N° 753

SÉNAT

2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 septembre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur le thème de :
« L'
avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale »,

Présidente
Mme Annick JACQUEMET,

Rapporteure
Mme Véronique GUILLOTIN, 

Sénatrices

Tome I - Rapport

(1) Cette mission est composée de : Mme Annick Jacquemet, présidente ; Mme Véronique Guillotin, rapporteure ; M. Bruno Belin, Mme Marion Canalès, M. Olivier Bitz, Mmes Marie-Claude Lermytte, Florence Lassarade, Annie Le Houerou, Céline Brulin, Anne Souyris, vice-présidents ; Mmes Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, secrétaires ; Mme Annick Billon, M. Patrice Joly, Mmes Christine Lavarde, Laurence Muller-Bronn, Émilienne Poumirol, M. Laurent Somon, Mmes Jocelyne Guidez, Else Joseph, Marie Mercier, M. Saïd Omar Oili, Mme Elsa Schalck.

L'ESSENTIEL

À la demande du groupe RDSE, le Sénat a constitué une mission d'information sur l'avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale.

À l'issue de six mois de travaux, la mission d'information appelle à apporter une réponse organisée et assumée à la fragilité actuelle de l'offre de soins périnatals, qui fait peser des risques sur la santé des mères et des nouveau-nés, et menace l'équité sociale et territoriale.

Elle préconise une réorganisation de l'offre de soins assurant une sécurisation accrue des accouchements et, parallèlement, un renforcement du suivi en proximité durant la grossesse et après la naissance.

I. SE DONNER LES MOYENS DE MIEUX ANALYSER UN TABLEAU CLINIQUE ALARMANT

A. DES INDICATEURS DE SANTÉ PUBLIQUE DÉGRADÉS

La santé périnatale renvoie à la santé de la mère et de l'enfant, de la grossesse au premier anniversaire de l'enfant.

1. Davantage de décès de nouveau-nés et de bébés que dans les autres pays européens

Si la France a atteint de très bons résultats en matière de santé périnatale au début du XXIe siècle, l'absence d'amélioration voire la dégradation des indicateurs, depuis une dizaine d'années, la placent désormais aux 21e et 22e rangs européens en matière de mortinatalité spontanée et de mortalité infantile, avec sur ce second indicateur un taux de 4,0 pour 1 000 naissances vivantes en 2023.

Au-delà de six mois de grossesse, un bébé sur cent naît sans vie (mortinatalité spontanée ou consécutive à une interruption médicale de grossesse) ou décède au cours de sa première semaine de vie (mortalité néonatale précoce, qui représente près de la moitié de la mortalité infantile).

Comparaisons des taux de mortinatalité spontanée et mortalité infantile en Europe

Taux moyen de mortinatalité spontanée

(enfants nés sans vie après 24 semaines d'aménorrhée)

pour 1 000 naissances entre 2015 et 2019

Taux de mortalité infantile en 2022

(nombre de décès d'enfants de moins d'un an rapporté au nombre de naissances vivantes)

   

Source : Cartes réalisées par la mission d'information à partir de données d'Eurostat

Taux moyen de mortalité infantile sur la période 2020-2022

Un taux moyen de 3,5 %o en France hexagonale

Des taux 2 fois plus élevés dans les départements et régions d'outre-mer

Source : Cartes réalisées par la mission d'information à partir de données d'Eurostat

2. Un nombre élevé de nouveau-nés prématurés, à la santé plus fragile

55 000 enfants naissent prématurément (avant 37 semaines d'aménorrhée) en France chaque année, soit :

 

des naissances

 

de la mortalité néonatale

 

des handicaps d'origine périnatale

Leur prise en charge s'est améliorée, avec le développement des techniques de réanimation et d'assistance respiratoire et de traitements adaptés, ainsi qu'avec l'orientation de ces enfants vers des maternités adaptées, grâce à une gradation des maternités (types 1, 2a/b et 3). Cependant, elle n'atteint pas les niveaux des pays du nord de l'Europe.

En outre, leur prise en charge augmente la charge en soins des services de maternité.

3. Des complications et décès maternels encore trop fréquents

Si les décès maternels sont désormais rares (90 par an), les complications et les difficultés tant physiques que psychiques au cours de la grossesse, lors de l'accouchement ou en post-partum sont quant à elles fréquentes. Ainsi, les hémorragies du post-partum, survenant de manière soudaine et inattendue, concernent environ 10 % des accouchements.

B. DES CAUSES IDENTIFIÉES DE FAÇON SEULEMENT PARTIELLE

La fragmentation des bases de données rend difficile l'analyse précise des effets induits par l'organisation du système de santé et les pratiques des professionnels.

Recommandation : Créer un registre national des naissances et de la mortalité néonatale, et soutenir l'appariement de l'ensemble des bases de données donnant accès à des informations détaillées sur la mère et sur l'enfant pendant la grossesse, l'accouchement et la période néonatale.

II. DES PARENTS SOUVENT PERDUS : GARANTIR UN SUIVI ET UN ACCOMPAGNEMENT DE PROXIMITÉ DANS LES MOIS AUTOUR DE L'ACCOUCHEMENT

A. MIEUX INFORMER LES FUTURS ET JEUNES PARENTS

L'information médicale se concentre largement sur la grossesse et l'accouchement, laissant les parents démunis face aux soins à apporter à leur nouveau-né. Ils sont confrontés à une information plurielle et qualitativement inégale et exposés à des images et conseils contraires aux recommandations médicales (en particulier s'agissant du couchage des nourrissons).

Recommandation : Renforcer la communication grand public autour de la santé périnatale et développer des partenariats entre les pouvoirs publics et les médias et réseaux sociaux pour diffuser des informations de qualité sur la grossesse et les soins du nouveau-né.

B. MIEUX COORDONNER LE SUIVI MÉDICAL

Si globalement les femmes bénéficient, pendant leur grossesse, d'un suivi extensif et de qualité, la multiplication des professionnels et le manque de continuité entre l'anténatal et le post-natal peuvent être facteurs de stress et d'insécurité.

Alors que la sage-femme et le médecin généraliste sont les principaux interlocuteurs durant la grossesse, le rôle pivot des sages-femmes a été récemment renforcé par le dispositif de « sage-femme référente », qui doit pleinement s'intégrer dans le parcours de soins.

Les dispositifs spécifiques régionaux de périnatalité (DSRP) doivent prendre toute leur place dans la coordination des professionnels de santé et la formation continue de l'ensemble des professionnels aux spécificités de la santé périnatale.

Par leur maillage territorial dense, les services de protection maternelle et infantile (PMI) doivent jouer un rôle pivot dans le suivi périnatal et l'accompagnement global à la parentalité. Au-delà d'une augmentation de leurs financements, au regard de leurs besoins, cela suppose de développer les partenariats avec la médecine de ville et de l'hôpital, notamment par le développement d'antennes de PMI au sein des maternités.

Recommandation : Assurer un modèle viable de financement des services de PMI et clarifier la prise en charge de certains actes entre les départements et l'Assurance maladie.

Pour le suivi prénatal comme le suivi postnatal, la priorité doit être donnée à une offre de proximité.

C. MIEUX ACCOMPAGNER LES PARENTS FACE AUX RISQUES DE LA PÉRIODE POST-PARTUM

1. Déployer l'accompagnement post-natal sur tout le territoire

L'enquête nationale périnatale comme l'étude d'opinion, commandée à l'institut CSA, montrent que les principales lacunes dans l'accompagnement des femmes et des familles portent sur le post-partum.

Ainsi, une femme sur cinq déclare ne pas être satisfaite des informations communiquées sur cette période et ne pas avoir bénéficié d'un suivi post-natal. Les parents manquent en particulier d'accompagnement dans les soins à apporter à leur nouveau-né.

Recommandations :

- Relancer et renforcer le Prado maternité, pour faciliter un recours sécurisé à domicile post-accouchement ;

- Labelliser les offres d'accompagnement autour des 1 000 premiers jours, en encourageant les initiatives de proximité et d'« aller vers ».

2. Mieux prendre en charge la santé mentale des jeunes parents, dans un contexte de détérioration de celle-ci

Véritable enjeu de santé publique, la prise en charge de la santé mentale des parturientes et des jeunes parents doit être mieux appréhendée.

 

Symptômes de « baby blues »

Dépression du post-partum

Suicide

 
 
 
 
 
 

des femmes dans les jours qui suivent l'accouchement

avec des conséquences sur le développement du lien parent-enfant

décès par an,
1ère cause de décès maternels

Recommandations :

Renforcer le repérage des vulnérabilités psychosociales, via un questionnement systématique des futurs et jeunes parents ;

Améliorer leur prise en charge en développant une offre de soins en santé mentale graduée et de proximité et en proposant un suivi dès lors que des facteurs de risque sont identifiés.

III. UNE TRANSFORMATION INÉVITABLE DE L'OFFRE DE LIEUX ET DE MODES D'ACCOUCHEMENT : S'EN SAISIR POUR NE PAS SUBIR

A. UN RÉSEAU DE MATERNITÉS AUJOURD'HUI FRAGILE ET INADAPTÉ AUX BESOINS DE SANTÉ, AUX RESSOURCES DISPONIBLES ET AUX IMPÉRATIFS DE SÉCURITÉ

1. Un réseau de maternités aux fragilités multiples

2. Une transparence à renforcer

 

des femmes enceintes ou ayant accouché récemment n'ont pas entendu parler des différents types de maternité (1, 2a/b, 3) ou ne voient pas vraiment de quoi il s'agit.

La situation du système de soins est mal connue des usagères et usagers, tant sur son organisation que sur les conditions effectives de son fonctionnement ou les difficultés parfois rencontrées.

Recommandation : Renforcer la transparence sur la situation et les pratiques des maternités à destination des parents sur la base de la publication régulière d'une série d'indicateurs de qualité et de conditions d'activité.

B. ASSUMER LA TRANSFORMATION DE L'OFFRE DE SOINS PÉRINATALS

Alors que l'absence de décision politique conduit à une détérioration de l'offre de soins, la mission entend proposer une réponse ambitieuse et cohérente pour permettre à l'offre de soins périnatals de renouer avec des standards de qualité de haut niveau, en conjuguant accessibilité des soins et sécurisation accrue des structures.

1. Rétablir des instances de pilotage

Devant l'urgence d'une nouvelle politique de périnatalité reconnue par de nombreux acteurs, celle-ci doit retrouver un pilotage national et territorial.

Recommandation : Adopter une stratégie nationale de santé périnatale et rétablir les commissions nationale et régionales des naissances.

2. Renforcer l'encadrement et l'offre de soins

Les modalités d'encadrement au sein des activités de soins périnatals doivent être revues pour répondre aux évolutions des profils des patients, mieux prendre en compte la charge en soins dans un contexte d'effectifs contraints.

Recommandations :

Garantir des effectifs de professionnels médicaux (gynécologues-obstétriciens, pédiatres, anesthésistes-réanimateurs et sages-femmes) répondant aux besoins de santé, en formant davantage de praticiens et en améliorant l'attractivité de ces professions et de leur exercice hospitalier, et renforcer la formation initiale des infirmiers dans les activités de santé périnatale ;

- Publier, d'ici à 2025, une révision des décrets de 1998 renforçant les ratios d'encadrement pour prendre en compte l'évolution des profils des parturientes et des nourrissons, et permettre une modulation selon la charge en soins, tout en prévoyant une entrée en vigueur progressive ;

- Assurer, sur tout le territoire, un ratio minimal d'un lit de réanimation néonatale pour 1 000 naissances.

3. Engager une transformation répondant aux impératifs de sécurité des soins et aux réalités des territoires

Alors que le maintien de l'offre actuelle n'apparaît ni possible ni soutenable, une transformation des maternités doit être engagée.

Cependant, il serait tout à fait contre-productif d'afficher une réflexion sur la base d'un quelconque seuil d'activité : la mission appelle à engager une transformation de l'offre de soins sur la base d'une évaluation des structures et des besoins par bassin de naissance.

Recommandations :

- Réaliser un audit de l'offre de soins périnatals : cartographie des plateaux techniques, évaluation de chaque structure sur la base d'indicateurs définis au niveau national, et diagnostic des besoins et des risques pesant sur l'offre de soins par territoire et bassin de naissance ;

- Sur cette base, et non sur celle d'un seuil de naissances, engager une transformation globale de l'offre de maternités assurant :

* un haut niveau de sécurité sur des plateaux techniques moins nombreux mais permettant une pluralité de projets de naissances ;

* une accessibilité des structures au regard des contraintes territoriales et une amélioration de l'offre de transport médical d'urgence, intégrant des professionnels de santé périnatale ;

* une offre de proximité renforcée garantissant un meilleur suivi prénatal et post-natal immédiat sur le territoire.

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