COMPTES RENDUS DES AUDITIONS
DE LA MISSION D'INFORMATION

Audition de M. Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service Bonnes pratiques de la Haute autorité de santé

(Mardi 19 mars 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous entamons aujourd'hui les travaux de la mission d'information sur « l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale ». Pour cette première audition, nous recevons le Docteur Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service « Bonnes pratiques » de la Haute autorité de santé (HAS). Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Merci pour votre présence aujourd'hui, dans un délai assez court, et pour la présentation que vous pourrez nous faire des travaux récents de la HAS en matière de santé périnatale.

La HAS certifie la qualité de l'ensemble des maternités et développe des indicateurs de qualité et de sécurité des soins. À ce titre, vous nous présenterez votre analyse des facteurs qui peuvent expliquer une certaine dégradation des indicateurs de santé des femmes enceintes et de leurs bébés ces dernières années et des différences éventuelles, en la matière, entre établissements de catégorie différente et entre territoires. En effet, comme l'intitulé de notre mission l'indique, nous avons une double préoccupation, à la fois sanitaire et territoriale : la question du maillage territorial en services de maternité et de néonatalogie, et de sa capacité à fournir des soins de qualité, nous préoccupe particulièrement.

Par ailleurs, la HAS élabore des recommandations de santé publique comme de bonnes pratiques. Vous nous direz si des mises à jour de vos recommandations sont prévues en matière de prise en charge globale des femmes et de leurs bébés, au regard notamment de l'augmentation des facteurs de risque des mères comme la précarité, mais aussi l'âge ou l'obésité.

Dr Pierre Gabach, adjoint à la direction de l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins et chef du service Bonnes pratiques de la Haute autorité de santé. - La HAS, n'est pas une agence, mais une autorité publique et sanitaire indépendante. Elle a pour principal rôle de réguler le système de santé par la qualité et la sécurité des soins. Parmi ses 31 missions, trois d'entre elles intéressent plus particulièrement le champ de votre mission d'information.

La première consiste en l'élaboration de recommandations de bonnes pratiques à destination des professionnels, qu'ils relèvent du champ sanitaire, du champ social ou du champ médicosocial. En effet, la HAS a intégré l'Anesm (Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicosociaux) en 2012.

Sa deuxième mission renvoie à l'évaluation technique et technologique des dispositifs. La HAS évalue ainsi les médicaments, les dispositifs médicaux et les actes professionnels qui ouvrent droit à remboursement par l'Assurance-maladie. C'est à cette fin qu'elle avait d'ailleurs été créée dans la loi de 2004, qui portait réforme de l'Assurance-maladie. Ainsi, le périmètre qu'elle couvre est fixé dans le code de la sécurité sociale.

Sa troisième mission est celle de l'évaluation. La HAS est ainsi en charge de la certification des établissements de santé, de l'évaluation des établissements sociaux et médicosociaux et de l'élaboration d'indicateurs de qualité et de sécurité des soins.

La HAS édicte, depuis plus d'une dizaine d'années, des recommandations dédiées au secteur de la périnatalité et de la santé périnatale. Elle a ainsi édicté des recommandations importantes, concernant la prise en charge de la grossesse, la gestion des grossesses à risque et l'orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées. Elle a également diffusé des recommandations en lien avec le dépistage des pathologies néonatales.

À la demande du ministère de la santé, la HAS a publié, en février 2024, une recommandation consacrée à l'accompagnement médico-psychosocial des femmes, des parents et de leurs enfants en situation de vulnérabilité pendant la grossesse et en post-partum. Celle-ci cible plus particulièrement les femmes enceintes qui sont en situation de précarité, cette dernière constituant un facteur de risque de mortalité périnatale.

Auparavant, en 2018, la HAS a édicté des recommandations liées à la prise en charge de l'accouchement. En 2012, elle avait fait de même, concernant les césariennes programmées, qui sont trop nombreuses en France. Le ministère de la santé, récemment, a demandé à la HAS de se pencher sur le retour précoce à domicile après l'accouchement. En effet, les maternités sont de plus en plus surchargées et les femmes rentrent à domicile de plus en plus tôt.

S'agissant de l'accompagnement post-partum, la HAS a édicté des recommandations en 2014. Elles ciblaient le suivi de la mère et de l'enfant après la sortie de la maternité. En 2007, elle avait publié des recommandations concernant la prise en charge des nourrissons décédés de mort inattendue : elle avait ainsi préconisé qu'ils soient couchés sur le dos, et pas à plat ventre comme par le passé. De nombreuses recommandations de la HAS concernent le dépistage néonatal lié aux erreurs de métabolisme. Elle a ainsi préconisé un certain nombre de bonnes pratiques, s'agissant des femmes en âge de procréer et qui souffrent d'épilepsie ou d'un trouble bipolaire, et plus particulièrement des femmes qui prennent des spécialités à base de Valproate.

En 2023, la HAS a mis en place une cellule d'actualisation des recommandations. Elle est retournée auprès des obstétriciens, des gynécologues obstétriciens et des sages-femmes. Elle devrait, sur cette base, actualiser certaines de ses recommandations sur des points très précis, comme la délivrance artificielle des soins de suite par exemple. À ce stade, le travail d'actualisation des recommandations devrait être assez limité : il reste toutefois à voir si ces dernières sont véritablement appliquées.

Par ailleurs, la HAS est en charge de la certification des établissements de santé pris dans leur ensemble : elle ne les certifie pas spécialité médicale par spécialité. Cependant, deux critères de certification concernent l'obstétrique.

Le premier d'entre eux est rédigé comme suit : « Est-ce que les futurs parents discutent d'un projet de naissance avec l'équipe soignante dès le début de la grossesse » ? Le deuxième est le suivant : « Les équipes maîtrisent-elles les risques liés à l'hémorragie du post-partum » ? Celui-ci est une cause importante de décès et de complications chez les mères.

En pratique, je ne suis pas en capacité de vous communiquer des éléments chiffrés précis. Comme je l'ai souligné, la HAS certifie chaque établissement pris dans son ensemble. Le service dédié à la certification des établissements de santé va toutefois essayer de réaliser une analyse spécifique des deux critères précités : elle vous sera transmise.

Par ailleurs, la dégradation du taux de mortalité infantile est un constat partagé. Toutes les études démontrent que la France, sur ce plan, est mal positionnée par rapport aux pays de l'Union européenne. Quelles en sont les raisons ? Des études de la Direction de la recherche, des études, des évaluations et des statistiques (DREES), au sein du ministère des solidarités et de la santé, donnent à penser que cette situation est peut-être liée à l'état de santé des mères, avec une augmentation de leur âge moyen, du nombre de fumeuses et du nombre de femmes en situation de surpoids ou d'obésité, ce qui accroît le risque de prématurité. Néanmoins, aucune étude scientifique n'a réellement établi de lien entre ces facteurs et l'augmentation du taux de mortalité infantile.

En revanche, une étude anglaise a démontré que la précarité multipliait par cinq le nombre de décès d'enfants. C'est la raison pour laquelle la HAS avait édicté une recommandation dédiée à l'accompagnement médical, psychologique et social des femmes en situation de précarité durant les 1000 premiers jours.

La question de l'accès aux soins et de l'insuffisance du nombre de maternités peut également constituer un facteur d'explication : toutefois, aucune donnée scientifique n'a été publiée sur le sujet. D'aucuns plaident pour que les maternités réalisent un nombre minimal d'accouchements. Certaines d'entre elles en assurent moins de 600 par an, ce qui questionne la sécurité et la qualité des soins, tout en sachant qu'il n'existe aucune analyse des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) par taille de maternité. La démographie des professionnels de santé, qui concerne de nombreux secteurs, crée probablement des difficultés supplémentaires.

En 2021, les EIGS frappant les femmes parturientes ont fait l'objet d'une analyse - je vous transmettrai le rapport afférent. Pour information, les établissements sont tenus de déclarer les EIGS aux agences régionales de santé (ARS). Celles-ci doivent ensuite les diffuser, de manière anonymisée, à la HAS. Cette anonymisation ne permet donc pas d'identifier les établissements concernés, ce qui crée une vraie difficulté.

Entre mars 2017 et décembre 2021, 269 EIGS ont concerné des femmes parturientes : 141 ont concerné les enfants et 102 les mères, les 26 dernières étant mixtes. 55 % des EIGS ont entraîné des décès, à raison de 110 décès d'enfants et 40 décès maternels.

Lorsque les équipes soignantes déclarent un EIGS, elles doivent compléter un questionnaire. Elles ont estimé que 51 % des EIGS auraient pu être évités. Pour elles, les principales causes d'EIGS renvoient, par ordre d'importance, au défaut ou au retard de prise en charge, au défaut ou au retard de diagnostic et aux erreurs médicamenteuses. Il est à noter qu'un défaut ou un retard de prise en charge correspond à une césarienne trop tardive. Ont également été recensés des retards de prise en charge postpartum, avec des hémorragies.

En complément, certaines complications ont été liées à l'état de santé des femmes enceintes, à des difficultés sociales ou à des protocoles indisponibles, inadaptés, méconnus ou inutilisés, comme l'ont reconnu les équipes elles-mêmes. Celles-ci ont également pointé des problèmes d'organisation du service, une charge de travail trop importante et des problèmes de locaux ne favorisant par exemple pas la communication entre la salle des naissances et le bloc opératoire. Elles ont également mis en évidence la sous-estimation de certains risques par du personnel inhabituel (intérimaires, ou personnels en formation - internes ou élèves).

Bien que très intéressants, ces éléments n'ont pas de valeur statistique. Les données présentées, de surcroît, ne peuvent pas être rattachées aux différents établissements : si les ARS disposent de ces informations, elles ne les communiquent pas à la HAS. Si l'anonymat sur les IEGS était levé toutefois, certains établissements ne manqueraient probablement pas de sous-déclarer certains événements. En effet, ils n'ont pas tous la culture de l'évaluation et de l'amélioration de la qualité des soins, comme dans les pays anglo-saxons ou d'Europe du Nord.

Par ailleurs, la HAS, en 2016 ou 2017, a déployé, au titre de la qualité et de la sécurité des soins, un indicateur portant sur la détection de l'hémorragie du post-partum et l'identification des causes associées. Cette démarche était complexe, puisqu'elle nécessitait de revenir aux dossiers médicaux des patients. En tout état de cause, l'accessibilité à ces derniers est difficile et inadaptée à notre temps.

La HAS est en train d'élaborer, avec les professionnels, un indicateur statistique dédié aux hémorragies du post-partum, à partir des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) : les résultats devraient être disponibles en 2025. Bien évidemment, cet indicateur ne sera pas aussi riche que s'il était fondé sur les dossiers médicaux : il aura toutefois une vraie vertu en matière de suivi.

Enfin, la dernière recommandation publiée par la HAS porte sur l'accompagnement médico-psychosocial des femmes, des parents et de leurs enfants en situation de vulnérabilité pendant la grossesse. Importante, elle définit les situations de vulnérabilité, mais également les modalités de dépistage, lequel doit être systématique. Il convient également de veiller à ce que les femmes enceintes aient accès, durant leur grossesse, à un hébergement, à de la nourriture et à l'eau.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La HAS, dans le cadre de la mission de certification, assure le suivi de deux indicateurs qui concernent, si je ne m'abuse, le projet parental et le post-partum, ce qui semble être assez limité. Est-il envisagé, en conséquence, de faire évoluer les indicateurs de certification des établissements ?

En complément, j'ai noté que la HAS n'était pas en mesure de faire le lien entre les EIGS et les différents niveaux de maternités. Cette situation est-elle l'illustration d'un impensé ? Selon vous, serait-il judicieux de faire évoluer ces indicateurs, en préservant l'anonymat des soignants qui déclarent des EIGS ?

Quel est l'avis de la HAS sur l'encadrement réglementaire des secteurs de naissance ? Une révision des décrets relatifs aux conditions nécessaires pour les unités d'obstétrique vous semble-t-elle nécessaire ? Dans l'affirmative, quelles évolutions conviendrait-il, en matière d'encadrement, de mettre en oeuvre ? Le suivi des nouveaux-nés pourrait-il être effectué par les généralistes ou les sages-femmes ? Enfin, un questionnaire assez complet vous a été transmis : nous vous laisserons bien évidemment le temps de le compléter.

Par ailleurs, vous avez évoqué la désertification médicale et la difficulté d'accès aux soins. La HAS considère-t-elle qu'il est nécessaire de faire évoluer les recommandations de suivi, par exemple, des nouveau-nés par les médecins généralistes en ville ? La même question se pose pour les sagesfemmes : doivent-elles prendre, au sein des établissements évoqués, une place croissante, pour faire face à la pénurie de professionnels de santé ?

Dr Pierre Gabach. - Il existe deux critères spécifiques dédiés à l'obstétrique, mais tous les autres critères liés à la certification des établissements de santé s'appliquent évidemment à ces services. Il n'en demeure pas moins qu'il pourrait être envisagé de les développer. En complément, nous vous donnerons communication, des données croisées entre nombre d'accouchements par établissement et déclarations d'IEGS.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Est-il possible de ne pas certifier l'un des secteurs d'activité d'un établissement ?

Dr Pierre Gabach. - Non. Comme mentionné précédemment, les établissements sont certifiés dans leur ensemble, éventuellement sous condition. Le dispositif n'est pas prévu pour ne certifier que certaines activités au sein d'un établissement.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le pourcentage d'établissements non certifiés ?

Dr Pierre Gabach. - Il est assez faible, probablement de 7 à 8 %. Ce taux est toutefois en progression. Cela étant, il faut réellement qu'un établissement se soit rendu coupable de manquements graves pour ne pas obtenir sa certification.

Surtout, la HAS peut délivrer des certifications sous conditions : elle a en effet vocation, non pas à « punir » les établissements, mais à les aider à améliorer la qualité des soins qui y sont dispensés. Elle essaie, avec les ARS, de les accompagner en ce sens, afin de pouvoir lever, après un an, les conditions précitées. D'ailleurs, le nombre d'établissements de santé est de plus en plus faible : il est donc important de tout faire pour les conserver, tout en veillant à ce qu'ils dispensent des soins de qualité. Certains départements, ainsi, ne comptent plus qu'une clinique ou qu'un hôpital.

Par ailleurs, la HAS a édicté une recommandation liée à la prise en charge des nouveau-nés. Celle-ci porte sur le premier recours, qui s'entend du médecin généraliste ou du pédiatre libéral. En effet, le nombre de pédiatres libéraux est devenu très faible. In fine, un généraliste doit pouvoir appliquer les recommandations de la HAS.

La HAS est éminemment favorable aux protocoles de coopération et au partage des tâches entre les professionnels. Ainsi, les sages-femmes, les infirmières ou les puéricultrices doivent pouvoir intervenir si besoin, dans la limite de leurs compétences bien évidemment.

Enfin, la HAS ne s'est jamais positionnée sur les normes et les seuils. En effet, aucune étude scientifique n'a établi de lien entre ces derniers et la qualité des soins. Au Canada ou en Californie, des normes ont été mises en place : elles n'ont pas emporté d'amélioration significative de la qualité des soins.

Mme Annick Billon. - L'anonymisation des données permet d'avoir une vision globale de la situation. En revanche, il est indispensable, pour véritablement agir et proposer des solutions, de s'appuyer sur des analyses précises, permettant d'identifier les établissements et les populations.

Selon vous, le seuil de 600 accouchements par an est-il pertinent ? A contrario, doit-il être revu, afin de maintenir ouvertes certaines maternités, dont la fermeture est programmée ?

Par ailleurs, vous avez précédemment évoqué des césariennes trop tardives et des protocoles indisponibles ou méconnus. La formation continue des professionnels est-elle, à votre sens, suffisante ? Est-elle réellement mise en oeuvre ? Des mesures doivent-elles être déployées pour qu'elle devienne une réalité ?

Vous avez également indiqué que certains événements indésirables étaient liés à la présence d'intérimaires. Quel est le taux d'intérim au sein des maternités ? Comment la formation des intérimaires, qui peuvent être appelés à intervenir dans différents services, est-elle assurée et suivie ?

Dr Pierre Gabach. - Le seuil de 600 accouchements n'a pas été fixé par la HAS, mais par l'État, le ministère et l'Académie de médecine. Aussi la HAS ne peut-elle pas se prononcer sur le sujet. La HAS travaille à partir de la littérature et des études scientifiques disponibles : à défaut de données, elle ne se prononce pas.

L'académie de médecine a évoqué un seuil de 1 000 accouchements par an, je ne sais si c'est - ou pas - pertinent. Certains pays ont un recours plus important que la France aux accouchements à domicile et affichent un taux de mortalité infantile plus faible.

La formation continue - je vous rejoins sur ce point - est essentielle. La HAS a déployé une accréditation dédiée aux spécialités médicales à risque, en relation avec les collèges de professionnels. De mémoire, un peu moins de 2 000 des 3 800 obstétriciens en disposent.

Ladite accréditation, qui est passée sur la base du volontariat, a valeur de Développement professionnel continu. L'organisme d'accréditation, qui est une émanation du CNP, part des EIGS recensés pour bâtir des formations.

Enfin, l'accréditation évoquée peut être individuelle, mais également collective, en ciblant l'ensemble d'une équipe, ce qui est particulièrement intéressant dans le domaine de l'obstétrique.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Au-delà de la formation des intérimaires, il me semble qu'il ne faut pas non plus mésestimer l'importance de la connaissance de l'écosystème hospitalier, des relations avec les confrères et du travail d'équipe.

Mme Annie Le Houerou. - Je tenais à revenir sur le seuil évoqué précédemment de 600 accouchements annuels. Il y a quelques années, il était de 300 accouchements, avant de passer à 500. Le récent rapport rédigé par le professeur Ville au nom de l'Académie nationale de médecine préconise de le porter à 1 000.

La HAS ne dispose d'aucune étude permettant de faire le lien entre le type de maternité et le nombre d'événements indésirables graves. En conséquence, comme le seuil précité a-t-il été fixé ? À mon sens, il est davantage la résultante de considérations économiques et politiques que de considérations techniques.

Dr Pierre Gabach. - La HAS ne formule que des recommandations. C'est l'État qui fixe les critères d'activité des établissements de santé.

Mme Annie Le Houerou. - A titre d'exemple, une maternité a été « suspendue », alors qu'elle réalisait 600 accouchements par an. À mon sens, cette décision est davantage liée à un problème de démographie médicale qu'à un problème dans la qualité de la prise en charge. Désormais en conséquence, nombre de femmes finissent par accoucher sur la route, quand d'autres font le choix d'accoucher à domicile.

S'agissant de la qualité de la prise en charge et de l'environnement de la naissance, nombre de femmes se plaignent d'être accompagnées, durant et après leur accouchement, par des équipes différentes. En effet, cela ne concourt pas à leur sérénité. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

Sauf erreur de ma part enfin, la HAS labellise des établissements. S'occupe-t-elle de la labellisation des maternités labellisées « Amis des bébés » ?

Dr Pierre Gabach. - Non. La HAS certifie des établissements, mais n'en labellise pas.

Mme Annie Le Houerou. - Effectivement, la labellisation à laquelle je faisais allusion est assurée par l'Organisation mondiale de la santé.

Dr Pierre Gabach. - La HAS ne dispose d'aucun élément scientifique qui lui permettrait de déterminer le nombre minimal d'accouchements que doit prendre en charge une maternité. Elle ne fait qu'édicter des recommandations. Les critères de fonctionnement des établissements de santé sont ainsi du ressort de l'État et du gouvernement.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Le rapport de l'Académie de médecine de mars dernier a préconisé un certain nombre de fermetures de maternités : elle sera auditionnée le mercredi 27 mars à 16 heures 30.

Mme Florence Lassarade. - Pour avoir été pédiatre libérale et en maternité, je déplore l'abandon de la spécialité pédiatrique, en particulier dans le suivi de l'enfant de moins d'un mois. En effet, je ne suis pas persuadée que chacun dispose de la formation requise. Les enseignants de pédiatrie s'alarment du raccourcissement de durée des stages en pédiatrie et au sein des maternités. Il n'en demeure pas moins indispensable que les médecins généralistes possèdent des notions de pédiatrie, le premier mois de vie d'un enfant devant être suivi de très près.

La formation continue a connu un certain nombre d'évolutions. J'ai par exemple assuré la formation d'internes, lesquels m'ont ensuite formée à nouveau, m'expliquant alors que la manière dont je pratiquais les réanimations n'était pas académique. Des efforts ont également été réalisés dans la formation des sages-femmes. Celles-ci savent désormais ventiler ou initier une réanimation.

Alors que la formation s'est améliorée, le taux de mortalité des nouveau-nés s'est dégradé, ce que je peine à expliquer. En complément, les maternités de niveau 1, qui réalisent de 600 à 800 accouchements par an, n'accueillent pas de femmes enceintes à risque. Ces dernières sont en effet orientées vers des maternités de niveau 2 ou de niveau 3. Dès lors, il n'y a aucun sens de comparer une maternité de niveau 1 avec une maternité de niveau 3, laquelle accueille davantage de grossesses à risques.

L'abandon de la pédiatrie libérale emportera un recours accru aux praticiens hospitaliers. Or la réalisation de gardes et d'astreintes en résultant n'est pas susceptible d'attirer des étudiants. Ne faudrait-il pas de nouveau demander aux obstétriciens, aux anesthésistes et aux sages-femmes d'acquérir tous les gestes de réanimation de base ? Ne faut-il pas mettre l'accent sur ces réévaluations et ces formations récurrentes, y compris in situ ?

Dr Pierre Gabach. - Encore une fois, la HAS se garde de donner des chiffres par niveau de maternité. Elle ne communique que les éléments donc elle dispose. Je ne plaide bien évidemment pas pour une disparition de la pédiatrie : en province toutefois, il est factuellement de plus en plus difficile d'accéder à des pédiatres. Au sein des établissements de santé, les sages-femmes se forment à la réanimation néonatale, ne serait-ce que faute de ressources alternatives.

Mme Florence Lassarade. - Les aides-soignants le font également.

Dr Pierre Gabach. - Oui. Encore une fois, la HAS est favorable, non pas à la délégation des tâches, mais au partage des tâches, à condition qu'il soit encadré et s'appuie sur des formations aux gestes induits par la prise en charge de nouveau-nés. Enfin, les décès des nourrissons surviennent pour la plupart au cours du premier mois de vie.

Mme Anne-Sophie Romagny. - S'agissant de la formation, vous avez précédemment évoqué la mise en place, par la HAS et le collège des obstétriciens, d'une accréditation.

L'appétence des professionnels de santé aux accréditations peut-elle être mesurée ? Si la formation continue est nécessaire, les professionnels de santé sont libres de s'y soumettre ou pas. Combien sont-ils à s'y intéresser ?

Dr Pierre Gabach. - Le développement professionnel continu relève d'une obligation pour l'ensemble des professionnels de santé. Néanmoins, sa mise en oeuvre concrète n'atteint pas les objectifs fixés. C'est la raison pour laquelle la HAS a pris la décision de déployer une accréditation en lien avec les spécialités à risque. En pratique, 1 231 des 4 900 obstétriciens ont fait l'effort de s'y inscrire. Enfin, les problèmes aujourd'hui rencontrés sont multifactoriels : ils ne seront pas résolus par leur seul truchement de la formation.

Mme Émilienne Poumirol. - Le constat qui vient d'être dressé est pour le moins alarmant. Alors que vous pointez certaines difficultés et formulez des recommandations à la fois pertinentes et judicieuses, le taux de mortalité infantile se dégrade. Par surcroît, environ 40 femmes enceintes sont décédées en quatre ans, ce qui n'est pas négligeable.

Vous n'êtes pas en capacité de répondre à un certain nombre de nos questions. À qui devons-nous, en conséquence, « demander des comptes » ? Devons-nous nous tourner vers le ministère ou vers les doyens des facultés, au motif de formations insuffisantes ? Qui est responsable de la situation, qui peut être vécue comme un échec ?

Sur le plan de la mortalité infantile en effet, la France est passée, en quelques années, de la 4e ou 5e place à la 18e place au sein des pays de l'OCDE, ce qui ne manque pas de m'inquiéter. Qui est véritablement en capacité d'agir ?

Dr Pierre Gabach. - La HAS n'intervient pas sur le terrain. Elle édicte, à la demande du ministère, des recommandations. Il appartient ensuite aux ARS et aux conseils professionnels de les faire appliquer.

La responsabilité de la situation actuelle, qui était inimaginable il y a dix ans, est collective. En matière de mortalité infantile, les pays d'Europe du Nord sont dans une situation bien plus favorable que la France, qui souffre d'un vrai déficit d'information. Ils ont ainsi fait le choix de mettre en place un registre des naissances, qui recense notamment les complications survenues à la naissance. La France a besoin, au-delà d'enquêtes, de ce type d'information. Le ministère, les parlementaires, les professionnels et les associations doivent agir en ce sens.

Les doyens de faculté ne sont pas responsables de la situation. En effet, la formation des professionnels de santé est, en France, de grande qualité. L'école de pédiatrie y est remarquable. Néanmoins, les maternités souffrent d'un véritable manque de moyens, avec des postes vacants, bien qu'indispensables pour bien accompagner les femmes qui accouchent.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Au vu des chiffres communiqués, il est de notre devoir de comprendre pourquoi la France a glissé, sur le plan du taux de mortalité infantile, à la 18e place du classement des pays de l'OCDE, et cela afin de proposer des pistes d'amélioration.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Le poids des césariennes dans les naissances est-il en augmentation ? En complément, votre intervention me laisse perplexe ; en effet, vous indiquez ignorer les causes de la dégradation observée et ne disposer d'aucun chiffre.

La dégradation au classement de la France, qui est passée de la 4e à la 18e place, bien qu'alarmante, ne semble donner lieu à aucune action concrète. Vous faites montre, à travers votre intervention, d'une résignation qui m'étonne.

Dr Pierre Gabach. - Je vous transmettrai des informations sur le pourcentage des césariennes parmi les accouchements : il doit en effet pouvoir être déterminé via le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

Mme Laurence Muller-Bronn. - Pourquoi la situation s'est-elle à ce point dégradée en vingt ans ? Vos données intègrent-elles celles relatives à Mayotte, ce qui pourrait expliquer la dégradation observée de la mortalité infantile ? Il serait judicieux, en la matière, de disposer de données chiffrées par département.

Dr Pierre Gabach. - Les taux de mortalité infantile les plus élevés sont observés dans les départements et territoires d'outremer et, dans l'hexagone, dans le département le plus pauvre - la Seine-Saint-Denis - ainsi que dans le Jura, en Indre-et-Loire et dans le Lot.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel regard la HAS porte-t-elle sur la situation des DROM ? A-t-elle édicté, les concernant, des recommandations spécifiques, puisque les chiffres y sont plus défavorables ? A contrario, sont-ils ciblés par les mêmes préconisations que les départements métropolitains ?

Dr Pierre Gabach. - Les recommandations de la HAS, qui se fondent sur des données scientifiques, sont les mêmes pour l'ensemble des territoires : les citoyens français doivent tous avoir la possibilité d'accéder à des soins de même qualité. Cela étant, je conviens qu'il serait judicieux de lancer des réflexions sur l'organisation des soins au sein des départements et territoires d'outremer, où certaines pathologies sont particulièrement importantes, comme le diabète par exemple.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quels sont les contrôles réalisés au sein des maisons de naissance, des centres de protection maternelle et infantile (PMI) et des services MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) ?

Dr Pierre Gabach. - Les maisons de naissance et les centres de PMI ne sont pas des établissements de santé. Ils n'entrent donc pas dans le champ de compétences de la HAS en matière de certification.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Qui a la compétence sur ces derniers ?

Dr Pierre Gabach. - À mon sens, il s'agit des ARS et du ministère. Quoi qu'il en soit, la HAS n'a pas le droit de se rendre au sein desdits établissements.

Mme Annick Billon. - La délégation aux droits des femmes, à laquelle la présidente de la mission d'information appartient également, avait travaillé, sous ma présidence, sur la parentalité dans les territoires ultramarins. Si le diagnostic est peut-être similaire, même s'il faudrait s'en assurer, les réponses à déployer ne sauraient être les mêmes au sein de ces derniers.

La délégation s'était rendue en Guadeloupe, à Saint-Martin, à Marie-Galante et à Saint-Barthélemy. Il était apparu que l'insularité et l'éloignement de ces territoires, qui connaissent par ailleurs une vraie précarité, faisaient obligation aux femmes enceintes de rejoindre, à leurs frais, la Guadeloupe un certain temps avant leur accouchement, les exposant à des conditions d'hébergement très précaires, mais également à des trafics divers et variés.

Quoi qu'il en soit, il me semble essentiel de différencier les analyses, aux fins d'apporter les réponses les plus appropriées aux femmes évoquées, en matière d'hébergement et de suivi de la grossesse.

Dr Pierre Gabach. - Si une femme doit bénéficier d'une césarienne, elle doit avoir la possibilité, selon la HAS, d'y accéder, quel que soit son département de résidence. Bien entendu, les organisations doivent être adaptées aux territoires : elles doivent toutefois garantir un accès à des soins de qualité. La HAS n'a jamais dégradé ses recommandations en fonction des territoires : il appartient aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour permettre à tous d'accéder à des soins de qualité. Cela pose la question des mesures à mettre en oeuvre pour y parvenir.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Certaines recommandations revêtent un caractère général, puisque d'application assez simple. Néanmoins, ne pourrait-il pas être envisagé de déployer des recommandations distinctes, pour tenir compte du principe de réalité ?

Dr Pierre Gabach. - La HAS, pour établir ses recommandations, s'appuie sur la littérature scientifique disponible. Malheureusement, la science n'apporte pas la solution à tous les problèmes.

Quoi qu'il en soit, les recommandations sont établies par des groupes de travail, qui se composent notamment de professionnels de santé et d'usagers : ces derniers les modulent à l'aune de leur expérience.

S'agissant de l'accompagnement médical, psychologique et social des femmes en situation de précarité, les membres du groupe de travail ont, d'une certaine manière, fait le choix de s'autocensurer, afin de tenir compte, au-delà de la science, de la réalité.

Enfin, l'organisation de la prise en charge se doit d'être, au sein des territoires, innovante. Si un enfant souffre d'une « double-circulaire » du cordon, une césarienne en urgence s'impose, et cela sans la moindre discussion.

Mme Florence Lassarade. - Sur le plan technique, il est aujourd'hui possible de réanimer des enfants après seulement cinq mois de grossesse et ces opérations sont de plus en plus fréquentes. Disposez-vous, sur ce plan, d'éléments de comparaison avec d'autres pays européens ? Ce phénomène de réanimation précoce n'est-il pas la cause de la dégradation des indicateurs de mortinalité français ? Il serait utile de disposer, en la matière, de données chiffrées, en fonction de l'âge et du niveau de prématurité. Peut-être que les autres pays pratiquent des réanimations à un stade plus avancé de la grossesse, ce qui pourrait expliquer la place défavorable de la France. Enfin, les enfants mort-nés sont-ils pris en compte dans le taux de mortalité infantile ?

Dr Pierre Gabach. - La définition de ce qu'est un enfant mort-né est assez difficile à donner et peut varier selon les pays, ce qui rend les comparaisons internationales difficiles.

La HAS n'a pas vocation à produire des données. Elle a rencontré des pédiatres et des représentants de la Société française de néonatologie : pour eux, la hausse de la mortalité infantile n'est pas liée à la réanimation précoce. Il n'existe pas non plus de données sur le sujet dans la littérature scientifique internationale.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Vous nous avez précédemment communiqué des données pour la période 2017-2021 : il serait utile que vous nous transmettiez des données annuelles.

Dr Pierre Gabach. - Elles vous seront communiquées. J'ajoute qu'elles se limitent aux événements déclarés ; elles ne sont donc pas exhaustives.

Mme Laurence Muller-Bronn. - Je le regrette.

Dr Pierre Gabach. - Au-delà des données elles-mêmes, c'est l'analyse des causes, par les équipes concernées, qui est intéressante. Or le PMSI ne permet pas de disposer de cette analyse.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous en sommes aujourd'hui à la première audition d'une longue série. J'observe qu'elle suscite, d'ores et déjà, de nombreuses questions. Je tenais, Docteur, à vous remercier d'avoir participé à nos travaux. Je compte sur vous pour que vous nous transmettiez le questionnaire complété, ainsi que les différents documents auxquels vous avez fait référence.

Dr Pierre Gabach. - J'y veillerai.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - J'invite celles d'entre nous qui participeront au déplacement au centre hospitalier Robert Debré à se retrouver à 15 heures 45 au pied de l'escalier d'honneur. Enfin, l'audition de Santé Publique France aura lieu demain, à 13 heures 30.

Audition des docteurs Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes de Santé publique France et Arielle Le Masne, chargée d'expertise scientifique interactions précoces - 1 000 premiers jours au sein de la direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France

(Mercredi 20 mars 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons deux représentants de Santé publique France : le Dr Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes, et le Dr Arielle Le Masne, chargée d'expertise scientifique interactions précoces - 1 000 premiers jours au sein de la direction de la prévention et de la promotion de la santé.

Agence scientifique et d'expertise du champ sanitaire, Santé publique France publie régulièrement des enquêtes et rapports de surveillance de la santé périnatale, avec des indicateurs déclinés par département. Son analyse intéresse donc à un double titre notre mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale.

Le dernier rapport de Santé publique France, publié en 2021, témoigne certes d'un niveau élevé et stable de prise en charge périnatale, mais aussi d'une forte hétérogénéité de la santé périnatale en France, notamment dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), mais aussi en Île-de-France. Pourquoi ces différences territoriales ? Existe-t-il des corrélations entre certains indicateurs de santé et la prévalence d'incidents indésirables graves, d'une part, et les catégories de maternité et le nombre d'actes pratiqués annuellement, d'autre part ? Le seuil « raisonnable » du nombre d'accouchements pratiqués dans une maternité pour qu'ils se déroulent en toute sécurité a progressivement été revu à la hausse. L'Académie nationale de médecine, dans son rapport d'il y a un an, évoque celui de 1 000 naissances par an, alors que le chiffre de 500 prévalait jusqu'alors, voire celui de 300.

Vous nous direz également quel regard vous portez sur l'organisation actuelle du suivi de la grossesse et du suivi postnatal. En particulier, l'anticipation de l'état de santé post-partum, notamment en matière de santé mentale, vous semble-t-elle pouvoir être améliorée ?

Enfin, quel regard portez-vous sur l'incidence de l'accroissement des situations de précarité ? Hier, nous nous sommes rendus à l'hôpital Robert-Debré où nous avons pu mesurer les difficultés multiples auxquels sont confrontés les professionnels pour faire face à ces situations qui relèvent souvent de l'urgence. L'obésité est également un facteur de risque non négligeable.

Mme Alima Marie-Malikité, directrice de cabinet de Santé publique France. - Le champ d'action de Santé publique France, agence nationale de santé publique, est très vaste. Il va de la surveillance à l'intervention, la prévention et la réponse aux menaces. Ses seize cellules régionales, implantées auprès des agences régionales de santé (ARS) lui permettent d'agir au plus près des acteurs des territoires.

Certaines de nos activités ont trait à des moments clés de la vie. Santé publique France s'efforce de tenir compte de tous les sujets englobant à la fois la santé de la mère et celle de l'enfant - santé périnatale, 1 000 premiers jours, etc. -, pour mettre en oeuvre ses programmes, études et interventions, dans le champ de la surveillance comme dans celui de la prévention.

Nous vous présenterons tout d'abord un état des lieux des connaissances et des indicateurs sur la périnatalité et nos principales recommandations. Nous partagerons ensuite avec vous des préconisations relatives à la prévention, tant pour des actions de prévention relevant des politiques publiques que pour des actions visant les comportements individuels.

Dr Michel Vernay, directeur de la direction des maladies non transmissibles et traumatismes de Santé publique France. - Il existe d'assez nombreux systèmes de surveillance en France, qui souffrent de certains manques. Certains systèmes fonctionnent en routine et couvrent l'intégralité du territoire français, comme les statistiques de l'état civil, le système national des données de santé (SNDS) - qui compile les hospitalisations, les consommations de soins de ville de l'assurance maladie et les causes médicales de décès - ainsi que les certificats de santé du huitième jour qui ne sont plus exploités désormais au niveau national.

D'autres systèmes de surveillance fonctionnant également en routine ne s'appliquent qu'à certains territoires : on recense ainsi sept registres des anomalies congénitales et deux registres du handicap de l'enfant. Il existe aussi des enquêtes sur les causes de mortalité maternelle. La France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays européens à disposer de ce type d'enquête. S'ajoute à cela l'Observatoire national des morts inattendues du nourrisson (Omin). L'actualisation des données relatives aux causes de mortalité maternelle est prévue pour le 3 avril prochain.

Des enquêtes ponctuelles sont aussi menées, de façon cyclique, la plus ancienne étant l'enquête nationale périnatale (ENP) qui a lieu tous les cinq à six ans et contribue notamment aux suréchantillonnages effectués dans les Drom. L'étude relative à l'épidémiologie en France de l'alimentation et de l'état nutritionnel des enfants pendant leur première année de vie (Epifane), étude ancillaire couplée avec l'ENP, permet de suivre le devenir de l'allaitement et la diversification alimentaire pendant les douze mois suivant l'accouchement. L'étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels (Epipage) porte sur le suivi d'enfants prématurés. Enfin, la cohorte de l'étude longitudinale française depuis l'enfance (Elfe) suit les dix-huit premières années de vie.

Il existe donc de nombreux systèmes d'information, mais certaines sources ne sont pas « chaînables » du fait de leur fragmentation. On peut notamment difficilement appareiller les certificats de décès néonatals avec les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) ou du SNDS. En cas de mort néonatale, nous n'avons donc pas toutes les informations sur le parcours de soins de la mère en amont, donc sur les causes potentielles du décès de l'enfant, ou les éléments permettant de juger de son imputabilité au système de soins.

Nous travaillons pour réduire cette fragmentation. Nous menons ainsi, en lien avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé et l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (Épopé) de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) un projet de constitution de bases chaînées visant à mieux détailler les causes de mortalité néonatale.

L'amélioration des systèmes d'information en périnatalité est donc l'un des points d'attention que nous pouvons soulever.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le calendrier du projet que vous venez d'évoquer ?

Dr Michel Vernay. - La Drees, qui pilote ce projet, serait mieux à même de vous répondre sur ce point. La création d'un registre national de la mortalité néonatale a par ailleurs été récemment suggérée.

Si l'on observe le contexte général qui explique les grandes tendances actuelles, on note que l'âge de la maternité a augmenté entre 1995 et 2021, la proportion de naissances chez les mères âgées de plus de 35 ans ayant crû sur cette période. Or l'âge est un facteur de risque pour les grossesses, notamment pour l'obésité et le diabète gestationnel. Inversement, d'autres évolutions sont plus favorables. Ainsi, le niveau d'éducation des mères augmente régulièrement. La proportion de mères d'origine étrangère augmente par ailleurs, ce qui fait écho à ce que vous avez évoqué sur l'accès aux soins. L'indicateur relatif au fait de vivre seule au moment de la grossesse reste stable, tout comme la part de revenus du travail dans le ménage. En revanche, l'obésité avant grossesse augmente, comme elle augmente dans la population générale. Une préconisation serait donc de mieux prévenir l'obésité en population générale.

J'en viens aux pathologies maternelles, aux complications et aux pratiques d'accouchement. Si le nombre de désordres hypertensifs de la grossesse recensés reste stable, la prévalence du diabète gestationnel a presque doublé. Le nombre d'hémorragies sévères post-partum augmente également. L'ENP de 2021 a présenté, pour la première fois en France, une estimation du nombre de dépressions post-partum : elles concernent environ 17 % des femmes ayant accouché. Il faudra toutefois attendre la reconduction de l'ENP en 2027 pour établir une tendance sur ce point. On relève en outre 5,4 % d'idéation suicidaire. Le suicide est la première cause de mortalité maternelle, suivie par les pathologies cardiovasculaires. Les effectifs restent cependant, heureusement, faibles.

Concernant les pratiques au moment de l'accouchement, la proportion d'épisiotomies est en nette diminution, ce qui est un point favorable. La part de césariennes reste stable, autour de 20 % mais vous noterez l'extrême hétérogénéité entre les établissements sur ce point.

La prématurité à moins de 37 semaines d'aménorrhée est stable. En revanche, l'extrême prématurité, à moins de 28 semaines d'aménorrhée, augmente.

Nous préconisons de renforcer la santé mentale en population générale et de prévoir un dépistage précoce, répété au cours de la grossesse ainsi que post-partum, de la dépression.

La mortinatalité est relativement stable, à raison de neuf mort-nés pour 1 000 naissances. On observe une disparité assez forte sur ce point entre l'Hexagone et les Drom, et une variabilité importante au sein même de ces derniers.

La mortalité néonatale, sur les vingt-sept premiers jours d'existence de l'enfant, augmente entre 2012 et 2019, augmentation marquée sur les six premiers jours de vie. On retrouve de nouveau ici un contraste fort entre l'Hexagone et les Drom.

La France est classée 20e sur 28 en Europe en matière de mortinatalité et n'est pas très bien placée non plus concernant la mortalité néonatale. Cependant, plusieurs pays ne tiennent pas de statistiques dans ce domaine, ce qui compromet la comparabilité de l'ensemble.

Améliorer les systèmes de surveillance épidémiologique en périnatalité nous permettrait de mieux expliquer l'augmentation de la mortalité néonatale, dont les causes demeurent incertaines.

Des marges de progrès se dégagent sur la diffusion de l'information relative au couchage de l'enfant. Au moins 50 % des femmes déclarent ne pas avoir reçu de conseils sur le couchage de l'enfant durant la grossesse. À deux mois, environ 7 % des femmes déclarent n'avoir reçu aucun conseil pour coucher l'enfant sur le dos. La diffusion des recommandations sur le couchage des nourrissons ou sur d'autres pratiques, comme le tabagisme, serait une piste à explorer.

J'en viens à d'autres leviers de prévention. La couverture vaccinale contre la grippe est en augmentation et le tabagisme au troisième trimestre diminue. Un point d'interrogation demeure toutefois : de nombreuses mères déclarent avoir repris le tabac deux mois après la naissance de leur enfant, alors qu'elles avaient fait l'effort d'arrêter de fumer durant la grossesse. Le dépistage de la trisomie 21 est en revanche en nette augmentation, tout comme la préparation à la naissance. D'autres points restent à parfaire : la supplémentation en acide folique avant la grossesse, les conseils relatifs à l'infection à cytomégalovirus (CMV), l'entretien prénatal précoce et la poursuite de l'allaitement. Un peu plus d'un quart des femmes ayant commencé l'allaitement à la maternité l'arrêtent dans les sept jours qui suivent, le manque de soutien étant probablement l'une des causes de cet arrêt.

Dans les points d'attention, nous pouvons citer le fait de promouvoir l'allaitement ainsi que l'entretien préconceptionnel en matière de tabac, d'obésité et de supplémentation en acide folique.

Mme Marie Mercier. - Étudiez-vous les autres addictions que le tabac, notamment l'alcool ?

Dr Michel Vernay. - Il est très difficile de recueillir des données sur l'alcool via l'enquête nationale périnatale, compte tenu d'une probable sous déclaration. Nous étudierons en revanche d'autres types d'addiction comme l'usage du cannabis pendant la grossesse.

Les taux de mortalité maternelle sont trois fois plus élevés dans les Drom que dans l'Hexagone. En mortinatalité, les taux sont 1,5 point plus élevés et ils sont deux fois plus élevés en mortalité néonatale ainsi qu'en mortalité infantile, c'est-à-dire durant la première année de vie de l'enfant. La situation est toutefois hétérogène entre les Drom.

Il faut donc accorder une vigilance accrue à l'égard des territoires les plus défavorisés et des inégalités sociales.

Les mères sont plus souvent obèses au début de leur grossesse dans les Drom que dans l'Hexagone. Une proportion plus importante de grossesses y sont survenues trop tôt ou de façon non désirée. En revanche, les mères allaitent plus souvent dans les Drom que dans l'Hexagone. La part des enfants présentant un petit poids à la naissance, c'est-à-dire inférieur à 2,5 kilogrammes, y est plus importante. Par ailleurs, l'adhésion aux recommandations sur le couchage des bébés y est plus faible.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quand vous dites qu'un nombre important de grossesses sont survenues trop tôt, parlez-vous de l'âge des mères ?

Dr Michel Vernay. - La question que nous posons aux mères ne tient pas compte de leur âge. Nous leur demandons simplement si elles estiment que la grossesse est survenue trop tôt par rapport à leur parcours de vie. L'institut national de la statistique et de l'étude économique (Insee) dispose en revanche de statistiques sur l'âge de la maternité.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Nous retrouvons à travers votre présentation plusieurs éléments qui nous ont été exposés hier à l'hôpital Robert-Debré, notamment sur l'obésité ou l'élévation de l'âge des mères. Par ailleurs, un lien probable a été établi par le chef de service que nous avons rencontré entre les bons taux de mortalité recueillis en Suède et les choix de ce pays en matière d'organisation des soins. Le regroupement des maternités au sein d'établissements de pointe et parfois éloignés du domicile des parturientes serait un facteur favorable. Avez-vous un avis là-dessus ?

Comment expliquez-vous le défaut d'appariement des données ? S'agit-il d'un problème uniquement technique, d'un retard technologique, ou cela tient-il à un désintéressement des pouvoirs publics ou à un manque de financement ? Le manque d'exploitation des données a été également mis en avant par la cheffe de service de néonatologie que nous avons vue hier.

Par ailleurs, durant notre visite, les équipes nous indiquer noter une forte croissance du nombre d'interruptions médicales de grossesse proposées mais non acceptées par les familles. Avez-vous des chiffres à ce sujet ? Quelle serait la raison de ce phénomène, qui s'observe malgré la performance des diagnostics anténataux ? On a évoqué des facteurs religieux à l'hôpital Robert-Debré, liés à la population qui fréquente l'établissement.

Ce phénomène peut-il être mis en lien avec la hausse de la mortinatalité, ou bien d'autres facteurs jouent-ils en la matière ? Une interruption médicale de grossesse est en effet proposée aux parents en cas de polyhandicap grave ou pour des enfants jugés non viables.

Dr Michel Vernay. - Plusieurs facteurs expliquent la fragmentation des systèmes de surveillance, à commencer par un coût financier certain. Je vous renverrai sur ce point vers la Drees. Des limites réglementaires existent également, le SNDS ayant été construit de façon à limiter les risques de réidentification, ce qui compromet un chaînage optimal des données pour les morts néonatales. Des voies de contournement existent néanmoins.

En matière de mortinatalité et de mortalité néonatale, des confusions se produisent aussi entre les sources. Des mort-nés enregistrés dans le PMSI sont ainsi comptabilisés à l'état civil comme des enfants nés puis décédés, donc relevant de la mortalité néonatale. Il s'agit de très faibles effectifs, de 100 à 150 enfants, mais qui jouent sur les taux que nous calculons, car nous avons affaire à de petits ordres de grandeur. En appareillant ces données de manière optimale, nous pourrions résoudre ce problème.

Aucun suivi particulier des interruptions médicales de grossesse (IMG) n'est effectué par Santé publique France. Cependant, la diminution du nombre des IMG peut clairement agir sur la mortinatalité ainsi que sur la mortalité néonatale ou l'extrême prématurité. En revanche, nous ne savons pas quelle proportion cela représente dans les évolutions que nous constatons.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Disposez-vous de données comparatives par rapport aux autres pays de l'Union européenne sur ce point ?

Dr Michel Vernay. - Je ne peux pas vous répondre dans l'immédiat, mais nous regarderons quelles données nous pourrons vous fournir ultérieurement.

Mme Émilienne Poumirol. - La précarité ne figure pas parmi les indicateurs que vous mettez en avant, alors qu'il s'agit d'un facteur important. Manquez-vous de données sur ce point ? Est-ce un choix de votre part ? L'hôpital Robert-Debré reçoit de nombreuses mères d'origine étrangère, sans-abri, etc.

Que pensez-vous du rôle que pourraient jouer les sages-femmes dans l'entretien prénatal précoce, compte tenu du manque de médecins ?

Mme Marie-Pierre Richer. - La part de césariennes dans les pratiques d'accouchement varie de 8 % à 42 % selon les établissements. Quelle est la raison de écarts très importants ? Les pourcentages les plus élevés ne concernent-ils que quelques établissements ?

Quelles conséquences le couchage d'un enfant de deux mois, seul dans une pièce, peut-il avoir sur lui, par comparaison avec un couchage dans la chambre de ses parents ? Je ne comprends pas très bien la partie de votre document de présentation qui porte sur ce sujet.

Par ailleurs, si les femmes sont plutôt bien suivies durant la grossesse, elles sont souvent assez désarmées après l'accouchement.

Dr Michel Vernay. - Nous n'avons pas détaillé le panorama des inégalités sociales de santé, mais la position socioéconomique joue évidemment un rôle, notamment sur l'appropriation des messages favorables à la santé. La nouvelle enquête nationale périnatale, qui sera bientôt dévoilée, vous fournira d'autres éléments à ce sujet.

Certaines maternités pratiquent davantage de césariennes car elles assurent le suivi des grossesses à risque. En revanche, nous n'avons pas d'explication sur le fait que certaines maternités comparables aient plus fréquemment recours à la césarienne que d'autres.

Mme Marie-Pierre Richer. - N'avez-vous pas les chiffres des césariennes programmées ?

Dr Michel Vernay. - Je me renseignerai, mais je ne le crois pas.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Il existe effectivement une très grande disparité en la matière entre les établissements. On nous a dit, à l'hôpital Robert-Debré, que certains établissements pratiquent très peu de gestes techniques tels que césariennes ou épisiotomies, car ils reçoivent beaucoup de patientes et disposent des ressources humaines nécessaires pour intervenir en temps voulu.

Dr Michel Vernay. - Nous avons indiqué dans notre document les pratiques de couchage telles qu'elles ont été rapportées par les mères que nous avons interrogées. Le fait de dormir dans le lit des parents est un facteur de risque important.

Mme Marie-Pierre Richer. - Qu'en est-il du suivi des mères après l'accouchement ?

Dr Arielle Le Masne, chargée d'expertise scientifique interactions précoces - 1 000 premiers jours au sein de la direction de la prévention et de la promotion de la santé de Santé publique France. - Nous n'avons pas de données sur l'accès des femmes à l'entretien postnatal précoce, car il vient d'être mis en place. Nous espérons qu'il devienne un jalon pour briser l'isolement dans lequel la femme est plongée à cette période. En revanche, l'obligation et la généralisation de l'entretien prénatal précoce amélioreront peut-être son accès, dont les chiffres ont été publiés dans l'enquête de 2021.

Notre stratégie de promotion de la santé périnatale s'appuie sur la non-séparation de la relation mère-enfant, qui est un élément fondamental pour la santé de l'enfant. L'OMS et l'Unicef ont proposé un cadre de référence, dans le rapport Nurturing care for early childhood development, qui est le fondement de notre stratégie de promotion de la santé. Ce cadre s'articule autour de cinq composantes : les soins de santé, la nutrition, le soutien aux familles les plus vulnérables, la sécurité et la sûreté des environnements et l'apprentissage précoce.

La santé de l'enfant dépend de la santé mentale et physique des parents. C'est pourquoi le suivi médical pendant la grossesse inclut le tabac, l'alcool, les perturbateurs endocriniens. Les entretiens de parcours de grossesse sont fléchés sur la santé mentale, car c'est la première cause de complication de la grossesse. Les séances de préparation à la naissance et à la périnatalité permettent de lutter contre l'isolement. Il faut augmenter l'accès à ce dispositif, car toutes les femmes n'y ont pas accès. Enfin, l'entretien postnatal précoce a pour objectif de repérer les dépressions post-partum ou les facteurs de risque, afin de bien orienter les femmes. C'est un dispositif intéressant ; il faut en accompagner la montée en puissance. Cet entretien postnatal précoce n'est pris en charge qu'à 70 % par l'assurance maladie contre 100 % pour l'entretien prénatal précoce.

Il est nécessaire d'articuler les relations entre l'hôpital, la médecine de ville, les services de protection maternelle et infantile (PMI) et les dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité. Ce maillage est important pour assurer la continuité de l'accompagnement des parents.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - La différence du niveau de remboursement des entretiens prénatal et postnatal a-t-elle un impact sur le nombre de consultations ?

Dr Arielle Le Masne. - Nous ne disposons pas de chiffres, mais, logiquement, cela ne facilite pas l'accès aux consultations pour les populations les plus vulnérables. L'entretien prénatal précoce a été encouragé dans le cadre de la feuille de route des 1 000 premiers jours.

J'en viens à la nutrition. L'allaitement est un point important, qui ne peut être délié des soins délivrés dans les services de maternité et de néonatologie. Santé publique France soutient, au travers du programme Initiative hôpital ami des bébés (Ihab), la mise en place des conditions pour le succès de l'allaitement, qui passe par des pratiques de soins centrées sur les rythmes et les besoins des enfants et des parents ; ce programme axé sur la non-séparation a prouvé son efficacité. Nous recommandons l'allaitement maternel au travers de propositions à destination du grand public et des professionnels.

La sécurité affective est un autre point fondamental, quel que soit l'état médical du bébé, car ce qui se passe dans les premières semaines aura des répercussions à long terme sur sa vie. Pour qu'il se sente en sécurité, il faut que les parents le soient eux-mêmes. La non-séparation à la naissance est un élément important pour la mise en place d'un environnement sûr. Mes collègues de néonatologie ont sans doute évoqué avec vous les transferts in utero et le modèle du couplet care.

La sécurité affective est également liée à la disponibilité des parents ; il faut redonner du temps aux parents - c'était une priorité de la feuille de route des 1 000 premiers jours -, ce qu'a permis l'allongement du congé parental, même s'il reste des progrès à faire. Le retour au travail est une période difficile, notamment parce qu'il entraîne des cessations d'allaitement.

Il est nécessaire d'accompagner les compétences parentales des personnes fragiles. Nous avons mis en place des interventions de prévention précoce, qui ont montré leur efficacité aussi bien sur la santé de la mère que sur le recours aux soins de l'enfant et sur son développement. Dans les départements pilotes, l'intervention de prévention précoce Panjo propose aux femmes vulnérables des visites à domicile réalisées par les puéricultrices de la PMI sur la base d'un programme construit, évalué, cadré et évolutif.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Avez-vous constaté davantage de problèmes de santé mentale depuis le covid ?

Mme Alima Marie-Malikité. - Nous n'avons pas de données propres aux femmes enceintes. La santé mentale des jeunes entre 15 ans et 24 ans s'est beaucoup dégradée. Dans le cadre de l'ENP, nous avons davantage travaillé sur la dépression post-partum ; il faut attendre la prochaine édition pour connaître les évolutions.

Dr Arielle Le Masne. - La santé mentale est un point important.

Mme Émilienne Poumirol. - La PMI est différente selon les moyens dont disposent les conseils départementaux, ce qui fait que le suivi des enfants est inégal selon les territoires ; voilà d'ailleurs un exemple des inconvénients du non-aboutissement de la décentralisation. Avez-vous des données sur les différences de suivi en matière de PMI selon les départements ? Le suivi devrait être égal à l'échelle nationale ; les inégalités départementales me gênent.

Dr Arielle Le Masne. - Nous partageons votre constat. Les PMI maillent le territoire, mais de façon hétérogène, en fonction de décisions locales. La Drees a publié, en 2022, un rapport sur la protection maternelle et infantile, montrant combien ces servies géraient la pénurie de professionnels.

Cela étant dit, ces services nous semblent les plus pertinents pour répondre au problème des inégalités territoriales de santé, comme l'a montré la députée Michèle Peyron dans son rapport Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! Ils peuvent travailler dans la proximité. Toutefois, les consultations à domicile n'ont pas de cotation ni de valorisation.

L'efficacité d'un fin maillage territorial, des visites à domicile, des formations et des programmes a été prouvée.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les données relatives au certificat de santé au huitième jour n'étant plus recueillies, faut-il y renoncer ou au contraire l'améliorer ?

Dr Michel Vernay. - Les données sont recueillies, mais elles ne sont plus compilées à l'échelle nationale depuis 2018 - la Drees en était chargée - en raison d'un problème de standardisation des données. De plus, certains conseils départementaux ne les transmettaient pas aux services centraux.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je suis frappée par les chiffres relatifs au suicide, qui serait la première cause de mortalité des femmes en post-partum et par ceux qui montrent l'explosion de l'obésité, facteur de risque important.

Est-ce qu'un autoquestionnaire, à l'instar de celui qui peut être utilisé à l'hôpital Robert-Debré que nous avons visité, est un outil bien identifié par l'ensemble des hôpitaux ? Est-il promu auprès des femmes en post-partum ? Permet-il de réduire le risque de suicide ?

À l'occasion de cette visite, nous avons discuté de la prise en charge de l'activité physique et de l'alimentation de la femme enceinte pour lutter contre le risque d'obésité. Il existe des plans d'activité physique, mis en oeuvre par des éducateurs formés et des nutritionnistes, mais ils ne sont pas remboursés pour la femme enceinte. Selon vous, faudrait-il envisager une prise en charge par l'assurance maladie pour contenir l'explosion de l'obésité chez la femme enceinte ?

Les mères rentrent plus rapidement à leur domicile qu'auparavant. Le suivi de la grossesse est plutôt cadré et lisible, mais une fois à la maison, tout dépend du milieu social, du territoire, de la proximité d'une ville ou non. Les effets du retour précoce pour les parturientes les plus fragiles ont-ils été étudiés de près ?

Dr Arielle Le Masne. - Il existe plusieurs questionnaires de repérage dits EPDS (Edinburgh Postpartum Depression Scale), analogues à celui que vous avez eu entre les mains à l'hôpital Robert-Debré. Nous en proposons un sur le site internet 1000-premiers-jours.fr.

L'utilisation de ces questionnaires soulève des questions de fond : ce n'est pas la même chose d'y répondre dans la salle d'attente d'un service de soins - il y a souvent ensuite une discussion avec un professionnel - ou de le faire seule chez soi devant son ordinateur... De plus, comment sera ensuite orientée la patiente ?

De même que l'entretien prénatal précoce est un moment fondamental pour repérer les vulnérabilités des femmes, ces questionnaires standardisés constituent une aide précieuse au repérage pour les cliniciens, les sages-femmes et les autres professionnels de santé.

Les dispositifs de retour précoce sont variables selon les territoires. Nous ne pouvons qu'appeler à la continuité de la relation hôpital-ville, les services de PMI pouvant être le point central de ce maillage. Certains services de PMI sont intégrés à l'hôpital, comme au centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille ou à Roubaix ; cela permet à la puéricultrice d'orienter les patientes. La continuité est une piste de réflexion, de même que le renforcement impérieux du nécessaire lien entre les aspects médicaux et sociaux.

Je n'ai pas d'information sur le remboursement des séances d'activité physique pendant la grossesse.

Mme Émilienne Poumirol. - Actuellement, elles ne sont pas remboursées, contrairement à l'activité physique adaptée (APA) pour les patients atteints de cancer.

Dr Michel Vernay. - Le risque d'obésité est pris en charge dans le suivi de la grossesse ; les équipes médicales y sont déjà vigilantes. L'obésité, c'est comme le tabac : il est plus facile de ne pas y entrer que d'en sortir. La priorité, c'est de prévenir l'obésité dans la population générale.

Il faut garder ce risque à l'esprit, car il aura des conséquences sur la grossesse, sur la santé de la femme et sur celle des enfants. Il faut travailler sur la prévention de l'obésité et accompagner les femmes pour en maîtriser le risque.

Dr Arielle Le Masne. - En résumé, nous souhaitons appeler votre attention sur l'importance des données pour comprendre les sujets sur lesquels vous travaillez et y répondre le plus finement possible, notamment pour la prise en charge des extrêmes prématurés ou les transferts in utero. Sans ces données, on ne peut formuler que des hypothèses pour identifier les leviers de prévention pertinents.

Nous souhaitons également appeler votre attention sur l'importance des recommandations pour la population générale, parce que les problèmes médicaux ne commencent pas à la grossesse, même si les femmes ont, au cours de cette période, un suivi médical serré et reçoivent beaucoup d'injonctions. Ce suivi est l'occasion de procéder à certains rattrapages, par exemple pour les jeunes adultes n'ayant pas eu beaucoup de rendez-vous médicaux.

Les autres points d'attention sont l'importance de la coordination du parcours de grossesse, la promotion de l'allaitement maternel, le soutien aux interactions précoces qui passe, pour les personnes les plus vulnérables, par le déploiement d'interventions de prévention précoces à domicile réalisées par les PMI et la nécessité de consolider les droits des futurs parents et d'être vigilant sur les nombreux petits territoires défavorisés.

Mme Alima Marie-Malikité. - Au-delà des réponses écrites à votre questionnaire, -que nous vous ferons rapidement parvenir - nous restons à votre disposition pour vous fournir d'autres informations spécifiques.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie.

Audition de professionnels de santé périnatale

(Mardi 26 mars 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui plusieurs sociétés savantes constituées de professionnels de santé concernés par la prise en charge des mères et de leur bébé pendant la grossesse, l'accouchement et les premières semaines de vie, à savoir :

- le collège national des gynécologues et obstétriciens français ;

- le collège national des sages-femmes de France ;

- la société française de néonatalogie ;

- et la société française de médecine périnatale.

Ces sociétés savantes regroupent des obstétriciens, des sages-femmes, des pédiatres et des anesthésistes mais aussi, au sein de leur conseil d'administration, des psychiatres, des psychologues, des puéricultrices, des épidémiologistes et des représentants des patients.

Nos auditions de la Haute Autorité de santé (HAS) et de Santé publique France ainsi que notre visite à l'hôpital Robert Debré la semaine dernière nous ont permis de dresser un premier état des lieux global de la santé périnatale en France aujourd'hui.

Plusieurs éléments nous ont marqués.

Tout d'abord, la mortalité infantile augmente sans que l'on ne dispose d'étude permettant d'en identifier précisément tous les facteurs sous-jacents et sans qu'il soit possible d'établir de corrélation claire entre le type et la taille des maternités, d'une part, et la sécurité des soins d'autre part. Ce constat nous interroge sur les conclusions de l'Académie de médecine qui, dans son rapport de l'année dernière, recommandait la fermeture des maternités réalisant moins de mille naissances par an.

Ensuite, les facteurs de risques associés aux grossesses sont en hausse du fait notamment d'un âge de maternité plus tardif, d'une augmentation de la précarité, d'une obésité plus fréquente et de la dégradation de la santé mentale des mères. Le suicide est désormais la première cause de mortalité des mères dans l'année qui suit leur grossesse, ce qui interroge sur la prise en charge de la santé mentale des mères dans la période prénatale, comme postnatale.

Vous nous direz quel regard vous portez sur ces différents sujets et quelles sont vos préconisations pour améliorer la prise en charge des mères et de leur bébé dans le contexte de pénurie de professionnels de santé que nous connaissons. Je vais vous laisser la parole successivement pour quelques minutes. Puis je passerai la parole à notre collègue Véronique Guillotin qui est rapporteure et qui vous posera une première série de questions.

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - En 2019, nous avions déjà prévenu le Premier ministre, car la France était l'un des seuls pays européens qui n'avait pas amélioré sa mortalité néonatale entre 2010 et 2015. Ce déclassement ne s'explique pas par le développement de facteurs de risques spécifiques à notre pays, ceux-ci connaissant la même croissance dans tous les pays. Notre problème est ailleurs.

En 2019, la France était particulièrement déclassée, tant concernant la mortinatalité, c'est-à-dire les enfants nés sans vie, que la mortalité néonatale. Il ne s'agit donc pas d'un problème de transfert de la mortalité anténatale vers la mortalité post-natale.

La demande principale des cliniciens était de parvenir à établir des statistiques sur la mortalité périnatale. Or il existe plusieurs bases de données qui ne communiquent pas entre elles. Ainsi, s'il est possible de compter la mortalité, il n'est pour l'heure pas possible de rattacher chaque décès à une histoire médicale.

Depuis lors, Jennifer Zeitlin et les chercheurs de l'équipe EPOPé ont pu comparer la situation de la France à celle de cinq autres pays. Ils ont pu constater qu'il existe une très importante différence de taux de mortalité pour les extrêmes prématurés. Cependant, ceux-ci représentent moins de 1 % de la population et, ainsi, le nombre de patients réellement concernés est très faible. À l'échelle logarithmique, l'on constate que l'écart du taux de mortalité pour les naissances à terme est légèrement plus élevé mais, comme il s'agit d'une part très importante de la population étudiée, cet écart recouvre un nombre important de décès. En France le taux de mortalité de l'enfant au terme de la grossesse est de 0,5 pour 1000.

Ainsi, la France connaît un taux de mortalité supérieur à ses voisins européens sur les situations à la fois de haut risque (prématurés extrêmes) et de bas risque (naissances à terme).

Sur le bas risque, la mortalité est évitable, la problématique principale est celle de la permanence des soins. Il existe un défaut d'organisation des soins identifiés. Il faut en effet comprendre que, pour assurer la sécurité des naissances dans une maternité, trois permanences de soins doivent être assurées : obstétrique, pédiatrique et anesthésique.

S'y ajoute le fait que les jeunes souhaitent travailler en équipe et dans de bonnes conditions de sécurité. Ils ne souhaitent pas faire plus de quatre ou cinq gardes par mois et un à deux week-ends au maximum. Ceci signifie que chaque maternité doit être dotée a minima de trois équipes de sept personnes. Or les petites maternités n'ont pas les moyens de fournir de l'activité à 21 personnes.

Cette modification majeure a d'ores et déjà été prise en compte dans les pays d'Europe du Nord qui ont le taux de mortalité périnatale le plus bas d'Europe et qui ont engagé par le passé des restructurations profondes. Le problème n'est pas de fixer un seuil à 500 ou 1 000 naissances mais de savoir si l'établissement a les effectifs pour effectuer les gardes dans de bonnes conditions. La HAS a par ailleurs omis de dire qu'il existe un consensus des praticiens sur l'insécurité des équipes constituées de « mercenaires » intérimaires. Si les salariés ne se connaissent pas, ils ne sont pas capables de faire face aux situations de crise.

Concernant les situations de haut risque, avec mes collègues, nous avons mené cinq enquêtes, dont les principaux résultats avaient été transmis au Monde. Je vous les ai également envoyés. En résumé, ces études mettent en avant les éléments suivants :

- une offre de soins insuffisante, mal financée et mal répartie ;

- une charge de soin excessive pour les infirmières ;

- des ressources humaines médicales fragilisées ;

- un transport néonatal très inéquitablement organisé sur le territoire.

En conclusion, je voudrais insister sur le fait que la campagne des 1 000 premiers jours, bien qu'utile, est insuffisante pour améliorer la santé périnatale. Cette campagne vise à améliorer l'état de santé ultérieur de l'enfant. Néanmoins, elle n'a pas d'impact sur la mortalité. Il faut ainsi adopter une politique périnatale assurant la sécurité. Actuellement, cinquante maternités sur le territoire français sont hors la loi car elles ne disposent pas de pédiatre, mais elles sont toujours ouvertes. À cela s'ajoute le fait que la DGOS ne dispose pas de référent en périnatalité depuis une dizaine d'années et que la commission nationale des naissances ne se réunit plus depuis dix ans. Il manque un pilote dans l'avion. L'ensemble de ces facteurs expliquent pourquoi les résultats s'aggravent année après année.

Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Nous entendons, au cours de nos auditions, les mêmes éléments de diagnostic, ce qui est rassurant. Pouvez-vous nous en dire plus sur les décrets périnatalité de 1998 et la manière dont il serait souhaitable de les faire évoluer ?

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Plusieurs groupes de travail se sont penchés sur la réforme des autorisations menée par la DGOS. Dans le cadre des soins critiques pour adultes et pédiatriques, ces travaux ont abouti à la publication de décrets en avril 2022. Pour les soins critiques néonataux, tous les travaux ont été arrêtés en raison de la crise des « Gilets jaunes ».

En définitive, cela ne me gêne pas que de petites maternités restent ouvertes, mais il faut savoir que le prix de cette ouverture est de disposer d'un taux de mortalité qui se situe à 1 pour 1000 pour les situations de bas risques. Ainsi, toutes les mille naissances, un risque non prévu existe. En l'absence de personnel médical, ce risque peut aboutir au décès de l'enfant. Il y a un choix politique à faire. La population n'a pas connaissance de ce risque. Néanmoins, les personnes ayant connaissance des accidents qui surviennent dans une maternité décideront de ne pas y aller pour y donner naissance à leur enfant.

Ma position est par conséquent la suivante : il faut restructurer très fortement les maternités de France afin de mettre en sécurité à la fois les parents et les enfants.

Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Quand vous évoquez les maternités « insécures », évoquez-vous le nombre d'accouchements ou la composition des équipes de ces maternités ?

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - J'évoque principalement la question de la composition des équipes. Il existe de nombreuses petites maternités qui n'ont plus le nombre de praticiens nécessaires qui leur permettrait d'avoir une équipe stable.

Elsa Kermovant, société française de néonatalogie. - Une remarque complémentaire concernant les décrets de 1998 : au sein de la société française de néonatalogie, nous lançons des alertes sur le problème de l'inadaptation capacitaire de l'offre de soins critiques, en termes de taille, de répartition et d'organisation. Enfin, ceux-ci sont en très forte situation de sous-effectif.

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Un groupe de travail sur la réforme du financement des soins critiques a mis en évidence qu'une journée de soins critiques en néonatalogie coûte environ 1 300 euros (contre 2 100 euros pour une journée de soins critiques adultes). Par ailleurs, seuls soixante services en France proposent des soins critiques pour la néonatalogie. Pour ce type de soins, nous avons des modèles très clairs : le Québec ou encore la Suède. Les soins de néonatalogie ne coûtent pas beaucoup en médicaments, mais nécessitent la présence de puéricultrices qui s'en occupent à quatre mains. Il s'agit avant tout de faire du « care ». Nous ne mettrions pas en péril les finances de la Sécurité sociale si nous développions les services de soins critiques en néonatalogie.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous évoquiez la nécessité de disposer d'une équipe de 21 personnes pour assurer les gardes en maternité. Comment procéder dans une situation de pénurie de soignants ?

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Actuellement, nous mettons les soignants dans une situation où leurs souhaits ne sont pas respectés. Par conséquent, les soignants ne sont plus attirés par ces activités. La pédiatrie est un métier merveilleux et attirant. Cependant, il faut que les conditions de travail soient raisonnables. Il faut notamment que les soignants soient accueillis dans de grandes équipes et que leur vie familiale soit respectée. À mon avis, ces souhaits sont réalisables, à condition de procéder à une restructuration.

Delphine Mitanchez, présidente de la société française de médecine périnatale. - Je suis professeur de néonatalogie à Tours. Je suis accompagnée du professeur Damien Subtil, gynécologue obstétricien à Lille et vice-président de la SFMP. Notre société réunit l'ensemble des professionnels médicaux, paramédicaux, ainsi que des représentants d'usagers impliqués dans l'accompagnement et la prise en charge clinique et psychosociale de la grossesse et de la naissance.

Nous envisageons une prise en charge globale des parents et de l'enfant. Nous travaillons en lien avec la fédération des réseaux et plusieurs sociétés savantes, dont celle des anesthésistes de l'obstétrique, les associations de sages-femmes et les puéricultrices qui sont des acteurs importants de la périnatalité. Il serait intéressant de les auditionner, car elles travaillent dans les services hospitaliers mais également dans les PMI. Les représentants des usagers siègent également dans notre conseil d'administration.

Nos objectifs sont de :

- rassembler les professionnels de santé de la périnatalité ;

- soutenir la recherche en périnatalité pour améliorer les prises en charge ;

- diffuser les nouvelles connaissances (congrès annuel et webinaires) ;

- collaborer et échanger avec les autres sociétés ;

- représenter les professionnels de la périnatalité auprès des instances ;

- prendre position sur des propositions d'organisation des soins (maisons de naissances) ;

- coordonner et animer des groupes de travail (groupe de travail sur la bientraitance en périnatalité -- table ronde au congrès de Nancy en octobre 2024).

Tous les acteurs ont dressé le constat de la dégradation de la santé périnatale. La SFMP estime que cette dégradation est causée par une inadéquation entre les exigences du système de soins, tel qu'il est organisé actuellement, des professionnels de la périnatalité et des usagers. Chacun de ces acteurs accorde des priorités différentes à la périnatalité en termes de sécurité, d'efficience et d'accessibilité aux soins.

En mars 2023, la SFMP, la SFN et le CARO (Club anesthésie-réanimation en obstétrique) ont signé une tribune dans Le Monde afin d'alerter les pouvoirs publics sur la situation du système de soins.

Nos constats sont les suivants :

- Il y a d'abord un enjeu de territoire : nous n'avons pas de vision globale sur la situation des ressources humaines dans les maternités. Au regard de la pénurie de ressources humaines, les fermetures se poursuivront, sans que l'on ne puisse réellement savoir quels établissements fermeront, ni quand. Nous avons également, cela a déjà été dit, un manque d'information extrêmement préjudiciable lorsque nous sommes dans l'incapacité de relier les évènements indésirables au parcours de soin par exemple.

- En raison de cette pénurie, l'inégalité territoriale se creusera. De plus en plus de territoires se trouveront privés d'offre de soins périnataux et seront en situation de « désert périnatal ». Ces inégalités s'accentueront au détriment des territoires ruraux.

- Il est nécessaire de définir une stratégie nationale d'aménagement du territoire en matière d'offre de soins périnataux. Celle-ci doit être concertée avec les élus, les professionnels et les usagers et permettre aux usagers d'accéder au « plus haut niveau de soins ».

Nous pensons que le regroupement des plateaux d'accouchement est inévitable en raison, d'une part de l'évolution de la démographie médicale, et d'autre part, de l'aspiration des jeunes soignants à obtenir un meilleur équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle. Les jeunes soignants n'acceptent plus la même charge en garde que celle que nous avons pu accepter. Nous ne pouvons aller contre cette évolution sociétale.

Nous souhaitons aussi éviter des fermetures temporaires et intempestives. Se pose également le problème de l'intérim qui, il me semble, ne favorise pas la sécurité des soins. En effet, le travail d'équipe est très important. Or si nous envoyons les jeunes des centres les plus fournis vers les centres en difficulté, nous les découragerons.

De notre point de vue, il ne faut pas raisonner en termes d'accouchement (nous ne validons pas le seuil des mille naissances), mais en temps d'accès. Il faut des équipes en nombre suffisant (au minimum 7 ETP par garde pour chaque spécialité, obstétrique, anesthésie, pédiatrie). Par ailleurs, les équipes pédiatriques peuvent couvrir plusieurs secteurs de garde. Il faut donc au minimum 21 soignants pour que les maternités soient considérées comme sécurisées.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le temps d'accès maximal à la maternité que vous jugez acceptable pour limiter les risques ?

Damien Subtil, société française de médecine périnatale. - En Suède, les distances sont bien plus importantes qu'en France. Les maternités se situent en moyenne à une heure de distance du domicile des parents.

Jean-Christophe Rozeé société française de néonatalogie. - Les habitants des îles de l'Atlantique ne disposent pas de maternité. Ils sont éduqués à cette réalité. Par conséquent, les parents viennent sur le continent à l'approche de la naissance de leur enfant. Ce mode de fonctionnement nécessite une organisation. Il n'y a pas de distance idéale. Une étude de la DRESS a ainsi montré que l'éloignement des maternités augmentait le nombre d'accouchements extrahospitaliers, mais sans augmenter la morbidité.

Damien Subtil, société française de médecine périnatale. - Les maternités suédoises sont moitié moins nombreuses que les nôtres et sont dotées de très grands plateaux d'accouchement. Certains patients habitent à trois cents kilomètres des maternités. Tout est organisé pour que les patientes viennent avant leur accouchement et logent dans des hôtels hospitaliers. Toutefois, il est vrai que la Suède a davantage recours au déclenchement. Ce modèle est très tentant. La prise en charge humaine y est très forte. Les sages-femmes assurent tout le suivi de la grossesse et les parents ne viennent à la maternité que pour accoucher. Ils n'y restent que quelques heures, ils demeurent ensuite deux jours dans l'hôtel hospitalier et enfin ils rentrent chez eux.

Delphine Mitanchez, présidente de la société française de médecine périnatale. - C'est exactement le sens de notre proposition. Nous souhaitons que le territoire soit couvert par des maternités qui n'assurent pas les accouchements, mais qui réalisent le suivi à proximité pendant la grossesse. Ces maternités travailleraient en collaboration avec les plateaux d'accouchement. Nous pouvons aussi penser à mutualiser les compétences pour préserver le suivi de proximité avant et après la naissance. En Suède, les mères bénéficient d'un accompagnement individualisé, ce qui nécessite de mettre en place un maillage territorial en matière de transport, ainsi que de développer des hôtels hospitaliers.

Nous voulons aussi insister sur la considération de la santé mentale en périnatalité. Ce sujet nous tient à coeur. La santé mentale des mères est considérée comme étant de haute importance pour l'avenir de l'enfant. C'est le sens de la campagne des mille jours, de l'entretien du quatrième mois et de l'entretien postnatal qui peine à être déployé. Il faut mettre en place des structures de soutien psychosocial et accompagner les inquiétudes des usagers face à l'évolution du système. Il faudra, enfin, mettre en place des mesures en faveur de la bientraitance des usagers comme des professionnels. Nous sommes dans l'attente d'un rapport du groupe de travail de la SFMP sur le sujet.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Le Monde vient de publier un article qui indique que 5 % des jeunes pères souffriraient aussi de dépression post-partum.

Delphine MITANCHEZ, présidente de la société française de médecine périnatale. - Nous proposons de revenir à un cercle vertueux avec la mise en place d'un processus de décision qui viserait à la mise en application et la réorganisation des soins en périnatalité dans la concertation, la discussion et l'arbitrage.

Je pense qu'il est nécessaire que ce processus soit accompagné d'un plan de formation ambitieux des professionnels en périnatalité. Nous sommes confrontés à un manque de professionnels dans certaines filières et nous devrons augmenter le numerus clausus. Il faut également adopter un plan de communication à destination des usagers.

Nous souhaitons aussi le développement de la recherche pour mieux comprendre les raisons de la dégradation de la situation, ainsi que certains mécanismes (celui de la prématurité par exemple).

Il faut rouvrir les discussions. Nous avions demandé, dans le cadre de notre tribune dans Le Monde, la tenue d'assises de la périnatalité. Il serait souhaitable d'ouvrir ces discussions au niveau régional avant de les étendre au niveau national.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous avez évoqué le nombre de 21 ETP (équivalent temps plein) pour assurer les gardes médicales. Combien faudrait-il d'ETP de personnels paramédicaux ?

Delphine MITANCHEZ, présidente de la société française de médecine périnatale. - Je connais moins cette question, mais il est évident qu'il faut un minimum d'infirmières et d'auxiliaires de puéricultures. À ma connaissance, ce n'est pas normé. Par ailleurs, le modèle des 21 ETP n'est pas non plus idéal à cause des comptes épargne temps qui permettent aux soignants de partir à la retraite de manière anticipée sans qu'il soit possible de les remplacer pendant cette période.

Éléonore Bleuzen-Her, présidente du collège national des sages-femmes de France. - Je vous remercie d'initier cette mission d'information. Les sages-femmes sont des acteurs majeurs de la santé périnatale. Nous partageons les constats de nos collègues sur les difficultés à faire fonctionner les maternités, à la fois en raison de la diminution du personnel médical et du développement de l'intérim dans certains établissements.

Nous voulons insister sur le fait qu'il existe une mauvaise rationalisation des soins. En France, les grossesses sont majoritairement physiologiques (dans 70 % des cas). Or 54 % des grossesses à bas risque sont suivies par des gynécologues obstétriciens. Nous nous interrogeons donc sur la rationalisation des soins et l'utilisation à bon escient de l'expertise médicale.

Je voudrais, par ailleurs, ouvrir une réflexion sur la notion de bas risque, qui n'est pas encore définie en France. Qu'est-ce qu'une femme et une grossesse à bas risque ? Cette définition permettrait de mieux orienter les femmes vers des soins qui sont adaptés à leur situation.

En outre, la demande des femmes évolue. Entre les deux enquêtes périnatales de 2016 et de 2021, nous avons constaté que trois fois plus de femmes font des projets de naissance.

La santé mentale est, de plus, un sujet important. Une femme sur sept présente une dépression post-partum. Dans ce contexte, il est important de mettre en place une prise en charge holistique incluant des dimensions somatiques, psychosociales et environnementales. Il convient de s'interroger sur l'environnement dans lequel la femme évolue.

La demande de médecine personnalisée se développe également en salle de naissance ou en consultation pré ou post natale. Les dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité sont perfectibles, notamment pour résoudre les difficultés de coordination dans les grandes régions et les transferts entre établissements selon les risques. Il doit y avoir des transferts à la fois de maternités de type 1 vers des maternités de niveau supérieur selon les risques associés à la grossesse mais également dans l'autre sens de maternités de type 2 ou 3 vers des maternités plus adaptées à des grossesses physiologiques. Les retours du terrain mettent aussi en évidence des situations de mauvaise orientation des femmes au sein des établissements et l'impact des fermetures de maternités qui conduisent à l'engorgement des maternités de grande taille.

Nous souhaitons émettre plusieurs propositions autour de deux axes :

- Premièrement, agir sur le parcours pour répondre aux demandes des usagers :

- Valoriser l'expertise des sages-femmes selon une vision holistique pour prendre en charge 70 % des grossesses en France et développer la notion et le dispositif de la sage-femme référente qui s'assure du suivi global de la patiente ;

- Utiliser l'expertise professionnelle à bon escient en distinguant l'expertise pathologique de l'expertise physiologique. À ce titre, il convient de se référer aux recommandations de la HAS sur l'orientation et le suivi des femmes enceintes ;

- Renforcer le suivi post-partum et valoriser l'accompagnement. Il s'agit également de mobiliser les autres professionnels de santé et notamment les puéricultrices et les auxiliaires de puériculture. Il y a de nombreux points de contact pendant la grossesse mais en post-partum, le suivi reste très faible malgré des améliorations récentes comme l'entretien post-natal précoce ;

- Deuxièmement, agir sur l'organisation territoriale ;

- Coordonner les trois acteurs que sont les établissements de santé, la médecine libérale et la PMI : la place des Dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité est centrale. Il convient de revoir régulièrement le zonage de la répartition sur le territoire des sages-femmes libérales ;

- Établir un cadre national tout en prenant en compte les spécificités territoriales sur l'harmonisation et en fonction des besoins de santé publique d'un territoire ;

- Depuis 20 ans, les fermetures de maternité sont à l'oeuvre, mais les indicateurs de santé publique ne s'améliorent pas. Les centres périnataux de proximité qui existent déjà doivent être développés, - des sages-femmes pourraient d'ailleurs en assurer la gestion selon les cas et organiser tout l'accompagnement prénatal.

Alexandra Benachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - Mon message principal serait le suivant : si vous changez les politiques de périnatalité, n'oubliez pas que toutes les professions sont affectées (sages-femmes, pédiatres, anesthésistes, médecins généralistes, personnel non médical, etc.).

L'enquête nationale périnatale a montré que les patientes sont de plus en plus âgées et avec un IMC de plus en plus élevé. Je partage le constat de mes collègues sur la possibilité que les sages-femmes assurent le suivi des grossesses physiologiques. Toutefois, dans dix ans, les femmes enceintes seront plus âgées, plus grosses et probablement dans des situations plus précaires. Or, plus une femme enceinte est âgée, plus elle risque d'être hospitalisée pendant sa grossesse. Cet élément doit être intégré dans les politiques de santé publique des dix prochaines années.

Par ailleurs, le suicide est la deuxième cause de mortalité des femmes. La première cause est représentée par les pathologies cardio-vasculaires. Grâce aux progrès de la médecine, de plus en plus de femmes qui sont porteuses de malformations ou de maladies rares peuvent être enceintes.

Il existe, en outre, un véritable problème quant à la permanence des soins. Il devient impossible de maintenir une offre de soin sécurisée en maternité en l'absence d'un gynécologue obstétricien. Or cette activité n'est pas reconnue comme une activité d'urgence.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Concrètement qu'est-ce que cela signifie pour les personnels médicaux ?

Alexandra Benachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français - Cette reconnaissance permettrait de fidéliser le personnel en lui octroyant un certain nombre d'avantages. En parallèle, il faut prendre en compte le souhait des jeunes soignants d'avoir une charge de travail moindre et l'arrêt des gardes par les femmes en moyenne douze ans après avoir soutenu leur thèse. Se pose aussi le problème du manque d'attractivité des carrières.

Nous sommes en 2024 et les décrets sur la périnatalité datent de 1998. L'organisation des maternités a considérablement évolué depuis. Aucun des dispositifs en fonctionnement aujourd'hui n'est inscrit dans ces décrets. En outre, dans ces décrets, le type de maternité est défini en fonction de la prise en charge néonatale, mais jamais en fonction de la prise en charge maternelle. Il faut absolument revoir ces décrets qui ne correspondent à aucune réalité aujourd'hui.

Enfin, nous dressons le constat que les sages-femmes sont moins nombreuses dans les salles de naissance, en raison des conditions de travail. Celles-ci sont de plus en plus jeunes, ce qui nécessite par ailleurs de pouvoir leur proposer un encadrement spécifique.

Je ne peux vous dire s'il faut fermer les maternités. Je pense en revanche qu'il faut mener une concertation avec tous les corps de métiers sur tous les territoires. Il existe des variations territoriales importantes en fonction du type de maternité. Je pense que les équipes doivent travailler ensemble. Il faut que les fermetures de maternité ne soient plus subies, mais anticipées. Il faut également développer les centres périnataux de proximité. Dans certaines régions, les ARS ont pris des décisions sans concertation avec les acteurs locaux, ce qui est regrettable. Il faut éviter les mesures sans coordination apparente entre les professionnels.

Je suis favorable au développement de l'expertise des sages-femmes. Malheureusement, le décret a été imposé de telle manière que le personnel médical, notamment gynécologue-obstétricien, a eu le sentiment que, ce faisant, les sages-femmes leur prenaient leur travail. Or ce n'est pas le cas puisque les sages-femmes n'ont vocation à s'occuper que des grossesses physiologiques. Il en est de même pour les parcours de fausse couche. A ce sujet, nous avons expliqué que nous ne disposions pas des ressources nécessaires pour les mettre en place. Malheureusement, nous n'avons pas été écoutés et le texte réglementaire a été publié il y a deux semaines. L'idée est bonne, mais nous ne sommes pas écoutés.

Les gynécologues et les sages-femmes ont, de surcroît, vécu des moments difficiles ces derniers temps, car ils ont été mis en opposition. Les gynécologues n'ont ainsi pas pu prendre part aux débats autour de décisions concernant les sages-femmes qui les affectaient directement. Je trouve cette situation regrettable.

Accessoirement, le glissement des tâches nécessitera un suivi de la qualité des prescriptions.

J'estime donc important de fédérer les corps de métier et de faire participer l'ensemble des métiers à la prise de décision.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous évoquiez le défaut d'attractivité des salles de naissance pour les sages-femmes. Il y a de plus en plus de sages femmes qui sortent de formation. Pour autant, elles sont nombreuses à s'installer en médecine de ville.

Je comprends aussi que les maternités sans accouchement et les centres périnataux de proximité recouvrent la même notion.

Delphine Mitanchez, présidente de la société française de médecine périnatale. - Je pense que d'un point de vue symbolique, il faut tout de même conserver le terme de maternité.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Enfin, vous indiquiez que le zonage des sages-femmes libérales devrait être revu plus régulièrement. À votre avis, à quelle fréquence doit-il être revu ?

Éléonore Bleuzen-Her, présidente du collège national des sages-femmes de France. - L'on entend beaucoup l'idée selon laquelle les sages-femmes ne veulent plus réaliser des accouchements. C'est faux. Les sages-femmes sont toujours attirées par cette activité. Le principal problème réside dans la dégradation de la qualité de vie au travail. Les conditions de travail en salle de naissance sont difficiles. Si les conditions de travail en salle de naissance s'améliorent, les sages-femmes y reviendront. Il serait à ce titre utile d'autoriser les sages-femmes à exercer, de manière pérenne, une activité mixte, à la fois à l'hôpital et en médecine de ville.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelles sont vos propositions pour rendre cette activité attractive ?

Camille Dumortier, collège national des sages-femmes de France. - Je suis sage-femme en salle de naissance au CHU de Nancy depuis 25 ans.

L'attractivité de cette activité réside dans les conditions de travail qui sont proposées. Durant ma carrière, j'ai passé seulement trois Noël et Nouvel An avec mes enfants. Il s'agit principalement d'un problème statutaire. Par ailleurs, nous avons droit à deux jours et demi de formation par an, ce qui est insuffisant pour une profession médicale. Il nous est ainsi quasiment impossible de préparer un DUE ou un diplôme complémentaire.

Par ailleurs, cette interdiction de l'exercice mixte rend les conditions de travail très difficiles. Il existe actuellement une pénurie de sages-femmes dans les établissements. Pour pouvoir réduire notre temps de travail et exercer en parallèle en libéral, il faut que le chef d'établissement donne son autorisation de réduire notre temps de travail et de reprendre ou créer un cabinet libéral.

Les demandes de disponibilités pour les sages-femmes sont refusées. Parallèlement, nous constatons que les sages-femmes sont de plus en plus nombreuses à démissionner de la fonction publique hospitalière, car elles ne veulent plus travailler dans les conditions actuelles.

Vous évoquiez, de plus, une différence entre les conditions de travail à Paris et en province. Il faut savoir que, dans la plupart des maternités, aucune infirmière n'est présente en salle de naissance. Seules des sages-femmes y travaillent.

Au bout de 25 ans, je vis encore des moments particulièrement difficiles, mais je pense que cela ne changera jamais, car c'est le propre de notre métier.

Nous avons néanmoins pris conscience de la problématique liée à la formation professionnelle. Nous avons demandé la réorganisation de nos études en six ans. Je rappelle que notre formation est réalisée intégralement en compagnonnage.

Pour ma part, j'ai travaillé dans différents établissements. J'y ai rencontré des internes en médecine qui se sentent « jetés » sur le terrain. En effet, en raison du manque d'effectif, nous avons moins de temps pour former nos pairs. Or c'est un élément important d'attractivité de la profession. Les étudiants qui sont bien accompagnés pendant leurs études sont plus enclins à travailler à l'hôpital public. Or, quand ils sont catapultés en deuxième année sur des gardes difficiles et que nous n'avons pas le temps d'organiser des débriefings avec eux, ils souhaitent, en définitive, s'orienter vers une autre activité.

En France, nous avons les compétences les plus larges qui existent. Ainsi les sages-femmes réalisent-elles des suivis gynécologiques et des interruptions volontaires de grossesse. Je rappelle que les sages-femmes sont les vigies des maternités.

Nous sommes assez attachées aux gardes de douze heures. C'est beaucoup plus difficile à vivre quand on vieillit, mais ce n'est pas impossible. Je connais de nombreuses sages-femmes libérales qui sont prêtes à venir prêter main-forte aux équipes hospitalières pour le suivi des naissances ou des grossesses pathologiques.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Je vous remercie d'être venus témoigner devant nous aujourd'hui afin de mieux comprendre vos problématiques et vos enjeux. Je vous remercie également pour vos propositions.

Je voudrais vous interroger sur la prise en charge des dépressions périnatales. Avez-vous des préconisations pour améliorer la détection et le soin des dépressions périnatales ? Disposez-vous d'appuis dans les territoires pour ce faire ?

Anne Chantry, collège national des sages-femmes de France. - Je vous remercie de cette question. La santé mentale des mères est au coeur de nos préoccupations. Aujourd'hui, on considère qu'une femme sur sept développe une dépression post-partum. Les dernières études réalisées montrent que le premier facteur de risque serait d'avoir développé une dépression avant ou pendant la grossesse. Ceci signifie qu'il est possible d'agir en amont. Pendant la période périnatale, il faudrait que la santé mentale des femmes soit placée au coeur des consultations.

Un gynécologue qui intervenait ce matin à la radio expliquait que ceux-ci avaient désormais besoin de plus de temps pour réaliser les consultations. Les gynécologues examinent en effet les antécédents médicaux mais également l'environnement de leurs patientes, les violences qu'elles peuvent subir et, enfin, leur santé mentale.

Néanmoins, nous n'avons pas d'outil de détection des dépressions pendant la grossesse. Les outils permettant la détection des dépressions pendant la période post-partum ne sont pas adaptés. Il faut donc développer la recherche autour de cette question.

Enfin, il faut que les professionnels de santé aient le temps de recevoir la parole des femmes si celles-ci expriment un mal-être et être en mesure de leur proposer des solutions.

Les psychiatres et les psychologues de la périnatalité sont en très faible nombre et sont très peu coordonnées. En conclusion, tout est à faire en la matière.

Alexandra Bénachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - Il y a un chapitre dédié aux solutions possibles pour améliorer la santé psychique des femmes enceintes dans le programme des mille premiers jours. Il serait possible dans un premier temps de mener des campagnes de sensibilisation auprès des femmes. Un certain nombre de mesures peuvent aussi être mises en place.

Des études sont actuellement menées sur le sujet. Nous avons les moyens de faire beaucoup mieux. Il faut en particulier améliorer la coordination entre les psychiatres et les pédopsychiatres.

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - Je voudrais recentrer le débat sur le nouveau-né. À l'heure actuelle, en France, nous enregistrons mille décès de plus chaque année que les pays nordiques. Ces décès correspondent à mille drames familiaux. Notre priorité doit être de remettre de la sécurité autour de l'accouchement. Il faut remettre un pilote dans l'avion pour éviter que cette situation ne continue de se dégrader.

Damien Subtil, société française de médecine périnatale. - Je ne voudrais pas que l'on donne l'impression qu'on oppose sécurité physique et sécurité psychique. Nous avons besoin des deux. En matière de sécurité psychique, nous devons encore fournir des efforts. Néanmoins, il faut d'abord assurer la sécurité physique de la maman et des enfants. La semaine dernière, une maman de 33 ans est décédée dans un camion du SAMU. Si elle était allée dans un grand centre d'accouchement, elle ne serait pas morte. Nous partageons l'idée de l'urgence de la restructuration. Cependant, il va falloir expliquer l'intérêt de cette restructuration, notamment aux maires. Nous avons eu récemment la fermeture de la maternité de Tourcoing, 1 800 naissances, du jour au lendemain sans aucune anticipation. Elle a pu rouvrir au bout de quelques mois mais demain ce seront peut-être des maternités de 3 000 naissances qui fermeront faute de personnels.

Mme Florence Lassarade. - J'ai été pédiatre de maternité pendant 35 ans, d'abord dans la plus grande maternité de France à Bordeaux, puis dans une petite maternité. J'ai adoré mon parcours. Néanmoins, la qualité de l'exercice dans une petite maternité dépend de la quantité de praticiens. Je constate, en outre, que si les maternités de ma région étaient regroupées, il n'y aurait plus de maternité entre Bordeaux et Toulouse.

Ma question est la suivante. Nous avons réduit le nombre de praticiens en raison du numerus clausus. Si le nombre de praticiens était suffisant, pourrions-nous garder les petites maternités ouvertes ? En effet, ces petites maternités rendent service et, si elles disparaissent, l'offre de transport devra être restructurée.

Deuxièmement, à la fin de mon exercice, j'ai constaté que les sages-femmes demandaient de suivre davantage de formations. Nous les organisions au CHU. Tout le monde connaissait son poste et, grâce à cette connaissance, nous augmentions les chances de l'enfant.

La formation des sages-femmes à la réanimation pédiatrique me semble être indispensable. S'il existe une pénurie, ouvrons la formation et recrutons des étudiants. Il est regrettable de devoir fermer des structures.

Alexandra Benachi, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - Effectivement, si nous avions suffisamment de personnel soignant, nous ne nous poserions pas ces questions. Néanmoins, il faut plusieurs années pour former des soignants.

J'ajoute que les pédiatres de maternité voient quinze à vingt enfants par jour. Les sages-femmes sont débordées. Il n'y a plus suffisamment de puéricultrices dans les maternités. Or elles jouaient un rôle important dans l'accompagnement des mères et dans la prévention de la mort subite du nourrisson.

Pour le moment, il est difficile de considérer que les médecins généralistes vont remplacer les pédiatres à la sortie de la maternité. En effet, la part consacrée à la formation pédiatrique est en diminution pour les médecins généralistes.

Mme Céline Brulin. - Savez-vous de combien de soignants il faudrait se doter pour remédier à cette pénurie ?

Quel regard portez-vous sur la réforme des études de santé qui est à l'oeuvre au regard des enjeux de vos professions ?

Jean-Christophe Rozeé société française de néonatalogie. - Le principal problème réside dans la charge de travail qui incombe aux soignants. Avant de penser au nombre, le plus important est de rendre les conditions de travail attractives dans les lieux qui offrent des permanences de soin.

M. Patrice Joly. - J'habite une commune dont j'étais le maire et qui se trouve désormais à au mieux à 1 heure 15 de route de trois maternités. Aucune ne réalise mille accouchements par an. En deuxième rang, il existe deux maternités qui se situent à 1 heure 45 voire 2 heures de route. Je comprends que vous suggérez de recourir davantage à l'hôtel maternel. Avez-vous identifié les conséquences psychiques sur les parents du modèle scandinave ? Par ailleurs, la réduction constatée du nombre de naissances n'allège-t-elle pas un peu la charge de travail collective ? Enfin, ne pourrait-on pas créer des réseaux de maternités, notamment en matière de gardes, ce qui éviterait la concentration des maternités ?

Mme Annie Le Houerou. - J'entends vos difficultés et le malaise de vos professions. Nous payons le manque de professionnels. Néanmoins, je ne veux pas me résigner à vos propositions. Il faut sortir par le haut pour accompagner les femmes et les enfants dans de bonnes conditions. Demander aux femmes d'aller accoucher à une heure de leur domicile, c'est prendre le risque de les traumatiser. Ce modèle ne permet pas aux femmes d'être accouchées par l'équipe qui les a suivies pendant toute leur grossesse. De plus, aucune place n'est faite aux pères ni aux autres enfants.

Je m'interroge quand je vois que la chirurgie réparatrice est la première spécialité choisie par les étudiants de médecine. Notre rôle en tant qu'élus est aussi de réguler les orientations de formation. Nous devons chercher des solutions qui vont au-delà de la simple gestion de la pénurie. Selon les informations dont je dispose, les pays nordiques semblent revenir sur cette organisation qu'ils avaient mise en place il y a plusieurs années.

Éléonore Bleuzen-Her, présidente du collège national des sages-femmes de France. - Concernant la formation des professionnels de santé, nous partageons l'idée d'augmenter le numerus clausus devenu le numerus apertus. Cependant, celui-ci est défini en fonction des capacités d'accueil des formations. Celui-ci doit évoluer pour mieux prendre en compte les besoins de santé publique.

Concernant le suivi pédiatrique, nous constatons que les sorties de maternité sont de plus en plus précoces. Nous recommandons de réorganiser les soins en fonction du temps de sortie des femmes et de leurs enfants. Ainsi, le certificat de santé des huit jours pourrait être signé par une sage-femme puisque l'examen médical que nous faisons en salle de naissance et en visite à domicile répond à tous les critères de cet examen. Nous saurons orienter les enfants vers des pédiatres si une pathologie est constatée.

Enfin, le collège des sages-femmes était opposé au déploiement des hôtels de maternité pour les raisons que vous évoquiez. Il serait effectivement judicieux de mutualiser les gardes entre des maternités de différent type pour disposer de l'expertise de chacun. Cette solution pourrait résoudre le problème de manque d'activité sur des soins d'urgence.

Alain Beuchée, société française de néonatalogie. - Pour répondre à la question de l'attractivité, à Rennes, quatre internes ont utilisé leur droit au remords au cours des dernières années, considérant que la charge de travail en pédiatrie était trop lourde.

Alexandra BENACHI, vice-présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens français. - J'estime que la mutualisation des services augmentera la charge de travail des soignants. Quand on vous demande de gérer votre service et en plus d'aller faire des gardes à 50 kilomètres, c'est extrêmement épuisant. Pour répondre à votre question sur la chirurgie plastique, lorsque vous choisissez cette spécialité, vous êtes amenés, la plupart du temps, à faire des gardes sur les premières années seulement. Enfin, si le nombre d'étudiants n'augmente pas, c'est aussi parce que le système de formation n'est pas en capacité de les accueillir.

Jean-Christophe Rozé, société française de néonatalogie. - En réalité, la mutualisation est une fausse bonne idée, car elle épuise les équipes. Par ailleurs, j'estime qu'il est intéressant d'étudier le modèle des pays scandinaves qui ont réussi une restructuration de leur réseau de maternités tout en maintenant un service humain.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous sommes là pour travailler, pour recueillir des informations et pour faire changer les choses. Merci beaucoup pour votre participation. Nous ne manquerons pas de vous contacter si au cours de nos auditions nous souhaitons obtenir des informations complémentaires.

Audition des professeurs Catherine Barthélémy, présidente, Yves Ville, membre titulaire, et Pierre Gressens, membre associé, de l'Académie nationale de médecine

(Mercredi 27 mars 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi la professeure Catherine Barthélémy, présidente de l'Académie nationale de médecine, le professeur Yves Ville, membre titulaire de l'académie nationale et rapporteur d'un rapport adopté au mois de février 2023 et intitulé Planification d'une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence, ainsi que le professeur Pierre Gressens, membre associé de l'Académie nationale de médecine.

Ce rapport préconisait une réduction du nombre de maternités par des regroupements de structures, autour de l'hypothèse d'un seuil de 1 000 naissances par an. Dès sa publication, il a eu un fort écho médiatique et a relancé un débat récurrent sur la fermeture de celles que l'on désigne parfois comme les « petites maternités ». Il n'est d'ailleurs sans doute pas étranger à la constitution de cette mission d'information à la demande du groupe RDSE.

Notre mission d'information a commencé ses travaux, la semaine dernière, avec les auditions des représentants de la Haute Autorité de santé et de Santé publique France et notre visite à l'hôpital Robert-Debré et, cette semaine, des auditions de syndicats lundi et des principales sociétés savantes concernées hier.

Ces auditions confirment une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, notamment au regard des grands indicateurs de santé publique que sont ceux de la mortalité néonatale, infantile ou maternelle. Cependant, les déterminants conduisant à la dégradation de ces indicateurs depuis plusieurs années dans notre pays ne sont pas toujours bien identifiés. Plus particulièrement, le lien entre l'organisation des soins, notamment le maillage territorial en maternités, et la qualité et la sécurité des soins n'est pas nécessairement établi ou bien mis en valeur. Vous comprendrez donc que les conclusions de ce rapport puissent susciter des interrogations chez les élus que nous sommes.

Nos premières auditions soulignent en outre des évolutions, depuis une quinzaine d'années, concernant les facteurs de risque associés aux grossesses. Sont notamment évoqués l'âge plus tardif de la maternité, l'augmentation de la précarité ou une plus forte prévalence de l'obésité. En outre, la santé mentale des mères est devenue une priorité, alors que le suicide est désormais la première cause de décès des mères dans l'année qui suit l'accouchement.

Notre réflexion est large, s'intéressant à la prise en charge des mères et de leurs bébés pendant la grossesse, l'accouchement et les premières semaines de vie.

Sur ce vaste sujet, l'académie estime dans son rapport de 2023 que « la mise en oeuvre d'un plan de périnatalité ambitieux est une priorité et une urgence » et propose différents axes de travail pour définir une nouvelle politique publique en la matière.

Au-delà du ton alarmant - et alarmiste - de ce rapport, l'académie ne propose rien de moins qu'une réorganisation assez radicale de l'offre de soins, un « choc », dont l'acceptabilité politique et sociale ne serait certainement pas garantie.

Le constat dressé par l'académie embrasse de nombreux sujets, notamment les structures existantes et les professionnels concernés. Il traite notamment de la question de la raréfaction des professionnels de santé : cela vaut pour les gynécologues-obstétriciens et les pédiatres, mais aussi pour les anesthésistes ou encore les sages-femmes, qui, bien que plus nombreuses, manquent à l'hôpital.

Surtout, le schéma cible que l'académie soutient suppose, au-delà d'une rationalisation du nombre de structures, une profonde mutation de l'organisation entre les établissements de santé comme entre la ville et l'hôpital. Dans le contexte de crise de la démographie médicale, mais également de fortes contraintes budgétaires et alors que de nombreuses maternités subissent des fermetures temporaires ou définitives, il sera intéressant d'avoir votre éclairage sur les modalités concrètes de transformation qui ont pu être envisagées par l'académie pour parvenir à ces conclusions.

Vous l'avez compris, votre audition est très attendue par les membres de notre mission d'information et vient nourrir la réflexion sur l'une des questions les plus cruciales, mais aussi les plus complexes que nous avons à traiter : peut-on encore garantir aux femmes d'accoucher en sécurité près de leur domicile, partout sur le territoire national ?

Madame, messieurs, je vous laisse sans attendre la parole pour que vous puissiez présenter la position de l'Académie nationale de médecine sur ce sujet, les conclusions du rapport adopté au mois de février 2023 et les travaux complémentaires ou suites qui ont pu y être apportés. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, rapporteure, pour une première salve de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Pr Catherine Barthélémy, présidente de l'Académie nationale de médecine. - L'Académie nationale de médecine que je préside actuellement est composée de médecins, de spécialistes de la médecine, de la chirurgie, de la biologie médicale, de la pharmacie et de la santé publique, ainsi que de quelques vétérinaires. Elle a pour but de fournir des renseignements et des avis sur des questions relatives à la santé, mais aussi et surtout à la prévention, aux fins d'éclairer les nouvelles pratiques et l'organisation de notre pays dans la perspective notamment d'éviter des difficultés concernant le développement de l'enfant, puisque c'est le sujet qui nous occupe aujourd'hui, de l'enfant à naître, de la santé des mères, de la santé des familles, surtout dans cette période clé qui est celle de la naissance. La question de la périnatalité est bien à l'ordre du jour de l'académie.

La pluridisciplinarité de cette instance permet d'éclairer, à la lumière des progrès de la science, ce qui peut constituer la vulnérabilité de l'enfant et de la mère à cette période clé de la vie, mais aussi les forces.

L'académie a produit deux types de communication.

En premier lieu, le rapport du professeur Yves Ville, qui a été très largement voté par les membres de l'académie, émane d'une commission intitulée « Reproduction, développement, santé de l'enfant » présidée par Yves Ville, René-Charles Rudigoz et Jean-Michel Hascoët.

En second lieu, en plus d'autres travaux issus de réflexions des différents groupes de travail, il faut souligner une contribution majeure du professeur Pierre Gressens, neuropédiatre qui dirige une unité de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) spécialisée dans l'étude du neurodéveloppement, émanant du groupe « Avenir de l'enfant, neurologie et psychologie du développement ». Elle a produit trois communiqués - Grandir ensemble, Agir tôt, Les parents acteurs du neurodéveloppement de l'enfant -, qui permettent de comprendre l'écosystème de la naissance, avant, pendant et juste après. Les regards croisés de scientifiques, de spécialistes de la médecine, du tout-petit, de la femme, de la mère, de la famille, mais aussi de la santé publique ont permis de dégager un certain nombre de recommandations sur lesquelles nous pourrons revenir.

Pr Yves Ville, membre titulaire de l'Académie nationale de médecine. - Je vous remercie de nous recevoir. J'avais d'ailleurs espéré, lors de la publication de ce rapport, que ce moment viendrait.

Quelle est l'origine de ce rapport ? L'Académie nationale de médecine compte une vingtaine de membres dont la vie professionnelle a été ou est encore liée à la périnatalité, ce qui explique cette vision longitudinale, mais aussi transversale de la périnatalité, de ses enjeux, des progrès qu'elle a pu réaliser et des périls qui peuvent la menacer. Elle s'est donc saisie tout à fait spontanément de ce sujet. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'être un professionnel de la périnatalité pour s'alarmer. Presque chaque semaine, la presse régionale se fait l'écho d'une crise locale ou régionale autour d'une maternité, le plus souvent une petite maternité. Je reviendrai sur cette définition qui change au cours du temps, puisqu'aujourd'hui est considérée comme petite une maternité qui pratique moins de 1 000 accouchements par an, contre moins de 100 accouchements en 1976.

D'où viennent ces préoccupations grandissantes autour de la maternité ? Il s'agit là d'une question sociétale, qui vient d'une exigence de sécurité de la population. De 1976 à 1995, c'était l'objectif principal, voire l'obsession, des différentes mesures prises dans le domaine de la périnatalité. Il fallait absolument corriger des taux de mortalité et de morbidité sévère qui étaient devenus inacceptables chez les nouveau-nés comme chez les mères. À partir des années 1990, on est entré dans l'ère du postmodernisme ou de la postmodernité, qui, d'un point de vue sociétal, se traduit par une priorisation de l'individu sur le groupe, une utilisation de plus en plus large des réseaux sociaux, ce qui aboutit à des exigences de l'individu en termes de qualité.

C'est en 2007 que, pour la dernière fois, on a officiellement entendu parler de planification de la périnatalité. À cette occasion, des charges et des obligations de qualité d'accueil ont été ajoutées aux maternités auxquelles on avait déjà imposé des normes de sécurité. Cette même année, un rapport de la Cour des comptes avait déjà montré que cette obligation de sécurité n'était pas remplie par un grand nombre de maternités, en particulier les plus petites.

Les familles, qui - très normalement - revendiquent cette qualité, se trouvent face à ce dilemme : où trouver à la fois la sécurité et la qualité de l'accueil ? On assimile qualité de l'accueil à proximité. Je ne sais pas si proximité rime toujours avec qualité de l'accueil, mais je sais que cela ne rime certainement pas avec sécurité. On ne peut définir la sécurité autrement que par un cahier des charges quantitatives, qui tient au personnel médical, aux moyens matériels présents sur place, donc au niveau de prise en charge médicale d'un bébé qui serait trop petit ou trop prématuré. C'est sur les critères de poids de naissance et de terme de naissance qu'ont été définis des types de structures d'accueil mère-nouveau-né de niveau 1, 2 ou 3, avec une capacité croissante à prendre en charge les pathologies des nouveau-nés. La mère n'a jamais été l'objet principal de cette typologie de maternité. D'ailleurs, même les maternités de niveau 3 sont bien en peine d'accorder des soins nécessaires à une pathologie maternelle très sévère. Le paysage est donc très hétérogène.

Ce besoin de sécurité et de qualité d'accueil a entraîné une désaffection spontanée des plus petites maternités et celles de niveau 1, dont le nombre baisse de 2 % par an depuis vingt ans. On a ainsi perdu 40 % de petites maternités au cours de cette période.

Les familles se sont en effet tournées vers des maternités de niveau 2 ou 3 pour y chercher la sécurité, alors que leur niveau de risque ne nécessitait pas forcément une telle prise en charge ; elles se trouvent toutefois frustrées, car la qualité d'accueil n'est pas toujours à la hauteur de leurs attentes postmodernes : pouvoir héberger la famille, prendre son temps, avoir un entretien avec une sage-femme... Cette frustration des usagers n'a d'égal que la frustration des soignants, en particulier des sages-femmes, qui, dans ces conditions et parce qu'elles ne sont pas assez nombreuses et que les locaux sont exigus, ne peuvent accéder à la demande des parents et leur offrir la qualité de relations demandée.

Il s'agit là d'un phénomène spontané. Mesdames, Monsieur les sénateurs, vous vous êtes saisis des conclusions de ce rapport, mais, depuis 2007, rien ne s'est passé. La seule structure existante, qui permettait un échange quasi permanent et une vigie de ce qui se passait en périnatalité, était la Commission nationale de la naissance : elle a disparu du jour au lendemain. J'y représentais alors l'académie, je n'ai même pas été informé de la raison à l'origine de cette décision. Depuis 2007, il n'y a donc plus de structure mettant en relation de façon régulière et officielle à la fois les autorités de santé, les usagers et les professionnels de la naissance : c'est silence radio ! Pour autant, ce n'est pas un silence média : des crises explosent çà et là, localement, sur tout le territoire, avec des femmes qui ne trouvent plus de maternité et des maternités qui ne sont plus ouvertes en permanence.

Il existe donc des maternités dites en tension sévère. Il s'agit d'un critère composite que l'on peut définir ainsi : ce sont des maternités qui n'arrivent pas à assurer la continuité des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre et 365 jours par an, dont les listes de garde présentent des trous, c'est-à-dire un défaut de soins potentiel. Ces maternités ont un recours quelquefois massif, voire exclusif, à l'intérim : c'est donc un regroupement de mercenaires et, quelles que soient la motivation, la bienveillance et l'intelligence que ceux-ci peuvent avoir dans leur travail, si une situation de crise et d'urgence survient, une catastrophe peut se produire, simplement parce qu'ils ne sont pas habitués à travailler ensemble. Ce sont aussi des maternités qui composent avec moins de 7 équivalents temps plein (ETP), ce qui entraîne des burn-out - plus de la moitié des personnels travaillant dans ces établissements en sont affectés.

Si l'on ne veut pas regarder ces situations en face et essayer d'y remédier activement, on attend le pourrissement. Quand on lit la presse ou que l'on écoute la radio, c'est bien cette situation de pourrissement extrême dans laquelle telle maternité est tombée dont il est question. C'est pourquoi, forts de ce constat et après avoir auditionné à la fois les usagers et tous les acteurs soignants de la périnatalité, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait identifier ce qui apparaissait comme une fragilité continue. Ce mouvement de fermeture de 2 % par an affecte principalement les maternités de niveau 1 qui font moins de 1 000 accouchements ; 80 % d'entre elles sont en tension sévère. Puisque rien n'est fait, cette pente fixe de 2 % par an va finir à zéro...

Comment assurer à la fois la qualité d'accueil et la sécurité ? En préservant les maternités de niveau 2, qui font moins de 1 000 accouchements, parce qu'elles sont un peu plus adaptées, un peu plus en proximité et beaucoup plus armées pour la sécurité. Quand ce rapport est sorti, la presse n'a retenu qu'une seule chose : il faut fermer 100 maternités qui font moins de 1 000 accouchements. Elle aurait pu dire : il faut sauver 52 maternités qui font moins de 1 000 accouchements et qui sont de niveau 2.

D'un point de vue organisationnel, si l'on fusionnait ou incitait à le faire les personnels des maternités de niveau 1 extrêmement fragilisées qui ne satisfont ni les usagers sur les deux critères principaux ni les soignants qui y sont, dans le but de garder ouvertes ces 52 maternités de niveau 2 qui sont tout aussi menacées, on pourrait ralentir, voire inverser, cette tendance à la désertification dans le domaine périnatal. Je reviendrai sur la fusion et l'incitation, car la décision n'a rien de médical, elle est politique, elle est une solution d'aménagement du territoire.

D'un point de vue macroscopique, si l'on s'intéresse à l'échelle de la commune, on constate qu'un peu moins de 400 communes ont une maternité ; il existe énormément de communes sans maternité, ce qui n'est pas un drame. Quand on a moins de 50 ans, on accepte tout de même d'habiter dans ces communes qui n'ont pas de maternité.

La solution consiste à séparer l'acte d'accouchement du suivi de la grossesse. Je conçois que cela constitue une rupture importante, plus importante d'un point de vue social et sociétal que médical d'ailleurs, car de nombreux pays voisins l'ont déjà compris - je ne parle pas de pays plus éloignés dans le domaine médico-économique et sociologique. En séparant l'acte d'accouchement du suivi de grossesse et, ensuite, du post-partum, on peut très bien assurer la sécurité et la proximité, peut-être à l'exception de l'accouchement lui-même.

En d'autres termes, une femme enceinte peut être suivie à proximité de son domicile, accoucher dans une structure soit de niveau 1 suffisamment équipée et staffée pour que la sécurité soit garantie et avec une qualité d'accueil, soit de niveau 2 ou 3, et retourner dans sa commune quelques heures plus tard ou le lendemain avec des sages-femmes à proximité qui assureront l'apprentissage de la parentalité et les soins du bébé. C'est possible, cela se passe ainsi dans de nombreux pays d'Europe, en particulier d'Europe du Nord. De même, aujourd'hui, une femme qui est suivie à Barcelone ou à Amsterdam pour sa grossesse et qui rentre en travail n'accouche pas là où elle a été suivie : elle compose un numéro de téléphone et on lui indique où il faut aller accoucher ce jour-là, sauf si elle veut accoucher à la maison.

Quand on se regarde, on se désole ; quand on se compare, on peut se consoler. C'est valable aussi en matière de périnatalité, à condition de ne pas perdre pied. Nous en sommes à la dernière limite avant de perdre complètement pied. En effet se développent des conduites inadaptées où l'on veut absolument faire croire, soit par conviction personnelle - donc par incompétence, à notre avis -, soit pour des raisons qui ne sont pas médicales, mais de politique ou de politique locale, ce qui peut s'entendre, que la sécurité, c'est la proximité.

La sécurité n'est pas la proximité. Il vaut mieux qu'une femme en travail se trouve dans un camion de Samu avec un personnel compétent que dans une maternité où l'on ne pourra pas réanimer l'enfant. Je parle sous le contrôle de Pierre Gressens : nous savons qu'au moins 3 % des accouchements dits normaux nécessiteront une réanimation néonatale intensive. La société d'aversion au risque dans laquelle nous vivons aujourd'hui peut-elle accepter cela ?

Madame la présidente, vous l'avez rappelé en introduction, le phénotype de la femme enceinte a beaucoup changé et la définition d'une femme à bas risque est bien difficile à établir aujourd'hui avec l'augmentation de l'âge de la conception, l'épidémie de diabète et d'obésité pendant la grossesse, le recours à la procréation médicalement assistée et des pathologies préexistantes à la grossesse qui sont beaucoup plus fréquentes et qui ont un impact sur la grossesse et l'accouchement, comme l'endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques.

Il est très difficile, voire impossible, surtout si l'on ne s'en donne pas les moyens - malheureusement, notre pays pèche dans la prévention et l'identification des risques -, de savoir qui est à bas risque. S'il faut le découvrir le jour de l'accouchement, c'est trop tard.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Bien évidemment, le rapport a fait du bruit, vous deviez d'ailleurs vous en douter. Étant médecin, j'entends les risques que vous pointez. De nombreux professionnels de santé ont relayé certaines de vos analyses et nous ont également fait part des problématiques de bien-être au travail, de la nécessité de travailler dans de bonnes conditions et de l'acceptabilité du travail, qui n'est plus aujourd'hui la même qu'hier - nuits, week-ends, responsabilités... Comme vous, ils ont souligné les risques relatifs à l'âge des mères, à l'obésité, à la santé mentale ou à la paupérisation, qui font que les accouchements d'aujourd'hui et les conditions dans lesquelles on accouche ne sont plus les mêmes.

Vous avez indiqué que 3 % des grossesses normales présentaient le risque de basculer de manière non prévue vers des accidents de la grossesse, voire de l'enfant.

Pr Yves Ville. - Non seulement des grossesses normales, mais également des accouchements qui ont l'air de se passer normalement.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Sur quelles études et publications vous appuyez-vous pour avancer ce chiffre ?

De la même façon, sur quelles études vous êtes-vous basés pour conclure qu'une maternité qui réalise plus de 1 000 accouchements par an était plus sûre qu'une petite maternité, hormis la volonté des praticiens de travailler ensemble ? J'exclus les équipes de moins de 7 ETP ; tout le monde nous a donné ce critère. Y a-t-il d'autres indicateurs, par exemple de sécurité, d'accidentologie, de risque, entre une maternité d'au moins 1 000 accouchements et une maternité de moins de 1000 accouchements ?

Certaines des personnes que nous avons auditionnées ne confirment pas votre version, mais regardent la grossesse et l'accouchement sous un autre prisme : pour elles, il s'agit d'un acte normal, physiologique, qui se déroule sans aucun problème dans 70 % à 80 % des cas. Faut-il voir l'organisation des maternités et leur gradation sous l'angle de la pathologie et du risque ou faut-il partir du principe que les grossesses sont normales et qu'il faut anticiper des accouchements qui ne se passent pas bien et diriger la femme vers un plateau technique plus sûr ? Ce sont en effet les deux versions de l'organisation future.

Vous avez mentionné les pays d'Europe du Nord, qui comptent de très grosses maternités situées à des distances du domicile des femmes enceintes bien plus importantes qu'en France et où la mortalité infantile est bien plus faible. Pour autant, peut-on vraiment comparer les deux systèmes ?

Pr Yves Ville. - Sur quels critères les maternités de moins de 1 000 accouchements par an sont-elles moins sûres que les autres ? Il en existe deux.

Tout d'abord, le critère de la tension sévère : recours massif à l'intérim ; épuisement et burn-out des gens qui y travaillent - des médecins qui effectuent plus de cinq gardes par mois dans ces structures - ; moins de 7 ETP - minimum pour pouvoir constituer une équipe de soins avec une absence de rupture dans la continuité des soins. Cela ne signifie pas que, sur le site, il y ait sept obstétriciens, sept pédiatres et sept anesthésistes. Ces personnels peuvent travailler aussi ailleurs, mais ils assurent la continuité des soins et ils ne sont pas totalement épuisés par les gardes.

Ensuite, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié une étude sur la mortalité maternelle, menée par Catherine Deneux-Tharaux. Comme la France n'est heureusement pas le Burkina Faso, cette étude a également examiné ce que les anglo-saxons appellent le Near miss, c'est-à-dire toute situation qui aurait pu, voire dû, aboutir à une catastrophe si on ne l'avait pas rattrapée par les cheveux ou par chance. Là encore, ce qui apparaît comme étant un facteur de risque indépendant, ce sont les petites maternités de moins de 1500 accouchements, en particulier celles de moins de 1 000 accouchements.

Pr Pierre Gressens, membre associé de l'Académie nationale de médecine. - Je reviens sur le chiffre de 3 %, que l'on peut d'ailleurs discuter - 4 %, 5 %...

Une grossesse est un événement particulier, qui se passe bien dans 99 % des cas. En revanche, on ne peut malheureusement pas prédire quand cela se passera mal : cela arrive dans les maternités de petite taille, de moyenne taille et même dans les maternités de niveau 3. Cela peut concerner la mère, mais aussi l'enfant, qui gardera des séquelles neurologiques, ce qui coûtera de 10 millions d'euros à 20 millions d'euros à la société qui, fort heureusement, a mis en place des mesures pour les prendre en charge leur vie durant. Et que dire de l'impact pour la famille ?

Même si tous ne coûteront pas autant à la société, entre 15 % et 20 % des enfants dont la mère a eu un accouchement difficile vivront difficilement. Ces enfants passent sous les radars. On ne les voit pas tous. Ceux qui sont dans les situations les moins graves iront à l'école, seront un peu hyperactifs, courront dans la classe, auront des problèmes de mémoire, échoueront à l'école ; c'est aussi un manque à gagner pour la société.

En outre, les familles payent cash : les parents devront passer beaucoup de temps à s'occuper d'eux ; souvent, la mère ne pourra plus travailler. Cela aura donc un impact économique énorme, d'autant que la France manque déjà d'enfants. Si tous ne sont pas performants...

Mme Jocelyne Guidez. - Malgré le manque de pédiatres et de médecins généralistes, nous ne formons plus assez de professionnels spécialisés aujourd'hui. L'inspection générale des affaires sociales (Igas) le pointait déjà en 2021. Au contraire, nous faisons face à un risque de disparition des compétences spécialisées. L'écart entre les discussions, les annonces et les actions concrètes reste considérable. Certaines défaillances dans ce domaine sont profondément enracinées dans notre système de formation de santé. Il est essentiel de souligner que le programme de formation des infirmiers puériculteurs diplômés d'État n'a pas été mis à jour depuis 1983. Il est grand temps de faire quelque chose.

Depuis vingt ans, 40 % des petites maternités ont disparu pour des questions de sécurité. C'est énorme ! Comment expliquez-vous qu'aujourd'hui la mortalité chez les jeunes enfants continue d'augmenter en France ?

Pr Yves Ville. - Le rapport formule des recommandations pour pouvoir former plus d'infirmières puéricultrices, de leur donner un accès à la prescription de façon à aider la pédiatrie, qui est l'une des spécialités les plus sinistrées en matière de ressources humaines, en particulier en ville. La puéricultrice diplômée qui aura une année de formation supplémentaire et un droit de prescription sera l'équivalent pour la pédiatrie de ce qu'est la sage-femme à l'obstétrique. C'est indispensable.

La grande période de la fermeture des petites maternités s'est arrêtée en 1995. Depuis, on les a beaucoup plus regardé fermer et pourrir qu'on ne les a fermées en amont : carence de personnel, accidents, manque de moyens, manque de rentabilité... Aujourd'hui, notre rapport recommande de les fermer intelligemment, c'est-à-dire en les regroupant, et de les transformer d'un site d'accouchement en un site de suivi de la grossesse et d'accueil du post-partum, des familles et des bébés. La presse a résumé cela de façon simpliste en parlant de la fermeture de 100 maternités, mais ce n'est pas ce qui est proposé. Il s'agit plutôt d'une transformation de sites d'accouchement qui ne peuvent proposer à la fois la sécurité et la qualité d'accueil en des endroits de suivi performant et d'accompagnement à la parentalité une fois l'accouchement réalisé.

On m'a reproché d'être le chef de service d'une maternité high tech dans le XVarrondissement de Paris et de me mêler de ce qui se passait en Aquitaine ou ailleurs. Dans cette carrière, certes il y a douze ans à Necker, mais il y a aussi dix ans à Poissy où j'ai réalisé la fusion des maternités de Poissy et de Saint-Germain-en-Laye qui étaient à quatre kilomètres l'une de l'autre à travers la forêt - les maires des deux communes trouvaient absolument inadmissible de fermer l'une des deux maternités, alors que les deux étaient en souffrance. Auparavant, j'ai travaillé pendant cinq ans en Angleterre, où les regroupements de maternités sont assez automatiques et où une petite maternité est une maternité de 5 000 accouchements. Avant encore, j'ai travaillé pendant deux ans en Afrique, où le regroupement, le transfert des patientes et la sécurité au regard de la qualité de l'accueil ont une autre dimension. J'ai donc un passé suffisamment étoffé et varié pour pouvoir évoquer ces questions.

Je formule la suggestion suivante : si une femme accouche, non pas dans la commune où elle a été suivie pendant sa grossesse et sera suivie en post-partum, mais dans une commune voisine, la déclaration à l'état civil pourrait être faite dans la commune où elle réside et où elle est suivie en post-partum. Si l'on mettait en place cette mesure, je pense qu'un grand nombre d'édiles locaux trouveraient ces recommandations beaucoup moins inacceptables. Avoir eu dans sa commune une maternité, avoir encore une structure de suivi de la grossesse et d'accueil du post-partum et ne plus pouvoir déclarer une naissance, c'est une frustration. Quand on a accouché à vingt ou trente kilomètres de chez soi, on devrait malgré tout pouvoir déclarer cette naissance à l'état civil de sa commune de résidence.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les petites maternités ont été regroupées, supprimées ou fermées ; pourtant, les indicateurs de la natalité sont loin de s'être améliorés. C'est ce paradoxe que ma collègue pointe.

Pr Yves Ville. - Une partie de la réponse, c'est que l'on n'a pas assez fermé !

Mme Jocelyne Guidez. - C'est un peu court...

Pr Pierre Gressens. - La France n'est pas si mauvaise en termes d'indicateurs de néonatalité, même si l'on peut toujours faire mieux. En ce qui concerne les maternités de niveau 3, notre pays est même très bon. Peut-être qu'il est moins bon pour les maternités de niveau 1. Peut-être faudrait-il que l'on fasse mieux. Pour tout dire, je n'ai pas la réponse.

Je rebondis sur votre question relative à la pédiatrie. Cette spécialité est sinistrée pour plusieurs raisons. D'abord, elle n'attire plus trop les futurs internes. D'autre part, elle est très féminisée. Par conséquent, beaucoup de femmes pédiatres, une fois qu'elles ont des enfants, travaillent à mi-temps. Par conséquent, le nombre de pédiatres en France est faux, il faut quasiment le diviser par 1,5. Les départements du Val-d'Oise et de Seine-Saint-Denis accusent un déficit majeur, puisqu'il n'y a plus de pédiatres. Pendant la crise du covid, les enfants n'étaient plus vus par qui que ce soit. Les déserts médicaux pédiatriques sont les pires ; or les enfants représentent l'avenir de notre pays. Comment faire pour revaloriser la pédiatrie ?

Les médecins généralistes ne peuvent pas tout faire et ils ont peur de s'occuper des enfants, ce que je comprends.

Il faut faire quelque chose. On parle aujourd'hui des maternités, mais il faut aussi parler de la petite enfance et de la pédiatrie ; sinon, la situation va empirer. En matière de diagnostic des troubles de neurodéveloppement - cela concerne 10 % de la population -, les résultats ne sont pas bons.

Mme Annick Jacquemet, présidente. Jocelyne Guidez a beaucoup travaillé sur le sujet des troubles du neurodéveloppement et a pointé pas mal de difficultés.

Il a été question de la déclaration de l'état civil dans la commune de résidence, le groupe Union Centriste a déposé une proposition de loi en ce sens ; elle a été adoptée par le Sénat en janvier 2022 mais n'a malheureusement pas poursuivi son chemin à l'Assemblée nationale... Après vos propos, peut-être allons-nous la réactiver.

Pr Yves Ville. - Je souhaite revenir sur les structures d'accueil des nouveau-nés en détresse. Elsa Kermorvant, vice-président de la Société française de néonatalogie, que vous avez auditionnée, a dû vous parler du déficit de lits de réanimation pour 1 000 naissances. La France compte de 0,6 à 1,3 lit de réanimation pour 1 000 naissances, ce qui est quatre à cinq fois moins élevé qu'aux États-Unis.

Mme Annie Le Houerou. J'ai cru comprendre que, pour vous, la fermeture des maternités était liée à la sécurité. A-t-on des chiffres précis indiquant que le taux de mortalité ainsi que le nombre d'événements indésirables graves d'accès aux soins sont plus importants dans les petites maternités que dans les plus grandes ?

Quid des accouchements à domicile du fait du refus des femmes d'aller dans des grosses structures et de la rupture entre l'accompagnement prénatal et l'accompagnement postnatal ? Les femmes sont nombreuses à nous dire qu'elles veulent être accompagnées de manière sereine par la même équipe du début de la grossesse jusqu'à l'accouchement, qui est un acte important pour elles, et suivies ensuite en post-natalité.

Vous préconisez le nombre de 1 000 accouchements au minimum pour une maternité sûre, mais vous l'avez ensuite justifié pour des questions d'organisation de travail et de confort - tout à fait légitimes - des équipes dans la prise en charge de qualité de la maman et du bébé. Pourtant, vous ne mentionnez pas qu'il s'agit d'abord d'un problème de démographie médicale et qu'il faut trouver des solutions afin d'avoir plus de professionnels de santé pour répondre aux besoins des femmes. Plutôt que de proposer de gérer la pénurie par l'installation de supermaternités-usines, ne vaut-il pas mieux dire que le besoin des femmes, des bébés et des enfants est la proximité ?

Vous avez évoqué les difficultés d'un suivi pédiatrique, mais il en est de même pour les rendez-vous chez des spécialistes. En milieu rural, des questions de mobilité se posent : les familles n'ont pas les moyens de se déplacer dans les grands centres hospitaliers universitaires, où leurs enfants peuvent être pris en charge dans de bonnes conditions. En termes de bénéfice-risque, je ne suis pas sûre que la solution soit de préférer les très grandes maternités, très éloignées des lieux d'habitation des personnes, si l'on veut un aménagement du territoire équilibré et une qualité de vie avec les services qui vont avec. Je m'étonne que vous n'ayez pas évoqué cela.

Pr Yves Ville. - Dans l'expression « désert médical », il y a deux termes : désert et médical. Quand vous êtes dans une région qui est richement peuplée de gens jeunes, la question ne se pose pas : il y a une maternité, elle est fréquentée et il y a des gens qui prodiguent les soins médicaux. Quand vous êtes dans un désert médical, le plus souvent la population est plus âgée, si bien que les soins les plus nécessaires ne sont pas forcément des soins de périnatalogie.

Les médecins, quelle que soit leur spécialité, et les soignants en général ont le même âge que leurs patients, ils ont les mêmes désirs et, par conséquent, ils ne souhaitent pas travailler seuls. Ce que nous connaissions auparavant a disparu une fois pour toutes, il ne faut même pas essayer d'y revenir.

La spécialité de gynéco-obstétrique est une spécialité très large faite de sous-spécialités et, chaque année, on remplit le tonneau des Danaïdes, en augmentant le nombre d'internes dans cette filière : nous sommes passés de 40 postes par an il y a dix ans à 200 aujourd'hui, soit une multiplication par cinq ! Or, dès le début de l'internat, seule la moitié des étudiants disent qu'ils feront de l'obstétrique ; qui plus est, ils ne veulent plus prendre de garde après 50 ans et ils ne veulent pas travailler dans des structures où ils seront moins de sept, et cela pour avoir une vie normale - c'est d'ailleurs ce que les patientes veulent pour elles-mêmes. Ainsi, la moyenne d'âge des obstétriciens est aujourd'hui en France de 56 ans !

Vous n'arriverez pas à peupler une maternité qui pratique moins de 1 000 accouchements dans un désert médical avec sept obstétriciens contents d'y travailler et compétents. Vous n'arriverez pas à résoudre cette équation avec les données actuelles de la démographie médicale - données qui ne vont qu'empirer.

L'obstétrique est une spécialité en désaffection. Je ne parle pas des autres aspects de la spécialité de gynéco-obstétrique, qui vont globalement très bien. J'ajoute que, pour la plupart de ces aspects - l'échographie, le suivi de grossesse, le suivi gynécologique... -, les sages-femmes font aussi bien, voire mieux, que les médecins. L'obstétrique elle-même n'a pas la cote auprès des plus jeunes. Et de toute façon, ceux-ci veulent travailler dans de bonnes conditions, c'est-à-dire, selon eux, dans des équipes dynamiques suffisamment nombreuses pour échanger des idées et recevoir de l'aide et des conseils.

Si vous prenez un jeune obstétricien par l'oreille et que vous le mettez dans un désert médical, il n'assumera pas ce qu'ont fait ses aînés pendant des générations. Il ne faut pas attendre des médecins une attitude différente de celle du public !

Pr Catherine Barthélémy. - L'Académie nationale de médecins se penche sur un autre sujet de préoccupation : la faillite de la formation des médecins, pas tant en termes de quantité qu'en termes de qualité et de choix d'orientation. L'environnement professionnel et certaines spécialités, dites plus « actuelles », sont des facteurs d'attractivité. Ayons bien en tête que des généralistes qui s'installent font de la médecine esthétique !

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Avez-vous des données particulières sur l'outre-mer ?

Pouvez-vous nous dire un mot sur les maisons de naissance ?

Pr Yves Ville. - En outre-mer, les problématiques à l'oeuvre en métropole sont aggravées par la plus grande précarité des populations, notamment du fait des migrations.

En ce qui concerne les maisons de naissance, il y avait, il y a une dizaine d'années, un consensus pour dire qu'il fallait des zones de suivi et d'accouchement physiologique au sein des grandes structures. Tout le monde avait l'air de devenir raisonnable, mais il faut s'en donner les moyens. Les grandes structures peuvent assurer la sécurité et la qualité de l'accueil, mais elles doivent être davantage aidées pour la partie qualité de l'accueil. Il faut pouvoir prendre la main médicalement si une catastrophe arrive, ce qui est le cas dans 3 % des situations, en particulier pour des anoxies périnatales.

En tout cas, s'agissant des maisons de naissance elles-mêmes, je crois que les rapports d'évaluation sont insincères : il s'agit en fait d'auto-évaluations, ce qui ne peut pas donner une bonne évaluation. Comme je le disais, nous ne sommes pas Burkina Faso. Quand les situations qui auraient pu être catastrophiques ne le sont finalement pas, c'est probablement par chance ! En obstétrique et en périnatalité, la nature est quelquefois bonne, mais quand elle ne l'est pas, elle ne l'est pas du tout !

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous parliez dans votre rapport de l'urgence à agir. Un an après, avez-vous constaté des avancées, une prise en main du sujet ? Avez-vous échangé avec le Gouvernement sur cette question ?

Par ailleurs, vous préconisez une transformation profonde qui nécessite de prévoir et de prendre en compte l'accueil des familles, le transport, le bien-être du bébé, de la maman et de son entourage. Avez-vous évalué le coût de tout cela ?

Pr Yves Ville. - J'ai présenté ce rapport à tous les ministres qui se sont succédé depuis lors. La direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé est très consciente du problème et elle n'est pas forcément très éloignée de nos conclusions, en particulier sur les problèmes de démographie médicale. Je rappelle cependant que l'académie s'est autosaisie.

La solution n'est pas médicale, elle est politique et liée à l'aménagement du territoire. Vouloir former beaucoup plus de médecins ne servira à rien. En revanche, former des infirmières puéricultrices compétentes et autonomes va beaucoup aider. Les sages-femmes sont une profession exceptionnelle et elles peuvent faire face à pratiquement tous les aspects dont nous avons parlé, sauf bien entendu les extractions instrumentales et la gestion des grossesses à haut risque ou pathologiques. Il faut donner les moyens à ces différents acteurs de la périnatalité de travailler dans de bonnes conditions.

Pour cela, nous avons besoin d'une prise de conscience des élus qui ont un rôle absolument essentiel à jouer. Nous devons réussir à séparer la question de la sécurité de l'accouchement de celle de la qualité de l'accompagnement. Une commune qui avait une maternité où avaient lieu des accouchements peut tout à fait valoriser son action auprès de ses administrés, en offrant un suivi remarquable des femmes enceintes et des familles, en particulier dans un contexte où se développent la télémédecine et le travail en réseau - deux éléments parmi les rares choses bénéfiques que nous a apportées le covid. Quelques heures après l'accouchement, cette structure peut reprendre en charge la famille pour l'accompagner dans la périnatalité. Les Samu et les sages-femmes sont prêts à assurer la sécurité des transports, à l'aller comme au retour.

Il existe un plan d'engagement en périnatalité qui permet le financement par l'assurance maladie de quelques nuitées d'hôtels hospitaliers. Il faut étendre le dispositif jusqu'à presque trois semaines. Quelle que soit l'offre qui sera organisée, elle sera toujours bénéfique, y compris sur le plan médico-économique, par rapport à la solution visant à garder des structures qui ne pourraient finalement assurer ni la sécurité ni la qualité de l'accueil. Les hôtels hospitaliers, les maisons familiales et les centres périnataux de proximité bien gérés avec des sages-femmes et des puéricultrices constituent, à notre avis, la solution pour la grande majorité des zones tendues.

Pr Pierre Gressens. - Je suis tout à fait d'accord avec Yves Ville. Il existe aussi une solution très peu coûteuse : améliorer la parentalité. Nous constatons un grand déficit de connaissances chez les futures mamans. Nous pourrions prévoir des programmes scolaires adaptés dès 14-15 ans sur ce que c'est être maman ou papa et organiser un relais pour répondre aux questions des jeunes. Cela ne coûterait pas très cher et pourrait rapporter gros. Les pays nordiques font cela très bien : en Suède, une fille de 15 ans sait ce que représente une grossesse.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous avons déjà des difficultés à mettre en place des cours d'éducation sexuelle : 15 % des écoles seulement en organisent !

En tout cas, nous vous remercions pour toutes ces explications.

Audition du professeur Christèle Gras-Le Guen et de M. Adrien Taquet, co-présidents du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant

(Mercredi 27 mars 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de l'Enfance et des Familles de 2020 à 2022 et Mme Christèle Gras-Le Guen, Professeure des Universités en pédiatrie, cheffe du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques au CHU de Nantes et présidente de la Société française de Pédiatrie.

Dans un contexte de crise du secteur de la pédiatrie, et plus globalement de la santé des enfants, les Assises de la Pédiatrie et de la Santé de l'enfant lancées en décembre 2022 par M. François Braun, alors ministre de la santé et de la prévention, devaient conduire à identifier, avant l'été 2023 selon les annonces initiales, des réponses de moyen et long terme pour faire évoluer et renforcer la pédiatrie et établir un plan d'action « ambitieux » pour la santé des enfants et des adolescents dans notre pays. Près d'un an plus tard, la publication des conclusions des Assises de la Pédiatrie se fait toujours attendre alors même qu'un rapport a été remis au ministre de la santé à l'été dernier. Nous serons donc particulièrement intéressés par les explications que vous pourrez nous donner quant aux raisons de ce retard.

Nos premières auditions de la HAS et de Santé publique France, ainsi que notre déplacement à l'hôpital Robert Debré nous ont permis de constater l'urgence de la situation de la santé périnatale en France. Notre rapporteure a pu entendre lundi plusieurs représentants des syndicats d'obstétriciens, d'anesthésistes-réanimateurs et de pédiatres qui ont confirmé l'état critique dans lequel se trouve notre système de santé et appelé à un sursaut et à une réorganisation ambitieuse de notre système de soin périnatal en France.

Dans ce contexte, et alors qu'une tribune de la Société française de médecine périnatale publiée au début du mois appelait à la mise en place d'Assises nationales de la périnatalité, nous serons également particulièrement attentifs aux éléments que vous pourrez nous donner sur les conclusions des Assises, sur les recommandations qui ont été formulées par les différents groupes de travail et notamment sur deux objectifs des Assises qui intéressent tout particulièrement notre mission d'information : « Sécuriser les conditions de naissance dans toutes les régions et H24/7 » et « Renforcer et développer les compétences en pédiatrie sur l'ensemble du territoire »

Je vais vous laisser la parole successivement pour quelques minutes chacun. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, notre rapporteure, pour une première salve de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

M. Adrien Taquet, co-président du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant. - Merci beaucoup pour votre invitation. Nous avons préparé un support de présentation pour étayer nos propos qui, je pense, couvriront à peu près l'ensemble des questions que vous venez de soulever.

Je rappelle très brièvement le contexte de ces Assises, qui remontent à l'hiver 2022. À l'époque, la crise des urgences pédiatriques était un peu le « marronnier » de chaque hiver mais celle de l'hiver 2022 a été particulièrement aiguë avec la conjonction de trois épidémies de grippe, de Covid et de bronchiolite. L'origine des Assises se rattache à la nécessité de faire face à un cumul de difficultés : la saturation des urgences, le manque de lits d'hospitalisation conventionnels ou en soins critiques, une périnatalité en difficulté structurelle, un pic d'activité générateur d'épuisement des équipes ainsi que de démissions en augmentation et une permanence des soins problématique.

C'est à ce moment que François Braun, d'une part, a débloqué un certain nombre de moyens supplémentaires : 400 millions d'euros, de mémoire. Par ailleurs, tout n'étant pas qu'une question d'argent sans quoi les choses seraient assez simples, il a décidé de lancer des assises de la pédiatrie que nous avons transformé en assises de la pédiatrie « et de la Santé de l'enfant » pour bien signifier que partir des besoins de l'enfant nous semble toujours être la bonne approche pour éviter de s'enfermer dans des disciplines ou dans des compétences.

Très rapidement, il nous est apparu évident que cette crise des urgences pédiatriques n'était que la face émergée de l'iceberg car le mal est bien plus profond et se situe tant en amont qu'en aval de l'hôpital. Plusieurs acteurs de la santé de l'enfant connaissent une situation critique. Tel est d'abord le cas des PMI (centres de Protection Maternelle et Infantile) dans un certain nombre de départements, avec des situations très inégales. De plus, il ne reste que 800 médecins scolaires en France et donc nous partons d'un point très bas si on veut, comme on le prétend, refonder la médecine scolaire. S'agissant de la pédopsychiatrie, à chacun des 300 déplacements que j'ai faits en tant que ministre, un élu local, un député, un sénateur, un président de conseil départemental, un travailleur social ou un responsable de l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance) m'a alerté sur le manque de pédopsychiatres dans notre pays et sur les délais d'attente pour obtenir un rendez-vous de 6 à 12 mois dans certains CMP-IJ (centres médico-psychologiques infanto-juvénile). S'y ajoute la re-augmentation depuis 2012 de la mortalité infantile.

Mme Christèle Gras-Le Guen, co-présidente du comité d'orientation des Assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant. - En premier lieu, le travail réalisé par l'équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) dans laquelle je travaille montre, jusqu'en 2005, la diminution de la mortalité infantile qu'on connaissait depuis la période de l'après-guerre dans tous les pays riches comme le nôtre. S'en est suivie de 2005 à 2012 une période de ralentissement de cette baisse, voire de stagnation, qui a finalement débouché sur une reprise de la mortalité infantile depuis 2012. Nous avons essayé de l'analyser, tout d'abord à travers des comparaisons européennes qui permettent de constater un décrochage de la France par rapport à la Finlande et à la Suède, avec une estimation d'environ 1 200 décès de nourrissons par excès en France par rapport à ces deux pays.

Nous avons également essayé de mieux comprendre les facteurs de cette évolution. Entre 2001 et 2005, tous les indicateurs étaient au vert quel que soit l'âge des enfants, étant entendu que nous avons distingué les nourrissons de zéro à 6 jours, la période périnatale de 7 à 27 jours et la période néonatale de 28 jours à un an. Dans la période intermédiaire de 2005 à 2012, quelques clignotants s'allument, avec en particulier une augmentation de la mortalité périnatale (entre 7 et 27 jours) ainsi qu'un arrêt de la diminution de la mortalité des tout petits de zéro à 6 jours. Dans la période postérieure à 2012 qui nous alerte, on observe enfin une augmentation significative de la mortalité des tout petits et un arrêt de la diminution de la mortalité périnatale.

M. Adrien Taquet. - Au-delà de la crise des urgences pédiatriques, c'est bien l'ensemble de notre système de prise en charge de la santé de l'enfant qui est confronté à des difficultés systémiques et l'ambition que nous nous sommes assignés est de refonder l'ensemble de ce système avec un objectif de dépasser les constats largement partagés pour essayer de construire un plan d'action pluriannuel en recueillant les propositions des différents intervenants et contributeurs.

Je rappelle quelques définitions et principes directeurs pour éclairer notre démarche. Tout d'abord, on parle d'enfants de zéro à 18 ans en portant une attention particulière aux périodes de transition. Nous avons également pris en compte dans nos travaux la santé globale au sens de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans ses dimensions physique, mentale, sociale et même environnementale avec une approche par parcours de santé en considérant les enfants et les parents comme acteurs de santé. Nous avons enfin proposé des mesures concrètes qui relèvent de l'urgence ainsi que des réformes systémiques à moyen terme.

Notre méthode a été celle de la concertation la plus large possible.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Pouvez-vous préciser quelles sont les périodes de transition dont vous parlez ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il s'agit de la période d'adolescence des enfants porteurs de maladies chroniques et de l'âge auquel ils passent dans le secteur des adultes, ce qui rend nécessaire d'organiser la transition de leur prise en charge.

M. Adrien Taquet. - En termes de méthode et d'organisation, nous présidions ce comité d'orientation et avons défini six axes de travail, avec à la tête de chacun de ces axes, un certain nombre de professionnels de santé avec des compétences et des talents variés - médecine de ville, généralistes, pédiatres, infirmières puéricultrices qui ont un rôle essentiel, et santé mentale - pour éviter une composition trop hospitalo-centrée. Évidemment, il y a trop de disciplines et de sous-spécialités, pour ne pas dire parfois de chapelles, pour que tout le monde soit représenté mais nous avons veillé à organiser une concertation très large.

23 tables rondes et 121 auditions ont permis d'auditionner plus de 300 personnes, organisations associatives et autres. L'IGAS, nous a apporté un soutien technique et intellectuel et nous avions ouvert une plateforme qui a reçu plus de 2000 contributions écrites, à la fois d'organisations, de professionnels de santé à titre individuel et de patients.

Tout cela a nourri notre rapport qui a été publié dans les délais prévus ; il s'intitule « Ma santé, Notre Avenir » parce qu'il traite de la santé de l'enfant et de l'avenir de la Nation : investir dans la santé des tout petits, c'est un investissement social crucial pour les futurs adultes qu'ils deviendront et pour notre pays.

Ce rapport contient près de 350 propositions car nous avons appréhendé notre sujet de façon très large en incluant le parcours de santé de l'enfant de 0 à 18 ans, la recherche en pédiatrie qui est insuffisamment soutenue, la formation de l'ensemble des professionnels de santé à la médecine de l'enfant, la prévention, les PMI, la santé scolaire, la santé mentale et une attention particulière a été portée aux enfants fragiles porteurs de maladies chroniques ou en situation de handicap. Nous avons dédié un gros chapitre aux enfants des outre-mer car ces territoires constituent trop souvent la « cinquième roue du carrosse » ou font simplement l'objet de l'habituel dernier article d'application balai à la fin des propositions ou projets de loi. Un certain nombre de mesures portent ainsi spécifiquement sur les enfants fragiles, victimes de violences ou en grande précarité sociale.

Nous avons veillé à ce que les associations de patients et de parents soient associées à la démarche avec, en particulier deux de leurs représentants dans le comité d'orientation. Nous avons également beaucoup travaillé avec l'UNAF (Union nationale des associations familiales) en conduisant une grande enquête auprès des parents français pour appréhender leur perception de la santé de leurs enfants.

De plus, nous avons évidemment associé les enfants à cette démarche sur la base de la méthode développée par le Défenseur des enfants chaque année pour élaborer son rapport. Nous avons travaillé avec le GEPSo (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux), le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) et avec un certain nombre de réseaux pour que les enfants en situation de handicap, dans des foyers ou des conseils municipaux de jeunes, puissent travailler non pas sur l'ensemble des thématiques que je vous ai présentées mais sur les sujets particuliers de prévention en matière de santé et d'activité physique. Nous avons intégré dans le rapport les recommandations formulées par ces enfants.

Le rapport a été remis à François Braun qui a ensuite été remplacé par Aurélien Rousseau, lequel a démissionné le mercredi 20 décembre 2023 la veille du jour où il devait effectuer un déplacement au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes, dans le service de Christèle Gras-Le Guen, et annoncer des premières mesures sur le volet hospitalier des Assises de la santé de l'enfant. Les Assises prévues le lendemain jeudi n'ont pas eu lieu. Agnès Firmin Le Bodo a pris la suite en tant que ministre en charge de la Santé jusqu'au 11 janvier 2024, date de la démission du gouvernement d'Elisabeth Borne. Catherine Vautrin et Frédéric Valletoux ont alors repris le portefeuille ministériel de la santé. Nous avons repris les échanges avec les ministres et leurs cabinets en mars 2024. Sachez que sous le ministère Aurélien Rousseau, un certain nombre de mesures issues de ce rapport avaient été arbitrées à l'interministériel. Nous y avons beaucoup travaillé notamment avec la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) tout au long des assises. Nous nous étions efforcés d'associer les cabinets ministériels ainsi que les administrations dès le début du processus pour gagner du temps mais on l'a malheureusement perdu en raison du changement de Gouvernement. Pour ne pas repartir de zéro, le cabinet de Frédéric Valletoux s'est basé de ce qui avait été déjà élaboré par le précédent cabinet, à savoir un plan ainsi que des mesures évaluées, budgétées et arbitrées. Comme cela a été annoncé dans la presse, ces assises devraient se tenir entre fin avril et mai ; elles ne représentent qu'une étape qui doit donner lieu à un certain nombre d'annonces et sera suivie de nombreux autres projets. Nos propositions comportent des mesures très précises mais également des orientations plus principielles. Nous avons intégré des travaux récemment publiés comme la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppementaux. Bien que la deuxième feuille de route des « 1000 premiers jours » de l'enfant ne soit pas encore sortie, nous avons intégré des mesures dans ce domaine. Le rapport du professeur Ville et de l'Académie nationale de médecine a donné lieu à une mission lancée par François Braun qui doit formuler des recommandations sur les maternités et nous n'avons pas à ce stade pris position sur ce sujet. Bref, nous nous sommes efforcés d'intégrer toutes les dynamiques en cours et, à tout le moins, de ne pas entrer en contradiction avec ces dernières.

Je pense donc que ces assises sont un processus qui continuera à vivre au-delà de la fin du mois d'avril prochain, sachant que nos propositions ne sont pas celles du Gouvernement.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - On aimerait bien qu'elles soient toutes effectivement adoptées mais je ne suis pas sûre que ce soit le cas.

La première, en lien avec la santé périnatale, est de créer un registre des naissances et des décès pour pouvoir piloter au mieux la mortalité infantile. On a réussi à analyser cette mortalité en fonction des classes d'âge mais on ne dispose malheureusement pas de plus de précisions pour savoir de quoi sont décédés ces enfants et ce qui s'est passé. Un tel outil est vraiment nécessaire pour améliorer le pilotage car nous n'en disposons pas aujourd'hui en France. Beaucoup de chiffres sont disponibles mais ils ne sont pas articulés les uns avec les autres, Ce registre nous semble être un préalable indispensable pour comprendre ce phénomène et prendre des initiatives en les ajustant à la réalité.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - On nous a déjà parlé de cette compilation de données en nous précisant qu'elles sont pour l'instant anonymes, ce qui complexifierait leur interprétation : est-il selon vous nécessaire ou pas d'anonymiser les données recueillies ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Nous sommes en permanence confrontés au problème que vous mentionnez dans tous nos travaux de recherche et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) veille à ce qu'on ne puisse pas identifier, à travers nos bases de données, des enfants avec des parcours très particuliers ; plus généralement, l'anonymisation est une nécessité pour protéger tous nos concitoyens. Pour autant, des chainages permettent d'articuler les bases les unes avec les autres pour aboutir à un registre qui ne nécessite pas trop de travail ou de saisies supplémentaires. À l'heure actuelle, des informaticiens et des bio-informaticiens extraordinaires parviennent à surmonter ces difficultés pour que nous comprenions ce qui se passe et quel impact auront les réformes sur les différents paramètres observés.

J'en viens à nos propositions visant à assurer la sécurité des naissances H24 et 7 jours sur 7 qui ont été formulées par le professeur Ville.

Les propositions portées par les Assises consistent d'abord à développer des plateaux techniques permettant de naître en toute sécurité, avec des professionnels présents le jour et la nuit, ce qui suppose de pouvoir répondre à la pénibilité de la permanence de soins sur des gros plateaux de naissance. Il faut ensuite pouvoir transférer les mamans et leurs bébés, après une période de surveillance minimale, vers des maternités sans accouchement où ils pourront être surveillés par des professionnels de santé qui existent déjà dans ces petits centres pour lesquels c'est vraiment la salle de naissance qui pose problème. Cela implique d'organiser des systèmes de transport efficaces et sûrs : un certain nombre de travaux de recherche sont menés sur l'optimisation et la souplesse de ce transport de la mère et de son enfant dans les heures qui suivent la naissance afin de répondre à la difficulté majeure qu'on rencontre aujourd'hui avec les petites maternités.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Avez-vous identifié un temps de transport maximum ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il faut avant tout pouvoir transporter les enfants en sécurité et, à partir du moment où la prise en charge se fait avec du personnel formé, aucun temps de transport maximum n'a été aujourd'hui chiffré. On n'est pas dans la situation d'un enfant ayant une détresse respiratoire ou une urgence vitale mais au contraire dans l'hypothèse où l'enfant et sa mère vont bien puisqu'on les a gardés suffisamment de temps - au moins deux heures - pour s'en assurer. Le transport se fait ensuite avec des professionnels de santé : la mère et l'enfant ne se retrouvent alors pas seuls dans une ambulance roulant à tombeau ouvert puisqu'il n'y a pas d'urgence.

M. Adrien Taquet. - Nos propositions sont en ligne avec l'analyse du professeur Ville, sans mentionner le nombre d'accouchements par maternité. François Braun avait annoncé le lancement d'une mission dans la suite du rapport Ville, il confiait une mission pour mettre en musique concrètement les préconisations du rapport Ville...

Dans ma position actuelle, sans responsabilité politique, je constate que dès qu'une maternité, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, ferme dans un endroit, les élus, qu'ils soient locaux, parlementaires, députés ou sénateurs, font le siège du cabinet du ministre de la Santé et du ministre lui-même, qui passe pas mal de temps à traiter ces sujets. À un moment, il faudrait qu'on fasse confiance aux spécialistes pour essayer d'arriver à un consensus sur cette nouvelle organisation de l'accouchement en France. Nous avons longuement débattu de ce sujet entre nous et, à mon sens, on pourrait aussi décider de garder ouvertes des maternités qui soulèvent des problèmes de sécurité à condition d'afficher clairement les choses et que chacun prenne ses responsabilités. En Angleterre, comme l'ont souvent rappelé des membres du comité d'orientation, quand vous arrivez dans une maternité, le nombre de décès par milliers de naissances est collé sur la porte : ainsi, chacun sait où il se trouve et la responsabilité des uns ou des autres est clarifiée.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Permettez-moi de faire le parallèle avec les maisons France service. Avant qu'elles soient lancées, beaucoup d'élus montaient au créneau dès qu'un service public devait fermer. À présent qu'on voit comment ces maisons fonctionnent, tout le monde en est content. Je pense que c'est un peu la même chose avec les petites maternités : si elles doivent fermer, il faut expliquer aux élus quel système va les remplacer et quel parcours va être mis en place. À mon avis cela favoriserait l'acceptabilité de certaines fermetures par les élus.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Dans l'imaginaire collectif, on pense qu'il faut être proche et que le risque est lié à l'éloignement. Or il n'y a jamais d'accidents dans des endroits éloignés comme les îles bretonnes parce que les parcours sont anticipés et ce n'est donc pas la distance qui fait le risque. Il faut donc calmer les inquiétudes qui ne sont pas les bonnes. On ferait mieux de s'inquiéter dans les cas où votre obstétricien n'a pas fait au moins 10 gardes dans le mois précédent, votre anesthésiste a plus de 70 ans et de se demander si un pédiatre est joignable en cas de problème : or ce ne sont pas toujours les risques identifiés par la plupart des gens.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je pense qu'on nous annonce à chaque fois des fermetures de maternités dans l'urgence et la gestion de crise. Il me semble que les Français sont capables d'entendre des arguments raisonnables et, au cours des auditions, des professionnels nous ont expliqué l'évolution de leurs métiers, de leurs aspirations ainsi que les enjeux de sécurité. Comme vous l'indiquez, il y a des décisions politiques à prendre et nous nous demandons aujourd'hui comment améliorer la santé de l'enfant et de la femme en intégrant la prévention, la période anténatale, celle de l'accouchement, et le postnatal. La grossesse est un moment particulier et on dit qu'une grossesse normale comporte 3 à 5 % de risques imprévisibles. Je crois qu'on ne peut pas se contenter d'annoncer des fermetures et des regroupements de maternités sans ouvrir un vrai chantier sur la prise en charge globale de la femme et de l'enfant avec un regard à 360 degrés.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Je complète votre propos en indiquant qu'il faut aussi des personnels formés et une prise en charge de qualité, même en post-natal qui est une période très importante.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - On a besoin en outre de vrais chiffres et d'études consolidées. Je me félicite ici de votre proposition de registre car il faut mettre les donnes de santé sur la table.

M. Adrien Taquet. - C'est tout l'intérêt de votre mission d'appréhender l'organisation de la santé périnatale de manière systémique ; cette approche holistique correspond également à l'état d'esprit des 1000 premiers jours. L'intérêt du rapport du professeur Ville est de proposer un système cible et vous avez tout à fait raison de souligner la nécessité de communiquer sur les solutions de remplacement. Je ne minore pas le sentiment que peuvent éprouver les élus et les habitants en cas de fermeture de services publics ; il faut tenir compte de cette dimension psychologique totalement légitime et compréhensible.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il y a également la question moins médicale mais extrêmement sensible de la ville de naissance. Celle-ci figure à vie sur le carnet de santé ainsi que sur de nombreux documents administratifs. Je travaille à Nantes et je constate qu'une naissance dans la clinique située quelques kilomètres plus loin entrainera, par exemple, la mention « Né à Saint-Herblain », ce qui choque un certain nombre de parents. Voilà également une dimension très sensible qui n'a plus rien à voir avec la santé mais qu'il faut pouvoir prendre en compte

Mme Annick Jacquemet, présidente. - À l'initiative du groupe Union centriste, le Sénat a examiné, en janvier 2020, une proposition de loi sur la déclaration de naissance auprès de l'officier d'état civil du lieu de résidence des parents ; le Sénat l'a adoptée et nous allons tenter de réactiver la navette qui s'est arrêtée à l'Assemblée nationale

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Je poursuis sur les améliorations de la prise en charge des enfants prématurés. L'idée était de développer des équipes mobiles néonatales pour que les enfants puissent rentrer plus vite à leur domicile grâce à des équipes qui les connaissent et peuvent se déplacer. 11 équipes participent actuellement à une expérimentation.

Le « zéro séparation » durant l'hospitalisation paraît essentiel. Il y a beaucoup de travaux sur ce sujet, y compris pendant le transport. D'autres propositions concernent la prématurité. Vous avez probablement déjà évoqué avec la Société Française de Néonatologie (SFN) la problématique de l'âge biologique et de l'âge civil pour les enfants prématurés qui semble modifier totalement leur performance et leur neurodéveloppement à quelques mois près. Je mentionne également l'importance de la formation des soignants pour garantir la qualité des soins de développement pour les tout petits enfants.

J'en viens à la question du dépistage néonatal qui est au coeur de nos discussions en ce début 2024, avec la mise en oeuvre du dépistage de la drépanocytose. Un certain nombre de dépistages sont « dans les tuyaux », je pense en particulier à celui du déficit immunitaire. De nombreuses discussions, inquiétudes et fantasmes, se sont fait jour, alors que les données scientifiques sont encore insuffisantes, pour pouvoir avancer sur le séquençage systématique du génome à la naissance qui permettrait de prédire quelques centaines de maladies susceptibles d'arriver plus tard et d'en limiter les effets si on les traite rapidement. Bien évidemment, on voit les excès et les débordements auxquels cette technique pourrait conduire mais tous les dépistages réalisés aujourd'hui seront dépassés par cette technique très rapide puisqu'il faut trois heures aujourd'hui pour screener un génome. Cela donne un peu le vertige : on est un peu dans de la science-fiction mais, pour autant, ce procédé est en train de nous rattraper. En articulant cette technique avec l'intelligence artificielle, on peut discerner les contours de la révolution qui surviendra dans les mois à venir et pour laquelle il faut que nous soyons au rendez-vous.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Est-ce que cela se pratique déjà dans d'autres pays ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Les Américains sont très amateurs de ce genre d'approche. Des expérimentations et des publications relatives à des femmes qui étaient volontaires sont déjà disponibles. Comment ces pratiques pourraient-elles être transposées en France, où l'état d'esprit est très différent, notamment chez les parents ? Nous souhaitons mettre en place des outils performants au service des enfants et de leur famille sans créer de stress supplémentaire.

S'agissant de la mort inattendue du nourrisson, le cumul des décès recensés dans le registre depuis sa mise en place en 2015 s'établit à 1 896 au 31 décembre 2023. L'évolution annuelle fait apparaitre une diminution pendant la pandémie (avec un nombre de morts inférieur à 200 par an), ce qui laisse à penser qu'il existe un lien avec les maladies infectieuses.

Ce registre, dont le financement pérenne n'est pas assuré, montre également que, depuis 2015, environ 13% des enfants décédés ont moins d'un mois.

On connaît un certain nombre de facteurs de risque de décès dans la première année et le premier mois de vie. Certains ne sont pas modifiables comme la génétique, la prématurité et les enfants qui naissent avec un très petit poids de naissance. Ces décès inévitables surviennent principalement avant l'âge de six mois. En revanche, certains décès peuvent être évités. En particulier, on sait depuis les années 1990 que le fait de dormir sur le dos est particulièrement protecteur et, inversement, un des facteurs de risque les mieux connu est de dormir sur le ventre ou sur le côté, avec un « odds ratio », à savoir un risque relatif, qui peut atteindre 45. Parmi les facteurs de risque modifiables figurent également l'environnement de couchage inapproprié, à savoir des objets dans lesquels les bébés viennent s'étouffer ou se bloquer ainsi que le tabagisme.

Voici une diapositive illustrant, dans la vraie vie, les conditions de couchage - strictement déconseillées depuis 1990 - du dernier du dernier enfant pris en charge il y a 15 jours par le service où je travaille. Il était chez une assistante maternelle et s'est étouffé dans son oreiller et sa couette. On estime que ce type de décès évitable représente environ la moitié des morts inattendues du nourrisson. Les réseaux sociaux regorgent de produits et ustensiles de puériculture strictement interdits et pourtant vendus par l'industrie. Tous les jeunes parents doivent être alertés sur la dangerosité de ces objets. De la même manière, sur des paquets de couches, on voit des enfants endormis dans des positions qui ne sont pas du tout recommandées. Le professeur Chalumeau parle, dans ses travaux, d' « exposome visuel » et malheureusement, seuls 10 % des paquets de couches qu'il a analysé sont assortis d'images conformes aux recommandations. L'action préventive que nous préconisons pour lutter contre cet exposome qui banalise des comportements dangereux ne coûte rien.

M. Adrien Taquet. - Vous voyez, sur la diapositive, le logo de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), celui de Santé publique France et même celui des « 1000 premiers jours ». S'agissant des paquets de couches non conformes, j'avais très vite remonté l'information auprès de la DGCCRF, compétente pour autant que les images portent sur des produits diffusés en France. Il faut contrôler davantage les pratiques non conformes au niveau commercial et sensibiliser les parents.

J'ajoute quelques éléments sur les 1000 premiers jours qui constituent une part importante des recommandations que nous avons formulées. Cette politique publique, que j'ai portée quand j'étais ministre, au cours des deux dernières années, n'a pas bénéficié de l'investissement et de la constance que nécessite toute politique de prévention.

Une deuxième feuille de route des 1000 premiers jours a été mise en chantier, les professionnels de santé, sur le terrain, l'attendent. Des crédits ont tout de même été reconduits et des appels à projets lancés via les Agences régionales de santé (ARS). Les professionnels peuvent donc continuer à mener leurs activités mais il faut aussi incarner à nouveau cette politique publique.

Nous avons repris des propositions tirées de cette démarche des 1000 premiers jours, qui vise à créer un parcours d'accompagnement à la parentalité pour tous les parents avec une approche très universelle et très « à la française ». La création d'un entretien prénatal précoce obligatoire au quatrième mois s'est accompagnée du financement de postes médico-psycho-sociaux dans des maternités prioritaires. Des crédits ont également été dégagés pour travailler le lien ville-hôpital et rapprocher les services de Protection maternelle et infantile (PMI) des maternités. L'entretien postnatal entre le 5ème et le 12ème mois permet notamment de lutter contre la dépression post-partum.

En Finlande, dont nous nous sommes beaucoup inspirés, le parcours va un peu au-delà des 1000 jours et comporte 13 étapes. C'est pourquoi nous proposons de renforcer ce parcours d'accompagnement, notamment en désignant une sage-femme référente en lien avec le médecin traitant, ce qui se rattache à la fameuse question de la coordination des professionnels autour de la personne et du couple. Nous suggérons aussi de systématiser les groupes de pair-aidance notamment avec les pères, pour lesquels existent des groupes de paroles, comme au Kremlin-Bicêtre. Il faut également améliorer l'information des parents et des professionnels sur la question du sommeil des parents car le manque de sommeil est un déclencheur du syndrome du bébé secoué. Nous proposons par ailleurs de déployer un plan sommeil dans le cadre de ces assises à l'attention des enfants et des adolescents, ce qui recoupe plusieurs sujets comme l'exposition aux écrans et la santé mentale.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - J'ajoute qu'il faut être attentifs au charlatanisme, car les parents sont aujourd'hui très exposés à des coachs ou autres gadgets qui leur coûtent une fortune sans pour autant leur simplifier la vie.

M. Adrien Taquet. - Il faut que la puissance publique soit en soutien à la parentalité, sinon c'est la jungle. J'ajoute que la question du père ou du conjoint a été insuffisamment traitée jusqu'à présent ; il faut que celui-ci soit investi dans la construction du lien avec l'enfant pour des questions d'égalité femme-homme et de charge mentale. Il est donc nécessaire que la consultation prénatale pour les conjoints soit prise en charge par la Sécurité sociale et qu'ils puissent participer aux séances de préparation à la naissance ainsi qu'à la parentalité. Il n'y a pas de raison pour que le conjoint ne bénéficie pas de tout ce qui a commencé à se développer pour les femmes.

La psychiatrie périnatale est un sujet qui m'est cher car dans un monde idéal, la protection de l'enfance n'existerait pas si on avait décelé précocement et accompagné intensivement les difficultés notamment psychiatriques. Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'on a des problèmes psychiatriques qu'on n'a pas le droit d'être parent mais cela nécessite d'être repéré et accompagné. Nous avions donc financé, dans le cadre de la première feuille de route des 1000 premiers jours, un certain nombre de dispositifs en psychiatrie périnatale avec la création d'équipes mobiles associant des professionnels de la PMI et des hospitaliers qui font de « l'aller vers », dès qu'une situation de fragilité est repérée. Parfois, l'accompagnement commence au stade du projet parental ou au début de la grossesse ; par la suite, des unités de jour accompagnent la mère et l'enfant, ce qui suppose des compétences à la fois en pédopsychiatrie et en psychiatrie adulte. Il faut donc un peu casser des silos existants mais on ne doit pas séparer la mère de l'enfant et recourir à des unités d'hospitalisation plus intenses si nécessaire : l'expérimentation menée à Strasbourg fonctionne bien et peut être généralisée.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - J'en viens au carnet de santé numérique : celui-ci va faciliter le suivi sanitaire dès la sortie de maternité, mais aussi dès le stade prénatal pour commencer à discuter de l'enfant à naître et améliorer la santé de la femme enceinte en lui conseillant zéro tabac ainsi que zéro alcool, éventuellement avec des incitations financières pour arrêter le tabac pendant la grossesse.

Les campagnes de vaccination pour les femmes enceintes portent déjà sur la grippe, la coqueluche, la Covid, et j'ai proposé d'y rajouter le virus syncytial respiratoire (VRS). La facilitation de l'allaitement maternel paraît également aujourd'hui indispensable.

Par ailleurs, il avait été envisagé de lancer des travaux sur la fusion des congés familiaux pour pouvoir, là encore, faciliter le retour à domicile et le lien parent-enfant en s'inspirant de ce qui est fait dans certains pays d'Europe du Nord.

M. Adrien Taquet. - Le Gouvernement a pris des initiatives dans ce domaine et nous allons plus loin avec un regard un peu différent. Notre modèle cible était plutôt ce qui se pratique dans les pays nordiques avec un congé unifié plus long, partagé entre les deux conjoints avec des durées obligatoires pour chacun d'entre eux.

S'agissant de l'allaitement maternel, il faut éviter une démarche normative dans un domaine où il ne doit pas y avoir de normes. Nous souhaitons cependant continuer à promouvoir et à faciliter l'allaitement maternel, notamment avec le label IHAB (Initiative Hôpital Ami des Bébés) dont disposent un certain nombre de maternités, comme au CHU de Lille. Par ailleurs les entreprises de plus de 100 salariés doivent, conformément à la loi, prévoir la mise à disposition d'une salle d'allaitement.

J'en termine en évoquant le déploiement des maisons des 1000 premiers jours partout en France préconisé en 2020, de façon assez maximale, par le rapport de Boris Cyrulnik. Des initiatives sont lancées par des communes, en outre, les maisons des 1000 jours existent déjà : cela s'appelle les PMI. Leur compétence s'étend en principe jusqu'aux six ans de l'enfant mais, en réalité, les PMI ne voient que les enfants de zéro à trois ans pour des raisons d'effectifs et de manque de moyens. Il faut donc recentrer et renforcer les PMI, que ce soit en effectifs, en rémunération et en statut. Par ailleurs, les exercices mixtes et partagés correspondent aux aspirations des jeunes soignants d'aujourd'hui.

Bien que le numerus clausus ait été remplacé par le numerus apertus, aujourd'hui, pour un médecin qui part à la retraite, il en faut deux pour le remplacer, voire plus. Aujourd'hui, un professeur des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) souhaite également pouvoir exercer pendant une journée en PMI ou en médecine scolaire. Le service de santé scolaire doit d'ailleurs être renforcé dans ses effectifs bien au-delà des seuls 800 médecins scolaires actuels et les recrutements prévus ne sont pas suffisants. Nous proposons donc la création d'un statut de médecin de fonction publique commun - PMI, santé scolaire, centre de santé et hôpital - qui aura un coût important pour être attractif. Cela favorisera néanmoins le renforcement des PMI que l'on propose par ailleurs de transformer en maisons des 1000 jours et de l'enfance pour éviter les effets de seuil.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelle serait la fourchette de rémunération des médecins de fonction publique que vous venez d'évoquer ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Nous nous étions basés sur la grille des praticiens hospitaliers : en effet, qu'on travaille toute la semaine à l'hôpital ou en exercice partagé entre plusieurs entités, la grille de rémunération devrait être la même. De plus, la diversité des missions augmente l'intérêt des emplois, évite qu'on s'épuise et prévient des démissions de médecins qui partent parfois amers et désabusés alors qu'on est tous convaincus, par exemple dans les PMI, de l'immense service rendu par ces équipes. Les parents en témoignent tous : ce sont des endroits extraordinaires où les équipes ont une vraie expertise mais sont insuffisamment dotées pour pouvoir faire face aux demandes. Il faut également renforcer les effectifs de puéricultrices qui jouent un rôle majeur dans les examens de routine, l'accompagnement, le dépistage, l'orientation, les conseils aux familles et la parentalité. Ces PMI maisons de 1000 jours sont véritablement un lieu où se crée la santé de demain.

M. Adrien Taquet. - Ces exercices mixtes permettent aussi d'améliorer la fluidité des parcours et d'éviter les ruptures puisque des professionnels peuvent suivre les enfants d'une institution à l'autre en « cassant » les silos à la française.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - De quelles spécialités seraient issus ces médecins de fonction publique ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - On pourrait les recruter parmi les pédiatres ou les médecins généralistes qui sont nombreux à s'être formés spécifiquement à l'occasion d'un D.U. (Diplômes d'Université) à la santé de l'enfant.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Cela ne risque-t-il pas de devenir de moins en moins possible compte tenu de l'évolution des formations médicales avec des spécialités un peu organisées en silo ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - On peut tout de même encore compter sur les D.U. et les D.I.U (Diplômes Interuniversitaires d'Université) qui permettent à des médecins généralistes d'acquérir des connaissances et des compétences en santé de l'enfant. Ces diplômes existent à peu près dans toutes les universités et c'est comme ça que fonctionnent aujourd'hui un grand nombre de PMI.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Votre schéma à court et moyen terme de renforcement des maisons des 1000 jours nécessiterait beaucoup de ressources humaines et de formations. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

M. Adrien Taquet. - Cela passe par des recrutements et de la formation. S'y ajoute le coût lié à l'éventuelle création d'un statut de médecin de fonction publique et de la grille salariale que l'on retient. Pour que les personnels adhèrent à la démarche, on ne peut pas uniquement tabler sur la vocation et le sens de l'engagement. Dans le cadre de mes fonctions ministérielles, 100 millions d'euros de plus avaient été alloués aux PMI qui avaient été retirées au cours des dix dernières années par les départements. Ce financement supplémentaire s'était accompagné de délégations de compétences mais cela ne suffit pas. Nous avons débattu de ce sujet, y compris avec un certain nombre de professionnels de PMI ; et nos positions ne sont pas toujours alignées. À un moment donné, deux solutions se présentent. La première est de continuer à se réfugier derrière des totems avec un très beau concept d'universalisme différencié, mais cette voie risque de faire évoluer la PMI - comme c'est déjà le cas dans certains territoires - vers une médecine du pauvre. Si on choisit cette solution, il faut l'énoncer clairement et en tirer toutes les conséquences en ciblant les moyens sur ces populations-là en s'organisant différemment et en pratiquant plus « l'aller vers ». L'autre option est de renouer avec la dimension universelle de la PMI et de se donner les moyens d'y parvenir ; cela passe notamment par un recentrage sur la réalité actuelle, à savoir que la plupart des enfants reçus par les PMI ont entre zéro et moins de trois ans. En termes de compétences et de formation, ce virage tendant à assurer l'accompagnement à la parentalité est déjà pris par un certain nombre de PMI et de professionnels et il faut juste continuer à l'accompagner. Ainsi ces maisons des PMI, des 1000 jours et de l'enfant, puis la santé scolaire rénovée pourraient assurer un continuum, l'école étant obligatoire à partir de trois ans. C'est un beau projet qui ne peut se faire qu'avec les départements et les professionnels eux-mêmes. Une fois encore, « il faut sauver la PMI » comme le disait Michèle Peyron dans son rapport de 2019.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - En lien avec votre question sur l'articulation des différents soignants autour du parcours de soins de l'enfant, nous proposons une gradation des soins clarifiée « au bon endroit et au bon moment » afin de ne pas avoir d'emblée recours aux spécialistes de tel ou tel organe. Il faut pouvoir d'abord s'adresser à un médecin référent, généraliste ou pédiatre, qui connaisse l'enfant, le voit régulièrement et qui puisse s'articuler avec les PMI ou les nouvelles maisons des 1000 jours et la santé scolaire. En premier recours, nous préconisons que les familles puissent également s'adresser aux infirmières puéricultrices qui pourraient avoir une pratique avancée - ce qui n'est pas le cas aujourd'hui - leur permettant d'accomplir un certain nombre de missions dans lesquelles leur expertise et leur savoir-faire est tout à fait considérable. Cet accès direct serait également aménagé pour les infirmières qui souhaiteraient se former, auxquels nous ajoutons les orthophonistes, les kinésithérapeutes ainsi que tous les spécialistes de la santé de l'enfant.

En cas de difficulté identifiée lors de ce premier contact, les enfants seraient pris en charge par des professionnels qui exercent dans des domaines plus spécifiques, comme les pédiatres, pédopsychiatres ou pédodontistes, le troisième recours étant le centre hospitalier ou le centre hospitalo-universitaire pour tout ce qui est médico-chirurgical, soins intensifs ou maladies chroniques identifiées.

M. Adrien Taquet. - Cette architecture répond aussi à la question initiale qui nous était posée, à savoir l'embolie des urgences pédiatriques, avec l'idée que chaque enfant puisse idéalement, dès l'anténatal, se voir désigner un médecin référent.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - On voit trop souvent, malheureusement, des familles arriver aux urgences avec des bébés de 10 ou 15 jours qui les inquiètent mais elles ne savent pas qui est leur médecin traitant. Identifier d'emblée un médecin référent permettrait d'éviter des passages aux urgences, d'autant que l'hôpital est un milieu où il y a beaucoup de microbes auxquels il faut éviter d'exposer des tout petits enfants.

J'en viens au dernier axe de notre exposé : l'offre de soins. Aujourd'hui 20 % des Français n'ont pas de médecin traitant et des familles affluent par centaines aux urgences en indiquant qu'elles ne savent pas où aller. Il faut améliorer l'offre de soins de manière quantitative et qualitative. Il faut plus de professionnels de santé formés à la pédiatrie ou, en tout cas, à la santé de l'enfant. L'augmentation du numerus apertus est, de ce point de vue, une très bonne chose et les courbes montrent qu'on va bientôt retrouver à peu près le nombre de diplômés des années 1980, après un creux vertigineux. Pour autant, les diplômés des années 2024-25 ne travailleront pas comme leurs ainés : de manière un peu caricaturale, on a dit qu'il fallait arrêter de s'intéresser au nombre de diplômés pour se concentrer sur le temps médical disponible et si on veut cibler l'objectif - porté par les Assises - de permettre à chaque enfant d'avoir un médecin traitant, il faut multiplier au moins par deux le nombre de médecins diplômés. En outre, il y a un décalage de 10 ans pour former un médecin et ces recrutements ne suffiront pas.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je pense également que les effectifs de médecins resteront insuffisants compte tenu du vieillissement, de la paupérisation de la population et de l'évolution de l'offre de temps médical. Certains intervenants ont évoqué une réduction de la durée de la formation des médecins généralistes ; pouvez-vous préciser ce point ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Les médecins généralistes assurent 85 % des consultations d'enfants ; ils sont donc au coeur du dispositif et sont les médecins référents des familles. Cela suppose qu'ils soient formés à la santé des enfants qui représentent à peu près 20 % de la population française et donc environ 20 % des consultations. Il faut donc plus de médecins généralistes et, par conséquent, plus d'enseignants pour les former ; or l'augmentation du numerus apertus ne s'est pas accompagnée de celle du nombre d'enseignants, notamment en pédiatrie et pédopsychiatrie. Il faut également multiplier les lieux de stage, par exemple en milieu libéral.

Nous proposons également de former tous les internes de médecine générale à la santé de l'enfant. Malheureusement, une réforme qui doit s'appliquer au 1er novembre prochain prévoit de diviser par deux la durée du stage de pédiatrie en le ramenant à trois mois, qu'il soit effectué en milieu hospitalier, libéral ou dans un cabinet de médecin généraliste. Cette réduction est absolument incompatible avec l'amélioration de la formation à la santé de l'enfant qui impose de pouvoir en examiner beaucoup. Un certain nombre de nos confrères généralistes sont très au fait de la santé de l'enfant mais les besoins de formation sont aujourd'hui insuffisamment couverts et doivent porter sur des domaines extrêmement variés comme la parentalité, les bébés de huit jours ou la maternité. On ne peut pas s'auto-former à la santé de l'enfant et il faut s'y familiariser auprès des maîtres de stage et des praticiens généralistes libéraux qui restent en nombre insuffisant. Il nous paraît indispensable de maintenir une durée de six mois minimum de stage pour se former à la santé de l'enfant, contrairement à ce qui est prévu et qui donne lieu à beaucoup de tensions, voire d'agressivité, et je pèse mes mots. Je rappelle que cette réforme a été adoptée dans l'urgence en juillet 2023 au moment où il fallait adopter une nouvelle maquette pour permettre aux internes de choisir leur parcours. Cependant, cette maquette n'est absolument pas adaptée aux missions du médecin généraliste qui est le médecin référent au centre du dispositif de santé de l'enfant.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - De qui émanent les tensions dont vous parlez ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - L'élaboration de la maquette de l'internat de médecine générale a été confiée à quatre personnalités qualifiées qui ont rendu un rapport et des préconisations sur ce sujet. Nous les avons rencontrés à la demande du ministre Aurélien Rousseau, qui avait signé cette maquette, pour tenter de trouver un compromis permettant de porter de trois à six mois la formation à la santé de l'enfant. Il n'y a pas eu de discussion possible ; notre échange n'a pas permis d'aboutir et on est aujourd'hui face à un mur.

M. Adrien Taquet. - La position que ces acteurs ont prise est tout à fait antinomique avec notre investissement et notre démarche globale. Cela ne doit pas être un point de cristallisation des prochaines Assises mais nous sommes assez inquiets sur ce point car le généraliste reste le médecin de base de l'enfant.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Une confusion s'est introduite avec l'idée que nous souhaitions que ces six mois de formation se déroulent à l'hôpital, ce qui n'est pas le cas. Ces six mois peuvent se faire ailleurs, pourvu qu'ils soient consacrés à la santé de l'enfant. Cette cause nous parait très importante à défendre, en cohérence avec rôle de médecin généraliste référent.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les pédiatres estiment rester les parents pauvres du système de prise en charge de l'enfant : ils sont de moins en moins nombreux et bénéficient d'une revalorisation insuffisante de leurs actes. Par ailleurs, ils soulignent l'importance du suivi de l'enfant dans la phase très précoce qui s'étend de zéro à un mois. Avez-vous relevé ces différents points ?

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Il est évident que les parents peuvent choisir le médecin qu'ils consulteront au moment de la sortie de maternité. On aimerait qu'ils le choisissent par anticipation mais ce n'est pas toujours le cas. Il y a, en effet, des spécificités dans cette période précoce de la vie mais le nombre de pédiatres en France, de l'ordre de 8 000, est dramatiquement insuffisant face aux 700 000 naissances chaque année. En pratique, un certain nombre de familles s'orientent donc vers la PMI ou vers leur médecin généraliste, qui doivent être formés aux sorties de maternité, aux allaitements qui ne démarrent pas bien, aux dépressions post-partum et à la détection des enfants dont la courbe de croissance n'est pas bonne.

M. Adrien Taquet. - La pédiatrie est sous-valorisée et nous préconisons la revalorisation de tous les actes de pédiatrie et de pédopsychiatrie que ce soit à l'hôpital ou en libéral. Je crois savoir qu'un certain nombre de travaux en cours au niveau gouvernemental vont dans ce sens.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - J'en viens à un autre volet de l'amélioration de l'offre de soins qui porte sur la formation des infirmières, des orthophonistes, des psychomotriciens et des ergothérapeutes. Depuis plusieurs années, le programme de pédiatrie a disparu des Instituts de formation en soins infirmiers (IFSI). Les nouvelles infirmières arrivent donc dans des services de pédiatrie totalement démunies et découvrent un monde qu'elles ne soupçonnent même pas. Nous souhaitons donc remettre de la pédiatrie dans le programme et dans le terrain de stage des infirmières ainsi, en règle générale, que dans tous les programmes de formation des professionnels de santé qui seront amenés à prendre en charge des enfants par la suite.

Nous proposons également de recruter des personnels médicaux et non-médicaux ayant des compétences pour le suivi des enfants, que ce soit pour les infirmières ou les puéricultrices dotées d'un diplôme spécifique pour pouvoir travailler en réanimation ou en soins critiques. Il faut augmenter le nombre de diplômés en pédiatrie et en chirurgie pédiatrique, dont les rangs sont plus que clairsemés. Les radiopédiatres sont également en grande difficulté. Nous préconisons également de former et d'embaucher prioritairement des puéricultrices en reconnaissant leur diplôme au niveau de Master 2, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. On sait bien, aujourd'hui à l'hôpital, que le recrutement d'une infirmière coûte moins cher que celui d'une puéricultrice et donc, sur des missions où elles seraient plus compétentes, celles-ci n'obtiennent pas le poste pour des raisons financières. Il faut, par conséquent, pouvoir mettre en valeur la plus-value qu'apportent les puéricultrices dans leur formation et dans la prise en charge des enfants.

J'ajoute qu'il faut développer les formations en pratiques avancées (IPA) dans le domaine pédiatrique car cela n'existe pas aujourd'hui.

M. Adrien Taquet. - Des négociations sont en cours depuis plusieurs mois entre les syndicats, les représentants de ces différentes formations et le ministère sur la ré-ingénierie de ces diplômes.

Mme Christèle Gras-Le Guen. - Le service rendu par l'amélioration de ces diplômes est, de manière générale, extraordinaire et le serait aussi en pédiatrie pour libérer du temps médical ainsi que pour d'autres missions comme la psychiatrie.

Enfin, nous proposons de mieux valoriser les actes et les séjours qui concernent les enfants car ces prises en charge sont de plus en plus chronophages, lourdes et complexes, tout particulièrement dans le cas de maladies chroniques.

Au final, la liste de nos propositions en matière de santé périnatale s'articule ainsi : créer un registre des naissances, assurer la sécurité des naissances, prendre en charge les enfants prématurés, lutter contre la mort inattendue du nourrisson, investir dans les 1000 premiers jours, renforcer les PMI qui deviendraient des maisons des 1000 jours et de l'enfant, augmenter le nombre de professionnels formés en pédiatrie et en santé de l'enfant et, enfin, former tous les internes de médecine générale à la santé de l'enfant. Ce dernier point nous parait fondamental : six mois de stage pour tous devrait en être la règle.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour vos indications qui répondent globalement à notre questionnaire. Nous avons appris beaucoup de choses, même si vos propos rejoignent ceux que nous avons entendus dans d'autres auditions ; en particulier la création d'un registre apparait de manière consensuelle comme une absolue nécessité. Nous relayerons au plan parlementaire des sujets que vous avez évoqués.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie de ces informations que vous nous avez présentées de façon complète et accessible.

Audition de membres de l'équipe EPOPé (équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique) de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'université Paris Cité

(Mardi 2 avril 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous entendons aujourd'hui des représentants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), membres de l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (EPOPé).

L'activité scientifique de cette équipe s'organise autour de six thématiques qui intéressent notre mission d'information : les soins prénatals et les accouchements dans la population à bas risque et en population générale ; la morbidité maternelle sévère, ses déterminants et sa prise en charge, ainsi que les événements de santé qui lui sont liés ; les naissances prématurées et les retards de croissance foetale ; les facteurs de risque, leur prise en charge clinique et les événements de santé des nouveau-nés présentant des anomalies congénitales ; les risques et la décision en pédiatrie ; enfin, les inégalités sociales en matière de santé maternelle, périnatale et pédiatrique.

Ces thématiques et les problématiques qu'elles soulèvent - l'évolution des facteurs de risques au sein de la population générale, la prise en charge des naissances prématurées, ou encore la gestion du risque en santé périnatale - ont été évoquées par l'ensemble des personnes auditionnées par notre mission d'information. Toutefois, ces éléments ont parfois été abordés au travers de prismes déformants pour plusieurs raisons : volonté d'une meilleure reconnaissance de certaines professions, crise de la pédiatrie, ou encore défense du choix de certains seuils pour le maintien des maternités, comme ce fut le cas la semaine dernière avec l'Académie de Médecine, sans oublier une dimension territoriale forte.

Nous souhaiterions donc vivement que vous nous présentiez une analyse de la situation de notre système de santé périnatale qui soit scientifique, objective et dépourvue de toute considération professionnelle ou politique.

Par ailleurs, nous nous interrogeons particulièrement, non pas tant sur l'absence de données dans notre système de santé que sur la difficulté rencontrée à les synthétiser et à les exploiter scientifiquement, due notamment à la fragmentation des bases de données. Santé publique France, la Haute Autorité de santé (HAS) et plusieurs sociétés savantes ont pointé cette difficulté majeure, qui empêche notamment de relier précisément un événement indésirable grave au parcours de soin de la mère. En clair, peut-on établir un lien entre taille ou type de la maternité et sécurité, en éliminant le biais statistique lié au fait que les maternités de type 3 ont vocation à accueillir les grossesses qui posent le plus de difficultés, alors que celles de type 1 n'accueillent normalement que des grossesses dites physiologiques ?

Faute de bases claires, il est très difficile de réfléchir sur la meilleure organisation des soins de périnatalité. L'Inserm étant en première ligne dans l'exploitation et l'analyse des données épidémiologiques, nous serons très attentifs aux explications que vous pourrez nous donner, ainsi qu'aux actions qui ont été ou qui pourraient être mises en oeuvre pour remédier à ce véritable problème.

M. Pierre-Yves Ancel, épidémiologiste, PU-PH à l'Université Paris Cité. - Je dirige l'équipe de recherche EPOPé. Notre présentation a été guidée par le questionnaire que nous a adressé Mme la rapporteure Véronique Guillotin.

En réponse à sa première question, relative aux échanges que nous aurions eus avec le Gouvernement sur les problèmes de mortalité néonatale, nous avons pris l'initiative de plusieurs rencontres avec des membres de cabinets ministériels et avec le directeur général de la santé ; l'épidémie de covid-19 a interrompu ces échanges, mais ils ont repris à partir de 2022. Nous avons aussi eu de nombreux contacts avec les parlementaires. Mentionnons aussi notre participation aux assises de la santé de l'enfant depuis décembre 2022. Enfin, nous sommes impliqués dans les travaux de la Cour des comptes sur l'évaluation des politiques de santé dans le domaine périnatal, qui doivent bientôt aboutir à un rapport.

J'en viens à la deuxième question de Mme Guillotin, qui nous invite à exposer les conclusions de nos travaux sur la santé périnatale et infantile, au vu de l'évolution récente, préoccupante, de la mortalité infantile en France : la tendance est en effet à l'augmentation dans les dix dernières années ; on aurait atteint en 2023 un seuil de 4 décès pour 1 000 naissances vivantes, soit le taux le plus élevé depuis vingt ans environ. Cette augmentation est largement liée à celle de la mortalité néonatale. Surtout, elle est spécifique à la France par rapport à d'autres pays européens, où la mortalité infantile est inférieure à la nôtre et continue de baisser : l'écart se creuse.

Quelles sont les raisons de ce phénomène ? La comparaison entre la France et les pays les plus performants d'Europe en la matière montre que notre taux de mortalité néonatale est très supérieur au leur tant pour les naissances très prématurées, à haut risque, que pour les naissances proches du terme, qui présentent un risque moindre.

Concernant la prématurité extrême, où les écarts sont les plus importants, la survie est bien moindre en France que dans nombre d'autres pays, notamment la Suède. Cela s'explique peut-être par une prise en charge de ces enfants moins active et systématique que dans ces pays. Craint-on de créer du surhandicap en privilégiant la survie ? Le problème est que le pronostic à long terme reste assez préoccupant en France : 28 % des prématurés extrêmes et 19 % des grands prématurés connaissent des troubles modérés à sévères du développement à l'âge de cinq ans, contre 5 % parmi les enfants nés à terme ; s'y ajoute que près de 50 % des enfants dans cette situation ne bénéficient pas d'une prise en charge spécialisée. Quelque 55 000 enfants naissent prématurément en France chaque année, soit 7 % des naissances, mais ils représentent 75 % de la mortalité néonatale et la moitié des handicaps d'origine périnatale. L'enjeu de recherche est donc majeur, pour améliorer tant les stratégies de prise en charge à la naissance que le devenir des enfants prématurés par la suite.

Mais une surmortalité s'observe aussi en France parmi les naissances à bas risque. Nous travaillons en la matière sur plusieurs hypothèses, nous ne disposons pas encore de tous les éléments nécessaires pour interpréter ces résultats.

Mais cette surmortalité est sans doute évitable, car elle semble découler de soins sous-optimaux et d'un défaut d'organisation des soins. La triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie est difficile à assurer dans les maternités. Le recours à l'intérim peut désorganiser les équipes et casser la continuité des soins. La recherche devra tester ces hypothèses.

Une autre hypothèse repose sur la constatation de la persistance, voire de l'augmentation, des inégalités sociales de santé. La mortalité néonatale est corrélée avec plusieurs indicateurs de désavantages sociaux et territoriaux.

Enfin, la mortalité infantile comprend aussi la mortalité post-néonatale, en particulier la mort inattendue du nourrisson. Des mesures de prévention relativement simples peuvent être prises pour la réduire.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Concernant la mort inattendue du nourrisson, la tendance est plutôt stable sur les dernières années, n'est-ce pas ?

M. Pierre-Yves Ancel. - Tout à fait.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je constate que le nombre de décès était toutefois plus élevé que la moyenne en 2022. Comment cela s'explique-t-il ?

M. Martin Chalumeau, pédiatre, PU-PH à l'université Paris Cité. - Cela est plutôt un effet des modalités de recueil et de déclaration de ces événements qu'une variation liée à un événement extérieur.

M. Pierre-Yves Ancel. - La troisième question de Mme la rapporteure portait sur les conclusions de nos travaux en matière de santé maternelle, notamment l'évolution des facteurs de risque et des modes d'accouchement, ainsi que leurs effets, sujets sur lesquels travaille plus particulièrement ma collègue Catherine Deneux.

Mme Catherine Deneux, épidémiologiste, directrice de recherche à l'Inserm. - Nous étudions les événements de mort maternelle, mais aussi de morbidité maternelle sévère de toutes causes, ainsi que d'hémorragie sévère du post-partum, complication qui dépend moins de facteurs de risque individuels, mais est davantage liée à l'organisation et à la qualité des soins.

Nos travaux ont confirmé l'impact de facteurs de risque individuels sur ces événements de mort et de morbidité maternelles : l'âge, l'obésité, la vulnérabilité sociale, notamment des femmes migrantes, le recours à la césarienne et les grossesses multiples. Les trois premiers de ces facteurs sont en augmentation ; une stabilité des taux d'événements peut donc exprimer de ce point de vue une bonne réponse du système de soins.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Les risques liés à la césarienne sont-ils plus élevés chez les femmes au-dessus de 35 ans ?

Mme Catherine Deneux. - Les données montrent que les risques de complication - saignements, infections, embolies pulmonaires - sont un peu plus élevés après une césarienne que pour un accouchement par voie basse, mais surtout augmentent à partir de 35 ans.

M. François Goffinet, gynécologue-obstétricien, épidémiologiste. - On ne recommande pas la césarienne au motif que la patiente a plus de 35 ans. Beaucoup en réclament, notamment aux âges les plus avancés, mais le risque est en fait plus élevé que dans un accouchement par les voies naturelles.

Mme Camille Le Ray, gynécologue-obstétricienne, épidémiologiste, PU-PH à l'Université Paris Cité. - Concernant les facteurs de risque, on observe que la proportion de femmes âgées de 35 ans et plus à l'accouchement a doublé entre 1995 et 2021, passant de 12,4 % à 24,6 % ; celle des femmes âgées de 40 ans et plus augmente aussi. Le taux de femmes souffrant d'obésité avant la grossesse a doublé entre 2003 et 2021, de 7,4 % à 14,4 %. L'incidence du tabagisme pendant la grossesse diminue, mais la proportion de femmes fumant au troisième trimestre de grossesse était encore de 12,2 % en 2021.

Les pratiques obstétricales évoluent assez peu, le taux de césarienne reste stable depuis 2003, autour de 20 %, celui d'accouchement instrumental également, autour de 12 %. Cependant, ces deux proportions restent assez élevées par rapport aux pays scandinaves.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Cela peut-il s'expliquer par des différences de morphologie ?

Mme Camille Le Ray. - Certes, celles-ci existent, mais c'est surtout une question de pratiques, notamment de gestion des grossesses à bas risque ; il y a aussi sans doute plus de femmes qui demandent une césarienne en France.

On relève certaines évolutions positives : moins d'épisiotomies, moins d'ocytocine, en accord avec les recommandations récentes de la Haute autorité de santé (HAS) et du collège des gynécologues-obstétriciens.

En 2021, pour la première fois en France, on a pu évaluer le taux de dépression post-natale. Ce taux, qui se fonde sur un questionnaire autoadministré, est assez élevé : deux mois après la naissance, 16,7 % des femmes en moyenne présentent des symptômes de dépression post-partum, avec des variations régionales.

Mme Florence Lassarade- La HAS nous disait qu'il était impossible d'avoir des chiffres en matière de dépression post-natale ; je me réjouis que vous nous en présentiez.

Concernant la mort inattendue du nourrisson, comment se fait-il que l'on continue de ne pas toujours coucher les enfants sur le dos ?

Selon vos données, les femmes migrantes représenteraient un quart de celles qui donnent naissance. Que cela signifie-t-il ?

Mme Catherine Deneux. - Il s'agit des femmes qui ne sont pas elles-mêmes nées en France.

Mme Florence Lassarade- L'obésité n'est-elle pas un facteur commun à la plupart des pays occidentaux ? La moindre adhésion de certaines femmes enceintes aux vaccins contre la covid a-t-elle aggravé les chiffres à un moment ? Enfin, concernant la faible incidence du tabagisme, je m'interroge sur la quantité de femmes fumant du cannabis, qui m'avait frappé lors de visites à l'hôpital.

M. Pierre-Yves Ancel. - Nous vous présentons des données, notamment sur la dépression ou sur la mort inattendue du nourrisson, issues de nos enquêtes nationales périnatales, réalisées tous les cinq ans environ ; ces informations ne sont pas disponibles actuellement dans d'autres systèmes d'information. Nous souhaitons une meilleure intégration de ces informations.

Mme Catherine Deneux. - L'élévation de la fréquence de l'obésité est observée dans tous les pays développés, mais la France en souffre moins que d'autres pays.

Mme Camille Le Ray. - La consommation de cannabis pendant la grossesse était de 2 % en 2016 et de 1 % en 2021 selon notre enquête nationale périnatale, mais les intervalles de confiance sont larges et, en 2021, le fait qu'il s'agisse de réponses à une enquêtrice a pu produire un biais de désirabilité. La baisse reste donc sujette à caution, mais la proportion reste faible, en tout cas à l'échelle nationale.

M. Martin Chalumeau, pédiatre, PU-PH à l'université Paris Cité. - Concernant la mort inattendue du nourrisson, la non-mise en oeuvre des bonnes pratiques de couchage sécurisé s'explique largement par le manque d'informations fournies en maternité ; la moitié des mères disent n'y avoir rien appris sur ce point. En outre, il n'y a pas eu de campagne nationale à ce sujet. Enfin, nombre de représentations dans les médias ou la publicité continuent de montrer des bébés endormis sur le ventre !

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quid des départements et régions d'outre-mer (Drom) et de la Corse, qui apparaissent en gris sur la carte ? Ne disposez-vous d'aucune donnée pour ces territoires ?

Mme Camille Le Ray. - Pour ce qui est de la Corse, nous avons bel et bien des données, mais, s'agissant d'effectifs très faibles, nous ne sommes pas en mesure de vous communiquer une estimation fiable.

Pour ce qui est des Drom, ils font l'objet d'un rapport spécifique réalisé par Santé publique France, dit « extension Drom », qui complète l'enquête nationale périnatale.

Mme Catherine Deneux. - L'étude des taux de dépression post-partum témoigne d'une forte hétérogénéité entre Drom : il est élevé en Guadeloupe, beaucoup moins dans les autres.

Mme Marie Mercier. - Vous avez dit que 25 % des femmes accouchant en France étaient nées hors de France ; ce chiffre inclut-il Mayotte ?

Mme Catherine Deneux. - Mayotte fait partie de la France.

Mme Marie Mercier. - Mayotte gonfle donc, statistiquement parlant, les résultats.

Mme Catherine Deneux. - Certes, mais il n'y a que 9 000 naissances par an à Mayotte, sur 690 000 naissances enregistrées sur l'ensemble du territoire français : la part de Mayotte dans le total est donc tout à fait minoritaire.

Mme Annie Le Houerou. - Avez-vous corrélé vos résultats avec les taux de suicide enregistrés en population générale ? Les résultats que vous nous présentez semblent complètement inversés par rapport aux chiffres habituels. De manière générale, en effet, la Bretagne, le Grand Est et les Hauts-de-France sont très largement en tête pour ce qui est du taux de suicide, ce qui, à lire votre enquête, est loin d'être le cas pour ce qui concerne la prévalence des idées suicidaires à deux mois post-partum.

Mme Catherine Deneux. - Les taux de suicide sont en effet très élevés en population générale dans les régions que vous avez citées. Il faudrait comparer le taux de suicide deux mois après l'accouchement avec le taux de suicide enregistré chez les femmes en âge de procréer non enceintes ; or une telle étude, à ma connaissance, n'existe pas. Santé publique France veut s'y atteler, afin de savoir si le taux de suicide des femmes de cette classe d'âge est élevé dans les mêmes régions que celles où l'on observe une prévalence élevée de la dépression post-partum.

Nous ne disposons d'une mesure fiable du suicide maternel, grâce à l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, que depuis six ans : les événements recensés ne sont pas assez nombreux pour obtenir des taux régionaux à mettre en regard de la carte relative à la prévalence des manifestations dépressives.

M. Pierre-Yves Ancel. - Il est heureux qu'ils ne le soient pas...

Nous en venons à la quatrième question de Mme la rapporteure, sur l'éclatement des bases de données, qui nuit à leur exploitation, aux comparaisons et à la recherche de corrélations. Mme Guillotin aimerait en connaître les raisons et savoir quelles actions sont ou pourraient être prises pour y remédier : serait-il notamment possible de croiser les bases de données tout en préservant l'anonymat exigé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ?

Mme Jennifer Zeitlin, épidémiologiste, directrice de recherche à l'Inserm. -Les données sur les naissances sont collectées par plusieurs institutions et ces diverses collectes ne donnent lieu à aucune coordination.

Les bases de données dont nous parlons n'ont pas été établies pour faire de la recherche sur la santé périnatale ; elles n'ont donc pas été conçues pour être reliées : d'où un système d'information français très fragmenté et sous-utilisé.

Les bulletins de naissance de l'Insee ne contiennent pas d'informations médicales. L'Insee collecte aussi, chaque semaine, les bulletins de décès ; comme les certificats établis par l'Inserm, ils servent à compter les décès et à en décrire les causes, mais ils contiennent peu d'informations contextuelles.

Nous disposons par ailleurs des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) sur les naissances qui ont lieu à l'hôpital : étant entendu qu'en France la plupart des naissances sont hospitalières, elles couvrent la quasi-totalité de la population. Les naissances à domicile y font néanmoins défaut, ce qui est dommage.

Quant aux certificats de santé du huitième jour, ils ont été conçus à des fins de surveillance de la santé périnatale à l'échelle des départements et des services de protection maternelle et infantile (PMI). Ces données ne font l'objet d'aucune centralisation et leur qualité et leur exhaustivité apparaissent très variables.

Depuis la mise en place du système national des données de santé (SNDS), qui rassemble les données du PMSI et les certificats de causes de décès, les travaux s'appuyant sur ces informations se sont multipliés et l'on constate d'importantes améliorations : chaînage et identification des dyades mère-enfant, reconstitution des parcours de soins, etc. L'appariement des données du PMSI avec celles de l'Inserm permet de mieux connaître les contextes de décès ; le taux de chaînage est de 95 % pour les décès néonatals et de 90 % pour les décès infantiles, certaines données étant manquantes. Un travail est en cours à l'Inserm, mais aussi chez Santé publique France et à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), pour améliorer les algorithmes qui servent à coder les données au sein du SNDS.

Il existe néanmoins des limites à ces avancées : beaucoup de données qui sont nécessaires pour guider les politiques de prévention - je pense au tabagisme et à l'obésité - sont absentes du SNDS, où manquent également les données relatives aux naissances extrahospitalières.

J'en viens aux pistes d'amélioration.

Nous préconisons l'appariement de l'ensemble des sources d'information existantes, qui toutes contiennent des données utiles. Les données de l'Insee sur les naissances permettraient par exemple de disposer de chiffres sur les naissances qui ont lieu à domicile ; quant aux données du certificat de santé, elles contiennent des informations sur l'indice de masse corporelle (IMC), sur le tabagisme ou sur l'allaitement maternel, dont le recueil permettrait d'améliorer l'étude des événements indésirables rares affectant les mères et les nouveau-nés.

Nous souhaitons également oeuvrer à améliorer la façon dont sont renseignées les bases de données. Un tel travail passe par un dialogue avec les cliniciens qui remplissent les certificats et par une exploitation des données par la recherche - en Europe, les meilleurs registres des naissances sont ceux qui donnent lieu à une recherche de qualité.

Est-il possible de croiser les bases de données tout en préservant l'anonymat exigé par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) ? Cette question est incontournable, mais complexe. Cela dit, des systèmes d'information permettant la surveillance et la recherche en périnatalité existent dans beaucoup de pays qui ont le même niveau d'exigence que la France en matière de protection des données personnelles : l'expérience de nos voisins nous montre qu'une telle entreprise a de bonnes chances de succès.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Menant ce travail sur la périnatalité, nous tâchons de nous tenir sur nos deux jambes : il y va de l'amélioration de la santé de la femme et de l'enfant avant et après l'accouchement, mais aussi de l'organisation territoriale des soins. Or, depuis le début des auditions, nous constatons qu'il est impossible de croiser les jeux de données qui ont trait respectivement à l'une et à l'autre de ces deux dimensions. À cet égard, toutes les personnes auditionnées nous disent la même chose, et nous peinons à avancer...

Cet écueil est-il insurmontable ? Je ne le pense pas. Pensez-vous qu'il soit possible de le surmonter à court terme ? De quels moyens faudrait-il disposer ? Quels sont les pays qui font référence en ce domaine ?

Mme Jennifer Zeitlin. - Ma conviction est qu'il est tout à fait faisable d'apparier ces différentes données, et ce dans un délai raisonnable, car les informations dont nous parlons sont d'ores et déjà disponibles et utilisables. Un travail de plus longue durée est par ailleurs indispensable pour améliorer la qualité des données renseignées.

La Californie dispose d'un très bon système de collecte de données portant sur l'ensemble des naissances, enrichi de nombreuses interactions entre des cliniciens, des codeurs et des médecins exerçant dans des départements d'information médicale (DIM).

Nous pourrions nous inspirer également du Royaume-Uni, qui a mis en place un système très performant d'audit de l'ensemble des décès néonatals - certes, il ne s'agit pas à proprement parler d'un registre. Ce pays n'est pas nécessairement un exemple à suivre : comme ceux de la France et de nombreux grands pays, son système d'information est relativement fragmenté. Reste que l'outil en ligne MBRRACE-UK (Mothers and Babies : Reducing Risk through Audits and Confidential Enquiries across the United Kingdom) permet de restituer aux équipes, en temps réel ou presque, les informations collectées sur les événements indésirables et les déterminants et caractéristiques des décès.

M. Pierre-Yves Ancel. - L'enjeu le plus urgent est sans nul doute la création d'un véritable registre des naissances donnant accès à des informations détaillées sur la mère et sur l'enfant pendant la grossesse, l'accouchement et la période néonatale. Le problème auquel nous sommes confrontés, à l'heure actuelle, est que toutes les sources de données qui ont été évoquées sont pilotées par des institutions différentes. Il faut parvenir à les mettre d'accord pour que tout cela soit regroupé... C'est précisément à cette fin que nous avons besoin du soutien du politique : nous n'y arriverons pas tout seuls.

Si nous parvenons à regrouper ces données et à créer et piloter un véritable registre des naissances, nous pourrons l'améliorer en y greffant de la recherche. Ainsi nous inscrirons-nous dans un cercle vertueux : la qualité des informations collectées s'améliore grandement, on le sait, à mesure qu'elles sont exploitées par les chercheurs et qu'un dialogue s'établit à leur propos avec les cliniciens.

Il faut donc mettre toutes les tutelles d'accord, l'Inserm, Santé publique France, la Drees, la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Nous, membres de l'équipe de recherche EPOPé, sommes prêts à prendre toute notre part dans ce travail.

Mme Florence Lassarade. - J'ai cherché à établir le taux d'allaitement maternel et la durée moyenne d'allaitement dans la maternité de ma circonscription. Or le remplissage des certificats de santé du huitième jour se révèle très aléatoire ; certains médecins, du reste, les mettent directement à la poubelle. Autrement dit, c'est du temps perdu. Les certificats sont adressés au conseil départemental, mais ne sont absolument pas exploités : personne ne les lit. Cela vaut-il la peine d'obliger les gens à remplir des certificats que personne n'analyse ? Remplir des papiers pour remplir des papiers, voilà qui est inutile.

M. Pierre-Yves Ancel. - L'objectif est précisément que ces certificats servent à quelque chose ; le drame, c'est qu'ils ne servent pas, ou très inégalement selon les départements - il y en a où ces données sont exploitées.

Vous avez entièrement raison : il faut à l'évidence que ces bases de données soient reliées entre elles, mais aussi valorisées par des équipes de recherche, et il faut un retour vers les équipes cliniques qui les remplissent. À défaut, des moyens considérables sont dépensés en pure perte. Les informations en question sont pertinentes, à condition d'être liées à d'autres données et d'être exploitées et une base de données sera d'autant mieux remplie que son utilité aura été démontrée. C'est là tout le sens du « cercle vertueux » que j'évoquais il y a un instant. Et telle est notamment la condition d'une harmonisation à l'échelle nationale.

Il vaut vraiment la peine d'engager ce travail si l'on veut mettre en oeuvre un pilotage effectif des politiques publiques sur le fondement d'informations fiables.

Mme Jennifer Zeitlin. - Les certificats de santé du huitième jour font partie intégrante des données du SNDS. Le chantier de la dématérialisation de ces certificats a été lancé : sur le plan logistique, l'appariement est réalisable.

Mme Florence Lassarade. - Le registre des naissances est rempli à la naissance ; mais, une fois la mère et l'enfant sortis de la maternité, qui le renseigne ?

M. Pierre-Yves Ancel. - Nous voulons créer un registre des naissances à partir des informations qui sont déjà collectées. C'est en les liant entre elles et en les analysant de manière plus systématique que l'on montrera à quoi peuvent servir ces données à l'échelle de chaque territoire et de chaque maternité : ainsi seulement les équipes cliniques mesureront-elles toute l'aide qu'elles sont susceptibles d'en tirer au quotidien.

On pourrait imaginer que le fait pour un établissement de bien collecter les informations soit valorisé financièrement ; mais il faut surtout une valorisation de cette collecte du point de vue de la recherche.

En tout état de cause, l'idée est non pas de créer quoi que ce soit de nouveau, mais de s'appuyer sur l'existant, d'apparier les bases actuelles et d'en améliorer la qualité.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Est-ce faisable techniquement ?

M. Pierre-Yves Ancel. - Oui : on sait faire, et cela se fait dans de nombreux pays dont les exigences quant à la sécurité des données sont tout à fait comparables aux nôtres. L'enjeu est de mettre d'accord toutes les tutelles ; c'est pourquoi nous avons besoin d'un appui fort de la part du politique.

Mme Annick Billon. - Vous nous l'avez démontré, nous disposons de statistiques qui font état d'une surmortalité lorsque la triple permanence des soins n'est pas assurée et que le recours à l'intérim altère la continuité des soins. Vous nous avez par ailleurs montré une carte de la prévalence de la dépression et du suicide post-partum. Disposez-vous de statistiques géographiques analogues montrant que la triple permanence des soins est à géométrie variable sur le territoire national ? Le cas échéant, pourquoi n'en tire-t-on pas les conséquences ? Que faire pour enrayer cette augmentation de la mortalité ?

M. Pierre-Yves Ancel. - L'explication de l'augmentation du taux de mortalité périnatale des naissances à terme par des déficiences dans l'organisation et la qualité des soins, n'est qu'une hypothèse, encore non démontrée. Si l'on veut aller plus loin dans la compréhension de cette surmortalité et répondre précisément à votre question en étayant de telles hypothèses, il faut avant tout un système d'information de qualité, pérenne et sécurisé sur le long terme ; telle est l'urgence du moment.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - On ne parvient pas à établir cette corrélation : c'est tout le problème.

M. Pierre-Yves Ancel. - Corréler est très difficile, mais des travaux ont été faits sur le lien entre type d'établissement et surmortalité ou surmorbidité maternelle.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Alors, quels sont selon vous les leviers possibles pour réduire le taux de mortalité maternelle, qui ne diminue plus depuis plusieurs années ?

Mme Catherine Deneux. - Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer, depuis 1996, sur les résultats de l'enquête confidentielle sur les morts maternelles en France. Le prochain rapport sur les causes de mortalité maternelle, pour les années 2016 à 2018, sort demain. Je me propose de vous transmettre une note sur les nouveaux enseignements que l'on peut en tirer.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Très bien.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - J'en viens à la question des éventuelles corrélations entre la survenue d'événements indésirables graves d'accès aux soins (EIGS) sur le plan de la morbidité maternelle et périnatale et le niveau de la maternité (type 1, 2 ou 3).

Mme Catherine Deneux. - Nous avons mené une analyse sur la mortalité maternelle à partir de données déjà anciennes, datant des années 2007-2009 ; les résultats de cette étude ont été souvent repris, mais parfois mal compris.

Nous nous sommes focalisés sur la mortalité par hémorragie : l'analyse porte sur le risque de mortalité maternelle péri-partum par hémorragie selon les caractéristiques de la maternité d'accouchement après prise en compte des caractéristiques individuelles. L'hémorragie est en effet un événement peu dépendant du niveau de risque initial propre à chaque femme ; la survenue de formes graves, voire létales, dépend donc essentiellement de la qualité de la prise en charge. Aussi nous servons-nous de cet événement comme d'un marqueur de la capacité d'une équipe de maternité, dans sa pluridisciplinarité, à répondre à l'urgence maternelle.

Qu'observons-nous ? Que, par exemple, le risque de mortalité maternelle par hémorragie est 2,4 fois plus élevé dans les maternités où un anesthésiste n'est pas présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre par rapport à celles où tel est le cas. Pour ce qui est de la présence d'un obstétricien vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le facteur multiplicatif est de deux ; la corrélation n'est donc pas tout à fait significative. Le risque de mortalité est 2,4 fois plus élevé dans les maternités de type 1 que dans les maternités de type 2 ou 3 ; il est trois fois plus élevé dans les maternités privées à but lucratif que dans les maternités publiques.

Je répète que ces données, qui sont anciennes, portent sur des événements rares que sont les hémorragies mortelles du péri-partum. Elles sont de surcroît nationales et ne préjugent en rien d'une déclinaison régionale.

Nous avons appliqué ce type d'analyse à des données relatives à la morbidité maternelle sévère. Aucune donnée de routine n'étant disponible, nous avons monté, en 2013, une étude ad hoc, l'étude Épimoms (épidémiologie de la morbidité maternelle sévère), portant sur six régions françaises. Le risque de « near-miss » par hémorragie, événement très sévère, quoique non létal, se révèle 2,3 fois plus important dans les maternités qui ne disposent pas d'un anesthésiste présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le lien avec la taille des maternités n'atteint pas la significativité statistique, mais le risque est bel et bien plutôt plus élevé dans les petites maternités. On retrouve en revanche une incontestable corrélation entre l'augmentation du risque de survenue d'un tel événement et le fait que la maternité d'accouchement soit une maternité de type 1 ou une maternité privée à but lucratif.

Nous nous sommes également intéressés, dans le cadre de la même étude, à la qualité des soins en cas d'hémorragie, le postulat étant qu'une prise en charge inadéquate de l'hémorragie débutante accroît le risque d'aggravation de l'état de la patiente. On observe notamment que, dans les maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, le risque de prise en charge inadéquate de l'hémorragie du post-partum chez les femmes accouchant par voie basse est deux fois plus élevé que dans les maternités réalisant plus de 3 500 accouchements par an. On retrouve, dans le même sens, un « surrisque » de prise en charge inadéquate dans les maternités de type 1 et dans les maternités privées à but lucratif.

Je redis que ces données sont anciennes - elles datent de 2013. Les regroupements de maternités, notamment, ont été légion ces dix dernières années : je ne pense donc pas que l'on puisse utiliser ces données pour dire ce qu'il faudrait faire maintenant en définissant arbitrairement un nombre minimal d'accouchements par maternité.

En revanche, cette étude montre bien comment l'organisation des soins peut influer sur les risques de morbidité maternelle sévère et de survenue d'EIGS. Il apparaît donc nécessaire de renouveler au présent - et de décliner par région - ce genre d'analyses.

M. Pierre-Yves Ancel. - Il a fallu, pour obtenir pareils résultats, que nos équipes construisent des enquêtes ad hoc ; et la dernière de ces études a dix ans...

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous corrélez le « surrisque » de survenue d'un événement grave avec le fait qu'il n'y ait pas d'anesthésiste présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans l'équipe de la maternité d'accouchement ; en revanche, la corrélation du risque de surmorbidité avec les données qui ont trait à la classification des maternités n'apparaît pas significative : ai-je bien compris ?

Mme Catherine Deneux. - Les données relatives à l'absence d'un anesthésiste disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ne disent rien de ce qui se passe au moment de l'événement indésirable : il ne s'agit que de l'organisation générale des soins. Nous n'avions pas les moyens d'aller au-delà dans l'analyse.

M. Pierre-Yves Ancel. - Pour ce qui est de l'enfant à haut risque, les choses sont assez étayées : plus la taille du service de néonatologie ou des unités de réanimation néonatale est importante, moins le risque de complication existe chez le nouveau-né - autrement dit, les « gros » centres, qui font beaucoup d'actes chirurgicaux, sont plus efficaces.

En revanche, pour ce qui est des populations à bas risque, l'on ne dispose que de très peu de données permettant de corréler surmorbidité, d'une part, et, d'autre part, type de maternité, organisation et qualité des soins : ce champ reste à défricher.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Le dépistage néonatal a désormais 50 ans ; il est inscrit dans le code de la santé publique et les dispositions qui s'y rapportent ont été récemment précisées à nouveaux frais à la faveur de l'examen de la dernière loi relative à la bioéthique. Il vise entre autres à détecter dès la naissance certaines maladies rares, mais graves. Des essais ont lieu, notamment dans la région Grand Est, en matière de dépistage de l'amyotrophie spinale ; on sait désormais que les effets d'un tel diagnostic néonatal sont considérables sur la santé de l'enfant et l'évolution de la maladie.

J'ai récemment déjeuné avec le professeur Agnès Linglart, qui a déploré une évolution assez lente de ce dépistage, qu'elle impute à une difficile évolution des critères depuis 50 ans. Si le « test buvard » reste essentiel, la piste du dépistage génétique est en effet riche de promesses. Avez-vous travaillé sur ce sujet ?

J'ai cru comprendre également que la notion de « bénéficiaire du dépistage » faisait débat. En France, le « bénéfice individuel pour l'enfant » est déterminant, mais il semblerait que tel ne soit pas le cas partout en Europe. Qu'en est-il ?

M. Martin Chalumeau. - Le dépistage peut être étendu désormais à trente-deux maladies, et les preuves abondent sur l'amélioration de l'état de santé des enfants à long terme. Toute la communauté pédiatrique pousse par conséquent pour l'extension de ces dépistages.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Pourquoi les critères évoluent-ils si lentement ? Cela fait cinquante ans que l'on parle de ces dépistages néonatals... Comment pourrions-nous vous aider à faire en sorte que le dépistage néonatal soit plus pertinent et plus efficace encore qu'il ne l'est actuellement ? Plus la détection est précoce, on le sait bien, plus la santé de l'enfant est améliorée.

M. Martin Chalumeau. - C'est vrai aussi de maladies plus prévalentes que l'amyotrophie spinale, comme la drépanocytose.

Toute la communauté scientifique et tous les acteurs du plan national Maladies rares sont pour l'évolution que vous appelez de vos voeux ; la réponse se trouve plutôt du côté législatif que du côté scientifique.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ce dossier est donc à creuser.

Je vous remercie chaleureusement, mesdames, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Nous comptons sur vos contributions écrites et sur les publications que vous pourrez nous transmettre.

Audition des fédérations hospitalières

(Mardi 2 avril 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons, en cette fin d'après-midi, les représentants de trois fédérations hospitalières : la Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente les hôpitaux publics, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap), pour les établissements privés à but non lucratif, et la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), pour le secteur privé commercial.

Au-delà des traditionnelles auditions menées au Sénat, prisme territorial oblige, nos travaux se déroulent également « hors les murs », et, après un premier déplacement à l'hôpital Robert-Debré de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), ce jeudi, notre mission d'information effectuera un déplacement en Meurthe-et-Moselle, à Nancy et Lunéville.

Ces auditions et déplacements confirment une préoccupation générale à l'égard de la situation de la santé périnatale, au regard notamment des grands indicateurs de santé publique que sont la mortalité néonatale, infantile ou maternelle.

Parmi les éléments d'analyse régulièrement soulignés par les intervenants figurent les évolutions constatées depuis une quinzaine d'années concernant les facteurs de risque associés aux grossesses. Sont notamment évoqués l'âge de maternité plus tardif, l'augmentation de la précarité ou une plus forte prévalence de l'obésité. En outre, la santé mentale des mères est devenue une priorité, alors que le suicide est désormais la première ou la deuxième cause de décès des mères dans l'année qui suit l'accouchement.

Vous nous direz, mesdames, messieurs, dans quelle mesure ces éléments peuvent conduire les établissements à adapter les modalités de prise en charge ou d'accompagnement des parturientes et des mères et de leurs bébés. Sur ce point en particulier, la bonne coordination entre la ville et l'hôpital est déterminante.

Plus généralement, nous voulons aujourd'hui échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et l'offre de soins en établissement de santé. Dans cette réflexion, je sais que Véronique Guillotin, notre rapporteure, vous interrogera notamment sur le modèle de financement des activités d'obstétrique et de néonatologie, mais aussi sur les conditions d'encadrement ou « ratios » applicables à ces activités, fruits des décrets de 1998, dont on nous a d'ailleurs dit qu'ils étaient quelque peu obsolètes.

Surtout, dans le cadre de nos réflexions et des auditions que nous menons, le lien entre l'organisation des soins, en particulier le maillage territorial en maternités, et la qualité et la sécurité des soins est très régulièrement évoqué.

Sur ce vaste sujet, l'Académie nationale de médecine estimait, dans son rapport de 2023, que « la mise en oeuvre d'un plan de périnatalité ambitieux est une priorité et une urgence », et proposait différents axes de travail pour définir une nouvelle politique publique en la matière. Au coeur de cette politique, l'Académie proposait un schéma cible d'une rationalisation du nombre de structures, schéma qui suppose une profonde mutation de l'organisation entre les établissements de santé, comme entre la ville et l'hôpital. La semaine dernière, lors de son audition, le professeur Yves Ville parlait même de « pourrissement extrême » pour expliquer les difficultés structurelles de certains établissements, notamment parmi ceux qui réalisent le moins d'accouchements. Ces difficultés entraînent des fermetures de plus en plus longues, voire définitives, sans nécessairement correspondre à une décision des autorités sanitaires. Il serait donc intéressant que nous puissions entendre vos réactions à ce rapport et votre analyse des préconisations de l'Académie.

Surtout, que la question soit la transformation de l'offre de soins ou la capacité à la conserver telle qu'elle existe actuellement, les limites budgétaires comme la crise de la démographie médicale et paramédicale sont des contraintes fortes et incontournables. Vous nous direz ainsi quel schéma vous semble soutenable à court et à moyen termes pour garantir tant l'accessibilité que la sécurité des soins.

Vous l'avez compris, cette audition des fédérations permettra de nourrir la réflexion sur l'une des questions les plus cruciales, mais aussi les plus complexes que nous avons à traiter : peut-on encore garantir aux femmes d'accoucher en sécurité près de leur domicile, et partout sur le territoire national ?

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour que vous puissiez présenter les principaux enjeux identifiés par vos fédérations. Dans un premier temps, je propose que les représentants de chaque organisme limitent leurs interventions à quelques minutes au total. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure pour une première série de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Kathia Barro, responsable adjoint pôle Offres de la Fédération hospitalière de France. - La FHF représente l'ensemble des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics.

Nous avons préparé un panorama chiffré pour vous montrer à quel point la filière périnatale est centrale pour l'offre de soins publics.

L'hôpital, aujourd'hui, c'est 329 maternités, l'intégralité des maternités de niveau 3, 72 % des maternités de niveau 2 et 96 maternités de niveau 1.

Aujourd'hui, grâce à tous les professionnels publics, le public assure quasiment 543 000 accouchements et près de 5 millions de consultations et entretiens prénataux pour les parturientes. Plus largement, il est le principal acteur de la prise en charge de la femme et de l'enfant et le seul à traiter les cas complexes, urgents et critiques, comme l'attestent les chiffres relatifs à la réanimation, les soins intensifs ou les urgences pédiatriques.

La périnatalité recouvre aujourd'hui l'ensemble des processus liés à la naissance, qui vont de la contraception jusqu'au vingt-huitième jour de vie du nouveau-né, au-delà du suivi de la grossesse et de l'accouchement. Elle prend en compte l'ensemble des parcours et des besoins de la femme et du nouveau-né - l'enjeu est de répondre à l'ensemble de ces besoins.

C'est aussi une multiplicité d'acteurs - médicaux, paramédicaux, sociaux - et de structures en jeu, d'où l'importance d'avoir à la fois une offre de soins graduée et des filières organisées. Ces deux piliers sont essentiels.

Aujourd'hui, le respect de la gradation sous-tend l'organisation des maternités en niveaux 1, 2 et 3, définis dans les décrets de périnatalité de 1998. Cette organisation est sous-tendue par une gradation cumulative : la maternité de niveau 2 ou 3 est d'abord une maternité de proximité de son territoire, qui, par ailleurs, assure les soins spécialisés ou l'« ultra-recours ».

La gradation est essentielle et fondée sur le risque encouru par le nouveau-né. Dans les faits, le niveau d'expertise dépend aussi du risque maternel associé, mais celui-ci n'est pas traité dans les décrets. Il faut renforcer la gradation en incluant la notion du risque maternel dans les décrets, qu'il faut réviser de manière plus large pour y intégrer un certain nombre de notions et de critères qualitatifs qui n'y figurent pas aujourd'hui.

Par ailleurs, la filière de soins doit être organisée - c'est le second pilier. Pour cela, le groupement hospitalier de territoire (GHT) joue un rôle fondamental, que ce soit dans la construction de la filière ou dans sa capacité à déployer des forces vives, notamment sur un territoire, grâce à une équipe qui va à la fois participer au suivi des grossesses, par exemple en réalisant des consultations avancées dans un établissement dédié, et rapprocher les femmes de maternités dotées de plateaux techniques de naissance pour leur accouchement.

En revanche, et c'est un point de vigilance, il ne faut pas non plus faire reporter toutes les obligations sur les établissements supports de GHT. Il faut faire preuve d'un certain réalisme et de rationalité. On ne peut leur demander d'assurer et l'activité de leur propre maternité, et la permanence de soins, et les transferts depuis les autres maternités, et le soutien en fonctionnement de petites maternités.

Pourquoi est-il important d'avoir une offre de soins graduée et organisée ? L'objectif est de répondre à l'ensemble des besoins de la femme et de l'enfant, au-delà de l'accouchement. Une femme a besoin d'un suivi de proximité tout au long de sa vie : à 15 ans, éducation à la santé et à la sexualité et contraception ; à 30 ans, suivi de la grossesse ; à 50 ans, prise en charge de la ménopause.

Cela inclut le suivi de la grossesse et les besoins des nouveau-nés, qui sont des besoins de proximité. On a besoin que les professionnels soient le plus proches possible de la femme, d'où l'intérêt des centres périnataux de proximité (CPP), solutions mobiles qui rapprochent les professionnels de santé de la femme.

En revanche, il convient de distinguer le moment de l'accouchement, qui aura lieu deux fois dans la vie d'une femme en moyenne. En l'occurrence, le besoin n'est pas la proximité : c'est la sécurité. Ce besoin va en s'accroissant avec les facteurs de risque que vous avez mentionnés. Pour ce moment particulier, la femme doit être prise en charge par une maternité viable, d'où la nécessité de développer des solutions qui vont rapprocher les femmes de telles maternités.

Et ce qui permet de faire le lien entre ce suivi en proximité et l'accouchement en sécurité, c'est justement cette équipe de territoire, qui va permettre de faire prévaloir cette notion de territoire dans l'organisation des soins.

Mme Margaux Creutz Leroy, médecin de santé publique, médecin coordinateur du Réseau périnatal lorrain, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FHF). - Je vais dire un mot des dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité (DSRP), anciennement les réseaux de santé périnatale, qui ont changé de nom avec les décrets de 2020.

Il existe deux dispositifs régionaux en France, autour de l'oncologie et de la périnatalité. L'existence de réseaux en périnatalité est liée au nombre multiple de professionnels impliqués dans la prise en charge des femmes et de leurs nouveau-nés, ainsi qu'à la gradation de ces prises en charge.

Les DSRP ont pour mission, d'abord, de mener une expertise auprès des agences régionales de santé (ARS), mais aussi d'oeuvrer à la coordination des acteurs - hospitaliers, libéraux, centres de protection maternelle et infantile (PMI) - impliqués en périnatalité. Relèvent aussi de nos missions les réseaux de suivi des enfants vulnérables, qui sont essentiellement les enfants grands prématurés, mais aussi ceux qui sont atteints de certaines pathologies, comme l'encéphalopathie anoxo-ischémique.

Parmi nos missions figurent aussi l'amélioration et l'actualisation des connaissances et des pratiques professionnelles, la promotion de la lisibilité de l'offre et la coordination des différents dépistages, tels que celui de trisomie 21 ou encore de la surdité congénitale.

Une autre de nos missions est de mener une démarche qualité. Nous réalisons énormément d'évaluations de pratiques, de revues de mortalité et morbidité autour des événements indésirables graves pouvant survenir en périnatalité. Notre expertise, sur nos territoires, peut servir à améliorer la qualité parfois insuffisante des indicateurs de santé que nous suivons, essentiellement issus du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

Nous travaillons également sur la gradation des prises en charge et l'organisation des transferts. C'est un aspect primordial de la périnatalité. En fonction des pathologies néonatales et obstétricales, la femme va parfois devoir être prise en charge par différents établissements et différents professionnels.

Notre objectif principal est donc l'amélioration continue de la santé de la femme et des nouveau-nés.

Nous défendons aujourd'hui la nécessité absolue de réorganiser l'offre de soins.

En effet, nous considérons qu'une suspension ou une fermeture de maternité non anticipée ou non choisie représente un vrai risque, autant pour les populations que pour les professionnels de santé. Or, sur ces quinze derniers mois, 32 maternités ont été suspendues ou fermées - certaines six fois, d'autres une fois, et les suspensions ont duré de 1 à 425 jours. Si la maternité est isolée géographiquement, cela crée un désert médical, et l'on perd parfois un centre de référence et d'expertise - les grosses maternités supports, de type 2 ou 3, peuvent, elles aussi, être en difficulté. De fait, beaucoup de maternités de type 2 ont suspendu leurs activités ces derniers temps.

Le second risque est le maintien d'une maternité insécure. Maintenir une maternité insécure, c'est majorer les inégalités territoriales de santé. Contrairement à ce que l'on entend dire souvent, ce n'est pas en fermant une maternité que l'on majore ces inégalités : c'est en maintenant ouverte une maternité insécure.

Nous croyons beaucoup à des diagnostics territoriaux partagés sur chaque bassin de naissance, avec une analyse des besoins réels en santé - taux de natalité, nombre de femmes en âge de procréer, etc. - et de la réalité de l'offre de soins sur le territoire - composition et âge moyen des équipes, recours aux intérimaires. Et nous croyons à la construction de projets de périnatalité territoriaux par l'ensemble des acteurs : professionnels de santé, privés, publics et libéraux ; ARS ; DSRP ; élus ; usagers... Notre objectif est vraiment de sécuriser l'offre pour les populations.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - À quelle fréquence revoyez-vous vos diagnostics territoriaux ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - Nous revoyons tous les ans les indicateurs d'activité des maternités. Pour ce qui est des démarches qualité autour des événements indésirables et des pratiques, la révision se fait au fil de l'eau, en continu.

En ce qui concerne les données démographiques, nous suivons les productions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et d'autres observatoires, mais nos diagnostics sont remis à jour annuellement, voire au jour le jour pour ce qui concerne les suspensions d'activités. Nous tenons des tableaux de bord.

Prenons le cas d'une maternité dont l'équipe est instable, autrement dit dont le tableau de garde n'est pas complètement pourvu, qui recourt aux intérimaires, dont beaucoup d'activités ne reposent que sur un ou deux professionnels.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Idéalement, combien de personnes doit compter l'équipe de base ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - Idéalement, pour chaque permanence des soins, il faut de cinq à sept obstétriciens, pédiatres, anesthésistes pour que ce soit acceptable par les nouveaux professionnels en termes de nombre de gardes par semaine.

Mme Marilyn Theuws, sage-femme, vice-présidente de CME, vice-cheffe de pôle et responsable managérial du pôle femme-mère-enfant, responsable managérial du pôle santé publique et prévention au centre hospitalier de Moulins-Yzeure (FHF). - Et que ces gardes aient lieu sur place !

Mme Margaux Creutz Leroy. - Les familles qui ont accès à l'information sur l'instabilité de la maternité de leur territoire en ont peur et préfèrent se rendre dans la maternité du territoire voisin, située parfois jusqu'à une heure de route, mais dont l'équipe est stable, quand les familles qui n'ont pas accès à cette information persistent à se rendre dans la maternité de proximité, sans avoir forcément conscience du risque qui peut exister.

Il en résulte un cercle vicieux. La part de marché diminue - je pourrais vous citer foison de petites maternités où accouchent moins de 50 % des femmes enceintes de la zone de recrutement... La chute du nombre de naissances rend la maternité encore moins attractive pour les jeunes générations de médecins, sages-femmes et puéricultrices, ce qui augmente encore l'instabilité des équipes des maternités, mais aussi la fuite des professionnels libéraux du territoire. Ce cercle vicieux renforce l'instabilité et majore l'insécurité. Maintenir une maternité insécure n'est donc pas forcément rendre service aux populations.

Mme Kathia Barro. - En conclusion, ce n'est pas un seul critère qui fait une maternité viable. Plusieurs déterminants entrent en ligne de compte : la maternité doit s'inscrire dans son territoire, avoir une prise en charge organisée et graduée, répondre à la permanence des soins, avoir un plateau technique sécure.

C'est pourquoi nous considérons qu'il est essentiel, pour mieux répondre aux enjeux de qualité de l'offre sur le territoire, d'enrichir les décrets de périnatalité, qui sont désormais vieux de vingt-six ans - ce sont les plus anciens des décrets d'autorisation d'activités de soins qui existent et qui n'ont pas été revus. Les travaux de révision de ces décrets avaient été entamés puis mis sur pause avec la crise covid.

À nos yeux, la réponse doit aussi passer par la capacité à construire des projets périnataux de territoire réunissant tous les acteurs autour de la table - GHT, ARS, professionnels de ville, établissements privés... -, même si cela implique des décisions qui ne sont pas toujours simples à prendre, mais qui peuvent être portées de manière commune. La réponse n'est pas unique ; elle doit être adaptée au territoire. C'est en travaillant ensemble, au niveau de chaque bassin de naissances, que l'on peut aboutir à une réponse intelligente, intéressante, qui réponde aux besoins des femmes et des nouveau-nés en France.

Mme Frédérique Gama, présidente de la Fédération de l'hospitalisation privée Médecine-Chirurgie-Obstétrique (FHP-MCO). - Les autorisations de maternité des établissements privés sont limitées à la prise en charge durant les hospitalisations. Bien évidemment, nous avons des liens avec la médecine de ville, parce que nos praticiens sont tous des libéraux et que tout ce qui se fait en amont et en aval du séjour hospitalier, en particulier de l'accouchement, est pris en charge par les équipes dans le cadre de la médecine de ville.

C'est aussi un facteur limitatif pour nos soignants. Ainsi, nos sages-femmes ne peuvent faire reconnaître l'intégralité des missions qu'elles exercent au sein de nos structures, les actes devant, dans notre secteur d'activité, être réalisés exclusivement par les médecins.

Le constat que nous dressons de la situation actuelle de la périnatalité est un peu plus défaitiste que celui que nous venons d'entendre. Nous avons perdu beaucoup d'établissements privés. S'il était nécessaire d'instaurer une gradation il y a vingt ans, le nombre de nos maternités de niveau 1 a connu une diminution radicale. Ce sont elles qui ont subi le plus durement l'impact des décrets et du choc psychologique qu'ils ont produit chez certaines patientes.

Nous avions, en 2013, 97 établissements de niveau 1, et seulement 57 dix ans plus tard. Nous en avons donc perdu plus presque la moitié. Nous n'avions pas de maternité de niveau 3, les réanimations néonatales étant concentrées dans très peu de structures. En revanche, nos établissements de niveau 2 ont résisté dans le temps, puisque leur nombre est passé de 47 en 2013 à 52 en 2022.

La gradation des soins, aussi importante soit-elle, peut donc avoir des effets pervers, comme les fermetures d'établissements. Ce sont évidemment les établissements ayant le moins d'activité qui ont fermé, puisque nous sommes financés à l'activité - nous sommes rémunérés s'il y a un accouchement dans l'établissement, mais nous ne percevons rien s'il n'y en a pas.

Pour les structures de moyenne ou de faible activité, perdurer dans le temps sans moyens financiers est mission impossible. Cela met en péril toutes les autres activités de soins, raison pour laquelle, dans le secteur privé beaucoup plus que dans les autres, le nombre de maternités a diminué de façon extrêmement importante. Nous déplorons cette baisse au plus haut point.

D'ailleurs, dans le cadre de la mission sur la tarification à l'activité (T2A) qui a travaillé lieu l'année dernière, nous avions défendu la refonte du financement sur la base d'un parcours de soins en amont et en aval - nous rejoignons en cela ce que vient de dire la FHF. À cet égard, la notion de « 1 000 jours » est importante, dans la mesure où elle permet un financement de l'ensemble du parcours de soins.

Exerçons-nous une mission de service public ? Nous devons être présents. Il y a des jours avec de l'activité et des jours sans ; l'obstétrique ne se programme pas. À cet égard, un financement sous forme de dotation socle permettrait de pérenniser certaines situations, d'autant plus sensibles que nos médecins sont payés à l'acte.

Il faut savoir qu'un accoucheur en secteur 1 touche 313 euros par accouchement, malgré toutes les contraintes que cela suppose - astreintes, présence médicale jour et nuit... Il y a, dans le privé, beaucoup d'obstétriciens en secteur 1, qui ne peuvent demander de complément d'honoraires. Or ces derniers n'ont pas été revalorisés depuis 2005, soit depuis presque vingt ans.

Aujourd'hui, avec 313 euros, un accoucheur ne vit pas ; il paye uniquement son assurance en responsabilité civile.

Actuellement, quarante départements de France n'ont qu'une maternité. Nous défendons deux notions : la sécurité des femmes et la territorialité. Malheureusement, dans les départements plus ruraux, on assiste souvent à un enchaînement : comme il y a moins d'activité, il n'y a pas de rémunération, et la clinique défaille, perdant son activité d'obstétrique, ce qui peut entraîner la chute des autres activités de soins. Il est urgent de revoir l'ensemble du processus, y compris les financements, faute de quoi d'autres maternités fermeront. Quand les taux d'inflation sont à 5 %, que voulez-vous que nous fassions avec les 0,3 % d'augmentation tarifaire que nous a généreusement accordés le ministre ?

À cela s'ajoute la question, extrêmement importante, des ressources humaines. Certes, il y a plus de sages-femmes qu'auparavant, mais il y en a moins dans les maternités. Je pourrais également évoquer les obstétriciens, et les pédiatres ; il en manque partout. Comme l'ont souligné les représentants de la FHF, il faut des équipes stables. Nous sommes très inquiets s'agissant des ressources humaines. Par exemple, avec le passage à six ans de la formation des sages-femmes, aucune praticienne ne sortira de l'école cette année !

J'insiste sur la notion de dotation socle pour sauver les maternités. Nous avons besoin d'une refonte des décrets dans leur globalité. Les sages-femmes doivent pouvoir faire des actes dans le privé, comme à l'hôpital.

La question du suivi des naissances est évidemment très importante. L'acte de naissance est un acte à risque, d'autant que - cela a été souligné - les femmes font leur premier enfant beaucoup plus tard qu'autrefois. Et l'éloignement géographique lié aux fermetures de maternités n'aide pas à sécuriser les choses.

Le suivi des femmes après accouchement est aussi très important, mais pas suffisamment valorisé aujourd'hui. Il faut mettre en place des dispositifs - cela rentre dans le parcours de soins -, afin de suivre les enfants, mais également les femmes, pour éviter des séquelles psychologiques, qui sont de plus en plus fréquentes.

M. Arnaud Joan-Grange, directeur de l'offre de soins et des parcours de vie de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap). - Nous représentons 6 % des maternités et 8 % des naissances en France, mais ces chiffres ont tendance à écraser la réalité de notre rôle territorial. Nous sommes opérateur de service public.

Nous souscrivons à ce qui vient d'être indiqué sur l'organisation territoriale, ainsi que sur l'insuffisante coordination de l'offre de soins. L'offre médico-sociale et sociale que nous représentons est insuffisamment valorisée et prise en compte dans le cadre des modèles de financement, s'agissant tant des montants mobilisés que de leurs modalités de distribution.

M. Régis Moreau, directeur général du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph et président de la commission Fehap des directeurs généraux de médecine-chirurgie-obstétrique. - Le taux de sinistralité, c'est-à-dire le niveau de décès des enfants au bout de sept jours, est en progression ces dernières années, ce qui doit nous inquiéter. L'obésité maternelle a aussi augmenté, de même que la précarité sociale. Et, cela a été rappelé, les femmes ont leur premier enfant plus tard.

La situation diffère selon les territoires. Paris n'a rien à voir avec la province ; à Paris, il y a un vrai maillage. À Saint-Joseph, nous avons une maternité de niveau 2 ; nous échangeons très bien avec l'ensemble des maternités, quel que soit le statut.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qui a été indiqué sur les GHT. Quand vous échangez avec une agence régionale de santé, l'autorisation, c'est la zone d'implantation ; le GHT, c'est plutôt l'organisation des établissements publics. L'analyse en termes de zone d'implantation dans des territoires de province me semble plus appropriée et facilitera beaucoup plus la coordination entre les différents acteurs.

La problématique des ressources humaines concerne l'organisation des effectifs et leur disponibilité. Nous sommes tous acteurs de santé, et nous puisons dans les mêmes ressources. Nous nous devons d'avoir les mêmes règles de gestion et les mêmes fonctionnements.

Il faut aussi s'interroger sur l'installation en ville ou à l'hôpital. Une maternité est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Pour un professionnel, c'est parfois plus intéressant d'avoir un cabinet en ville. Les attentes de jeunes praticiens ne sont plus les mêmes qu'autrefois. Avons-nous encore assez de sages-femmes, de pédiatres et d'obstétriciens ? Si ce n'est pas le cas, réfléchissons au maillage territorial.

Nous avons une ressource collective de personnes formées ; il faut bien la répartir. Comme un poste à l'hôpital représente plus de contraintes pour la personne que l'on embauche - songeons aux urgences, à la maternité, etc. -, il faut que celle-ci y trouve un intérêt économique. Sinon, elle va finir par aller voir ailleurs.

Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes en matière économique. Les maternités de notre fédération sont souvent déficitaires, mais le choix de gouvernance a été fait de les maintenir, malgré les déficits. Ce sont donc des activités économiquement plus viables qui financent les maternités. Est-ce normal ?

Aujourd'hui, on fait porter sur les maternités des choses qui ne relèvent pas de leurs compétences et qui pèsent économiquement, techniquement, socialement, mais aussi psychologiquement sur des médecins et des sages-femmes. C'est également l'une des explications de ces départs de professionnels qui, pourtant, aiment faire des accouchements. J'ai d'excellents obstétriciens qui ont abandonné l'obstétrique pour faire de la chirurgie.

Outre la question de la taille des maternités, il y a celle de la coordination des équipes. Deux équipes différentes au sein d'une même maternité, cela ne fait pas une équipe !

Le sous-financement sur les trois secteurs des maternités conduit parfois, par nécessité et non par envie, à devoir se réorganiser face à des risques qui sont devenus disproportionnés. L'hôpital n'est pas là pour traiter toute la problématique sociale.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je vous remercie de vos présentations.

Vos interventions étaient très axées sur la territorialisation. Or le rapport de l'Académie de médecine est, lui, très « centralisateur » : en dessous de 1 000 accouchements, une maternité n'est plus viable, et il faut regrouper. C'est un diktat national chiffré. Depuis le début de la semaine, nos interlocuteurs nous parlent de la nécessité d'équipes stables ; ce ne sont pas les mêmes préoccupations qu'un quota de nombre annuel d'accouchements !

Le GHT ne pourrait-il pas être en gouvernance d'équipes obstétricales ?

Je viens de découvrir le concept de bassin de naissances. Il y a déjà des contrats locaux de santé, des GHT, etc. Quel est le territoire pertinent pour discuter d'une organisation périnatale en sécurité ?

Où placer le curseur entre la sécurité et la proximité ? Quel équilibre peut-on proposer aux femmes et aux familles ? Une naissance n'est pas un acte chirurgical comme un autre.

Que pensez-vous du dogme national des 1 000 accouchements par an ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - J'ai effectivement évoqué les bassins de naissances. Il n'existe pas en périnatal de situation territoriale que nous pourrions modéliser partout. Dans les Vosges, territoire que je connais bien, certaines patientes qui nécessitent une prise en charge particulière sont orientées non pas vers le GHT départemental, mais vers des départements voisins. Le GHT a donc ses limites. C'est la raison pour laquelle nous travaillons sur la notion de bassin de naissances. Nous considérons un nombre de naissances sur un territoire donné, et nous voyons globalement comment se font les flux et où vont les femmes. C'est sur cette base que nous définissons le bassin de naissances, c'est-à-dire le flux des patientes, même si nous tenons compte des GHT, qui sont tout de même cartographiés, et des établissements privés.

Le moment technique de la naissance est celui où il y a le plus de risques et où nous avons le plus besoin de nombreux professionnels. Nous pensons que cet acte doit être sécurisé sur un nombre de plateaux techniques nécessairement limité compte tenu de la situation actuelle. Mais - vous avez évoqué à juste titre la nécessité de proximité pour les familles et de bienveillance auprès de la mère et de son nouveau-né -, il faut aussi adapter un suivi en proximité au moment du retour à la maison, d'autant que la majorité des séjours sont très courts.

Nous devons prévoir l'accompagnement à proximité. Je pense, par exemple, au coaching parental : des puéricultrices ou auxiliaires-puéricultrices hospitalières viennent à la maison les premières semaines de vie du nouveau-né pour accompagner la mère et l'enfant - aujourd'hui, lorsque des sages-femmes libérales viennent, c'est seulement dans un objectif médical. Je crois qu'il faut accompagner davantage en aval avec des solutions de proximité et de suivi à la maison.

M. Régis Moreau. - Le critère des 1 000 naissances présente-t-il un risque ? Cela dépend du territoire.

Il y a une dimension économique. Le nombre de pédiatres, d'obstétriciens et de sages-femmes nécessaires pour assurer une continuité a été calculé. Et, pour amortir les coûts que cela représente, il faut au moins 1 000 naissances. À défaut, la maternité devient déficitaire.

Si l'on veut maintenir des maternités à 500 accouchements sur certains territoires, cela nous renvoie à la discussion sur la dotation socle : il faut un financement minimum.

Toutefois, j'ai tendance à considérer que nous n'avons pas aujourd'hui les ressources humaines disponibles pour pouvoir envisager un tel maintien. À Marie-Lannelongue, où nous faisons de la chirurgie congénitale, nous prenons en charge certaines patientes ante-partum avec une malformation cardiaque. Comme nous ne sommes pas nombreux à faire ce genre d'activités, nous avons des patientes qui viennent de la France entière. Parfois, certaines viennent un mois avant et restent à l'hôtel. Est-il normal qu'une maman reste éloignée de son territoire quand elle a besoin d'une maternité de niveau 2 ? Pour autant, faut-il mettre des niveaux 2 partout ? La question est celle de la proportion et du besoin.

La zone d'implantation ne se limite effectivement pas au GHT. Peut-être faut-il faire des cercles concentriques.

Mais il faut avant tout travailler sur la démographie médicale si nous voulons maintenir des maternités à 500 naissances ; aujourd'hui, nous n'en avons pas les moyens.

Mme Frédérique Gama. - Si des maternités ferment aujourd'hui, ce n'est effectivement pas seulement lié à des difficultés financières. Preuve en est, des maternités qui font bien plus que 500 accouchements par an ferment également.

Le principal problème, ce sont les ressources humaines. Les jeunes mamans ne trouvent pas de pédiatre en ville. Les obstétriciens préfèrent faire de la chirurgie gynécologique, pour avoir de meilleures conditions de vie. Et avec plus de sages-femmes, le sujet de la périnatalité serait certainement moins aigu aujourd'hui.

Ce sont toutes ces difficultés sur les ressources humaines - manque d'effectifs et de personnels formés - qui conduisent à des fermetures quand le maintien de l'activité ferait prendre trop de risques. Pour un responsable d'établissement, c'est insupportable.

Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et de la veille sociétale de FHP. - Nous avons soutenu la démarche des 1 000 jours, qui nous a semblé très importante. C'était peut-être la première fois que la puissance publique s'emparait véritablement du sujet de la petite enfance, et de manière coordonnée et concertée. À nos yeux, c'est un enjeu de société majeur.

N'oublions pas tout ce qu'il y a autour de l'accouchement : l'ante-partum, le post-partum. Les maternités ont un rôle à jouer. Sans doute n'ont-elles pas toutes les latitudes possibles pour cela aujourd'hui. Il faut évidemment y renforcer la prévention. Le baby blues concerne 50 % à 80 % des femmes, et la dépression post-partum 20 % en moyenne. Les pères, que l'on oublie parfois, sont aussi concernés. Les enjeux de prévention sont majeurs : risques en cas de prématurité, soutien du couple dans l'exercice de sa parentalité, sensibilisation des jeunes parents aux perturbateurs environnementaux, entretien post-natal, etc.

Tout cela nécessite des moyens et de l'accompagnement. Si nous voulons une politique de prévention dans notre pays, il faut amplifier drastiquement le soutien aux acteurs.

M. Arnaud Joan-Grange. - De manière plus terre à terre, il faudrait aussi mieux articuler les données, notamment de l'État et de l'assurance maladie, afin de se rendre compte de la réalité en matière de santé publique entre la ville et l'hôpital, d'objectiver les meccanos administratifs et de pouvoir proposer des réponses adaptées.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous rassure, nous sommes très sensibilisés sur ce point. Nous savons qu'il va falloir y travailler et trouver des solutions.

Selon vous, le système qui a été mis en place dans les pays d'Europe du Nord, où les taux de mortinatalité sont bien inférieurs aux nôtres, est-il duplicable chez nous ?

Il nous a été indiqué que si le transport était assuré de manière sécurisée, on pouvait augmenter les temps de transport au moment de l'accouchement. Qu'en pensez-vous ?

Comment expliquez-vous que les jeunes parents semblent souvent si déboussolés aujourd'hui ? Ne leur donne-t-on pas trop de conseils ou des conseils contradictoires ?

M. Thierry Béchu, délégué général de la FHP-MCO. - Selon les bases de données que les établissements remplissent, le nombre d'accouchements hors établissement - il s'agit donc d'accouchements à domicile ou pendant le transport - est passé de 3 300 à 5 000 entre 2012 et 2022. Il y a donc urgence à agir.

Mme Margaux Creutz Leroy. - Faisons très attention avec de tels chiffres : le code de l'accouchement extrahospitalier (AEH) a beaucoup de limites. L'accouchement accompagné à domicile, qui est en très forte augmentation, est codé comme un AEH quand il nécessite une hospitalisation, alors que ce n'en est pas un.

Il faut mettre un terme au fantasme des accouchements extrahospitaliers. Selon les analyses qualitatives, dans la majorité des cas, les AEH ont lieu dans de grandes métropoles à proximité immédiate d'une maternité et concernent surtout des personnes en situation de grande précarité.

M. Thierry Béchu. - J'irai dans votre sens. Les premiers départements concernés sont Mayotte, puis les Antilles, la Guyane et La Réunion. En métropole, les taux baissent sensiblement.

Mme Kathia Barro. - L'accouchement est un événement inopiné. Le vrai enjeu en termes de qualité et de sécurité des soins, c'est la distance entre la structure où la femme accouche et le plateau technique, par exemple s'il y a besoin d'une transfusion à la suite d'une hémorragie post-partum.

Les pays d'Europe du Nord, qui ont d'excellents indicateurs, ont fait une concentration sur de très gros plateaux. En France, la situation est différente, mais nous pouvons nous inspirer de certains éléments de ces pays. D'un côté, il faut trouver un bon équilibre, un suivi en proximité de l'ensemble des besoins de la femme, notamment lors de son retour à domicile ; en l'occurrence, c'est aux professionnels de santé d'aller chez elle. De l'autre, l'accouchement étant un moment particulier, il faut qu'il puisse se faire dans certains plateaux sécurisés ; là, c'est à la femme de se déplacer. La notion de seuil est importante, mais ce n'est pas le seul élément essentiel.

Il y a une réflexion territoriale à mener, fondée sur un diagnostic de l'offre de soins et des structures à disposition (y compris CPP, camion mobile...), afin de créer un maillage répondant aux besoins des femmes.

M. Régis Moreau. - La question importante est celle de la fiabilité du transport, plus que de son délai. La démographie médicale ne nous permet pas vraiment de déplacer les ressources à droite à gauche.

Aujourd'hui, les conseils aux parents, c'est souvent internet. Autrefois, on faisait confiance aux médecins. Désormais, les parents vont sur internet, se posent beaucoup de questions, et écoutent parfois de mauvaises réponses... Nous devons faire avec.

La précarité a effectivement augmenté, de manière inversement proportionnelle à la démographie. La préparation à la naissance n'est, dès lors, pas la même ; il faut plus travailler en proximité. La sinistralité est liée à cette précarité. Nous n'avons pas, me semble-t-il, les mêmes problématiques que dans le nord de l'Europe.

Mme Béatrice Noëllec. - Vous avez soulevé une question de société extrêmement intéressante. À mon sens, il y a trois éléments à prendre en compte.

Premièrement, dans un pays en situation de crise et de perte de repères, les injonctions que reçoivent les parents sont extrêmement fortes. Nous le voyons bien s'agissant de l'école.

Deuxièmement, comme cela a été souligné, il y a une grande diversité des sources d'information, y compris des sources les plus anxiogènes ou les moins fiables.

Troisièmement, autrefois, on disait moins de choses. Le tabou de la fausse couche tend seulement à se lever un peu aujourd'hui ; des femmes témoignent de la douleur sur les réseaux sociaux, ce qui aurait été impensable voilà encore cinq ans. C'est heureux que les parents parlent plus aujourd'hui, à condition d'avoir des professionnels qui soient vraiment à l'écoute.

M. Régis Moreau. - J'irai dans le même sens. Aujourd'hui, dans les réunions de préparation, nous avons les couples ; autrefois, il y avait seulement les mères. Les parents sont demandeurs d'informations. Mais, comme cela a été souligné, ils sont noyés d'informations, ce qui devient anxiogène.

Mme Marilyn Theuws. - Beaucoup de professionnels gravitent autour de la grossesse. Il me paraît important d'avoir un professionnel référent qui rencontre le couple en amont de la conception, lors de la conception, tout au long de la grossesse et qui coordonne le suivi post-natal. Actuellement, les parents ont trop d'interlocuteurs différents.

M. Patrice Joly. - Je vous remercie de vos éclairages.

Dans ma commune, la première maternité est à une heure et demie de route. Prenez-vous en compte dans vos réflexions le phénomène, peut-être simplement conjoncturel, d'inversion des territoires où les naissances augmentent ? Jusqu'à ces dernières années, les naissances augmentaient plutôt dans les zones urbaines denses et dans les métropoles. Mais, depuis 2020, on note une baisse des naissances dans certains départements dont le chef-lieu est une grande métropole ou dans des départements franciliens, et des augmentations, parfois supérieures à 1 %, dans certains départements plus ruraux, telle la Nièvre.

Combien de maternités faudrait-il fermer ? Vous en avez identifié trente-deux comme ayant de vraies difficultés à garantir un fonctionnement continu. Si elles devaient fermer, les risques pour la mère et l'enfant, liés par exemple au trajet, sont-ils évalués ?

Vous avez évoqué la possibilité pour les GHT d'organiser le territoire. Or certains GHT sont en grande difficulté également et peinent déjà à avoir suffisamment de moyens humains pour faire fonctionner l'établissement pilote.

J'ai toujours une petite crainte lorsque l'on raisonne en termes de « cercles concentriques ». C'est une approche un peu classique, avec un centre et une périphérie, et une logique de domination et de distance. Ne pourrait-on pas renforcer notre réflexion sur le fonctionnement en réseau ?

Mme Marilyn Theuws. - Fonctionner en réseau, c'est possible. Il existe des expérimentations aujourd'hui.

Si l'on ferme des maternités de moins de 1 000 naissances, par exemple en faisant des regroupements de manière à n'en avoir plus qu'une seule dans le département, il faut absolument mettre des moyens et des professionnels à disposition des patientes et des couples un peu éloignés des moyens pour assurer un bon suivi et une bonne coordination avant et après l'accouchement. Les camions doivent être équipés, avec du matériel et un professionnel de la périnatalité qui ne soit pas seulement un brancardier ou un chauffeur.

Dans certains départements, des maternités ont fermé plusieurs jours par manque de pédiatres, de sages-femmes ou d'obstétriciens. C'est notre réalité quotidienne.

Mme Margaux Creutz Leroy. - Il faut que nous arrêtions de subir les fermetures. L'important, c'est de mieux anticiper.

Si l'on souhaite maintenir une maternité sur un territoire au vu de l'isolement de la population, il faut réorganiser ce qu'il y a autour. Dans notre cas, les suspensions sont le plus souvent liées à un manque d'anesthésistes.

Et si l'on fait le choix, rarement de gaieté de coeur, de fermer une maternité, renforçons la maternité voisine pour qu'elle ne soit pas confrontée aux mêmes difficultés un an, deux ans ou trois ans après.

Sans anticipation, les déserts vont se créer tout seuls, et cela mettra vraiment en danger les mères et les enfants.

M. Régis Moreau. - Pour notre part, la problématique concerne plutôt les pédiatres et les sages-femmes. Dès lors qu'il y a des activités autres que la maternité au sein de l'établissement, ce ne sont pas forcément les anesthésistes qui font le plus défaut.

Vous avez évoqué les statistiques. Aujourd'hui, nous arrivons à très bien suivre les données.

Je connais la situation que vous évoquez, pour avoir géré plusieurs cliniques dans la Creuse. Je serais curieux de connaître le suivi de ville qui a été proposé aux patientes avant leur accouchement dans ces territoires.

Là où il n'y a pas de maternité, le suivi peut être satisfaisant si des visites intermédiaires sont organisées, comme cela peut exister dans d'autres activités - pour la chimiothérapie, par exemple. En intervenant bien en amont, on peut limiter les risques. Parviendra-t-on pour autant à maintenir des maternités de proximité ? Cela dépendra des territoires.

La téléconsultation peut être utile pour inciter les sages-femmes à s'installer seules en territoire isolé. La mise en place de la téléexpertise permet de les sécuriser : toutes les sages-femmes travaillant en territoire isolé doivent pouvoir être certaines d'avoir, « à leurs côtés », un pneumologue, un cardiologue, un obstétricien pour assurer le suivi des patientes. Elles doivent pouvoir, selon les cas, recourir aux transports médicalisés ou être hébergées quinze jours avant l'échéance à proximité du lieu le plus approprié. Je pense qu'il faut envisager un tel maillage.

Je crains que, techniquement, l'évolution démographique ne permette pas un maintien de certains établissements.

J'y insiste : combien de fois les patientes de ces territoires ont-elles vu une sage-femme dans les six mois précédant l'accouchement ? Combien y a-t-il eu de télémonitorings relus par un obstétricien à distance ? Il faut probablement, à certains endroits, mailler le territoire beaucoup plus pertinemment.

Mme Céline Brulin. - Vous avez très bien décrit les phénomènes de fragilisation à l'oeuvre. Disposez-vous de chiffres attestant que des maternités de niveau 1 connaissent aujourd'hui plus de sinistralité, d'accidents, de problèmes ?

On voit bien que, si le nombre d'accouchements réalisés était le bon critère, les choses auraient plutôt tendance à s'améliorer - comme il y a moins de maternités, celles qui existent encore en font davantage. Or ce n'est pas le cas : c'est même l'inverse !

Vous décrivez un énorme problème de ressources humaines ; il ne se résoudra pas du jour au lendemain. Nous devons réagir, en responsabilité. Cependant, la solution ne saurait passer par de grosses maternités ou des plateaux techniques. Vous dites que tout un pan de l'activité doit être assuré par la médecine de ville, mais on sait que, lorsqu'il n'y a plus d'établissements hospitaliers de proximité, il n'y a plus non plus de médecine de ville au niveau ! Dans certains pôles, des regroupements autour de maternités de type 2 ou 3 peuvent aussi conduire à accroître les déserts médicaux, alors que nous voulons exactement le contraire.

Mme Margaux Creutz Leroy. - L'un des rôles les plus importants des réseaux est l'analyse des événements indésirables. Pour ce qui concerne les plus graves d'entre eux, à savoir les décès des mères et ceux des bébés à terme, in utero ou après la naissance, les facteurs de risques qui ressortent sont, plus que le type de la maternité, la stabilité des équipes - donc le recours aux intérimaires - et le fait que la garde ait lieu sur place ou non. Je peux vous assurer que, si un bébé est coincé au niveau des épaules en pleine nuit et s'il n'y a pas d'obstétricien de garde, la perte de chance est importante pour cet enfant, qui risque d'avoir une encéphalopathie anoxo-ischémique, voire de décéder. En périnatalité, il peut y avoir des journées très calmes et d'autres très agitées. Or, quand on n'a qu'une équipe d'astreinte, il faut prioriser, et la priorité sera toujours accordée à la mère.

Nous essayons, dans les réseaux, de porter une attention toute particulière à la qualité, pour avoir des données fiables, que le PMSI ne nous fournit pas. Par exemple, un taux de césarienne bas n'est pas satisfaisant s'il s'accompagne de nombreuses encéphalopathies.

Une mission, financée par la direction générale de la santé (DGS), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS), est en cours sur l'augmentation de la mortinatalité. D'après les premiers éléments, cette hausse serait plutôt liée à la permanence des soins, puisque 80 % des événements indésirables ont lieu la nuit et le week-end.

Mme Kathia Barro. - La garde sur place est liée à un seuil défini dans les décrets de 1998. Il faut rouvrir les travaux sur ces textes. Il convient notamment de s'interroger sur tous les critères qui rendent une maternité viable. Comme le seuil, la stabilité de l'équipe fait partie de ce faisceau d'éléments.

Il est aujourd'hui urgent de renforcer les décrets par des éléments qualitatifs, par les notions de gradation, de sécurité, de plateau, d'équipe de territoire, pour que ce soit véritablement des filières qui puissent souder la périnatalité.

Mme Frédérique Gama. - Je veux répondre sur les ressources humaines. La difficulté est sociétale : on n'a pas moins de médecins ni de sages-femmes - au contraire, on en a plus -, mais l'orientation vers des métiers de moindre pénibilité est en défaveur de l'hospitalier.

Même si l'on forme un peu plus de pédiatres, ceux-ci vont commencer par s'installer en ville - ce n'est pas, du reste, la spécialité la plus recherchée, parce que ce n'est pas la mieux revalorisée. Au reste, on assiste à une baisse moyenne du nombre d'heures consacrées à la médecine. On dit qu'il faut deux, voire trois pédiatres pour en remplacer un, mais on peut dire la même chose au sujet des obstétriciens ! Quand un obstétricien faisait 400 accouchements auparavant, il en fait 100 aujourd'hui.

Mme Céline Brulin. - Il faut donc raisonner en temps médical plutôt qu'en nombre de professionnels ?

Mme Frédérique Gama. - Exactement. Même les sages-femmes exercent aujourd'hui davantage en libéral que dans les structures hospitalières.

Il faut réfléchir à la liberté d'installation des étudiants fraîchement diplômés, dont la formation est financée par l'État.

Tant que les besoins en médecine de ville ne seront pas satisfaits à 100 % sur l'ensemble des territoires, l'hospitalier sera en difficulté, parce qu'il représente aujourd'hui la contrainte. J'ignore comment résoudre cette difficulté. On peut entendre qu'un obstétricien préfère faire de la chirurgie gynécologique ou qu'une sage-femme préfère choisisse de s'installer en ville, pour fixer leurs propres contraintes, plutôt que de travailler nuit et jour, y compris le 31 décembre. C'est un vrai problème de société, qui nous échoit.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Nous comprenons tous que les professionnels aient envie de se regrouper sur des plateaux, pour des questions de pénibilité, de nombre de gardes... Toutefois, les regroupements ne risquent-ils pas de peser sur cette population captive des maternités non sécures, qui est souvent la plus précaire, la moins mobile ?

Les représentants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) que nous avons auditionnés nous ont présenté une étude montrant que, aussi bien pour la mortalité maternelle que pour le risque de prise en charge inadéquate d'une hémorragie grave du post-partum, deux facteurs ressortaient assez significativement : le défaut d'anesthésistes sur place et le fait d'accoucher dans un établissement privé à but lucratif. Comment pouvez-vous expliquer ces résultats ?

Mme Frédérique Gama. - Globalement, nous n'avons pas de problème de manque d'anesthésistes, parce que nous n'avons pas d'activité monodisciplinaire. On fait toujours, au minimum, de la chirurgie en même temps.

Le problème, chez nous, n'est pas le nombre d'anesthésistes. C'est plutôt un problème de nombre de pédiatres - c'est le problème numéro un -, d'obstétriciens et de sages-femmes.

Mme Margaux Creutz Leroy. - C'est justement en pensant aux familles les plus précaires que nous estimons qu'il faudrait, plutôt qu'« user » les professionnels à la permanence de soins dans les petites maternités, redynamiser le suivi des grossesses de proximité.

Des dispositifs existent déjà pour ce qui concerne l'accouchement. La possibilité d'un hébergement non médicalisé vient d'être mise en place, et l'éducation à la santé doit aider les femmes à prendre conscience du moment où elles doivent se rendre à la maternité - les distances dépassent rarement l'heure de route.

Il me paraît choquant de parier sur le fait que les femmes qui ont une maternité à côté de chez elles tomberont sur la bonne équipe de garde. Il serait plus sécuritaire de s'appuyer sur l'éducation à la santé, sur un suivi de grossesse en proximité - via la télémédecine notamment - et sur des équipes territoriales qui accepteront de suivre à distance des grossesses à haut risque et de réserver la gestion de l'accouchement à un plateau sécurisé.

C'est demain que les résultats de l'enquête confidentielle seront remis au ministère. Pour ma part, je pense que les risques hémorragiques sont aussi liés à l'accès aux produits sanguins labiles. Or certaines maternités isolées ou privées ou à but non lucratif ont parfois plus de difficultés à accéder aux réserves de sang que certains gros centres - cela dépend de l'endroit où l'Établissement français du sang (EFS) est situé.

Mme Frédérique Gama. - Nous avons tous, dans nos établissements, des réserves de sang ! Il faut nuancer ces propos.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous essayons de comprendre les chiffres dont nous disposons.

M. Régis Moreau. - Je n'ai pas d'informations à vous communiquer s'agissant des statistiques de décès.

Le maillage territorial est une nécessité. Il faut « aller vers », comme on l'a fait pour la vaccination contre le covid, via des cellules de l'ARS.

Les grossesses des femmes qui ont un emploi doivent être déclarées à l'employeur assez rapidement. Ces déclarations donnent des droits. Je pense que certains territoires qui n'ont pas de maternité doivent être davantage couverts pour permettre que les entretiens obligatoires aient lieu.

Comme les maternités ne sont pas toutes pleines aujourd'hui, des femmes qui ont la chance d'habiter près d'une maternité de niveau 2, voire 3, y sont suivies pour leur grossesse sans que cela soit nécessaire. Pour une maternité de niveau 2, une grossesse non pathologique de niveau 1 peut parfois soulager les équipes...

Il est vrai que l'égalité n'existe pas, mais on ne compensera pas une démographie territoriale par la seule volonté. Après leur internat, les étudiants tendent à se rapprocher de leur région natale. On ne peut forcer un pédiatre à travailler dans un endroit qu'il ne connaît pas.

Comment pallier cette difficulté ? Il faut s'engager dans le « aller vers » si l'on ne veut pas faire entrer les professionnels dans des parcours. C'est une maîtrise de risques. La maîtrise de risque, c'est la coordination de l'équipe. Quand l'équipe est dimensionnée pour 500 accouchements, il y a moins de back office. À Saint-Joseph, il y a 40 anesthésistes : si l'un ne va pas bien, on lui trouve un remplaçant ! Quand il n'y en a que trois, le risque est plus important. Le risque est donc lié à la taille de l'équipe, qui est elle-même liée au nombre d'accouchements. Ce n'est donc pas le nombre d'accouchements qui fait le danger : c'est la taille de l'équipe, mais les deux sont souvent liés.

Mme Béatrice Noëllec. - Cela est totalement transposable à l'ensemble des professionnels de santé. Les lieux de formation sont souvent très urbains, et l'on ne saurait blâmer les professionnels d'aller là où ils ont envie.

Il en va de même pour ce qui concerne la reproduction sociale, avec des médecins issus des CSP+. Comment fait-on pour recruter les professionnels de santé dans des viviers sociaux plus larges ?

M. Régis Moreau. - La situation des établissements habilités à faire de la chirurgie pédiatrique ne semble inquiéter personne. Avant, il y en avait partout. Pour assurer la sécurité, on a dû concentrer, et les distances sont devenues importantes.

À Marie-Lannelongue, les patients viennent de partout. À Metz, nous avons fermé cette spécialité, car on nous a dit qu'elle devait être transférée au public. J'avais prévenu que ce serait un fiasco. De fait, aujourd'hui, il n'y a plus du tout de chirurgie pédiatrique sur le territoire ! Le problème n'est pas le transfert au public en tant que tel : c'est lié au territoire. Il faut pourtant bien prendre en charge les enfants de deux ans qui ont des complications.

Mme Kathia Barro. - Je rappelle que les maternités de niveaux 2 et 3 sont d'abord des maternités de proximité sur leur territoire, que les femmes font des choix et que l'on ne connaît souvent la physiologie de l'accouchement qu'après celui-ci.

Pour ce qui concerne l'accès aux soins, des hôtels hospitaliers existent aujourd'hui au profit des femmes les plus précaires. Ils peuvent permettre de les rapprocher de maternités sécures.

Mme Annie Le Houerou. - Vous parlez tous d'une pénurie de ressources humaines, mais vous ne semblez pas vous alarmer du fait qu'il faut plus de pédiatres, de sages-femmes...

Mme Frédérique Gama. - Nous l'avons tous dit !

Mme Annie Le Houerou. - Je retiens que, à vos yeux, il faut surtout gérer la pénurie et se concentrer sur les grandes maternités.

Mme Frédérique Gama. - Nous déplorons qu'il n'y ait pas assez de professionnels formés.

M. Régis Moreau. - Or la formation prend dix ans...

Mme Émilienne Poumirol. - Certes, il n'y a pas assez de personnel formé, mais, surtout, il n'y a pas assez de temps médical !

La médecine générale est dans une situation dramatique, avec seulement 45 000 médecins sur 90 000 qui exercent actuellement. Où sont passés les 45 000 autres ? C'est de temps médical que l'on manque. Il faut partager les tâches.

S'il y a bien quelque chose auquel je crois, c'est au fait de travailler ensemble, de manière coordonnée, avec des équipes pluriprofessionnelles, sans que quiconque soit méprisé.

L'enjeu n'est pas simplement le nombre d'étudiants qui achèvent leurs études. Il s'agit surtout de redonner de l'attractivité aux métiers, pour que ceux qui s'en seraient détournés y reviennent.

Mme Frédérique Gama. - Je répète que nous sommes aujourd'hui face à un problème sociétal, avec des professionnels qui continuent à exercer leur métier, mais ne souhaitent plus le faire de la même façon, aspirant à des horaires réduits.

M. Patrice Joly. - Vous dites, madame Creutz Leroy, que les grossesses doivent être mieux suivies. Envisagez-vous une régulation de l'installation des professionnels de santé pour permettre que l'ensemble des territoires soient correctement pourvus ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - J'envisage surtout qu'il y ait des équipes territoriales, c'est-à-dire qu'une seule et même équipe propose des consultations de proximité et un plateau technique adapté et sécurisé, équipe dont les membres se connaissent, ont l'habitude de travailler ensemble et font de beaux projets.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Il me reste, mesdames, messieurs, à vous remercier d'avoir débattu avec entrain et de nous avoir donné toutes ces explications.

Audition de représentantes du Collège des infirmièr(e)s puéricultrices(eurs)

(Mercredi 3 avril 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions des professionnels de santé, en entendant cet après-midi le Collège des infirmièr(e)s puéricultrices(eurs). Ce collège est composé de l'Association nationale des puéricultrices(eurs) diplômé(e)s d'État (ANDPE), du Collectif « Je suis infirmière puéricultrice » (CJSIP), du Comité d'entente des écoles préparant aux métiers de l'enfance, et de la Société de recherche des infirmières puéricultrices (SORIP) et du syndicat national des puéricultrices diplômées d'État (SNDPE).

Votre Collège est reconnu, depuis 2019, comme conseil national professionnel de la spécialité. Ses missions, fixées par voie réglementaire, portent notamment sur l'organisation de la formation professionnelle continue ou encore sur l'élaboration de recommandations professionnelles.

Dans le cadre de nos travaux, il nous a semblé indispensable d'entendre des représentants de l'ensemble des professions de santé intervenant dans notre système de soin périnatal. Les infirmiers puériculteurs et infirmières puéricultrices (IPDE) y occupent une place spécifique à double titre :

- Premièrement, ils interviennent pendant la grossesse, en accompagnant les familles dans le processus de parentalité, et après celle-ci en assurant un suivi des premiers jours des nouveau-nés et des jeunes parents ;

- Deuxièmement, la diversité des lieux et des modalités d'exercices du métier intéresse particulièrement la dimension territoriale de notre mission. Si près de la moitié des IPDE est employée par les services hospitaliers ou les maternités, ils travaillent également en PMI, crèches, haltes-garderies... ce qui signifie concrètement autant de métiers et de modalités d'exercices différents.

Lors de notre audition des membres de l'équipe de recherche EPOPé hier, plusieurs chiffres nous ont interpellés :

- La part des mères déclarant n'avoir pas reçu de recommandation sur le couchage de leur enfant avant leur sortie de l'hôpital approche les 50 %, même si ce taux baisse fortement par la suite ;

- Le taux de prévalence des symptômes de dépression post-partum à deux mois s'établit à 16,7 % en moyenne, avec toutefois de fortes disparités en fonction des territoires (près de 22 % en région Centre-Val de Loire par exemple), et ce alors que le suicide fait désormais partie des premières causes de mortalité maternelle. Là aussi ces chiffres interrogent sur la qualité du suivi anténatal et post natal des parents.

Par ailleurs, d'un point de vue général, nombre de nos interlocuteurs ont insisté sur la question de la gestion des ressources humaines chez les soignants. En clair, dans vos professions comme d'autres beaucoup d'autres qui intéressent notre mission d'information, comment gérer le temps médical disponible tout en assurant la sécurité des soins et l'équité d'accès sur l'ensemble du territoire ?

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour que vous puissiez présenter les principaux enjeux identifiés par votre Collège.

Elisa Guises, Présidente de la SoRIP. - Je suis présidente de la Société de recherche des infirmières puéricultrices, qui est une jeune association puisqu'elle a été créée en même temps que le CNP des puéricultrices, en 2019. J'ai une expérience dans le domaine de la formation. J'ai aussi exercé dans d'autres pays du monde, notamment avec Médecins sans frontières, ce qui m'a permis de travailler en santé primaire.

Katia Saby, Présidente du CJSIP. - Je suis la présidente du collectif « Je suis infirmière puéricultrice », qui a été créé en 2020 et s'est constitué en association en 2021. Il a pour visée d'être un agitateur auprès des familles et du grand public pour faire connaître notre métier. De ce fait, nous nous sommes ralliés aux autres organisations pour faire une unité et pouvoir vous rencontrer aujourd'hui et apporter des éclaircissements sur notre travail.

Anne Metivet, Trésorière de l'ANPDE et déléguée régionale Ile-de-France du CEEPAME. - Je représente deux associations. L'ANPDE, l'Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiantes, existe depuis 1949, juste après la création du diplôme, et vise à promouvoir la profession et défendre ses intérêts. Je suis également représentante du Comité d'entente des écoles préparant aux métiers de l'enfance (CEEPAME), qui regroupe toutes les écoles de puéricultrices en France et outre-mer, et entre 60 et 70 % des écoles d'auxiliaires de puériculture.

Véronique Garlis Boulaire, Présidente du SNPDE. - Je suis infirmière puéricultrice, cadre de santé. Je suis aussi présidente du syndicat national des puéricultrices diplômées d'État.

Katia Saby.. - Elisa Guises et moi sommes également membres du conseil d'administration du Conseil national des puéricultrices.

Nous faisons de la promotion sur la santé de l'enfant et de la famille par l'intermédiaire de cartes mentales. Une infirmière puéricultrice exerce dans différents lieux, ce qui est à la fois une force et une faiblesse. Nous avons la force de pouvoir être partout où se trouvent des enfants âgés de 0 à 18 ans, mais il est parfois difficile de nous retrouver.

Anne Metivet. - Nous tenons à mettre en avant les éléments de contexte qui soulignent l'importance des puéricultrices dans le parcours de soins de l'enfant et de l'accompagnement de la famille. Ils sont issus de nombreux rapports publiés par des institutions telles que l'IGAS, le Haut Conseil de la Santé Publique, la Cour des comptes, Santé Publique France, ainsi que de rapports rédigés par Michèle Peyron ou Isabelle Santiago. Le point commun de ces rapports est qu'ils mettent en avant la nécessité de valoriser le métier de puéricultrice.

Nous sommes ici pour souligner l'importance de valoriser notre rôle dans la prise en soins des enfants, même si bien sûr nous travaillons en interprofessionnalité, ce qui fait notre force. Nous avons écouté l'ensemble des auditions des différents acteurs avant de nous présenter devant vous. Nous sommes toutes engagées dans l'accompagnement de la mère et de l'enfant pour répondre aux besoins de familles, qui ont été largement reléguées. Notre défi, c'est de répondre à la dégradation de l'offre de soins périnatale qui existe en France. Nous pensons que notre métier peut être une réponse à la fois pour les futures mères et pour les enfants.

L'ensemble des associations sous l'égide du CIP a écrit un manifeste pour la réforme de la spécialité de puéricultrices décrivant en détail nos constats, tous sourcés, et formulant des propositions.

La période prénatale est cruciale pour le sujet qui nous intéresse. Seulement 62 % des femmes bénéficient actuellement de l'entretien prénatal précoce, malgré son caractère obligatoire. En tant que puéricultrices, nous avons les compétences pour mener à bien cet entretien, notamment en appuyant sur la prévention. En effet, il est important de parler de prévention de l'enfant à naître et de la femme, en complémentarité avec les sages-femmes. Nous avons aussi les compétences pour identifier les situations de vulnérabilité, qu'elles soient sociales, psychiques ou physiques, et bien sûr orienter et travailler en collaboration avec d'autres professionnels.

En post-partum immédiat, nous voulons revenir sur le PRADO maternité (parcours d'accompagnement au retour à domicile), qui est assuré aujourd'hui par les sages-femmes. Nous avons remarqué qu'il y avait un retard dans l'accès à la PMI, peut-être par manque de connaissance sur le dispositif de PMI, ou en tout cas d'information sur la possibilité de ces femmes d'être suivies en PMI, où, je le rappelle, la puéricultrice a toute sa place dans l'accompagnement en post-partum immédiat pour ancrer l'enfant et sa famille dans un parcours de soins coordonnés.

Concernant la maternité, il est nécessaire de repositionner les puéricultrices pour assurer les missions de prévention sur le sommeil, l'alimentation, les accidents domestiques, la mort inopinée du nourrisson, etc. Elles ont des missions complémentaires de la sage-femme, de l'infirmière et de l'auxiliaire de puériculture.

Si le sujet de l'allaitement maternel est aussi abordé en prénatal par la puéricultrice, puis en postnatal direct par la maternité, on peut espérer un taux d'adhésion plus élevé. En France, nous sommes très loin des recommandations de l'OMS.

Les puéricultrices possèdent déjà des compétences autour de la périnatalité, puisqu'elles sont formées à l'accompagnement des parents et enfants, quelles que soient leurs vulnérabilités, mais il est important d'envisager une évolution de notre formation.

Aujourd'hui, nous sommes plus de 23 000 puéricultrices déjà formées, dont 4 500 en PMI. Nous proposons de vous appuyer sur nos forces vives pour assurer la qualité des soins autour de ce sujet de la prévention.

Katia Saby. - Le maillage postnatal est à renforcer. Le nombre de pédiatres décroît en France. En 2022, ils étaient 8 682. Il y a en moyenne 12 pédiatres pour 100 000 enfants de moins de 15 ans en France. Nous nous interrogeons sur le suivi de la santé et de l'enfant et sur la façon dont nous pourrions y contribuer.

D'après le rapport de Michèle Peyron, seul 13 % des familles sont suivies par la PMI. La PMI est vraiment un axe important de l'accompagnement des enfants de 0 à 6 ans. Dans certains départements, le seul lien entre la maternité, le PRADO exercé par une sage-femme et ensuite l'accès à des informations auprès d'une puéricultrice est la PMI.

Le recours aux soins d'urgence pour les enfants de moins de deux ans est important : 6 % des passages aux urgences concernent 2 % de la population. Les parents viennent souvent consulter pour des problèmes de pleurs ou digestifs... ce sont plus des consultations à hauteur de la puéricultrice que des consultations d'urgence vitale, comme se doit de proposer l'institution hospitalière. Il a été expérimenté, notamment à Toulouse et à Lyon, des consultations de puéricultrices menées de manière autonome, ce qui a limité le recours aux urgences et surtout la réhospitalisation.

Des propositions de loi ont été faites pour que les infirmières puéricultrices puissent prescrire des dispositifs d'aide à l'allaitement, mais cela n'a pas abouti. Nous ne pouvons donc toujours pas prescrire de dispositif d'aide à l'allaitement alors que nous rencontrons des mamans qui en ont besoin dans nos consultations. Les sages-femmes, au contraire, font des consultations sur l'allaitement qui sont financées par l'assurance maladie sur la cotation mère-enfant.

Véronique Garlis Boulaire. - Le décret de 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d'obstétrique, de néonatalogie et de réanimation néonatale a mis en place des ratios du nombre de soignants auprès des enfants dans les services de périnatalité. Il prévoit la présence continue d'au moins un infirmier diplômé d'État, spécialisé en puériculture ou expérimenté en néonatologie pour deux nouveau-nés hospitalisés en réanimation néonatale un pour trois en soins intensifs de néonatalogie et un pour six en néonatologie. Le souhait à l'époque, je pense, était de pouvoir garder dans les services de soins les infirmières expérimentées en néonatologie, puisqu'elles dépendaient du référentiel de 1992 - le référentiel infirmier, dans lequel il y avait un module de pédiatrie - et étaient donc formées à s'occuper de l'enfant. Le décret parle bien « d'infirmière en puériculture ou infirmière expérimentée en néonatologie ». Cependant, au cours des années, on a pu donner une autre définition du terme « expérimentée ».

Depuis le nouveau référentiel infirmier de 2009, la pédiatrie n'est plus enseignée auprès des infirmières. À la sortie du DE, elles peuvent très bien être embauchées dans des services de réanimation néonatale, soins intensifs, néonatalogie sans avoir aucune connaissance. Or la compétence correspond à la connaissance évaluée en situation : n'ayant pas de connaissances, elles n'ont pas de compétence. Elles seront formées par mimétisme et ne prodigueront pas du soin personnalisé.

Cette médecine a énormément évolué depuis 1998. L'accompagnement des parents est de plus en plus présent. On a ouvert les services aux parents 24 heures sur 24 et on s'est rendu compte que pour ces enfants, il fallait que les parents soient présents au maximum auprès d'eux. On a aussi développé les soins de développement, ce qui permet d'améliorer l'avenir de ces enfants nés trop tôt. Il faut être forcément extrêmement formé pour pouvoir s'occuper des enfants prématurés. Or, il y a de plus en plus de naissances prématurées en raison de l'augmentation de l'obésité maternelle, des grossesses tardives et de la PMA.

Les puéricultrices sont dépendantes de la politique de recrutement des hôpitaux. Si l'hôpital a décidé de mener une politique de recrutement d'infirmières, il n'y aura pas de puéricultrices dans ses services. C'est peut-être une question d'économie, puisqu'une infirmière coûte légèrement moins cher qu'une puéricultrice. Après le covid, la prime de soins critique a été mise en place au bénéfice des infirmières et non des puéricultrices, avec des arguments quelquefois un peu légers, sans prendre en compte les compétences supplémentaires des puéricultrices.

Les puéricultrices ont pourtant toute leur place dans les services de soins de néonatologie, de réanimation néonatale et de soins intensifs néonataux. Elles ont aussi leur place dans le transport des prématurés. 

Elles peuvent préparer l'accompagnement parental dès la maternité. La puéricultrice va expliquer aux parents qu'ils sont des partenaires de soins. Il faut mobiliser deux soignants ou les parents pour pouvoir faire les soins afin de limiter le stress provoqué auprès de ces bébés. Ce sont des enjeux pour son avenir et son développement psychomoteur.

L'allaitement maternel, par exemple, c'est souvent la seule chose qu'une mère peut mettre en place pour son bébé prématuré.

Lorsqu'une puéricultrice s'occupe d'un enfant prématuré, elle accompagne aussi les parents dans des situations où, hélas, la mort est aussi prégnante. Il faut pouvoir les accompagner dans l'attachement, voire les amener à se détacher. Il faut des compétences particulières pour cela.

Il est important de reconnaître la pénibilité du travail en réanimation néonatale, la souffrance, la tension liée à l'urgence et le risque de décès qui est prégnant. La réanimation est un des services où il y a le plus de décès. Ce sont des soins extrêmement techniques sur des tout-petits.

Le décret de 1998 a donné le choix aux établissements de remplacer les auxiliaires de puériculture par des puéricultrices ou des infirmières. Quand on fait les soins à quatre mains, c'est soit avec les parents, soit avec une collègue. Cela veut dire qu'il y a un autre enfant qui est un peu plus seul pendant ce moment-là. Remettre les auxiliaires de puériculture serait là aussi une grande avancée.

Le décret de 1998 laisse le choix aux institutions. Positionner la puéricultrice comme obligatoire dans les services de réanimation néonatale, soins intensifs et néonatalogie, ce serait déjà aussi une grande avancée et mettrait en avant ces compétences.

Il faudrait augmenter le temps consacré à l'analyse de pratiques professionnelles, car il est très important de pouvoir réfléchir à ses pratiques de soins pour améliorer l'accueil des parents et de leurs enfants. Il faut aussi augmenter le temps de formation continue. Les hôpitaux sont contraints par la gestion RH, nous avons donc beaucoup de mal à dégager du temps pour que les professionnels se forment.

Nous préconisons aussi de valoriser le temps consacré à la formation des pairs et des étudiants. Actuellement, beaucoup de puéricultrices sont formées par des infirmières. Il avait été question de valoriser ce temps de tutorat lors du décret de 2009, mais cela n'a jamais été fait.

Enfin, il faut valoriser les compétences de la puéricultrice en la positionnant comme la référente du parcours du nouveau-né, de la réanimation néonatale à la sortie au domicile. Il serait utopiste de prétendre mettre une puéricultrice pour chaque enfant parce qu'il faudrait en former énormément et, pour l'instant, on n'arriverait pas aux quotas. En revanche, rendre obligatoire la présence d'une puéricultrice dans ce genre de service et reconnaître et mettre en valeur ses compétences sur la prévention et sur l'accompagnement permettrait d'améliorer la prise en soin de l'enfant et de ses parents. Cela sécuriserait aussi le transport néonatal, notamment parce que la puéricultrice possède des compétences techniques très importantes.

Isabelle Claudet, pédiatre à Toulouse, a réalisé en 2011 une étude comparant, sur une simulation de réanimation pédiatrique, les compétences des infirmières à celles des puéricultrices. Les puéricultrices ont été plus compétentes sur une prise en charge d'urgence. Elle a pu mettre en place, ensuite, des ateliers où les puéricultrices formaient les infirmières. C'est tout à fait ce qu'on peut demander dans les services de soins : qu'elles soient reconnues comme celles qui savent et qui forment les autres aux soins à l'enfant prématuré.

Il faut que tout cela soit institué le plus précocement possible, et que les parents soient considérés dès le début comme des partenaires de soin.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Les infirmières puéricultrices ont des compétences importantes, mais qui accompli les missions actuellement les missions que vous mentionnez, puisque vous nous expliquez qu'il y a beaucoup d'infirmières et que les puéricultrices ne sont pas assez présentes ? Avez-vous des formations dans tous les domaines que vous avez évoqués ? Quelles sont vos spécificités par rapport justement aux autres professionnels de santé que nous avons rencontrés et estimez-vous être les seules à pouvoir réaliser certains actes ?

Elisa Guises. - Il existe bien sûr des actes que tout le monde peut réaliser, parce qu'il suffit de les faire et de les répéter, mais seule la compétence permet qu'ils soient parfaitement en adéquation avec les besoins du moment.

Plus il y a d'infirmières non spécialisées dans un service, plus les médecins doivent s'investir pour les encadrer et assurer la sécurité. Lorsqu'il y a des puéricultrices, ils peuvent davantage s'appuyer sur les connaissances et les compétences ce celles-ci pour déléguer une partie de leur travail et ils se sentent plus sécures dans l'encadrement de l'enfant. Le nombre de puéricultrices joue donc aussi sur la charge de travail des médecins.

Katia Saby. - Je suis une puéricultrice de terrain. J'ai travaillé dix ans en réanimation néonatale et pédiatrique. J'ai également exercé en tant que directrice d'établissement semi-hospitalier d'accueil de jeunes enfants pour ensuite me diriger vers une autre pratique aujourd'hui. La différence avec mes collègues infirmières, c'est que si nous avons le même métier socle, c'est-à-dire l'acte de soin, la relation d'aide, le bien-être du patient, ma plus-value réside dans la formation de puéricultrice que j'ai effectuée au cours de mon travail. J'ai travaillé trois ans en réanimation néonatale, mais je me rendais bien compte qu'il y avait des choses qui me manquaient et que ma pratique pouvait être défaillante. Je suis venue mettre des lunettes dans ma pratique professionnelle et je me suis rendu compte à quel point j'avais parfois été maltraitante, malgré moi, auprès de ces enfants qui étaient si fragiles.

La théorie de l'attachement de John Bowlby, par exemple, est un des socles premiers de notre formation de puéricultrice. L'attachement est très important dans la tranche du 0-3 ans. Ce sont les fondations de l'être et de la relation sociale à l'âge adulte. Nous sommes formées à détecter les troubles, à accompagner les difficultés d'attachement, autant du côté parental que du côté du bébé nouveau-né. Malgré notre année de formation, il nous faut encore mûrir cette expertise de l'attachement. On parle de banding, de caregiving, de caregiver,.. c'est vraiment du vocabulaire très spécifique et un regard extrêmement spécifique. Il est difficile de faire reconnaître notre expertise de l'enfant, parce que notre travail ne se voit pas, mais une infirmière n'est pas capable de déceler des troubles dans la capacité d'attachement, du parent si elle n'a pas eu de formation initiale à l'attachement.

En outre, il faut avoir recours à des modèles particuliers pour comprendre les bébés. Les soins de développement, notamment, parlent de la théorie synactive : on va regarder le bébé en profondeur et parler de son aspect végétatif, de son moteur, de son sommeil, de son alimentation, de sa capacité d'interaction. Nous sommes formées à faire du repérage sur le développement de l'enfant dès le stade du nouveau-né prématuré : nous pouvons voir qu'un enfant se laisse mourir ou qu'il est en cours de dépression. Cela nous permet de tisser le lien d'attachement avec le parent et de lui dire : « vous êtes ce corrégulateur qui va aider l'enfant à traverser cette période difficile ». Nous pouvons faire ce travail de finesse d'attachement qui peut ensuite diminuer les violences infantiles, qui peut diminuer également les handicaps, qui peut même diminuer le suicide maternel puisqu'on est là pour rendre la mère compétente. Nous nous étions proposées pour contribuer à l'entretien postnatal précoce parce que nous avons les compétences pour repérer la dépression de l'adulte puisque notre formation socle est l'adulte, mais aussi la dépression de l'enfant. L'infirmière n'a pas cette expertise.

Véronique Garlis Boulaire. - Vous demandez qui fait ce travail : ce sont les infirmières qui le font, mais nous devons aujourd'hui nous interroger, puisque cela ne va pas. Elles sont dans le mimétisme.

J'ai moi aussi commencé comme infirmière et effectué ma formation de puéricultrice par la suite et je me suis dit « Pourquoi je travaillais comme cela avant ? » La puéricultrice prend en charge globalement l'enfant et établit des liens, ce que les infirmières ne peuvent pas faire puisqu'elles n'ont pas les connaissances. Un enfant peut changer de services au cours d'une même une journée en périnatalité ; des puéricultrices l'accompagnent.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Il y a aussi des médecins.

Véronique Garlis Boulaire. - Bien sûr. On travaille à l'hôpital, donc on travaille en équipe, tous ensemble.

Anne Metivet. - Notre propos n'est pas de dire que les autres font mal. Nous nous battons pour nous rendre visibles. La population générale ignore ce qu'est une infirmière puéricultrice. Très peu savent que nous sommes d'abord infirmières ou sages-femmes. Sur le terrain, en revanche, notre expertise est connue, car les parents et professionnels savent très bien faire la différence. Nous avons un vrai besoin de visibilité, de reconnaissance de tout cet appui scientifique et théorique sur lequel nous travaillons pendant une année de formation.

Le travail est fait, oui, mais il peut être encore mieux fait si on met les bonnes personnes au bon endroit, avec les bonnes compétences, justement pour faire monter tout le monde en compétences.

Katia Saby. - Nous sommes centrées sur l'enfant. Les parents sont à la recherche d'une information juste. Nous repérons dans tous nos lieux d'exercice qu'ils sont confrontés à des discours sur la parentalité, du coaching parental, du matériel inadapté promu par des publicités, et s'y engouffrent. Cela nous effraye. C'est une vraie difficulté pour nous et un vrai danger pour l'enfant.

Elisa Guises. - Il serait utile de réactiver une commission de surveillance de ces publicités, car on trouve des choses absolument inadmissibles, que l'on peut en plus se procurer facilement sur Internet. Il y a l'idée que plus on a d'objets de puériculture autour de son enfant, mieux c'est.

Katia Saby. - Nous ne pouvons rien faire contre le commerce, mais nous pouvons sensibiliser les parents dans l'espace périnatal, en lien avec les autres professionnels.

Elisa Guises. - En outre, l'objet de puériculture remplace parfois le parent : pour eux, cela assure une sécurité qu'eux-mêmes n'ont donc pas à assurer.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Merci pour vos interventions. Je laisse la parole à notre rapporteure Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Concernant la formation, pouvez-vous préciser qui peut y accéder, quelles sont les statistiques ? Est-ce qu'il manque des écoles de formation sur le territoire ? Est-ce que c'est homogène ou hétérogène sur l'ensemble du pays et les Outre-mer ?

Pouvez-vous exercer en libéral ?

Pourquoi 13 % des familles seulement sont-elles suivies en PMI ? Est-ce que les autres préfèrent être directement suivies chez le pédiatre, par exemple, ou chez le médecin généraliste, et qu'est-ce qui est possible pour remédier à cela ? Cela veut dire qu'il y a peut-être des familles qui ne sont peut-être pas suivies du tout, ou alors ce sont les familles les plus paupérisées qui viennent en PMI.

Anne Metivet. - Une puéricultrice peut être soit infirmière, donc trois ans d'études avec un diplôme d'État, soit sage-femme. Le référentiel de formation date de 1983. Il s'agit de la dernière spécialité à ne pas avoir été réformée. La formation dure douze mois, la moitié de stages, la moitié de cours théoriques, avec des programmes extrêmement lourds. Concernant le nombre d'écoles, deux ont été ouvertes cette année, à Brest et à Poitiers, mais nous nous heurtons à une importante problématique d'attractivité. La difficulté à recruter soit de jeunes infirmières, soit des infirmières en formation s'explique en partie par un manque de financement des établissements. En outre, de plus en plus de CAE (contrat d'allocations et d'études) sont proposés aux étudiants en soins infirmiers dès la deuxième année, qui les engagent pour au moins 18 mois après le diplôme. Même s'ils ont ce projet de faire la spécialité en puériculture, on connaît les difficultés financières des étudiants : ils s'engagent dans un CAE et une fois qu'ils sont en poste, ils ne viennent plus en formation. On constate aussi une chute du nombre d'infirmiers diplômés. Forcément, s'il y a moins d'infirmiers, il y a moins de spécialités.

L'une des pistes d'amélioration serait de réformer le diplôme sur un niveau master, avec de la pratique avancée et une vraie entrée dans l'université. Nous sommes la seule spécialisation à ne pas être en lien avec l'université. Toutes les associations qui sont présentes ici ont travaillé à la réingénierie du diplôme et tout est prêt pour les discussions. Le manque d'attractivité est dû aussi à ce niveau qui n'est ni une licence, ni un master, ni un M1.

Véronique Garlis Boulaire. - L'école de Brest, qui vient d'ouvrir, a pu présenter 60 personnes au concours cette année. Il faut savoir aussi que l'école de puéricultrices n'est pas prise en charge par les hôpitaux ; il n'y a pas de promotion professionnelle ou très peu, en fonction de la politique de l'hôpital. La scolarité coûte entre 8 500 et 12 000 euros l'année.

Par ailleurs, les jeunes étudiantes tombent de haut puisque, comme notre référentiel a 40 ans, on a encore des tests psychotechniques et un entretien. Les puéricultrices en formation sont des jeunes femmes très motivées, car il faut étudier 18 ans de vie en 12 mois.

Elisa Guises. - Notre diplôme d'État a été créé sous le nom « Puéricultrices ». Toutefois, devant la difficulté de compréhension de ce nom par les familles en particulier, qui confondaient souvent auxiliaire de puériculture et puéricultrices, nous disons maintenant « infirmière-puéricultrice » pour bien valoriser le fait que nous sommes une spécialité qui complète une formation d'infirmière.

Katia Saby. - Il y aurait environ 1 200 infirmières puéricultrices installées en libéral en France, sous un statut conventionné ou le plus souvent non conventionné, puisque les compétences de puéricultrices ne font l'objet d'aucun parcours de soins ni d'aucune nomenclature. Et de ce fait, les infirmières puéricultrices en libéral exercent leur coeur de métier en non conventionné. Beaucoup de puéricultrices font du soin technique infirmier classique auprès des enfants, mais sont aussi obligées d'avoir une patientèle adulte pour assurer leurs finances.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Il n'existe pas de codification des actes de puériculture ?

Katia Saby. - Non.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Qui vous adresse les patients en libéral ? Est-ce une démarche individuelle, volontaire, ou est-ce que vous faites partie d'un parcours de soins ? Est-ce des patients vous sont adressés par l'hôpital, la maternité, des médecins, ou des pédiatres ?

Katia Saby. - Nous ne faisons pas partie d'un parcours de soins normé. Pour ma part, je suis installée en libéral depuis deux ans et demi ; j'ai la chance d'avoir tissé un réseau dans la pédiatrie et le réseau périnatal du département où je travaille. Les patients me sont adressés par des médecins généralistes, des pédiatres, des sages-femmes, mais aussi des kinésithérapeutes, des ostéopathes, le bouche à oreille ou Internet.

La consultation n'étant pas remboursée, j'effectue beaucoup de consultations bénévoles car il n'est pas toujours acceptable, pour moi, de refaire payer 50 euros pour une consultation de suivi.

Elisa Guises. - La PMI est un outil merveilleux, créé en 1945, que beaucoup de pays nous envient. Malgré tout, elle ne rencontre pas le succès qu'elle mérite. Il reste l'image selon laquelle la PMI est destinée aux familles en difficulté, ou l'idée que les professionnels au sein des PMI sont surchargés de travail. Il est également possible qu'il n'y ait pas suffisamment de publicité en maternité. Les puéricultrices de PMI pourraient venir en maternité présenter ce qu'elles font, ce qu'elles sont, comment elles travaillent et ce qu'elles peuvent accompagner. Il faut que toutes les familles qui ont seulement besoin de parler de leur enfant puissent avoir accès à la PMI.

Il y a peut-être également un effet secondaire du PRADO, parce que les sages-femmes vont très précocement au domicile, ce qui entraîne un retard dans le lien avec la PMI. Peut-être que les familles ont l'impression que la PMI est moins utile.

M. Laurent Somon. - Je suis très surpris de ce taux de 13 % de recours à la PMI. Existe-t-il des explications territoriales ? Dans le Nord, par exemple, il y a beaucoup de bus et une très bonne relation, a priori, avec les hôpitaux.

Elisa Guises. - Il y a certainement une hétérogénéité. Il existe aussi un phénomène qui s'est produit depuis quelques années : le manque de médecins en PMI et le relais qui se fait petit à petit par les puéricultrices. En effet, on s'est rendu compte que le médecin assurait beaucoup de consultations de suivi du développement de l'enfant, pas obligatoirement centrées sur de la pathologie, et que les puéricultrices pouvaient assez facilement prendre le relais. C'est ce qui se fait d'ailleurs dans beaucoup de départements.

Les PMI ont baissé un petit peu leurs prétentions dans beaucoup d'endroits parce qu'elles ne prennent quasiment plus en charge les enfants au-delà de deux ans. Elles se centrent essentiellement sur les plus petits, ce qui est une excellente chose compte tenu des besoins primordiaux, mais ce qui affaiblit la prise en charge plus tard.

Les puéricultrices peuvent prendre le relais, mais le problème est que les consultations de médecins à la PMI sont remboursées par l'Assurance maladie, ce qui n'est pas le cas de celles des puéricultrices puisque nous n'avons pas de nomenclature. Là, il y a une amélioration possible.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Elles ne sont pas remboursées comme infirmières, puisque vous êtes infirmière puéricultrice ?

Elisa Guises. - Quelquefois, elles déclarent un AMI. Dans certains départements, c'est considéré comme un acte infirmier. Il pourrait y avoir une nomenclature spécifique.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel serait votre positionnement idéal par rapport aux autres professions, que ce soit les médecins, les pédiatres, les sages-femmes, les infirmières et les puéricultrices ?

Anne Metivet. - Ce sont nos deux premières propositions. Réformer notre formation pour répondre aux besoins des enfants et des parents et placer la puéricultrice au coeur de ce parcours de santé de l'enfant. Nous avons aussi abordé la coordination du parcours. Si la puéricultrice était vraiment positionnée en tant que coordinatrice du parcours de soins de l'enfant, étant donné qu'elle peut être présente en anténatal, à la maternité et à tous les âges de la vie, cela permettrait d'avoir un parcours coordonné et d'éviter les échappatoires qu'on peut rencontrer aujourd'hui.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Nous avons aussi entendu cela chez les sages-femmes. Comment imbriquer tout cela ?

Katia Saby. - Nous avons l'habitude de travailler avec les sages-femmes. La sage-femme a une formation sur l'enfant jusqu'à 28 jours, puis la puéricultrice peut prendre le relais. Nous nous verrions vraiment comme un maillon, c'est-à-dire que la sage-femme serait référente de la femme, l'infirmière puéricultrice référente du parcours de soins de l'enfant et de la famille, et le médecin généraliste le référent de la famille. C'est une collaboration pluriprofessionnelle. Cela ne va pas se faire tout de suite. On a bien conscience qu'étant seulement 23 000, au vu du nombre de naissances par an, on n'y arrivera pas.

Anne Metivet. - La présidente du CNP a bien dit que l'expertise de la sage-femme, c'était la grossesse et tout le post-partum immédiat. Notre expertise porte sur la santé de l'enfant. L'entrée à l'université de notre parcours de formation serait une reconnaissance de cette expertise.

Mme Céline Brulin. - Certains pays ont-ils déjà ce type de parcours coordonné ?

Elisa Guises. - La puéricultrice telle que nous la connaissons n'existe qu'en France. L'Europe aurait intérêt à travailler sur ce sujet. Ce travail avait été démarré par une ancienne directrice d'école qui représentait les puéricultrices à Bruxelles, mais il n'a jamais abouti à la création d'un métier unique cohérent en Europe.

Cependant, on retrouve des éléments de ce que nous sommes dans différents pays. Par exemple, en Irlande ou même en Écosse, il existe une infirmière de la santé de la mère et de l'enfant, qui est un petit peu ce qu'est la puéricultrice de PMI. Le Luxembourg est en train de créer une formation de puéricultrice.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Qu'en est-il des outre-mer ?

Anne Metivet. - Les puéricultrices viennent souvent se former en métropole, puis retournent dans les DROM où elles forment leurs collègues infirmières. Il existe quand même quelques écoles à la Réunion, à Mayotte et en Guyane.

Faire reconnaître ce diplôme au niveau européen offrirait aussi aux puéricultrices une mobilité internationale. En Europe, ces diplômes ont toujours un niveau Master.

Elisa Guises. - En outre-mer, les puéricultrices ont plus de responsabilités qu'en métropole, par manque de médecins. Par exemple, en PMI, elles assurent souvent des consultations depuis longtemps.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Je vous remercie. Nous allons très rapidement vous faire parvenir un questionnaire auquel vous voudrez bien nous donner une réponse détaillée.

Audition d'associations - Mme Charlotte Bouvard, directrice fondatrice, et M. Vincent Desdoit, responsable de la formation et des relations avec les soignants, de SOS préma, Mmes Anne Evrard, co-présidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE), Marie-Pierre Gariel, trésorière de France assos santé

(Mercredi 3 avril 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi trois associations agréées pour représenter les patients et les usagers du système de santé : le Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance), France assos santé, collectif d'une centaine d'associations, représenté ici par une administratrice de l'Unaf (Union nationale des associations familiales) et Sos Préma, association d'aide aux familles confrontées à la prématurité ou à l'hospitalisation de leur nouveau-né.

Après avoir entendu de nombreux professionnels de santé au cours des deux dernières semaines, ainsi que des chercheurs en épidémiologie hier, il nous a semblé essentiel de recueillir les réflexions et préoccupations des premières personnes concernées : les jeunes mères et les familles des nouveau-nés.

Nos premières auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risques, liés à un âge maternel plus tardif, à une augmentation de la précarité, à une plus forte prévalence de l'obésité et à une santé mentale dégradée. Vous nous direz quel regard vous portez sur la prise en compte de ces facteurs de risques dans notre système de santé actuel.

Nous voulons surtout échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et sur l'organisation des soins qui leur sont proposés, d'un point de vue tant médical que territorial.

Si les mères semblent globalement satisfaites de la prise en charge de leur grossesse - qui fait désormais l'objet d'un accompagnement très complet - mais aussi de leur accouchement, cette appréciation pourrait évoluer dans le cadre des réflexions en cours sur le maillage territorial des maternités et sur l'équilibre entre proximité d'une part et qualité et sécurité des soins, d'autre part. En effet, dans un contexte de pénurie de professionnels de santé et de difficultés structurelles d'un certain nombre de maternités, contraintes à des fermetures temporaires plus ou moins longues, l'académie de médecine a recommandé l'année dernière une rationalisation du nombre de structures. Il nous sera donc intéressant d'entendre vos réactions à ce rapport et votre analyse des préconisations de l'académie.

Par ailleurs, il nous semble que des leviers existent pour améliorer le suivi post-natal des mères et de leurs bébés, notamment s'agissant des plus vulnérables. Vous nous direz quel regard vous portez sur ce suivi, sur la façon dont les usagers perçoivent l'articulation entre hôpital, médecine de ville et protection maternelle infantile (PMI), et vos recommandations en la matière.

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour que vous puissiez présenter les principaux enjeux identifiés par vos associations. Dans un premier temps, vous voudrez bien limiter votre intervention à quelques minutes pour chacun de vos trois organismes. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, notre rapporteure, pour une première série de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Charlotte Bouvard, directrice fondatrice de SOS préma. - Je vous remercie de votre invitation car il est important d'entendre les usagers du système de santé. Je vous présente également mes excuses car comme je vous l'avais indiqué, il me faut partir dans 30 minutes car j'ai une obligation familiale à laquelle je ne peux pas échapper. J'ai fondé l'association SOS préma il y aura 20 ans en octobre prochain, après une expérience personnelle de la prématurité. Je suis venue avec Vincent Desdois, également « père » fondateur de SOS préma : il est responsable de la formation et des relations avec les hôpitaux et connaît bien l'organisation des soins. Nous sommes venus à deux mais, en réalité, à bien plus puisque, derrière la porte, vous avez 55 000 nouveau-nés prématurés, qui naissent chaque année avant huit mois de grossesse, 100 000 pères et mères concernés par des grossesses multiples ainsi que 400 000 grands-parents. De plus, comme on ne sait qu'à sept ans s'il y a des répercussions de cette prématurité sur l'enfant, il faut multiplier par sept ces chiffres et ce sont donc 3,5 millions de personnes qui sont devant le Palais du Luxembourg et attendent de nous tous que nous retroussions nos manches pour attaquer ce problème bien réel. J'ajoute à cette énumération tous les professionnels de la périnatalité avec lesquels nous avons fait alliance depuis de nombreuses années pour nous efforcer de parler d'une seule voix car nous avons tous le même objectif, à savoir l'enfant qui est l'adulte de demain. Aujourd'hui, je vous parle de l'enfant prématuré qui est le plus petit et le plus vulnérable. Pour illustrer la vulnérabilité de cet enfant, je vous montre la minuscule couche d'un nouveau-né prématuré en réanimation, d'environ cinq mois, comme ceux qui sont accueillis dans la maternité de l'hôpital Robert-Debré que vous avez visitée. La vulnérabilité est également celle de la famille de ces enfants, puisque la prématurité agit comme un accident et un traumatisme dans la vie de l'entourage et des parents, en produisant un effet domino. Il y a d'abord l'accident et l'accouchement prématuré, où on donne la vie en présence de la mort à ses côtés, et après il peut y avoir la précarité sous forme de divorces ou de dépressions. On a parlé de 19 % de dépressions au cours de vos auditions et la proportion dépasse 40 % pour les mamans de SOS préma ; nous n'avons pas de chiffres concernant les pères, mais je pense que les proportions sont assez voisines. S'ajoutent aux divorces et aux dépressions les séquelles médicales qui sont autant de problèmes humains et sociaux rendant cette population particulièrement vulnérable et dont il faut prendre soin : ce n'est pas de l'assistanat mais de l'assistance à famille en danger. L'équation est simple car on sait ce qu'il faut faire : vous avez entendu les solutions proposées par les professionnels et, tous ensemble, nous les appuyons. La tâche est cependant complexe parce qu'elle concerne le système dans son ensemble et il faut également beaucoup de courage politique pour s'y attaquer car elle implique la réorganisation des accouchements avec la fermeture des petites maternités - j'y reviendrai. Relever le défi implique aussi l'implémentation des soins de développement - qui sont les meilleurs -, une réorganisation et l'uniformisation d'un bon suivi.

Tout d'abord, je sais que tout le monde n'est pas d'accord sur ce point mais en tout cas SOS préma souhaite la fermeture des petites structures qui mettent en danger la vie des femmes et des enfants.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par petites structures ?

Mme Charlotte Bouvard. - Je commencerai par inclure dans cette catégorie les 50 petites structures qui sont hors la loi car elles sont dépourvues de pédiatres : cela a déjà été mentionné dans vos auditions et ce n'est pas acceptable pour les usagers. Ceux qui le savent, comme le disait je crois le professeur Rozé, n'y enverront jamais leurs amis ou leurs enfants, mais ceux qui ignorent l'absence de pédiatre de garde iront dans ces maternités et seront ainsi envoyés dans un lieu « insécure ». Nous souhaitons donc une réorganisation des maternités avec des grandes structures rassemblant plusieurs projets de soins - puisque chaque famille doit avoir son projet d'accouchement ou de naissance - attenant à des plateaux techniques : cette contiguïté est fondamentale pour la sécurité. Je suis très en colère contre les politiques locaux qui vont faire passer leur intérêt électoral avant la sécurité de leurs concitoyens.

(Murmures de désapprobation de M. Patrice Joly)

Si on informe les mères et les jeunes parents des risques encourus en cas d'accouchement dans des maternités sans pédiatre, je pense que ces personnes n'iront pas manifester et je souhaite donc vraiment que cette population soit renseignée.

Deuxièmement, il faut implémenter les meilleurs soins : on les connaît puisqu'il suffit d'oberver, dans les pays du Nord, la pratique des soins de développement. Il s'agit de soins individualisés, basés sur l'observation de l'enfant et centrés sur l'enfant ainsi que sa famille, avec une obligation de présence des parents 24 heures sur 24. On a déjà perdu 14 ans pour les systématiser puisque, dès 2010, une étude scientifique a démontré que ces soins de développement donnés par les parents - allaitement, peau à peau, etc. - réduisent le temps d'hospitalisation de 5,3 jours, améliorent le développement de l'enfant à tous les niveaux et le lien parent-enfant. Qu'est-ce qu'on attend pour rendre ces soins de développement obligatoires ?

En troisième lieu, il faut organiser et uniformiser un suivi de qualité. On peut par exemple s'inspirer des parcours de soins précoces et coordonnées du nouveau-né vulnérable (Cocon) de prise en charge des enfants vulnérables : lancés dans le sud de la France, ces parcours sont en train de se généraliser.

En conclusion, nous sommes depuis presque 20 ans sur le terrain. Nous avons 85 antennes en France et nous sommes nombreux ; on vous offre notre expertise, mais il faut du courage politique dans ce domaine et on compte vraiment sur vous.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Connaissez-vous le nombre de prématurés qui naissent en maternité de type 1 et disposez-vous de statistiques par rapport aux maternités de type 2 et 3 ? Dans le cas contraire, pourrez-vous nous aider à nous les procurer ?

Mme Charlotte Bouvard. - Parfois, les accouchements ne se passent malheureusement pas au bon endroit ; en tout cas, sur les 55 000 naissances prématurées, 85 % ont lieu entre sept et huit mois et 15 % en dessous de sept mois ; ces dernières peuvent nécessiter une réanimation et tout dépend, entre autres, de la maturité pulmonaire. Je ne dispose pas de chiffres détaillés permettant de vous donner les chiffres précis sur les naissances « au mauvais endroit » mais je pense que la Société Française de Néonatologie (SFN) pourrait vous répondre sur ce point.

M. Vincent Desdoit, responsable de la formation et des relations avec les soignants de SOS préma. - En complément, j'indique que les chiffres que vous recherchez sont très difficiles à obtenir car il s'agit d'incidents dont on ne se vante pas. On utilise aujourd'hui le terme de naissances dite « outborn » quand elles ont lieu dans une maternité de type non adapté ; ce n'est pas le genre de données qu'on cherche à mettre en avant et des rapports ne mentionnent même pas le nombre détaillé d'enfants qui ne naissent pas au bon endroit, entre les niveaux 2A, 2B et 3. Je pense qu'il a beaucoup trop et beaucoup plus de mauvaises orientations qu'on ne le croit habituellement.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - C'est un problème récurrent : on dispose de données fragmentées mais pas de données consolidées. J'ose espérer qu'il y a une transparence dans les déclarations mais les événements ne sont pas reliés au type de maternité. Il faut donc avancer sur le sujet mais, pour le moment, le mode de recueil de données et de consolidation de ces dernières nous empêche d'avoir des informations significatives.

Mme Charlotte Bouvard. - Exactement, on a un problème de recueil de données car la France est, je crois, à peu près le seul pays n'ayant pas de registre adapté.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous nous direz si, par l'intermédiaire de votre association, vous pouvez vous procurer des informations plus précises à ce sujet.

Mme Anne Evrard, co-présidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE). - Merci de me recevoir. Je représente ici le Collectif interassociatif autour de la naissance qui rassemble une vingtaine d'associations intervenant dans le champ qui va du désir d'enfant jusqu'au premier mois avec l'enfant. Nos membres sont à la fois des associations généralistes et des associations ciblées sur certains types de situations, comme des femmes ayant vécu ou allant vivre une césarienne et femmes souffrant de pathologies particulières. L'Alliance Francophone pour l'Accouchement Respecté (AFAR), qui est également membre de la CIANE, s'occupe plutôt des liens avec les autres associations francophones.

J'axerai mon propos sur deux points. Je vous ai d'abord transmis le rapport élaboré à partir d'une enquête que nous avons menée en 2021 - et publiée en 2022 - qui, en collaboration avec Santé Publique France, a tenté de savoir si le système de soins actuel en périnatalité était plutôt pourvoyeur de sécurité ou d'insécurité, au niveau du vécu, pour les femmes et les bébés. Il en ressort que, sauf sur quelques points spécifiques, les femmes interrogées dans l'enquête nationale périnatale se déclarent globalement satisfaites de leur suivi. Cependant, le suivi de grossesse et l'organisation des soins ont été globalement perçus comme un facteur d'insécurité maternelle. C'est un point paradoxal car il ne s'agit pas nécessairement d'un facteur d'insécurité médicale - bien que cet aspect puisse aussi être présent, j'y reviendrai - mais d'un réel facteur de stress et d'insécurité personnelle ou émotionnelle dès le début de la grossesse, avec la recherche du professionnel qui devra suivre la grossesse et une organisation morcelée renvoyant les femmes à des interlocuteurs multiples, pas toujours choisis, et ce jusqu'à leur retour à la maison. On constatait alors que l'état émotionnel des femmes au moment de l'accouchement et du retour à la maison était extrêmement préoccupant ; leur sécurité, tant physique que psychique, était souvent insatisfaisante, selon les déclarations de ces femmes.

Mme Annick Jacquemet, présidente- Parlez-vous d'une émotion naturelle ou d'un état de stress relié à la difficulté de trouver des professionnels de santé ?

Mme Anne Evrard. - En l'occurrence, il s'agit bien d'émotions imputables au parcours, à la fois dans la recherche des professionnels et du lieu de naissance. Je souligne que les femmes, en milieu rural, sont confrontées à l'éloignement des maternités mais il ne faut pas oublier les zones urbaines ou périurbaines où les maternités ne sont pas forcément facile d'accès, avec des difficultés de transport pour des populations n'ayant pas de moyens personnels de mobilité. On a donc tendance à penser que les territoires qui posent le plus de problèmes aux parents sont situés en zone rurale mais on constate que ce n'est pas seulement le cas puisque les zones urbaines et le phénomène des banlieues peuvent générer de réelles insécurités en raison du manque de transports en commun. Cette insécurité anxiogène a été constatée au stade du suivi de la grossesse ainsi que par une prise en compte insatisfaisante des besoins globaux de la mère au moment de l'accouchement et dans les suites de couches : près d'un tiers des multipares et près de la moitié des primipares ont indiqué qu'on n'avait pas porté assez attention à leur forme physique et psychique au moment de leur séjour en maternité.

Je sors à l'instant de la journée de rendu du rapport sur la mortalité maternelle et je pense qu'on ne peut pas aborder la question périnatale en séparant, d'un côté, l'organisation des soins, du réseau ou du maillage territorial et, de l'autre, les pratiques. Sans nécessairement différencier le type de maternité, ce rapport s'est interrogé sur la mortalité infantile dans les années 2016-2018 en confirmant les données du rapport précédent, à savoir que la principale causes de mortalité maternelle est d'abord le suicide dont le niveau s'est maintenu ; à ce sujet, les rapporteurs ont fait remarquer que les prochaines données prendront en compte la période Covid et post-Covid pendant laquelle la santé mentale ne s'est pas améliorée, ce qui fait craindre une dégradation des chiffres de suicide dans les publications ultérieures. S'agissant des autres causes, comme les maladies cardiovasculaires, et même si l'hémorragie a largement régressé, la question des prises en charge reste au coeur des causes de mortalité. En matière d'hémorragie, 95 % des décès étaient évitables et 94 % étaient en lien avec l'organisation des soins. La logique est la même pour les suicides, avec 79 % des suicides évitables et 70 % liés à l'organisation des soins.

Les enjeux en périnatalité ont sans doute beaucoup évolué et on ne peut plus réduire celle-ci au suivi de la grossesse et à l'état de la mère et de l'enfant au sortir de la maternité. Les avancées dans le champ du neurodéveloppement dictent une approche beaucoup plus globale car on connaît maintenant les effets sur l'enfant de la mauvaise santé des parents. De plus, des études commencent à être publiées sur l'état de santé maternel et paternel, avec au moins 10 % des pères impactés par la dépression post-partum. Malgré cette prise de conscience, l'approche demeure a priori très peu coordonnée ; la politique périnatale n'est pas très claire, avec des régions qui fonctionnent de façon très différenciée selon les l'ARS (agences régionales de santé). En observant le fonctionnement et le mode de financement de ces dernières, j'ai l'habitude de dire qu'on a l'impression d'être dans un pays fédéral, ce qui est assez perturbant puisque nous sommes dans un État unitaire. On s'aperçoit aussi que certaines avancées qui allaient vers une meilleure prise en compte des besoins de la mère, de l'enfant et du père sont mises de côté. Malgré la politique des « 1000 premiers jours », on n'a pas non plus une feuille de route très claire pour les années à venir sur la prise en compte globale des besoins des parents et de l'enfant. Charlotte Bouvard a mentionné le cas des maternités qui manquent de pédiatre et j'ajoute que le système fonctionne encore sur la base de décrets de périnatalité anciens ; le travail d'actualisation amorcé avant la pandémie n'a pas abouti et il ne semble pas être remis sur le tapis. La situation actuelle soulève ainsi beaucoup d'interrogations sur la lisibilité des événements à venir pour garantir une politique cohérente.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - On nous a déjà beaucoup parlé de ces décrets.

Mme Marie-Pierre Gariel, trésorière de France assos santé. - Merci pour votre invitation. Je suis trésorière de France assos santé, collectif chargé de défendre les intérêts et de représenter les usagers du service du système de santé. Parmi les associations membres, l'Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) représente des usagers qui ne sont pas nécessairement malades et la diversité des associations que nous représentons permet de porter un regard plus global sur la santé et donc sur la périnatalité.

Je partage de nombreux propos qui ont été tenus par l'oratrice précédente.

Autant de parents, autant d'histoires, autant de situations différentes : telle est l'histoire humaine de la naissance. Une femme isolée pendant sa grossesse, son accouchement et par la suite, est d'une vulnérabilité absolument terrible. À l'inverse, une femme valorisée et soutenue par son mari ou son conjoint fera de ce moment, même s'il y a des difficultés, quelque chose de très beau. La vulnérabilité actuelle autour de la naissance se rattache donc souvent à l'instabilité conjugale et aux ruptures familiales. De nombreuses femmes se retrouvent seules à l'annonce de la grossesse et subissent, au milieu de quelque chose qui devrait être beau, une triple peine puisque dans bien des cas, les femmes ont pu penser à l'avortement mais n'y ont pas eu recours, elles gardent le bébé et se retrouvent seules.

Pendant la grossesse, la femme a besoin de soins parce qu'on est dans le domaine médical, mais pas seulement. En effet, la grossesse semble actuellement très surinvestie, l'arrivée d'un enfant devenant, pour certains, « la cerise sur le gâteau d'une vie réussie » avec énormément d'attentes et de besoins. En même temps, les situations sont extrêmement variées. Certaines femmes vivent très bien ce moment : de façon générale, le parcours de soins pour les femmes enceintes est très bien organisé en France et tout le monde dit qu'on s'y retrouve. Cependant, certaines femmes sont plus attachées à avoir une relation personnelle avec un acteur de la santé et regrettent effectivement la multiplicité de ceux-ci à travers les soins et les visites obligatoires. Certaines, qui ont besoin d'un rapport privilégié pour pouvoir se préparer à l'accouchement, auront la chance de pouvoir choisir une sage-femme qui leur sera dédiée et les mamans ou futures mamans parlent d'ailleurs entre elles de « ma » sage-femme quand elles sont enceintes. Les mères ont également besoin d'être rassurées et accompagnées pour l'accouchement ; je fais cependant observer qu'on ne parle pas assez de préparation pour les soins du bébé alors que les sorties de maternité sont extrêmement précoces. Ainsi, le temps qui autrefois était consacré à acculturer la maman et l'aider à prendre ce rôle de mère est révolu. Les familles étant très dispersées, les jeunes mères - au moins celles dont c'est le premier accouchement - se posent beaucoup de questions. Pendant la grossesse, j'appelle donc à être attentifs au besoin de calmer l'angoisse des mamans, sachant que le parcours de soins ou d'examens peut lui-même être anxiogène pour certaines d'entre elles ; je pense notamment au dépistage de la trisomie 21 qui comporte un écart temporel important entre la prise de sang et le résultat, ce qui est une source d'angoisse pour les mamans en tout début de grossesse. Le climat très anxiogène de cette période pour certaines femmes amène à suggérer de reconsidérer la grossesse comme un phénomène naturel, malgré le besoin de soins, en particulier pour les grossesses qui se passent mal et peuvent se traduire par une prématurité. De plus, la grossesse est un moment propice à faire de la prévention globale en insistant sur la lutte contre l'alcoolisation foetale et sur les bienfaits d'une bonne hygiène alimentaire de la maman. Nous plaidons beaucoup pour qu'une relation privilégiée de la mère avec une sage-femme permette de vivre cette période de façon positive.

On retrouve ensuite tout le spectre des possibilités au moment de l'accouchement avec, par exemple, l'angoisse de la durée de transport nécessaire pour aller à la maternité et l'éventuelle location d'une chambre d'hôtel à proximité pour être sûre d'arriver à l'heure. À l'inverse, d'autres mamans vont revendiquer l'accouchement à domicile parce qu'elles estiment que celui-ci est généralement trop médicalisé. Là encore, il faut faire preuve de souplesse et surtout garantir une visibilité du parcours de soins avec une articulation entre l'ensemble des acteurs que les mamans peuvent rencontrer et qui leur permettent de faire un choix éclairé sur le mode d'accouchement qu'elles vont finalement choisir, entre la clinique privée, l'accouchement à domicile ou le rapprochement des parents de la mère.

En sortie de maternité, j'insisterai sur la situation des femmes vulnérables qui dorment dans la rue avec leur bébé de cinq jours et pour lesquelles il faut trouver une solution d'hébergement ; les hôpitaux ont beau essayer de les garder quelques jours de plus, on leur dit que le coût de l'hospitalisation est trop élevé. Je mentionne également le très beau dispositif programme d'accompagnement de retour à domicile maternité (Prado) qui prévoit le passage d'une sage-femme à domicile, permettant ainsi aux mamans de poser les questions qu'elles n'avaient pas eu le temps de poser à la maternité. Certes il n'a pas de solution idéale car certaines mamans ne voulaient pas ouvrir la porte à ces sage-femmes de peur d'être vues en pleurs et sans maquillage : elles avaient besoin d'aide mais refusaient de montrer leur situation de détresse. On en revient à la problématique de l'isolement qui crée la vulnérabilité et appelle des réponses « d'aller vers ». Une bonne solution réside également dans la bonne information et dans l'attribution de plus de moyens aux PMI. Plusieurs rapports ont été consacrés à ces dernières et, en particulier un rapport de la Commission des affaires sociales du Conseil économique, social et environnemental dans lequel je siège, a montré que les PMI sont trop mal connues et trop dépourvues de moyens. Or ce sont, au moins dans les villes, des lieux de proximité facilement accessibles dans lesquelles les femmes pouvaient facilement se rendre.

Après quelques semaines, se pose la question du temps passé avec l'enfant et de la nécessité de repartir travailler très vite - dès deux mois et demi après l'accouchement - pour certaines mamans qui souhaiteraient pouvoir rester plus longtemps avec leur enfant. On aborde ici le sujet - qui n'est pas purement périnatal mais important pour le vécu de la mère et de l'enfant - du congé de naissance, avec un congé parental qui devrait être mieux rémunéré. C'est une demande que beaucoup de femmes n'osent pas formuler en raison de l'idée reçue selon laquelle la « superwoman » doit repartir en courant à son travail dès que son enfant atteint l'âge de trois mois : c'est très vrai pour certaines femmes et beaucoup moins pour d'autres.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour votre présence et pour nous avoir fait partager vos expériences de vie ainsi que la parole des membres de vos associations. Vous faites bien apparaître la distinction, par exemple, entre la vision d'une grossesse qui s'est interrompue prématurément et celle d'environnements familiaux plus soudés où les choses se passent mieux.

Je rappelle le but de notre mission d'information qui est de rechercher des facteurs de rééquilibrage global. On peut d'abord se demander si aujourd'hui, en France, les résultats globaux sont satisfaisants pour la sécurité de la maman et de l'enfant : un article récent paru dans « Le Monde » sur la mortalité infantile indique, sans être catastrophiste, que notre pays pourrait mieux faire dans ce domaine. Les facteurs à prendre en compte sont individuels - vous les avez un peu évoqués -, territoriaux et relèvent également de l'organisation de soins. Tel est notre sujet principal. Vous avez été très clairs sur certains points et je souhaite que vous puissiez nous donner plus de précisions sur l'équilibre entre proximité et sécurité qui vous semble le mieux adapté. Vous avez largement évoqué les critères de confort et de proximité de la famille mais je n'ai pas beaucoup entendu le mot de sécurité. À partir des témoignages des familles que vous accueillez dans vos associations, estimez-vous que ce critère de sécurité, est mis sur le même plan que celui du confort au moment de la déclaration d'une grossesse ?

Ensuite, pensez-vous nécessaire de renforcer l'information dans ce domaine ? En effet, on a entendu de la part de tous les professionnels qu'il subsiste effectivement des maternités sans pédiatres et que le fait de ne pas avoir un anesthésiste de garde 24 heures sur 24 sur place augmente de manière significative le risque de décès maternel et infantile, alors que tout le monde n'est pas informé de cette situation. Quel est votre regard à ce sujet ? Cette situation peut-elle et doit-elle doit évoluer ? Les facteurs de distance et de confort doivent-il être relativisés par rapport à l'exigence de sécurité ?

Mme Marie-Pierre Gariel. - Je rejoins vos préoccupations. Tout d'abord, certaines associations spécialisées dans le handicap soulignent que certaines femmes enceintes atteintes, par exemple, d'une déficience mentale légère ont besoin d'un accueil particulier, ce qui nécessite de trouver le bon lieu.

S'agissant de la sécurité stricto sensu, beaucoup de femmes choisissent bien entendu d'aller accoucher à certains endroits et pas à d'autres. Sur un territoire donné, les établissements hospitaliers et les maternités ont une réputation qu'il est parfois très difficile de modifier. Beaucoup de femmes se disent « moi je n'irai pas accoucher là parce qu'il n'y a pas de pédiatre ».

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La dimension réputationnelle est un sujet très intéressant mais la réputation n'est pas systématiquement facteur de sécurité. Avez-vous constitué des recueils ou un recensement des indications des familles qui vous disent, par exemple, qu'elles évitent certaines structures parce que les équipes de pédiatres sont insuffisantes ou parce qu'il n'y a pas d'anesthésistes ? Leur choix est-il, en revanche, guidé par un sentiment ou une réputation globale de la structure de santé ?

Mme Marie-Pierre Gariel. - J'ai envie de dire que les deux cas coexistent. Bien entendu, l'absence de pédiatre ou d'infrastructure de nature à les rassurer en cas de problèmes d'accouchement va inciter les femmes à choisir une autre structure, sauf pour celles qui sont tellement « zen » qu'elles vont préférer accoucher à domicile. Celles qui recherchent la sécurité de l'accouchement vont poser des questions à ce sujet pendant la grossesse et ces interrogations doivent être traitées par les personnels qui prennent en charge ces femmes, que ce soit en milieu hospitalier ou libéral. Pour répondre précisément à votre question, certaines femmes expriment clairement que leur choix est guidé par des motifs de sécurité.

M. Vincent Desdoit. - Il faut aussi réfléchir à l'information qui est délivrée à ces mères. Bien entendu, si à maternité équivalente, à service rendu équivalent en confort ou autres facteurs, une mère a le choix d'aller accoucher dans une maternité qui propose un anesthésiste de garde 24 heures sur 24 et un pédiatre plutôt qu'une structure ne disposant pas de ces deux dernières garanties de sécurité, le choix est fait d'avance puisque c'est alors une question de bon sens. Dans certains cas, la dimension héréditaire et familiale peut jouer, par exemple, pour une femme qui va se demander si elle ne devrait pas accoucher au même endroit que sa grand-mère ou sa mère. Cependant, à partir du moment où la notion de sécurité entre dans la balance, ce dernier critère devient prépondérant. La question fondamentale est celle de l'accès à cette information relative aux paramètres de sécurité, tout comme j'espère qu'on connaitra un jour combien il y a d' « outborn » dans les maternités de niveau. Je ne suis pas non plus certain qu'on tienne un registre en temps réel de la présence ou pas d'anesthésiste ou de pédiatre dans les maternités : la seule façon, aujourd'hui, de le faire savoir au grand public, c'est de fermer telle ou telle maternité par manque de pédiatre. C'est, contraint et forcé, ce qui est arrivé dans certaines maternités à la suite de départs dont la presse s'est faite l'écho. De tels phénomènes sont peut-être moins visibles dans les grandes villes et je remercie Anne Evrard d'avoir souligné ce point car on se concentre souvent sur le sujet qui m'est cher des déserts médicaux en oubliant parfois la difficulté d'accès aux soins dans les grandes villes.

Mme Anne Evrard. - On assiste à une évolution des positions des parents et une des conclusions de notre enquête a été de demander que les maternités diffusent beaucoup plus clairement leurs indicateurs de pratique. Au-delà de la présence des soignants, qui n'est pas toujours retracée clairement sur les sites des maternités - certaines maternités n'ayant d'ailleurs qu'un site internet très sommaire -, les indicateurs de pratique dont nous demandons la diffusion portent sur les taux de césarienne, les taux d'extraction instrumentale et de déclenchement. Il est en pratique possible de répondre à notre demande puisque, par exemple, l'île de France dispose d'une carte interactive des maternités qui trace des éléments précis et exhaustifs qui vont même jusqu'au nombre de recours à l'épisiotomie. Je souligne que les parents demandent aujourd'hui de pouvoir disposer de ces indicateurs. Quand cette carte interactive est sortie, les sociétés savantes n'étaient pas enthousiastes parce qu'elles ont estimé que cela allait susciter une sorte de « benchmarking » entre les maternités. Disons cependant les choses telles qu'elles sont : pourquoi devrait-on aller dans un endroit où, toutes choses égales par ailleurs, le recours au déclenchement est deux ou trois fois supérieur à la maternité d'à côté ? En revanche, dans certains territoires, quelques soient les indicateurs et la nature des professionnels en poste, il n'y a pas le choix : vous avez une clinique privée qui peut être, pour certaines personnes, trop onéreuse et une maternité publique, les deux n'étant d'ailleurs pas forcément toujours bien garnies. En particulier, l'idée que l'obstétricien est systématiquement présent dans une maternité privée n'est pas toujours exacte. Par conséquent, il faut se livrer à des analyses spécifiques pour chaque territoire et éviter les solutions simplistes qui donnent le sentiment qu'on va régler tous les problèmes alors qu'une telle méthode en crée souvent davantage.

Mme Marie-Pierre Gariel. - S'agissant de la sécurité des parcours de soins, dans le volet grossesse de l'enquête de l'UNAF concernant le ressenti des parents sur la santé de leur enfant, plusieurs mamans ont signalé qu'en cas de grossesse gémellaire, elles avaient des difficultés à être suivies du début à la fin. Les sage-femmes refusent la prise en charge de ces grossesses à risque et il n'y a pas assez de gynécologues. Si elles sont éloignées d'un hôpital public, elles rencontrent une vraie difficulté à accéder au suivi de leur grossesse alors que celle-ci est plus compliquée qu'une grossesse ordinaire.

M. Vincent Desdoit. - Aujourd'hui, notre système de santé ne fonctionne pas beaucoup avec des labels ou d'autres formes de signalétiques. On a même rejeté autrefois une telle éventualité pour ne pas ressembler au système de santé américain. Je pense cependant qu'il y a un juste milieu à trouver : certains labels existants sont un gage de qualité des soins même s'ils ne sont pas garants de l'offre de soins qui reste aujourd'hui problématique. Comme l'a indiqué Anne Evrard, le rôle des indicateurs au niveau territorial est essentiel. Je suis totalement d'accord avec l'impression de fédéralisme qui se dégage du système et sur la nécessité de simplifier le fonctionnement des ARS avec lequel, parfois, à 10 km près, on n'a pas les mêmes chances en France. Par exemple, quand on perd un enfant dans notre pays, il peut arriver qu'à 10 km près, on puisse enterrer son enfant décemment ou pas : c'est insupportable.

De façon générale, au-delà de nos constats, je pense que notre démarche doit aussi être proactive ; il faudrait normer et cadrer un peu plus l'offre de soins pour qu'on puisse naitre d'un territoire à l'autre avec une égalité des chances. Le rôle des réseaux de périnatalité - qui restent souvent le parent pauvre de ce système - est essentiel car ils produisent des indicateurs et des projets pour garantir cette offre de soins. Ainsi le projet « Opti'soins » de suivi de grossesse ambulant mis en place en Auvergne par le docteur Anne Legrand pour couvrir les zones grises situées à plus de 30 minutes d'un centre de naissance. Il s'agit d'un camion permettant de pratiquer l'obstétrique et qui, s'il bénéficie du soutien qu'il mérite, a également vocation à assurer le suivi des enfants. Sur ces territoires, statistiquement, moins de personnes sont perdues de vue que lorsque le suivi de grossesse est assuré en ville. Il y a une vraie demande de soins de la part des populations vulnérables et je pense qu'on peut aussi adapter ce modèle dans les banlieues : les bus médicaux ou les autres initiatives similaires sont aujourd'hui très en vogue et répondent à une vraie problématique.

Il faudrait également pouvoir décrire un parcours de soins global - à l'instar de ce que propose la démarche des « 1000 premiers jours » -, en y coordonnant les divers acteurs de santé. J'ai entendu les sociétés savantes que vous avez auditionnées parler chacune de leur métier, ce qui est légitime, sans qu'il y ait suffisamment de « liant » entre chaque composante.

Par ailleurs, je me demande si vous avez réussi à vous procurer un schéma clair et compréhensible de l'organisation du suivi d'un enfant vulnérable en France. Il existe bien une doctrine élaborée au niveau national, reprise localement par région à une échelle variable et peu claire. En pratique, quand on déménage pour des raisons professionnelles, on peut perdre tout son dossier de suivi ou arriver dans un nouveau territoire qui n'utilise pas le même logiciel informatique, ce qui coupe l'accès à tous les antécédents médicaux. C'est très compliqué pour ces parents et j'insiste bien sur ce pluriel car le principe fondamental qui s'applique dès la naissance est celui du « zéro séparation ». Il est démontré que ce principe d'unité familiale fonctionne efficacement, aussi bien dans l'intérêt de la santé mentale des familles que dans la construction de l'attachement et la santé physiologique de l'enfant. Dès lors qu'on ne sépare pas ces familles et qu'elles font bloc, les résultats sont objectivement meilleurs. Bien entendu, cela exige que plusieurs conditions soient réunies : il faut une architecture adaptée, pouvoir garder une famille à l'hôpital et assurer une formation adéquate des soignants.

Au cours de vos précédentes auditions la question de l'attractivité des professions de santé a été évoquée ; s'agissant en particulier des gynécologues, on a constaté que la technicité des soins et l'avant-gardisme des solutions proposées aux familles étaient des facteurs d'attractivité. Aujourd'hui, on ne peut plus affirmer que les médecins vont aller sur la côte Atlantique pour pratiquer le surf et avoir une belle maison. Ils préfèrent parfois exercer dans des territoires reculés parce que les soins qu'ils prodiguent les intéressent, sont productifs et ont un impact positif en santé publique. La formation initiale des médecins généralistes en santé de l'enfant a également été abordée dans vos travaux et - tout en soulignant qu'il serait dommage de se passer de pédiatres -, je pense qu'il faut aussi développer la formation des puéricultrices dont le rôle est très impactant. La valeur ajoutée par la formation doit également être prise en compte pour les autres métiers de santé comme les infirmières, dont le cursus doit faire plus de place à la pédiatrie. À l'heure actuelle, si certaines d'entre elles arrivent en néonatologie et qu'il faut passer un KTVO (cathéter veineux ombilical) sur un bébé de 500 grammes, leurs premiers essais seront alors effectués sur un enfant vivant. La formation initiale des puéricultrices, des infirmières, des auxiliaires de puériculture et de toutes les autres catégories de soignants, y compris les pédiatres, doit également prendre en compte une approche globale systémique et centrée sur l'enfant ainsi que sa famille. S'agissant des « outborn », la plupart du temps, les grossesses se passent bien, même si on nait dans une maternité de niveau 1. Comme en témoignent les familles, on ne se soucie pas des problèmes de sécurité tant que tout se déroule comme prévu mais les accidents de la vie et les traumatismes mentionnés par Charlotte Bouvard vous arrivent de plein fouet et de manière imprévue, sans que des signes annonciateurs aient tout naturellement permis de prendre des mesures préventives.

J'ajoute que le suivi peut se révéler catastrophique si on n'est pas pris en charge dès le début et il faut savoir, s'agissant des enfants vulnérables, que compte tenu des critères d'inclusion dans les réseaux de suivi, l'accès à ces derniers se joue parfois à 10 grammes près ou à une journée près. Cette difficulté rejoint celle de l'offre de soins parce qu'il faut pouvoir accueillir tous ces enfants dans ces parcours mais il faudrait également former plus de monde à un parcours de suivi uniforme sur tout le territoire avec des portes de sortie quand tout va bien mais aussi des portes d'entrée. On a créé les PCO (Plateformes d'orientation et de coordination) en rajoutant cette strate au réseau de périnatalité pour rattraper les orientations tardives mais il faut aussi être conscient que les parents sont, la plupart du temps, complètement perdus dans les arcanes de ce système ; ils ne peuvent alors s'en remettre qu'au hasard des consultations de tel ou tel acteur informé des possibilités de bifurcation. Pour surmonter cette difficulté, il faudrait disposer d'une cartographie très claire permettant d'identifier tous les points d'entrée différents. Quelque soit le référent de soins qu'aillent alors consulter, les parents, en cas de doute, - ce mot est essentiel et j'insiste sur la nécessité de valoriser la compétence parentale dans l'identification des problèmes - ce référent pourrait immédiatement, par exemple si on soupçonne un TND (trouble du neurodéveloppement), utiliser la PCO pour trouver la bonne orientation et la bonne personne à consulter. On pourrait également parler pendant des heures de prévention pour les grossesses et de la marche à suivre en cas de difficulté ou de doute. Au final, je pense qu'il faudrait s'atteler à dessiner une trame complète de l'ensemble de ces parcours de soins.

M. Patrice Joly. - Au moment où Mme Charlotte Bouvard a dû nous quitter en raison d'une obligation de calendrier, j'ai pu lui indiquer, lors d'une conversation personnelle, que j'avais trouvé certains de ses propos scandaleux et inacceptables au regard de l'attitude des élus et que j'aurais apprécié des excuses de sa part. Elle m'a dit que son père Loïc Bouvard avait été parlementaire pendant plusieurs législatures mais, de mon point de vue, nous n'avions ni les mêmes méthodes, ni les mêmes objectifs.

Par ailleurs, je vous remercie pour les points de vue que vous avez exprimés et les informations qui nourrissent notre réflexion sur un sujet très délicat et qui, s'agissant des territoires ruraux, est prioritaire. Au surplus, je fais observer que nous vivons une nouvelle période de croissance des naissances dans les territoires ruraux et, à l'inverse, une décroissance dans les territoires urbains concentrés. Tous les départements qui ont des métropoles connaissent une baisse de la natalité tandis qu'un certain nombre de départements - principalement ruraux - enregistrent une augmentation du nombre des naissances. Encore faut-il préciser que les volumes ne sont pas les mêmes : cela ne règle pas tous les problèmes et, en tout cas, je mesure bien la difficulté de l'exercice qui est devant nous.

Madame la Présidente, la prochaine fois qu'on entend une intervention de cette nature je souhaite que vous puissiez couper court à de tels propos qui ne sont pas acceptables. Tous les élus ne sont pas les mêmes et, en tout cas, nous cherchons le meilleur pour nos territoires.

Mme Anne Evrard. - Le fait que les élus souhaitent le meilleur pour leur territoire pourrait favoriser une réflexion ciblée par territoire sur la question des fermetures ou des maintiens de maternité, dans une approche globale qui puisse intégrer, avec un processus commun d'une région à l'autre - sans se limiter aux différences entre ARS - l'ensemble des acteurs dans une vraie démarche collaborative. On entend souvent des décideurs s'étonner des protestations de la population en indiquant que cette dernière avait pourtant été informée, mais l'information ne remplace pas la démarche collaborative. Celle-ci doit associer les acteurs à la réflexion au niveau du territoire, avec une vision plus globale, pour comprendre ce qui se passe et veiller à ce que tous les enjeux et tous les types de populations soient pris en compte. À l'inverse, on a parfois l'impression que tous les gens appartenant à un territoire donné sont considérées comme identiques.

Vous nous avez également demandé quel regard nous portons sur le rapport de l'Académie de médecine. Ce document assez bref contient beaucoup de bonnes choses mais il a peut-être tendance à ne pas assez nuancer son propos selon les zones géographiques.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je passe la parole à Jocelyne Guidez qui a beaucoup travaillé sur les troubles du neurodéveloppement (TND) et, en particulier, sur le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Mme Jocelyne Guidez. - Sur mon territoire, on nous a supprimé une maternité et, en tant qu'élus, nous le vivons comme un arrachement car nous nous battons pour nos administrés et la maternité représente beaucoup de choses. De plus, la fermeture de beaucoup de maternités n'a malheureusement pas empêché la mortalité infantile d'augmenter. Je me pose donc beaucoup de questions sur l'utilité de ces fermetures. Certes, je comprends bien que l'absence de pédiatre peut être un facteur de dangerosité mais tel n'était pas le cas pour une petite maternité de notre département : vous constatez donc qu'on ferme aussi les maternités où exercent des pédiatres. Je trouve cela dommage car on cherche tout naturellement la proximité : il est plus facile d'en bénéficier dans les grandes villes alors que dans une ville moyenne avec de nombreux petits villages autour, la maternité devient très importante.

Par ailleurs, avec mes collègues Laurent Burgoa et Corinne Féret, nous nous sommes aperçus, en élaborant notre rapport sur la prise en charge des troubles du neurodéveloppement, qu'un tiers des enfants nés prématurément et la moitié des nouveau-nés grands prématurés présenteront une difficulté de neurodéveloppement. Or, le nombre de naissances prématurées augmente depuis plusieurs années mais, tous les nouveau-nés vulnérables ne font pourtant pas l'objet d'un suivi spécifique. Mettez-vous des actions en place pour améliorer le suivi dans ce domaine et à tout le moins pour avertir les parents de cette difficulté ?

M. Vincent Desdoit. - La problématique de la fermeture des petites maternités est bien réelle car on connait l'attachement local à ces structures. Je suis d'ailleurs le premier à éprouver ce sentiment puisque la maternité où je suis né a été remplacée par un parking. Il faut cependant réfléchir aussi en termes de sécurité et débattre calmement de ces sujets quand des élus luttent pour le maintien de certaines maternités. La présence d'un pédiatre dans le cas que vous citez renvoie encore à une autre problématique qui est celle de la rentabilité : votre maternité a peut-être été fermée en raison d'un nombre de naissances jugé insuffisant par telle ou telle administration mais on connait aussi de nombreux cas où les élus combattent pour garder des maternités ouvertes là où celles-ci soulèvent, le cas échéant, des problèmes de sécurité.

S'agissant des enfants prématurés, je rejoins vos propos tout en apportant une nuance car il est, en pratique, difficile de distinguer entre petite et grande prématurité. Un calcul rapide permet de constater que 85 % des enfants nés entre le septième et le huitième mois de grossesse, - qu'on appelle des « Late Preterm » - ne sont pas inclus dans les réseaux de suivi qui, à 90 %, appliquent des critères d'admissibilité sélectionnant des cohortes d'enfant pesant moins d'1,5 kg à la naissance ou âgés de moins de 32 semaines. Or 32 semaines plus un jour correspond à un âge de 7 mois et empêche ainsi le suivi de 85 % des enfants prématurés. Certes, le risque de TND pour ces enfants nés après 32 semaines est plus faible, mais la cohorte est tellement plus importante qu'il y a aujourd'hui plus d'enfants atteints de TND nés Late Preterm et détectés tardivement que d'enfants qui bénéficient de soins critiques. Ces derniers peuvent paradoxalement apparaitre comme les plus « chanceux » car plus de monde va s'occuper d'eux pendant l'hospitalisation et ils bénéficient ensuite d'un suivi très attentif ; de plus, leur mère et leur famille vont être mieux accompagnées et formée aux enjeux postérieurs. En revanche, l'état d'un enfant qui naît à 34 semaines et pèse 1,8 kg ou 2 kg a tendance à être considéré comme a priori satisfaisant. C'est un schéma qu'on retrouve très souvent et les enfants qui sont dans cette situation sont malheureusement un peu les oubliés du système car on connaît aujourd'hui l'intérêt des interventions précoces sur la détection des TND, des TSA (Troubles du spectre de l'autisme) et plus généralement des troubles du neurodéveloppement.

Mme Jocelyne Guidez. - Le TDAH constitue un cas particulier où règne encore une certaine méconnaissance.

M. Vincent Desdoit. - Je rejoins vos propos et le TDAH est un sujet qui m'est très cher. Quelle que soit la problématique, le suivi adapté à chacun est la meilleure façon de favoriser la détection la plus précoce possible. En « rebobinant le film », on peut rappeler que si les parents sont impliqués dès le départ - contrairement aux pratiques un peu paternalistes héritées des années 1980 dans lesquelles les services hospitaliers se chargent des soins en éloignant les parents - on peut valoriser les compétences des parents, prodiguer des « soins à quatre mains », en conjuguant les efforts des soignants ainsi que de la famille, et éveiller les parents à l'observation de leur enfant dès la maternité ou en néonatologie, les concepts dont je vous parle, comme le « peau à peau » étant bien souvent communs à ces deux séquences. Grâce à cette sensibilisation, les parents concernés vont pouvoir être garants de la continuité des soins et jouer le rôle de détection précoce à l'égard des enfants qui ne sont pas inclus dans les réseaux de suivi. Les parents ne peuvent pas à eux seuls pallier le manque de médecins mais, pour qu'ils puissent exercer leur capacité de détection, il ne faut pas les séparer de leurs enfants. Il y a donc ici des actions pertinentes à conduire pour améliorer les résultats à long terme.

Mme Anne Evrard. - Sur ce point précis, il ne faut pas oublier que la dépression des mères est un facteur important de troubles du neurodéveloppement de l'enfant à court et à long terme. Tel est le cas pour 16 % des femmes chez qui on a dépisté une dépression post-partum dans la dernière enquête périnatale et on sait très bien que les chiffres issus du dépistage sont très en dessous de la réalité. Il faut donc veiller à la santé mentale de l'ensemble des femmes qui accouchent et rendre le dépistage systématique en faisant le lien avec la médecine psychiatrique et en adoptant une vision globale qui fait aujourd'hui défaut. Or quelles que soient les conditions de naissance au départ, les enfants ne peuvent pas se développer dans de bonnes conditions face à une mère dépressive ou en stress post-traumatique ou un père subissant les mêmes troubles. Les coûts pour la société de cette situation vont être largement majorés dans les 10, 15 ou 20 ans à venir par rapport aux coûts de dépistage et d'accompagnement précoce.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Cela rejoint la notion de la mise en confiance des parents dès l'annonce de la grossesse. Que celle-ci se passe bien ou plus difficilement, il est important d'aménager dans le parcours de soin une porte d'entrée unique permettant à chacun de trouver le bon interlocuteur. Je pense ici, sur les territoires, non seulement aux maternités qui peuvent fermer mais aussi à l'utilité des centres ou de maisons de santé pluridisciplinaires qui s'installent à présent dans les zones rurales à la demande des élus et dans lesquels on trouve un médecin généraliste, une infirmière, une kinésithérapeute et une sage-femme libérale qui connaît les mamans de la commune, peut les mettre en confiance et détecter les signaux faibles d'une santé mentale vacillante ou le besoin d'une aide particulière en cas de handicap, de déficience légère, de vulnérabilité sociale ou d'isolement survenu récemment. Tous ces signaux faibles vont alors pouvoir être pris en compte au-delà du soin lui-même, ce qui s'intègre dans un périmètre de sécurisation sanitaire qui va au-delà de la nécessité de trouver un endroit pour accoucher.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je reviens très brièvement sur l'altercation que je n'ai pas vue venir ni se dérouler dans le couloir lorsque Mme Charlotte Bouvard a dû nous quitter. On vient cependant de m'en informer et je ne peux pas cautionner l'attitude d'un de nos collègues. On peut bien entendu avoir des différends mais il faut alors les exprimer calmement. Pour ma part, je n'ai pas aussi mal pris que notre collègue les paroles de Mme Bouvard car elles vont dans le même sens que certains propos tenus au cours des précédentes auditions mais il est vrai que nos collègues ne peuvent pas se rendre disponibles pour assister à chacune d'entre elles.

Depuis deux ou trois semaines, on a beaucoup parlé, au cours de nos auditions, des fermetures de maternité de type 1 ou des petites maternités où les accouchements sont peu nombreux. À chaque fois que ce thème a été abordé, on nous a bien expliqué - sans porter aucun jugement de valeur - que ces fermetures intervenaient quand les équipes n'étaient pas suffisamment dimensionnées pour assurer la nouvelle façon de travailler du corps médical ; on nous a précisé que des équipes de 7 soignants relevant de plusieurs spécialités étaient nécessaires pour assurer des permanences de soins jour et nuit, y compris le week-end. Étant moi-même vétérinaire, je connais bien ce type de contrainte. Comme l'a bien expliqué notre collègue Jocelyne Guidez, en tant qu'élus, nous n'aimons pas assister aux fermetures de maternités mais, pour autant, nous n'allons pas nous opposer systématiquement à des évolutions qui paraissent inéluctables. Je ferme ainsi cette parenthèse : ce qu'on vient de me rapporter ne me plait pas, je ne peux pas le cautionner et nous en informerons Mme Charlotte Bouvard.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - En réalité, au Sénat, nous sommes habitués à avoir des auditions où s'expriment des points de vue différents, avec des positions bien campées de part et d'autre, mais la première exigence est de respecter à la fois la parole et le ressenti de chacun, parce qu'en arrière-plan il y a des histoires, on l'a bien perçu, à la fois personnelles et douloureuses.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je souhaite avant tout vous remercier pour vos interventions. Vous avez parlé des PMI et je pense qu'il y a là aussi une faille très importante car autant les femmes, dans leur globalité, sont quand même relativement bien suivies avant et pendant l'accouchement, autant, une fois qu'elles ont accouché, c'est le désert. On parle beaucoup du suivi par les sage-femmes mais encore faut-il qu'il y en ait suffisamment, ce qui n'est pas le cas pour répondre aux attentes de beaucoup de femmes sortant de maternité. On dit aussi que les sage-femmes se déplacent à domicile, ce qui n'est souvent pas exact non plus. En outre, de nombreuses femmes ignorent le rôle des PMI et s'imaginent que ces structures s'adressent à des personnes en difficulté sociale sans avoir conscience que les PMI sont ouvertes à tout le monde et qu'elles disposent de personnel pour les accompagner.

Je trouve donc qu'il y a un vide à combler après la naissance et le manque de pédiatres fait partie de cette problématique : les pédiatres sont de moins en moins nombreux et, par exemple en Île-de-France, beaucoup ne sont plus conventionnés. Ajouté au manque de connaissance des PMI auquel il faudrait remédier, ce phénomène accroit le gouffre auquel est confrontée la parentalité.

Je rebondis enfin sur le thème de l'offre de soins, à savoir tous les professionnels qui entourent la famille. Certes, les indicateurs ont pour moi une très grande importance et, en particulier, quand on constate des variations de 4 % à 40 % pour le recours à la césarienne, il y a de quoi s'interroger : à qui bénéficie le supposé confort de la césarienne ? En outre, l'offre de soins ne suffit pas : en effet, si cette dernière atteint quantitativement un niveau convenable mais que l'organisation reste défaillante, quid de la sécurité ?

Mme Anne Evrard. - Je pense que la question de la connaissance des PMI par les parents est un point important mais que la problématique des moyens est cruciale. Je vous cite un exemple particulier mais révélateur : j'ai été appelée sur notre ligne d'écoute par une femme enceinte qui subissait des violences conjugales graves et avait besoin d'être rapidement mise en sécurité. Elle ne vivait pas dans un territoire isolé mais à Cannes, et je viens moi-même de cette région très urbaine. Pour lui venir en aide, j'ai essayé pendant deux matinées de joindre la PMI ; une personne m'a finalement répondu qu'elle était en pleine réunion et que faute de moyens disponibles il fallait s'adresser à la PMI de Mandelieu, laquelle couvre effectivement Cannes et Cagnes-sur-Mer. Nous avons finalement pu obtenir auprès de cette PMI une aide de la part d'une personne qui m'a indiqué qu'elle n'arrivait à remplir sa mission qu'au prix d'efforts la conduisant à rentrer tous les soirs chez elle avec une immense frustration, ce qui est compréhensible... La connaissance de ces structures est donc nécessaire mais loin d'être suffisante et il faut s'intéresser aux moyens dévolus aux PMI dans un système où ces structures sont déléguées à chaque organisation locale et donc à chaque tendance locale. Les prestations des PMI dépendent ainsi des préoccupations des élus locaux alors que notre pays devrait offrir la même qualité de soins partout et permettre de s'adresser à des services qui se ressemblent, au moins dans les moyens qui leur sont accordés.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je sais très bien que beaucoup de PMI manquent de moyens, mais là où les PMI disposent de structures adéquates d'accueil et d'accompagnement, il est tout de même dommage qu'on puisse, faute d'information, passer à côté de cette possibilité de recours quand il n'y a pas d'offre médicale suffisante par ailleurs.

Mme Anne Evrard. - Vincent Desdoit a parlé des réseaux de santé périnatale : ce sont effectivement des parents un peu pauvres du système mais ces réseaux fonctionnent avec une vraie collaboration et une connaissance mutuelle entre les différents professionnels du secteur qui, de ce fait, peuvent en toute confiance mieux orienter leurs patientes et les familles. Quand les gens ne se connaissent pas, ils n'orientent pas bien.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mme Gariel, vous avez parlé de grossesse « surinvestie » : ce phénomène est-il, à votre avis, général ou à l'inverse cantonné à quelques cas particuliers et de quand date cette évolution ? Vous avez ensuite indiqué qu'il fallait reconsidérer les grossesses comme étant finalement des événements « normaux et des états physiologiques survenant à un moment donné. En effet, vous avez l'impression, sur la base des retours de terrain que vous percevez, que la grossesse en viendrait parfois à être considérée comme une sorte de maladie. Vous avez également mentionné les sorties de maternité précoces, avec des femmes qui quittent la maternité au bout de quelques heures, voire d'un ou deux jours. Pensez-vous qu'il faudrait instituer un accompagnement spécifique, par exemple d'une semaine, pour ces femmes qui rentrent très tôt chez elles après l'accouchement ? Enfin, on a très peu évoqué les puéricultrices, que nous avons rencontrées au cours d'une audition précédente : quel est votre regard sur leur positionnement, j'allais dire sur l'« échiquier » des parcours de soins ? Je précise que mes questions s'adressent à l'ensemble des intervenants.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Tout d'abord, mes propos se basent principalement sur les remontées d'expériences transmises par nos associations. Elles déplorent toutes le manque de chiffres et d'études, à part celle de l'UNAF dont je précise qu'elle se limite à une dimension qualitative puisqu'elle porte sur le ressenti des parents sur la santé de leur enfant.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - C'est une des premières choses qu'on a apprises.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Certaines infirmières puéricultrices nous ont indiqué qu'elles regrettaient ne pas pouvoir exercer en secteur libéral, ce qui leur permettrait d'être un maillon de proximité dans les maisons de santé et cela constituerait un atout précieux pour les mamans qui rentrent très tôt chez elles après leur grossesse. En effet, surtout quand elles ont leur premier enfant, les femmes - ainsi que leur conjoint - ont besoin d'être rassurées et de s'entendre dire qu'elles sont en capacité de surmonter leurs difficultés. L'élément clef est de permettre aux mères d'anticiper ce qui peut arriver : par exemple, elles peuvent avoir l'impression que leur bébé va pleurer tout le temps et il faut les aider à distinguer plusieurs types de pleurs qui n'ont pas la même signification. Tous ces petits détails se transmettaient souvent, il y a longtemps, de mères à filles et par la suite - dans ma génération- au moment où on séjournait pendant une semaine à la clinique. Au bout d'un certain temps on s'ennuyait un peu mais on sortait rassurée sur notre capacité à tenir notre rôle de mère. Il y a peut-être là une nouvelle coordination à trouver. Certes, cela coûte cher de garder les femmes en hospitalisation et, au niveau strictement médical, un séjour d'une semaine n'est évidemment pas justifié quand l'accouchement se passe bien.

Cependant, beaucoup de femmes, et surtout celles qui sont isolées - je viens moi-même d'un milieu militaire dans lequel les conjoints sont très souvent absents, or les bébés n'attendent pas le retour du père pour naître - doivent se débrouiller comme elles peuvent. Ce sont ces mamans qui ont peut-être besoin d'aller frapper à la porte de la maison de santé pour demander le passage de la sage-femme. Comme je l'ai indiqué « autant de paroles, autant d'histoires » et, pour ma part, j'ai accouché sous couvre-feu en Nouvelle-Calédonie. La notion essentielle est celle d'accompagnement, en particulier pour les jours où tout ne se passe pas bien, pour prendre soin de la santé mentale de la maman, de la famille et du père. Aménager une porte d'entrée unique, comme la PMI ou autre, devrait permettre de donner aux parents les coordonnées de la sage-femme, de la PMI, ou d'un médecin de leur secteur d'habitation. Je souligne que les personnes qui n'ont plus de médecin traitant ont particulièrement besoin d'accompagnement. À l'inverse, dans les endroits où il n'y a plus de pédiatres à proximité, les parents peuvent au moins s'adresser au médecin traitant qu'ils ont désigné. Je ne parle pas seulement ici de soins stricto sensu mais de parcours destinés à rassurer les parents et à limiter les traumatismes ultérieurs en les informant, par exemple, qu'il est normal de se sentir parfois dépassé au point de pleurer.

Mme Anne Evrard. - S'agissant de la période post-natale, dans notre enquête, les femmes ont placé la présence du conjoint en tête des facteurs permettant de les rassurer, à condition bien entendu que la relation ne soit pas toxique. Le congé parental du père est donc crucial. Le second facteur prédominant cité par les mères est le passage de la sage-femme, à deux conditions. D'une part, le nombre de visites doit être ajusté aux besoins de la femme, ce qui n'est trop souvent pas le cas. D'autre part, les sujets abordés doivent coïncider avec les préoccupations des mères. Or, actuellement, les sage-femmes libérales indiquent clairement qu'elles sont obligées de trier dans leur patientèle, d'abord parce que leur rémunération, à partir d'un certain nombre de visites, n'est pas suffisante pour couvrir tous les frais de déplacement, et ensuite parce que les besoins sont tellement importants que les sage-femmes finissent par donner la priorité aux patientes dont la situation parait la plus difficile.

Il faut veiller à ajuster l'offre aux besoins de chacune : certaines femmes peuvent se contenter d'une seule visite, d'autres en ont besoin de dix, et cette problématique concerne, selon les sage-femmes, non seulement les territoires isolés mais aussi les territoires urbains.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Il faut également penser aux femmes qui ne demandent pas de consultation alors qu'elles en auraient besoin. Sans aller jusqu'à imposer la visite obligatoire d'une sage-femme, il faudrait inciter les mères à la solliciter pour les aider à faire face aux difficultés qu'elles peuvent rencontrer en revenant chez elles après l'accouchement, avec parfois un sentiment d'isolement. Je rappelle que seules 13 % des familles ont recours à une PMI et, à mon avis, un travail de sensibilisation doit être fait dans les maternités.

Mme Anne Evrard. - Toutes les recommandations montrent l'intérêt d'un suivi postnatal systématique, sans attendre la demande de la femme.

M. Vincent Desdoit. - Les entretiens pré et post-natal qui se déroulent avec les sage-femmes sont des outils qui apportent une réponse au moins partielle à l'exigence que vous mentionnez et on pourrait les développer dans les PMI. Les personnes qui travaillent dans ces structures peuvent prendre contact avec les mères et leur demander si elles ont bénéficié d'un entretien postnatal. J'attire néanmoins l'attention sur le fait que, de l'aveu même des sage-femmes, les entretiens pré ou postnatal sont conduits avec une pertinence variable : certains sont effectués sur la base de bons critères et s'efforcent de rechercher les points sensibles en approfondissant les investigations en cas de doute ; en revanche, d'autres entretiens donnent lieu à l'envoi préalable d'un document numérisé et je ne suis pas sûr que leur déroulement fasse beaucoup de place à des considérations de santé mentale. La confiance n'exclut pas le contrôle et je pense qu'il faut vérifier le contenu de ces entretiens pour garantir la qualité de soins.

Il me parait important de recueillir le point de vue des acteurs majeurs que sont la DGOS (Direction générale de l'offre de soins) et la HAS (Haute Autorité de santé) sur ces sujets, dans une perspective de globalisation de l'offre de soins. Le défi que doit relever votre mission d'information est, en effet, de réussir à individualiser les soins - il n'y a pas deux naissances identiques - dans un système qui doit être global. Pour y parvenir, il est nécessaire de travailler tous ensemble et, pour cette raison, nous sommes heureux d'avoir pu aujourd'hui défendre le point de vue des usagers en préconisant une approche systémique, sans se limiter à résoudre quelques problématiques particulières.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - L'approche doit être systémique mais individualisée. Notre mission d'information porte sur « l'avenir de la santé périnatale et organisation territoriale » ; avez-vous des retours d'expérience sur la situation dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) ? Vos analyses sont-elles comparables à celles que vous pouvez faire dans l'Hexagone ou les remontées de terrain sont-elles différentes ?

Mme Anne Evrard. - Votre question me permettra également de répondre à celle que vous avez précédemment posée sur la grossesse considérée comme un processus naturel. L'offre de soins dans les outre-mer est moins diversifiée que dans l'Hexagone, alors même que la diversification de l'offre de soins est insuffisante en métropole. Je mentionne ici la problématique des maisons de naissance et la déshérence dans laquelle nous sommes sur ce dossier : celui-ci devrait être en phase de développement mais il est bloqué et la HAS a fermé le groupe de travail appelé à fournir les indicateurs permettant à la fois l'inclusion et les transferts des femmes ainsi que des bébés. Par ailleurs, on a le sentiment que dans les territoires ultramarins, et tout particulièrement dans l'hôpital public, les équipes sont très mobilisées et doivent faire face à des défis de société et de populations compliqués, étant entendu que les situations sont variables. On a tendance à catégoriser les femmes qui vivent en territoire ultramarin comme si elles étaient toutes dans la même situation. Sur cette base, il devient compliqué d'aménager des parcours de soins différenciés alors que l'offre la plus fiable - qui est celle du secteur public - reçoit une population extrêmement différenciée sans que soit organisée une gradation des niveaux de soins. En mettant à part le cas très spécifique de Mayotte, j'observe que quelques maisons de naissance et filières physiologiques tentent avec difficulté de se maintenir dans certains territoires ultramarins mais, ailleurs, ces filières ne bénéficient pas d'encouragements suffisamment clairs. De ce fait, les quelques établissements existants doivent faire le grand écart entre les femmes qui peuvent relever d'un accouchement physiologique et celles qui croisent des difficultés sanitaires, psychosociales et d'équilibre mental. Il y a là un reflet de l'abandon que l'on peut parfois constater dans l'hexagone avec des difficultés encore plus aigües dans les outre-mer.

Mme Jocelyne Guidez. - Je fais observer que les conditions de vie sont différentes sur ces territoires. Dans l'Hexagone nous débattons de la proximité des petites maternités mais, dans les outre-mer, il n'y a parfois qu'un seul hôpital au milieu d'une île et le parcours pour y accéder est extrêmement compliqué : on roule plutôt à 50 qu'à 100 km/h et il faut emprunter des routes non seulement sinueuses mais aussi dangereuses. Vous avez également souligné le taux élevé de précarité, en particulier parmi les jeunes, qui subissent le chômage pour environ 45 % d'entre eux. Beaucoup de drogues et d'alcool circulent parmi eux ce qui constitue un facteur important de prématurité des bébés. Ces mamans en grande difficulté et en grande précarité ont bien entendu besoin d'un suivi ; encore faut-il qu'elles acceptent d'entrer dans un parcours de soin, ce qui là aussi, n'est pas simple.

Mme Anne Evrard. - L'existence, sur certains territoires ultramarins, d'un seul établissement ne facilite pas le suivi de femmes qui sont réticentes et craintives vis-à-vis du système, par peur d'être stigmatisées. Un suivi de proximité avec une différenciation des parcours serait indispensable pour ces populations.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Il faut organiser ce suivi dans les dispensaires - souvent assez vétustes - qui existent encore à certains endroits, comme dans les îles Loyauté. Sans qu'il ait pu me communiquer leurs chiffres détaillés, le Planning Familial constate une augmentation globale de la mortalité infantile dans les outre-mer. Tout dépend cependant des modes de vie et on sait par exemple que certaines populations qu'on peut qualifier d'autochtones, vivent très différemment : les femmes ne sont pas isolées car elles vivent en communauté et c'est tout le village qui s'occupe de l'enfant. Beaucoup de femmes kanaks qui habitent dans la brousse vont au dispensaire ; toutefois, certaines accouchent chez elles et ne disposent effectivement d'aucun suivi, mais, à la limite, elles ne réclament rien. Il est donc, en pratique, très compliqué de prévoir un parcours capable de répondre à des attentes très diversifiées : une famille métropolitaine va demander à accoucher dans les mêmes conditions de sécurité et de présence que dans l'Hexagone tandis que d'autres femmes habitant en brousse ou à Ouvéa n'expriment pas d'exigences particulières.

M. Vincent Desdoit. - Les questions de précarité et de vulnérabilité sociale sont centrales sur ces territoires. On en revient ainsi à l'impact des politiques sociales sur la politique de périnatalité. Statistiquement, la prématurité représente, en moyenne, 7,8 % des naissances en France tandis que cette proportion atteint 11 à 12 % dans les DROM, ce qui s'explique par les raisons qui viennent d'être évoquées. L'offre de soins sur ces territoires se concentre souvent dans des grands centres hospitaliers qui ont été construits, pour la plupart, assez récemment. Je mets ici à part celui de la Guadeloupe qui a subi un incendie, obligeant ainsi à transférer les enfants en Martinique, ce qui amène à rappeler que les enfants vulnérables qui naissent à Mayotte sont également transférés à La Réunion, la plupart du temps sans leurs parents. L'architecture des installations, comme celle de la Réunion, est assez réussie et des moyens financiers ont été alloués pendant plusieurs années dans les DROM pour que ces bâtiments soient beaux. Cependant, il faut que l'offre de soins soit également satisfaisante du point de vue humain et, à cet égard, des mesures financières ont été mises en place pendant un moment pour attirer des soignants dans les DROM : cela ne résout pas toutes les difficultés mais il est certain que ces équipes font face à des problématiques d'offre de soins et de manque d'attractivité pour ces métiers, avec une pénurie de soignants.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Il me reste à vous remercier très sincèrement d'être venus partager avec nous vos observations. Nous vous avons envoyé un questionnaire écrit : nous attendons vos réponses que vous pourrez compléter avec d'autres idées qui pourraient vous venir à l'esprit.

Audition de Mme Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins au sein de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM)

(Mercredi 10 avril 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi Madame Marguerite Cazeneuve, Directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins au sein de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie (CNAM).

Nos premières auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risques liés - entre autres - à un âge maternel plus tardif, à une augmentation de la précarité, à une plus forte prévalence de l'obésité et à une santé mentale dégradée.

Cependant, l'analyse précise des causes expliquant ces mauvais indicateurs se heurte à l'impossibilité actuelle de croiser et apparier les différentes bases de données. Vous nous direz si la CNAM mène des travaux en la matière, voire a chiffré le coût de la mise en place d'un véritable registre des naissances, qui revient dans pratiquement toutes nos auditions.

Plus généralement, nous voulons échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et l'organisation actuelle de l'offre de soins et des parcours de suivi.

Si le suivi de la grossesse semble aujourd'hui très dense, nos interlocuteurs ont relevé des lacunes dans le suivi post-natal ainsi que dans le déploiement de politiques de prévention de la santé du nouveau-né, mais aussi de la santé mentale des jeunes parents. Vous nous direz quels leviers d'amélioration vous identifiez.

Par ailleurs, je sais que la rapporteure vous interrogera également sur les coûts et les modalités de financement des activités de gynécologie, d'obstétrique, de néonatalogie, de prévention ou encore des hôtels hospitaliers.

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour une courte intervention liminaire. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, notre rapporteure, pour une première série de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins. - Madame la Présidente, merci beaucoup. La question du recueil et de l'appariement des données relatives à la santé de l'enfant est effectivement cruciale. Nous disposons aujourd'hui des outils nécessaires pour établir un l'appariement correct, mais avons un sujet persistant concernant le recensement des données.

La santé des femmes en périnatal et la santé du jeune enfant sont deux priorités de l'Assurance Maladie. Depuis plusieurs années, nous avons lancé le PRADO Maternité et plusieurs dispositifs d'accompagnement du retour au domicile de la femme après son accouchement. Nous avons également développé un réseau des sages-femmes libérales et menons une politique très active en matière de santé du jeune enfant. Sans attendre d'avoir accès à des données parfois lacunaires, nous avons développé plusieurs dispositifs, notamment dans le cadre des 1 000 premiers jours.

Un certain nombre de requêtes nous ont été adressées préalablement à cet entretien. Nous vous adresserons par écrit les éléments que nous n'aurons pu vous transmettre aujourd'hui.

Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Auriez-vous un propos liminaire sur les sujets abordés dans notre questionnaire ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - Vous avez évoqué plusieurs sujets, la question principale étant celle du recueil des données. L'Assurance Maladie s'est dotée d'un Système national des données de santé (SNDS), principalement constitué des données de remboursement en ville - qui sont fiables et exhaustives - et de celles du Programme de Médicalisation des Systèmes d'Information (PMSI) des hôpitaux. Elles sont complétées par d'autres bases, notamment concernant les décès. Ces données administratives et de santé nous permettent de suivre des éléments de manière régulière à l'aide de tableaux de bord. Construit en lien avec l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le dispositif EPI-PHARE est utile pour mener de manière beaucoup plus spécifique des enquêtes épidémiologiques auprès des femmes enceintes ou ayant été enceintes au moment de la prise de certains médicaments. Il est donc possible de procéder à des appariements et requêtes, le principal sujet étant l'exhaustivité des bases de données.

Aujourd'hui, quelques entités ne pratiquent pas la tarification à l'acte. Les PMI font partie de cette zone grise pour laquelle nous n'avons que peu de données. Heureusement, elles peuvent refacturer à l'Assurance Maladie la plupart de leurs actes, qui relèvent de la catégorie médicale et paramédicale. Cependant, elles ne le font pas toujours, car ce n'est pas une priorité de gestion, l'argent revenant au département. L'Assurance Maladie a lancé une action d'accompagnement pour que les PMI puissent facturer correctement leurs actes. Nous n'avons pas accès aux données des structures sociales ou extérieures au champ de la santé.

D'une manière générale, nous ne disposons pas de données cliniques, mais uniquement de données médico-administratives remplies par les professionnels de santé. Si nous pouvons identifier le motif d'une hospitalisation et les médicaments consommés, en revanche nous ignorons la taille et le poids du patient, ainsi que sa consommation éventuelle de tabac. À cadre juridique constant, nous ne disposerons jamais de telles données. Le patient aura la possibilité de les saisir dans son Espace Santé, comme les professionnels, mais les données cliniques appartiennent au patient et ne seront jamais consolidées. Des travaux ont néanmoins été entrepris pour compléter les données médico-administratives du SNDS.

Une autre manière d'étudier la santé de l'enfant ou des mères consiste à suivre une cohorte. La plupart des études sur la santé des mères et des jeunes enfants passent par ce système de cohortes ou d'échantillon car nous avons à l'évidence un manque de données.

Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Merci. J'ai bien compris que vous n'avez pas accès à toutes les données. Nous voudrions connaître le taux de recours des parturientes au suivi prénatal et post-natal. Connaissez-vous le taux de recours aux sages-femmes référentes ?

D'une manière générale, l'acte technique des centres périnataux de proximités (CPP) fait-il l'objet d'un financement forfaitaire ou à l'acte ? Cette tarification permet-elle à ces structures d'organiser une activité renforcée de suivi prénatal et post-natal ? Cette tarification doit-elle évoluer ?

Les travaux de notre mission d'information mettent en lumière des indicateurs de mortalité infantile et maternelle qui peuvent inquiéter. Cette situation n'est pas uniquement liée à l'organisation des soins, mais aussi au suivi des parturientes. Comme l'a souligné la Présidente, il faut tenir compte de facteurs personnels et de la précarité. La première cause de mortalité après l'accouchement est la maladie psychiatrique. Les cotations existantes permettent-elles de suivre les femmes dans des conditions idéales ? Au titre de la prévention du post-partum, ne faudrait-il pas prendre en charge à 100 % l'entretien post-natal précoce ?

Enfin, avez-vous initié une réflexion sur l'activité libérale des infirmières puéricultrices ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - Le dispositif de la sage-femme référente a été lancé très récemment. Entre le 12 novembre 2023 et le 31 janvier 2024, 15 912 formulaires ont été réceptionnés par les CPAM. 2 325 sages-femmes ont ainsi été déclarées référentes, sachant que la France compte plus de 7 000 sages-femmes installées en libéral. Nous avons lancé la campagne de promotion la semaine dernière et organisé un webinaire pour expliquer aux sages-femmes libérales le dispositif et la rémunération associée. Nous souhaitons également les accompagner sur le terrain et accompagner les autres professionnels de santé pour qu'ils encouragent leurs patientes à déclarer une sage-femme référente. Nous sommes très agréablement surpris par le taux de montée en charge du dispositif.

Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Le dispositif de la sage-femme référente concerne uniquement la femme enceinte et prend fin après l'accouchement ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - Il se limite à la période prénatale et post-natale. La sage-femme référente assure la coordination de la prévention des soins dans le cadre du suivi prénatal et post-natal. Nous avons introduit un forfait de santé publique pour les sages-femmes de 1 000 euros par an. Cet équivalent de la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) des médecins est fondé sur six indicateurs : la vaccination contre la grippe ; la vaccination contre la coqueluche ; l'existence d'un suivi dentaire pendant la grossesse ; la participation à l'entretien prénatal ; la participation à l'entretien post-natal ; la participation à au moins trois séances de préparation à la naissance et à la parentalité. La sage-femme se voit confier une sorte de cahier des charges. Elle n'est pas nécessairement chargée de procéder à la vaccination et de réaliser la totalité des séances, mais elle est responsable du parcours, pour lequel elle reçoit un financement à la fois en tant que sage-femme référente et dans le cadre du forfait de prévention.

L'entretien post-natal précoce a été instauré notamment pour prévenir et identifier le plus rapidement possible le risque de post-partum. Cet entretien est réalisé de préférence au domicile de la patiente afin de mieux appréhender son environnement. Il n'est pas strictement médical, mais orienté sur les signaux faibles en matière de santé mentale (relation mère-enfant, etc.). Le suivi post-natal n'est pas pris en charge à 100 %. Le réseau nous remonte des incompréhensions de la part des patientes ou des praticiens à ce sujet. La piste d'une prise en charge intégrale pourrait être explorée. Se pose également la question de l'adressage des patients vers le dispositif « Mon soutien psy ». Les annonces du Premier ministre vont conduire à modifier ce parcours. Il paraît souhaitable de donner l'accès à cet outil aux sages-femmes pour qu'elles puissent orienter les parturientes en situation de fragilité.

Mme Véronique Guillotin, rapporteur. - Le financement de l'accouchement, ainsi que du suivi prénatal et post-natal dans les petites maternités est-il suffisant pour bâtir un modèle économique ? En cas de regroupement des plateaux techniques, est-ce que les CPP bénéficient de financements particuliers pour renforcer la prévention ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) serait plus à même de vous répondre sur la prise en charge hospitalière et obstétricale. Nous nous intéressons plus spécifiquement à la partie ambulatoire et aux actes des praticiens de ville.

Dans les différentes réformes du financement des établissements de santé, le champ obstétrical n'a pas été identifié comme étant un champ pour lequel les modalités de tarification posaient problème. En d'autres termes, l'obstétrique n'a pas été considérée comme un champ à risque, à ma connaissance. J'ajoute que l'Assurance maladie n'est pas en charge de cette réforme.

Je reviens à une question qui m'a été posée précédemment. 75 % des femmes voient une sage-femme ou un médecin dans les sept jours suivant l'accouchement. Il s'agit de la principale recommandation de la Haute Autorité de Santé. Jusqu'à présent, nous fixions aux CPAM un objectif de moyens portant sur le nombre de parcours PRADO Maternité effectués. Compte tenu de l'émergence de la profession de sage-femme libérale et de la structuration de l'offre de soins autour de dispositifs tels que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), l'articulation maternité-ville s'améliore. De plus en plus de maternités travaillent en lien avec un réseau de sages-femmes libérales, capables de suivre les femmes à leur sortie. Depuis l'année dernière, nous avons remplacé l'objectif de moyens par un objectif de résultat : notre réseau est évalué et financé sur l'atteinte d'un taux de 80 % de sorties de maternité faisant l'objet d'un accompagnement. Il appartient à la CPAM de déployer les outils à sa disposition ou de mettre en lien la CPTS avec la maternité en fonction de la réalité du maillage territorial de santé.

Durant les Assises de la Pédiatrie, la question de la création d'une profession libérale d'infirmière puéricultrice a donné lieu à de nombreux débats. L'Assurance Maladie jouera le rôle d'exécutant de la mission qui lui sera ou non confiée. Pour l'instant, les actes de puériculture n'existent pas dans nos nomenclatures. Nous pouvons les créer sans que la profession ne soit installée en libéral, afin que les actes puissent être cotés par les PMI. Pour qu'une PMI dispose de moyens financiers, elle doit pouvoir facturer à l'Assurance Maladie le plus grand nombre d'actes. Actuellement, les PMI ne peuvent pas nous facturer les actes relevant de la puériculture. Les avis opposés à la création d'une profession libérale à part entière partent du principe que l'infirmière puéricultrice ne peut travailler que dans une équipe de soins : ce n'est qu'au sein d'une PMI que son travail est efficace. Cette question peut légitimement être posée. Il leur est plus difficile de construire un modèle économique lorsqu'elles sont isolées en ville.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelles sont les raisons de cette sous-facturation des PMI : manque de temps, complexité de la cotation ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - Les PMI sont les seules structures, avec les établissements de santé, à bénéficier d'une dérogation pour détenir des vaccins et vacciner les patients sans suivi nominatif, au contraire des vaccins que les patients se procurent en pharmacie. Cette dérogation perdurera. Nous devons donc trouver un autre système pour assurer un suivi exhaustif des vaccinations. En revanche, il faudrait que les PMI puissent nous facturer tous les autres actes. Elles ne le font pas, car elles sont débordées et ces actes ne relèvent pas de leur coeur de métier. Pour leur part, les établissements de santé disposent d'équipes consacrées à la cotation des actes. Les professions libérales veillent à facturer correctement leurs actes, car il s'agit de leur gagne-pain. Les PMI évoluent dans un entre-deux. Elles reçoivent une dotation du Conseil départemental et n'ont donc pas d'intéressement direct au fait d'être correctement rémunérées. Cette année, nous lançons un accompagnement pour que les PMI facturent correctement leurs actes et puissent ainsi recevoir le bon niveau de financement de l'Assurance Maladie. En retour, nous pourrons réaliser un meilleur suivi de leurs actes.

Nous avons entamé des travaux sur la manière de recueillir des données issues des examens obligatoires de l'enfant. Parmi ces vingt examens obligatoires, il y en a trois dont les résultats doivent être adressés à la PMI. Ces certificats contiennent des données cliniques (taille, poids, etc.). La PMI est censée d'une part, remonter ces données à la DREES de manière anonymisée à des fins d'études épidémiologiques sur la santé de l'enfant et d'autre part, conduire des actions d'« aller vers » auprès des familles les plus en difficulté. Or, la PMI ne reçoit que 40 % de ces certificats, car seulement 40 % des médecins les remplissent et les leur transmettent. Il s'agit d'un problème majeur en matière de suivi des données.

Avec la dématérialisation des données et la création de « Mon Espace Santé », nous allons passer à une autre dimension. Les Ségur de la santé visent à rendre interopérables les logiciels des professionnels de santé. La vague 2 concerne le carnet de santé de l'enfant. « Mon Espace Santé » comportera une rubrique dédiée aux enfants. Nous demanderons aux professionnels, pour trois de ces examens obligatoires, de remplir les certificats sur un formulaire dématérialisé. Cette étape sera obligatoire. Nous n'aurons pas accès aux données contenues dans le dossier dématérialisé du patient. En revanche, le logiciel des professionnels sera équipé d'un filtre d'anonymisation, nous pourrons ainsi récupérer les données anonymisées grâce à un système d'alimentation en Y. Ce projet sera déployé d'ici deux à trois ans.

Si nous y parvenons, nous aurons à notre disposition des données cliniques sur trois âges-clés. Nous pourrons par la suite étendre cette possibilité aux 17 autres examens obligatoires de l'enfant. Cela signifie que d'ici trois ou quatre ans, nous aurions accès à des données épidémiologiques beaucoup plus exhaustives sur la santé de l'enfant. Pour l'instant, seuls les parents et le médecin ont accès au carnet de santé de l'enfant.

M. Laurent Somon. - Les infirmières puéricultrices en PMI sont chapeautées par des médecins de PMI. Dans la Somme, elles réalisent 2 996 visites à domicile et 6 860 consultations. Pourquoi n'est-il pas possible de remonter la totalité des actes ? Est-ce parce que la nomenclature n'est pas bien définie, ou parce que les conseils départementaux ne réclament pas ces données ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - Les actes facturables à l'Assurance Maladie font l'objet d'une sous-déclaration massive et la nomenclature des infirmières puéricultrices reste à créer. Nous pourrions tout à fait en créer une, en lien avec la Haute Autorité de Santé (HAS) puisqu'il s'agit d'un travail scientifique.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - La nomenclature devrait donc être créée en lien avec la HAS.

Mme Marguerite Cazeneuve. - Absolument. Pour nos différentes nomenclatures, nous tenons des sortes de gigaregistres. Nous sommes en train de revoir la classification des 13 000 actes techniques des médecins. La HAS doit valider scientifiquement toute création, modification ou suppression d'acte.

Une fois les actes définis, nous passons à la phase conventionnelle, c'est-à-dire la négociation tarifaire entre l'Assurance Maladie et les syndicats représentatifs de la profession.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quid des infirmières puéricultrices ?

Mme Marguerite Cazeneuve. - La cotation et les nomenclatures deviennent indispensables dès lors qu'une profession devient libérale, pour qu'elle puisse nous facturer des actes. Comme nous n'avons pas reçu de demande de création de la profession libérale d'infirmière puéricultrice, le besoin de créer une nomenclature ne s'est pas fait nécessairement sentir, ou a été jugé moins prioritaire que celui d'actualiser et de créer des nomenclatures pour les autres professions. Par exemple, nous nous apprêtons à lancer des travaux de clarification de la nomenclature des actes des infirmiers libéraux, après l'avoir fait pour les kinésithérapeutes et les médecins.

Mme Jocelyne Guidez. - Je suis étonnée qu'il n'existe toujours pas de registre des naissances. Savez-vous pourquoi ?

Deuxième question : aujourd'hui, nous manquons de pédiatres. Les petites maternités ferment pour des raisons de sécurité. Pourtant, le taux de mortalité n'a pas diminué. Avez-vous la réponse à ce problème ? La France figure en queue du peloton des pays européens.

Mme Marguerite Cazeneuve. - Je vous prie de m'excuser de ne pouvoir vous répondre, car la CNAM n'est pas compétente sur le champ de l'activité des petites maternités. Le régime d'autorisation est du ressort de l'État.

Les chercheurs d'EPI-PHARE ont créé un registre EPI-MERE dédié à la pharmacoépidémiologie. Il s'agissait, à la suite du scandale de la Dépakine, de suivre les femmes enceintes auxquelles de la Dépakine avait été prescrite, pour analyser les éventuels liens de cause à effet entre la prise de substances médicamenteuses et la mortalité infantile ou maternelle.

Il est très compliqué de tenir des registres. À chaque fois que nous constatons des angles morts dans notre système de santé, il nous faut identifier de quelles informations nous aurions besoin et qui devrait être chargé de leur alimentation afin de mener nos analyses à leur terme. Le jour où les données extraites des examens obligatoires de l'enfant seront consolidées, nous disposerons d'éléments exhaustifs sur le développement de l'enfant, et pourrons donc faire le lien entre le développement de l'enfant, au-delà des enquêtes ou des cohortes, et la santé, notamment psychiatrique, de la mère.

Le Ministère de la Santé a lancé récemment des travaux sur la recherche en soins primaires - auxquels nous participons - pour inciter la médecine générale à renseigner, avec l'autorisation des patients, un certain nombre de données (alcool, tabagisme, alimentation), qui seraient reversées au SNDS pour alimenter la recherche. Nous savons requêter et réaliser des appariements. Encore faut-il avoir une source de données exhaustive et déterminer de quelles données nous avons besoin.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie de toutes ces informations et vous invite à nous répondre par écrit au questionnaire que nous vous avons adressé.

Merci, mes chers collègues, d'avoir assisté à cette audition. Nous nous retrouverons au retour de la suspension, lundi 29 avril après-midi, pour la suite de nos auditions.

Santé mentale - Audition des docteurs Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du centre de psychopathologie périnatale du groupe hospitalier universitaire Paris, et Lucie Joly, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine, responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux de La Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau, de Mme Élise Marcende, présidente de l'association Maman Blues, du docteur Marie Chivé, psychiatre, et de Mme Marie Moïa-Tison, sage-femme coordinatrice, de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du centre hospitalier de la Côte Basque

(Lundi 29 avril 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, après quelques jours de suspension parlementaire, nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale.

Nous entendons aujourd'hui M. Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du centre de psychopathologie périnatale (CPPB) du groupe hospitalier universitaire (GHU) Paris, Mme Lucie Joly, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux de La Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau (AP-HP), Mme Élise Marcende, présidente de l'association Maman Blues et, en visioconférence, Mmes Marie Chivé, psychiatre, et Marie Moïa-Tison, sage-femme coordinatrice de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale (Emoppsy) du centre hospitalier de la Côte Basque.

Nos auditions ont permis de mettre en lumière une préoccupation spécifique aussi bien sur la question de la santé mentale de la mère pendant et après la naissance que sur celle du développement psychoaffectif de l'enfant dans les tout premiers jours, mais aussi, phénomène moins connu ou reconnu, sur la question de la santé mentale des pères.

Les résultats de la dernière enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) le confirment : le suicide est désormais la première ou la deuxième cause de mortalité des mères dans l'année qui suit leur grossesse, ce qui interroge sur la prise en charge de la santé mentale des mères dans les périodes prénatale et postnatale. Une femme sur sept présente par ailleurs une dépression post-partum.

De récentes études montrent que le premier facteur de risque serait d'avoir développé une dépression avant ou pendant la grossesse. Cela signifie qu'il est possible d'agir en amont, notamment en prenant mieux en compte l'environnement de la femme enceinte.

La santé mentale est considérée par toutes les personnes que nous avons pu entendre comme un élément essentiel pour l'avenir de l'enfant, mais aussi comme un enjeu de santé publique, que tentent d'intégrer la campagne des « mille jours », l'entretien du quatrième mois ou encore l'entretien postnatal précoce, autant de dispositifs qui ne semblent pas être utilisés pleinement.

Vous nous direz quelle est votre analyse de cette situation et quelles solutions peuvent être apportées dans l'amélioration du suivi de la femme pendant et après sa grossesse. Il semble notamment que si des outils permettent de détecter les signes de dépression en période postnatale - l'inventaire de dépression postnatale d'Édimbourg (EPDS) en est un -, ils restent néanmoins perfectibles.

Vous nous présenterez également, dans ce contexte, le positionnement, les missions et les résultats de vos structures respectives dans l'accompagnement des mères. Il serait, par ailleurs, intéressant d'avoir votre avis sur la formation des professionnels de santé à l'identification des signes de détérioration de la santé mentale et à l'accompagnement des patients, ainsi qu'à l'évolution des facteurs de risques - isolement, précarité, âge des parturientes ou obésité - au sein de la population.

Enfin, une meilleure prise en compte des problématiques de santé mentale dans le suivi de la grossesse nécessite du temps et de la coordination. Comment répondre à ces impératifs dans un contexte de tension sur les effectifs en psychiatrie et en psychologie notamment ?

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Élise Marcende, présidente de l'association Maman Blues. - Maman Blues est une association francophone à visée non thérapeutique créée en 2006, mais dont le site et le forum datent de 2003. Ses trois objectifs sont d'informer, de témoigner et de soutenir, majoritairement les femmes, parfois les pères. Il s'agit de donner l'information aux personnes concernées et de les orienter en fonction de leurs besoins, de leur demande et de l'urgence de la situation.

Notre association compte environ 70 bénévoles, essentiellement des référentes locales. Quatre modératrices ont pour mission de veiller au bon fonctionnement de notre forum d'échanges, caractérisé par la bienveillance et l'empathie, et d'empêcher que s'y déroule tout échange de médication.

Si nous nous inquiétons évidemment du bien-être psychique des femmes et de possibles intentions suicidaires, nous prêtons également une attention particulière au bébé. Nous organisons des groupes de parole, y compris à distance, et menons des actions en coordination avec les professionnels de santé, les structures et les instances publiques, comme le Collège national des sages-femmes de France ou encore l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Comment vous répartissez-vous à l'échelle nationale ?

Mme Élise Marcende. - Cela dépend de la présence de bénévoles installés. L'Île-de-France compte ainsi trois référentes, contre une seule dans la région de Bordeaux. Nous sommes loin de couvrir l'ensemble du territoire national, mais sommes présents en Belgique, en Côte d'Ivoire, en Allemagne ou encore en Nouvelle-Calédonie.

Mme Lucie Joly, psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP), responsable de l'unité de psychiatrie périnatale commune aux hôpitaux de La Pitié-Salpêtrière, Tenon et Armand-Trousseau. - Je suis psychiatre à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, spécialisée en psychiatrie périnatale, et je fais de la recherche à Sorbonne Université sur les processus impliqués dans les troubles mentaux périnataux.

Contrairement à une fausse représentation encore tenace dans nos sociétés, la période périnatale est marquée par une incidence dramatique de troubles mentaux, notamment du fait des transformations du cerveau maternel tout au long de la grossesse et des transitions familiales pendant cette période.

Dans l'année qui suit l'accouchement, environ 20 % des femmes ressentent des symptômes de dépression du post-partum empirant avec l'allaitement - douleur psychologique, perte de plaisir, fatigue - et développent des croyances négatives sans fondement. Par ailleurs, le risque de récidive lors des grossesses ultérieures est estimé à 50 % et lorsque la dépression n'est pas correctement prise en charge, l'évolution vers un trouble dépressif chronique ou un trouble de l'humeur de type bipolaire est à craindre.

On sait aujourd'hui, grâce aux évolutions de la recherche en psychiatrie et en neurosciences, que ce trouble est lié à des changements cérébraux et hormonaux et qu'il peut être favorisé par des facteurs de risque psychologiques et sociaux de mieux en mieux identifiés. Toutefois, la dépression périnatale peut également frapper comme un coup de tonnerre dans un ciel serein et toucher des mères sans antécédent psychiatrique, après des grossesses sans complication et en l'absence de facteurs de risque environnementaux.

Ce trouble a des conséquences dramatiques. La mortalité par suicide représente aujourd'hui la première cause de décès maternel pendant la première année du post-partum. Il faut rappeler que le taux de suicide en France reste l'un des plus élevés en population générale dans les pays européens. Selon les conclusions du 7e rapport de l'ENCMM, une femme en post-partum se suicide toutes les trois semaines, souvent avec des modes opératoires très violents : pendaison, précipitation sous un train, un pont ou depuis une fenêtre.

La clinique du suicide maternel est d'une rare complexité, tant elle implique des facteurs entrelacés, difficilement compréhensibles à partir du seul prisme médical, biologique ou psychiatrique. Les motivations à mourir sont multiples et difficilement généralisables.

Au-delà de ces situations tragiques, les chiffres sur le suicide maternel mettent en lumière la souffrance silencieuse des mères, dissimulée depuis des siècles sous des strates de vernis social et de représentations faussées sur la maternité bienheureuse. Ce qui transparaît aujourd'hui dans les études épidémiologiques est le reflet des transitions sociales autour de la parentalité. Concentrée autour du couple plus que sur la famille élargie, la parentalité contemporaine bénéficie probablement de moindres relais familiaux que par le passé. Accompagner les parents dans cette période sans équivalent est une priorité de santé publique.

M. Romain Dugravier, pédopsychiatre, chef du centre de psychopathologie périnatale du groupe hospitalier universitaire Paris. - Je rejoins les propos du docteur Lucie Joly sur la fréquence des symptomatologies anxiodépressives, qui touchent près de 15 % des femmes et 8 à 10 % des hommes. Force est de reconnaître qu'il s'agit d'un problème courant de santé publique.

Il est plus compliqué d'identifier le nombre de personnes ayant réellement besoin d'accéder à des professionnels de santé mentale. Comme le disait Lucie Joly, près de 20 % des femmes qui accouchent auraient besoin d'être accompagnées aux plans émotionnel et affectif. Cela étant, je voudrais mettre l'accent sur les situations les plus complexes et sur les personnes les plus vulnérables. Selon des données peut-être moins fiables, au moins 1 à 2 % des femmes présenteraient des troubles psychiatriques chroniques sévères, qui mobilisent énormément d'énergie de la part des professionnels, sont extrêmement déstructurantes, et pour lesquelles une approche encore plus spécifique semble s'imposer.

En résumé, la gradation des difficultés exige une gradation de l'offre de soins. Partant de ce constat, les obstacles et les limites se situent au niveau de l'accès aux soins : seulement 27 % des femmes déclarant vivre une souffrance psychique accèdent ainsi à un professionnel de santé mentale. Quand cet accès aux soins existe, on relève plusieurs discontinuités : discontinuité entre les périodes anténatale et postnatale d'abord - on change d'équipe, de lieu, de professionnel -, discontinuité dans l'offre de soins entre la ville et l'hôpital et particulièrement en santé mentale ensuite et, enfin, discontinuité du regard des professionnels, liée à des difficultés d'acculturation. Il faut faire en sorte que les professionnels travaillent et pensent ensemble des situations complexes et multifocales.

Plusieurs propositions peuvent être faites. Vous avez évoqué la coordination. Dans son enquête, le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) a relevé que les femmes ignoraient comment notre système était organisé et qu'elles ne savaient pas s'y repérer. Il convient donc de mieux les informer, mais aussi d'améliorer la lisibilité et la structuration de nos réseaux. L'objectif est de proposer une offre de soins graduée, avec une offre de proximité et une offre de recours, voire d'expertise, qui soit suffisamment lisible sur le territoire.

Il faut peut-être aussi développer un langage qui soit suffisamment partagé entre les professionnels et les usagers. J'ai l'habitude de travailler avec la théorie de l'attachement, qui permet, grâce à Nicole et Antoine Guédeney, à des personnes d'horizons divers de décrire les situations et de les penser ensemble.

La notion d'équité doit également être prise en compte. Si nous ne voulons laisser aucun usager sur le côté et si nous voulons offrir les mêmes chances à tous, il nous faut proposer une offre équitable et graduée.

Enfin, on a évoqué la santé mentale des mères, la santé mentale des pères et le développement des enfants. Pour avoir travaillé pendant dix ans sur des personnes adultes souffrant de troubles psychiatriques chroniques, j'ai pris conscience de l'importance d'une approche bifocale, concertée, contiguë et conjointe. On a parfois tendance à penser la santé mentale comme une succession d'événements : d'abord on s'occupe de la mère, puis du père et ensuite du bébé. Pour notre part, nous défendons un modèle où la psychiatrie et la pédopsychiatrie travaillent de concert pour prendre soin aussi bien de la santé mentale des adultes que de celle de l'enfant et du lien entre l'enfant et ses parents.

Mme Marie Moïa-Tison, sage-femme coordinatrice de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du centre hospitalier de la Côte Basque. - Avec le docteur Chivé, nous représentons Emoppsy, l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du pôle Femme mère et enfant au sein du groupement hospitalier de territoire (GHT) Navarre Côte-Basque, située au centre hospitalier de la Côte Basque (CHCB), à Bayonne.

Ce projet original réunit trois spécialités : la pédiatrie, l'obstétrique et la psychiatrie. Depuis un peu plus de trois ans, notre équipe répond à un besoin territorial, dans une démarche d'« aller vers », en périnatal, c'est-à-dire de la période anténatale au premier anniversaire de l'enfant, avec possibilité d'avis antéconceptionnel. Nous intervenons en psychiatrie, pour répondre aux besoins spécifiques des patients présentant des vulnérabilités psychiatriques, mais aussi pour répondre aux besoins du coparent, du bébé à venir et de la triade, une fois l'enfant né.

Pluridisciplinaire, notre équipe compte six membres aux compétences complémentaires : une psychiatre, deux psychologues, une psychomotricienne, une assistante sociale et une sage-femme coordinatrice. Chaque spécialité a sa spécificité, ce qui permet de porter des regards croisés. C'est là toute la richesse du projet. Les soins sont organisés sous forme de consultations, qui s'effectuent seul ou en binôme selon la situation. Ils sont complétés par des ateliers parentaux et par des visites à domicile.

Ce dispositif a pu voir le jour grâce à une dotation annuelle de financement de l'ARS et l'appel à projets des « mille premiers jours », avec le soutien du réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine et les dispositifs locaux et territoriaux de santé mentale.

Nos missions consistent dans des actions de prévention et dans la prise en charge précoce, en anténatal et en postnatal, des patientes ayant des antécédents psychiatriques connus. Ces patientes sont repérées lors de l'entretien prénatal précoce, au quatrième mois de grossesse, à l'aide de l'autoquestionnaire de repérage des vulnérabilités émanant du Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine, mais aussi lors de l'entretien postnatal précoce dans le post-partum et, éventuellement, à l'aide de l'EPDS, ou échelle d'Édimbourg.

Ces missions s'organisent également autour des patientes présentant des symptômes, qu'elles aient ou pas des antécédents psychiatriques, et une attention particulière est portée sur les signes de dépression périnatale : anxiété, tristesse, troubles du sommeil ou encore hypervigilance. Nous nous inscrivons dans le soutien à l'établissement du lien parent-bébé et dans la prévention du risque de retentissement de toutes ces vulnérabilités sur la mise en place des interactions précoces. Nos missions s'articulent également autour du repérage des signes précoces d'altération du développement psychomoteur du nourrisson.

Nous élaborons conjointement avec nos partenaires un parcours personnalisé de soins et nous nous intégrons aux dispositifs existants, dans un réseau de soins de proximité ville-hôpital.

Notre objectif est de nous adapter de la façon la plus cohérente possible aux besoins des patients, dans une continuité anténatale et postnatale, en lien avec nos partenaires hospitaliers ou extrahospitaliers, les professionnels du secteur privé ou libéral ou encore les institutions. Les réunions de concertation pluridisciplinaires, les staffs médico-psychosociaux ou encore les staffs régionaux de psychiatrie périnatale sont des temps de coordination mensuels.

Enfin, en ce qui concerne les chiffres, nous notons une augmentation de notre activité clinique : notre file active est passée de 142 patientes en 2021 à 403 en 2023. De même, le nombre d'actes a crû de 640 en 2021 à 2 197 en 2023. Les chiffres relatifs à l'accueil et l'accompagnement des hommes sont également en hausse, passant modestement de 4 en 2022 à 31 en 2023. Si les vulnérabilités des hommes peuvent être plus difficiles à repérer, il est tout aussi important de les accompagner.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quel bassin de population couvrez-vous ? S'agit-il d'une expérimentation ou d'une activité pérenne ? Quand l'avez-vous démarrée et pouvez-vous tirer un premier bilan de cet « aller vers » ?

Mme Marie Chivé, psychiatre de l'équipe mobile de psychiatrie périnatale du centre hospitalier de la Côte Basque. - Notre équipe a commencé son activité en février 2021, grâce à un premier financement de l'ARS. Au départ, nous n'étions que trois, à temps partiel, puis nous avons répondu en 2022 à un appel à projets pour atteindre actuellement l'équivalent de 3,7 équivalents temps plein (ETP). Notre équipe est la seule équipe mobile de psychiatrie périnatale à intervenir sur le territoire Navarre Côte Basque, qui regroupe environ 300 000 habitants.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quelle est concrètement votre organisation ?

Mme Marie Chivé. - Notre équipe est estampillée « équipe mobile », mais réalise de fait de plus en plus de soins conjoints. Nous sommes basés à la maternité de Bayonne, où se déroule la majorité des accouchements, mais nous nous déplaçons également dans le Pays basque intérieur, notamment à la maternité de Saint-Palais à une heure de Bayonne, qui enregistre environ 250 accouchements par an. Nous nous déployons aussi dans la maternité privée, où l'on recense près de 1 500 accouchements par an. Nous essayons d'intervenir à domicile, mais notre équipe est largement sous-dimensionnée au regard des missions qui lui sont attribuées.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Cet « aller vers » pourrait cibler des territoires plus ruraux et reculés, ainsi que des populations qui consultent rarement. Avez-vous évalué la dimension de l'équipe mobile qui permettrait véritablement de mener ces actions à domicile ?

Mme Marie Chivé. - Nous effectuons déjà des visites à domicile autour de la maternité de Bayonne, mais nous n'avons pas la capacité de le faire dans l'arrière-pays, par exemple autour de Saint-Palais. Nous le faisons de manière très sporadique, pour les cas les plus complexes.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Quel type d'équipe vous faudrait-il pour réaliser un « aller vers » conforme à vos objectifs ?

Mme Marie Chivé. - Pour assurer la continuité des soins et étendre nos visites à domicile, il faudrait a minima doubler les effectifs. Il faut bien comprendre que nos postes ne sont pas remplacés. Je suis la seule médecin et ma collègue est la seule sage-femme de l'équipe. Les autres membres sont à temps très partiel.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Est-ce un problème de ressources humaines ou de moyens financiers ? Les deux à la fois ?

Mme Marie Chivé. - Les deux à la fois, mais surtout un problème de moyens financiers. Un premier financement de l'ARS nous a permis de constituer l'équipe, mais nous aurions besoin de financements supplémentaires pour étoffer l'équipe et nous déployer plus largement.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Au début de nos travaux, nous avons été effarés par le fait que la première cause de mortalité chez les mères en post-partum était le suicide. Vos propos également m'ont donné quelques frissons. Il est urgent d'agir, sur le plan tant de l'organisation du système que de la prise en charge de la psychiatrie et de la périnatalité. La situation actuelle est très inquiétante.

Comme lors des auditions précédentes, l'idéal que nous souhaiterions atteindre se heurte à la réalité des ressources humaines qui sont à disposition pour mener les missions. Il serait faux de dire que le Gouvernement n'investit pas dans la santé ; la part du PIB que nous y consacrons n'est pas la plus faible parmi les pays européens. Pour autant, nous ne sommes franchement pas les meilleurs.

Vous avez déjà abordé la question, mais n'avons-nous pas un problème de repérage précoce, qui fait que nous passons à côté de certains signaux ? Une solution ne serait-elle pas de former certains professionnels au repérage et de leur confier des actions peu onéreuses permettant d'identifier les personnes les plus fragiles ?

Nous l'avons vu ce matin avec l'audition des responsables du site 1000-premiers-jours.fr : le suivi au moins jusqu'à un an après la naissance permet de maintenir une vigilance sur les parents. Si ces familles n'étaient pas lâchées dans la nature, peut-être éviterait-on une prise en charge psychiatrique ou psychologique renforcée par la suite, en désamorçant certaines situations ou en orientant plus tôt vers les bonnes solutions. Certains professionnels - je ne parle pas des gynécologues-obstétriciens ni des sages-femmes qui nous manquent tant aujourd'hui - pourraient suivre une formation adaptée. Au-delà, ne faudrait-il pas former tous les professionnels de santé et infuser cette culture que nous avons peut-être, jusque-là, insuffisamment prise en compte ?

Avez-vous des propositions ? N'y a-t-il pas, en matière de recherche, des expérimentations à mettre en place ? Je suis très attachée à l'évaluation des dispositifs que l'on met en place. Que pourrions-nous proposer que nous puissions évaluer et, à terme, dupliquer afin d'améliorer les choses ?

M. Romain Dugravier. - À l'instar de ce qu'ont mis en place nos collègues de la Côte Basque, le service dont je m'occupe dispose également d'une équipe mobile proposant une offre graduée : la consultation des équipes mobiles est complétée par une offre de recours appelée « hôpital de jour », qui peut accueillir les bébés avec leurs parents pour la journée.

Cela fait dix ans que le service est structuré exclusivement autour de la psychiatrie périnatale et nous faisons le même constat d'une augmentation de l'activité. Dans un contexte qui est plutôt celui d'une baisse de la natalité, cela nous conforte dans l'idée que nous n'avons pas encore atteint le plateau d'une offre suffisamment accessible pour les usagers.

Sur le décalage entre l'idéal et la réalité, nous avons un axe important à suivre : toutes les familles passent par la maternité. L'enjeu est de faire en sorte que les maternités soient suffisamment sensibilisées et disposent de suffisamment de ressources pour proposer une offre graduée.

Vous avez raison, toutes les personnes éprouvant des moments de détresse psychique ne doivent pas nécessairement consulter un psychiatre ou un pédopsychiatre. La question est celle de la levée des obstacles entre ce qui peut être identifié à la maternité et le recours à la médecine générale, à la pédiatrie, à la protection maternelle et infantile (PMI) et, éventuellement, à l'offre plus spécialisée qui est la nôtre.

Il faut améliorer la connaissance d'une offre déjà existante, qui est par ailleurs très diversement répartie sur le territoire. Le Sud parisien, par exemple, est bien mieux achalandé en offre de soins que d'autres lieux.

Parfois, les femmes ne savent tout simplement pas vers qui se tourner. Or on sait que du côté des professionnels, un obstacle au dépistage peut être la pensée suivante : « Si je recherche sans pouvoir ensuite orienter le patient, mieux vaut ne pas chercher. »

Il faut donc une bonne information des professionnels, une structuration des réseaux et une lisibilité de l'accessibilité.

Mme Lucie Joly. - Je suis spécialisée en psychiatrie périnatale. Il s'agit d'une spécialité holistique, à l'interface entre la psychiatrie, la gynécologie et la pédiatrie, et qui assure la prise en charge des mères et de leurs nourrissons.

La difficulté de cette spécialité est de conjuguer les préoccupations qui concernent les mères et celles qui concernent les enfants, les enjeux étant parfois divergents. En France, la psychiatrie périnatale se transforme. Depuis la publication du décret du 28 septembre 2022, les structures assurant des soins en psychiatrie périnatale doivent être dotées à la fois d'un psychiatre adulte et d'un pédopsychiatre, et le regard doit être porté à la fois sur les spécificités de la mère et sur le développement de l'enfant.

Pour notre part, nous espérons vivement que cette complémentarité viendra enrichir la discipline. Le regard du psychiatre spécialisé dans la prise en charge de l'adulte est indispensable pour la clinique périnatale. La dépression du post-partum, malgré ses spécificités, est avant tout une dépression qu'il faut traiter comme telle, en suivant les recommandations valables pour toute forme de dépression. Malgré cette exigence, trop peu de praticiens sont spécialisés en psychiatrie périnatale sur le territoire français.

Par ailleurs, il est vrai que lorsqu'une dépression est diagnostiquée, les praticiens sont souvent réticents à prescrire des thérapeutiques médicamenteuses pendant la grossesse ou le post-partum, par crainte d'effets indésirables sur le foetus ou sur le nourrisson. Il en résulte que certaines femmes présentant des troubles psychiatriques chroniques comme le trouble bipolaire de type 1 ou des symptômes dépressifs anténataux ne reçoivent pas de traitement adapté.

Les professionnels de santé sont insuffisamment formés à la gestion des thérapeutiques pendant la grossesse, bien qu'il existe des bases de données pour guider les prescriptions, comme celle du Centre de référence sur les agents tératogènes (Crat), et que les sociétés savantes aient formulé des recommandations.

Je pense également qu'il faut favoriser le dépistage précoce et pour cela mieux former les sages-femmes en psychiatrie périnatale. Elles constituent le premier rempart pour renforcer la santé mentale des femmes pendant cette période. L'accès à la formation en psychiatrie périnatale dans le cursus de maïeutique est inégal sur le territoire et très variable selon les universités. Cette formation mériterait d'être uniformisée.

Peut-être pourrait-on également mettre en oeuvre pour les sages-femmes, sur le modèle des surspécialisations existantes dans les autres disciplines médicales, une surspécialité en psychiatrie périnatale, qui inclurait des stages dans des unités de psychiatrie périnatale ou des unités parents-bébé.

Je pense également qu'il conviendrait de transformer l'entretien post-natal précoce, qui est souvent vécu comme une contrainte en termes d'organisation pour les femmes ayant des difficultés à gérer un nouveau-né et une fratrie au quotidien, en visite à domicile systématique. Encore une fois, la sage-femme semble être une intervenante essentielle pour assurer ce suivi ambulatoire post-partum au domicile.

La recherche en psychiatrie et en neurosciences périnatales n'est pas assez soutenue. Plusieurs équipes internationales ont pourtant montré que les transformations cérébrales et les modifications hormonales pendant la grossesse participaient à fragiliser la santé maternelle. Des traitements de nouvelle génération, dérivés des neurostéroïdes - la brexanolone ou la zuranolone -, sont disponibles aux États-Unis, mais ne bénéficient pas d'autorisation de mise sur le marché en France. Nous devons soutenir les nouvelles modalités de recherche sur la santé mentale maternelle en renforçant le lien entre ces unités cliniques de psychiatrie périnatale et les équipes scientifiques.

Dernière piste de réflexion, je pense que l'utilisation des nouvelles technologies, telles que les applications en ligne, constitue aussi un moyen efficace de maintenir un lien thérapeutique avec les patientes, en particulier dans les contextes de confinement ou d'isolement social. Ces outils permettent d'évaluer et de repérer les patientes à risque et de les orienter vers des services spécialisés en santé mentale périnatale pour qu'elles puissent bénéficier d'un suivi adapté à leurs besoins.

Pour notre part, à l'aide d'un financement de l'agence régionale de santé, nous sommes en train de développer une application numérique de suivi et d'accompagnement, appelée SmartPartum, destinée à la prévention et à la prise en charge de la dépression du post-partum. Cette application propose un dépistage numérique des symptômes de dépression et des interventions thérapeutiques adaptées à l'intensité de la symptomatologie dépressive.

Par ailleurs, avec le docteur Hugo Bottemanne, nous avons proposé en 2023 à la direction générale de l'offre de soins (DGOS) la création d'une équipe spécialisée dévolue à l'accueil téléphonique, l'accompagnement et l'orientation des femmes présentant des symptômes de dépression du post-partum, s'articulant avec le dispositif inclus dans l'application des 1 000 premiers jours et proposant la passation de l'échelle d'Édimbourg. Notre projet, appelé Artémis, créé sur le modèle de la plateforme VigilanS existante en psychiatrie pour la prévention du suicide, permettait de mettre en relation les mères avec des équipes spécialisées dans la santé mentale maternelle sur l'ensemble du territoire. Malheureusement, ce projet n'a pas été retenu par la DGOS et les financements n'ont pas été reconduits pour la période 2023-2025. Tous les documents relatifs à ce projet sont à la disposition de la commission.

Mme Élise Marcende. - Aujourd'hui, durant la période anténatale, on parle beaucoup aux parents de la santé physique, mais peu, voire pas du tout de la santé psychique.

Les femmes qui viennent vers nous nous disent régulièrement : « je ne sais pas ce qu'il m'arrive », « je n'ai pas l'instinct maternel », « je devrais être la plus heureuse des femmes, mais je suis triste. » Les parents ne savent pas vers qui se tourner, faute d'informations sur les possibilités de prise en charge à la sortie de la maternité. Certains parents ne connaissent même pas la PMI.

Certains professionnels de santé parlent de baby blues, mais ne vont pas plus loin, même quand leur patiente présente des signes assez importants de souffrance psychique. Il y a alors une forme de banalisation de la souffrance psychique. Et quand le mal-être s'installe de façon insidieuse - la dépression postnatale survient au cours de la première année de vie de l'enfant -, certains médecins disent aux femmes qu'elles ne peuvent pas faire une dépression postnatale parce qu'elles ne sont pas dans l'après-accouchement. Parfois, on prescrit un traitement médicamenteux sans proposer de suivi psychologique ou psychiatrique, voire une hospitalisation si nécessaire.

Alors que les femmes rencontrent durant la grossesse un grand nombre de professionnels de santé, il arrive que les signes de souffrance psychique de certaines d'entre elles n'aient pas été vus alors même que parfois ils préexistaient en anténatal, et qu'elles arrivent à l'accouchement dans un état psychique assez dégradé. Les professionnels de santé ne sont pas forcément formés ou assez sensibilisés sur ce sujet.

Enfin, l'application des 1 000 premiers jours est assez régulièrement en danger, les crédits qui lui sont alloués n'étant pas renouvelés de façon pérenne. On met en lumière la problématique de la santé mentale mais ce qui existe pour accompagner les parents n'est pas suffisamment porté par les pouvoirs publics.

Mme Marie Chivé. - À la maternité de Bayonne, quand notre équipe a vu le jour, nous avons mis en place une formation obligatoire en psychiatrie périnatale pour toutes les sages-femmes. Ma collègue a donné des cours sur les interactions précoces entre la maman et le bébé. Nous avons désormais pour objectif de créer une formation territoriale.

Les sages-femmes sont très satisfaites d'avoir été formées sur ces questions, à la suite desquelles elles ont mieux su repérer les difficultés de leurs patientes en consultation, notamment en suite de couches. Dès lors, elles étaient mieux à même d'orienter les patientes vers notre équipe ou des professionnels spécialisés. Il est donc important, comme l'a dit le docteur Joly, de former les sages-femmes en psychiatrie périnatale.

Mme Marie Moïa-Tison. - De la même manière, nous revenons en équipe sur des situations cliniques qui ont pu surprendre ou choquer des sages-femmes afin de mieux les sensibiliser aux difficultés rencontrées par leurs patientes.

Si le repérage se fait mieux, l'offre de soins demeure insuffisante. Une femme qui fait une dépression n'a pas nécessairement besoin de consulter un psychiatre ; en revanche, un accompagnement psychologique est extrêmement bénéfique, parfois en très peu de séances. Pourquoi ne pas imaginer que les patientes puissent bénéficier de dix ou quinze séances chez un psychologue, remboursées comme le sont les séances de rééducation périnéale ?

Mme Marie Chivé. - En pratique, nous recevons très peu d'appels de médecins généralistes et de pédiatres, beaucoup plus de sages-femmes ou de gynécologues-obstétriciens. Les pédiatres, qui voient pourtant régulièrement les enfants et leurs parents, ne sont pas suffisamment formés, ne serait-ce que pour interroger les parents sur leur état de santé mentale.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Depuis le début de nos auditions, les problèmes de santé mentale et les difficultés des jeunes couples sont très régulièrement évoqués. Autrefois, on ne parlait que de baby blues. Y a-t-il eu une bascule ? De quand date-t-elle ? À quoi est-elle due ? À l'évolution de la société ? À l'éclatement des familles ? Aux réseaux sociaux ?

Les chiffres concernant l'activité d'Emoppsy montrent une très nette évolution en trois ans. Bénéficiez-vous du bouche à oreille ? Avez-vous parlé de votre équipe à l'ensemble des professionnels de santé ?

Enfin, selon vous, le dépistage doit-il être assuré par un professionnel de santé spécifique ou par l'ensemble des professionnels ?

Mme Lucie Joly. - Les troubles psychiques périnataux ont toujours existé, simplement l'évolution sociétale a permis une libération de la parole. Les femmes s'autorisent davantage à verbaliser leurs difficultés. Avoir un enfant, ce n'est pas l'euphorie que l'on décrivait auparavant. Les réseaux sociaux jouent beaucoup, à l'instar du #MonPostPartum. Peut-être la pandémie de covid a-t-elle également accentué les troubles périnataux, notamment les troubles anxieux et dépressifs.

Selon moi, la sage-femme est la plus à même de coordonner le dépistage, car elle a un rôle pivot. Dans les maternités, nous avons des équipes de parentalité qui réunissent tous les professionnels de la périnatalité - les sages-femmes, les obstétriciens, la PMI, les réseaux ambulatoires - et qui jouent un rôle crucial dans la coordination des soins, mais la continuité n'est pas toujours assurée après l'accouchement. Une sage-femme référente pour chaque grossesse pourrait assurer cette continuité, ancrée dans une structure ambulatoire ou dans une interface ville-hôpital, sur le modèle de ce qui se fait, par exemple, avec la Maison des femmes, dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes au sein des centres hospitaliers. À titre d'exemple, l'hôpital Saint-Antoine, qui ne comprend plus de maternité, assure des soins psychiatriques périnataux en relation avec les réseaux périnataux d'Île-de-France et propose des hospitalisations spécialisées pour les femmes en souffrance.

Mme Élise Marcende. - Il y a vingt ans, on ne parlait pas de la santé mentale périnatale comme on le fait aujourd'hui. Les femmes étaient vues comme des folles lorsqu'elles évoquaient leurs difficultés. Les réseaux sociaux et leurs photos instagrammables d'une maternité idéale peuvent être très anxiogènes, mais il existe aussi de nombreux comptes sur lesquels les femmes évoquent leurs souffrances psychiques ou périnatales, mais aussi tous les aspects de la maternité.

Certaines femmes sont suivies par des professionnels de santé, par des psychiatres quand elles ont des troubles psychiques préexistants. Or il arrive que ces professionnels ne soient jamais en relation avec les professionnels de la maternité, ce qui est un problème. Il faudrait, dès que la femme est enceinte, que ce professionnel de santé, quel qu'il soit, se mette en relation avec les professionnels qui vont la suivre durant sa grossesse. Certaines femmes nous disent que leur psychiatre leur a dit d'arrêter leur traitement, ce qu'il ne faut pas faire. À la fin de leur grossesse, elles sont donc dans un état très dégradé.

M. Romain Dugravier. - La culture de la pratique en psychiatrie est assez différente de la culture de la maternité. On doit apprendre les uns des autres.

On défend tous la place des sages-femmes, qui permet des échanges dans des domaines différents.

Les femmes qui ont un trouble bipolaire ou qui souffrent de schizophrénie se sentent particulièrement menacées par notre système et par les propositions qui leur sont faites. Il faut donc qu'on trouve des interlocuteurs qui puissent faciliter l'accès aux soins psychiques et à la maternité, comme tout un chacun.

Il y a déjà vingt ans, Françoise Molénat, pédopsychiatre, défendait déjà l'entretien prénatal précoce et la sage-femme de coordination. Elle disait bien que les sages-femmes étaient les premières interlocutrices pour accéder aux émotions et à la détresse psychique des femmes, avant les psychologues et les psychiatres.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Apparemment, la formation des sages-femmes est inégale d'un territoire à l'autre.

M. Romain Dugravier.  Lorsqu'elles débutent, les sages-femmes veulent faire naître des bébés et que leurs mères soient en bonne santé après la naissance. C'est ensuite qu'elles découvrent que, dans un cas sur cinq, les femmes sont débordées par leurs émotions. C'est quand ces problématiques émergent pour elles qu'elles ont besoin de réponse et de formation. La formation continue est donc essentielle.

Mme Élise Marcende. - Il faudrait que les personnes qui ont traversé ces expériences puissent également intégrer ces formations continues. C'est intéressant pour le professionnel de santé d'avoir face à lui ces témoignages.

M. Romain Dugravier. - Pour en revenir à votre question sur l'augmentation éventuelle des problèmes de santé mentale, nous sommes tous d'accord sur le fait qu'il y a probablement non pas une augmentation, mais une meilleure visibilité des dépressions périnatales. Compte tenu de l'évolution des traitements, il y a aussi plus de femmes ayant des troubles psychiatriques sévères qui peuvent avoir un enfant.

Dans notre pratique, on le voit, la libération de la parole permet aux femmes d'oser dire ce qu'elles traversent. Lorsque j'ai débuté, je voyais des enfants âgés de 6 ou 10 ans, dont les parents disaient qu'ils avaient eu des difficultés à construire un lien avec eux, dès le début. Cela m'a donné envie d'intervenir le plus précocement possible.

Mme Marie Moïa-Tison. - La position de sage-femme permet un accès plus fluide et moins effrayant aux soins psychologiques et psychiatriques. Le premier rendez-vous d'accueil par une sage-femme permet ensuite aux femmes de voir un psychologue.

Mme Marie Chivé. - Lorsqu'une patiente nous est adressée, le premier rendez-vous a systématiquement lieu avec une sage-femme. Un lien de confiance s'instaure, un environnement bienveillant est créé, qui permet aux femmes d'accepter ensuite de rencontrer un psychologue ou un psychiatre. Il faut donc que les sages-femmes aient un bon niveau de formation.

Mme Marie Moïa-Tison. - La dépression périnatale est très culpabilisante. Une terrible honte est systématiquement associée à cet état dépressif, qui n'est pas justifié par la société ou la famille. Une fois que la honte est déposée, la femme peut être accompagnée.

Il existe aussi chez les femmes et leurs conjoints une peur des professionnels. Certaines femmes craignent qu'on ne leur retire leur enfant parce qu'elles sont déprimées. De même, les professionnels ont eux aussi des peurs : ils craignent que leur patiente ne se suicide.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Avez-vous remarqué ces dernières années des angoisses plus importantes liées aux instabilités des équipes médicales, à la fermeture de maternités ? La sortie précoce de la maternité est-elle un facteur de risque ?

Selon vous, y a-t-il un lien entre la santé mentale des mères et la maltraitance des enfants, voire les infanticides ?

Le Gouvernement a prévu le remboursement de consultations de psychologues dans le cadre du dispositif Mon soutien psy. Qu'en pensez-vous ?

Mme Lucie Joly. - En moyenne, les femmes restent trois jours après l'accouchement dans les services de suites de couches. Cette durée correspond davantage à des enjeux de surveillance organique plutôt de prise en compte des besoins psychologiques. Pour certaines mères en difficulté dès les premiers jours de vie du nourrisson ou avec des antécédents ou des facteurs de risque psychiatriques identifiés, cette durée peut être allongée. Toutefois, un grand nombre de symptômes psychiatriques péripartum surviennent bien après ce court temps hospitalier.

Paradoxalement, la surveillance médicale et paramédicale dont bénéficient les femmes et les nourrissons pendant cette période peut également mettre certaines patientes en difficulté du fait de la médicalisation de la relation avec l'enfant. Les problèmes de prise de poids ou d'allaitement ou les habilités parentales dans les premiers soins peuvent être des sources d'angoisse et participer à la souffrance psychologique dans les premiers jours de vie.

Les unités kangourou, les unités mères-enfants intégrées au sein des services des suites de couches offrent un réel soutien aux familles en prenant le temps d'accompagner ces parents dans leur rôle parental. Malheureusement, ces unités sont encore trop peu nombreuses dans les maternités. Des services comme le Prado, le service d'accompagnement du retour à domicile, permettent un soutien à la parentalité dans les situations à bas risque médical et psychique. Pour les troubles psychiatriques plus sévères, les femmes bénéficient moins de ces prises en charge.

Le véritable enjeu reste l'accès aux soins après la sortie de la maternité. L'offre de soins est réellement insuffisante sur le territoire. Les structures les plus importantes pour la prise en charge des femmes souffrant de troubles psychiatriques chroniques ou d'apparition aiguë ou après la grossesse, ce sont les unités parents-bébés, spécialisées en psychiatrie périnatale. Elles peuvent accueillir les femmes enceintes ou en difficulté pendant la grossesse pour des hospitalisations programmées ou des dyades mère-bébé après l'accouchement. Les places dans ces unités sont rares et de nombreuses mères ne peuvent jamais y accéder. En Ile-de-France il ne reste aujourd'hui que trois unités de ce type en mesure de répondre à ces enjeux.

Je vais essayer de répondre à votre question sur l'infanticide et les néonaticides. Dans les formes de suicide à visée antalgique, les mères témoignent d'une douleur psychologique si intense qu'elles ne s'imaginent pas pouvoir continuer à poursuivre le combat de l'existence et préfèrent l'échappatoire antalgique de la mort pour échapper au quotidien.

D'autres fois, le suicide est motivé par la croyance d'un avenir sans espoir, empli de menaces et de souffrances, par une culpabilité irrationnelle, faite de fautes présumées, de croyances d'indignité, ou encore par la conviction de faire peser un poids insurmontable sur ses proches.

Pendant la période périnatale, le suicide maternel se double aussi d'enjeux néonataux. Emprisonnées dans les croyances dépressives qui inhibent toute possibilité d'espoir et de plaisir, certaines mères se persuadent que la mort de leur nourrisson est préférable aux ténèbres d'un avenir douloureux.

Le suicide maternel peut aussi s'accompagner de néonaticides, dits altruistes, motivés par la peur de laisser le nourrisson souffrir dans un monde apocalyptique ou par la crainte de l'abandonner à la solitude douloureuse de l'existence.

M. Romain Dugravier. - Il s'agit cependant de cas très rares. Certes, ces situations dramatiques existent. Mais la santé périnatale, physique comme mentale, ne peut être appréhendée au travers de ce seul prisme. Prenons garde à l'image que nous renvoyons du post-partum.

Mme Lucie Joly. - Nous souhaitions rappeler que les chiffres sont inquiétants et que des mesures doivent être mises en place.

M. Romain Dugravier. - Nous l'avons tous dit. Attention, néanmoins, au message que nous laissons.

Mme Élise Marcende. - Les femmes que nous recevons font preuve d'une très grande préoccupation vis-à-vis de leur enfant et des séquelles qu'elles pourraient leur laisser.

Il est surtout inquiétant que les mères ne parlent pas de leur bébé. Il peut arriver que certaines d'entre elles aient des idées noires, et qu'elles souhaitent emmener, dans leur geste, leur enfant. Mais les femmes accueillies par Maman Blues sont surtout très inquiètes pour leur bébé.

Concernant la psychose puerpérale, il s'agit d'une situation particulière. Ce trouble psychiatrique sévère peut pousser au suicide, mais aussi à l'infanticide, et doit être fortement surveillé.

Les femmes que nous avons renvoyées vers le dispositif Mon soutien psy nous ont fait part de plusieurs difficultés, au premier rang desquelles figure la nécessité de consulter son médecin généraliste pour y avoir accès. De même, il est souvent compliqué de trouver un psychologue susceptible de les prendre en charge - sachant que tous ne sont pas formés aux problématiques spécifiques qui les concernent. Enfin, lorsque la patiente va très mal, huit séances ne sont pas suffisantes pour effectuer un véritable travail thérapeutique.

S'agissant de l'augmentation des formes d'angoisses vécues par les parents ces dernières années, le covid est passé par là. Lors du premier confinement, tout le monde s'est arrêté de vivre. Des femmes comme des hommes ont été privés de suivi, malgré le recours à la téléconsultation - nous chez Maman Blues notamment organisé des visioconférences. Il faut néanmoins distinguer l'isolement réel de l'isolement vécu. Le premier renvoie à l'éloignement physique de la famille, qui est de plus en plus courant : certaines femmes déménagent même au moment de la grossesse. Mais il y a aussi l'isolement vécu, celui que l'on ressent alors que l'on est entouré. Or, après l'accouchement, dès qu'ils rentrent chez eux, les parents sont laissés seuls : il est primordial de réfléchir à leur accompagnement. Le village, qui jouait autrefois ce rôle, n'existe plus : il faut désormais le constituer soi-même, bien avant l'accouchement.

M. Romain Dugravier. - Les mères expriment avant tout une préoccupation pour leur enfant. On ne peut parler de maltraitance, mais de diverses formes de maltraitance, qui découlent parfois de l'isolement qui vient d'être évoqué. Le sentiment d'isolement, en particulier, est un indicateur bien plus puissant que l'isolement réel.

La question de la protection de l'enfant est intimement liée à celle de la naissance et de la période qui la suit. Les différents acteurs doivent donc travailler de concert. Depuis plusieurs années, nous organisons des formations régulières à destination des juges aux affaires familiales et des juges des enfants. Ce travail en commun permet de lever plusieurs limites.

Votre questionnaire mentionnait l'intervention d'équipes mobiles, notamment dans le cadre du programme Panjo - Promotion de la santé et de l'attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents - porté par Santé publique France. Ce dispositif vise à lutter contre l'isolement, lequel est perçu comme un facteur de vulnérabilité. Les visites à domicile qu'il prévoit permettent de faire émerger des demandes.

Le pédiatre Donald Winnicott disait qu'un bébé seul n'existe pas. Et comme le soulignait Élise Marcende, des parents seuls avec un bébé ne devraient pas exister. Il faut donc les aider à construire un réseau d'aide à partir de leur environnement familial et social, incluant aussi des professionnels de confiance.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel rôle l'allaitement maternel joue-t-il dans la santé mentale périnatale ? A-t-il un effet bénéfique ? Au contraire, une mère en état de dépression est-elle susceptible de moins allaiter son enfant ?

Mme Élise Marcende. - L'allaitement n'est pas une pratique innée : là encore, il doit être accompagné. Or, au sein d'une même maternité, les professionnels de santé ont parfois des discours très différents, ce qui peut provoquer une forme de confusion pour les femmes qui viennent d'accoucher. L'allaitement doit être entouré. Il convient donc d'informer les parents de la présence d'une consultante en lactation au sein de la maternité, quand c'est le cas, et de leur indiquer les associations à contacter, si nécessaire, dès leur retour au domicile, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

En outre, il faut distinguer l'allaitement choisi de l'allaitement subi. Si l'allaitement est source d'une forme d'épanouissement pour une femme, même si elle se trouve en situation de souffrance psychique par ailleurs, cette pratique doit être encouragée, et, surtout, accompagnée. En revanche, si l'allaitement n'a pas été un véritable choix, il peut contribuer à une forme de mal-être, même s'il n'en constitue pas le seul facteur.

Mme Lucie Joly. - L'allaitement doit être un moment agréable qui favorise le lien entre la mère et son bébé. S'il découle d'une forme de pression sociale exercée sur la femme, l'allaitement peut être très mal vécu. La mère doit se lever toutes les trois heures chaque nuit, alors que le manque de sommeil est un facteur de risque de décompensation, notamment dans les troubles bipolaires. L'allaitement présente donc des avantages comme des inconvénients.

Mme Marie Chivé. -Même lorsqu'il n'est pas subi et qu'il représente un moment de plaisir et de partage, l'allaitement pose des contraintes techniques, liées notamment au rythme de sommeil ou encore au statut hormonal. Abandonner l'allaitement se révèle ainsi parfois utile à certaines femmes atteintes de pathologies psychiatriques. Il est donc difficile d'apporter une seule réponse à votre question.

Mme Marie Moïa-Tison. - Il faudrait proposer un allaitement mixte, grâce au tire-lait, et, de ce fait, plus souple - par exemple le matin et le soir seulement. Cela éviterait notamment à la patiente de ressentir une forme de culpabilité, mais également d'être la seule à subvenir aux besoins de son bébé.

Mme Marie Chivé. - Il est en effet fréquent que les professionnels au sein d'une même maternité, en fonction notamment de leur génération, ne tiennent pas les mêmes discours. Or les patientes se sentent souvent perdues, ce qui peut entraîner une forme de culpabilité. Il devrait y avoir davantage de consultants en lactation.

Mme Élise Marcende. - Les informations sur l'allaitement devraient en outre être dispensées aux deux parents, afin d'éviter que la charge ne repose que sur la mère, qui subit déjà la fatigue de l'accouchement notamment.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie pour votre contribution. Nous restons dans l'attente de vos réponses au questionnaire que nous vous avons transmis.

Information des femmes et du grand public sur la grossesse, l'accouchement et la maternité - Audition de Mmes Katrin Acou-Bouaziz, cheffe de service Société et Grossesse au magazine Parents, Renée Greusard, journaliste et essayiste, Anna Roy, sage-femme, chroniqueuse de La Maison des Maternelles (France 2), et Zoé Varier, journaliste et productrice des podcasts scientifiques In Utero et Naître (France Inter)

(Mardi 14 mai 2024)

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. -Bonjour à toutes et à tous. Notre présidente Annick Jacquemet est retenue et nous rejoindra en cours de réunion.

Notre audition de cet après-midi porte sur l'information des femmes et du grand public en matière de santé périnatale, à savoir tous les sujets ayant trait à la grossesse, à l'accouchement, au post-partum et aux soins des nourrissons.

En tant que pédiatre, ce dernier sujet m'intéresse tout particulièrement : nous avons été alertés, au cours des précédentes auditions, sur la diffusion de conseils inadaptés sur les réseaux sociaux, s'agissant par exemple du bon couchage des nouveau-nés, essentiel dans la prévention de la mort subite du nourrisson.

Nos auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de la mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque liés à un âge maternel plus tardif, une augmentation de la précarité, une plus forte prévalence de l'obésité et une santé mentale dégradée.

Il nous a semblé intéressant, dans ce contexte, de nous pencher sur les connaissances du grand public en matière de santé périnatale, sur la manière dont les femmes enceintes, et plus généralement les parents, s'informent sur ces sujets et sur le rôle que jouent les médias et les réseaux sociaux en la matière.

Pour cela, nous entendons cet après-midi :

- Anna Roy, sage-femme et chroniqueuse dans l'émission La Maison des Maternelles, diffusée chaque matin sur France 2 ;

- Katrin Acou-Bouaziz, cheffe de service Société et Grossesse pour le magazine Parents ;

- Renée Greusard, journaliste et essayiste ;

- Zoé Varier, journaliste et productrice des podcasts scientifiques « In Utero » et « Naître » sur France Inter.

Bienvenue à vous. Vous participez à la diffusion d'informations en matière de santé périnatale auprès du grand public. Vous nous expliquerez comment vous concevez vos émissions et articles respectifs et choisissez les thèmes que vous traitez. Que traduisent-ils des questionnements des parents et futurs parents ? Nous avons le sentiment que les parents sont plus inquiets qu'avant quant à la grossesse et la santé de leur bébé, tous deux faisant l'objet d'une surveillance accrue. Pour autant, nous assistons, dans le même temps, à un intérêt croissant pour une moindre médicalisation, un recours à un accouchement plus physiologique et des conseils médicaux plus naturels et de « bon sens » - qui ne l'est pas toujours. Quel regard portez-vous sur ce phénomène qui semble paradoxal ? Les regards d'Ana Roy et de Renée Greusard seront notamment très utiles, puisqu'elles font régulièrement dans leurs émissions état de témoignages de femmes.

Le sujet de la santé périnatale dépasse heureusement la seule cible des jeunes parents. Je pense notamment aux podcasts scientifiques produits par Zoé Varier. Madame Varier, vous nous expliquerez vos motivations pour proposer ce contenu à France Inter, de quelle manière vous appréhendez la cible grand public, quelles lacunes vous identifiez en matière de connaissance scientifique et quel est, selon vous, l'intérêt de proposer un contenu accessible en la matière.

En outre, vous nous expliquerez chacune comment vous sélectionnez, triez et vulgarisez les connaissances scientifiques et médicales à destination du grand public.

Enfin, vous êtes toutes quatre présentes sur les réseaux sociaux : quel regard portez-vous sur les conseils qui y sont diffusés ? Quid de leur pertinence, leur risque ou la pression sociale que peuvent subir les femmes quant à leurs pratiques et leur choix, notamment lorsqu'elles sont confrontées à des visions idéalisées de la grossesse, de l'accouchement et de la parentalité ? Alors qu'une femme sur sept présente une dépression post-partum et que le suicide est désormais la première cause de décès des mères dans l'année qui suit l'accouchement, les problématiques de santé mentale vous semblent-elles suffisamment identifiées à l'heure actuelle ?

Je vous passe la parole, puis laisserai notre rapporteur, Véronique Guillotin, poser une première série de questions.

Cette réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Anna Roy, sage-femme et chroniqueuse dans l'émission La Maison des Maternelles. - Je suis sage-femme depuis environ quinze ans. J'ai démissionné de l'hôpital il y a deux ans et je pratique actuellement une activité libérale. Je suis chroniqueuse dans l'émission La Maison des Maternelles depuis 8 ans, autrice d'une quinzaine de livres grand public traitant des questions de santé et de périnatalité et à l'origine de deux podcasts, l'un produit par Europe 1, l'autre par Slate, concernant tous deux la santé des femmes. Je pratique d'autres activités dans l'enseignement. Enfin, mon compte Instagram dénombre 246 000 abonnés, mais je vous expliquerai pourquoi ce compte n'est pas mon principal intérêt.

Je tiens à rappeler l'importance de la vulgarisation médico-scientifique. C'est un véritable enjeu de santé publique qui me semble insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics. Cette vulgarisation, si elle est bien faite, pourrait fortement réduire la morbi-mortalité périnatale. C'est tout l'enjeu de cette table ronde : déterminer ce qu'est une information « bien faite », car cela, entre autres :

- incite les femmes à consulter ;

- permet la détection précoce ;

- promeut les dépistages et la vaccination, sujet particulièrement important dans le contexte actuel ;

- réduit les comportements à risque ;

- promeut la salutogénèse.

Il s'agit par ailleurs d'une obligation déontologique pour les professionnels de santé. Le code de la santé publique indique qu'il faut encourager nos patients et nos patientes « au libre-choix concernant les praticiens, les établissements de santé et les thérapeutiques » et donc qu'il existe un devoir d'information.

J'aimerais illustrer mes propos par trois exemples criants :

- Amira, enceinte de huit mois, regarde l'émission La Maison des Maternelles et comprend, grâce à un de mes tutoriels, que ses symptômes ressemblent à ceux d'une cholestase gravidique. Elle se rend aux urgences où une césarienne lui sera immédiatement pratiquée pour retirer le bébé in extremis ;

- Sophie, traitée depuis deux mois pour une dépression post-partum sévère, décide un matin de mettre fin à ses jours et se souvient d'un de mes conseils, expliquant que « quand on a envie de mourir, on va aux urgences », ce qu'elle fait. Elle sera internée et ne se suicidera pas ;

- Hugo, petit garçon de huit ans, qui après avoir lu mon livre « Tout sur les zézettes et les zizis » avoue à sa mère qu'il subit des attouchements de la part de son professeur de tennis depuis plusieurs années.

J'ai mille anecdotes similaires. L'information est capitale et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer.

Mme Renée Greusard, journaliste et essayiste. - Je suis journaliste au Nouvel Obs et j'ai écrit quelques livres sur la parentalité, plus précisément sur la maternité. Pourquoi ? Parce que j'ai moi-même manqué d'informations et que ce manque s'est avéré douloureux. Je vous parle aujourd'hui en tant que journaliste et essayiste, mais également en tant que mère ayant subi une dépression post-partum en 2015. Lorsque j'ai écrit mon livre Enceinte, tout est possible, qui explore les injonctions faites aux femmes enceintes, j'avais été frappée de constater à quel point elles étaient infantilisées. J'ai tenté, via ce livre, de fournir des informations détaillées. Mon propos n'a jamais été de dire aux personnes enceintes : « faites n'importe quoi et amusez-vous bien », mais plutôt « voici les informations dont on dispose actuellement et voici les risques que présente telle ou telle pratique ». Parce que les grossesses sont devenues surmédicalisées, on culpabilise les femmes, spécialement quand elles s'octroient des libertés hors des recommandations en vigueur ; mais les êtres humains ne sont pas des robots. À mon sens, le message qui transpire de cette rigidité est terrible, impliquant que les femmes sont de mauvaises mères dès la grossesse.

Le sujet qui vous préoccupe aujourd'hui, est, je crois, profondément politique, éthique et philosophique. Lorsque, au cours de l'interview du médecin féministe Martin Winckler, je lui ai fait part du sentiment de transgression que je ressentais parfois lorsque je m'éloignais des nombreuses recommandations en vigueur, il a tiqué, répondant que d'après lui, le mot « transgression » ainsi utilisé était symptomatique d'un rapport patient-médecin dysfonctionnel. Je le cite : « On est dans la transgression que si l'on pense que la parole médicale est sacrée. En tant que médecin, on est censé regarder les études, transmettre les informations. Une fois qu'on les a données et que la femme enceinte connaît les risques, on ne l'embête plus. Pourquoi ? Parce que c'est une adulte, pas un enfant ». En ce qui concerne la grossesse, une information sanitaire de qualité respecte donc les femmes et leur intelligence. Je suis personnellement convaincue que les infantiliser est contre-productif.

Certains pays voisins l'ont compris et n'adoptent d'ailleurs pas du tout le même ton rigide envers les futures mères. J'en suis convaincue aussi : trop d'interdits amènent fatalement à ne pas pouvoir les suivre. Une bonne information est une information détaillée et nuancée.

Dans mon second livre, Choisir d'être mère, je raconte tout ce que j'aurais aimé savoir avant de devenir mère : le manque de sommeil, ses conséquences, le couple qui vacille, les phobies d'impulsion, etc. Toutes ces informations devraient être communiquées à tous les futurs parents. Je suis très heureuse d'avoir écrit ce livre mais il n'aurait jamais dû exister.

Une bonne information se partage au plus grand nombre.

L'historienne Yvonne Knibiehler m'a dit lors d'une interview en 2017 : « Si nous avons laissé nos filles croire que la maternité est un lieu de délices, c'est nous qui avons eu tort. Nous les avons mal élevées ». Elle proposait ainsi une formation pour sortir des fantasmes de la parentalité : « Cette formation pourrait commencer au moment où un couple a le désir d'enfanter. Il devrait alors recevoir un certain nombre d'informations. D'abord pendant la grossesse, avec des informations qui concerneraient surtout le développement du foetus et l'accouchement. Le départ et le retour au travail pourraient être plus progressifs, de manière à ce que la femme ne soit pas coupée brutalement de son environnement. Il me semble aussi que le jeune couple qui vient d'avoir un enfant devrait être directement affecté à une crèche et qu'il pourrait, avec un temps de formation, avoir l'obligation d'y aller un jour ou deux par semaine, ou encore deux demi-journées, y travailler bénévolement pour voir ce qu'est un bébé, quels sont les problèmes qu'il pose, les maladies auxquelles on doit faire face. Cette idée de travail bénévole permettrait aussi de faire baisser le prix de la crèche ». Cette idée peut faire débat mais je la trouve intéressante car si nous sommes tous et toutes des parents différemment, nous avons tous et toutes appris à le devenir.

De la même manière, ce qui manque cruellement aux parents, c'est un village pour aider à élever un enfant. « Il faut tout un village pour élever un enfant » entendons-nous souvent. Une part du mal-être des parents d'aujourd'hui vient du fait qu'ils sont très isolés. Quand on est toute la journée seule avec un bébé qui pleure, sans parvenir à manger, à se doucher, et en dette de sommeil, il y a de quoi sombrer. C'est pour ma part comme ça que je me suis mise à pleurer tous les jours. Quand je me suis retrouvée seule après la reprise de travail du père de mon premier fils. Il faut recréer des solidarités et que les informations circulent aussi entre pairs. Cela pourrait s'organiser dès la maternité, en créant par exemple des groupes Whatsapp constitués de personnes accouchant en même temps.

Une bonne information existe en dehors des livres et des institutions. Elle se transmet entre pairs.

Enfin, une bonne information s'adresse à toutes et tous. Elle doit prendre en compte, et sans jugement, toutes les spécificités : handicap, homosexualité, transsexualité, etc.

J'espère que cette mission permettra à toutes et tous de se sentir mieux, car l'enjeu est grand. Nous ne parlons pas que de mères et de pères mais aussi d'enfants, de leur bien-être et donc des adultes merveilleux que nous aimerions qu'ils et elles deviennent.

Mme Zoé Varier, journaliste et productrice des podcasts scientifiques « In Utero » et « Naître » sur France Inter. - Je travaille à France Inter et je suis productrice de deux podcasts : « In Utéro », qui s'intéresse à la vie intra-utérine, et « Naître », axé sur la naissance.

Je suis un peu en dehors des questionnements abordés aujourd'hui, car mes podcasts ne s'adressent pas spécifiquement aux femmes enceintes, mais tentent d'être accessibles à tous.

Dans « In Utero » je me suis interrogée sur l'origine de la vie. Je me suis attachée à rencontrer les plus grands chercheurs scientifiques français de ce domaine. J'ai rencontré des personnes désireuses de partager leurs savoirs au plus grand nombre. À mon sens, la vulgarisation de l'information scientifique est primordiale. Il s'agit d'un enjeu de santé publique, mais aussi de culture générale. Je ne suis pas scientifique ; les chercheurs ont dû m'expliquer leurs propos. Et c'est parce qu'ils ont été obligés de m'expliquer que moi, par la suite, j'ai pu expliquer à mon tour. Cette notion est pour moi très importante : oui, il est possible de comprendre à la fois les découvertes de la science et ce qui reste encore à comprendre dans le domaine de la vie intra-utérine et sur la naissance. Par exemple, une question qui peut paraître simple : pourquoi une femme accouche ? Qu'est-ce qui déclenche le travail ? On s'interroge toujours sur ces questions aujourd'hui.

Mes podcasts abordent également les sciences sociales. Je rencontre des historiens, psychanalystes et philosophes et les interroge sur la grossesse, le corps des femmes et la naissance. Par exemple, j'ai constaté que le foetus a été pendant longtemps le grand absent des études historiques et je me suis demandé pourquoi. De la même façon, j'ai travaillé avec des scientifiques et historiens sur le thème de la naissance. Je pense au professeur François Goffinet, directeur de la maternité de l'hôpital Cochin-Port Royal, avec qui j'ai abordé des questions éthiques, s'agissant notamment de la question de la réanimation des nouveau-nés prématurés et du handicap ultérieur potentiel de ces enfants. Ce médecin m'a expliqué qu'il n'avait plus les moyens aujourd'hui, à Port-Royal, d'accompagner les femmes enceintes comme il le devrait.

Mme Katrin Acou-Bouaziz, cheffe de service Société et Grossesse pour le magazine Parents. - Je suis journaliste au magazine Parents, responsable du service Société et Grossesse. Je travaille depuis vingt ans sur les sujets de la parentalité ; je dispose donc d'une vision assez large de l'évolution de l'information au fil des ans et de l'adaptation des médias sur ce sujet. Le magazine Parents est édité depuis 1969 et est devenu un magazine de référence dans le domaine. Je coréalise également un podcast qui s'appelle « Galère sa mère ! ». Des experts sont invités à répondre à des questions liées à la parentalité et l'objectif est de vulgariser l'information au maximum.

Je suis ravie d'être auditionnée sur cette question de savoir comment mieux informer les jeunes parents, qui est une réflexion de tous les jours au magazine. Il existe une problématique de cible : ceux qui sont informés ne sont pas toujours ceux qui devraient l'être. La question est de savoir comment diffuser l'information au plus grand nombre, d'où la multiplication des canaux : podcasts, réseaux sociaux, vidéos, ateliers en présentiel afin de permettre aux personnes n'étant ni lecteurs ni auditeurs de rencontrer les experts, de pouvoir s'informer, etc.

Nous avons compris que les lecteurs et lectrices étaient intéressés par deux choses : une caution « experts » (pour garantir la véracité des informations) et une caution testimoniale. Ils ne veulent plus se contenter des propos d'experts et de grands noms, mais souhaitent entendre d'authentiques témoignages afin d'être pleinement convaincus. En vingt ans, la situation a beaucoup évolué.

En outre, nous cherchons à nous adresser à tous : aux parents (bien que nous rencontrions des difficultés à être lus par les hommes), aux coparents, aux couples homosexuels, aux mamans célibataires, aux grands-parents, qui sont des acteurs forts de la parentalité à qui il est important de fournir des informations actualisées, et aux parents confrontés au handicap et au deuil qui ont été longtemps oubliés. Nous veillons, dans nos articles, à ne pas véhiculer d'injonctions, à ne pas adopter un ton péremptoire, ce qui nous a longtemps été reproché. Nous sommes là pour montrer ce qui existe et les parents se saisissent eux-mêmes de ce qui les intéresse. Le ton est donc volontairement déculpabilisant.

Nous travaillons également sur la culpabilité. En effet, les informations à disposition sont tellement nombreuses que, si une personne fait un choix, elle se sent toujours coupable d'avoir renoncé aux autres possibilités.

Par ailleurs, ajouter de l'humour dans la manière d'informer permet également d'atteindre la cible plus facilement. C'est quelque chose que nous essayons de développer au maximum pour évoquer des sujets de préoccupation souvent graves.

Nous mettons à disposition la parole des experts et organisons de grands entretiens. Nous constatons que nous jouons un rôle important dans le cadre des grossesses ; le suivi de grossesse figurant dans des newsletters, par exemple, vient peut-être remplacer un suivi médical de grossesse qui n'est pas toujours à la hauteur des attentes des futures mamans. D'après les témoignages, les maux de grossesse sont souvent balayés au cours des consultations médicales.

Mme Anna Roy. -Je me permets d'intervenir : c'est que nous manquons beaucoup de temps. Ces éléments viennent pallier le manque de temps des professionnels de santé pour exercer correctement leur métier.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. -Bien sûr, il s'agit d'un manque de temps, mais pour certains, c'est aussi un manque de préoccupation. D'après les témoignages, et pour l'avoir moi-même vécu, les femmes ne sont pas souvent écoutées, spécialement chez le gynécologue.

Nous avons également développé un guide des maternités, document qui n'existe pas de manière officielle. Ce sont les médias qui s'emparent de ce sujet-là. Nous traitons également de nombreux sujets sur l'alimentation de la femme enceinte, qui est une vraie préoccupation. Il existe de nombreuses injonctions et les femmes se sentent perdues.

Pour finir, les forums n'existent plus, mais les réseaux sociaux ont largement pris le relais. Ils sont beaucoup diabolisés, mais apportent à mon sens énormément de soutien aux femmes et aux pères.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour ces témoignages, qui complètent utilement les auditions déjà réalisées et apportent un éclairage important.

Vous avez évoqué l'isolement des mères et des familles, ainsi que les problématiques de santé mentale. Que pensez-vous du concept de la Maison des 1 000 premiers jours ?

Par ailleurs, je vous rappelle le contexte dans lequel s'inscrit cette mission : elle est née à la suite d'un rapport de l'Académie nationale de médecine préconisant de regrouper les maternités dénombrant moins de mille accouchements par an. Nous avons entendu de nombreux professionnels de santé, qui allaient globalement dans le sens de cette préconisation, mais de manière plus atténuée, mettant davantage en avant l'importance de disposer d'équipes stables afin de sécuriser l'accouchement. Nos auditions ont également permis de s'intéresser de façon plus préciser à la parturiente, son bien-être et son libre-choix avant, pendant et après l'accouchement.

Aucune d'entre vous n'a parlé du moment de l'accouchement ni du lieu choisi. D'après vos expériences, s'agit-il d'un vrai choix ? De quelle manière les mères choisissent-elles le lieu dans lequel elles souhaitent accoucher ? Ces choix vous paraissent-ils suffisamment éclairés ? Comment leur expliquer l'équilibre à trouver entre la sécurité nécessaire et la proximité ?

Madame Roy, comment appréhendez-vous le déferlement d'informations, et plus particulièrement les conseils parfois faux et dangereux pour la santé qui sont véhiculés par certaines influenceuses ?

Madame Greusard, vous avez évoqué la période du post-partum et de votre propre expérience. Pensez-vous que les femmes sont suffisamment informées sur ce sujet et sur les questions de santé mentale ? Qu'en est-il des professionnels de santé mais aussi de l'entourage des parturientes ?

La question de la charge mentale et du poids de la société sera également intéressante à traiter.

Mme Renée Greusard. - À mon sens, le choix de la maternité est restreint. Il s'agit davantage d'un manque de moyens que d'un défaut d'informations. Les maternités ferment et l'hôpital public est dans un état délétère. Les femmes qui ont le choix de leur lieu d'accouchement et du suivi associé sont celles qui en ont les moyens. À titre d'exemple, j'ai accouché dans une maison de naissance et je mesure ma chance car j'ai bénéficié d'un suivi exceptionnel. Mais un tel suivi n'est aujourd'hui financièrement pas accessible à tous, ce qui n'est pas normal.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je vous interroge alors sur le non-choix des femmes. Aujourd'hui, notre pays est confronté à des difficultés d'éloignement et de fermeture des maternités. Pensez-vous que les femmes sont suffisamment informées pour mener une réflexion éclairée sur l'équilibre entre la sécurité - qui impliquerait de fermer des maternités et regrouper des plateaux techniques - et la proximité ? Estimez-vous que ces concepts sont suffisamment vulgarisés ?

Mme Anna Roy. - Bien sûr que non. Il s'agit de concepts assez récents et inaudibles pour la plupart. Quand vous expliquez à des personnes qui viennent de s'installer qu'il faudra faire 1 h 30 de voiture pour accéder à la maternité, ils ne peuvent pas se satisfaire de cela. Je suis d'accord sur les constats : les maternités réalisant peu d'accouchements n'offrent pas les garanties suffisantes en matière de sécurité médicale, en particulier à cause des problèmes de personnels. Toutefois, il est important de continuer à faire vivre ces régions. La maternité est importante dans ce que cela dit d'un territoire. J'estime qu'il faut se battre pour maintenir les maternités avec un niveau de sécurité suffisant. Cela doit être considéré comme une priorité.

Les femmes sont-elles suffisamment informées sur les choix qui s'offrent à elles, même lorsqu'elles ont le choix ? La réponse est non et c'est à l'origine de nombreux problèmes. Certaines femmes se rendent dans une maternité sans savoir ce que celle-ci propose et en ressortent furieuses, constatant une dissonance entre leurs attentes et la réalité. Il est extrêmement important de leur expliquer les différents types de maternité. Libre ensuite à chacune de faire son choix. À chaque femme son choix.

Malgré tout, les conditions de travail en maternité restent une problématique importante. Il y a quelque temps, j'ai lancé le hashtag #JeSuisMaltraitante. Si ces conditions n'évoluent pas, le taux de morbi-mortalité va augmenter. Nous allons au-devant de catastrophes et jouons avec la santé physique mais aussi psychique des gens. La France a du mal à considérer que la santé mentale fait partie intégrante de la santé et qu'il ne suffit pas juste de « sauver les corps ».

Mme Renée Greusard. - Je souhaite partager un chiffre : il existe trois fois moins de maternités qu'en 1970, pour quasiment le même nombre de naissances. Avant de se questionner sur le choix, il est important de resituer le contexte.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - J'aimerais partager un témoignage : un couple attendant son deuxième enfant m'a confié choisir son futur lieu d'habitation en fonction de la localisation de la maison de naissance.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Je m'interroge : la problématique de fond n'est-elle pas l'isolement ? En tant que pédiatre, j'ai pu constater que les parents étaient isolés. À mon sens, le sujet de la grossesse n'est pas suffisamment abordé en amont de celle-ci.

Madame Varier, comment votre antenne a-t-elle accueilli vos projets de podcast ? Avez-vous rencontré des difficultés à la convaincre ?

Mme Zoé Varier. - Pas du tout. L'équipe s'est réjouie de ce projet. Je pense qu'elle se serait encore davantage réjouie si j'avais choisi de parler de la parentalité, mais j'estimais que les supports sur ce sujet étaient déjà nombreux. J'ai été entendue sans difficulté.

Mme Renée Greusard. - Il me semble qu'il n'y a pas de difficulté pour aborder ces sujets ni en presse écrite ni en radio. En revanche, j'ai constaté que le domaine de la télévision - notamment des producteurs hommes - montrait des réticences, considérant qu'il s'agissait de sujets « de bonne femme ».

Mme Anna Roy. - Je tiens néanmoins à saluer La Maison des Maternelles, une très belle émission de service public qui permet de libérer la parole. Elle occupe d'ailleurs une place qu'elle ne devrait pas occuper, certains patients m'ayant déjà confié que cette émission avait remplacé leur suivi médical. Cela en est presque tragique.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Madame Varier, pensez-vous qu'il y a suffisamment de communication autour des questions scientifiques ? Vous avez abordé la question de la réanimation des nouveau-nés. Comment faire comprendre aux parents qu'il est possible de réanimer leur enfant, mais que cette réanimation risque de provoquer de lourds handicaps ? Faut-il informer en amont des incidences physiologiques et potentiellement pathologiques de la grossesse ? Comment réussir à toucher tous les publics, notamment les plus précaires, autrement que par TikTok ou d'autres réseaux sociaux ?

Mme Zoé Varier. - À la maternité de l'hôpital Cochin, un protocole pour accompagner les parents en cas d'extrême prématurité a été mis en place, notamment pour informer les parents des risques et conséquences des pratiques. Le professeur Goffinet a beaucoup travaillé sur la thématique de l'information à fournir aux parents. Malgré tout, avant même d'informer, l'ensemble des soignants doit être d'accord sur la décision à prendre. La réanimation d'un extrême prématuré dépend du rapport de chacun au handicap. En fonction du rapport au handicap du médecin de garde, un enfant peut être ou non réanimé.

Mme Anna Roy. - Lorsqu'on les informe, il ne faut jamais mentir aux parents, au risque d'altérer leur confiance. Il ne faut pas avoir peur d'aborder certains sujets, les pathologies et la mort foetale in utero. Par exemple, si un praticien met simplement en garde contre le diabète gestationnel, la patiente peut estimer que l'on parle trop de son poids et ne pas avoir conscience des risques : il faut que le praticien explique concrètement les risques associés, comme la mort foetale in utero, afin que la patiente reçoive correctement l'information et comprenne les risques.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - Les patients ont désormais accès à une multitude d'informations. Il n'est plus possible d'agir comme s'ils n'étaient pas informés. La relation sage-femme-patient ou médecin-patient a évolué. Les praticiens sont désormais « obligés » d'expliquer. Plus les patients disposent d'informations et mieux c'est.

Mme Renée Greusard. - Votre question sur « comment informer autrement que par TikTok » est intéressante. Si l'information est pertinente, il n'est pas gênant qu'elle soit accessible via ce réseau social. À mon sens, il faudrait justement diffuser un message sanitaire là où les personnes cherchent les informations.

Par ailleurs, il existe un sujet assez méconnu mais qui touche pourtant une majorité de parents, à savoir les phobies d'impulsion, qui sont des pensées intrusives au cours desquelles un parent peut s'imaginer faire du mal à son enfant par exemple. En Suède, les parents sont informés de ces phobies d'impulsion via des fascicules distribués à la maternité. Ce dispositif n'existe pas en France, les parents n'en sont pas informés et se considèrent comme des monstres lorsqu'ils sont concernés. Il faudrait parler de ces phobies d'impulsion et les normaliser.

Par ailleurs, il est extrêmement important de s'adresser à tous. Les coparents jouent également un rôle fondamental.

Je constate que le monde a évolué entre mes deux grossesses. Les informations sont davantage diversifiées et accessibles. Malgré tout, certains parents ne sont toujours pas informés.

Mme Zoé Varier. - J'ai rencontré un chercheur en neurosciences qui a travaillé sur le cerveau maternel avant, pendant la grossesse et après l'accouchement. Il a constaté que des changements s'opéraient dans le cerveau, provoquant certains symptômes tels que le manque de concentration. Ce discours est très déculpabilisant pour les femmes. Je suis convaincue qu'il faudrait diffuser les résultats de ce travail. En effet, le cerveau s'adapte aux différents stades de grossesse et ce temps d'adaptation peut expliquer de nombreuses pathologies, telles que la dépression post-partum. Si les femmes avaient connaissance de cette information, elles vivraient sans doute bien mieux la situation.

Mme Florence Lassarade,, vice-présidente. - Je salue l'arrivée de la présidente, Madame Jacquemet et je lui laisse immédiatement la parole.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Bonjour à toutes et tous. Je vous prie d'excuser mon retard. Madame Greusard, vous parlez de l'évolution du monde entre vos deux grossesses. D'après vous, comment se traduit cette évolution et quelles en sont les raisons ?

Mme Renée Greusard. - Lorsque j'ai accouché de mon premier enfant, il y a neuf ans, très peu d'informations circulaient. Je pense que la quatrième vague féministe, qui a également touché la maternité, a libéré la parole des femmes. Après mon premier accouchement, je n'ai pas compris ce qui m'arrivait. J'ai découvert ce que signifiait être parent : un chaos à la fois physique et psychique. Je suis persuadée qu'il faudrait proposer aux futurs parents de suivre une thérapie en amont. Il n'y avait pas encore beaucoup d'informations disponibles à ce moment-là et c'est une des raisons de mon premier livre. Lorsque je suis devenue mère pour la seconde fois, j'ai été sidérée par la quantité d'informations à ma disposition : des comptes Instagram de grande qualité, des podcasts, des témoignages de femmes comme moi, des propos d'experts, etc. Par ailleurs, j'ai pu accéder à des dispositifs qui n'existaient pas à l'époque, tels que des cours de préparation à l'accouchement par l'hypnose. Je regrette d'ailleurs que ce service, très utile, ne soit pas remboursé par la Sécurité sociale.

Les différences entre mes deux grossesses sont flagrantes ; malgré tout, le chemin à parcourir est encore long. Je réfute totalement le fait de dire que la grossesse et la parentalité ne sont que du bonheur. Il conviendrait de mener un travail sur les fausses informations qui circulent.

L'isolement que nous évoquions plus haut peut également venir du fait qu'une partie de la population, qui n'est pas parent, ne comprend pas ce qu'implique la parentalité ; c'est une réalité à laquelle ils ne peuvent pas accéder, mais qu'ils peuvent comprendre, grâce aux informations. L'information doit donc également être partagée auprès des personnes qui ne sont pas parents, mais qui pourraient accompagner les nouveaux parents isolés et leur apporter le soin dont ils ont besoin. L'entourage peut être ce « village » si nécessaire évoqué plus tôt.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - J'ai également vécu deux grossesses. Lorsque j'ai commencé à travailler pour le magazine Parents, j'expliquais que je travaillais pour la presse spécialisée. Aujourd'hui, pour les médias, la question de la parentalité fait désormais partie de la rubrique « Société ». C'est un symbole fort.

Mme Anna Roy. - À mes débuts, les journalistes n'accordaient aucune importance à mes propos. Les différentes vagues féministes ont permis de comprendre que les femmes avaient des choses intéressantes à dire et qu'il fallait les écouter. En dix ans, le monde a changé.

Mme Katrin Acou-Bouaziz - De façon plus générale, tous les sujets qui ont trait à la vie intime, qui étaient relégués à la rubrique « féminine » ou à l'hyperspécialisation, sont aujourd'hui largement évoqués dans la société.

Mme Annie Le Houerou. - Merci pour votre travail. Au cours des précédentes auditions, les intervenants nous ont presque convaincus que nous, élus défendant parfois des petites maternités, étions irresponsables car durant l'accouchement, la sécurité physique était bien plus importante que tout le reste. Pourriez-vous revenir sur ce sujet de manière plus précise ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Une fois que les gens sont informés des avantages, inconvénients et risques sur cette question des maternités, ils sont libres et en mesure de faire un choix éclairé. Abordez-vous ces sujets au sein de vos émissions, podcasts et articles ? Quels retours en avez-vous ? C'est un grand débat sociétal auquel nous faisons face.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - Il me semble qu'il s'agit d'un débat théorique. Les femmes n'ont pas le choix de leur maternité, hormis dans les grandes villes et si elles font partie d'une population favorisée. Les autres n'ont pas vraiment la possibilité de choisir ou ne savent pas qu'elles peuvent le faire.

Des sujets comme la péridurale ou l'allaitement font débat. Nous organisons souvent des sondages sur ces sujets. Malgré tout, certaines maternités ne favorisent pas ces dispositifs ou n'ont pas le temps d'aborder les sujets avec les patients.

Mme Anna Roy. - S'agissant de la fermeture des petites maternités, je peux témoigner de l'immense désarroi et de la colère des populations de ces territoires. Je vais peut-être choquer, mais je suis d'accord avec les constats du Professeur Ville de l'Académie de médecine. En revanche, j'estime que l'idée de laisser les femmes dans un hôtel durant le dernier mois de leur grossesse ou en attendant leur accouchement est désastreuse et conduirait à la catastrophe. Le coût psychique de ce type de prise en charge serait monstrueux : il n'est pas possible de déraciner les femmes de leur famille et de leur environnement dans ce contexte. C'est une question d'humanité : nous ne pouvons pas faire cela. La naissance est un événement familial, intime et privé.

Je pense qu'il s'agit d'un choix politique : maintenir les maternités à un niveau de sécurité satisfaisant sera un enjeu très important et financièrement très élevé. En revanche, des économies seront engendrées par la diminution des dépressions post-partum et des situations de stress post-traumatique. Il faut investir afin d'attirer les praticiens dans ces maternités de manière pérenne.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - L'Académie de médecine préconise en effet de fermer les maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, mais nous n'envisageons pas de fermer toutes les maternités de taille moyenne ou petite, il faut forcément adapter les décisions en fonction des territoires.

Mme Anna Roy. - Il faut faire attention. Ces politiques font le lit de pratique d'accouchement non assistés et de pratique d'accouchements à domicile non encadrée.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Les questions centrales restent celles du manque d'effectifs de médecins et de la pénurie de vocations, quel que soit l'investissement financier engagé. Il convient de trouver collectivement des solutions, d'où nos discussions dans le cadre de cette mission d'information.

Mme Renée Greusard. - J'aimerais aborder la question des accouchements à domicile. Les sages-femmes sont en effet diabolisées lorsqu'elles proposent ce dispositif. Compte tenu d'une défiance envers le corps médical, des fermetures de maternités et d'un manque d'effectifs, les femmes souhaitent de plus en plus accoucher à domicile. Malgré tout, les sages-femmes n'ont pas la possibilité de les accompagner dans cette démarche. Cette situation est lunaire. C'est comme si des obstacles étaient volontairement dressés pour éviter que les accouchements se déroulent bien.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - Dans la région de Clermont-Ferrand, il existe une solution de maternité mobile, un centre périnatal dans lequel il n'est pas possible d'accoucher, mais qui permet de disposer d'un suivi. Cette solution peut être intéressante pour s'intégrer au quotidien des patients. Il n'est pas question d'isoler les femmes avant d'accoucher, c'est un non-sens.

M. Patrice Joly. - Merci pour vos propos, que je trouve rafraîchissants au regard des précédentes auditions au cours desquelles les intervenants, experts techniciens et médicaux, ne s'interrogeaient pas, mais nous donnaient des réponses. Vous parlez humanité et préoccupations psychologiques, alors merci.

Je suis sénateur de la Nièvre, je vis dans une commune au centre de la Bourgogne. Les femmes, depuis la fermeture de la maternité d'Autun, sont à minimum 1 h 15 en voiture des maternités les plus proches. Si on venait à fermer ces maternités qui ont toutes moins de 1 000 accouchements par an, la maternité la plus proche serait au mieux à 1 h 45. Derrière cette situation se dégage une question d'égalité : les femmes ne bénéficient ni du même niveau d'information ni de l'égalité territoriale. Que diriez-vous aux familles de ma commune quant aux perspectives d'avoir des enfants ?

J'aimerais connaître votre avis quant à la Maison des 1 000 premiers jours ; c'est un vrai sujet. Je constate les difficultés à la mettre en place sur certains territoires, notamment le mien, en compensation à la fermeture des maternités.

Mme Renée Greusard. - Je ne suis pas sûre de comprendre ce que signifie la Maison des 1 000 premiers jours. S'agit-il du dispositif des 1 000 premiers jours de l'enfant mis en place par le Gouvernement et du site d'information qui l'accompagne ?

M. Patrice Joly. -Il s'agit du dispositif de prise en charge de la patiente et de son enfant durant la grossesse et les deux ans suivant l'accouchement. C'est un dispositif en cours de mise en place par le ministère de la Santé sur tous les territoires suite à une mission portée par Boris Cyrulnik sur la question de la prise en charge des familles et ma question porte sur la réalité de sa déclinaison territoriale.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous avons abordé ce sujet il y a quelques jours. Nous constatons que de nombreuses déclinaisons territoriales autour d'un pseudo label des 1 000 premiers jours émergent peu à peu par le biais d'associations ou de professionnels. Nous nous interrogeons sur la pertinence de cadrer la situation, d'élaborer un cahier des charges ou de créer un label. Les idées qui émergent sont sûrement bonnes, mais diffèrent en fonction des territoires et englobent de très nombreux et divers sujets.

Mme Renée Greusard. - J'avais compris que ce dispositif était menacé et que l'association Maman Blues avait lancé une pétition afin que ce projet ne soit pas abandonné, le jugeant très pertinent. Je partage son avis et estime qu'il faut mettre en place un suivi de qualité.

Mme Anna Roy. - Il faut à tout prix réglementer le contenu de ces Maisons des 1 000 premiers jours à l'échelle nationale, mais il convient d'être vigilants quant aux effets d'annonce. Quelle en est la finalité : une stratégie de communication ou une vraie pratique de la santé sur le terrain ? Les termes « Maisons des 1 000 premiers jours » sont flous et veulent tout et rien dire. Par ailleurs, ce dispositif ne remplacera jamais une maternité accompagnant les femmes tout au long de leur existence : interruption volontaire de grossesse, grossesse, fausse-couche, etc. Pour cadrer la situation, il faudrait donc élaborer un cahier des charges avec l'aide d'experts, d'associations de patients et - j'insiste - de sages-femmes : elles seules savent quels sont les besoins des femmes et des mères tout au long de leur vie. Pour ce faire, il faut allouer des moyens financiers.

Mme Zoé Varier. - Monsieur Joly, vous nous avez demandé quoi dire aux femmes de votre territoire dont la maternité la plus proche se trouve à plus d'une heure trente de route : il faut leur dire de se battre pour conserver leur maternité.

Mme Florence Lassarade. - Je vais donner la parole à chacun pour que vous puissiez nous partager vos éventuelles propositions. Madame Varier, vous pourrez nous expliquer ce que vous espérez quant à l'accueil de vos podcasts auprès des femmes et comment améliorer la diffusion des connaissances scientifiques auprès du grand public.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - J'aimerais aborder la question des moyens et de leur réorientation. Force est de constater que la France alloue des moyens dans le domaine de la santé, à hauteur d'un pourcentage de son PIB qui n'est pas inférieur à ce qu'alloue la majorité des pays de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE). Mais c'est la question de la réorientation de ces moyens qui doit se poser. Comment sont-ils distribués ? Faut-il revoir cette organisation ? Il existe peut-être aussi une question de vocations.

Mme Katrin Acou-Bouaziz. - S'agissant du dispositif des 1 000 premiers jours, il existe déjà des centres de protection maternelle et infantile (PMI), des maisons des femmes, des associations... Malgré tout, j'ai la sensation que les dispositifs ne collaborent pas efficacement et que les moyens alloués sont éparpillés. Tout cela manque de cohérence. Il conviendrait de travailler collectivement et de créer un maillage région par région. En outre, compte tenu de la diversité de notre territoire, il me semble illusoire de penser que la solution pourrait être uniforme : elle doit s'adapter aux réalités territoriales.

Mme Renée Greusard. - Les moyens doivent être mieux dirigés en mettant en place une sage-femme par femme. Quant à la diffusion de l'information de manière générale, les experts devraient partager les comptes Instagram ou TikTok certifiés fiables et créer des partenariats avec eux.

Par ailleurs, toutes les femmes devraient, durant leur grossesse ou après, suivre une thérapie et être questionnées sur leur ressenti. Certaines sages-femmes exécutent déjà cette tâche. Il conviendrait également de dispenser des formations aux jeunes parents pour leur expliquer la réalité de la vie parentale. En outre, je crois à l'utilité des groupes Whatsapp, permettant de partager les informations, se soutenir et s'entraider. C'est un village qui pourrait être mis en place dès la maternité. Je regrette d'y avoir eu accès uniquement par le biais de mes séances d'hypnose payantes.

Mme Anna Roy. - La question des moyens est effectivement importante ; il convient de les allouer aux bons endroits. Par exemple, les PMI sont des structures formidables, mais sont fermées le week-end. À cette période, les praticiens libéraux seraient ravis d'accéder à ces locaux, mais ne le peuvent pas à cause de blocages administratifs ridicules. Il existe des centaines d'exemples similaires. La question de la redistribution des moyens est essentielle.

La salle d'accouchement est le seul endroit au monde où je me sentais réellement chez moi et j'en suis partie, car je maltraitais les femmes faute de moyens. Mettre en place une sage-femme par femme, ou pour deux femmes, ce qui semble plus réaliste, est un dispositif à mettre urgemment en place, pour la santé des mères et des nouveau-nés. Si les sages-femmes désertent les salles d'accouchement, ce n'est pas par plaisir. Il ne s'agit pas d'une question de salaire : me concernant, je veux bien être mal payée si la pratique de mon métier est belle et s'inscrit dans de bonnes conditions.

Mme Zoé Varier. - Anna Roy vient d'employer le mot "maltraitance", qui me paraît essentiel. Toutes les sages-femmes que j'ai interviewées ont aussi abordé le sujet de leur propre maltraitance et de celle de l'institution. Ce point doit être travaillé. Par ailleurs, il conviendrait de s'interroger sur les raisons de la pénurie de sages-femmes.

Enfin, j'ai interviewé une sage-femme qui m'a expliqué que l'Espagne dispensait des formations à destination des grands-parents afin d'accompagner les jeunes parents dans leur rôle sans être les parents de substitution. Je trouve cette idée formidable.

Mme Renée Greusard. - Moi aussi. Il existe de nombreux pays où constituer un village autour d'un enfant relève de la norme. Il convient de se recentrer sur des propositions naturelles.

Mme Florence Lassarade, vice-présidente. - Certaines solutions peuvent être simples et très utiles. En Suède, j'ai par exemple rencontré une femme qui m'a expliqué que sa puéricultrice l'avait mise en relation avec l'ensemble des mères accouchant en même temps qu'elle et que certaines, depuis, étaient devenues des amies.

Nous allons conclure cette audition et sommes preneurs de vos contributions écrites si vous souhaitez enrichir le rapport. Mesdames, je vous remercie pour votre présence et votre participation.

Audition de Mme Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'agence régionale de santé d'Île-de-France, M. Mohammed Si Abdallah, directeur général adjoint de l'agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté, et Mme Caroline Suberbielle, Conseillère médicale auprès du Directeur Général de l'agence régionale de santé Occitanie

(Mercredi 15 mai 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi des représentants d'agences régionales de santé (ARS) : Madame Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'ARS Ile-de-France, Monsieur Mohammed Si Abdallah, directeur général adjoint de l'ARS de Bourgogne-Franche Comté, et, en visioconférence, Madame Caroline Superbielle, conseillère médicale auprès du directeur général de l'ARS Occitanie.

Nos auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale au regard des indicateurs de mortalité néonatale infantile et maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque, notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité et l'obésité. Ces indicateurs marquent des différences territoriales parfois importantes ; vous nous préciserez quelles analyses vous en faites dans vos missions. Cependant, l'analyse précise de ces indicateurs se heurte à l'impossibilité actuelle de croiser les données pertinentes en vue de constituer un véritable registre des naissances. Vous nous direz comment, au quotidien, vous utilisez ou non ces données pour établir un diagnostic fin des caractéristiques de santé de votre territoire.

Plus généralement, nous voulons aujourd'hui échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et sur l'organisation territoriale de l'offre de soins et des parcours de suivi qui peut être construite au niveau local.

L'enjeu de cette audition est d'avoir un prisme territorial sur les problématiques que nous analysons. Nous avons volontairement retenu la région capitale et adjoint plusieurs agences de territoire, comprenant des métropoles et des départements peu denses. Cette audition complète les échanges que nous pouvons avoir avec les ARS lors de travaux consacrés à un territoire en particulier. La mission s'est rendue en Meurthe-et-Moselle et se rendra le mois prochain en Bretagne. Nous avons organisé la semaine dernière des visioconférences pour évoquer les enjeux propres à la Guadeloupe et à Mayotte.

Vos agences sont responsables au niveau régional de la planification et de l'organisation de l'offre de soins. Or cette mission a aussi été constituée en réaction au rapport de l'Académie nationale de médecine, qui préconise une rationalisation du nombre de structures de type 1 au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2. Il nous paraît indispensable d'avoir votre avis sur ce sujet, qui est animé par une tension particulièrement importante entre les enjeux de proximité et de sécurité de soins. L'offre de soins actuelle représente-t-elle parfois un risque pour les mères et leurs enfants ? La fragilité de certaines structures au regard de la capacité à assurer des équipes fixes et stables est-elle le signe d'un « pourrissement », comme le qualifiait le professeur Ville, et donc l'amorce de fermetures qui ne sont pas assumées mais lentement rendues inévitables ? Des structures vous semblent-elles particulièrement fragiles au niveau local et menacées de fermeture soudaine ou prolongée, comme cela a-t-il pu être le cas à Lunéville ou Guingamp ? Des regroupements ou réorganisations sont-ils envisagés, notamment en anticipation de la révision des décrets de périnatalité ? L'Académie appelait à une réforme d'urgence ; est-elle envisagée au niveau national ou territorial ?

Nous avons également pu constater une forte disparité entre les régions concernant les modalités d'organisation des réseaux de périnatalité ou la mise en place de processus innovants dans le suivi et la prise en charge des parturientes et de leur bébé. Vous nous présenterez les dernières actions en la matière dans votre région, ainsi que, le cas échéant, les blocages que vous pouvez rencontrer dans la mise en place et le financement de ces projets. La rapporteure pourra également vous interroger, à titre prospectif, sur la réforme du financement des activités de gynécologie, d'obstétrique, de néonatologie, de prévention, ou encore des hôtels hospitaliers.

Notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande. Je vous laisse la parole pour une courte intervention liminaire. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure, Véronique Guillotin, pour une première série de questions. Nos collègues présentes pourront également intervenir pour vous interroger.

Mme Sophie Martinon, directrice générale adjointe de l'agence régionale de santé d'Île-de-France. -Chaque région a ses spécificités. Il est important que vous ayez une vision de la diversité des situations.

. Bien que nous ne rencontrions pas les mêmes problèmes que d'autres régions en matière d'offre de soins, nous rencontrons des difficultés en matière de ressources humaines, dans notre capacité à attirer, recruter et fidéliser des professionnels de santé dans le champ périnatal, des sages-femmes et infirmières puéricultrices principalement.

L'Ile-de-France affiche des indicateurs de santé périnatale plus mauvais que la moyenne nationale ainsi qu'une dégradation plus marquée de ces indicateurs depuis une dizaine d'années. En 2020, le taux de mortalité infantile était de 4,08 pour 1 000 naissances vivantes, contre 3,3 en France hexagonale, soit une différence de 25 %. L'Ile-de-France a connu les mêmes évolutions que le reste du pays mais toujours à des niveaux supérieurs : en 2001, l'Ile-de-France affichait un taux de mortalité infantile de 4,51, le taux a diminué jusqu'à 2013, puis augmenté depuis cette date. Les taux de mortalité périnatale et de mortalité maternelle sont également supérieurs à la moyenne nationale.

Les facteurs explicatifs sont ceux que vous avez identifiés pour la situation globale en matière de périnatalité : les facteurs sociodémographique - par exemple l'âge moyen des mères étant plus élevé en Ile-de-France que pour la moyenne française - la précarité et les difficultés sociales rencontrées par les parents également.

Les disparités sont particulièrement marquées au sein de l'Ile-de-France, région riche mais avec des populations très pauvres, voire extrêmement précaires. Le taux de mortalité infantile, de 4,08 pour l'Ile-de-France, peut aller jusqu'à 5,3 pour la Seine-Saint-Denis. Le Val-de-Marne et le Val-d'Oise sont également au-dessus de la moyenne régionale. Nous rencontrons des difficultés s'agissant de femmes venant d'accoucher, qui n'ont pas d'hébergement et qui restent donc à la maternité pour ces raisons. Ces situations d'extrême précarité sont concentrées sur certains départements, notamment la Seine-Saint-Denis, le Val-d'Oise et le nord-est de Paris.

La question de l'offre de soins n'est pas tant celle de la quantité, puisque nous avons des lits, que celle de la répartition de ces lits ainsi que de l'accès au suivi médical. Nous avons beaucoup de médecins en secteur 2, notamment parmi les médecins généralistes. Dans certains territoires, le suivi avant la naissance est assez difficile, puisque nous avons un problème de densité des médecins généralistes en Ile-de-France. Certes nous avons de nombreux professionnels mais les ratios rapportés à la population sont faibles : il y a de nombreux déserts médicaux en Ile-de-France. Ces tensions fortes sur les RH sont à la fois structurelles et conjoncturelles. La densité de professionnels est plus faible que la moyenne nationale pour les sages-femmes, les infirmières puéricultrices et les médecins généralistes. Nous avons également des tendances structurelles en matière d'exercice des professionnels de santé, notamment les sages-femmes, avec une volonté d'exercer en libéral et des départs pour la province de professionnels formés en Ile-de-France. Enfin, nous avons des tensions conjoncturelles pendant la période estivale.

Nous avons mené en 2013 des études épidémiologiques et sociologiques pour expliquer les écarts de l'le-de-France par rapport à la moyenne nationale s'agissant des indicateurs de mortalité périnatale. Ce qui joue, c'est l'interaction des différents facteurs précédemment évoqués, à savoir une situation défavorisée d'un point de vue socioéconomique et les caractéristiques du système de santé : pour une femme précaire, il est encore plus difficile d'avoir accès à un suivi médical avant l'accouchement, ce qui rend complexe le repérage des situations à risque. À l'issue de ces études, nous avons mis en place un plan d'action qui a été intégré dans le projet régional de santé, que nous avons actualisé et adopté en novembre 2023. La périnatalité est une des deux priorités thématiques que nous avons choisi de porter dans ce cadre, la seconde étant la santé mentale. Ce plan d'action est évolutif et partenarial.

Le premier objectif du plan est de diminuer les inégalités d'accès aux soins et de sécuriser les parcours en santé. Cela se traduit par un soutien des réseaux de santé périnatale et des efforts pour maintenir, à chaque étape, un suivi des femmes qui ont des difficultés d'accès aux soins. Nous avons ainsi développé des actions en médiation en santé et en littératie, afin de permettre une meilleure appropriation des conseils médicaux, ainsi qu'un repérage des personnes en situation de fragilité, notamment les personnes sans hébergement à l'issue de l'accouchement. Nous avons mis en place dans les maternités de Seine-Saint-Denis des unités d'accompagnement personnalisées (UAP), testées à Saint-Denis puis étendues également à la maternité de Montreuil ainsi que dans d'autres établissements du département.

Le deuxième objectif du plan est l'amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. L'enjeu est d'anticiper au maximum les situations complexes, notamment les grossesses pathologiques. Depuis 1998, nous avons une cellule d'orientation des transferts in utero, qui nous permet d'avoir une vision régionale sur l'ensemble des besoins et de les anticiper au maximum. Au moment où nous avons rencontré des tensions RH extrêmement fortes sur les maternités, nous avons mis en place un système d'appui au transfert pré et post-partum pour toutes les grossesses au niveau régional. Nous avons travaillé avec les réseaux de santé périnatale pour créer des protocoles de transfert et sensibiliser l'ensemble de la chaîne.

Concernant la gestion RH en santé, nous essayons de mettre en place des actions de fidélisation, en finançant notamment le contrat d'allocation études, qui permet de financer la dernière année d'étude des sages-femmes en échange d'un engagement de servir pendant 18 mois dans une maternité de la région. En 2023, nous en financions 83 à l'échelle de l'Ile-de-France. Ce chiffre, bien qu'ayant doublé en trois ans, reste limité. Jusqu'en 2023, nous n'avions pas instauré de limites et acceptions toutes les personnes qui remplissaient les conditions. Nous n'avons pas eu davantage de demandes. Ce dispositif est compatible avec les bourses. Il concerne tout de même une sage-femme sur trois sortant d'études en Ile-de-France.

Cela pose la question du volume de personnes formées. En 2022, nous avons été particulièrement inquiets. Nous comptions beaucoup de lits fermés et avons connu beaucoup de tensions en Ile-de-France, avec de nombreux départs. Le taux de remplissage de la filière de formation des sages-femmes, cette année, n'était que de 65 %. En 2023, il est remonté à 91 %. Nous avons largement encouragé la mutualisation des listes d'attente, considérant que certaines écoles de sages-femmes avaient des listes d'attente tandis que d'autres ne remplissaient pas leurs places. Nous souhaitons également travailler sur des postes partagés. Les sages-femmes qui travaillent en établissement de santé ont des contraintes en ce qui concerne les soirs et le week-end. Il s'agirait de répartir cette contrainte le plus largement possible. Nous souhaitons ainsi créer des postes partagés ville/hôpital, permettant aux sages-femmes qui le souhaitent de garder un exercice à l'hôpital en temps partagé. Il s'agit d'une piste à approfondir.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous avez dit avoir suffisamment de lits mais manquer de ressources humaines. Ces lits sont-ils fermés ?

Mme Sophie Martinon. - Oui. Nous sommes capables d'assurer une offre suffisante au regard des besoins. En revanche, nous avons deux enjeux. D'abord, en termes de répartition, nous observons des transferts, principalement de la Seine-Saint-Denis vers Paris, qui bénéficie d'une sur-offre. Ensuite, en 2022, nous avions environ 250 lits installés mais fermés pour raison de ressources humaines. Nous avons pu en rouvrir 150 en 2023, mais sommes encore en deçà du capacitaire installé. Par ailleurs, la difficulté porte moins sur les lits de maternité que de néonatalité. Nous avons chaque hiver un enjeu en la matière, notamment avec la bronchiolite, bien que la situation se soit améliorée cette année. Nous avons prévu dans le cadre du projet régional de santé d'augmenter le capacitaire, sous réserve d'être en mesure de pourvoir ces lits en matière de personnels.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Merci. Je donne la parole à Madame Superbielle.

Mme Caroline Superbielle, conseillère médicale auprès du Directeur général de l'agence régionale de santé Occitanie. -En préambule, l'Occitanie est une vaste région, la seconde de France, avec 13 départements. Elle est très rurale et montagneuse. Elle connaît un fort dynamisme démographique, centré sur le littoral et les grandes métropoles de Toulouse et Montpellier. Sa population est caractérisée par d'importants écarts de densité et une forte précarité. Un habitant sur six est en situation de pauvreté et quatre départements se trouvent parmi les dix plus pauvres de France. L'offre sanitaire et médicosociale présente des disparités territoriales importantes. Nous devons donc consolider le maillage et soutenir les innovations et mutations nécessaires pour répondre à toutes les attentes.

En ce qui concerne la périnatalité, nos indicateurs ne sont pas satisfaisants. Dans l'immédiat, nous devons faire face à une situation dégradée notamment due à des difficultés RH. Nous devons également mener un travail sur le plus long terme, avec des évolutions réfléchies au niveau national et une consolidation du système RH.

L'Occitanie a connu une diminution de son nombre de maternités au cours des six dernières années, passant de 44 à 39 maternités. Sept maternités assurent moins de 550 accouchements par an en moyenne, dont une maternité qui est la seule de tout un département. La situation doit être appréhendée comme contrastée géographiquement, avec des temps de transport qui doivent être réfléchis en fonction des reliefs voire de la météo. Nous devons parfois maintenir des offres dans des territoires peu éloignés, mais difficiles d'accès, pour lesquels le temps de transport dépasse 45 minutes. La région dispose par ailleurs de dix centres périnataux de proximité (CPP) répartis sur sept départements. Une expérimentation de maison de naissance accolée à un centre hospitalier est en cours. Nous devons concilier les demandes pour un accouchement naturel, voire à domicile, pour lequel nous devons intégrer les femmes à un suivi pour éviter toute situation à risque non dépistée, ainsi qu'une bonne gradation des plateaux techniques, accessibles et équipés, avec les ressources humaines adéquates. Dans de nombreux établissements, chaque équipe a de petits effectifs et un problème sur une seule des professions - gynécologues obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes ou pédiatres - affecte l'ensemble du système. Nous devons donc être en mesure d'anticiper ces difficultés. Comme partout, la problématique RH est très prononcée en Occitanie, touchant d'abord les territoires et établissements déjà fragilisés et affectant les professions intervenant dans le cadre de la périnatalité. La prise en charge des parturientes en a subi les conséquences, via la fermeture de maternités, qui s'est accompagnée de déport de patients vers des établissements à proximité, ou la rupture d'accès aux soins de proximité relatifs aux IVG.

Le directeur général de l'ARS Occitanie souhaite maintenir une offre de proximité et ne pas poursuivre les fermetures de maternités, tout en réfléchissant à la prise en charge par une équipe territoriale, en s'appuyant sur les collaborations existantes, dont les groupes hospitaliers de territoires (GHT), avec l'appui du CHU. Chaque territoire étant particulier, nous n'avons pas défini de solution unique. Il s'agit de mettre en oeuvre une méthodologie. Nous nous appuyons beaucoup sur le réseau périnatalité Occitanie, qui est très actif et pour lequel nous avons la chance d'avoir un réseau unique pour toute la région, permettant une vision globale et des actions concertées. L'enjeu est d'anticiper les difficultés, d'inciter les établissements à définir leurs procédures et leur travail en mode dégradé et de chercher à faire évoluer l'offre. Des CPP sont mis en place à la fermeture d'une maternité, mais il y a des demandes pour que ces CPP s'inscrivent en complément des maternités, plutôt qu'en remplacement, pour assurer un suivi de la grossesse et éventuellement un suivi après l'accouchement. En l'état, l'accouchement ne se fait pas dans ces centres. L'orientation de la femme enceinte vers la maternité adéquate doit donc être définie en fonction des risques évalués pour l'enfant ou pour elle-même. Des réflexions nationales étaient menées sur l'évolution des possibilités de prise en charge par les CPP. Nous sommes en attente des éventuelles conclusions.

Le dispositif du parcours structurant des 1 000 premiers jours a quant à lui été très important pour dépister les vulnérabilités. En revanche, il doit déclencher l'entrée dans un parcours et un suivi et nécessite une grande vigilance, puisque nous avons, dans certaines zones, des difficultés RH. Nous devons donc renforcer cette offre pour que la prise en charge soit sécurisée tout au long des périodes de fragilité.

Nous avons également développé un autre dispositif « COCON », relevant des possibilités d'expérimentations ouvertes par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale. Il concerne le suivi des prématurés sur les premiers mois de leur vie.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous invite, Monsieur Si Abdallah, à nous communiquer quelques informations. J'ai lu que le Jura faisait partie des départements les moins bien fournis en termes d'indicateurs. Disposez-vous d'analyses plus précises ainsi que d'explications ?

M. Mohammed Si Abdallah, directeur général adjoint de l'agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté. -Il s'agit pour nous d'un sujet de vigilance majeure. Notre région est rurale et très grande, avec 2,7 millions d'habitants à peine. Elle a déjà connu des restructurations de l'offre de soins par la force des choses. Trois maternités ont été suspendues en dix ans dans le Jura. Chaque année, nous rencontrons des difficultés à faire fonctionner nos maternités, que nous avons pour objectif de conserver dans leur totalité. Deux de nos départements - la Haute-Somme et à la Nièvre - n'ont qu'une seule maternité. Nous sommes donc sans doute déjà au plus bas de l'offre que nous puissions garantir, même s'il peut y avoir des discussions sur une ou deux maternités. Il y a trois ans, à l'occasion d'une grève à Nevers, nous avons eu de grandes difficultés, nous avons dû réaliser des transferts de dossiers vers d'autres maternités pour garantir la sécurité des accouchements. La difficulté de la situation nous oblige à trouver des solutions différentes. Nous avons encore des difficultés sur la quasi-totalité des maternités de la région, puisque seules trois - les deux CHU et l'hôpital de Trévenans dans l'aire urbaine de Montbéliard - déclarent avoir des effectifs complets s'agissant des médecins obstétriciens, pédiatres et anesthésistes. Toutes les autres déclarent avoir des difficultés sur ces trois métiers, en particulier la pédiatrie. 70 % des maternités indiquent avoir des effectifs de pédiatrie incomplets, une sur deux s'agissant des gynécologues-obstétriciens et un tiers s'agissant des anesthésistes. La situation s'est améliorée pour les anesthésistes et surtout pour les sages-femmes. Quelques difficultés persistent pour les infirmières puéricultrices.

Des coopérations sont effectives de longue date au sein des GHT. Le CHU vient ainsi en appui, mais celui-ci a ses limites. Nous lui demandons une vigilance sur les plus grosses maternités, sans qu'il se mette en danger pour autant. Nous avons beaucoup travaillé sur ces organisations, en anticipant toutes ces difficultés.

Nous travaillons beaucoup sur l'attractivité. Un grand plan attractivité a été mis en place, notamment en finançant des bourses. Nous travaillons avec les doyens d'université, les préfets de région et la présidente de région sur ce sujet. Nous demandons aux professionnels de travailler ensemble dans le sens d'équipes territoriales, afin de faire en sorte que les jeunes ne se sentent pas isolés et puissent avoir accès à la recherche. Notre région accueille beaucoup d'étudiants, grâce à une bonne qualité de formation. Les jeunes générations, cependant, quittent beaucoup la région, qui vieillit en conséquence. Les accouchements ont diminué de 13 % entre 2018 et 2022, et de 6 % entre 2022 et 2023,

S'agissant des données de santé, nous avons beaucoup de difficulté à les obtenir. Nous travaillons sur les dispositifs de parcours et avons beaucoup de CPP, qui ont une offre assez riche et étendue, notamment en matière de prévention, avant même la conception, et en matière de pédiatrie.

La dernière maternité suspendue a été celle d'Autun, il y a deux ans et demi. Elle fonctionnait avec 2,2 ETP de gynéco-obstétriciens et un seul pédiatre depuis des années. Tout a été fait pour tenter de redynamiser cette équipe mais cela n'a pas fonctionner. Cela s'est terminé par une suspension et non avons dû gérer des transferts.

L'enjeu est d'anticiper ces difficultés et de mettre en place des dispositifs de réponse aux besoins et d'information des patients. La région est difficile d'accès. Le Jura a mis en place des conventions avec les sages-femmes libérales, qui leur permettent de monter dans le SMUR ou l'ambulance pour accompagner leurs patientes. À Autun, nous avons mis en place un dispositif de SMUR obstétrical. Une sage-femme est de garde H24 et peut recevoir toutes les femmes qui arriveraient aux urgences. Si besoin, sur des menaces d'accouchement prématuré, la sage-femme peut accompagner le médecin urgentiste. Nous avons également mis en place des dispositifs permettant de travailler ensemble. Une fédération médicale interhospitalière a été instituée entre les établissements de Nevers et Châlons, et une convention avec l'hôpital du Creusot. Ces dispositifs visent à sécuriser le parcours.

En ce qui concerne le repérage des grossesses à risque, toutes les maternités bénéficient de personnels médico-psycho-sociaux, permettant de repérer toutes les difficultés liées à la précarité, afin de mieux organiser les prises en charge et bien orienter ces femmes. Des dispositifs ont également été mis en place sur la santé mentale, comme les équipes mobiles. Ce sujet est majeur pour l'ARS. La sécurisation du parcours périnatal des parents participe de l'attractivité de la région.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci de votre présence pour enrichir notre réflexion et la rédaction de ce rapport, qui doit être rendu fin juin. Celui-ci est né de l'interpellation du rapport de l'Académie de médecine de mars 2023, qui avait fixé une limite de nombre de naissances par an et maternité, considérant qu'en deçà de 1 000 naissances, la maternité n'était pas viable et qu'il était préférable de concentrer les plateaux d'accouchement, pour favoriser les ressources humaines. Quel regard portez-vous sur ce rapport ?

Vous considérez manifestement que la périnatalité doit se traiter par territoire, compte tenu des différences entre territoires. S'agissant de l'Occitanie, vous avez indiqué que cinq maternités avaient fermé sur une quarantaine. Quels motifs ont guidé ces fermetures ? De quel type les maternités restantes sont-elles ? Combien de naissances enregistrent-elles par an ? Pensez-vous être arrivés au terme d'une forme de restructuration ?

Vous avez également évoqué des problèmes d'IVG lors de la fermeture des maternités. Comment y avez-vous réagi ?

Vous avez l'expérience d'un SMUR obstétrical. Pouvez-vous en tirer un bilan ? Y a-t-il un sur-risque pour les mères et leurs bébés, eu égard à l'éloignement, par rapport à l'époque où la maternité était encore en place ?

Mme Caroline Superbielle. - Ces fermetures de maternité ont eu lieu avant mon arrivée. Mes collègues référents en périnatalité m'ont indiqué que ces maternités étaient des établissements privés et avaient été fermées par les groupes de santé auxquels elles appartenaient. Sur les petites maternités, nous souhaitons maintenir l'offre de soins. Les situations sont différentes selon qu'il s'agit d'une maternité isolée de petite taille ou de deux maternités de petite taille proches l'une de l'autre, qui sont incitées à collaborer et se renforcer mutuellement. Je n'ai pas plus de détail à vous communiquer sur les fermetures.

Concernant les IVG, nous devons rester très vigilants. Lorsque les ressources RH diminuent, avant d'arriver à l'arrêt des accouchements, nous avons d'abord une difficulté d'accès à l'IVG. La suspension ou l'arrêt d'une activité supposent de déterminer comment prendre en charge les femmes qui ont besoin de recourir à l'IVG.

S'agissant du transport médicalisé, en Occitanie, nous avons une cellule de transfert in utero coordonnée par le réseau. Nous n'avons pas de SMUR obstétrical spécifique. Le sujet des transports est cependant à étudier. Dans le cas spécifique de maternités limitrophes d'un autre département, des difficultés de transport en urgence par des opérateurs non habilités à passer d'un département à l'autre peuvent se présenter. Ce sujet des transports est lié à celui du développement des hébergements temporaires. Si nous devons restructurer les plateaux techniques, nous devons pouvoir héberger une femme au plus proche de la maternité et l'amener au plus vite. Nous avons également un important enjeu de communication auprès des femmes du bassin de population. Nous avons dû suspendre l'activité d'une maternité à Ganges. Dans ce cadre, une femme dont le travail commence doit savoir que, plutôt que de prendre la route, des urgentistes de l'hôpital peuvent assurer une prise en charge intermédiaire. Nous avons donc besoin d'une réflexion sur les CPP et leurs rôles.

M. Mohammed Si Abdallah. - Nous avons fait le choix de demander à toutes nos maternités de mettre en place des hébergements temporaires. 80 % des maternités proposent aujourd'hui des hébergements temporaires non médicalisés.

Le SMUR est quant à lui en place depuis un an et demi, et H24 depuis le début de l'année. Nous avons comptabilisé dix interventions en un an et demi, pour des menaces d'accouchement prématuré, dont trois accouchements à domicile. Nous ne pensons pas que les femmes attendent plus longtemps. Dans le Jura, nous n'en avons pas eu. Ce sujet se travaille sur chaque bassin de territoire. On ne réagit pas seulement sur un chiffre, un seuil mais sur un écosystème, une organisation avec l'ensemble des professionnels.

Par ailleurs, nous mettons en place des coordinations ville-hôpital pour faciliter les parcours entre l'hôpital et les professionnels libéraux.

S'agissant de la contraception, nous avons tout fait pour maintenir l'accessibilité à l'orthogénie et aux moyens de contraception mécanique ou médicamenteuse. La consultation spécifique est toujours assurée sur site. Nous essayons d'y veiller sur l'ensemble du territoire, au travers de nos CPP ou en organisant des solutions sur le GHT.

Mme Sophie Martinon. - S'agissant de l'Ile-de-France, nous avons fermé six maternités entre 2017 et 2023. La plupart de ces fermetures relèvent de logiques de groupes privés, puisqu'il s'agissait de six maternités privées. Pour la plus récente, nous avons suspendu l'autorisation suite à un événement indésirable grave, ce qui a amené le groupe concerné à fermer la clinique. Ces six maternités enregistraient moins de 1 000 accouchements par an. L'analyse territoriale est indispensable. Il est très difficile de définir des seuils. L'enjeu est plutôt celui de la gradation. Nous avons 19 maternités qui réalisent moins de 1 000 accouchements par an sur 75 maternités en Ile-de-France. 13 sont privées. La part du privé dans le total des accouchements en Ile-de-France est aujourd'hui de 15 %.

Nous sommes très attentifs aux activités d'orthogénie et à l'IVG. La fermeture de la maternité ne s'accompagne pas nécessairement d'un arrêt de l'activité d'orthogénie, puisqu'un CPP peut assurer cette activité.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ces maternités privées ont-elles été fermées pour des raisons d'équilibre financier ou de personnel ?

Mme Sophie Martinon. - Je ne pourrais vous répondre de manière précise, mais il s'agit d'une décision des gestionnaires, donc vraisemblablement pour absence de rentabilité. Cependant, faute de pouvoir trouver les ressources humaines, un problème de fonctionnement se pose.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La question du modèle économique soutenable se pose. Par ailleurs, beaucoup de personnes appellent à la révision des décrets de périnatalité de 1998. Entre les décrets et la révision des tarifs à venir, un impact est-il attendu sur la consolidation des équilibres des maternités les plus petites ? Quel est votre regard sur ces deux sujets, concernant le fonctionnement des maternités ?

Mme Sophie Martinon. - Pour la campagne tarifaire de cette année, un effort particulier a été consenti sur les tarifs des maternités. Cette forme de remise à niveau permet sans doute de sécuriser un certain nombre d'établissements. Il est toutefois difficile de se projeter sur la durée. Nous avons peu de visibilité sur l'impact des réformes envisagées en matière de financement. La prise en compte d'une dimension populationnelle, au sens du service rendu sur un territoire donné, est importante pour le maintien d'une offre.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Monsieur Si Abdallah, vous évoquiez un problème d'attractivité pour les personnels soignants. Nous avons inauguré il y a quelques mois une maison à Montbéliard, à l'initiative d'un professeur hospitalier, qui offre des possibilités de logement d'internes, des salles de réunion pour les personnels soignants, et qui faisait l'objet de nombreux espoirs, pour la fédération des équipes soignantes. Avez-vous déjà un retour en la matière ?

Vous avez tous évoqué des problématiques RH et de recrutement. Dans tous les domaines, nous manquons de médecins. Les nouvelles générations, par ailleurs, ne travaillent plus comme les anciennes, en termes de temps de travail ou de pratiques. Comment vous projetez-vous dans l'organisation territoriale par rapport à ces critères ?

Face à cette problématique de fermeture de petites maternités, quelle est pour vous la limite à ne pas dépasser ? En quoi est-elle liée aux problématiques de temps de transport ou de sécurité ?

Mme Annie Le Houerou. - Pouvez-vous nous donner des informations sur les bonnes pratiques pour mobiliser au plus près des lieux d'exercice les professionnels de santé ? Les médecins sont plutôt dans des grandes villes et peuvent difficilement se rendre en milieu plus rural. Comment assurer une meilleure répartition des ressources humaines et des professionnels de santé dans les territoires ?

Sur le plan de la fidélisation des professionnels de santé, les centres de périnatalité sont souvent considérés comme des lots de consolation temporaires, difficiles à pérenniser. Les sages-femmes sont intéressées par l'ensemble de l'accompagnement de la femme, avant, pendant et après l'accouchement. Les contraintes de l'hôpital sont assez dissuasives pour elles ; elles s'installent donc de préférence en libéral. Le constatez-vous ? Comment redonner de l'intérêt à ces centres de périnatalité ?

Beaucoup de femmes ne veulent pas aller accoucher loin de leur domicile et sont inquiètes à la perspective de devoir aller, plusieurs jours avant leur accouchement, dans un hôtel plus proche de la maternité. Ce n'est pas un cadre serein pour accoucher.

Enfin, concernant les accouchements naturels ou à domicile, souhaités par un nombre croissant de femmes, qui s'accompagnent de risques plus importants que dans une maternité organisée, disposez-vous d'éléments précis ?

Mme Céline Brulin. - Nous voyons que vous faites de la santé périnatale une priorité dans vos régions respectives. Cette priorité ne devrait-elle pas être impulsée à un niveau national, pour être ensuite déclinée au niveau régional ? En termes d'attractivité notamment, vous déployez des dispositifs, mais si chaque région met en place ses propres dispositifs, dans le contexte de pénurie de professionnels de santé que nous connaissons, des effets de concurrence peuvent avoir pour conséquence de déplacer les problèmes.

Par ailleurs, au regard des pénuries et du manque d'attractivité constaté, avez-vous, dans vos régions, des places ouvertes en formation qui correspondent aux besoins ? Sont-elles pourvues ?

Mme Émilienne Poumirol. - Vous avez évoqué les étudiants formés qui quittent votre région. Pour quelle raison le font-ils, et où vont-ils ?

Mme Sophie Martinon. - En ce qui concerne les ressources humaines en santé, nous constatons de manière générale un taux de fuite en province, sur toutes les professions, pas seulement de santé. L'Ile-de-France est une région formatrice. Pour des raisons de qualité de vie, les professionnels jeunes décident d'avoir un enfant ou de l'élever ailleurs, particulièrement sur l'arc atlantique et la Nouvelle-Aquitaine. Nous avons moins de difficultés sur le personnel médical, mais beaucoup plus de difficultés s'agissant des professions paramédicales. Quatre départements sont de 50 %en deçà de la moyenne nationale, en termes de densité de sages-femmes. En Seine-Saint-Denis, nous avons 65 sages-femmes pour 100 000 femmes de 15 à 54 ans, contre 142 pour la France entière. Nous en formons, mais sans doute pas suffisamment. Nous réfléchissons à l'augmentation du volume de formation de nos sages-femmes, ce qui n'est pas aisé, puisque cet arbitrage n'est pas réalisé au niveau régional. Nous avons également un sujet d'éclatement des compétences, partagées entre le ministère de la Santé, le ministère de l'Enseignement supérieur et les conseils régionaux. Sur ce sujet majeur, qui conditionne la qualité et la sécurité des soins, nous avons un enjeu collectif à remonter cette priorité à un niveau plus important.

Dans chaque région, des besoins ne sont pas couverts, mais ils ne sont pas partout les mêmes. Pour les sages-femmes, un levier est efficace mais difficile à mettre en place : les postes partagés entre ville et hôpital ou entre hôpitaux. De nombreuses sages-femmes libérales quittent l'hôpital parce qu'elles n'ont pas cette double possibilité. Beaucoup d'entre elles, si elles avaient la possibilité de continuer à travailler en salle de naissance, le feraient volontiers.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quel est le frein à la mise en place de ces postes partagés ?

Mme Sophie Martinon. - Il se pose un sujet d'appropriation. Nous n'avons aujourd'hui que quatre postes de sages-femmes partagés ville-hôpital en Ile-de-France. Il ne s'agit pas d'un sujet de financement. Peut-être les paramètres ne sont-ils pas les bons. Il s'agit de cumuler une activité libérale et une activité salariée, ce qui peut poser des obstacles administratifs. Un sujet de niveau de rémunération se pose également. Ce dispositif cible aujourd'hui plutôt des libéraux à qui une activité salariée à l'hôpital serait proposée. Il s'agit de savoir comment diffuser cette information. L'Assurance maladie, dans le cadre de sa négociation avec les sages-femmes libérales, avait réfléchi à l'intégration d'une disposition dans la convention. La diversité des exercices est un facteur d'attractivité. Elle pose cependant des difficultés en termes organisationnels et administratifs.

Nous avons en outre des sujets nationaux, y compris s'agissant de la répartition des professionnels de santé sur le territoire. S'agissant des sages-femmes, nous avons des dispositifs incitatifs. Les zones sur-denses en sages-femmes libérales s'en satisfont. Il s'agit de savoir comment assurer, collectivement, une planification adéquate. Par ailleurs, nous avons poussé les sages-femmes à s'installer en ville pour prendre en charge des besoins qui n'étaient plus assurés par les gynécologues. Nous en avons également besoin pour le suivi des femmes en situation précaire. Nous devons donc trouver un équilibre entre des dynamiques individuelles et collectives, locales et nationales, et des mesures incitatives et planifiées.

M. Mohammed Si Abdallah. - Sur la question de l'attractivité, à Autun, nous avons fait en sorte que le dispositif soit très large, avec des salariés de l'hôpital, des sages-femmes libérales et des sages-femmes de l'hôpital privé du Creusot. Elles arrivent à armer la garde H24 du SMUR. Nous essayons de leur proposer une activité diversifiée et rencontrons une bonne adhésion. L'attractivité passe par celle du métier lui-même, via la diversification des activités. De même, pour les médecins, nous proposons des postes de chefs de clinique territoriaux. Quand un candidat nous propose un projet de recherche, nous le soutenons. Nous travaillons également sur les équipes territoriales Nous avons également une bonne expérience des internats ruraux qui permettent de regrouper tous les professionnels de santé en stage dans la région. Ces jeunes professionnels n'ayant pas nécessairement le permis, il s'agit de penser aux moyens de locomotion, aux formations organisées en visioconférence, etc. Nous devons les écouter et travailler avec eux. Les professionnels recherchent aujourd'hui un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Il y a aussi la question du stress afférent à la présence en salles de naissance. Lorsque nous leur demandons un soutien pour maintenir une activité dans une clinique, ils répondent toujours positivement. J'en profite pour les remercier devant vous. Des sujets administratifs se posent parfois, lorsque des praticiens hospitaliers souhaitent soutenir une clinique privée. Il faut parfois en passer par des réquisitions. Il faudrait pouvoir alléger les procédures administratives entre praticiens de secteurs différents. La prime de solidarité territoriale (PST) nous a beaucoup aidés, mais elle appauvrit parfois l'hôpital qui fournit ses personnels à un autre hôpital.

Sur la question de la formation, nous remplissons tous les postes. Nous avons ajouté deux postes à Dijon et les avons pourvus de deux internes dès le semestre suivant. La seule difficulté reste liée au fait que Dijon et Nevers sont éloignés de 2h30 par le train ou la voiture. L'attractivité ne dépend pas seulement du métier, mais aussi, par exemple, de l'accès à la culture. Les jeunes sont attentifs à toutes ces questions. Nous les encourageons à avoir recours à des conciergeries, de la garde d'enfant, etc. Nous les soutenons financièrement. Cette aide et ces actions pour bien les accueillir les inciteront à rester et travailler chez nous.

L'année dernière, nous avons pu maintenir toutes les maternités. Tel restera notre combat. Effectivement, la distance peut être complexe. Nous avons des conventions avec les sages-femmes, qui peuvent accompagner leurs patientes, le SMUR obstétrical, etc. Nous devons travailler ces modèles avec les professionnels et l'écosystème.

Sur la question de la formation des professionnels, la santé mentale n'est pas imprégnée dans la culture de la formation. Nous devons faire en sorte que les professionnels soient formés très tôt au repérage.

En ce qui concerne les maisons de naissance à côté de l'hôpital, un chef de pôle m'a indiqué que ces maisons ne proposent pas d'accès à la péridurale. 30 % de ces grossesses physiologiques finissent à l'hôpital. Il y a trois ans, à mon arrivée, nous avons eu un décès à domicile. Nous devons donc nous sécuriser.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Sur les accouchements accompagnés à domicile, il nous a été indiqué que les indicateurs étaient plutôt bons. Si les sages-femmes sont trop éloignées de la maternité, elles n'acceptent pas de s'en occuper. Au moindre souci en période prénatale, les personnes sont invitées à aller à l'hôpital. Dans le cas contraire, les sages-femmes n'acceptent pas de les suivre. Lors de l'accouchement, en cas de diminution du battement foetal, un départ vers l'hôpital est décidé. Ceci explique pourquoi les chiffres sont bons, puisqu'un filtre constant est assuré, en vue d'une redirection.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous vous remercions pour votre participation et vos explications. Monsieur, je vous demanderai une contribution supplémentaire, puisque vous avez évoqué l'allègement de procédures administratives pour les secteurs différents. Nous vous invitons à le préciser.

M. Mohammed Si Abdallah. - Notre territoire étant vaste, il s'agit de permettre à une personne de repartir, si l'accouchement a lieu loin de son domicile, vers un hôpital de proximité, afin de terminer son hospitalisation de deux ou trois jours. Cela n'est pas possible aujourd'hui, car cela nécessite un gynécologue et un pédiatre sur place.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Merci. Nous entendrons la semaine prochaine la Cour des comptes et la présidente de la 6e chambre, qui nous présentera le rapport sur la périnatalité publié la semaine dernière.

Rapport de la Cour des comptes sur la politique de périnatalité - Audition de Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes

(Mercredi 22 mai 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous entendons cet après-midi Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la politique de périnatalité, publié il y a deux semaines.

Nos auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque, notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité et l'obésité. Ces indicateurs marquent des différences territoriales parfois importantes, vous nous préciserez quelle analyse vous en faites.

Cependant, et nous avons régulièrement l'occasion de le souligner, l'analyse précise de ces indicateurs se heurte manifestement à l'impossibilité actuelle de croiser les données pertinentes en vue de constituer un véritable registre des naissances, sujet abordé au cours de pratiquement toutes nos auditions. La Cour a, je crois, fait un diagnostic analogue, que vous nous présenterez ; nous suivrons avec attention vos recommandations sur ce plan.

Plus généralement, nous voulons aujourd'hui échanger avec vous sur la prise en charge des mères et des nouveau-nés, ainsi que sur l'organisation territoriale de l'offre de soins et des parcours de suivi qui peuvent être construits au niveau local.

La Cour des comptes a une expertise ancienne sur ce sujet, puisqu'avant le rapport publié ce mois-ci, elle avait produit une enquête sur les maternités en décembre 2014 pour la commission des affaires sociales du Sénat. Vous nous direz dans quelle mesure les recommandations formulées par la Cour voilà dix ans ont été suivies ou non.

Surtout, la Cour constate cette année, sur la politique globale de périnatalité, que « malgré les moyens importants consacrés à cette politique, 9,3 milliards d'euros, la situation apparaît globalement insatisfaisante ».

Cet état n'est pas tenable, alors qu'un débat est également ouvert sur la restructuration de l'offre de soins.

Il nous paraît donc aujourd'hui indispensable de bénéficier de l'éclairage de la Cour sur ce débat animé par une tension particulièrement importante entre les enjeux de proximité et de sécurité de soins. Vous le savez, cette mission a aussi été constituée en réaction au rapport de l'Académie nationale de médecine, qui préconise une rationalisation du nombre de structures de type 1 au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2.

L'offre de soins actuelle représente-t-elle parfois un risque pour les mères et leurs enfants ? La fragilité de certaines structures au regard de la capacité à assurer des équipes fixes et stables est-elle selon vous le signe d'un « pourrissement », comme le qualifiait le professeur Yves Ville, et donc l'amorce de fermetures qui ne sont pas assumées, mais lentement rendues inévitables ?

Si vous semblez partager le constat d'une raréfaction préoccupante de la ressource médicale et paramédicale en maternités, vous n'en tirez pas explicitement la conclusion d'une restructuration inévitable, comme a pu le faire l'Académie : vous nous expliquerez pourquoi. Des regroupements ou des réorganisations sont-ils envisagés, notamment en anticipation de la révision des décrets de périnatalité ?

Surtout, vous faites un constat plus qu'alarmiste et titrez votre rapport Des résultats sanitaires médiocres, une mobilisation à amplifier, quand l'an dernier, l'Académie appelait à une réforme d'urgence. La mobilisation et la réforme vous semblent-elles engagées ?

Nous avons également constaté une forte disparité entre les régions concernant les modalités d'organisation des réseaux de périnatalité ou la mise en place de processus innovants dans le suivi et la prise en charge des parturientes et de leurs bébés.

Par ailleurs, je note que la Cour s'est intéressée à certaines particularités ultramarines dans l'analyse de cette politique. Cet éclairage territorial est particulièrement utile pour notre sujet.

Enfin, je constate que votre rapport aborde relativement peu la question du financement. Cependant, cette question est déterminante et la sixième chambre a, l'an passé, consacré un rapport à l'évolution de la tarification à l'activité (T2A). Notre rapporteure pourra également vous interroger à titre prospectif sur la réforme du financement des activités de gynécologie, d'obstétrique, de néonatologie et de prévention ou encore sur les hôtels hospitaliers.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Véronique Hamayon, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Merci pour votre invitation à venir présenter ce rapport qui est une évaluation de politique publique. Nous avons pour le réaliser établi des partenariats académiques, notamment avec l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Nous avons également travaillé avec les data scientists de la Cour, spécialisés dans l'analyse complexe de bases de données et leur mise en relation.

Les travaux ont été présentés tout au long de l'instruction à un comité d'experts de dix-neuf membres représentant toutes les parties prenantes. Le docteur Mathieu Levaillant a également accompagné notre équipe, placée sous la houlette de François de la Guéronnière ; Robin Gonalons, présent aujourd'hui, en était l'un des rapporteurs.

Notre rapport se distingue par cet accompagnement scientifique solide et étroit avec notamment l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (ÉPOPé) de l'Inserm et l'université Paris Cité. Elle a été particulièrement précieuse pour réaliser certaines analyses, ainsi que pour en garantir la rigueur sur le plan médical et épidémiologique.

L'instruction repose sur l'exploitation des principales bases de données nationales disponibles, mais aussi sur des données internationales et des analyses approfondies des données hospitalières comme celles relatives à la médecine de ville.

Les enquêtes épidémiologiques principales, à l'instar de l'enquête nationale périnatale (ENP), l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles (ENCMM) ou les données de l'observatoire des morts inattendues du nourrisson (OMIN) ont été bien sûr exploitées.

Élément distinctif d'une évaluation de politique publique, l'instruction du rapport a été guidée par des questions que nous nous sommes posées et auxquelles l'équipe de rapporteurs a cherché à répondre. Les facteurs explicatifs des résultats sanitaires médiocres de la France en matière de santé périnatale sont-ils bien identifiés ? L'organisation de l'offre de soins, notamment les maternités, permet-elle de répondre aux enjeux ? Les mesures de prévention actuelles permettent-elles de réduire les risques pour les mères et les enfants ? Enfin, l'accompagnement des parents avant et après la naissance est-il suffisant et adapté ?

Ce sont les indicateurs alarmants en matière de périnatalité qui nous ont amenés à conduire cette enquête. La France est en très mauvaise position par rapport aux autres pays d'Europe et la situation se dégrade encore ; nous voulions comprendre ces mauvais résultats. Le rapport sur la santé des enfants, que la Cour a publié en décembre 2021, qui était une communication à la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, comportait un volet spécifique sur la périnatalité ; nous avions alors été convaincus qu'il fallait creuser cette question.

Après ce cadrage général, j'en viens à la présentation du premier chapitre du rapport qui porte sur les indicateurs dégradés de la santé périnatale en France.

La prévalence des risques, généralement admis comme ayant une incidence sur la santé périnatale de la mère et de l'enfant, se situe à des niveaux élevés, parfois en progression. Surpoids, obésité maternelle, tabac, alcool, drogue, grossesses tardives sont autant de facteurs de risque en matière de santé périnatale. Ceux-ci sont majorés par les inégalités sociales et territoriales, surtout en outre-mer. Les principaux indicateurs de santé périnatale mettent en évidence la situation durablement médiocre de la France.

Dans ce contexte, le dispositif de surveillance et d'analyse épidémiologiques est insuffisant. Une centralisation des données est désormais nécessaire, d'où notre première recommandation : enrichir le système national des données de santé avec les bases de données manquantes, notamment les bulletins de l'état civil et les certificats de santé de l'enfant, de façon à aboutir à un registre unique des naissances - la France est le seul pays d'Europe à ne pas s'être mis en règle vis-à-vis de cette préconisation.

Le deuxième chapitre du rapport examine l'offre de soins périnatals, qui apparaît inadaptée aux enjeux actuels de la périnatalité et peu efficiente : elle ne répond pas aux exigences de sécurité optimale.

Elle repose sur des bases réglementaires - des décrets de 1998 - qui ne sont plus adaptées aux enjeux actuels. L'évolution de cette offre de soins apparaît insuffisamment pilotée, tant du point de vue de la démographie des professionnels de santé concernés que de la cartographie des maternités. La persistance préoccupante de structures qui dérogent aux exigences minimales d'activité prévues par le cadre réglementaire de trois cents accouchements annuels en est l'illustration. Les difficultés croissantes des maternités assurant moins de mille accouchements annuels pour attirer et conserver du personnel médical qualifié plaident par ailleurs pour une analyse au cas par cas des conditions d'exercice de leurs missions.

Dans un autre rapport, nous nous sommes intéressés à l'intérim médical et aux contrats courts dans les établissements hospitaliers. Le même constat se retrouve dans les maternités : plus les établissements sont de petite taille, plus le recours à l'intérim et aux contrats courts est important, jusqu'à atteindre un tiers du personnel dans certains établissements. Cela emporte des conséquences sur l'organisation de l'offre de soins et des services, sur la capacité à assumer des gardes, sur l'implication des personnes et in fine sur la qualité et la sécurité des soins.

La Cour a relevé qu'un consensus scientifique et médical se dégageait en faveur de structures de taille plus importante : c'est le modèle retenu par certains pays européens, ainsi que par l'Académie nationale de médecine qui plaide en faveur du rehaussement du seuil minimal d'activité à mille accouchements annuels.

Nous n'allons pas aussi loin, puisque nous proposons d'examiner les solutions au cas par cas. La Cour ne propose pas de seuils minimaux d'activité et ne désigne pas de maternités qu'il conviendrait de fermer. Nous avons toutefois établi la liste des établissements se situant en dessous du seuil de trois cents accouchements.

Nous invitons les pouvoirs publics à engager sans délai une réelle planification de l'offre de soins et à assurer une revue régulière des maternités les plus fragiles. La Cour propose que cette revue porte notamment sur les maternités réalisant moins de mille accouchements par an et qu'elle soit réalisée au moins annuellement, afin de vérifier que ces maternités présentent toutes les conditions nécessaires pour assurer une prise en charge sécurisée, qualitative et continue.

Pour les maternités qui ne répondraient pas à ces critères, les pouvoirs publics doivent interroger la transformation de ces structures en centres périnatals de proximité (CPP), qui sanctuarisent le suivi de la femme sur place au cours de sa grossesse et après la naissance. En revanche, l'accouchement lui-même intervient dans une maternité partenaire, sécurisée et de taille suffisante. Ces évolutions doivent intervenir dans le cadre d'une réflexion territoriale incluant l'ensemble des acteurs, afin d'éviter toute rupture brutale des prises en charge.

Le rôle des services de protection maternelle et infantile (PMI) dans la détection et la prise en charge périnatale des personnes particulièrement vulnérables reste insuffisant du fait de fragilités structurelles qui tardent à être traitées. En définitive, depuis 2016, l'organisation des soins n'a pas suffisamment évolué dans un sens qui favoriserait l'amélioration de la sécurité et de la qualité des prises en charge périnatales.

J'en viens au dernier chapitre de notre rapport. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant, récemment instaurée, porte une ambition renouvelée en matière de périnatalité, mais cette politique publique a un champ d'action trop limité selon nous. Il faut ici souligner une situation paradoxale : alors que les résultats observés sur le plan sanitaire restent défavorables et que la natalité recule, les dépenses augmentent pour atteindre 9,3 milliards d'euros. Cette évolution pose la question de l'efficience de la politique périnatale. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant est plus orientée vers la prévention, en particulier la prévention des risques psychiques et de développement, et la lutte contre les inégalités sociales et de santé, moins vers les enjeux de qualité et de sécurité des soins périnatals. Par ailleurs, l'application de la stratégie en outre-mer suit étroitement celle mise en oeuvre dans l'Hexagone sans s'adapter aux caractéristiques spécifiques de ces territoires.

Nombre de mesures de prévention et de recommandations sanitaires, pour certaines promues de longue date, restent insuffisamment mises en oeuvre et ne permettent pas de toucher les publics pourtant les plus à risque, comme les femmes en situation précaire ou les femmes cumulant certaines pathologies.

Enfin, un renforcement, une mise en cohérence et une plus grande intelligibilité des dispositifs de soutien à la parentalité pourraient être utiles, de même qu'une meilleure coordination des professionnels de santé et des acteurs sociaux intervenant dans ce domaine.

La protection et la bonne prise en charge des femmes enceintes, des mères et de leurs nouveau-nés sont des enjeux primordiaux ; leur prise en compte par les politiques publiques est un enjeu démocratique et d'égalité. À travers ce rapport, c'est évidemment plus largement les questions centrales de l'accès au soin, de la parentalité et de l'égalité qui sont posées.

J'en viens aux points particuliers que vous avez soulevés, madame la présidente. L'analyse des inégalités territoriales montre la situation particulièrement précaire de l'outre-mer ; nous devons approfondir notre réflexion en la matière.

Vous avez souligné les difficultés relatives aux données : au minimum, il faut que la France respecte les règles européennes sur le registre consolidé des données sur les naissances. Il y a un caractère d'urgence dans ce domaine.

L'organisation de l'offre de soins doit être revue, en tenant compte des seuils de trois cents et de mille accouchements. La coordination des acteurs et l'accompagnement pré et postnatale sont encore insuffisants. Par exemple, nous regrettons la mise en extinction du dispositif Prado maternité : il faut conserver ce service, voire le renforcer, tant que d'autres dispositifs n'auront pas été instaurés. Le recours au Prado pour les femmes éligibles est très en-deçà des seuils cibles dans un quart des ARS. Nous considérons par ailleurs l'objectif de recours à 80 % des femmes éligibles devrait être considéré comme un plancher et non comme une cible.

Nous avons en effet constaté un « pourrissement », dans certaines régions : il faudrait avoir le courage de prendre des décisions pour éviter de telles situations et en effet décider de fermetures quand celles-ci s'imposent du fait d'une insuffisante sécurité des soins pour la mère et le nourrisson. Il faut favoriser les regroupements. Nous préconisons de transformer de petites structures en lieux spécialisés dans l'accueil avant et après l'accouchement et orienter les femmes vers de plus grosses structures quitte à développer l'accueil hospitalier. Le coût estimé est raisonnable : 10 millions d'euros, ce pour une sécurité des soins qui en serait véritablement renforcée.

Peu de nos préconisations issues de nos précédents rapports ont été mises en oeuvre. La réorganisation de la cartographie des maternités n'a pas été mise en oeuvre, les recommandations sur la sécurité non plus.

Nous constatons une réelle mobilisation sur la stratégie des 1 000 premiers jours, mais celle-ci se concentre sur l'accompagnement psychologique - nous ne remettons pas en cause son caractère indispensable. Cela dit, nous regrettons que les volets relatifs à la sécurité et à la qualité des soins soient absents de la stratégie. Sur ce point, nous avons un désaccord avec le ministère, qui considère que cela relève d'un autre dispositif. Nous le regrettons et nous ne pouvons pas nous satisfaire de ces résultats médiocres.

Le financement ne me paraît pas constituer la question fondamentale des problèmes constatés autour de la périnatalité : cela n'explique pas les difficultés rencontrées et nous ne l'avons pas vraiment abordé. La réforme du financement de la T2A, avec la création d'une part forfaitisée, va toutefois dans le bon sens.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous évoquez un manque d'efficience du système et nos mauvais résultats par rapport à d'autres pays, malgré des dépenses de 9,3 milliards d'euros... Les financements sont-ils mal répartis ? L'organisation doit-elle être revue ?

Mme Véronique Hamayon. - Il s'agit plus d'une question d'organisation que de financement. Nous n'avons pas établi de corrélation entre le niveau des financements et les risques constatés.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Ma première question portait sur les restructurations, mais vous y avez en partie répondu. La Cour plaide en faveur d'une réorganisation territoriale depuis une dizaine d'années. Or, malgré la fermeture des petites maternités, les chiffres ne se sont pas améliorés. Comment l'expliquez-vous ?

La Cour suggère d'analyser la situation des maternités pratiquant moins de mille accouchements annuels ; c'est une préconisation différente de celle de l'Académie nationale de médecine. Avez-vous réfléchi à des indicateurs permettant de juger si les maternités sont ou non sécurisées ?

Les établissements de petite taille peinent à recruter : les professionnels veulent travailler dans des équipes plus grandes, plus hiérarchisées, avec moins de gardes et un nombre plus acceptable d'astreintes et de nuits. Dans son rapport, la Cour évoque un redéploiement du personnel au profit de plateaux plus importants. Avez-vous creusé ce scénario ?

Des maternités de moins de trois cents accouchements devraient être fermées ; or elles ne le sont pas. Prenons l'hypothèse de la transformation de ces structures en CPP. Pensez-vous que les femmes doivent revenir à leur domicile après l'accouchement ? Ou doivent-elles rejoindre le CPP ? Quel est votre point de vue sur les hôtels hospitaliers ? Des financements pourraient-ils leur être alloués et comment pourraient-ils être organisés ?

Vous dressez un bilan plutôt positif des CPP. Comment réussir la transformation d'une maternité en CPP ? Avez-vous élaboré plusieurs scénarios dans lesquels ceux-ci joueraient un rôle accru ?

Mme Véronique Hamayon. - Les premières restructurations remontent aux années 1990. Force est de constater que la transformation n'a pas suffisamment fonctionné ou que nous ne sommes pas assez loin dans celle-ci, pour entraîner des effets palpables sur les données.

Plusieurs indicateurs pourraient guider la réflexion : les événements indésirables, la permanence et l'effectivité des soins, la complétude des équipes, mais aussi le nombre de naissances, les difficultés de recrutement ou encore la part de personnel non permanent. L'ensemble de ces indicateurs permettrait de définir un seuil d'alerte en deçà duquel il serait vraiment déraisonnable de maintenir la maternité ouverte.

Nous n'avons pas élaboré de scénarios précis sur le redéploiement des agents vers de plus grandes maternités. Cela dit, les rapporteurs ont constaté à plusieurs reprises que cette démarche était pertinente dans de nombreux territoires ; c'est pourquoi nous avons formulé cette orientation dans le rapport.

La transformation des cliniques en CPP permettrait de garder le suivi à proximité des mères, tout en sécurisant les phases de préaccouchement et d'accouchement. Les hôtels hospitaliers existent déjà, avec l'expérimentation Engagement maternité, au profit des mères les plus éloignées des lieux assurant un accouchement sécurisé. Cela fonctionne bien.

Mme Annie Le Houerou. - Nous partageons votre constat : fortes inégalités sociales et territoriales, un tiers d'intérimaires ou de contrats courts dans les petites maternités, difficultés de recrutement dans les territoires difficiles d'accès, entre autres.

Vous dites avoir noué un partenariat « solide et étroit » avec des scientifiques. Avez-vous aussi noué un partenariat solide et étroit avec les usagères ?

Vous soulignez que le dispositif Engagement maternité fonctionne bien. Sur quels critères objectifs fondez-vous votre appréciation ? Les femmes sont-elles bien accueillies ?

Disposez-vous de chiffres précis quant aux événements indésirables graves ou au taux de mortalité dans les maternités selon les catégories - 1 et 3 notamment - permettant de soutenir les orientations de votre rapport ?

Je suis d'accord avec vous : il faut mieux planifier l'offre de soins. Mais il faut aussimieux répartir les effectifs. Or nous traversons une crise des ressources humaines, mais je considère que ce n'est pas une fatalité. Dès lors, pourquoi préconiser la fermeture des petites maternités ? Pourquoi ne pas miser sur un renforcement des ressources humaines afin de faire fonctionner les maternités de proximité dans des conditions sécurisées ?

Les dernières études soulignent une forte mortalité des jeunes mères, notamment à cause de suicides. Les éloigner de leur environnement et des équipes qui les accompagnent avant l'accouchement n'est-il pas un facteur supplémentaire d'anxiété pour elles ?

Avez-vous mené une analyse spécifique de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent les outre-mer ? Je pense aux Antilles et surtout à Mayotte. En revanche, à La Réunion, nous avons constaté que les conditions d'accueil étaient de bonne qualité.

Mme Céline Brulin. - Avez-vous examiné l'évolution de la démographie médicale depuis la restructuration survenue dans les années 1990 ? Cette démographie semble plutôt s'étioler : avez-vous des chiffres confirmant ou infirmant cette impression ?

Vous dites que l'on pourrait imaginer des seuils d'alerte en deçà desquels il serait déraisonnable de maintenir une maternité. Mais ne pourrait-on pas imaginer des seuils d'alerte en deçà desquels il serait déraisonnable de fermer une maternité ? Certains départements ne comptent plus qu'une seule maternité. Prenez-vous en compte ces éléments, sachant que les inégalités sociales et territoriales comptent parmi les facteurs de risques accrus ?

Un tiers des contrats courts et des missions d'intérim sont recensés dans les petits établissements. Est-ce lié uniquement à leur taille ou cela tient-il au manque d'attractivité de certains territoires ? Une attention particulière est à avoir sur ce point, une concentration des maternités dans les grandes métropoles risquant d'accroître les inégalités.

Je partage ce qui a été dit concernant le Prado ; certains facteurs de risques préexistent à la grossesse et à la maternité. On ne peut donc y répondre uniquement par une organisation territoriale de l'offre de soins. Une politique de prévention et d'accompagnement est nécessaire.

Mme Véronique Hamayon. - Le comité d'accompagnement comprenait des usagers et des usagères. Tout au long de l'enquête, nous avons pu avoir des remarques de leur part sur nos constats et propositions.

Nous disposons de données objectives sur l'hébergement hôtelier, issues de l'expérimentation à laquelle je faisais référence précédemment. Cette expérimentation, en cours depuis 2022, s'adresse aux femmes qui se trouvent à plus de 45 minutes d'une clinique, auxquelles la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) propose un hébergement dans les cinq jours précédant la date présumée de l'accouchement pour les grossesses qui se passent bien et à tout moment pour les grossesses pathologiques. Nous nous reposons pour l'instant sur cette expérimentation, dont les résultats semblent plutôt positifs pour un coût raisonnable. Nous ne savons pas si les accidents liés à la naissance sont plus nombreux pour ces femmes que pour les autres. Il n'est d'ailleurs pas certain que l'échantillon serait suffisamment grand pour être représentatif.

De même, nous n'avons pas d'informations sur la répartition des mortalités selon la taille des maternités. La difficulté est que les cliniques privées déclarent peu les événements indésirables et indésirables graves, contrairement aux hôpitaux publics. La connaissance de ces événements est donc parcellaire et nous n'avons pas pu établir un état des lieux sur ce point.

Nous avons néanmoins pu constater l'existence d'un lien, attesté par plusieurs études scientifiques, entre la taille des établissements de santé et des maternités et les indicateurs de sécurité et de qualité des soins.

M. Robin Gonalons, conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes. - Nous citons dans notre rapport plusieurs études scientifiques sur ce point particulièrement sensible, issues notamment des travaux d'ÉPOPé. Les risques pour la mère ou pour l'enfant augmentent si certains critères ne sont pas remplis, comme la permanence des soins, impliquant la présence de l'obstétricien ou de l'anesthésiste. Une étude du docteur Levaillant tirée des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) montre par ailleurs que la morbidité maternelle et infantile varie selon la taille de l'établissement en nombre d'accouchements : elle augmente dans les établissements recensant moins de cinq cents ou moins de mille accouchements et diminue dans les établissements de taille supérieure. Nous manquons cependant de données pour aller plus loin. Les données d'ÉPOPé s'appuient sur des échantillons parfois anciens, issus notamment d'une cohorte de 2013. Les données relatives à la taille des maternités sont tirées pour leur part du PMSI.

Il serait sans doute possible d'aller plus loin dans l'analyse, mais, dans l'état actuel des choses, nous pouvons attester que les risques augmentent dans les maternités de niveau 1 qui sont en astreinte et où l'on ne trouve parfois ni gynécologue, ni obstétricien, ni pédiatre. Ces maternités sont en outre de plus en plus soumises à des fermetures temporaires, généralement annonciatrices de fermetures définitives. La Cour des comptes recommande donc une meilleure anticipation des situations critiques.

Mme Véronique Hamayon. - J'en viens à la question de savoir si une augmentation et une meilleure répartition des ressources humaines permettraient d'éviter la fermeture de petites maternités. Si les effectifs diminuent en néonatologie, ils augmentent en gynécologie-obstétrique, en pédiatrie, chez les sages-femmes et chez les infirmières puéricultrices, dans un contexte de baisse de la natalité. Si la question des ressources humaines est importante, elle n'est donc pas centrale et ne fournit pas une réponse adaptée à la situation de crise que nous connaissons en matière de qualité des soins néonataux.

En revanche, il est vrai que la répartition de ces ressources est très inégale sur le territoire national. De plus, les effectifs diminuent dans les hôpitaux, alors qu'ils augmentent en exercice libéral, notamment pour les sages-femmes.

Concernant l'hébergement, nous n'avons pas étudié précisément la question de savoir si l'éloignement des femmes de leur domicile était un facteur d'anxiété. Nous avons pris pour fil rouge les indicateurs de mortinatalité, de mortalité néonatale et de mortalité maternelle. La sécurité des soins est mieux préservée si l'on évite d'accoucher dans une petite maternité où aucun indicateur ne garantit une sécurité optimale. Un hébergement est alors préférable. Cet éloignement accroît peut-être l'anxiété des mères, mais elles sont accompagnées par ailleurs. Nous n'avons pas d'éléments précis là-dessus. La fin de l'expérimentation nous fournira peut-être des données sur ce point.

Nous n'avons pas regardé le cas de Mayotte avec précision, mais la situation sanitaire est très dégradée dans tous les outre-mer : en sus de la périnatalité, tous les indicateurs sont mauvais et en dégradation.

En matière de démographie médicale, les situations varient selon les territoires. Des inégalités importantes séparent les métropoles des territoires ruraux ; c'est pourquoi il est nécessaire de repenser la cartographie de l'offre de soins, en privilégiant les regroupements des maternités et des personnels dans les plateaux techniques sur la dissémination dans de petites structures, notamment dans les territoires les plus déshérités.

J'en viens aux seuils d'alerte qui ont été évoqués, en deçà desquels il serait déraisonnable de fermer une maternité. Nous n'avons pas raisonné selon cette optique. Les indicateurs que nous avons recueillis nous préoccupent, car ils ne sont pas à la hauteur d'un pays comme la France, qui mobilise des moyens considérables pour ses politiques de santé, notamment périnatale. Nous avons donc raisonné à l'aune d'un seuil d'alerte en deçà duquel il est déraisonnable de laisser une maternité ouverte. Transformer de petits établissements insuffisamment sécurisés et sécurisants pour la périnatalité en centres d'accompagnement prénatal et postnatal, intégrés dans la stratégie des 1 000 premiers jours, nous semble une bonne solution pour les femmes concernées. Cela garantit une certaine proximité aux femmes, qui ont besoin de cet accompagnement.

Mme Annie Le Houerou. - L'accompagnement prénatal et postnatal forme un tout, avec l'accouchement.

Mme Véronique Hamayon. - Oui, mais cela ne doit pas forcément se faire au sein du même établissement. Un tel système ne peut fonctionner actuellement dans des conditions de sécurité optimales. Tout dépend du choix collectif que fera la France. Si nous voulons rattraper le niveau de sécurité, mesuré par la morbidité et mortalité néonatales, des grands pays développés, les choses ne peuvent être conservées en l'état, comme l'ont montré les résultats des études scientifiques rappelés par Robin Gonalons. Plusieurs éléments objectifs, tangibles, étayés par des études scientifiques, nous ont donc conduits à penser que la situation actuelle n'était pas satisfaisante et à proposer les pistes présentées.

J'entends néanmoins les questions que cela pose. Aucune solution n'est simple et toute solution peut avoir des effets négatifs. Mais je le répète, nous ne pouvons pas nous satisfaire des taux de mortalité néonatale actuels de la France. La qualité et la sécurité des soins sont essentielles.

Je ne crois pas que le fait de regrouper des établissements accroîtrait les inégalités territoriales. Nous ne parlons pas seulement des grandes agglomérations, mais aussi des agglomérations moyennes. Et nous n'avons pas parlé de la demande, uniquement de l'offre. Or, s'il n'y a aucune femme pour accoucher dans un département donné, il n'est plus nécessaire d'y conserver une maternité. Inversement, certaines zones rurales peuvent rassembler des bassins de vie suffisants pour justifier la présence d'une maternité importante. Il faut tout étudier dans le détail, en veillant à l'équilibre territorial. La réponse à ce problème n'est pas forcément simple ni univoque.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - L'absence de pilotage global de la politique de périnatalité pose problème. La commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant dont vous prônez le rétablissement devrait-elle faire office de comité de pilotage, sachant qu'elle serait chargée également de coordonner les acteurs ? Un meilleur pilotage des ressources humaines dans le secteur de la santé s'avère notamment nécessaire, ce dont la commission pourrait se saisir. Les besoins en ressources humaines des territoires doivent notamment être évalués à l'aune des restructurations effectuées et de leurs conséquences futures.

Selon quel calendrier et dans quel objectif faudrait-il modifier le décret de 1998 ? La commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant doit-elle s'occuper de ces questions ? Quels seraient les objectifs et les conséquences d'une telle révision ?

Mme Véronique Hamayon. - Le pilotage est un élément saillant de notre rapport. Nous constatons souvent, de manière générale, l'absence de pilotage national. La périnatalité ne fait pas exception. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant existe, mais cette ambition nationale n'a pas d'équivalent en qualité et sécurité des soins. Il faudrait en la matière une stratégie nationale, mise en oeuvre localement par les agences régionales de santé (ARS) au plus près du terrain.

Notre rapport ne conclut pas à la nécessité de confier ce pilotage à la commission nationale de la naissance et de la santé de l'enfant. Peu importe l'instance qui le porte, il faut en tout cas un pilotage, assuré par des acteurs identifiés et assorti d'objectifs quantifiés, d'outils, de transversalité et d'éléments de mesure de l'efficacité des politiques menées.

Le décret de 1998 doit par ailleurs être revu le plus rapidement possible. Il y a urgence.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Cette révision n'entraînera-t-elle pas inévitablement des conséquences en matière d'organisation territoriale, ce qui explique qu'elle tarde à venir ?

Mme Véronique Hamayon. - Oui. Nous avons bien conscience de l'impact d'une telle révision. Nous appelons également de nos voeux, le plus rapidement possible, un pilotage national, une réorganisation de l'offre de soins, une cartographie spécifique et une attention portée au cas par cas dans certains territoires. En effet, il n'existe pas de réponse univoque. Les règles doivent être les mêmes pour tous, mais elles doivent aussi se décliner en fonction des besoins. La modification du décret doit accompagner ce mouvement. En tout cas, il faut agir le plus vite possible, car les indicateurs, déjà mauvais, se sont dégradés. Les chiffres les plus récents sur lesquels s'appuie notre rapport datent de 2022. Je ne suis pas sûre que 2023 nous réserve de bonnes surprises.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - De nombreuses initiatives sont prises dans le cadre de la stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant sur la parentalité ou la prise en charge psychologique des mères et des pères. Comment mieux coordonner ces initiatives ? Quelle organisation envisageriez-vous pour ces différentes actions, en lien avec les services de PMI par exemple ?

Mme Véronique Hamayon. - Il faut une organisation, un cadrage et un pilotage, quoi qu'il arrive. La stratégie des 1 000 premiers jours de l'enfant a l'avantage d'afficher des objectifs précis. Le problème est que de nombreux centres de PMI, en difficulté par manque de personnel et de moyens, peinent non à se mobiliser, mais à constituer un maillon efficace de mise en oeuvre de cette stratégie. Certains pourraient néanmoins former un échelon pertinent. Notre rapport mentionne une expérimentation en cours, transformant des centres de PMI en Maisons des 1 000 premiers jours. Malheureusement, tous les centres de PMI ne sont pas capables d'un tel changement.

Dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité - Audition des docteurs Jean-Louis Simenel, gynécologue-obstétricien, vice-président de la Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP), coordinateur du réseau de périnatalité de Normandie, Bernard Bailleux, gynécologue-obstétricien, président du réseau Oréhane - Organisation RÉgionale Hauts de France autour de la périNatalité (en visioconférence), Isabelle Jordan, pédiatre, coordinatrice du réseau AURORE - Association des Utilisateurs du Réseau Obstétrico-pédiatrique REgional d'Auvergne-Rhône-Alpes et du professeur Fabrice Pierre, gynécologue-obstétricien, président du RPNA - Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine (en visioconférence)

(Mardi 4 juin 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous auditionnons les coordinateurs de quatre réseaux régionaux de périnatalité - désormais nommés DSRP, pour dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité. Ces coordinateurs représentent quatre régions différentes, nous permettant de poursuivre notre tour de France, après un déplacement dans le Grand-Est en avril dernier, des auditions des Agences régionales de la santé (ARS) d'Ile-de-France, de Bourgogne-Franche-Comté, d'Occitanie, de Guadeloupe et de Mayotte au cours du mois de mai, et avant un déplacement en Bretagne ce jeudi. Vous le savez, nous sommes très attachés, au Sénat, à la dimension territoriale de nos travaux.

Deux de nos interlocuteurs sont présents dans la salle avec nous : le docteur Jean-Louis Simenel, gynécologue-obstétricien, coordinateur du réseau de périnatalité de Normandie et, en outre, vice-président de la Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP). Je précise que nous avons déjà échangé avec la présidente de la Fédération, Margaux Creutz-Leroy, lors de notre audition des fédération hospitalières ainsi que lors de notre déplacement en Meurthe-et-Moselle ; la docteure Isabelle Jordan, pédiatre, coordinatrice du réseau AURORE - Association des Utilisateurs du Réseau Obstétrico-pédiatrique REgional d'Auvergne-Rhône-Alpes.

Deux de nos interlocuteurs sont connectés par visioconférence : le docteur Bernard Bailleux, gynécologue-obstétricien, président du réseau Oréhane - Organisation RÉgionale Hauts de France autour de la périNatalité ; le professeur Fabrice Pierre, gynécologue-obstétricien, président du RPNA - Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine (en visioconférence).

Les travaux que nous menons depuis trois mois nous ont permis d'identifier trois préoccupations principales s'agissant de la situation actuelle en matière de santé périnatale.

Tout d'abord, nous faisons face à une dégradation des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risque : notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité, l'obésité et les problématiques de santé mentale. Ces indicateurs marquent des différences territoriales parfois importantes ; vous nous préciserez - le cas échéant par écrit - quelle analyse vous en faites, puisque vos missions incluent le recueil d'indicateurs « traceurs ».

Ensuite, nous constatons des difficultés dans l'accompagnement des futurs et jeunes parents. Vous nous exposerez les actions que vous menez afin de mieux les informer et de rendre plus lisible et plus accessible leur parcours de soin, en lien avec les différents professionnels concernés hôpital-ville-PMI.

Enfin, dans un contexte de raréfaction des ressources médicales et paramédicales, de nombreuses maternités sont aujourd'hui dans des situations de fragilité, qui amènent à s'interroger sur l'organisation de l'offre et de la permanence de soins, ainsi que sur la coordination et la solidarité territoriales entre établissements et entre professionnels de santé. Vos réseaux jouent un rôle central dans cette coordination. Vous nous direz dans quelle mesure ils accompagnent les ARS dans les projets de transformation de l'offre en maternités et l'anticipation d'éventuelles fermetures. Nous avons perçu, lors de précédentes auditions, une forte disparité entre les régions concernant les modalités d'organisation des réseaux de périnatalité. Ont également été évoqués des processus innovants dans le suivi, la prise en charge et les éventuels transferts des parturientes et de leurs bébés, et dans le suivi des nouveau-nés vulnérables. Vous nous présenterez donc vos actions locales, dont certaines pourraient peut-être gagner à être dupliquées, ainsi que vos préconisations en la matière.

M. Jean-Louis Simenel, gynécologue-obstétricien, coordinateur du réseau de périnatalité de Normandie et, en outre, vice-président de la Fédération Française des Réseaux de Santé en Périnatalité (FFRSP). - Merci pour cette occasion de nous exprimer sur les enjeux de la périnatalité. En Normandie, nous sommes en cours de fusion des structures régionales depuis deux ans, des thèmes nécessitent du travail pour rapprocher les pratiques, des façons de faire ne sont pas identiques ici et là entre les anciennes régions de Haute et de Basse Normandie - cependant les choses se passent bien, nous nous connaissons depuis longtemps.

Bien des problèmes que nous rencontrons sont liés aux difficultés de ressources humaines. Depuis trois ans, chaque été, nous sommes sous la menace de fermetures de maternités de type 2a et 2b. Nous avons également un souci à l'hôpital de Dieppe, où deux obstétriciens partent en retraite et il n'y a pas de relève. Cela. Nous essayons de combler les manques -du côté des obstétriciens, des pédiatres-réanimateurs, des sage-femmes et des anesthésistes -, ce qui se répercute sur les autres maternités : nous faisons prendre des gardes supplémentaires aux médecins en place et ils se déplacent. Nous le faisons parce qu'il nous parait intolérable de fermer une maternité, mais cela ne règle pas le problème et il faut trouver une solution, des moyens de régler nos difficultés de recrutement.

Cela pour parer au plus pressé, mais la réflexion peut aller plus loin, en reprenant l'organisation issue du décret de 1998, votre mission d'information en est l'occasion.

Des professionnels ne sont pas enclins à faire de la médecine sur certains territoires, c'est une tendance de fond, il faut réfléchir aux façons dont on pourrait faire déplacer les praticiens temporairement, trouver une forme de circulation des spécialistes pour qu'ils soient présents partout sur le territoire. Il faut également anticiper, car former un obstétricien, cela demande 12 ans - et dans l'immédiat, alors que des spécialistes partent en retraite sans remplaçant, il faut trouver une solution transitoire efficace et qui soit au niveau des soins attendus.

Je crois qu'il faut commencer par reconnaitre la gravité de la situation, pour éviter la catastrophe, et accepter de se relever les manches pour collaborer de manière large.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Chacun d'entre vous peut-il nous dire les manques dans son réseau, les fermetures effectives de maternités, les conséquences pour la population en particulier sur la distance à la maternité la plus proche, mais aussi des indicateurs comme la mortalité néonatale ?

M. Jean-Louis Simenel. - Je vous communiquerai les chiffres par écrit. La Normandie compte 23 maternités, dont 8 de type 1, 8 de type 2a, 3 de type 2b et 4 de type 3. Deux sont des centres universitaires - à Rouen et à Caen, un troisième centre universitaire se développe au Havre, plus orienté sur la psychiatrie, ce qui est un avantage pour le réseau normand dans son ensemble pour traiter les questions psychiatriques liées à la natalité. Nous avons eu l'an dernier 32 484 naissances, 7,5 % étaient prématurées, l'âge moyen de la grossesse est de 30,04 ans. Nous ne connaissons pas le taux de précarité mais le réseau de Haute-Normandie a de nombreux contacts avec des associations qui travaillent avec des femmes sans-domicile, qui dorment sous les ponts. Dans l'ancienne Haute-Normandie, aucune maternité n'est à plus de 71 kilomètres du CHU de Rouen, et dans l'ancienne Basse-Normandie, aucune maternité n'est à plus de 124 kilomètres du CHU de Caen et le réseau routier est de bonne qualité. Je vous communiquerai des chiffres plus précis.

Mme Isabelle Jordan, pédiatre, coordinatrice du réseau AURORE - Association des Utilisateurs du Réseau Obstétrico-pédiatrique REgional d'Auvergne-Rhône-Alpes. - Merci pour votre accueil, nous nous réjouissons de votre intérêt pour la périnatalité. Je commente un document que je vous ai préparé et qui comporte des chiffres que je ne citerai pas tous ici.

Notre association a été créée en 2003, elle regroupe 22 maternités - il y en avait 37 en 2004, et nous sommes passé de 41 341 à 37 183 naissances entre-temps, il y a donc eu des fermetures, un recul des naissances, mais nous nous battons pour assurer de la proximité. Notre territoire compte aussi un réseau de suivi des nouveau-nés vulnérables, créé en 2009, c'est un atout. Nous avons 14 services de néonatologie, avec une file active de 4 160 patients par an, nous coordonnons le suivi entre l'hôpital, la ville et les PMI et avons des conventions de collaboration avec les autres professionnels, par exemple les plateformes de coordination et d'orientation (PCO) et les centres d'action médico-sociale précoce (CAMSP), ou encore les réseaux de prise en charge des troubles de l'apprentissage.

Nous avons des problèmes de ressources humaines, nous manquons de pédiatres, y compris en libéral, notamment dans la Drôme mais aussi dans des territoires très urbains comme Lyon.

Vous posez la question judicieuse de l'articulation des réseaux de périnatalité avec l'ARS. Après une mandature compliquée, où la périnatalité n'était pas un axe prioritaire de l'ARS et qui a vu des suppressions peu compréhensibles, comme celle des temps d'échange au sein de la commission régionale des naissances, l'équipe de l'Agence a changé et une nouvelle politique est initiée depuis un an, avec la volonté de co-construire un DSRP sans faire disparaitre les réseaux existants, c'est une très bonne chose. Il va y avoir des actions de niveau régional, c'est positif également. Cependant, nous aimerions être davantage consultés et qu'on prenne en compte notre expertise en particulier pour évaluer le maillage territorial, ce n'est pas assez le cas. Nous avons aussi besoin d'un dossier commun.

Les fermetures de maternités peuvent correspondre à des fusions, ce qui n'est pas nécessairement un problème, mais il y a eu des fermetures récentes : une maternité privée à Rilleux en 2023, une maternité privée à Guillerand-Granges en 2022, une maternité publique à Privas en 2019, et il y a eu la fermeture de la maternité publique de Die en 2018. La fermeture de la maternité de Die est un exemple intéressant à étudier, d'abord en raison de la faible couverture territoriale de l'offre de soins dans la Drôme, mais aussi pour tout le travail de préparation et d'accompagnement initié avant, pour maintenir une offre de soins. La maternité de Die est ainsi devenue centre périnatal où il y a des consultations assurées par des obstétriciens, par des pédiatres, par des sage-femmes - et les patientes sont dirigées vers l'hôpital de Valence pour accoucher. Cette mutation de la maternité de Die a bénéficié, en 2017, d'une expérimentation d'un hôtel hospitalier en chirurgie qui a été ouvert également aux femmes enceintes proches du terme. La coordinatrice qui s'en occupe m'a dit, cependant, que le nombre de patientes a diminué, parce qu'un accord est intervenu avec le Samu pour les traiter en priorité - les parturientes sont qualifiées de patientes « remarquables » -, ce qui a rassuré les femmes sur la possibilité d'accéder rapidement à la maternité de Valence et rendu moins nécessaire le recours à l'hôtel hospitalier. Un travail est donc fait en amont pour informer les femmes enceintes du réseau mis en place.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ce travail d'information est-il fait par tous les professionnels ?

Mme Isabelle Jordan. - Oui, par tous les personnels soignants. En fonction de leur résidence géographique, les femmes enceintes sont aiguillées vers une filière et sont reçues pour une information spécifique. La coordinatrice m'a également indiqué que le centre périnatal de Die avait conventionné avec un hôtel près de la maternité, puis avec un appart'hôtel pour pouvoir recevoir les proches des femmes enceintes lorsque c'est utile - le décret prévoit l'hospitalisation jusqu'à cinq jours, mais ce délai peut être étendu en cas de besoin. Cette deuxième solution a eu davantage de succès. Nous comptons dix centres périnataux sur notre territoire. Celui de Tournon peut héberger les femmes en suites de couches, la coopération est très bonne avec la maternité de Valence et cette organisation aide à pallier des difficultés de ressources humaines - je vous invite à vous rapprocher de la coordinatrice à Valence, qui vous rendra compte de cette expérience intéressante.

Comment évaluer l'offre de soins ? La question invite à parler du chiffre - magique ? - des 1 000 naissances par an, alors que le nombre de naissances n'est pas le seul critère à prendre en compte. Ce qu'il faut regarder aussi, c'est le maillage territorial et le problème massif d'attractivité : les jeunes générations de professionnels n'ont pas les mêmes aspirations, c'est le cas dans tous les milieux professionnels et il faut faire avec.

Il vaut donc mieux prendre à bras-le-corps l'ensemble de la problématique, et programmer les fermetures qui sont inévitables, réfléchir ensemble pour rassembler les ressources sur des plateaux techniques de bon niveau et relier les maternités à des centres périnataux et à des maternités sans accouchement - nous sommes disposés à y travailler.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous évoquez des maternités sans accouchement et des centres périnataux, quelles distinctions faites-vous entre les deux ?

Mme Isabelle Jordan. - Je n'ai pas réfléchi particulièrement à la terminologie, mais je dirais que des centres périnataux peuvent se contenter de faire des consultations, ce sont des centres de consultation avancés, tandis que la notion de maternité implique la prise en charge des suites de couches et de la psycho-périnatalité.

Je signale que nous documentons la survenue d'événements graves, nous les suivons en réunion de morbinatalité, sans aucun pouvoir de décision ni de relation hiérarchique avec les équipes, nous ne pouvons être que des incitateurs, la décision appartient à l'ARS.

Il faut parler aussi de l'aspiration des usagers, en particulier pour des accouchements moins médicalisés. Nous avons une maison de naissance adossée à la maternité de Bourgoin-Jallieu, par exemple, elle fonctionne bien depuis quelques années et répond à une partie de la demande d'accouchements physiologiques, il faudrait voir son articulation avec la demande d'accouchement à domicile - c'est à prendre en compte, des patientes pourraient trouver du confort dans des maisons de naissance.

J'ai obtenu de l'ARS, en un temps record - c'est le signe de très bonnes relations de travail - la carte montrant le temps d'accès à une maternité sur notre région, je vous la communique. Elle montre qu'il y a des territoires situés à plus d'1h30 d'une maternité, y compris dans la Drôme, qui est pourtant un territoire attractif. Il y a des lacunes, par exemple nous n'avons pas de maternité avec réanimation entre Lyon et Nîmes, c'est pourquoi nous demandons que la maternité de Valence, actuellement de type 2b, passe en type 3, mais cela pose un problème de ressources humaines, notamment s'agissant des pédiatres - alors, encore une fois, que le territoire est attractif.

Le DSRP joue un rôle important d'harmonisation des pratiques, pour proposer des formations, pour rédiger des protocoles, ou encore pour l'articulation hôpital-ville-PMI, nous avons des liens privilégiés avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS), avec les maisons départementales, nous avons un rôle dans le suivi des événements indésirables graves, avec des réunions de morbi-mortalité dites de réseau, où l'on examine les causes de transfert tardif. Nous assurons aussi le suivi des échographistes, qui sont validés pour assurer le suivi de la trisomie 21.

Quelles sont nos difficultés ? Elles tiennent au déficit de ressources humaines et aux suspensions d'activité. Nous avons également des difficultés dans le recueil des informations pour suivre les indicateurs - nous n'avons pas beaucoup de moyens pour le faire. D'autant qu'ensuite, une fois l'information obtenue, il faut adapter notre action en conséquence, par exemple quand on constate des violences, de la maltraitance, des difficultés de santé... Nous manquons de moyens. Un exemple : l'allaitement maternel, encourage par le programme des 1 000 premiers jours paraît essentiel, mais il ne fait plus partie des orientations prioritaires du DPC (développement professionnel continu) - donc les professionnels, pour se former, doivent payer de leur poche, c'est un détail qui a son importance...

Quelles sont nos particularités régionales ? Nous avons mis en place une cellule régionale des transferts périnataux, depuis 2002, je sais d'expérience qu'elle a apporté du mieux, on ne passe plus des heures à chercher des places disponibles. Elle traite 3 000 dossiers par an, assurant 1 200 transferts intra-utérins et 1 000 transferts en post-natal. En cinq années d'existence, le nombre de transferts intra-utérins a pris le pas sur les transferts en post-natal, c'est le signe que les bébés naissent davantage dans des unités adaptées - en France, on s'attend à ce que ce soit le cas pour 80 % des naissances, nous sommes à 88 %, ce bon résultat est à mettre au crédit de la cellule régionale ; ce très bon outil est devenu indispensable.

Autre particularité, notre plateforme d'expertise IVG de la région Auvergne Rhône-Alpes (Pleiraa), qui, en lien avec notre réseau, fait des formations, s'assure de la continuité de service de l'IVG.

Nous avons aussi un très bon niveau de dépistage néonatal, il y a quelques refus, mais nous parvenons par exemple à 99,65 % d'exhaustivité pour le dépistage de la surdité, et 99,98 % sur le dépistage biologique (soit 40 refus pour 38 000 naissances).

Un mot sur la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité. Elle assure une très bonne coordination, en assurant le lien entre les DSRP, qui participent à son conseil d'administration, en animant des groupes de travail nombreux et en développant des outils très utiles, par exemple pour le repérage des professionnels qui font l'échographie de repérage de la trisomie 21. Cette fédération manque de moyens, je crois utile de la soutenir.

M. Bernard Bailleux, gynécologue-obstétricien, président du réseau Oréhane - Organisation RÉgionale Hauts de France autour de la périNatalité. - Le réseau Oréhane est issu de la fusion, début 2020, des réseaux de périnatalité du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie. Les écarts très forts de densité, mais aussi dans les indicateurs de santé publique, rendent très difficile toute cartographie de la vulnérabilité. Nous avons peu de maternités menacées de fermetures, plusieurs ont été faites avant 2020 ; il reste peut-être quelques petites maternités de moins de 500 naissances qui pourraient être appelées à fermer un jour, mais pas dans l'immédiat. Une parenthèse : s'il fallait fermer les maternités sous le seuil de 1 000 naissances, il faudrait en fermer une sur trois, mieux vaut donc raisonner au cas par cas. Cependant, nous observons des arrêts transitoires d'activité, qui entrainent une désorganisation très importante de l'offre sur le territoire. Par exemple, le service de néonatalité du CHU de Lille a fermé quelques lits depuis octobre 2023, ce qui a désorganisé les transferts, des services de type 2b ont dû prendre en charge des nouveau-nés qui auraient dû l'être par le CHU. En tout cas, les solutions de remplacement sont toujours difficiles à trouver quand une maternité ferme.

Les indicateurs de santé publique sont nombreux, je pourrai vous communiquer ceux dont nous disposons, mais il manque à notre DSRP une synthèse régionale, cela pose un souci de la visibilité sur les territoires en difficulté. Or, l'ARS dispose de ces indicateurs, puisqu'ils lui servent à construire le programme régional de santé (PRS), pour lequel nous sommes très sollicités.

L'ARS nous a confié des projets qu'elle gérait, par exemple les IVG, ou encore le dossier régional informatisé - lequel est assez lourd à gérer après des échecs d'informatisation - et le suivi des enfants vulnérables.

La cellule de transfert néonatal créée en 2020 a eu des effets très positifs, les professionnels nous l'ont dit immédiatement. Cependant, des services ferment faute de personnel et la cellule doit gérer les transferts de mamans et de nouveau-nés sur des distances malheureusement très longues, par exemple de Lille à Senlis et une coopération existe aussi avec la Belgique et plus précisément la maternité de Tournai.

Autre point positif, l'implication des usagers dans nos projets, dans les groupes de travail, les webinaires - c'est utile et nous pouvons nous en féliciter.

Les difficultés que nous rencontrées sont liées aux fermetures temporaires et à la désorganisation de l'offre de soins, et bien sûr aux manques de ressources humaines - il y a des fluctuations préjudiciables à la qualité des soins, quelle que soit la taille de la maternité. L'intérim et le turn over insécurisent les équipes et sont préjudiciables à la qualité même des soins.

Il faut réfléchir aux moyens de stabiliser et distribuer l'offre de soins. Je pense que les ARS n'ont pas de solution non plus à leur échelle, la réflexion doit être plus large. Il faudrait augmenter l'offre de soins, mais ce n'est pas l'orientation prise.

Nous sommes le premier DSRP de France, avec plus de 60 000 naissances par an, mais nous n'avons qu'un seul projet de maison de naissance, alors qu'il y a une demande forte des familles, en particulier pour l'accouchement à domicile - il faut réfléchir à ce qu'on en fait : est-ce qu'on laisse faire, on accompagne, on réglemente ?

Enfin, quelques mots sur l'articulation de notre DSRP avec l'ARS. Nous avons toujours eu d'excellentes relations avec l'ARS, car notre référente périnatalité avait une bonne connaissance des territoires, elle constituait un point d'appui dans nos échanges. Cette référente est partie en retraite, une nouvelle référente est très dynamique et à l'écoute, c'est une très bonne chose - je suis persuadé, d'expérience, qu'il faut un référent périnatalité bien ancré dans les territoires, et j'appelle aussi à réactiver les anciennes commissions régionales de naissance, je pense que c'est nécessaire.

M. Fabrice Pierre, gynécologue-obstétricien, président du RPNA - Réseau Périnat Nouvelle-Aquitaine. - Merci, ces échanges sont importants. Le RPNA a regroupé les réseaux du Limousin et de Poitou-Charentes, la fusion a été difficile et houleuse au départ, avec de vraies difficultés, mais elle est maintenant effective, nous avons bénéficié de la mise en place d'un réseau de suivi des enfants vulnérables (RSEV) dans le cadre du parcours de soins précoces et coordonnés du nouveau-né (Cocon), expérimentation introduite par l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 - et je peux dire que l'agrégation des réseaux s'est bien passée, le RPNA est effectif depuis 2017.

Nous vous communiquerons les chiffres que vous nous avez demandés, mais je voudrais d'ores et déjà que Louise Delavenne, notre responsable administrative, vous présente très sommairement notre territoire.

Mme Louise Delavenne, responsable administrative au RPNA. - La Nouvelle Aquitaine est peu dense, avec 72 habitants par kilomètre carré en moyenne, et nous avons enregistré ces dernières années entre 54 000 et 55 000 naissances annuelles.

Le RPNA fédère 12 centres de proximité, 42 maternités dont 3 CHU, les maternités de type 1 représentent 52 % de nos maternités, contre 38 % à l'échelle nationale. Une comparaison de densité : pour un nombre équivalent d'habitants, les Hauts-de-France représentent 40 % de notre territoire.

M. Fabrice Pierre. - La densité est même de 21 habitants au kilomètre carré en Creuse. Nous avons de vastes territoires peu denses, avec des populations dispersées, ce qui implique de conserver de petites structures, ou bien la distance à la maternité atteint vite 1h30 à 2 heures, ce qui n'est pas acceptable.

Mme Annie Campagne, coordinatrice médicale au RPNA. - Les chiffres de natalité sont comparables en Nouvelle-Aquitaine à ceux de la France métropolitaine, nous vous les ferons passer par écrit.

Le réseau permet un échange entre professionnels de la périnatalité, de rompre l'isolement, nous organisons des réunions mensuelles qui sont très suivies, pour des présentations et des échanges, nous mettons en commun les professionnels hospitaliers et la médecine de ville. Nous élaborons aussi des outils, avec des auto-questionnaires pour repérer les vulnérabilités de façon précoce - nous vous communiquerons ces questionnaires. Au-delà, nous aidons les professionnels à accéder à des formations. Nous sommes en lien permanent avec l'ARS.

M. Fabrice Pierre. - Nous avons la chance d'avoir à l'ARS une référente périnatalité très engagée, c'est un appui très précieux pour le dossier Cocon par exemple, nous échangeons en continu avec elle, les choses se passent bien. Nous avons une cellule de régulation sur la plateforme du Samu, les transferts in utero sont gérés par le Samu, mais avec les sages-femmes de notre réseau. Pour les urgences, les sages-femmes facilitent le travail du Samu et hors urgence, elles gèrent les transferts, elles font aussi les transferts néonataux. Elles doivent régler les problèmes de places posés dans les re-transfert car nous manquons de places de néonatalogie de type 2 en région, au plus près des patientes, c'est un sujet important.

L'aspect ressources humaines est décisif dans le maillage territorial. Il faut reprendre les recommandations publiées en 2018 par le CNGOF, le CARO, le CNSF, la FFRSP, la SFAR, la SFMP et la SFN dans un rapport consacré aux ressources humaines pour les activités non programmées en gynécologie-obstétrique. Des maternités vont fermer, c'est clair, parce qu'il faut un minimum d'activité pour se maintenir. Mais il faut regarder de plus près comment les choses se passent et je ferai deux remarques. D'abord, quand une structure veut recruter, c'est pour avoir un tableau de garde et une permanence de soins d'urgence, pour assurer les urgences : ce n'est pas très motivant, ce n'est pas ce qui fait venir un professionnel. Ensuite, il ne faut pas croire que le phénomène touche seulement les petites structures, les grandes aussi sont concernées, y compris les CHU, car le travail est très lourd, la pression forte, entre les consultations programmées et les urgences, il y a des spirales qui font craquer - les gens ne veulent plus travailler comme on le faisait avant, il faut en tenir compte.

Je crois donc que l'avenir passe par un GHT équilibré dans la région, dans le respect des différents temps du professionnel et de ses appétences, entre des activités dans des petites maternités et des activités de surcompétence dans les plus grosses maternités, c'est en respectant cet équilibre qu'on parviendra à maintenir les équipes. En tout état de cause, le recours aux intérimaires n'est pas une bonne chose, il finit par empêcher la politique de service et le bon suivi.

Nous avons de nombreuses fermetures partielles, y compris dans des structures de type 2 qui sont en grande difficulté, notamment en Charente. Nous avons un système d'anticipation « plan rose » qui permet de repérer les femmes, de savoir où elles veulent accoucher, de transmettre les dossiers. Nous le faisons en nous rapprochant du Samu et des transporteurs.

Oui, nous allons être obligés de fermer certaines maternités mais je crois qu'il faut organiser un « aller vers » et un « rester à côté ». Je pense à une initiative dans des territoires très isolés en Auvergne, qui s'appelle « Opti'soins », où les sage-femmes vont voir des femmes enceintes. Dans l'un de nos secteurs, il y a aussi des initiatives de suivi prénatal au sein d'un GHT mais coordonné avec les sages-femmes libérales et de PMI, qui sont nombreuses dans certains territoires. L'idée est d'avoir un suivi à une équipe de proximité et de savoir où elles veulent accoucher et comment. Il faut aussi que les établissements aient des réflexions sur les différents modes d'accouchement, au sein d'un même grand établissement, pour avoir des accouchements dans un environnement moins ou pas technique. Nous ne sommes pas favorables à la sortie à quelques heures mais nous sommes favorables à la sortie précoce à 24 ou 48 heures, à condition que la même équipe suive la maman et l'enfant, avec la sage-femme, l'auxiliaire de puériculture et les autres professionnels de la néonatalité qui se rendent à domicile ou à proximité. Il ne faut donc pas fermer de maternité sans organiser un maillage territorial, cela demande du temps mais il faut faire ce travail.

Je signale, enfin, que nous n'avons pas d'idée précise du nombre d'accouchements à domicile. Dans un territoire que je connais, qui compte 2 500 accouchements, il y aurait une centaine d'accouchements à domicile, c'est loin d'être négligeable ; et si l'on n'a pas une maternité où l'on a envie d'accoucher, un accompagnement avant et après la naissance, il est probable que la tendance à ces accouchements non sécurisés s'accentuera - une évaluation serait la bienvenue.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Le temps de cette audition est écoulé, nous continuerons à échanger par écrit. Je remercie chacune et chacun pour votre participation aux travaux de la mission et vous invite à nous communiquer vos contributions et les compléments que vous jugerez utiles de porter à notre connaissance.

Présentation par l'institut CSA des résultats de l'étude d'opinion
sur la prise en charge de la santé périnatale
commandée par la mission d'information


(Mardi 4 juin 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Après la table ronde consacrée aux réseaux de périnatalité, nous recevons Quentin Llewellyn, directeur conseil, et Lola Loyaté, analyste de données, de l'institut CSA. Ils nous présenteront une enquête d'opinion commandée par la mission.

Les travaux que nous menons depuis trois mois nous ont permis de dresser différents constats sur la situation de la santé périnatale dans notre pays. Sans revenir sur ces éléments en détail, je rappellerai le contexte de création de cette mission. Cette mission d'information a été demandée par le groupe RDSE, alors que les indicateurs de mortalité néonatale infantile et maternelle ne s'améliorent plus, voire se dégradent dans notre pays et que la situation s'avère également préoccupante concernant différents facteurs de risque, notamment l'âge maternel plus tardif, la précarité, l'obésité, et les problématiques de santé mentale.

Dans le même temps, et en partie face à ce premier constat, l'académie de médecine s'est autosaisie et a publié un rapport appelant à une réforme d'urgence, au moyen notamment d'une rationalisation de l'offre des maternités. Cette préconisation qui a fait couler beaucoup d'encre s'appuyait notamment sur un diagnostic alarmant quant à l'état de fragilité de nombreuses structures, du fait principalement d'une raréfaction des ressources médicales. Force est de constater que cette fragilité n'a été que confirmée par nos travaux et ne concerne pas, comme on peut parfois l'entendre, uniquement des maternités dites « petites », mais constitue bien un enjeu de préoccupation majeure.

Notre mission a entendu de nombreux représentants médicaux et paramédicaux, ainsi que des responsables politiques et institutionnels, tous animés, dans leur analyse, par une tension inhérente à notre sujet : l'arbitrage délicat entre sécurité et proximité.

Dans ce contexte, la rapporteure et moi-même avons considéré qu'au-delà des représentants médicaux, scientifiques et institutionnels, l'avis des premières concernées se devait d'être analysé sous un angle nouveau. Telle est la raison pour laquelle nous avons décidé de commander une étude d'opinion afin de recueillir la perception des femmes sur leur prise en charge durant leur grossesse, leur accouchement et les mois qui ont suivi.

J'insiste : l'objet de ce travail n'est pas, aujourd'hui, d'apporter une étude épidémiologique nouvelle ou concurrente des données existantes, mais d'apporter un éclairage nouveau sur le ressenti des mères ou futures mères, l'organisation des soins périnatals, les priorités qui sont les leurs et leur appréhension de certains débats qui, parfois, peuvent nous animer de façon vive.

L'étude livrée me paraît riche d'enseignements et je souhaitais qu'elle vous soit présentée au plus vite.

M. Quentin Llewellyn, directeur conseil de l'institut CSA. - Nous allons vous présenter les principaux enseignements de notre enquête d'opinion sur la santé périnatale, réalisée en ligne, en mai dernier, auprès de plus de mille femmes âgées de 18 à 50 ans. Leur moyenne d'âge se monte à 34 ans. Parmi elles : 676 avaient accouché au cours des deux dernières années ; 84 étaient enceintes ; 253 prévoyaient de tomber enceinte avant la fin de l'année 2024.

Il s'agissait de donner la parole à ces femmes pour dresser un état des lieux de leur ressenti par rapport au suivi de leur grossesse et de leur accouchement, au suivi postnatal et au problème posé par le choix de leur lieu d'accouchement.

Les critères déterminant le choix de ce lieu sont principalement, et à égalité, la proximité avec le domicile et la qualité des soins. Vient ensuite la notoriété de l'établissement.

D'intéressantes différences se font jour selon la catégorie de femmes interrogées. Ainsi, la proximité est davantage mise en avant par les femmes ayant accouché au cours des deux dernières années, tandis que les femmes enceintes ou ayant un projet de maternité se montrent plus sensibles à la qualité des soins, de sorte que ce critère se retrouve, en ce qui les concerne, en première position.

Si 71 % des femmes interrogées ont eu le choix de leur lieu d'accouchement, la part de celles qui n'ont pas eu ce choix se monte à 32 % chez celles qui ont accouché au cours des deux dernières années. L'impossibilité de choisir s'explique en premier lieu (à 69 %) par l'éloignement géographique. Un cinquième des femmes ayant accouché au cours des deux dernières années n'a cependant pas pu choisir son lieu d'accouchement en raison d'impératifs médicaux liés à leur grossesse.

Le choix du lieu d'accouchement s'opère néanmoins dans un contexte de déficit d'information non négligeable. Les femmes interrogées sont guidées, ou du moins éclairées dans leur choix, par différents acteurs et sources d'information, qui sont principalement : le personnel soignant qui les accompagne (pour 58 % d'entre elles) ; l'entourage (familial et amical) ; puis, dans une moindre mesure, des sites Internet (spécialisés ou des établissements) ; et, enfin, les réseaux sociaux.

Une majorité de femmes (plus précisément 71 %) s'étaient renseignées sur la maternité où elles avaient accouché (ou allaient accoucher). Leur démarche proactive visait à s'informer sur : le niveau d'encadrement pendant l'accouchement ; le type de professionnels obligatoirement présents pendant l'accouchement ; le niveau de risque pris en charge en cas de complication ou d'urgence.

La classification des maternités en quatre types (1, 2a, 2b, 3) échappe à la plupart des interrogées : seules 38 % d'entre elles savent de quoi il retourne. Les 62 % restantes, soit n'en ont jamais entendu parler, soit ne savent pas vraiment à quoi renvoient les quatre catégories.

La maternité de type 1 se distingue par l'absence de service de néonatologie, de service de réanimation ou de soins intensifs néonatals, or moins d'une femme sur deux en a conscience. Cette proportion atteint 60 % chez les femmes ayant accouché ou comptant accoucher dans une maternité de ce type.

L'enquête a fourni l'occasion d'une remise à niveau des connaissances des femmes interrogées touchant aux types de maternité. À l'issue de cette remise à niveau, il a été demandé aux femmes ayant accouché entre 2022 et 2024 dans quel type de maternité elles avaient accouché. Près d'un quart d'entre elles n'ont pas été en mesure de répondre à cette question.

Abordons l'arbitrage entre la sécurité et la proximité - arbitrage délicat, comme le montrent les résultats de l'enquête. Il a été demandé aux femmes interrogées si elles privilégiaient la proximité ou la garantie d'une plus grande sécurité. 56 % des femmes préfèrent une maternité plus sécurisée (de type 2a, 2b ou 3, mieux en mesure de prendre en charge des grossesses à risque), y compris s'il leur faut plus de trente minutes pour s'y rendre. A l'inverse, 44 % des femmes préfèrent accoucher à proximité de leur domicile y compris s'il s'agit d'd une maternité de type 1. En somme, les avis sur la question restent partagés.

Par ailleurs, les femmes seraient prêtes à effectuer jusqu'à quarante minutes de trajet en moyenne pour rejoindre leur lieu d'accouchement, alors que le temps de trajet moyen déclaré par les femmes interrogées tourne autour de vingt à vingt-cinq minutes.

Le projet de regroupement des maternités a été soumis aux femmes interrogées. Afin de resituer ce débat, la question était ainsi libellée : « Aujourd'hui, certains considèrent nécessaire de revoir l'organisation des maternités. L'académie de médecine propose par exemple de fermer des « petites maternités » de type 1 pour les regrouper avec des maternités de type 2 et 3 au sein d'un même territoire, mieux équipées pour faire face à un accouchement qui se passerait mal. Ces maternités pourraient se trouver plus loin du domicile des femmes (jusqu'à 1h de trajet) mais seraient plus sécurisées. Les suivis de la grossesse et post natal seraient assurés dans des établissements de proximité ». 67 % des femmes interrogées ont alors jugé que ce projet était une bonne chose. 26 % ont même trouvé une très bonne chose.

Passons à la perception du suivi de la grossesse. Une grande majorité de femmes interrogées a jugé satisfaisante leur prise en charge durant leur grossesse. Près d'une sur deux a même qualifié ce suivi de très satisfaisant - qu'il s'agisse aussi bien du suivi obligatoire du septième mois, du rendez-vous avec l'anesthésiste ou des informations fournies sur le déroulé de la grossesse et de l'accouchement que de la place accordée au coparent.

Intéressons-nous au ressenti à l'égard de l'accouchement lui-même, finalement très positif, malgré quelques regrets exprimés par une part non négligeable de femmes. Notons que cet événement est susceptible d'entraîner une dégradation de leur santé mentale.

L'accouchement se passe bien dans 88 % des cas - et même très bien pour 47 % des interrogées, qui justifient leur ressenti par la qualité de l'accompagnement reçu, jugeant le personnel à l'écoute et compétent. La bonne gestion de la douleur est également mise en avant, ainsi qu'un accouchement ni trop long ni trop difficile et, le cas échéant, des difficultés aient au bout du compte surmontées. Il ne faudrait pas pour autant oublier les problèmes et complications rencontrés par 30 % des interrogées - problèmes liés à des situations d'urgence, tels que des césariennes, parfois sous anesthésie générale, mais aussi des hémorragies, la nécessité de déclencher certains accouchements ou encore des péridurales. Les problèmes signalés concernent autant la mère que l'enfant.

Près d'un quart des femmes ayant accouché entre 2022 et 2024 expriment des regrets, principalement celui de ne pas avoir pu accoucher naturellement, et, plus globalement, de ne pas avoir vécu leur accouchement comme elles l'avait imaginé. Certaines auraient souhaité une préparation différente à l'accouchement, faisant la part plus belle à la sensibilisation et à la prévention des imprévus, tout en ayant conscience du potentiel anxiogène d'une telle approche. D'autres regrets ont porté sur la relative indisponibilité des soignants à certains moments-clés de l'accouchement.

Intéressons-nous au suivi postnatal, tant à la maternité qu'à domicile. Bien qu'il ne pose a priori pas de difficulté particulière, il a lieu sur fond de détérioration de la santé mentale de certaines parturientes. 60 % des interrogées ont estimé satisfaisante la durée de leur séjour à la maternité. La plupart de celles qui se sont montrées critiques à cet égard reprochaient à ce séjour d'être trop long plutôt que trop court.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quelle est la durée moyenne des séjours à la maternité ?

M. Quentin Llewellyn. - La question n'était malheureusement pas posée dans l'enquête, mais il me semble que ce séjour ne se prolongeait pas plus de trois jours en moyenne quand l'accouchement se passe bien.

Nous nous sommes intéressés à l'état physique et psychologique des femmes à la suite de leur accouchement : dans les deux heures suivantes ; à leur sortie de maternité ; au cours des jours suivant cette sortie ; au bout de deux mois.

L'état physique s'améliore au fur et à mesure que l'accouchement s'éloigne dans le temps. Alors que 79 % des femmes jugeaient leur état physique satisfaisant deux heures après l'accouchement, elles étaient 90 % dans ce cas au bout de deux mois. En revanche, l'état psychologique, jugé satisfaisant à 84 %, deux heures après l'accouchement, se dégrade légèrement à partir de la sortie de maternité. Ainsi, près d'un cinquième des femmes témoignent d'un état psychologique non satisfaisant à compter de leur sortie de maternité, jusqu'à au moins deux mois après l'accouchement. Ce chiffre montre que l'accouchement n'est jamais anodin. Même quand il se passe bien, il est susceptible de laisser des traces, voire des séquelles psychologiques. De fait, une femme sur deux a ressenti une dégradation de sa santé mentale par suite de son accouchement. Certes, la notion de dégradation de la santé mentale peut renvoyer à une multitude d'états selon le vécu de chacune.

Une femme sur cinq n'est pas satisfaite des informations communiquées par le personnel soignant après l'accouchement. Au regard des autres résultats de l'enquête, ceci prouve que, si le suivi postnatal pèche par l'un de ses aspects, c'est bien par celui-là. Une femme sur cinq n'a pas non plus bénéficié d'un suivi postnatal de retour à son domicile. Le suivi du nourrisson ne pose en revanche pas de difficulté particulière, puisque 88 % des femmes ont facilement trouvé un moyen de faire suivre leur nouveau-né. Un léger décalage s'observe toutefois entre les réponses des femmes issues d'un milieu rural, qui semblent avoir trouvé plus facilement un suivi que les femmes franciliennes. Le suivi s'est en tout cas bien passé pour 97 % des répondantes. Il s'est même très bien passé pour 58 % d'entre elles.

Enfin, les femmes interrogées ont suggéré des pistes d'amélioration à trois moments-clés. D'abord, une majorité souhaiterait être suivie, durant leur grossesse, par un professionnel unique de référence et de proximité. Ensuite, la systématisation des chambres individuelles et d'un deuxième couchage pour le coparent est vivement attendue lors de l'accouchement, en vue d'un meilleur confort et d'un meilleur soutien mutuel entre coparents. Enfin, l'allongement du congé accordé à la mère comme au coparent serait, lui aussi, le bienvenu.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour votre restitution de cette étude. Il nous semblait important de mieux cerner le regard des femmes elles-mêmes, d'autant que celui-ci nous éclaire sur les avis des professionnels.

Avez-vous remarqué, pour certaines questions, des différences entre territoires urbains et ruraux ?

La dégradation de la santé mentale d'une partie des parturientes a-t-elle occasionné un suivi psychologique particulier ?

M. Quentin Llewellyn. - Nous ignorons si celles qui éprouvaient des difficultés psychologiques ont bénéficié d'un suivi ou non, bien que, dans l'ensemble, fort peu aient été suivies.

Les différences entre territoires restent de l'ordre de la nuance. Les plus notables ont trait au choix du lieu d'accouchement. Dans les communes rurales, les parturientes, domiciliées assez loin de la maternité la plus proche, acceptent plus volontiers un long trajet jusqu'à leur lieu d'accouchement.

Mme Annie Le Houerou. - L'enquête fait état d'une certaine opposition entre proximité et qualité. Force est de constater une dégradation de la prise en charge en proximité, car rien ne garantit aux maternités de type 1 qu'elles disposeront d'assez de moyens en termes de ressources humaines. D'autres conditions d'accueil dans les maternités de type 1, avec du personnel en nombre suffisant - spécialistes y compris - auraient peut-être donné lieu à des réponses différentes. Pour cette raison, cela me gêne quelque peu que vous opposiez proximité et sécurité.

M. Quentin Llewellyn. - Nous proposions le choix entre une maternité de type 1 à proximité du domicile et un établissement plus sécurisant quoique plus éloigné.

M. Patrice Joly. - L'éloignement géographique reste le premier obstacle au choix du lieu d'accouchement. Comment parvenez-vous à la conclusion que les femmes seraient prêtes à parcourir en moyenne quarante minutes pour rejoindre ce lieu ? Cette durée ne correspond pas à la moyenne des autres pourcentages.

M. Quentin Llewellyn. - La question du temps de trajet acceptable était en réalité une question ouverte. Nous avons réparti les réponses par tranches de durée, en calculant par ailleurs une durée moyenne d'après l'ensemble des réponses.

M. Patrice Joly. - Ceci pose la question du maillage, de l'organisation des réseaux et de l'éloignement. Plutôt que de supprimer les maternités de type 1, nous pourrions décider de les faire monter en gamme afin d'éviter à toute femme de résider à plus d'une heure d'un établissement de ce type. Votre enquête ne nous guide pas sur la question du maillage des maternités au regard de leur qualité de service.

Selon votre sondage, les projets de regroupement de maternités sont plutôt vus d'un bon oeil. Il eût été intéressant de distinguer les réponses de celles qui résident en zone rurale. Interroger à ce propos des femmes non concernées par un allongement du trajet jusqu'à leur lieu d'accouchement a pu introduire un biais dans les opinions exprimées.

M. Quentin Llewellyn. - La majorité des femmes (67 % précisément) se montrent favorables au projet de regroupement des maternités, indépendamment de leur CSP et de la catégorie d'agglomération dans laquelle elles résident. Ainsi, 60 % des résidentes de communes rurales considèrent ce projet comme une bonne chose. Certes, cette proportion atteint 70 %, soit trois points de plus que la moyenne parmi les habitantes de communes de plus de 100 000 habitants - et même 71 % dans l'agglomération parisienne.

M. Patrice Joly. - Près d'un tiers des femmes se heurtent à des problèmes durant leur accouchement. Plus précisément, tel est le cas de 32 % de celles qui accouchent dans une maternité de type 1, de 34 % de celles qui accouchent dans une maternité de type 2 et de 35 % de celles qui accouchent dans une maternité de type 3. Mieux vaut donc accoucher dans une maternité de type 1.

M. Quentin Llewellyn. - En réalité, la proportion de femmes confrontées à des problèmes ne varie que très peu selon le type de maternité où elles accouchent.

M. Patrice Joly. - Le pourcentage inférieur de problèmes dans une maternité de type 1 fait figure de paradoxe quelque peu amusant.

M. Quentin Llewellyn. - La part des femmes ayant rencontré un problème lors de leur accouchement reste dans cette enquête la même quel que soit le type de maternité.

M. Patrice Joly. - 54 % des femmes ayant accouché dans une maternité de type 2 ont rencontré un problème les concernant elles-mêmes, contre 36 % de celles qui ont accouché dans une maternité de type 1 et 28 % de celles qui ont accouché dans une maternité de type 3.

Mme Céline Brulin. - N'est-il pas contradictoire que 54 % des femmes préfèrent une maternité proche de leur domicile, alors que des problèmes sont aussi susceptibles de survenir dans n'importe quel type de maternité ? Face à un choix théorique, les avis semblent partagés, tandis que le vécu paraît à peu près le même partout. La remarque vaut aussi pour les regrets. Surtout, la plupart des femmes n'établissent aucune différence entre les divers types de maternités.

M. Quentin Llewellyn. - Vous avez raison de distinguer le vécu et l'expérience, d'une part, de la psychologie, d'autre part. Les notions de proximité et de sécurité se trouvent mises en balance, avec tous les avantages et inconvénients que l'une et l'autre comportent. Une forte tension apparaît lors du choix entre un accouchement au plus près de chez soi et le principe de sécurité, y compris dans le cadre d'une grossesse ne présentant pas de risque particulier, encore que des complications, par nature difficiles à prévoir, puissent toujours surgir le moment venu. En somme, une courte majorité de femmes cherchent avant tout à se rassurer.

Je n'y verrais pas tant une contradiction que deux angles distincts sous lesquels aborder le sujet. Certaines grossesses dérapent quelque peu, pas nécessairement parce qu'elles présentaient des risques, mais en raison d'un suivi anxiogène, amenant à se poser des questions qui ne seraient jamais venues à l'esprit hors de certains échanges.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La question des regrets a été abordée à propos de la visite de la maison de naissance à Nancy. Un décalage s'observe entre la manière dont les femmes imaginent que leur accouchement va se passer - aussi bien à domicile qu'en maison de naissance - et la réalité les contraignant parfois à se rendre en maternité. La fédération des accouchements accompagnés à domicile prépare les femmes à ce qui les attend en leur expliquant qu'à chaque étape peut survenir un imprévu obligeant à renoncer à un accouchement idyllique. Alors que 30 % des femmes ont rencontré un problème en accouchant, 12 % seulement estiment que leur accouchement ne s'est pas bien passé. Autrement dit, un problème, une fois résolu, n'empêche pas de penser qu'un accouchement s'est bien passé.

M. Quentin Llewellyn. - En effet, parmi les 88 % de femmes affirmant que leur accouchement s'est bien passé, certaines ont pu se heurter à des difficultés.

Mme Marie Mercier. - Avez-vous distingué les réponses des primipares ?

M. Quentin Llewellyn. - Nous pourrions le faire. Je vous renvoie au rapport complet. La distinction n'est apparue signifiante que dans quelques cas.

Mme Marie Mercier. - La formulation de certaines questions et, par conséquent, leur compréhension peut induire des réponses en apparence contradictoires à propos de l'état physique et de l'état psychologique. Qu'entendent les parturientes par « santé mentale » ? Vous indiquez une demande renforcée d'un accompagnement postnatal, d'une importance effectivement cruciale. Lorsque surgit une difficulté à l'occasion d'un accouchement à domicile, celui-ci a finalement lieu ailleurs. Les transferts au regard des risques expliquent la part des accouchements difficiles dans les divers types de maternités, vers lesquelles sont réorientées les parturientes, en cas de complications.

Mme Jocelyne Guidez. - Je reste sceptique quant à la satisfaction exprimée par rapport à la longueur du séjour en maternité. La plupart des femmes la trouvent suffisante. En revanche, leur état psychologique se dégrade après leur retour à domicile. Un séjour en maternité de deux jours n'est-il pas trop court ?

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - N'était-il pas aussi demandé aux femmes si elles s'estimaient aptes à rentrer chez elles à leur sortie de maternité ? Une large majorité d'entre elles a répondu par l'affirmative.

M. Quentin Llewellyn. - Absolument : 90 % précisément. 53 % se déclaraient même tout à fait aptes à regagner leur domicile. Seules 10 % exprimaient un avis contraire.

Mme Jocelyne Guidez. - Une femme peut se sentir apte à rentrer chez elle, mais ne pas l'être.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Les femmes étaient interrogées sur leur ressenti.

M. Quentin Llewellyn. - Nous avons mené une enquête d'opinion touchant au ressenti. Dans toute enquête de cette nature se font jour des contradictions. Les êtres humains sont par nature animés de contradictions.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie à nouveau pour la qualité de votre enquête et la présentation éclairante que vous venez d'en faire.

Mes chers collègues, nous nous retrouverons demain pour une audition de représentants d'associations d'élus locaux.

Audition commune de représentants des collectivités territoriales


(Mercredi 5 juin 2024)

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Dans le cadre de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous poursuivons notre cycle d'auditions en entendant aujourd'hui des représentants des collectivités territoriales : Gilles Noël, maire de Varzy, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), et, en visioconférence, Marie-Paule Chesneau, vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire en charge de la prévention, co-présidente de la commission Santé, Enfance, Famille de ce département, et représentante de Départements de France.

Malheureusement, l'Association des maires de France n'a pu se faire représenter mais elle nous adressera une contribution écrite.

Notre cycle d'auditions nous a permis de faire plusieurs constats :

• une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle ;

• une tension extrêmement forte sur les effectifs des personnels de santé (pédiatres, obstétriciens, anesthésistes, sages-femmes et infirmières puéricultrices) ;

• un manque de pilotage dans la politique de santé périnatale, marquée par une pluralité d'acteurs qui rend difficile l'établissement de véritables diagnostics territoriaux permettant de répondre aux enjeux de sécurité et de proximité des soins.

Tous ces éléments sont marqués par des différences territoriales fortes.

Cette audition complète les échanges que nous avons eus avec les représentants d'Agences régionales de Santé ou lors de travaux consacrés à certains territoires en particulier. La mission s'est rendue en Meurthe-et-Moselle et se rendra demain en Bretagne. Nous avons également organisé des visioconférences pour évoquer les enjeux propres à la Guadeloupe et à Mayotte.

Si les communes contribuent souvent à la politique de santé, les départements ont, eux, en matière de santé périnatale, une compétence directe à travers la gestion des services de protection maternelle et infantile. Vous nous direz quels sont, selon vous, les défis actuels pour les missions exercées par les PMI, l'attente de certains publics cibles comme la place à trouver entre les professionnels libéraux et l'hôpital.

Vous le savez, cette mission a aussi été constituée en réaction au rapport de l'Académie nationale de médecine, qui préconise une rationalisation du nombre de maternités de type 1 au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2. Il nous paraît indispensable d'avoir votre avis sur ce sujet, animé par une tension particulièrement importante entre les enjeux de proximité et de sécurité des soins.

Nous sommes pleinement conscients, particulièrement dans la chambre des territoires qu'est le Sénat, que la présence d'une maternité est souvent perçue comme une question d'attractivité et de rayonnement des territoires, notamment les plus isolés. Pourtant, l'offre de soins actuelle ne semble pas satisfaisante et paraît parfois présenter un risque pour les mères et leurs enfants, au regard notamment de la fragilité de certaines structures et de la nécessité de disposer d'effectifs stables et complets. La succession de fermetures temporaires, prolongées ou définitives de certaines maternités ne fait que souligner cette préoccupation.

Surtout, derrière une offre facialement maintenue, ces fermetures soudaines déstabilisent les territoires. Elles sont sources d'incertitudes, de stress et de ruptures dans les prises en charge des patientes, y compris dans leur suivi pré- et postnatal. Mal anticipées, elles peuvent être préjudiciables à l'ensemble d'un bassin de naissances. Nous devons, en tant que responsables politiques, assurer l'accessibilité et la sécurité des soins sur tout le territoire.

Nous oeuvrons cependant collectivement dans un contexte nouveau, qui est celui d'une baisse de la natalité mais aussi et surtout d'une démographie médicale en crise, conjuguée à de profondes modifications des attentes des professionnels en matière de qualité d'environnement du travail. Les solutions ne sont donc ni évidentes ni simples, au niveau local comme au niveau national.

Nous conduisons nos travaux en ouvrant le débat sans a priori. L'objectif est d'être utiles. Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle sera consultable en vidéo à la demande. Je vous laisse la parole pour une courte intervention liminaire. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure, Véronique Guillotin, pour une première série de questions. Nos collègues présentes pourront également intervenir pour vous interroger.

M. Gilles Noël, maire de Varzy, vice-président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). - Je me demande ce que je vais pouvoir ajouter à vos propos liminaires, madame la présidente, si ce n'est que nous ne pouvons que nous réjouir, en tant que maires de villages, d'entendre les mots de santé périnatale accolés à celui d'avenir. Il y a longtemps en effet que nous avons perdu ces attributs, à travers les fermetures de centres hospitaliers de proximité. Vous l'avez dit, c'est très souvent la sécurité qui est invoquée pour les justifier. Vous avez omis de mentionner également la rationalisation des choix financiers, qui a conduit à détricoter un élément d'avenir de nos territoires en fermant ces maternités et en éloignant toujours plus les futures mères mais aussi leurs proches. Lorsque vous demandez à votre mari, un voisin, de vous accompagner à la maternité en pensant que c'est le jour J et que vous avez une heure et quart ou une heure et demie de trajet pour y aller, c'est une demi-journée ou une journée de congé qu'il faut prendre, et ce, parfois « pour rien ». Vous condamnez ainsi toute une population. En tout cas, si c'est le bon jour, au moins, la maman ne sera pas dérangée par les visiteurs : ceux-ci ne feront pas trois heures de route, même si l'enfant est très attendu.

Nous savons que les inégalités d'espérance de vie commencent à la naissance, ou juste avant. Un enfant qui naît aujourd'hui en milieu rural a deux années d'espérance de vie en moins, en moyenne, qu'un enfant qui naît en ville. L'accès aux soins constitue l'un des déterminants de cette espérance de vie.

Quelques initiatives sont menées dans les territoires ruraux afin d'éviter des grossesses à risque. Je pense notamment au rôle des sapeurs-pompiers que vous n'avez pas mentionné, madame la présidente, et plus particulièrement à celui des sapeurs-pompiers volontaires. Les sapeurs-pompiers sont organisés dans les territoires ruraux pour accompagner les femmes sur le point d'accoucher.

L'avenir de nos territoires ruraux ne peut reposer sur l'idée selon laquelle on est mieux soigné en ville. Les inégalités territoriales se renforcent et continueront de se renforcer. Vous avez fait état d'un rapport qui invite à se mettre dans la perspective de la restructuration de l'offre de soins au bénéfice du renforcement d'un certain nombre de maternités de type 2. Cela résonne comme un abandon de nos territoires pour des considérations uniquement logistiques...

Je remercie l'Académie nationale de médecine pour ses préconisations, eu égard au grand âge de ses membres, qui visent à centraliser encore les maternités. Peut-être décideront-ils un jour de transporter les mamans par drone, pour que ce soit plus simple, à moins qu'ils ne nous condamnent encore davantage à l'isolement. C'est la raison pour laquelle une contradiction évidente figure à mes yeux, en tant que représentant d'un territoire rural, dans le titre de votre mission : avenir et périnatalité ne semblent plus, pour nous, qui agissons en proximité, aller de pair. C'est un détricotage des territoires qui a été organisé. C'est une « désorganisation organisée » qui touche notamment les maternités. Nous allons ainsi voir des déprogrammations d'un grand nombre d'opérations, faute de personnel ou de place, plutôt que de recréer les conditions permettant à ces opérations d'avoir lieu dans un environnement de proximité des patients. Je souhaite que des centres hospitaliers de proximité puissent être rééquipés chaque fois que c'est possible, dans des conditions qui restent à définir, dans ces petites unités de vie et que l'on cesse de brandir tel ou tel seuil d'activité pour justifier les fermetures, d'autant que ces seuils changent fréquemment.

Le mot « attractivité » résonne avec « maternité » dans nos territoires. Nous n'avons ni l'une ni l'autre. Nous ne construisons plus désormais notre attractivité en lien avec la présence d'une maternité. Nos territoires ont perdu au fil du temps nombre de services dont on considère manifestement qu'ils sont bien mieux en ville (Direction des finances publiques, La Poste, la Gendarmerie...), à l'aune de ce qu'ont fait les banques et d'autres acteurs économiques avant.

C'est autant d'opportunités de créations d'emplois supplémentaires et d'accueil de familles nouvelles sur nos territoires, dans des catégories socioprofessionnelles supérieures, qui n'existent plus. Ces catégories socioprofessionnelles ne viennent plus dans nos territoires ruraux et je parle ici des petites communes de moins de 3 500 habitants. On sait que le renouvellement des populations est important en milieu rural. Les « natifs » s'entremêlent avec d'autres populations et c'est tant mieux, sauf lorsque c'est exclusivement la pauvreté qui, s'éloignant des villes, accentue encore et toujours les difficultés de la ruralité. Nous appelons de nos voeux le renouvellement des générations et l'arrivée de populations jeunes, car ce seront des clients de la boulangerie, des parents d'école, des acteurs de la vie associative... Ils contribueront ainsi par de multiples aspects au vivre ensemble

Ces fermetures sont à honnir et nous luttons contre elles. J'en donnerai un exemple concernant les urgences, qui font partie de notre écosystème de santé, au même titre que les sapeurs-pompiers, la médecine de ville ou les PMI, qui agissent en proximité grâce aux conseils départementaux. C'est la même punition qui nous attend tous : il vaut mieux aller en ville pour se faire soigner que d'attendre l'hélicoptère, même si vous avez un AVC. Les familles rurales souffrent de tout cela. En tant qu'élus, nous nous battons. Nous déposons parfois nos écharpes et il nous arrive même de manifester. Bientôt, nous nous enchaînerons. Cela ne changera pas grand-chose, puisque les maternités sont déjà parties.

Ces logiques de santé dépassent la seule question des naissances. Les décisions prises nous sont parfois annoncées dans la presse. Elles ne sont parfois discutées qu'avec vous, les parlementaires. En tant qu'élus ruraux, nous les découvrons lorsque la messe est dite. Nous ne sommes pas considérés, ne participons pas à la concertation, sauf a posteriori et nous sommes alors uniquement informés, souvent parce que des parlementaires se sont mobilisés pour que nous le soyons. Des parlementaires vont alors venir du chef-lieu de région pour nous expliquer que le manque de personnel ou les problématiques de matériel contraignent à procéder ainsi. La recherche de solutions alternatives, l'ouverture d'esprit, ne semblent pas de mise.

On évoque les centres de santé périnatale de proximité. Si, a minima, dans une logique de prévention, il peut y avoir une valeur ajoutée, en mettant des locaux à disposition, pour accompagner les quelques femmes qui continueront d'accoucher en milieu rural, pourquoi pas ? Nous avons besoin de cela. Nous avons également besoin de personnels qui vont aider ces femmes du point de vue psychologique avant et après l'accouchement. Nous avons besoin d'un maillage. C'est la raison pour laquelle je parlais tout à l'heure de l'importance de l'accès aux soins. Le fait de pouvoir déclarer les naissances dans la ville au sein de laquelle est localisé le centre périnatal de proximité (CPP) chargé du suivi de la grossesse et non pas dans la ville du centre hospitalier dans lequel a eu lieu la naissance me semble accessoire.

Quant aux enjeux de sécurité, les élus sont rarement diplômés en médecine et nous sommes obligés d'entendre les discours qui nous sont tenus, même si nous les contestons. Une chose est sûre : si l'on compare les taux de mortalité au niveau national avec d'autres pays, je ne suis pas sûr que nous soyons champions. La situation se dégrade et il n'est pas normal d'accepter cette dégradation, au XXIe siècle, en France...

Le conseil départemental et les sous-préfectures sont deux interlocuteurs avec lesquels les maires peuvent parler de proximité. Nous nous inquiétons d'ailleurs de l'état financier des Conseils départementaux, car si ceux-ci gèlent leurs crédits d'investissement ou de fonctionnement à notre égard, c'est la misère annoncée. C'est malheureusement ce que nous prépare Bruno Le Maire à l'horizon 2025. Nous avons déjà connu des épisodes de ce type. Les collectivités devront se serrer encore un peu plus la ceinture. Je ne parle pas des compensations décidées sur la taxe d'habitation ou la CVAE. Vous en savez sûrement plus que moi. À notre niveau, nous comptons les coups reçus. Le Conseil départemental est en tout cas une instance primordiale. Il joue un rôle à travers les PMI et un rôle d'accompagnement essentiel au plan social.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je passe la parole à Marie-Paule Chesneau.

Mme Marie-Paule Chesneau, vice-présidente du conseil départemental de Maine-et-Loire en charge de la prévention, co-présidente de la commission Santé, Enfance, Famille, représentante de Départements de France. -En guise d'introduction, je voudrais souligner l'importance du sujet qui nous réunit. Je suis effectivement conseillère départementale, vice-présidente chargée de la prévention dans le champ de la prévention, de l'enfance et de la famille. La prévention, sur nos territoires, est essentielle. J'y suis d'autant plus attentive que j'ai travaillé, en tant qu'infirmière puéricultrice, en maternité puis en pédiatrie, durant une vingtaine d'années. J'ai ensuite travaillé en PMI puis, dans une logique de parcours, je me suis sentie légitime pour devenir élue au sein du Conseil départemental.

Nous devons, en tant qu'élus, maîtriser les problématiques de terrain. Comme vous l'avez souligné, monsieur le maire, les Conseils départementaux ont des budgets de plus en plus contraints, alors que la prévention suppose d'y mettre les moyens. Or ceux-ci ne sont pas disponibles à la hauteur de ce que nous voudrions faire. Nous devons effectivement faire de la prévention en proximité. Les élus locaux ne sont pas seuls concernés : les sages-femmes libérales et les médecins libéraux, ainsi que tous les professionnels libéraux, doivent s'associer pour mailler le plus finement possible le territoire.

La PMI assure une fonction très précieuse en maillant le territoire, en apportant des actions de soutien et d'accompagnement à la parentalité avant, pendant et après la grossesse. Elle accompagne les enfants jusqu'à six ans, de même que leur famille. Il faudrait donner une autre image de la PMI. En complément des CPP et des maternités, la PMI doit être envisagée comme un dispositif à la disposition de tous et non seulement des personnes en difficulté sociale. La PMI peut intervenir pour toute personne susceptible d'être vulnérable à un instant donné. On peut être un ménage aisé et se trouver en difficulté face à un comportement d'enfant ou à la dépression périnatale par exemple.

La qualité et la sécurité des soins sont naturellement essentielles. Nous ne pouvons plus nous permettre de procéder comme on le faisait auparavant, car tous les budgets sont contraints. Nous devons néanmoins maintenir la qualité du service rendu et la sécurité, tant pour les patientes qui vont accoucher que pour leur famille et pour les professionnels, qu'il ne faut pas décourager. Les professionnels sont investis mais nous devons aussi savoir leur montrer que nous allons dans leur sens et que nous donnons du sens aux politiques conduites.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci monsieur le maire, merci madame la vice-présidente, pour vos propos. Nous sentons bien, chez l'un et l'autre, la passion de votre engagement et la défense de vos territoires.

Je voudrais repositionner le contexte de cette mission. Nous avons engagé nos travaux notamment en réaction à un rapport de l'Académie de médecine, dont les prises de positions notamment au sujet de la réorganisation de l'offre de maternité autour d'un seuil minimal de 1 000 naissances par an avait eu un écho médiatique important. En relisant le rapport, on se rend compte qu'il s'agissait d'un scénario qui n'avait pas nécessairement valeur de préconisation. La question envisagée était un peu différente : il s'agissait de dire quelle serait la cartographie des maternités en France si l'on fixait le seuil à 1 000 naissances par an. En tout cas, le propos a ému beaucoup de monde et a conduit à constater que quatre maternités sur cinq, au sein des territoires, accompagnaient moins de 1 000 naissances par an.

Nous avons ainsi ouvert cette mission et rapidement abordé la question des indicateurs de mortinatalité et de mortalité maternelle. Nous avons vu que la première cause de mortalité des mères, à un an après l'accouchement, était le suicide.

Nous avons ainsi été rapidement mis sur deux chemins : celui du maillage territorial et celui de la prise en charge pré- et postnatale. Nous manquons de chiffres indiquant pourquoi nous sommes si mauvais dans notre pays, pourquoi la mortalité maternelle ne diminue pas, pourquoi nous sommes passés de la 7e à la 27e place des pays de l'OCDE en matière de mortalité infantile... D'aucuns affirment qu'on a fermé des maternités et que cela va toujours plus mal. D'autres invoquent un manque de qualité dans le suivi, notamment après l'accouchement. Le paysage est assez confus.

. Je voudrais tout de même revenir sur l'argument de l'AVC qu'a invoqué monsieur le maire, car il n'est pas tout à fait le bon : depuis que l'on ne se rend plus dans l'hôpital de proximité avec un AVC, on traite beaucoup mieux les victimes de ce type d'accident et d'infarctus : on démarre le traitement dans le véhicule du SAMU. On apporte la victime à l'hôpital de proximité, qui effectue l'IRM et commence à placer la perfusion. On gagne deux heures et demie de trajet, puisque le traitement démarre avec le centre de référence. Nous devons prendre garde aux idées reçues selon lesquelles tout ce qui est près est bien, tandis que tout ce qui est éloigné ne serait pas bien. Je crois que c'est plus complexe que cela.

S'agissant des plateaux techniques d'accouchement, nous avons été sensibilisés, durant ces trois mois d'audition, à un problème de ressources humaines et au maintien de lieux d'accouchement qui ne répondent plus aux exigences de sécurité. Les professionnels ne veulent plus se rendre dans des centres où ils doivent assurer plusieurs gardes par semaines. Ces structures ne parviennent plus à recruter. On peut chercher des explications. Il faut certainement former davantage mais nous aurons les fruits de ces efforts dans dix ans. En l'état actuel de la situation, avec des fermetures inopinées, souvent brutales et non organisées, pensez-vous qu'il serait nécessaire, avec les élus, d'organiser des circuits sécurisés ? Cela demande parfois de regrouper des plateaux d'accouchement et parfois de conduire une politique d'attractivité dans les territoires. Entendez-vous cette raison, la comprenez-vous et comment cela pourrait-il être organisé à vos yeux ? La proximité, dans le suivi pré- et postnatal, avec le renforcement des CPP sur les territoires, pourrait-il, selon vous, répondre aux enjeux de sécurité et améliorer la santé pré- et postnatale ?

S'agissant des départements et de la PMI, pensez-vous qu'une politique des « 1 000 premiers jours », adossée par exemple à des maternités ou des centres de proximité, pourrait améliorer la prise en charge de la mère et de l'enfant, en particulier dans les territoires éloignés ou ruraux ? Quelles propositions feriez-vous pour faire évoluer l'image des PMI ? Rencontrez-vous, dans vos PMI, des difficultés en termes d'attractivité vis-à-vis des professionnels de santé et avez-vous des propositions à faire sur ce sujet ?

M. Gilles Noël. - Madame la rapporteure, je me suis sans doute mal exprimé. J'ai dit qu'on attendait l'hélicoptère, lorsqu'il est question d'un AVC. Je n'ai pas parlé du reste. Lorsque l'hélicoptère ne vient pas, au bout d'une, deux ou trois heures, c'est l'ambulance qui vous emmène au CHU en roulant à tombeau ouvert pour vous y déposer à 1 heure ou 3 heures du matin, alors que vous avez été récupéré par les pompiers à 19 heures 30. Le fonctionnement « H24 » des Hélismur est loin d'être une réalité partout. Savez-vous combien il y a de « H24 » sur notre territoire ? Il y a Besançon, Dijon et Châlons, si je me souviens bien. À Nevers, dans la Nièvre, le dispositif fonctionne en H12 : à 19 heures 30, il ne tourne plus. Des personnes décèdent pour ce type de raisons. Le centre 15, qui est à deux ou trois heures de chez vous, ne recherchera jamais une solution à Paris ou Orléans. Il gère ses affiliés sans chercher d'autres solutions. Voilà où en est la sécurité. C'est nous, habitants ruraux, qui en pâtissons. Au centre hospitalier de proximité, à l'héliport, on attend. Telle est la réalité factuelle que nous subissons.

S'agissant de l'organisation du territoire, nous sommes rattachés à des groupements hospitaliers de territoire. Pourquoi ceux-ci ne continueraient-ils pas, comme ils le font d'habitude, à organiser les plannings à partir de leur centre hospitalier support de façon à organiser la prise en charge dans les centres de proximité ? Mobilisons les GHT.

Vous avez remarqué que la population souscrit rarement, en cas de fermeture. Les habitants manifestent. Et ensuite, après ce nouvel abandon qu'ils subissent, ils votent Rassemblement National. Chez moi, c'est le cas de 40 % des électeurs. Peut-être est-il malséant de le dire ici mais il me semble important de le rappeler. Devant ces désorganisations organisées, nos concitoyens sont perdus, crient, se lamentent. Il ne nous reste plus que La Poste - même si des tentatives la visent aussi...

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous parliez tout à l'heure du titre de notre mission. Celle-ci porte sur l'avenir de la santé périnatale et sa territorialisation. Nous travaillons sur la santé périnatale au sens large (mères et pères, bébés), sans oublier la territorialisation. C'est dans ce cadre que nous sommes réunis ici. Il ne s'agit pas seulement de parler de sécurité. Comment répartit-on les ressources sur le territoire compte tenu de la réalité de la démographie médicale notamment ?

M. Gilles Noël. - Ne m'en veuillez pas, madame la présidente.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je ne vous en veux absolument pas. J'apportais une précision.

M. Gilles Noël. - De surcroît, je vous dis des choses que, de toute façon, vous savez déjà. On connaît d'ailleurs le lien des parlementaires avec les collectivités.

Je ne vous donnerai pas une « recette » aujourd'hui mais nous sommes ouverts sur ces sujets, car nous sommes concernés. Nous aspirons à être présents dans cette démocratie sanitaire. Nous devons d'ailleurs, en tant qu'élus ruraux, faire notre mea culpa : souvent, nous déléguons ces questions de santé à nos collègues des villes. Ils sont souvent présidents du Conseil de surveillance au CH ou au CHU. Ils ont le portable du DG et de l'ARS, qui sont toujours à leur écoute. Prenons notre bâton de pèlerin. On a besoin de se documenter, de s'informer pour ne pas être totalement dépendants de ce que nous disent les autorités sanitaires et pouvoir réellement contribuer à créer les conditions que nous appelons de nos voeux.

Concernant les PMI, toutes les femmes s'y rendent. Peut-être n'y vont-elles plus parce qu'elles se débrouillent autrement, du fait d'un regard trop caricatural sur le sens social de la PMI. Cependant, je n'ai jamais entendu une femme enceinte dire « je n'irai jamais à la PMI ».

J'ai deux propositions à vous faire. Premièrement, nous devons nous intéresser à la jeunesse, qui constitue les pères et mères de demain. Nous devons parler des questions de sexualité, en amont de la grossesse. Le pharmacien joue un rôle important, de même que le médecin généraliste et la famille. Par l'intermédiaire de nos bénévoles, du monde associatif, nous avons peut-être un rôle à jouer de ce point de vue. Nous y sommes très ouverts.

Deuxièmement, nous devons faire preuve de souplesse et les lieux de naissance doivent pouvoir se trouver ailleurs que seulement au sein des maternités. Pourquoi ne pas réfléchir à des maisons de naissance de proximité ou à d'autres organisations innovantes permettant d'accoucher en proximité ? J'ouvre en tout cas cette piste.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Nous avons bien sûr travaillé sur les GHT et sur leur contribution possible dans un bassin de naissances. Nous sommes des élus et nous sommes confrontés à une réalité qui s'impose à nous tous. Dans certains cas, lorsqu'un GHT ou CHU peut apporter un soutien à une maternité, c'est ce qui a lieu : les équipes travaillent ensemble et cela se passe plutôt bien. Néanmoins, selon ce qui nous est dit, il est tout aussi compliqué pour les maternités de recruter et plus le dispositif englobe des acteurs différents, plus il est difficile de le solidifier.

Nous avons également ouvert la question des autres modes d'accouchement. Il existe effectivement des maisons de naissance mais celles-ci se trouvent toujours à proximité d'une maternité, pour des raisons de sécurité. Les accouchements à domicile existent aussi. Ces cas de figure restent néanmoins marginaux et ne peuvent, en tout état de cause, s'affranchir des considérations de sécurité.

Je suis ravie de vous entendre dire que l'information et l'éducation dès le plus jeune âge sont des enjeux essentiels au vu des indicateurs actuels. Peut-être que des CPP avec des missions plus larges qu'une simple maternité sans accouchement pourraient aussi contribuer à une amélioration des choses. Nous pourrions y adosser la PMI, la maison des 1 000 premiers jours et y faire venir des professionnels de santé de territoire pour gagner en proximité. Ce pourrait être une piste. Vous n'avez pas parlé de la santé mobile mais je sais que l'AMRF y est attaché, puisqu'elle a produit des rapports sur la santé en ruralité, que j'ai lus avec la plus grande attention. Ils contiennent des propositions intéressantes.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Au cours de nos auditions, on nous a très souvent dit qu'en cas de problème, plus personne ne voulait en endosser la responsabilité. Même au sein d'une équipe, la situation est très difficile à vivre et à assumer, émotionnellement, lorsqu'un bébé ne parvient à survivre ou lorsqu'une mère décède. Il faut une équipe présente, soudée, pour que cette responsabilité ne repose pas sur les épaules d'une seule personne. J'englobe dans cette considération les équipes médicales mais aussi les élus et tous ceux qui ont une responsabilité dans la décision.

Qui endosse les choix qui sont faits si une femme enceinte est mal orientée ou si un accouchement qui devait se dérouler sans risque se passe mal ? Nous voulons tous les meilleurs soins partout, dans le plus grand nombre de communes. Cependant, qui assume, le cas échéant, cette responsabilité dans les cas que je viens d'évoquer ?

Mme Marie-Paule Chesneau. - La PMI constitue à mes yeux le coeur du sujet car, au titre de la prévention de proximité, il est plus que jamais nécessaire de renforcer ces structures. Nous avons des professionnels de PMI très spécialisés dans leur domaine, fortement investis dans l'accompagnement des familles, le repérage et le soutien à la parentalité. Ils s'adaptent aux besoins des enfants comme à ceux des territoires, avec la volonté de toujours prendre en considération le pouvoir d'agir des familles et de les conforter dans leurs compétences, mais aussi de sécuriser l'avenir des enfants et des familles. À ce titre, nous parlons encore de la « Protection Maternelle et Infantile » mais sans doute faudrait-il revoir la terminologie, car on ne parle plus seulement de mères mais bien sûr de couples avec enfants.

Dans le Maine-et-Loire, le nombre de grossesses chez des mineures a diminué de 75 % entre 2013 et 2021 grâce à l'éducation à la santé et aux actions de prévention conduites dans les centres de santé sexuelle. Je vous rejoins, monsieur le maire, sur ce point : nous avons un gros travail à faire auprès des jeunes pour la prévention. Les centres de santé sexuelle doivent être mis en lumière pour ce travail de prévention considérable qu'ils font.

Il n'y a pas de profils particuliers en PMI, qui assurent un service universel, mais nous repérons tout de même de nombreuses vulnérabilités sociales, psychologiques ou médicales. Je l'ai déjà dit, c'est un service accessible à tous, sans aucune discrimination. Pour autant, nous recevons de plus en plus de familles sans ressources, sans papiers, migrantes, dont les parents sont parfois déficients intellectuels. La santé mentale constitue un problème qui n'a jamais été aussi prégnant, ce qui rend d'autant plus complexe l'accompagnement de ces familles.

Nous parvenons à recruter mais nous avons parfois du mal à fidéliser les professionnels, faute de pouvoir leur donner la possibilité de travailler comme ils le voudraient. Les besoins ont augmenté. Nos professionnels ont besoin d'être formés. Le contexte des situations sociales est compliqué. Les sollicitations sont de plus en plus importantes. Le besoin de soutien et d'accompagnement de la parentalité est de plus en plus manifeste. Il existe des familles en grande précarité, à la rue, il y a des logements insalubres. Certaines personnes n'ont aucune couverture sociale. Les professionnels ont parfois un sentiment de solitude et d'incompétence face à ces problématiques sociales. Il y a les troubles du comportement. Les familles manquent d'accompagnement de proximité et souvent, la PMI doit pallier ces manques.

Dans notre département, le « SAS 49 » est un dispositif innovant que nous avons mis en place pour accompagner toutes les familles où au moins l'un des parents est porteur de handicap. Les habiletés parentales sont mises en exergue. Nous parvenons à un résultat extrêmement intéressant mais cela mobilise des moyens RH importants. Les TISR (techniciens d'intervention sociale et familiale) interviennent précocement, dès la naissance, pour accompagner les familles, concernant le handicap ou la prévention précoce. Ce sont des acteurs très importants mais insuffisants.

Le maillage départemental, pour les PMI, est bien fait. Chaque département s'adapte aux besoins des territoires et de tous les publics accompagnés, en tenant compte des partenariats locaux. Ces partenariats sont très riches dans certains territoires et permettent un travail en proximité. Dans le Maine-et-Loire, nous avons onze maisons départementales des solidarités mais nous assurons également des permanences délocalisées au sein des mairies ou de leurs annexes. Nous organisons aussi des visites à domicile, qui sont très riches : cela permet de visualiser l'entourage et l'environnement familial dans sa globalité. Ceci étant, dans chaque département, les situations sont hétérogènes compte tenu des politiques nationales qui se déclinent ensuite selon la stratégie départementale.

Par ailleurs, les équipes de PMI sont aussi happées par d'autres missions chronophages, en particulier celles relatives à la protection de l'enfance et le suivi des modes d'accueil, qu'il s'agisse des assistants maternels ou des établissements accueillant de jeunes enfants, dans un contexte d'augmentation des exigences réglementaires et de renforcement des contrôles des établissements.

Une autre difficulté dans le suivi tient au fait que les sages-femmes libérales suivent la femme et l'enfant durant un mois après l'accouchement. La prise en charge des parents ayant bénéficié d'un suivi par une sage-femme libérale cesse ensuite et nous avons parfois du mal à obtenir des sages-femmes qu'elles assurent la passation du suivi de la prise en charge avec la PMI. Cela peut créer, dans bien des cas, une rupture de parcours fortement préjudiciable à l'accompagnement des enfants et des familles. Celles-ci se retrouvent parfois chez le médecin avec des difficultés importantes. Un médecin avec qui j'ai pu échanger m'a parlé d'une maman qui s'est présentée avec son enfant de trois ans, et tous les deux connaissaient de graves difficultés. Il s'est dit complètement démuni et extrêmement étonné que personne, depuis trois ans, n'ait vu la situation de cette maman et de son enfant. Nous allons, d'une façon générale, à la rencontre des médecins et nous leur présentons les missions de la PMI car nous avons besoin de travailler ensemble, avec les sages-femmes libérales comme avec les médecins libéraux.

Nous devrons malheureusement prioriser nos missions au regard de nos moyens RH, qui sont très insuffisants, bien que le travail effectué en PMI soit essentiel et fasse ses preuves. D'une manière générale, les mères témoignent du fait qu'elles sont très bien prises en charge durant la grossesse, par une sage-femme à l'hôpital, en libéral ou en PMI. C'est au retour à domicile que les questions et les doutes surgissent car, après avoir été très entourées, tout s'arrête. Elles se sentent livrées à elles-mêmes et ont, de surcroît, la responsabilité d'un bébé. Lorsqu'elles sont prises en charge par une sage-femme de PMI, la continuité du parcours est assurée. La naissance est souvent un moment où les femmes sont fragilisées. 16,7 % des femmes ayant accouché sont touchées par une dépression deux mois après l'accouchement. Le travail en PMI est aussi de repérer, durant la grossesse, les situations de fragilité, étant entendu que l'accompagnement doit se poursuivre dans la durée, car la dépression peut s'installer et durer. Le suicide maternel fait partie, comme vous l'avez souligné, des deux premières causes de décès des mères. Nous en avons fait un sujet de santé publique dans notre département. Nous avons formé des puéricultrices afin de sensibiliser à la dépression périnatale tous les professionnels intervenant au titre du département, hors du seul champ de la PMI et des maisons départementales.

Nous travaillons très bien avec les centres hospitaliers, assurant la liaison hospitalière entre l'hôpital et les territoires. Cela permet d'informer les professionnels de PMI des parents à suivre particulièrement, notamment sous l'angle du lien avec l'enfant, alors que des situations de précarité et de vulnérabilité peuvent nécessiter un accompagnement particulièrement attentif. Les consultations par les infirmières puéricultrices de PMI constituent également un levier très important dès le lendemain de la sortie de maternité. Les mamans en sortent aujourd'hui beaucoup trop tôt et un accompagnement précoce est indispensable. Dans notre département, nous proposons à chaque maman qui vient d'accoucher, en particulier s'il s'agit du premier enfant, une visite à domicile. Cela permet de valoriser les compétences du parent, de renforcer sa confiance en soi, de mesurer l'environnement familial et de repérer d'éventuels dysfonctionnements.

Les consultations assurées par les puéricultrices représentent dans notre département 50 % de l'activité de la PMI. Or ces consultations de prévention médicosociale ne sont pas remboursées par la CPAM, à la différence des consultations de sages-femmes et de médecins. Leur remboursement par la Sécurité sociale doit être possible, d'autant plus que les médecins ne peuvent assurer toutes les consultations. Les puéricultrices y contribuent grandement et ce serait une bonne façon d'accompagner les départements dans l'exercice de leurs missions. Il faudrait également automatiser le remboursement des soins médicaux dans le cadre de la stratégie numérique en santé.

Il y a un véritable enjeu de partenariat à resserrer les liens avec les maternités, les sages-femmes libérales, les médecins libéraux et tous les partenaires, sans oublier les élus locaux, sur les territoires. Nous devons tous nous mettre autour de la table pour nous poser les bonnes questions en recherchant la fluidité et la cohérence des parcours. Cela tient parfois à peu de choses. Par exemple, les médecins ne saisissent pas toujours le numéro de téléphone de la patiente lors des déclarations de grossesse. Or l'examen du 4e mois (qui doit être fait avant la fin du 3e mois de grossesse) ne peut, souvent, être réalisé par une sage-femme pour la seule raison qu'elle ne peut joindre la patiente.

La sensibilisation à la santé environnementale devra également être accentuée. Nous y avons sensibilisé tous les professionnels du département mais l'effort devra également être relayé au plan national.

Vous avez évoqué le programme des 1 000 premiers jours. Nous avons à l'esprit ses objectifs mais, faute de moyens RH, nous ne pouvons les atteindre, malgré toute notre volonté. Nous manquons cruellement de moyens RH en PMI. Nous plaidons enfin pour une campagne nationale qui valorise le travail effectué par la PMI en partenariat avec tous les acteurs du territoire.

Mme Annie Le Houerou. - Merci pour vos témoignages, ainsi que pour vos propositions. Monsieur le maire, j'ai senti une colère sourde dans votre propos. Nous partageons parfois, en tant qu'élus de territoires, ce sentiment et la question posée par cette mission d'information révèle ces préoccupations.

En tant que sénatrice d'un territoire qui se trouve dans une situation similaire à celle que vous avez évoquée, nous voyons parfois une population résignée. Ce n'est pas toujours le cas néanmoins. La semaine dernière avait lieu une réunion à Carhaix sur ces sujets. Elle a mobilisé 800 personnes. Il faut, certes, écouter les professionnels de santé, qui nous alertent sur les questions de sécurité et sur une réalité, en matière de mortalité. Nous devons l'entendre. Je ne peux, toutefois, me résigner à considérer qu'il faut choisir entre sécurité et proximité. Il y a une réalité, vous l'avez dit, madame la présidente : les professionnels de santé eux-mêmes ne veulent plus aller dans ces territoires et dans les maternités de type 1, sous-équipées en personnel et peut-être aussi en matériel. Pour autant, je ne peux voir là une fatalité.

On nous dit que dix années difficiles à passer se profilent devant nous. Je vois les choses différemment, car les médecins actuellement en formation peuvent venir dans les établissements avant dix ans. Cela fait vingt ans qu'on nous tient ce discours et on ne fait rien. Dans nos territoires ruraux, nous n'avons plus accès à la santé. Hier se posait la question des maternités. Aujourd'hui, c'est celle des urgences. Nous voyons bien la dérive qui se dessine. On nous impose de rationaliser les moyens et de faire en sorte que tout se concentre dans les grands centres, malgré certains aménagements et je pense notamment aux GHT). Cependant, à mon avis, ils ne jouent pas leur rôle de mutualisation : ils ont au contraire pour objectif de « pomper » encore davantage les ressources locales. Or je ne veux pas d'une France des métropoles. Je veux un aménagement du territoire qui donne le même accès aux soins à tous, que l'on habite à Paris, à Lyon, dans la Nièvre ou les Côtes-d'Armor. Les contribuables que nous sommes ont tous les mêmes droits.

Je souhaite donc que l'on travaille sur cette supposée période de dix ans, sans fatalisme. Il y a des solutions. 2 500 étudiants en médecine, chaque année, ne passent même plus les concours en France, préférant aller en Roumanie, en Espagne, en Italie ou en Amérique. Nous devons aussi tenir compte de cette réalité et faire des propositions qui contribuent à faire évoluer les choses.

Mme Emilienne Poumirol. - Tout au long de ces auditions sur la périnatalité, on a mis en balance proximité et sécurité. Un choix semble inéluctable en faveur de l'un ou l'autre de ces termes. Cela me gêne. On connaît la vision en faveur de la métropolisation de la France qui oriente souvent les décisions prises au plan national. Le Président de la République a même eu, en 2018, le projet de faire disparaître les départements qui contenaient une métropole. Il a fallu qu'on se batte pour les conserver.

Nous nous inscrivons dans une logique d'accès aux soins. Les objectifs de sécurité se comprennent. François Braun prenait l'exemple, l'autre jour, de l'infarctus. C'est une situation différente, s'agissant d'une pathologie aiguë : en pareil cas, il faut naturellement aller vers le plateau technique le plus poussé, le plus rapidement possible. Un accouchement est, dans la grande majorité des cas, physiologique et ne présente pas le même caractère d'urgence qu'un infarctus.

Le problème est que nous avons du mal à réfléchir aux voies d'amélioration de la sécurité dans la proximité. J'ai conscience des difficultés que l'on rencontre pour attirer des médecins et des équipes médicales en zone rurale, faute d'une attractivité suffisante. Nous devons bien sûr y réfléchir au sein des départements. Pour autant, ne plaçons pas tous nos oeufs dans le même panier en ne raisonnant qu'en termes de sécurité. Cela conduit à des raisonnements un peu simplistes, du type : « vous accouchez deux fois dans votre vie, vous pouvez bien faire une heure de voiture ». Pour les grossesses pathologiques, la nécessité de faire appel à une maternité de type 3, avec un grand plateau technique, ne se discute pas. Dans la plupart des cas, néanmoins, la sécurité devrait être suffisante pour répondre à la très grande majorité des situations d'accouchement. Cette vision binaire opposant constamment sécurité et proximité me dérange.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. -Je ne crois pas qu'il y ait de fatalité. Peut-être faut-il réfléchir à un modèle permettant de trouver un équilibre de proximité. Je n'ai pas trouvé la solution pour l'accouchement. En ce qui concerne la surveillance, peut-être peut-on faire mieux en milieu rural, car on voit bien que nous sommes confrontés à un problème de prévention et de suivi après l'accouchement. Il y a un gros travail à réaliser de ce point de vue mais cela ne demande pas des moyens techniques importants, d'autant plus que ce n'est pas de médecins dont on a besoin principalement en la matière. Il faut des infirmières puéricultrices, sans doute revoir un peu les métiers, la formation... On voit assez facilement se dessiner des pistes. Quant aux soins de proximité, de nombreux professionnels de santé ont été, à un moment donné, vent debout contre les maisons de santé et force est de constater que celles-ci attirent les professionnels en milieu rural. Le problème n'est pas la ruralité. Ce sont les conditions d'exercice qui attirent les professionnels.

En revanche, l'acte d'accouchement peut basculer d'une minute à l'autre d'un acte très facile vers un acte extrêmement complexe, assorti d'un danger élevé. La sécurité doit être assurée dans tous le cas. Nous sommes, pour cette raison, face à un sujet particulier.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - On se heurte, au cours de nos auditions, à cette difficulté qu'ont les professionnels de santé pour s'installer en zone rurale. Que proposez-vous pour les attirer ? Nous avons vu que les maisons de santé avaient des répercussions positives sur les territoires. Mais que proposez-vous à la nouvelle génération de médecins, qui ne veulent plus assurer qu'une soirée de garde par semaine et un week-end de garde par mois ? Il faut les attirer mais aussi les retenir et surtout parvenir à obtenir des équipes stables, car le grand danger, nous a-t-on dit, est d'avoir des intérimaires et des équipes qui ne se connaissent pas, qui n'ont pas d'automatisme et qui ne savent parfois même pas où se trouvent les équipements médicaux au sein de l'établissement.

M. Patrice Joly. - Je m'inscris dans le prolongement des propos des collègues qui m'ont précédé autour de l'enjeu du maillage territorial. Il faut aussi entendre le plaidoyer qui a été exprimé pour un enjeu de cohésion sociale et pour le sentiment d'appartenance à une même communauté, dans laquelle chacun souhaite légitimement voir se réaliser la promesse républicaine d'égalité de traitement. C'est un vrai sujet, a fortiori dans des territoires ruraux qui ont subi une paupérisation indéniable ces dernières décennies.

Je connais peu de territoires qui ne fassent pas d'efforts, aujourd'hui, à l'échelle communale, intercommunale ou départementale, pour rendre leur territoire attractif, sur le plan touristique et du cadre de vie de même que vis-à-vis des professionnels de santé, au travers de bourses, de maisons de santé ou de divers dispositifs. Il faut aussi compter avec l'attractivité en matière de rémunération.

La situation actuelle réduit de deux ans l'espérance de vie des bébés qui naissent actuellement, a-t-il été dit. Retenons cette hypothèse (même si, dans mon territoire, cet écart est plutôt de quatre ans) : ce sont deux ans de retraite en moins et deux ans de ressources qui ne vont pas irriguer le territoire. Cela représente plus de 5 000 personnes qui ne sont pas là, et, à 1 000 euros par mois de retraite, environ 60 millions d'euros par an de ressources en moins. Quel effort consentir pour que ces 60 millions d'euros nous reviennent comme il se doit ? Ils pourraient être utilisés pour attirer les professionnels de santé. Je suis sûr que certains considéreront qu'à ce prix-là, les ruralités ont aussi leur intérêt et qu'on ne peut pas jurer que par les métropoles. Ce ne serait que rendre leur dû à ces territoires.

La question du fonctionnement en réseau, pour sortir de la logique « centre-périphérie », me paraît féconde. Les technologies le permettent et la société elle-même travaille déjà en réseau. Les GHT ont été évoqués mais ne fonctionnent pas. Ils drainent davantage qu'ils n'irriguent le territoire. Cela s'explique parfois : le seul centre hospitalier où se trouve une maternité traitant 900 naissances par an constitue naturellement, à un moment donné, une priorité. Néanmoins, il n'y a plus de direction dans nos hôpitaux de proximité et il n'y a plus de projets d'établissement pensés à l'échelle du territoire de proximité. Nous devons continuer de travailler sur l'enjeu territorial et l'enjeu républicain des réponses pouvant être apportées à ces questions. Nous ne sommes évidemment pas sourds aux questions de sécurité. Selon un tableau parfois caricatural qu'on fait de ces débats, les élus, inconscients, seraient prêts à faire n'importe quoi pour garder une maternité. C'est évidemment faux : nous voulons le meilleur pour nos territoires, en particulier pour le moment important que constitue une naissance.

M. Gilles Noël. - Pour attirer des professionnels de santé, je dirais que les maires que nous sommes peuvent proposer « tout sauf de l'argent ». L'État s'occupe de ces aspects et la course à l'échalote ne fonctionne pas. D'autres ont beaucoup plus de sous que nous. Je regrette, pour ma part, que les professionnels de santé soient condamnés à ne plus payer d'impôt. France Ruralité Revitalisation (FRR) a créé un désordre formidable et a amplifié les détricotages, au lieu de sortir les professionnels de santé de cette logique. Résultat, tout le monde cherche à se différencier et le maire de la ville-préfecture a intérêt à ce qu'il soit « FRR+ », quel que soit le nombre d'habitants de sa ville.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ce n'est pas le sujet du jour.

Mme Annick Billon. - Vous partez du postulat, monsieur, selon lequel les professions médicales seraient des nanties. Je ne partage pas du tout cette analyse. La question est de savoir comment l'on organise le système de soins sur le territoire hexagonal et ultramarin avec d'aussi faibles moyens RH dans la santé périnatale. Les débats philosophiques visant à savoir si les médecins profitent, comment il faut les obliger à ceci ou cela, ne constituent pas le sujet qui nous rassemble aujourd'hui.

M. Gilles Noël. - Nous avons nos petits bras pour faire en sorte que le vivre ensemble soit une réalité et qu'un professionnel de santé puisse venir dans nos territoires. Je n'ai pas de recette miracle. Il fait bon vivre chez nous. Le lien entre la ville et l'hôpital constitue sans doute une piste pour attirer des professionnels de santé, pour peu de faire preuve d'imagination et de souplesse. Ce n'est pas une question de moyens financiers, d'autant plus que nous ne sommes pas de taille à livrer la compétition sur ce terrain.

Vous avez mentionné François Braun. Le GHT de Metz a proposé aux professionnels de santé de venir aux urgences à Verdun et ces professionnels ont compris qu'ils dormiraient un peu plus à Verdun qu'à Metz, ce qui a permis d'organiser le dispositif. Cela nous ramène aux GHT, qui doivent à mes yeux constituer une pierre angulaire de la réflexion.

Mme Marie-Paule Chesneau. - Il nous faut effectivement conduire une réflexion globale pour attirer les professionnels de santé. S'agissant des médecins, les services sanitaires des étudiants en médecine viennent réaliser des actions d'éducation au sein des territoires auprès des jeunes. C'est aussi leur montrer la réalité des territoires ruraux et valoriser le travail des professionnels qui s'installent en milieu rural. Faut-il agir sur le plan financier ou en améliorant leur cadre de vie et en leur offrant des conditions d'installation qui répondent à leurs attentes, en agissant par exemple sur l'immobilier ? Promouvoir les stages en milieu rural me paraît également important. Les médecins ruraux doivent pouvoir être les tuteurs de ces étudiants afin de mieux faire connaître les territoires et mesurer la réalité du travail, qui n'est pas du tout la même en milieu rural et en ville. Nous les invitons aussi à faire des stages en PMI, ce qui leur montre de quelle manière on peut mailler le territoire et travailler en partenariat. C'est enfin leur offrir des installations et un travail dans des équipes pluridisciplinaires, avec des d'autres professionnels de santé (orthophoniste, gynécologue, kinésithérapeutes...).

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous remercie pour votre participation à cette audition.

Un questionnaire écrit vous a été adressé et il vous permettra de compléter vos propositions. Nous avons compris que vous étiez très attachés à vos territoires comme nous le sommes toutes et tous.

Partager cette page