis provenant du Yémen, et aussi un acteur important sur le plan économique : du fait de sa position géostratégique, c'est un débouché portuaire majeur pour les pays de la région - particulièrement vital pour l'Éthiopie qui est enclavée et dont plus de 90 % des biens exportés transitent par Djibouti.
Parmi les opportunités, il faut citer le cas du Kenya, qui a réussi sa transition démocratique à l'été 2022 et qui investit de façon croissante dans son environnement régional. Nairobi est l'un des pôles de stabilité de la région, avec lequel nous renforçons activement nos relations. Le nombre d'entreprises françaises y a triplé depuis dix ans. La France a également renforcé ses coopérations universitaires et culturelles. Nous travaillons étroitement avec les autorités kenyanes sur les enjeux globaux, notamment le changement climatique qui est un défi majeur pour la région.
En Tanzanie, la politique d'ouverture de la présidente Samia Suluhu Hassan, qui a exprimé sa volonté de densifier la relation bilatérale avec la France, a permis de sortir le pays de l'isolement dans lequel son prédécesseur l'avait plongé. Nous en faisons désormais l'une de nos priorités, puisque la Tanzanie a été retenue comme l'un des pays accélérateurs des nouveaux partenariats entre la France et les pays africains voulus par le Président de la République ; ces projets sont également défendus par la secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou. La France entend ainsi dynamiser ses relations dans trois secteurs clés - l'énergie, l'eau et l'économie bleue -, mais aussi l'égalité de genre et l'autonomisation des femmes.
L'Afrique australe est une autre zone prioritaire, et trois autres pays accélérateurs de partenariats s'y trouvent : le Botswana, la Namibie et la Zambie. Comme toutes les régions d'Afrique, cette zone est confrontée à de nombreux enjeux sécuritaires, sanitaires ou alimentaires.
Depuis 2017, le Mozambique fait l'objet d'une insurrection djihadiste de groupes originaires de la province du Cabo Delgado ayant prêté allégeance à l'État islamique : plus de 4 000 morts et 1 million de déplacés internes ont été recensés. Après avoir fait appel à des sociétés de sécurité privées sans obtenir de succès opérationnel, le président mozambicain a décidé de s'appuyer sur des forces de défense rwandaises - plus de 3 000 soldats sont déployés -, ainsi que sur celles de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC) et de partenaires internationaux, dont l'Union européenne. Si la montée en puissance de la menace terroriste a été contenue, les groupes armés terroristes poursuivent leurs exactions. Ce facteur de risque pour la sécurité dans le canal du Mozambique met en péril - à 400 kilomètres de Mayotte - les intérêts économiques de plusieurs firmes françaises et européennes dans la région. Nous sommes pleinement mobilisés pour aider le Mozambique à gérer cette crise.
Du point de vue sanitaire, on déplore ces dernières années plusieurs épidémies. Faute d'eau potable, d'infrastructures d'assainissement et de traitement des déchets, une importante épidémie de choléra sévit en Zambie, au Zimbabwe et au Malawi. Des milliers de cas ont été aussi recensés, ces dernières semaines, aux Comores, à Madagascar et plus récemment à Mayotte. En outre, depuis février 2024, la Zambie, le Malawi et le Zimbabwe ont dû déclarer l'état d'urgence nationale en raison de graves sécheresses, notamment provoquées par le phénomène El Niño, qui a détruit une grande partie des récoltes. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), plus de 2 millions de Zambiens, 6 millions de Malawites et 5,5 millions de Zimbabwéens sont, à ce jour, en situation d'insécurité alimentaire. Ces trois pays appellent donc la communauté internationale à les soutenir.
Le sud-ouest de l'océan Indien est un espace stratégique pour la France. Les territoires français situés dans la zone, qui abritent plus d'1 million de ressortissants français et un quart de la zone économique exclusive de la France dans la région, sont les témoins de l'identité régionale française.
Dans son discours de 2019, le Président de la République avait souligné le rôle de La Réunion comme territoire d'ancrage de la France dans l'espace Indopacifique. La Réunion et Mayotte font de la France un État de l'espace africain et sont les portes d'entrée de la France dans les enceintes de la coopération régionale, notamment la COI, seule organisation africaine dont la France est membre, et l'Association des États riverains de l'océan Indien (Iora).
En matière de développement économique, la zone est hétérogène. Elle comprend deux pays figurant parmi les plus pauvres - Madagascar et les Comores - et deux pays à revenu intermédiaire - Maurice et les Seychelles. Il s'agit d'une zone de passage commercial très importante : 30 % du trafic mondial des méthaniers transitent par le canal du Mozambique, notamment les très gros navires qui ne peuvent pas passer par le canal de Suez. Toutefois, le commerce régional demeure très faible.
Pour la France, les enjeux dans la région sont multiples.
Il s'agit, d'abord, des migrations irrégulières vers Mayotte depuis les Comores et le continent africain, ainsi que vers La Réunion depuis le Sri Lanka.
Il y a, ensuite, les enjeux sécuritaires : la présence d'un foyer terroriste au Mozambique, à quelques centaines de kilomètres des côtes mahoraises, et la nécessité de sécuriser les flux commerciaux maritimes.
Il faut également citer l'enjeu de la francophonie : on compte 73 % de francophones à Maurice et 53 % aux Seychelles, auxquels il faut ajouter un quart des ressortissants comoriens, qui constituent la diaspora la plus nombreuse, et plus de 100 000 Malgaches vivant en France.
Les autres enjeux sont touristiques et économiques, avec un fort poids de l'économie bleue, mais aussi climatiques et environnementaux, liés à la protection des océans, à l'exposition aux événements météorologiques extrêmes ou à la biodiversité endémique abondante.
Une prise en charge collective de ces enjeux est nécessaire, mais elle se heurte souvent aux importantes disparités économiques de la région.
Nous faisons face à deux défis d'ampleur que vous avez mentionnés, madame la présidente.
Le premier défi est celui des contestations de la souveraineté française à Mayotte, sur les îles Éparses du canal du Mozambique et sur l'île Tromelin, qui brident quelque peu la coopération régionale et la défense des biens communs, même si nous avons réussi à les traiter dans un cadre strictement bilatéral depuis un certain nombre d'années.
Le second défi d'ampleur, c'est la sécurité maritime au sens large : les trafics illicites, la pêche illégale, les risques d'extension du terrorisme ou encore les pollutions marines. La région du sud-ouest de l'océan Indien appartient également à l'espace Indopacifique, ce qui en fait un terrain de compétition pour certaines grandes puissances, y compris pour les compétiteurs stratégiques de la France.
Les principales menaces liées à l'environnement régional sont donc d'ordre sécuritaire, migratoire et environnemental.
Sur le plan sécuritaire, l'insurrection djihadiste au Mozambique, précédemment évoquée, comporte des risques d'extension. S'y ajoute la situation en Somalie, qui provoque la migration de réfugiés somaliens vers Mayotte. Les autres enjeux de sécurité sont notamment les trafics de drogue, d'êtres humains ou d'espèces protégées, ainsi que les activités criminelles y afférentes.
Pour ce qui concerne les mouvements migratoires, on constate à Mayotte d'importants flux en provenance des Comores, qui donnent lieu à près de 25 000 reconduites à la frontière par an - le nombre le plus élevé au monde -, mais aussi en provenance de Madagascar et, plus récemment, du continent africain, notamment de la région des Grands Lacs et d'Afrique de l'Est. Ces mouvements restreignent l'accès de la population française aux infrastructures de base, qui sont déjà en tension. L'État prend en charge ces flux : il crée les conditions nécessaires à la reconduite vers leur pays d'origine des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français, tout en cherchant à répondre aux causes profondes de l'émigration dans les pays d'origine. Des négociations sont en cours - elles avancent plutôt bien - avec les pays de transit et les pays de départ en Afrique continentale pour aboutir à des accords de réadmission. La Réunion est également destinataire de flux migratoires. Quant aux enjeux environnementaux, je les ai déjà évoqués.
J'en viens aux compétiteurs stratégiques. Un certain nombre d'entre eux peuvent tenter de nous déstabiliser par l'intermédiaire des pays voisins des territoires d'outre-mer, lesquels font l'objet d'actions d'influence et servent parfois de base arrière à l'organisation de réseaux d'influence. Nous sommes très attentifs à ces stratégies et surveillons les moyens et relais utilisés.
Une des questions posées avait trait à l'état des relations de la France avec les différents pays du sud-ouest de l'océan Indien. Je m'attacherai notamment aux Comores, à Madagascar et à Maurice. La présence des territoires ultramarins dans la zone est un déterminant important dans les relations avec ces pays pour des raisons de proximité, de flux et de liens humains, mais aussi du fait de l'implication des différentes souverainetés dans la structuration des relations bilatérales.
La relation avec les Comores est globalement bonne. Elle s'appuie sur les déterminants objectifs que sont les liens historiques, géographiques et humains, la francophonie, et sur la volonté politique partagée d'assurer la stabilité de la région. Elle se décline dans de nombreux domaines, y compris économique et militaire. Toutefois, le climat des affaires, qui n'est pas aussi bon qu'espéré, a conduit au retrait de nombreuses entreprises françaises. La relation bilatérale repose pour l'essentiel sur deux piliers : les investissements solidaires, symbolisés par le plan de développement France-Comores, signé en 2019, qui permet de lutter contre les causes profondes de l'émigration, et la lutte contre l'immigration clandestine. Elle s'assortit d'un dialogue assez franc, mais constructif, sur les principaux enjeux bilatéraux, notamment notre différend en matière de souveraineté et la consolidation de l'État de droit et de la démocratie.
La relation bilatérale avec Madagascar est particulièrement dense dans tous les domaines. La France est le deuxième fournisseur d'aide publique au développement (APD), avec 120 millions d'euros par an, et les entreprises françaises y sont engagées dans plusieurs projets économiques d'envergure. La coopération décentralisée ainsi que la coopération culturelle et linguistique sont également développées - le pays compte 29 Alliances françaises et 23 établissements conventionnés ou homologués par l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), ce qui en fait le réseau d'Alliances françaises le plus important de la zone.
Dans le domaine patrimonial, la France et Madagascar poursuivent leur coopération, à la suite de la demande officielle de restitution du crâne du roi Toera.
Madagascar est aussi notre principal partenaire de défense en Afrique australe et dans l'océan Indien. Le différend relatif à la souveraineté sur les îles Éparses fait l'objet de discussions bilatérales, notamment dans le cadre d'une commission mixte franco-malgache dédiée, qui favorise également la coopération en matière de pêche durable, de sécurité maritime, de recherche ou de protection de la biodiversité.
La relation avec Maurice est également assez dense et s'appuie sur la proximité historique, géographique et humaine avec La Réunion : la commission mixte La Réunion-Maurice permet de décliner la coopération régionale entre les îles. La France y est un acteur économique majeur - premier partenaire bilatéral en termes d'APD -, mais les domaines culturels, scientifiques ou de recherche sont aussi concernés. La coopération en matière de défense et de sécurité est très dynamique, alimentée par la proximité des forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi) et la réunion régulière d'un groupe de contact sur la sécurité entre La Réunion et Maurice.
L'intégration régionale des territoires ultramarins avec ces trois pays est, pour nous, une priorité. Elle est plus aboutie pour La Réunion que pour Mayotte, dont le rôle régional est quelque peu disputé. Nous avons cependant obtenu certains succès : l'attribution d'un programme Interreg de l'Union européenne dédié, et l'accord des Comores pour associer Mayotte à plusieurs programmes de la COI, et son inclusion dans le périmètre géographique du programme pour la promotion de la sécurité maritime, lancé en 2018. Par ailleurs, depuis 2019, Mayotte est membre à part entière de deux projets régionaux, l'un portant sur la coopération sanitaire et l'autre sur la sécurité alimentaire et animale. Par ce travail diplomatique, nous avons réduit l'activisme des États qui contestent la souveraineté française dans les enceintes internationales, grâce au développement de la coopération décentralisée de Mayotte, y compris avec les Comores, ou à l'attribution à Mayotte des Jeux des îles de l'océan Indien (JIOI) en 2035.
Les priorités sectorielles pour favoriser l'insertion régionale des territoires ultramarins sont : l'agriculture ; l'approvisionnement alimentaire ; la sécurité maritime ; la connectivité aérienne et maritime ; la coopération culturelle ; la formation professionnelle. Le développement des relations et de la coopération entre les territoires ultramarins français et les États du continent africain, notamment les États côtiers, mais aussi avec toute la région du sud-ouest dans le cadre des organisations de coopération régionale - COI et Iora -, qui est positif et pertinent, gagnerait à être renforcé sur le terrain, en s'émancipant des questions de souveraineté, car les acteurs locaux sont conscients qu'ils ont intérêt à travailler ensemble.
Sur le continent, la Tanzanie est le pays de la zone Afrique orientale pour lequel les coopérations avec les outre-mer pourraient être le plus utilement et le plus facilement développées. Des contacts existent déjà entre des entrepreneurs de Mayotte et des fermes de Tanzanie pour l'exportation de produits maraîchers, par exemple. Des fonds européens du programme Interreg déjà mentionné pourraient financer différents aspects de cette coopération. Les autres pays avec lesquels existent des coopérations sont notamment le Mozambique, l'Afrique du Sud et la Namibie.
Dans la définition de la politique étrangère de la France, les outre-mer sont pour beaucoup à l'origine des liens étroits tissés entre la France et les voisins de la région. Disposer de territoires d'outre-mer renforce notre intérêt à promouvoir une zone stable et un développement régional harmonieux. Les programmes européens de coopération territoriale, pilotés par les collectivités, apportent un concours essentiel à la coopération régionale. Les fonds de coopération régionale (FCR), pilotés par les outre-mer, jouent un rôle d'amorce de projets régionaux. Enfin, les collectivités mènent une coopération décentralisée active, soutenue par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Pour coordonner l'action de l'État et des collectivités, mais aussi de l'ensemble des parties prenantes à la coopération régionale, y compris les secteurs privé et associatif, une plateforme de coopération de la France de l'océan Indien a été créée en 2019. Elle réunit les préfectures de La Réunion et de Mayotte, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le conseil régional de La Réunion, les conseils départementaux de La Réunion et de Mayotte, l'Agence française de développement et l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien, que vous avez déjà auditionné récemment. Une large gamme d'acteurs de la coopération régionale est associée en tant que de besoin, ce qui fluidifie la diffusion de l'information sur les activités de coopération régionale et permet de coordonner les différentes initiatives.
L'ambassadeur Brunet organise aussi, régulièrement, une conférence de coopération régionale de l'océan Indien. Relancée cette année à Mayotte, elle réunit les élus locaux et nationaux, les acteurs de la coopération régionale dans les collectivités et « l'équipe France » élargie, à savoir notamment les ambassadeurs et les ambassadrices de France de la région. Cette plateforme et cette conférence de coopération régionale constituent des cadres de concertation et de coopération régionaux, qui permettent une association étroite des collectivités et une concertation sur les priorités de la coopération régionale.
Au-delà de ces cadres globaux, l'État tient compte des problématiques spécifiques de chaque collectivité dans son environnement régional au travers des lois votées au cours des années 2000 et, plus récemment, de la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite Letchimy, et des conclusions du CIOM. L'État renforce constamment l'association des outre-mer et la prise en compte de leurs intérêts dans la coopération régionale et la conduite de la politique étrangère de la France dans la région. Dans ce cadre, des conseillers diplomatiques ont été placés auprès des préfets de La Réunion et de Mayotte, et nous travaillons à l'affectation d'agents des collectivités de Mayotte et de La Réunion au sein des ambassades de France dans la région - La Réunion met déjà à disposition des volontaires et des chargés de mission dans son voisinage et les discussions avec le conseil départemental de Mayotte sont bien avancées. L'État, représenté par le ministère de l'Intérieur et des Outre-mer et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, a signé, le 11 mars 2024, une convention de partenariat avec le conseil départemental de Mayotte afin d'accroître la coopération, notamment en matière de formation.
Pour ce qui concerne les aspects européens, les deux régions ultrapériphériques que sont Mayotte et La Réunion ne s'inscrivent pas, à proprement parler, dans la politique européenne de voisinage, qui s'applique d'abord au voisinage méridional et oriental de l'Union européenne (UE). Pour autant, l'Union a développé des outils favorisant l'intégration directe des territoires excentrés au sein de la région : les programmes Interreg.
Le programme Interreg V Océan Indien, piloté par le conseil régional de La Réunion, est doté de 62,2 millions d'euros pour la période 2021-2027. Ses priorités stratégiques sont la recherche, la coopération économique, le développement durable, l'inclusion et le développement social. Le programme Interreg VI Canal du Mozambique, créé en 2021 et piloté par le conseil départemental de Mayotte, est doté de 10,2 millions d'euros pour la période 2021-2027 et s'attache aux questions de recherche, d'innovation, d'environnement ou d'inclusion sociale. La stratégie de l'Union européenne pour les régions ultrapériphériques a été publiée en mai 2022, après une concertation publique organisée l'année précédente, en concertation avec les régions ultrapériphériques et les États membres. La Commission européenne s'est engagée à accorder une attention particulière à ces régions au regard de leurs enjeux spécifiques : l'isolement, l'exposition aux effets du changement climatique, les vulnérabilités sociales, les difficultés d'accès et les enjeux de mobilité.
L'UE est un bailleur de fonds historique de la COI. Si la plupart des projets sont désormais achevés, un financement de 70 millions d'euros qui bénéficie directement à la coopération régionale est encore en cours. Il concerne la sécurité maritime, la sécurité portuaire et de navigation, la sécurité alimentaire et la gestion des risques de catastrophe. Nos territoires ultramarins bénéficient donc également de ces programmes. L'association de l'Union européenne aux activités de l'Iora est plus récente - elle date de 2023 - et nous permettra de développer de nouveaux partenariats.
La convention de partenariat entre l'État et le conseil départemental de Mayotte, précédemment citée, crée un cadre de partenariat et de dialogue pour favoriser l'insertion régionale de Mayotte et les activités communes entre l'État et la collectivité en matière d'action extérieure. Un Comité pour l'insertion régionale de Mayotte a été instauré et se réunira régulièrement avec l'ambassadeur délégué à la coopération régionale dans l'océan Indien et le président du conseil départemental de Mayotte, pour faire vivre les engagements conjoints. Cette convention s'inscrit dans l'engagement du Gouvernement en faveur du rayonnement régional de Mayotte et de la reconnaissance par ses voisins de la souveraineté française. Elle concrétise aussi notre volonté d'associer les outre-mer à la définition de la politique étrangère de la France dans cette zone et favorisera une compréhension mutuelle des enjeux, des besoins et des marges de manoeuvre de la France dans la région.
La France conduit-elle une action d'influence auprès des États de la région pour obtenir la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté française sur Mayotte ? Oui, et c'est un élément central de notre relation avec ces pays. En la matière, notre approche ne doit pas être défaitiste : Mayotte, c'est la France. Ce choix, qui a été exprimé à plusieurs reprises par les Mahorais, nous honore et nous oblige.
Face à la réalité des faits, les tentatives de remise en cause de la souveraineté française, que nous nous attachons à faire taire, ne pèsent pas grand-chose. Depuis 1994, aucune résolution des Nations unies n'a remis en cause la souveraineté française sur Mayotte, et nous avons obtenu des Comoriens qu'ils cessent tout activisme officiel en la matière, à l'ONU comme au sein de l'Union africaine (UA).
Nous pesons de tout notre poids pour défendre Mayotte dans son environnement régional. Nous avons ainsi négocié activement pour obtenir un degré inégalé de coopération migratoire avec les Comores, et nous défendons l'insertion de Mayotte dans les organisations régionales. Et auprès des autres États de la région, nous faisons valoir la réalité de la souveraineté française et la nécessité d'adopter une approche lucide à cet égard.
J'en viens à la question relative à la conditionnalité des aides au développement. Nous faisons en sorte d'avoir un réglage très fin de nos actions et d'obtenir des concessions concrètes au bénéfice de Mayotte, en évitant que la situation actuelle ne se dégrade. Ainsi, au plan migratoire, chercher à imposer à tout prix une reconnaissance formelle de la souveraineté française pourrait mener à une rupture de notre coopération bilatérale. Le remède serait alors pire que le mal.
Des discussions ont été engagées avec les pays de transit d'Afrique continentale - Éthiopie, Kenya et Tanzanie - pour faciliter les retours vers les pays de départ, renforcer les contrôles dans les aéroports de transit et lutter contre les filières d'immigration clandestine. Des discussions sont également en cours avec les pays de départ - Rwanda, Burundi, Somalie - ; avec les deux premiers de ces pays, notre modèle est l'accord de réadmission signé avec la République démocratique du Congo en 2022.
La COI est une organisation pragmatique, francophone et essentielle dans la zone, qui permet aux cinq États insulaires de la région, dont la France, de dialoguer et de coopérer. Face aux enjeux communs, la solution ne peut être que globale et multilatérale. Nous estimons que la France, État membre qui contribue le plus à la COI, doit continuer à participer à ses travaux.
Le multilatéralisme est une méthode vitale pour répondre aux enjeux de la région. Avec des moyens de fonctionnement assez modestes, les résultats obtenus sont plutôt positifs.
Georges Patient, rapporteur. - Bon nombre de pays de la zone contestent la légitimité de la présence française. Les Comores revendiquent Mayotte, l'île Maurice réclame l'île Tromelin, et Madagascar revendique les quatre autres territoires des îles Éparses. Ces contestations de la souveraineté française disposent de plusieurs relais en Afrique, en particulier dans des pays riverains d'Afrique australe. On sait ainsi que l'Afrique du Sud milite officiellement en faveur de la décolonisation de La Réunion. Comment ces territoires français sont-ils réellement perçus par leurs voisins ? Sont-ils associés à l'animation de la politique étrangère de la France ? Quelles relations entretiennent-ils avec leurs riverains ?
La France étant le premier financeur de la COI, comment peut-on accepter que Mayotte ne participe pas à ses travaux ? La stratégie pour l'Indopacifique ne prime-t-elle pas sur les intérêts de ces territoires français, et notamment de Mayotte ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous avez rappelé que l'Afrique connaissait une situation d'instabilité globale, et cité des pays d'Afrique australe - Botswana, Namibie - qui ne sont pas particulièrement déstabilisés. Vous n'avez pas évoqué, en revanche, le rôle des Chinois, qui ravagent sans états d'âme l'Afrique, et notamment la république démocratique du Congo via l'extraction du cobalt, cet « or bleu » destiné à produire des batteries électriques. Cette présence de la Chine en Afrique ne risque-t-elle pas de remettre en cause la stratégie française à l'endroit de nos territoires d'outre-mer ?
M. Saïd Omar Oili. - Vous dites, madame la directrice, que tout va bien dans la région. Votre réponse à la question posée par Georges Patient ne me satisfait pas du tout... Selon vous, il serait pire, sur le plan migratoire, d'obliger les Comoriens à cesser leurs revendications sur Mayotte. Il faudrait être gentils avec eux ! Je rappelle que les migrants de toute l'Afrique de l'Est arrivent à Mayotte où aujourd'hui, selon le dernier comptage, 1 500 de ces personnes dorment dans la rue.
Quelles actions le Quai d'Orsay mène-t-il auprès des autorités des États d'Afrique australe, et notamment des Comores, pour ce qui concerne le transit de ces immigrés ? À Mayotte, ce sont des dizaines de kwassa-kwassa qui arrivent tous les jours, les administrations sont complètement débordées, et dans sa maternité - la plus grande de France, si ce n'est d'Europe - naissent chaque année 12 à 13 000 enfants...
Les Mahorais considèrent que les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sont complaisants vis-à-vis des autorités comoriennes, qui revendiquent leur souveraineté sur Mayotte. Que répondez-vous à ces critiques ? Pourriez-vous établir un bilan de l'accord signé entre la France et les Comores, lequel prévoit une aide au développement de 150 millions d'euros en contrepartie d'actions contre les flux migratoires vers Mayotte ? Quelles sont vos analyses concernant le flux des migrants fuyant les zones de conflit de l'Afrique de l'Est, qui ont un fort impact sur l'archipel de Mayotte ? Comment ces flux évolueront-ils dans les prochains mois, voire les prochaines années ?
En Angleterre, une loi vient d'être votée afin d'envoyer tous les demandeurs d'asile politique déboutés au Rwanda, l'un des pays de provenance des migrants arrivant à Mayotte, qui est aujourd'hui le point d'entrée en Europe... De plus en plus de personnes vont donc converger vers notre île ! On nous promettait un « rideau de fer » ; je ne vois qu'un rideau de fumée.
Mme Micheline Jacques, président. - La Russie avait annoncé qu'elle était prête à aider les Comores à récupérer Mayotte et le président de l'Union des Comores, Azali Assoumani, a félicité le président russe Vladimir Poutine pour sa réélection. Enfin, cet État a été choisi pour l'organisation des Jeux des îles de l'océan Indien, pour lesquels Mayotte avait déposé sa candidature. Les déclarations du président comorien, se félicitant de la nomination de son pays, avaient selon moi un caractère provocateur et je considère que la France aurait dû y réagir plus fermement.
Mme Emmanuelle Blatmann. - Je répondrai en diplomate... En effet, monsieur le sénateur Saïd Omar Oili, je suis viscéralement afro-optimiste, sans pour autant minimiser les défis. Nous devons aider les pays africains à surmonter leurs difficultés, notamment du fait de la proximité de nos territoires ultramarins, et ce que nous faisons à cet égard a du sens.
Je ne crois pas avoir dit qu'il fallait être « gentil » avec les autorités comoriennes. Notre action passe par la diplomatie, la persuasion et la négociation, et nous considérons que la coopération est nécessaire pour parvenir à nos fins. Si nous cessions toute discussion avec les autorités régionales au motif que certains États contestent la souveraineté française sur nos territoires de la zone, l'effet serait contreproductif.
Nous sommes non pas complaisants à l'égard de l'Union des Comores, mais partisans de relations transactionnelles. On peut certes ralentir et contenir les flux migratoires, mais nous ne pourrons pas faire disparaître les aspirations des Africains qui souhaitent quitter leur pays. Nous avons obtenu des autorités comoriennes des décisions favorables puisque 25 000 migrants clandestins sont renvoyés aux Comores chaque année, ce qui est colossal. Par ailleurs, les moyens accordés aux garde-côtes ont permis d'éviter 6 000 départs par an. Nous ne souhaitons pas que Mayotte devienne un Lampedusa de l'océan Indien ! Nous faisons donc pression sur nos partenaires africains pour qu'ils empêchent les départs et les transits. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, qui a fait sa première tournée en Afrique voilà quelques semaines, a abordé notamment ce sujet avec son homologue rwandais.
Il n'y a pas de solution miracle, mais sans ces échanges, la situation risque d'empirer et nous n'aurons plus de leviers pour agir. Pour autant, cet appui financier et matériel de la France demeure assez modeste au regard de l'aide publique au développement, qui représente 15 milliards d'euros. Quoi qu'il en soit, nous ne sous-estimons pas les problèmes.
Pour ce qui concerne nos compétiteurs stratégiques, il est vrai que la Chine et la Russie ont recours à des méthodes souvent déloyales ou agressives. Mais sur le plan économique, un certain nombre de pays africains se rendent compte que la durée de vie des routes chinoises est limitée, que la Chine leur impose un taux d'endettement insoutenable et qu'ils doivent diversifier les partenariats... Il nous revient donc de démontrer que nous sommes des partenaires crédibles, fiables, efficaces.
Les Russes utilisent des méthodes inacceptables - désinformation, diffamation, etc. - aux Comores, à Madagascar et ailleurs. Le Quai d'Orsay a récemment mis en place une structure visant à lutter contre la désinformation et à envisager la riposte à ces attaques méprisables. Nous défendrons la souveraineté française dans nos territoires ultramarins, qui est pour nous une source de fierté.
En termes de coopération régionale, laquelle est un facteur de stabilité pour la zone tout entière, le potentiel est énorme. Nous ferons donc tout ce qui est en notre pouvoir pour la favoriser.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons compris que les enjeux dans la zone étaient énormes, compte tenu de la situation instable des pays africains voisins. J'ai noté votre enthousiasme et votre volonté de faire avancer les choses. Nous vous remercions de ces éclairages.
Jeudi 2 mai 2024
Audition d'Alex-David Guillon, Premier conseiller auprès de
Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie
Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons pour la seconde séquence de ce matin, en visioconférence, M. Axel-David Guillon, Premier conseiller auprès de l'ambassadeur de France en Tanzanie. Une manifestation officielle retient malheureusement son Excellence M. Nabil Hajlaoui, ambassadeur de France en Tanzanie. M. Alex-David Guillon le remplace.
Notre délégation se rendra à Mayotte à la fin du mois de mai. Nous avons également auditionné le président Ben Issa Ousseni, à la suite de la signature d'une convention-cadre entre le ministère des affaires étrangères et le conseil départemental de Mayotte.
Dans le cadre de leurs réflexions, les rapporteurs ont relevé ce paradoxe de la proximité de certains États et de la modestie des actions de coopération avec nos outre-mer. Ils ont notamment mesuré certaines perspectives très prometteuses de coopération entre Mayotte et la Tanzanie, qui se trouve en face de Mayotte à l'entrée du canal du Mozambique.
C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité vous entendre, à la fois pour que vous fassiez un état des lieux des relations actuelles, mais surtout pour que vous nous informiez sur les projets ou perspectives dans les domaines économiques, agricoles, culturels et des transports. Les enjeux de sécurité et d'immigration sont également forts, la Tanzanie étant le pays de transit de nombreux migrants en provenance d'Afrique continentale vers Mayotte.
M. Axel-David Guillon, Premier conseiller auprès de l'ambassadeur de France en Tanzanie. - Pour l'ambassade de France en Tanzanie, il est essentiel d'améliorer l'intégration régionale de Mayotte. Il existe des liens culturels très forts entre cette île et la Tanzanie, et notamment avec Zanzibar, mais aussi des liens économiques et dans le domaine de l'éducation.
Depuis plusieurs années, nous travaillons en vue de favoriser les activités économiques de Mayotte en Tanzanie. Nous avons ainsi noté que nombre de commerçants mahorais venaient s'approvisionner dans ce pays, et nous avons reçu de nombreuses délégations d'entrepreneurs agricoles souhaitant y produire pour exporter vers Mayotte ; un premier accord a d'ailleurs été signé entre une société mahoraise et une ferme tanzanienne.
L'ambassade a aussi mis en place des coopérations culturelles dans les domaines de la musique, de la danse, notamment le hip-hop, et du théâtre - par exemple, au travers d'une résidence à l'Alliance française de Dar Es Salaam. Nous avons aussi mis en place un programme de formation au swahili à destination d'une délégation d'hommes d'affaires mahorais. Actuellement, nous étudions un projet d'échanges entre le lycée technique de Mayotte et l'Alliance française en Tanzanie.
Nous nous efforçons aussi de faire connaître aux Tanzaniens le programme européen Interreg, dont l'objet est d'accorder des subventions à des régions ultrapériphériques. À cette fin, nous échangeons avec la préfecture et les élus de Mayotte afin d'inciter les autorités tanzaniennes à signer cet accord.
Pour ce qui concerne l'immigration clandestine, nous avons constaté depuis 2021 un basculement, lié à la crise du covid et à la fermeture de l'aéroport de Madagascar, des filières de transit vers Mayotte depuis la Tanzanie. Nous échangeons beaucoup avec les Tanzaniens, qui font preuve d'un esprit constructif et sont demandeurs de partenariats, sur ce phénomène récent, et préparons plusieurs accords visant à lutter contre l'immigration clandestine et les réseaux de passeurs. En effet, des Somaliens et des Éthiopiens transitent par la Tanzanie pour se rendre en Afrique du Sud.
Les États de la région des Grands Lacs - Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo, etc. - étant membres de la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC), les ressortissants de ces pays n'ont pas besoin de visa pour se rendre en Tanzanie, ce qui rend difficile la détection des flux migratoires. Plusieurs réseaux de passeurs qui conduisaient des clandestins à Mayotte ont cependant été démantelés par les Tanzaniens À cet égard, nous partons donc sur de bonnes bases.
Un autre flux migratoire est composé de Comoriens transitant par l'aéroport de Dar Es Salaam, avec de faux papiers ou des passeports volés, pour se rendre en France métropolitaine. Les Tanzaniens nous ayant sollicités pour les aider à résoudre ce problème, il y aura à l'ambassade, à partir de septembre 2024, un conseiller chargé de la sécurité et de l'immigration qui formera à la détection de la fraude documentaire et sera le point de contact avec les autorités tanzaniennes de toutes nos actions de lutte contre l'immigration clandestine.
M. Georges Patient, rapporteur. - Quelles sont les relations de l'ambassade de France en Tanzanie avec les Comores ? Subissez-vous des pressions de la part d'États qui ne souhaitent pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte ?
M. Axel-David Guillon. - Les autorités comoriennes ont tenté de faire pression sur les Tanzaniens pour entraver les projets de coopération que nous avons avec Mayotte, mais ceux-ci n'ont jamais donné suite à ces tentatives.
Lors de la mise à jour de l'accord bilatéral de services aériens (ASA) entre la France et la Tanzanie, les Tanzaniens ont souhaité qu'Air Tanzania puisse desservir Mayotte, mais ils n'ont pas mis en place de lignes directe entre Dar Es Salaam et Mayotte, pour plusieurs raisons. L'ambassade comorienne leur a rappelé que la Tanzanie, en tant que membre de l'Union africaine, ne devait pas reconnaître la souveraineté française sur Mayotte - mais les Tanzaniens considèrent que cette position ne reflète pas la réalité des relations entre la France et les Comores. Ensuite, la Tanzanie ne dispose pas d'un nombre suffisant d'avions pour desservir Mayotte. Pour notre part, nous insistons après de la compagnie aérienne publique et des compagnies privées tanzaniennes pour leur expliquer qu'il existe un énorme potentiel de fret commercial aérien entre ces deux territoires.
M. Saïd Omar Oili. - La question posée par Georges Patient sur la pression exercée par les autorités comoriennes est pertinente. Notre interlocuteur s'exprime en termes diplomatiques, mais nous savons, en tant que politiques, que cela ne suffira pas...
Quelles actions la Tanzanie mène-t-elle pour lutter contre les organisations criminelles qui profitent de la misère humaine pour faire de l'argent, en mettant en péril la vie des migrants qui veulent rejoindre Mayotte ? Quelles initiatives la France prend-elle auprès des autorités tanzaniennes pour lutter contre ces trafics ?
Il existe un lien culturel très fort entre la Tanzanie et les Comores, et il suffit que les autorités comoriennes s'opposent aux initiatives mahoraises pour que les autorités tanzaniennes lâchent prise. Que peut faire la France en Tanzanie pour prévenir le problème migratoire ?
M. Axel-David Guillon. - La Tanzanie a démantelé plusieurs filières migratoires, mais ses moyens sont modestes. À sa demande, nous développons cet axe de coopération pour aider les autorités tanzaniennes à détecter et démanteler ces filières ; un grand projet est ainsi en cours de préparation par Civipol.
Nous travaillons également sur un projet d'accord de facilitation de transit à partir de l'aéroport de Dar Es Salaam. Il semblerait en effet qu'à Mayotte de nombreux clandestins soient disposés à effectuer un retour volontaire vers leur pays d'origine - Burundi, Rwanda, RDC. Or il n'y a pas de vol direct entre Mayotte et ces pays ; la plateforme de transit serait donc la Tanzanie, qui a des lignes commerciales avec ces trois pays.
Par ailleurs, nous élaborons actuellement avec la Tanzanie une coopération dans le domaine de la sécurisation des frontières et de la lutte contre l'immigration clandestine.
Le sujet de l'immigration clandestine entre les Comores et la Tanzanie est sensible. Voilà six mois, un navire parti de Tanzanie a ainsi été repoussé par les Comoriens et escorté dans les eaux tanzaniennes, ce que les Tanzaniens ont refusé ; une mini-crise diplomatique s'est ensuivie.
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons appris au cours d'une audition que Mayotte souhaitait développer des coopérations agricoles pour atteindre l'autosuffisance alimentaire. La Tanzanie pourrait-elle mettre des terres à disposition des Mahorais ?
Mayotte ne pouvant plus accueillir de migrants, serait-il possible de prévoir en Tanzanie une zone de rétention pour les demandeurs d'asile ?
M. Axel-David Guillon. - Dans le domaine de l'agriculture, l'ambassade a accompagné toutes les démarches des entreprises mahoraises en vue de développer les importations agricoles venant de Tanzanie, ce qui a abouti au contrat que j'ai précédemment évoqué. Mais ce n'est qu'une partie de l'équation. En effet, il n'existe pas dans ce pays de laboratoire qui fasse de la certification ; le plus proche est à Nairobi. Par ailleurs, il n'y a pas de liaison maritime directe entre la Tanzanie et Mayotte - un projet en ce sens de la société CMA CGM est actuellement en cours d'étude.
La question du fret aérien est essentielle et nous avons contacté plusieurs sociétés aériennes privées pour les inciter à lancer de telles lignes ; il existe en effet à Mayotte une forte demande de produits frais. Le problème est que ces sociétés ont leur propre plan de développement régional ; Mayotte n'est pas encore leur priorité.
Le sujet de l'installation de main-d'oeuvre mahoraise en Tanzanie est assez sensible, car dans ce pays 70 % de la population est rurale et exerce une activité agricole ; par ailleurs, le taux de chômage des jeunes est élevé. Les Tanzaniens accepteront donc difficilement que des permis de travail soient délivrés à des Mahorais. Mieux vaudrait développer des accords d'achat entre sociétés mahoraises et entreprises agricoles tanzaniennes.
J'en reviens au sujet de l'immigration. La Tanzanie est, après l'Ouganda, le pays d'Afrique de l'Est qui accueille le plus de réfugiés, dans des camps gérés conjointement avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Les Tanzaniens veulent à tout prix fermer ces camps ; ils rapatrient, par exemple, les réfugiés burundais dans leur pays d'origine.
Les migrants issus de la région des Grands Lacs qui arrivent en Tanzanie sont simplement en transit : ils ne se présentent pas à l'ambassade, mais empruntent les moyens de transport tanzaniens pour se rendre dans un port afin d'embarquer à bord d'un bateau de pêcheur à destination de Mayotte. Nous travaillons donc avec les Tanzaniens afin d'élaborer un accord visant à faciliter le transit dans la zone commerciale de l'aéroport de Tanzanie, pour permettre le rapatriement volontaire de certains de ces migrants vers leur pays d'origine ; nous avons bon espoir de voir cet accord aboutir dans les prochaines semaines.
Mme Micheline Jacques, président. - La Tanzanie offre en effet de formidables opportunités, qui permettront à Mayotte de se développer.
Nous vous remercions de votre exposé.
Jeudi 13 juin 2024
Audition de S.E. M. Ali Jabir
Mwadini, ambassadeur de
la République de Tanzanie en France
Mme Micheline Jacques, président. - Dans le cadre de la préparation de notre rapport sur la coopération et l'intégration régionales des outre-mer, nous accueillons ce matin Son Excellence M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France, accompagné de M. Amos Brown Tengu, conseiller.
Les relations bilatérales entre la France et la Tanzanie sont excellentes et ne cessent de s'approfondir, comme en témoigne la visite à Paris le mois dernier de Samia Suluhu Hassan, présidente de la République unie de Tanzanie.
Nos travaux portent sur la coopération et l'insertion régionales des territoires ultramarins français de l'océan Indien - Mayotte, La Réunion et les Terres australes et antarctiques françaises. Les relations des territoires français de la région avec les pays voisins sont encore insuffisantes, notamment dans le domaine économique. Ce défaut d'insertion est d'autant plus dommageable que les menaces, les risques, mais aussi les opportunités dans la zone sud de l'océan Indien ne cessent de croître. La Tanzanie nous paraît devoir être l'un des partenaires majeurs pour une coopération efficace et fructueuse pour tous.
À Mayotte, le mois dernier, nous avons constaté une forte envie de développer des relations durables et stratégiques avec la Tanzanie, tout particulièrement dans le domaine agricole. Les liens culturels et linguistiques sont déjà très forts.
Par ailleurs, la Tanzanie est un territoire de transit de nombreux flux migratoires, dont certains ont pour destination Mayotte. Comment envisagez-vous la coopération avec les autorités françaises sur ce sujet crucial pour l'avenir de Mayotte, petit territoire qui ne peut absorber un choc migratoire supplémentaire ?
M. Ali Jabir Mwadini, ambassadeur de la République unie de Tanzanie en France. - Je vous remercie de votre invitation et je suis ravi d'être ici pour partager des idées avec vous et voir comment nous pouvons faire progresser notre coopération.
Comme vous l'avez mentionné, nos relations sont excellentes. J'étais à Paris en février 2022 et les échanges ont été fructueux, en particulier avec le président de la République. À cette occasion, des accords portant notamment sur la santé, l'assainissement et les infrastructures ont été signés. En novembre 2023, notre ministre des affaires étrangères s'est rendu en France et s'est entretenu avec plusieurs ministres. En mai 2024, notre présidente a coprésidé avec la Norvège un très important Sommet sur l'accès à la « cuisson propre » en Afrique, organisé par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à Paris, en présence du président de la Banque africaine de développement. L'objectif était de trouver des moyens de lutter contre le changement climatique au travers de pratiques de cuisson plus propres. En effet, plus de 80 % de la population africaine utilise encore le feu de bois, les bouses séchées ou le charbon pour cuisiner. C'est donc très important pour la planète. Le soutien de la France à la délégation tanzanienne a été très clair et nous avons pu évoquer ce sujet également avec le président Emmanuel Macron.
La visite de notre présidente en mai a été l'occasion de signer une « déclaration de Paris », entre la France et la Tanzanie, qui identifie quatre domaines de coopération.
Le premier domaine de coopération est l'énergie, ce qui inclut notre travail sur les pratiques de cuisson propres et les questions de transition énergétique, afin de limiter le changement climatique.
Le deuxième domaine concerne le développement des infrastructures, qui est une priorité pour notre pays. Notre coopération en matière de voies ferrées et d'infrastructures maritimes est bonne.
Le troisième domaine a trait à l'eau et à l'économie bleue. Via l'Agence française de développement (AFD), la France soutient de nombreux projets en Tanzanie. L'économie bleue est une priorité notamment pour Zanzibar, avec le tourisme, la pêche, les ports. Plusieurs entreprises françaises investissent dans ces secteurs.
Le quatrième domaine est relatif à l'agriculture. Aujourd'hui, 70 % de la population tanzanienne dépend de l'agriculture pour ses revenus. Ce secteur, qui représente 25 % de notre PIB, est donc très important. Or, la France est très avancée, notamment en matière de technologie agricole.
Je mentionne aussi l'égalité hommes-femmes, notamment la question de l'autonomisation des femmes sur laquelle la Tanzanie souhaite faire figure d'exemple dans le monde entier, dans toutes les sphères et particulièrement en matière de leadership et d'autonomisation économique.
Voici les principaux domaines sur lesquels nous pensons pouvoir nous concentrer dans le cadre de notre coopération.
Mme Micheline Jacques, président. - La question agricole est cruciale pour Mayotte, tout petit territoire, sans autosuffisance alimentaire. Des discussions sont en cours entre Mayotte et la Tanzanie pour envisager la mise à disposition de terres tanzaniennes à des agriculteurs mahorais. Où en est ce projet ? Est-il réalisable ?
M. Ali Jabir Mwadini. - La Tanzanie est ouverte aux investisseurs, avec une politique d'investissement très progressiste. France, Burundi... nous traitons tous les pays de la même façon.
Je voulais vous poser une question : où en sont les discussions entre la France et les Comores au sujet de Mayotte ?
Mme Micheline Jacques, président. - C'est un sujet délicat. L'ambassadeur de France aux Comores travaille sur des projets de développement. Les Comores ont accepté que les Jeux des îles de l'océan Indien se déroulent à Mayotte en 2035 : c'est une petite avancée. Nous avançons petit à petit.
M. Ali Jabir Mwadini. - Par conséquent, un engagement économique qui ne perturbe ni nos relations avec les Comores ni les vôtres est envisageable. Mais c'est délicat et sujet à interprétation : nous devons en tenir compte. L'accord entre la France et les Comores est important, car l'Union africaine ne reconnaît pas Mayotte comme un territoire français. Nous sommes prêts à coopérer avec la France sur le volet économique, y compris en mettant à disposition différentes ressources pour favoriser l'autonomie alimentaire de Mayotte, mais cela ne doit pas menacer les relations entre nos trois pays. La France comme les Comores sont nos meilleurs amis et c'est un sujet sensible pour eux. Nous ne souhaitons pas perturber les relations que nous avons avec l'un et l'autre de ces pays.
Mme Micheline Jacques, président. - Notre ministre de l'Europe et des affaires étrangères vous répondrait plus précisément que moi sur les relations France-Comores.
Une convention signée entre le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'Intérieur et des outre-mer et le conseil départemental de Mayotte facilite désormais les initiatives du président du conseil départemental pour tisser des liens économiques avec les pays voisins. Bien entendu, il ne s'agit pas de porter préjudice aux relations qu'entretiennent les pays dans la zone.
M. Ali Jabir Mwadini. - Nous verrons comment travailler de la meilleure façon possible avec la France, particulièrement Mayotte - notamment pour faciliter l'accès des habitants de Mayotte aux produits alimentaires -, mais je ne peux pas vous donner de réponse directe.
La Tanzanie possède d'importantes ressources agricoles ; c'est l'un des pays africains autonomes dans le domaine alimentaire, notamment sur les céréales, les légumineuses, les haricots, les pois chiches et nous sommes exportateurs nets d'animaux vivants et de viande. Nous exportons vers les pays voisins, notamment les Comores.
Nous pouvons faciliter la mise à disposition de terrains, via des groupes d'investisseurs, pour de la culture ou de l'élevage au bénéfice de Mayotte, voire de La Réunion. Cela ne devrait pas poser problème.
Mme Micheline Jacques, président. - Lors de notre venue à Mayotte, les représentants de CMA CGM nous ont fait part de difficultés liées à l'absence de liaisons directes entre la Tanzanie et Mayotte. Les produits que la Tanzanie exporte font plusieurs étapes avant d'arriver à Mayotte. Le développement portuaire que vous envisagez permettra-t-il ces liaisons directes ?
M. Ali Jabir Mwadini. - Avant tout, il nous faut des opérateurs. Je ne connais pas le droit de la mer dans le détail, mais je sais que des questions de souveraineté se posent également. D'autres pays, comme l'Afrique du Sud et Madagascar, ont des liaisons directes avec Mayotte. S'il n'y a pas d'obstacle, pourquoi ne pas améliorer la situation ? Il n'y a pas de commerce sans connectivité.
Mme Micheline Jacques, président. - S'agit-il d'un problème d'infrastructures ?
M. Ali Jabir Mwadini. - Nous avons les infrastructures - les ports de Mtwara, de Dar es Salaam et de Zanzibar -, mais il nous faut aussi des navires et des opérateurs.
Mme Micheline Jacques, président. - Vos exportations pâtissent-elles de barrières normatives ? En tant que régions ultrapériphériques de l'Union européenne, Mayotte et La Réunion sont soumises aux normes européennes, qui sont parfois très contraignantes. Est-il difficile d'exporter vers ces territoires ?
M. Ali Jabir Mwadini. - La question se pose pour l'ensemble du territoire français, et pas seulement pour ces territoires ultramarins, car la France est un plus grand marché. Certains produits tanzaniens sont disponibles en France, mais en faible quantité.
J'ai participé à différentes réunions de travail en Tanzanie avec des expatriés travaillant dans le domaine commercial pour mieux comprendre comment exporter vers la France. Les règles phytosanitaires sont strictes pour la plupart des pays africains. Pourtant, nous avons d'excellents produits. Alors qu'ils sont encore plus biologiques que les vôtres, sans engrais ni pesticides, ils ne sont pas considérés comme tels par l'Union européenne. Faute de respecter un ou deux critères - sur la manipulation ou le stockage -, certains de nos produits ne peuvent entrer sur le marché européen. J'espère que le Sénat nous soutiendra. Il existe en Tanzanie une organisation, soutenue par l'Union européenne, qui aide les agriculteurs tanzaniens à comprendre comment préparer au mieux leurs produits pour le marché européen.
Ce n'est toutefois pas suffisant ; une telle démarche devrait être déployée à l'échelle nationale, afin d'exporter nos autres produits - avocats, poissons, viandes, céréales -, qui peuvent être compétitifs sur le marché européen.
Notre énorme potentiel d'exportations vers l'Europe serait profitable à tous : aux agriculteurs tanzaniens qui obtiendront un meilleur prix et aux consommateurs européens qui auront accès à de meilleurs produits moins chers. Je pense aux avocats, vendus ici 2 euros pièce ; pour 2 euros, vous pouvez avoir 4 kg d'avocats en Tanzanie !
Cela dit, l'Union européenne est-elle prête à adapter ses normes pour permettre à certains partenaires, comme la Tanzanie, d'accéder à son marché ?
Mme Micheline Jacques, président. - Nous avons plaidé en faveur d'un système normatif pour les régions ultrapériphériques (RUP) avec des équivalences, pour mettre fin à certaines aberrations. Par exemple, la Guyane, voisine du Brésil, qui est le premier producteur mondial de bois, doit importer son bois de Scandinavie, afin qu'il soit conforme aux normes européennes.
La délégation sénatoriale aux outre-mer a beaucoup travaillé sur les questions d'adaptation normative afin de développer les échanges avec les pays étrangers et d'éviter des surcoûts énormes. En effet, la plupart des produits arrivant à Mayotte proviennent de la France hexagonale. Nous pourrions coopérer sur ce sujet. D'ailleurs, avez-vous des contacts avec des laboratoires français ? À Madagascar par exemple, l'Institut Pasteur vérifie si les produits agricoles qui arrivent respectent les normes européennes.
M. Ali Jabir Mwadini. - Ces sujets doivent faire l'objet d'un effort continu. La Chambre de commerce franco-tanzanienne, dirigée par Christophe Darmois, travaille sur ces questions.
Grâce au travail avec les experts, il faut identifier les lacunes et voir comment les combler.
Nos laboratoires peuvent aider les entreprises à adapter leurs produits aux normes pour l'exportation vers la France et le reste de l'Europe. Certains hommes d'affaires français en Tanzanie exportent des produits biologiques vers la France.
Pour Mayotte, nous pouvons travailler avec les Chambres de commerce et organiser des visites de délégations. Il faudra approfondir notre coopération sur ce plan et identifier les bons interlocuteurs. Notre laboratoire et notre autorité en matière de réglementation des produits alimentaires sont de haut niveau et, à chaque visite de délégation pour vérifier notre système de contrôle, celui-ci surprend par sa grande qualité. Nous exportons déjà différents produits vers la Belgique et l'Allemagne. D'ailleurs, certains produits importés en France transitent par l'Allemagne. Je vais bientôt rencontrer des représentants de Business France à ce sujet et j'ai également été en contact avec le Medef qui ne s'occupe néanmoins pas des produits en tant que tels. Nous pourrons ensuite rencontrer les personnes plus directement concernées par ces domaines. Nous serions ravis d'organiser des réunions à distance afin de trouver des partenaires en France pour étudier comment exporter nos produits vers la France et comment établir des entreprises en France.
Mme Micheline Jacques, président. - Je vais aborder le sujet migratoire puisque Mayotte est soumise à une crise liée à l'afflux migratoire en provenance des pays de la région des Grands Lacs. La Tanzanie est le pays par lequel passent ces personnes pour demander l'asile en France.
Quelle coopération avez-vous développée avec la France pour maîtriser l'immigration illégale vers les territoires français, notamment Mayotte ?
M. Ali Jabir Mwadini. - La crise migratoire à Mayotte nous renvoie à l'obligation de la Tanzanie, et de toute la communauté internationale, de s'assurer qu'il n'y a pas d'immigration illégale. La Tanzanie est prête à jouer ce rôle et le fait notamment en lien avec les autorités françaises. Deux projets d'accords bilatéraux ont été rédigés : l'un concerne un sujet encore secret et l'autre l'immigration. Cela nous permettra d'avoir un plan clair pour lutter contre l'immigration clandestine.
En Tanzanie, nous avons stoppé l'immigration vers l'océan Indien et vers l'Afrique australe. De nombreux migrants traversent la Tanzanie en direction de l'Afrique australe. Nous travaillons d'arrache-pied sur cette question. Nous sommes prêts à renforcer notre coopération avec la France à ce sujet. D'ailleurs, ce point a été abordé lors de la visite de notre présidente en France ; nous accueillerons avec plaisir le ministre de l'Intérieur et des outre-mer en Tanzanie pour qu'il rencontre son homologue, mais une telle visite n'est pas à l'ordre du jour.
Les personnes qui voyagent vers les territoires français ne sont généralement pas des ressortissants tanzaniens. La Tanzanie est en effet un pays de transit.
Mme Micheline Jacques, président. - Avez-vous des difficultés à obtenir des visas pour que des Tanzaniens se déplacent en France ? À l'inverse, quid des Mahorais qui voudraient venir en Tanzanie pour développer des activités économiques ?
M. Ali Jabir Mwadini. - Pour les demandes de visa de Tanzaniens souhaitant voyager en France, l'ambassadeur est très coopératif mais le système n'est pas aussi ouvert que le nôtre. Un Français peut faire sa demande de visa en ligne, qu'il obtiendra rapidement pour 50 dollars ; la demande de visa peut également se faire à l'aéroport de Dar es Salaam. Ainsi, pour toute personne possédant un passeport français, et pas seulement pour les résidents de l'Hexagone, c'est très facile de voyager vers la Tanzanie.
Pour les Tanzaniens, c'est plus compliqué. Par exemple, j'ai essayé de recruter un chauffeur tanzanien, mais les processus de visa étaient trop longs. D'ailleurs, on ne sait pas très bien s'il est possible de demander un visa touristique d'abord et d'obtenir un visa de travail ensuite.
Les Tanzaniens vont à l'étranger, mais ils rentrent chez eux ensuite, si bien que la diaspora tanzanienne est probablement la plus faible d'Afrique.
Nous aimerions que la procédure d'obtention d'un visa pour les Tanzaniens soit facilitée, afin d'améliorer les échanges économiques entre nos deux pays.
Le désir de retourner en Tanzanie est accentué par les opportunités économiques locales : le secteur touristique est en pleine croissance. D'ailleurs, la France est le seul pays européen avec lequel nous avons des vols directs, opérés par Air France, ce qui a fortement contribué à notre essor touristique.
Mme Micheline Jacques, président. - Merci, Monsieur l'Ambassadeur, pour ces précisions. Ce sont des discussions que vous pouvez mener avec les ministres compétents.
Comment percevez-vous le programme Interreg Canal du Mozambique (2021-2027), financé par l'Union européenne et géré par Mayotte ? Pensez-vous que la mobilisation des crédits pour ce type de projets de coopération avec la Tanzanie est simple à mettre en place ?
M. Ali Jabir Mwadini. - Je ne connais pas bien ce projet. En lisant la question, j'ai cru initialement qu'il s'agissait d'une amélioration de la situation en matière de sécurité. Je vais être honnête avec vous : quand Mayotte intervient dans l'équation, cela soulève des questions très sensibles que j'ai déjà mentionnées.
Nous sommes prêts à travailler avec la France, sans nous poser de questions. Pour ma part, avant de vous répondre, je dois approfondir mes connaissances sur le programme Interreg que vous mentionnez afin d'étudier comment nous pouvons aborder des projets dans ce cadre.
Mme Micheline Jacques, président. - Ce sont des sujets sensibles, qu'il est parfois préférable de ne pas trop évoquer afin de ne pas augmenter les tensions.
La Tanzanie est un pays très accueillant, doté d'un fort potentiel agricole. J'ai d'ailleurs lu que cette région pourrait devenir le grenier du monde. Par conséquent, il est important de vous permettre d'exporter vos productions vers le marché européen, en les adaptant aux normes qui le régissent, comme de développer les échanges, notamment avec Mayotte et La Réunion, deux îles françaises de l'océan Indien.
Je vous remercie de ces éclairages. Nous sommes preneurs de tout complément écrit que vous souhaiteriez apporter et nous serions ravis de poursuivre les échanges afin de fluidifier les relations et la coopération économique entre la Tanzanie et les territoires français proches.
M. Ali Jabir Mwadini. - Je remercie la délégation sénatoriale aux outre-mer de son accueil et de son ambition de développer la coopération avec la Tanzanie. Nous serons ravis de vous accueillir afin que vous rencontriez vos homologues et pour évoquer les engagements de la Tanzanie envers la France, notamment en matière économique. Je serai également ravi d'avoir des éclaircissements sur certains sujets évoqués et de poursuivre notre travail avec vous à l'avenir.
Mardi 18 juin 2024
Audition, en commun avec la
commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées, du Général de division
François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des
forces-protection » de l'État-major des armées sur
l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Mes chers collègues, nous sommes très heureux d'accueillir le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées. Cette audition portant sur l'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion, et organisée conjointement avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, clôt ainsi un cycle d'auditions sur le thème de la coopération et l'intégration régionales des outre-mer du bassin de l'océan Indien.
Chacun connaît l'enjeu que représente la zone Indopacifique, qui génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040. Il s'agit d'une région cruciale pour la production de richesses et pour les flux commerciaux, traversée d'enjeux géopolitiques majeurs.
Dans un rapport publié l'année dernière, notre commission a mis l'accent sur la nécessité de préciser la stratégie Indopacifique de la France, jusqu'à présent trop générale, en la divisant selon quatre zones, ce qui permettrait notamment de mieux associer les pays concernés.
La première de ces zones serait précisément l'océan indien occidental, englobant La Réunion, Mayotte, les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, et associant de façon secondaire l'Inde. Selon nous, dans cette vaste région, la France a un rôle de pourvoyeur de sécurité à jouer et une place particulière à tenir, car sa légitimité y est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (Fazsoi), et à ses deux forces de présence, les forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ).
Toutefois, les moyens militaires des forces de souveraineté nous semblent inadaptés aux caractéristiques de l'Indopacifique et aux ambitions affichées de la stratégie française. Les personnels ont subi une forte attrition ; les matériels sont très vieillissants, surtout les hélicoptères ; les bases, notamment à La Réunion, doivent être rénovées. Pour les navires, d'importantes ruptures temporaires de capacité sont prévues jusqu'en 2025. Le porte-avions de nouvelle génération, les nouveaux patrouilleurs d'outre-mer (POM), les avions ravitailleurs et les moyens de renseignement sont autant d'autres sujets qui nous préoccupent.
Mon général, vous pourrez, sur votre périmètre de compétence, faire le point sur ces sujets ainsi que sur l'exécution de la loi de programmation militaire (LPM), mais aussi, compte tenu de ces contraintes sur les équipements et leur disponibilité, sur votre capacité à entraîner suffisamment nos militaires, dans le contexte actuel de montée des tensions.
Enfin, notre rapport avait également mis l'accent sur la nécessité de mieux associer nos territoires ultra-marins à notre stratégie ; cette audition en commun avec la délégation à l'outre-mer est aussi l'occasion d'aborder cette question.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je remercie vivement le président Cédric Perrin de nous avoir associés à cette audition qui vient clore notre cycle d'auditions sur le thème de la coopération et de l'intégration régionales des outre-mer du bassin de l'océan Indien.
En effet, depuis janvier, avec Christian Cambon en qualité de rapporteur coordonnateur, et Stéphane Demilly et Georges Patient en qualité de rapporteurs, nous menons des travaux sur les enjeux de la coopération régionale pour Mayotte, La Réunion et les TAAF en vue de renforcer leur insertion régionale, mais aussi de garantir leur sécurité face à des menaces croissantes. L'implication du président Cambon est importante compte tenu de sa connaissance de la politique étrangère française et des environnements stratégiques propres à chacun de nos outre-mer.
En plus des auditions, notre délégation s'est rendue en février à La Réunion et à Maurice, et en mai à Mayotte. À La Réunion, nous avons pu rencontrer le commandant des FAZSOI, le général Jean-Marc Giraud, qui nous a dressé un tableau géostratégique clair et saisissant de la zone sud-ouest de l'océan Indien. Pour reprendre ses termes, cette région « n'est plus à la périphérie des enjeux du monde ». Quatre raisons à cela : des contestations territoriales de plus en plus instrumentalisées ; une compétition militaire entre les grandes puissances ; des routes commerciales stratégiques, en particulier depuis la crise des Houthis en mer Rouge ; l'accumulation des menaces et risques : narcotrafics, pêche illégale, islam radical, sécheresse, immigration illégale...
Votre audition, général, est donc précieuse pour clore nos travaux et mesurer les enjeux de la coopération à l'aune des défis militaires plus larges de la région et de l'Indopacifique.
À la suite de votre exposé liminaire, je souhaiterais avoir votre éclairage sur deux aspects. En premier lieu, nos déplacements ont fait apparaître une faiblesse de l'action de l'État en mer, alors même que notre pays se targue de détenir le deuxième espace maritime dans le monde. La maigreur des moyens radars ou de surveillance aérienne par drones ou avions a notamment été pointée avec une forte acuité. Partagez-vous cette analyse ?
En deuxième lieu, compte tenu du positionnement géographique de Mayotte au coeur du canal du Mozambique, pouvez-vous nous présenter l'état de la coopération dans le domaine militaire dans ce secteur et autour de Mayotte ? Le ministère des affaires étrangères a conclu en mars dernier un accord-cadre avec le département de Mayotte pour mieux l'associer à la définition de sa politique dans la zone. Ne peut-on pas imaginer une convention analogue entre les armées et le département de Mayotte ?
Enfin, à titre plus personnel, je souhaiterais avoir votre avis sur l'idée d'y créer une base navale militaire.
Général François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces-protection » de l'état-major des armées. - Les enjeux qui sous-tendent l'environnement stratégique de la zone sud de l'océan Indien, et plus particulièrement de Mayotte et de La Réunion, ont conduit les armées, dans le cadre des travaux de la LPM, à placer cette zone au premier rang de ses priorités. L'effort au profit de celle-ci s'inscrit dans la stratégie globale de la France et se situe à la convergence de la stratégie Indopacifique, de la stratégie en Afrique et - dans une moindre mesure - de notre stratégie à l'égard du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Cette démarche traduit aussi pleinement notre volonté de défendre notre souveraineté outre-mer.
Après une présentation des enjeux stratégiques, j'aborderai la manière dont le dispositif militaire s'articule afin d'y répondre. Pour ce qui est des enjeux stratégiques de la zone, un élément positif mérite d'être relevé au préalable : dans un monde où, comme l'a écrit le chef d'état-major des Armées, « la compétition entre les nations est devenue le mode normal d'expression de la puissance », la zone sud de l'océan Indien reste relativement préservée des grands désordres puisqu'aucun conflit ouvert n'y a cours. Pour autant, elle est confrontée à une série de défis affectant la stabilité régionale, dont les risques cycloniques, la pression migratoire, le narcotrafic ou encore la piraterie. S'y ajoute, sur la côte de l'Afrique australe, la propagation de l'islamisme radical, en particulier au nord du Mozambique.
Dans ce contexte, nous devons faire preuve de vigilance à l'égard des convoitises visant nos ressources, notamment autour des îles Éparses et des TAAF. Nous devons également être vigilants quant à l'influence de nos compétiteurs, en particulier celle qui est exercée par la Russie et par la Chine.
Afin de faire face à ces défis, la France doit disposer de forces suffisantes dans la zone et être en mesure de les renforcer si nécessaire, d'où la notion de « points d'appui » que nous avons développée dans le cadre de la LPM. La Réunion et Mayotte font figure de bases militaires sûres, car elles sont situées sur le territoire national : ces points d'appui ne sont soumis ni aux potentielles versatilités politiques d'Etats tiers, ni à des menaces directes que pourraient connaître nos forces prépositionnées à Djibouti ou aux Émirats arabes unis (EAU).
Ils se trouvent également sur une route maritime majeure qui accueille une part du trafic maritime international plus importante que par le passé en raison des menaces existant en mer Rouge. Cela renforce la position géostratégique de Mayotte et de La Réunion, qui constituent de facto une pièce majeure de notre stratégie Indopacifique. Relativement excentrés, ces deux points d'appui nous fournissent une forme de profondeur stratégique essentielle vis-à-vis de nos compétiteurs majeurs et nous placent à bonne distance des éventuels conflits entre puissances : en cas de conflit ouvert dans le Pacifique, la zone sud de l'océan Indien pourrait assez naturellement procurer des facilités importantes en termes de soutien pour projeter des forces françaises ou alliées. La notion de points d'appui prendrait alors tout son sens pour accueillir, soutenir et régénérer ces forces. Enfin, ces points d'appui nous permettent d'intervenir dans la zone et dans sa périphérie afin de défendre nos intérêts stratégiques et notre souveraineté, de garantir la sécurité de nos ressortissants et d'intervenir au profit de nos partenaires dans la zone.
J'en viens à la coopération internationale, tout aussi essentielle à notre action. Au titre de sa stratégie Indopacifique, la France souhaite contribuer à la stabilité régionale et s'assure en particulier d'un libre accès aux espaces communs. Nous avons besoin pour cela de nous appuyer sur des partenaires régionaux, dans une zone qui rassemble une douzaine de pays aux problématiques continentales et insulaires assez diversifiées.
Cette zone sud de l'océan Indien englobe un espace maritime immense, dont un cinquième de la surface est placé sous juridiction française, ce qui est considérable. Elle est considérée par l'Inde comme sa zone d'influence, la Chine et la Russie s'y intéressant de plus en plus, au prisme de l'influence. Cet espace est notamment structuré par la Commission de l'océan Indien (COI), dont la France fait partie au titre de La Réunion, mais aussi, pour la partie africaine, par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
Si cette dernière zone est relativement stable en Afrique, elle est assez fortement soumise à l'influence de nos grands compétiteurs, à commencer par la Chine, qui y déploie une stratégie de captation des ressources de long terme accompagnée de programmes de coopération militaire assez puissamment soutenus. Depuis 2015, la Russie a quant à elle signé une série d'accords de coopération, notamment avec l'Afrique du Sud ; elle a récemment renforcé ses accords de coopération avec le Mozambique ; elle a enfin signé un accord de coopération militaire avec Madagascar en 2022.
Notre coopération régionale se décline en deux axes : d'une part, le renforcement de la coopération opérationnelle, qui vise à favoriser la montée en gamme des armées partenaires ; d'autre part, la lutte contre l'insécurité maritime, qui reste une préoccupation dans l'océan Indien. Dans ce domaine, l'appui de nos forces armées se concrétise par un soutien aux pays partenaires, mais également par un soutien apporté à des initiatives multilatérales telles que le Centre de fusion d'informations maritimes (CFIM) à Madagascar, qui a bénéficié d'une aide de la France et de l'Union européenne.
J'en viens désormais à la description plus détaillée de nos forces sur nos propres territoires. En matière de défense de notre souveraineté, la stratégie militaire mise en place par la France dans la zone sud de l'océan Indien peut être considérée comme un succès. Elle contribue à l'affirmation de notre souveraineté sur les îles Éparses et à la protection de nos zones économiques exclusives (ZEE) d'activités illicites telles que la pêche illégale, cette dernière ayant quasiment disparu.
La Réunion fait figure de pôle de stabilité, même s'il faut rester attentifs à des signaux faibles tels que l'importation de drogue depuis le sous-continent indien. La situation s'avère plus difficile à Mayotte, où l'État engage des moyens très importants. De manière générale, l'action des forces armées y est déjà très imbriquée avec l'action interministérielle : par exemple, la Marine nationale entretient des flottes d'intercepteurs de la gendarmerie et de la police aux frontières. Pour les armées, l'enjeu consiste bien à accompagner au mieux l'action interministérielle selon un équilibre qui est jusqu'à présent préservé, même si le détachement de Légion étrangère et la base navale de Mayotte sont fortement engagés au regard de leurs capacités. Le recours à des renforts temporaires en provenance de La Réunion pour faire face aux pics d'activité liés à des réquisitions préfectorales est quant à lui assez régulier.
Plus précisément, les FAZSOI sont à la tête d'une zone de responsabilité permanente (ZRP) immense qui représente 24 millions de kilomètres carrés, du Kenya jusqu'à l'Antarctique. Les espaces sous juridiction française abritent 1,3 million d'habitants, représentent plus du quart des ZEE françaises et comptent deux départements - Mayotte et La Réunion -, ainsi que neuf autres îles ou archipels.
Les FAZSOI sont commandées par le général Jean-Marc Giraud, qui exerce les fonctions de commandant supérieur et de commandant de la base de La Réunion. Commandant de la ZRP sud de l'océan Indien, il est également officier général de zone de défense et de sécurité, et il est aussi considéré comme un opérateur d'importance vitale. En résumé, le général Giraud dispose de l'intégralité des leviers de commandement et il est l'interlocuteur unique des autorités civiles, remplissant la fonction de conseiller militaire du préfet. Dans le domaine maritime, le général s'appuie sur son adjoint interarmées, un capitaine de vaisseau qui exerce la fonction de commandant de la zone maritime sud de l'océan Indien et qui soutient, par son action, les préfets de Mayotte et de La Réunion dans leurs fonctions de délégués du Gouvernement pour l'action de l'État en mer. Enfin, le chef d'état-major des FAZSOI, qui est un colonel de l'armée de l'air, est en mesure de prendre la fonction de Haute autorité de défense aérienne.
Les moyens des FAZSOI sont assez significatifs, le commandant supérieur disposant d'environ 2 000 hommes et femmes, pour la plupart des militaires. Parmi ceux-ci, 75 % sont en mission de longue durée - trois ans en moyenne - et 25 % affectés à des missions de quatre à six mois. En termes de répartition, environ 1 600 personnels sont positionnés à La Réunion et près de 400 à Mayotte. Dans le cadre du renforcement prévu par la LPM, ces effectifs seront augmentés de 220 postes pour La Réunion et de 90 postes pour Mayotte, avec un objectif de 2 360 postes au total en 2030, soit une augmentation assez significative d'environ 13 %.
Force interarmées, les FAZSOI comptent un régiment de parachutistes à La Réunion - il recevra bientôt deux hélicoptères Cougar - ainsi qu'un détachement de la Légion étrangère à Mayotte. Pour ce qui est de la marine, la base navale de La Réunion accueille deux frégates de surveillance, un bâtiment de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM), un patrouilleur polaire - L'Astrolabe, chargé du ravitaillement des terres polaires - et un patrouilleur complémentaire, Le Malin. Au titre de la LPM, deux POM seront affectés à La Réunion à partir de 2025 pour remplacer des patrouilleurs P400 retirés du service. Pour sa part, la base navale de Mayotte ne compte pas de navire propre, à l'exception d'un chaland de transport de matériel, mais soutient les vedettes côtières de la gendarmerie maritime et de la police aux frontières. Cette base navale accueille également le poste de commandement de l'action de l'État en mer, qui surveille en permanence les accès maritimes de Mayotte. Enfin, elle permet d'assurer le maintien en condition opérationnelle des intercepteurs des autres administrations.
Pour ce qui est des forces aériennes, La Réunion dispose de la base aérienne « lieutenant Roland Garros », qui accueille notamment deux avions de transport et un certain nombre d'hélicoptères ; aucune base aérienne à proprement parler n'existe à Mayotte, les aéronefs de La Réunion y étant accueillis par un bureau militaire de transit. Pour mémoire, chacun de ces deux territoires compte un régiment du service militaire adapté (SMA), qui ne relève pas de l'autorité du ministère des armées.
Ce dispositif va être renforcé tout au long de la LPM : pour la période 2024-2030, 13 milliards d'euros sont attribués aux forces armées stationnées dans les outre-mer, l'effort devant porter sur la modernisation des équipements, le durcissement de capacités ciblées en adéquation avec le contexte stratégique local, ainsi que sur le renforcement des points d'appui, essentiellement au moyen de la consolidation des structures portuaires et aéroportuaires.
Sur l'ensemble des outre-mer, les effectifs doivent augmenter de 10 %, ce qui représente plus de 1 000 postes. Pour la zone sud de l'océan Indien, cet effort se traduira par la création de plus de 300 postes et par une consolidation assez significative du point d'appui, notamment au travers d'un renforcement des capacités de la base aérienne et du port de La Réunion et du déploiement d'un détachement d'hélicoptères de l'armée de terre en 2028. Plus de 180 millions d'euros seront investis dans les infrastructures de La Réunion - hors logements - afin d'accroître les capacités d'accueil de ce point d'appui clé pour les forces françaises. Comme je l'indiquais précédemment, les FAZSOI recevront deux POM équipés de drones en 2025 et en 2026, ce qui renforcera sensiblement notre capacité de surveillance maritime. De plus, les travaux d'aménagement de la base aérienne permettront d'accueillir ponctuellement des drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de type Reaper, des avions de surveillance et de reconnaissance de type Falcon 2000 et des avions de transport de type A400, ou des ravitailleurs.
À Mayotte, le renfort de 90 personnels sur la durée de la LPM s'accompagne d'un investissement dans les infrastructures à hauteur de 50 millions d'euros afin de durcir et de moderniser les capacités. Le vieux chaland de transport de matériel sera également remplacé par un engin de débarquement amphibie moderne, tandis que le détachement de Légion étrangère sera renforcé par deux sections spécialisées, dont une section du génie. Le poste de commandement de l'action de l'État en mer sera également renforcé et modernisé.
S'agissant de l'emploi des forces, les FAZSOI contribuent à la collecte du renseignement militaire et à la construction d'une appréciation de la situation dans la zone, en s'appuyant sur les forces aériennes et maritimes tout comme sur les détachements de coopération se rendant dans les pays étrangers. De plus, sept attachés de défense sont présents dans la zone, sans oublier le bénéfice apporté par les missions ponctuelles des Falcon 50 et des frégates de la Marine.
Par ailleurs, les FAZSOI doivent contribuer à la prévention des crises. Elles conduisent ainsi une soixantaine de missions de partenariat militaire opérationnel et plusieurs exercices multinationaux majeurs, au nombre de deux à trois par an en moyenne, essentiellement à partir de La Réunion. Madagascar constitue la priorité de nos partenariats et de nos actions dans la région, suivi des Comores, du Mozambique et de la Tanzanie. La priorité de ces missions de coopération consiste à aider les armées partenaires, par exemple en armant des détachements pour des opérations de maintien de la paix, et plus généralement pour accompagner leur montée en gamme et améliorer leur interopérabilité avec nos forces.
En outre, les FAZSOI contribuent à une réflexion interministérielle en cours visant à proposer une Académie de l'océan Indien à nos partenaires régionaux : porté par le préfet de La Réunion, ce projet inclura des détachements d'instruction de ces forces.
La mission de protection des FAZSOI présente de multiples facettes, dont la protection permanente des trois îles Éparses dans le canal du Mozambique et la lutte contre l'immigration clandestine à Mayotte, avec un poste de commandement de l'action de l'État en mer actif 24 heures sur 24 et des opérations conduites sur terre en appui des forces de sécurité intérieure.
Les FAZSOI sont également en mesure de conduire des opérations de secours d'urgence et de défense civile, soit sur le territoire national, soit au profit de nos partenaires dans la zone. Leurs patrouilleurs participent ainsi chaque année à la Task Force 150, mission internationale qui compte plus d'une trentaine de nations associées pour patrouiller dans la zone nord de l'océan Indien et lutter contre les trafics divers. Les forces participent aussi, depuis 2021, à la mission de formation de l'Union européenne au profit des forces armées du Mozambique (EUTM), dans le cadre de la lutte contre l'État islamique au nord du pays.
Par ailleurs, ces forces contribuent à la défense et à la sécurité civile sous autorité préfectorale, comme lors du passage du cyclone Belal. À Mayotte, l'intervention des forces armées s'effectue sur réquisition du préfet, en particulier dans le cadre du plan de renforcement et d'approfondissement de lutte contre l'immigration clandestine (Pralic).
Enfin, les FAZSOI contribuent au rayonnement et à l'influence de notre pays dans la zone, avec l'objectif d'asseoir son statut de partenaire fiable. La France est par exemple partenaire du symposium naval de l'océan Indien (IONS), forum de coopération regroupant vingt-cinq autres États. Elle est également partenaire du programme MASE (Maritime Security) porté par l'Union européenne, qui a conduit à la mise en place d'un centre régional de coordination des opérations aux Seychelles.
En conclusion, les FAZSOI sont bien adaptées pour répondre aux défis et aux spécificités de l'environnement stratégique. Largement engagées sur le territoire national, elles apportent un appui efficace à l'action de l'État dans tous les domaines et déploient une activité importante vis-à-vis des partenaires internationaux. Contribuant à l'influence de la France dans la zone, elles représentent un point d'appui solide et un atout pour défendre nos intérêts, nos concitoyens et notre souveraineté dans un contexte de durcissement des relations internationales.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Pourriez-vous apporter des précisions sur l'état du matériel et son adéquation aux ambitions portées par la LPM ?
Général François-Xavier Mabin. - Il n'existe pas de spécificité très nette par rapport au reste des forces armées : une partie du matériel est vieillissant et doit bénéficier d'une maintenance renforcée, comme en métropole. La LPM permettra de renforcer nos capacités : les deux hélicoptères Cougar, à La Réunion, représentent une véritable plus-value pour le régiment de parachutistes d'infanterie de marine. Parallèlement, l'arrivée de deux POM étoffera sensiblement les capacités de la Marine dans la zone.
M. Stéphane Demilly, rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer. -Vous avez évoqué l'accord de défense signé en 2022 avec Madagascar : a-t-il été activé ?
Général François-Xavier Mabin. - Je parlais de l'accord signé entre Madagascar et la Russie, laquelle signe de nombreux accords avec les pays africains, renouant ainsi des relations datant de l'époque soviétique. Ces accords donnent un cadre à leurs relations de défense et se traduisent souvent par la livraison de matériels,.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - De quel type de matériels s'agit-il ?
Général François-Xavier Mabin. - Il peut s'agir de blindés en quantité importante, même si la situation a probablement évolué depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. La société privée Wagner était également capable de livrer des hélicoptères de combat en puisant dans les ressources russes.
M. Saïd Omar Oili. - En tant que sénateur mahorais, je peux témoigner tout comme vous de la situation très critique que traverse Mayotte actuellement.
À cet égard, pourriez-vous décliner les mesures annoncées pour mon territoire dans le cadre de la LPM ? Il a été question d'un « rideau de fer » pour lutter contre l'immigration clandestine ; or nous avons plutôt le sentiment que la crise s'aggrave : à l'immigration comorienne traditionnelle se greffe une immigration clandestine issue de l'Ouest africain, composée notamment de migrants venant du Mozambique, ce qui nous inquiète car il y a parmi eux des islamistes très radicalisés.
Vous avez parlé d'une enveloppe de 180 millions d'euros pour La Réunion et d'une dotation de 50 millions d'euros seulement pour Mayotte : je ne comprends pas pourquoi le renforcement de nos moyens militaires est moindre à Mayotte, alors que l'île concentre tous les problèmes. Comment l'expliquez-vous ?
Général François-Xavier Mabin. - Je me dois tout d'abord de rappeler que les forcées armées interviennent à Mayotte sur réquisition et en appui des forces de sécurité intérieure. Nous ne sommes donc pas à la manoeuvre.
Par ailleurs, les moyens que nous consacrons à La Réunion, par exemple ceux que nous dédions au renforcement de sa base navale, profiteront aussi à Mayotte, dans la mesure où les unités navales basées à La Réunion remplissent des missions au profit de Mayotte, notamment des missions de surveillance qui s'inscrivent dans le cadre de la manoeuvre globale conduite par le préfet de Mayotte. Du reste, nos unités navales exercent d'autant mieux leurs missions qu'elles bénéficient d'une base navale importante. En réalité, il serait trop compliqué de disposer de deux pôles navals de grande capacité dans la sous-région.
M. Saïd Omar Oili. - La population mahoraise demande simplement que nos navires empêchent les clandestins d'arriver sur l'île. Or, vous venez de l'expliquer, ces navires existent, mais ils sont basés à La Réunion. Autrement dit, ils ne viennent que de temps en temps, ce qui contribue au chaos général...
En tant que sénateur de Mayotte, je m'insurge contre cette situation d'insécurité. Tous les jours, des dizaines de kwassa-kwassa pénètrent dans nos eaux territoriales et permettent à des dizaines de clandestins d'accoster. Un camp dans lequel des migrants vivent dans des conditions lamentables a même été créé à Cavani !
De mon point de vue, il conviendrait de renforcer la base militaire de Mayotte pour empêcher des barques remplies de clandestins d'accéder à nos côtes.
Général François-Xavier Mabin. - Sachez, monsieur le sénateur, que la base navale de Mayotte agit de manière concertée avec les autres services de l'Etat, notamment ceux qui relèvent du ministère de l'intérieur - gendarmerie et police aux frontières. Je pense en particulier à l'entretien des intercepteurs du ministère de l'intérieur qui est assuré par la marine nationale basée à Mayotte, ou aux radars qui font l'objet d'une veille jour et nuit par les personnels de nos forces armées.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - La difficulté à laquelle est confrontée la marine nationale tient avant tout à l'existence d'un récif corallien autour de Mayotte. Il est primordial d'identifier les kwassa-kwassa le plus tôt possible, car les intercepteurs ne peuvent pas intervenir après que ces embarcations ont passé la barrière de corail.
Par ailleurs, ce qui fait défaut à Mayotte, ce n'est pas tant les moyens humains que les moyens matériels. Ainsi, les radars actuels, au nombre de quatre, sont malheureusement mal situés, vétustes et défectueux. Dans le cadre de la LPM, a-t-on prévu de les remplacer ? Si oui, à quel horizon ?
Général François-Xavier Mabin. - Il est bel et bien prévu de remplacer ces radars, mais cette initiative est du ressort du ministère de l'intérieur. Les armées, quant à elles, continueront d'apporter leur expertise pour la mise en place de ces systèmes.
Je souhaite revenir sur l'action des unités navales de la marine nationale dans la région : à chaque fois qu'un patrouilleur de haute mer remplit une mission, notamment dans le canal du Mozambique, il contribue à la sécurité maritime de l'ensemble de la région. En réalité, l'action des armées doit se concevoir par cercles concentriques : appui à la gendarmerie sur terre à Mayotte, missions de renseignement et de surveillance de la marine nationale en mer, en complément des missions conduites par les forces de sécurité intérieure.
M. Stéphane Demilly, rapporteur de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - L'une des difficultés à laquelle nous faisons face pour endiguer l'immigration clandestine tient à l'immensité de l'espace maritime à gérer. Comment peut-on intervenir au plus près des zones d'où partent les clandestins - je veux parler de l'île comorienne d'Anjouan ?
Général François-Xavier Mabin. - La France et les Comores ont mis en place une coopération, qui constitue une partie de la réponse à votre question. Nous aidons la marine comorienne à être la plus opérationnelle possible. J'espère qu'un jour nous serons en mesure de conduire des patrouilles communes à nos deux pays. En outre, la marine nationale mène des opérations de renseignement au plus loin des côtes mahoraises, sans pour autant violer la souveraineté comorienne.
M. Hugues Saury. - J'ai participé, en 2022 et 2024, à deux missions ayant trait à la problématique de l'Indopacifique. On pourrait s'étonner que cette région du monde fasse partie de notre stratégie Indopacifique. La Réunion, par exemple, est à mi-distance de Paris et du détroit de Taïwan : dans ces conditions, pourquoi cette île constituerait-elle une base arrière en cas de conflit dans l'Indopacifique ?
Général François-Xavier Mabin. - On pourrait débattre longtemps de la pertinence d'une stratégie Indopacifique qui couvrirait la moitié du globe. Cet espace se caractérisant par sa continuité, il convient de le considérer comme une zone en tant que telle.
Je pars d'un constat simple : la stratégie de la France doit reposer sur les points d'appui existants - certes, idéalement, ceux-ci devraient se situer un peu plus au nord, mais ils ont le mérite d'exister. Dans cette logique, les bases de La Réunion et de Mayotte restent pertinentes ; ces îles se trouvent effectivement sur des routes commerciales stratégiques, cruciales, qui intéressent nos rivaux.
J'ajoute que, dans la perspective d'une crise internationale dans l'Indopacifique l'océan Indien constituerait une ligne de défense, ou du moins une zone d'intérêt pour le continent européen. C'est dans cette région que les Européens seraient les plus utiles, et le plus rapidement. Prenons l'exemple de la libre circulation des navires en mer Rouge aujourd'hui : il faut avoir conscience que cette voie débouche précisément sur l'océan Indien.
La Réunion est certes éloignée géographiquement, mais elle dispose d'une base navale qui nous permettrait de stationner des aéronefs, de bénéficier de dépôts logistiques, bref d'offrir une capacité de projection de puissance.
M. Stéphane Fouassin. - L'environnement stratégique de Mayotte et de La Réunion est complexe : la zone à surveiller est immense, et les problèmes de Mayotte sont nombreux et difficiles à traiter. Je pense aussi à la question de la recherche d'hydrocarbures au Mozambique ou à la stratégie relative à la pêche dans les eaux australes, puisque La Réunion est un réservoir très important de légines. Enfin, il ne faut pas oublier la menace que font peser les pirates dans le nord de l'océan Indien.
Nos forces armées sont-elles assez nombreuses pour contrôler toute cette zone et faire face à l'ensemble de ces problématiques ? Le renforcement des moyens humains me semble essentiel, notamment à Mayotte.
Pour ce qui est des moyens matériels, deux hélicoptères Cougar seront envoyés à La Réunion ; quid de Mayotte ?
Général François-Xavier Mabin. - Mayotte dispose déjà d'hélicoptères appartenant aux services du ministère de l'intérieur.
M. Stéphane Fouassin. - Les deux nouveaux hélicoptères pourraient-ils venir en aide aux pompiers de La Réunion, qui sont obligés aujourd'hui de recourir à des hélicoptères privés pour éteindre les incendies ?
Général François-Xavier Mabin. - La base aérienne de La Réunion est conçue comme un pôle étatique : on y trouve des aéronefs de l'ensemble des services de l'État. Aussi est-il probable que, sur réquisition ou sur demande de concours, les hélicoptères des forces armées contribuent à transporter des fonctionnaires d'autres ministères, en particulier des pompiers.
M. Stéphane Fouassin. - Pourquoi voit-on si rarement les FAZSOI et le régiment du service militaire adapté (SMA) donner un coup de main aux communes touchées par des événements cycloniques ?
Général François-Xavier Mabin. - Ce que vous dites me surprend quelque peu. Je ne conteste pas votre diagnostic, mais les forces armées d'outre-mer s'entraînent précisément dans la perspective d'intervenir dans le cadre de catastrophes naturelles, et elles le font. Le service militaire adapté est mobilisé dans ce type de circonstances : il se place alors sous le commandement des forces armées pour résoudre les crises. À Mayotte, par exemple, les unités du SMA ont participé aux opérations de ravitaillement en eau de la population.
Mme Annick Girardin. - Estimez-vous que la mixité et la coordination des moyens dont nous disposons pour intervenir dans l'océan Indien, que ce soit au service de Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine, ou de La Réunion pour combattre la pêche illégale ou la piraterie, sont suffisantes ?
Les moyens existants sont-ils réellement mis en commun ? J'ai, pour ma part, le souvenir désolant des difficultés que nous avions rencontrées après le passage de l'ouragan Irma, à Saint-Martin. Quel regard portez-vous sur notre capacité à nous mobiliser de concert face à ces enjeux ? Peut-on encore s'améliorer ?
Ma seconde question porte sur l'action de l'État en mer à Mayotte pour lutter contre l'immigration clandestine. J'ai bien compris que les forces armées intervenaient dans le cadre d'une action globale, mais une coordination interministérielle de nature technique, matérielle et stratégique a-t-elle vraiment prévalu en la matière ces deux dernières années ? Au vu des résultats, je me pose la question ; d'après moi, on pourrait faire beaucoup mieux.
Général François-Xavier Mabin. - Par nature, toute coordination interministérielle est complexe, car chaque administration obéit à sa propre chaîne hiérarchique, dispose de ses propres relais, agit dans des périmètres bien définis, etc. Néanmoins, s'il y a bien un domaine dans lequel cette coordination est efficace, c'est celui de l'outre-mer : les services de l'État en outre-mer font preuve d'une très grande solidarité les uns envers les autres ; ils échangent régulièrement et se fixent des objectifs communs.
Vous avez évoqué l'action de l'État à Mayotte. Il est à noter que les armées se heurtent à des contraintes juridiques et réglementaires. Les armées ne peuvent pas tout faire sur le territoire national - et c'est très bien ainsi. Nous sommes observés et agissons dans un cadre strictement défini. Les armées s'inscrivent bien entendu dans le cadre de l'action gouvernementale. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, les armées ont soutenu l'action du ministère de l'intérieur, dans le respect de l'État de droit.
Mme Annick Girardin. - Votre regard nous importe à nous, parlementaires, notamment parce que se pose actuellement la question d'une possible remise en cause du droit du sol à Mayotte. Dans la mesure où je suis appelée à réfléchir à cette évolution, je veux m'assurer que tout a été tenté et que l'on est allé assez loin en matière de prévention, de protection, de surveillance. Que pourrait-on faire de plus, dans le cadre actuel, pour ne pas avoir à changer notre Constitution ? Quel nouveau logiciel nous faudrait-il ? Et quelle serait la place des armées dans ce nouveau logiciel ?
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - En cas de crise dans l'Indopacifique, nos alliés seraient favorables à ce que nous nous situions dans cette partie de l'océan Indien plutôt qu'en mer de Chine méridionale et dans le secteur de Taïwan. Vous avez raison, La Réunion doit effectivement constituer un point d'appui pour que nos forces armées puissent se projeter ailleurs.
Pourriez-vous nous parler de l'intérêt stratégique de la Chine pour les Maldives ? Quelle surveillance exerçons-nous sur cette région du globe ?
Général François-Xavier Mabin. - Notre action est proportionnelle aux moyens dont nous disposons. La France est une puissance globale, mais la réalité géographique s'impose à nous : nous n'avons pas d'action continue sur les Maldives, un territoire qui se situe pourtant sur une route maritime essentielle que notre marine nationale emprunte dès qu'elle le peut.
Les Maldives sont naturellement une zone d'intérêt pour la France, tout simplement parce que la Chine s'y intéresse, mais il s'agit d'une zone d'intérêt parmi d'autres. En effet, dans le cadre de sa stratégie mondiale de la route de la soie et de celle dite du collier de perles, qui traduisent sa volonté d'imposer un maillage de toute la région pour servir ses intérêts commerciaux et militaires, la Chine s'intéresse à de nombreux petits pays...
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Au vu des événements qui se sont produits au large de Djibouti, un certain nombre de navires n'empruntent plus le canal de Suez et passent désormais par une zone sous surveillance des forces armées de la zone sud de l'océan Indien. Cela change-t-il quelque chose au travail que vous menez ? Ces nouvelles contraintes n'impliquent-elles pas des moyens supplémentaires pour nos forces armées ?
Général François-Xavier Mabin. - Les FAZSOI fonctionnent à flux tendu, et aucun effort supplémentaire n'a été fourni pour tenir compte de cette évolution ; en revanche, l'essor du trafic a été pris en compte par les unités de la marine nationale qui patrouillent dans la zone. On constate effectivement une hausse des flux maritimes au niveau du canal du Mozambique et du détroit de Malacca.
Mme Micheline Jacques, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Vous évoquiez la coopération entre la France et les Comores pour agir à la source. Sachant que les Comores s'opposent à ce que Mayotte soit reconnue membre de la Commission de l'océan Indien, pensez-vous qu'ils pourraient être un frein à une coopération avec Mayotte dans le domaine militaire ?
Général François-Xavier Mabin. - La coopération dans le domaine militaire est en règle générale assez pérenne, indépendamment des aléas diplomatiques, et dès lors qu'il n'existe pas de divergence irréparable. Je prendrai l'exemple de notre coopération avec Madagascar, qui n'a jamais cessé en dépit de nos différends au sujet des îles Éparses. La coopération avec les Comores a du sens, car il est dans notre intérêt de contrôler les accès maritimes vers Mayotte.
Mme Annick Girardin. - Les câbles sous-marins font-ils l'objet d'une surveillance particulière de la part de nos forces armées ?
Général François-Xavier Mabin. - À ma connaissance, La Réunion n'est pas à l'intersection de câbles sous-marins, mais la France s'intéresse à cette question des autoroutes numériques, qui constituent un enjeu de souveraineté et de libre circulation. Les armées ont élaboré une stratégie de maîtrise des fonds marins, dont l'un des volets consiste à surveiller le réseau des câbles sous-marins, en particulier les noeuds les plus importants, et, le cas échéant, à intervenir et à en contrôler l'état. Cette mission est cruciale et relativement onéreuse : peu de nations sont capables de suivre une telle stratégie.
M. Stéphane Fouassin. - À quel horizon les annonces que vous avez faites produiront-elles leurs effets ?
Général François-Xavier Mabin. - Les mesures dont j'ai parlé entreront en vigueur durant toute la durée de la LPM, jusqu'en 2030 donc. Le renforcement des effectifs sera progressif ; les investissements dans les infrastructures et le renforcement des moyens matériels s'échelonneront également entre 2024 et 2030.
M. Cédric Perrin, président de la commission des affaires étrangères. - Nous vous remercions de votre intervention. Je suis certain que nos collègues ultramarins auront eu un début de réponse à leurs interrogations.
La réunion est close à 18 h 20.